M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, votre assemblée entame cet après-midi l’examen en première lecture de la proposition de loi déposée le 5 juin dernier par Mme Bouchart et cinquante-trois de ses collègues, et qui vise à répondre à la multiplication des occupations illicites de domicile, face auxquelles le droit pénal serait insuffisant, car il ne permettrait pas d’expulser un occupant sans titre passé le délai de quarante-huit heures suivant la pénétration dans les lieux, au motif que, au-delà de ce délai, le flagrant délit ne pourrait plus être évoqué.
Ce texte vise à porter de quarante-huit à quatre-vingt-seize heures le délai de l’infraction flagrante pour l’infraction d’introduction et de maintien dans le domicile d’autrui par manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, infraction réprimée par l’article 226-4 du code pénal.
Il tend également à modifier l’article 38 de la loi DALO du 5 mars 2007 qui permet au préfet, saisi par le propriétaire ou par le locataire des lieux occupés illicitement, de demander à l’occupant de quitter les lieux, afin que, en cas d’impossibilité de joindre le propriétaire ou le locataire, le maire puisse saisir le préfet aux fins d’évacuation des lieux.
Lors de l’examen de cette proposition de loi en commission le 2 décembre dernier, deux amendements déposés par votre rapporteur, M. Jean-Pierre Vial, tendant à modifier l’article 226-4 du code pénal et à supprimer la disposition relative à l’article 38 de la loi DALO ont été adoptés.
La proposition de loi se résume donc désormais à un article unique, qui a pour objet de rédiger comme suit l’article 226-4 du code pénal : « L’introduction dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
« Le maintien dans le domicile d’autrui à la suite de l’introduction visée au premier alinéa, hors les cas où la loi le permet, est puni des mêmes peines. »
Ce faisant, la commission a introduit dans la loi une clarification. Pour que le maintien dans les lieux soit punissable, il n’est pas nécessaire qu’il soit assorti de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte.
Cette proposition clarifie également le fait que l’infraction de maintien dans les lieux est une infraction continue, c'est-à-dire qui se commet tant que la personne se maintient de manière continue et irrégulière dans les locaux. À ce titre, tant que dure l’occupation, il s’agit d’une infraction qui se commet actuellement, au sens de l’article 53 du code de procédure pénale, ce qui autorise le recours aux dispositions de l’enquête de flagrance, notamment l’expulsion de l’occupant des lieux.
La présente proposition de loi tenant compte des modifications apportées par la commission ne pose pas de difficulté sur le fond, car elle est conforme à l’interprétation actuelle de l’article précité par les juridictions. S’il n’existe, c’est vrai, aucune décision de la Cour de cassation en la matière, c’est que précisément cette question ne fait pas débat dans la pratique.
La circulaire d’application du nouveau code pénal du 14 mai 1993 précise ainsi que l’article 226-4 du code pénal étend la répression à l’hypothèse du maintien dans le domicile d’autrui, transformant ainsi cette infraction instantanée en délit continu. Elle indique que cette modification a principalement pour objet de rendre plus efficace les procédures engagées contre les squatteurs et qu’elle permettra de diligenter les enquêtes de flagrance à leur encontre, alors même que l’occupation sans droit ni titre a commencé depuis un certain temps.
Eu égard à ces éléments, et tout en soulignant le caractère insuffisant d’une approche exclusivement pénale des occupations illicites de domicile, qui sont le plus souvent le fait de personnes se trouvant dans le dénuement le plus cruel, le Gouvernement s’en remettra sur le texte adopté par la commission à la sagesse de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Samia Ghali.
Mme Samia Ghali. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi, présentée par Mme Bouchart, que nous examinons aujourd’hui suscite de nombreuses controverses.
Compte tenu de la situation non seulement difficile, mais aussi particulière à laquelle Mme Bouchart est confrontée dans sa ville de Calais, s’agit-il là d’un texte visant réellement à apporter une solution pérenne aux occupations illicites de domicile ou bien d’une démarche à vocation purement médiatique et politicienne, ce qui serait bien entendu regrettable ?
Le texte qui nous est soumis, bien qu’il ait déjà été largement remanié par la commission, reste à mon sens insatisfaisant. Je tenais à intervenir sur ce sujet, que je ne connais que trop bien.
Pour commencer, j’évoquerai un exemple très explicite et fréquent : j’ai été saisie du cas d’une personne âgée qui, à l’issue d’un séjour à l’hôpital, s’est trouvée à son retour dépossédée de son logement. Les serrures avaient été changées, les meubles évacués, et les démarches qui se sont ensuivies pour parvenir à la restitution du logement ont été longues et complexes. Cette personne s’est de fait retrouvée dans une situation précaire, alors que tel n’était pas le cas à l’origine. (Mme Catherine Procaccia s’exclame.)
Toutefois, nous devons rester lucides sur la réalité du squat. On squatte un domicile non par choix, mais par désespoir. La plupart du temps, les squatteurs sont des personnes qui avaient un logement social mais qui en ont été expulsées à la suite d’un défaut de paiement. Il s’agit souvent de femmes seules qui, pour conserver la garde de leurs enfants, doivent trouver un toit, quitte à se mettre dans l’illégalité. (Mme Dominique Estrosi Sassone proteste.)
Comment pourrions-nous exiger du secteur locatif privé qu’il résolve les problèmes quand le secteur public n’a pas la capacité de le faire ?
Pourtant, le squat reste un acte de délinquance qui s’exerce le plus souvent au détriment des demandeurs de logement.
Il est en effet inacceptable que des personnes ayant déposé des demandes de logement en bonne et due forme, qui respectent les délais, en serrant les dents, pendant des années parfois, puissent avoir l’impression que ceux qui contournent les règles jouissent d’une impunité. Il n’est pas normal que ceux qui respectent les lois de la République soient moins bien traités que ceux qui les défient en squattant.
Il faut donc faire preuve de fermeté, afin de ne pas encourager les squatteurs parce que la démarche serait simple et la punition inexistante. Être en situation de précarité ne justifie pas de placer d’autres dans la même condition.
Par conséquent, c’est sur l’ensemble de la politique du logement que nous devons nous interroger. Nous ne pouvons pas nous contenter de répression. Nous devons assortir notre démarche de dispositifs crédibles. Les structures d’accueil existantes sont inadaptées à la plupart des situations. Elles ne conviennent pas aux réalités familiales. Enfin, elles sont insuffisantes.
Les trois quarts des personnes que je reçois au cours de mes permanences relèvent du dispositif DALO et répondent aux critères de priorité inscrits dans la loi. Nous n’avons pourtant pas de solution à leur offrir tant le parc de logements sociaux est saturé. Il faut donc appréhender ce problème de manière globale, lucide, sans tomber dans la caricature.
Néanmoins, il faut également prendre en compte une autre réalité : il existe aussi une activité organisée et lucrative d’occupation illicite de logements. À cet égard, je pense que votre proposition de loi a du sens, madame Bouchart.
Il est clair que les dispositions législatives en vigueur ne permettent pas d’apporter une réponse efficace à ce problème. Or les squatteurs ne connaissent malheureusement que trop bien les lacunes de la loi ! Ils s’introduisent dans le logement le vendredi, sachant pertinemment que les services administratifs sont alors fermés pour le week-end, et que le lundi il sera trop tard pour les expulser.
Quant à l’intervention du maire, qui figurait à l’article 2 du texte initial, lequel a été supprimé par la commission, elle me semble justifiée. Le préfet a toutes les prérogatives, de par la loi, pour faire respecter l’ordre public, dont il est le garant. Malheureusement, il ne les met pas toujours en œuvre – c’est peut-être là que se situe le problème. Il est de son devoir de faire respecter les droits des citoyens et l’intérêt des communes de manière équilibrée. Car c’est aussi de cela qu’il s’agit : d’ordre public et du mieux vivre ensemble.
Si cette proposition de loi reste très insatisfaisante et si l’on peut raisonnablement douter des intentions de son auteur, il n’en demeure pas moins que la question politique qu’elle soulève mérite d’être débattue.
La loi doit protéger les propriétaires, qui ont souvent consacré toutes les économies d’une vie à l’achat d’un logement, qui ne sont pas tous rentiers et qui doivent fréquemment honorer un crédit. De même, elle doit protéger les demandeurs de logement qui patientent dans le respect de la loi, afin qu’il n’y ait pas un déséquilibre entre eux et le squatteur qui, lui, enfreint la législation en toute connaissance de cause.
Monsieur le secrétaire d’État, une véritable réflexion doit être menée sur ces questions, qui relèvent du droit et de la loi, car elles peuvent complètement déséquilibrer notre pays. On ne peut pas donner le sentiment que le traitement des squatteurs varie selon les procédures. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de Natacha Bouchart visant à faciliter l’expulsion des squatteurs de domicile.
Le constat des auteurs du texte est clair : notre droit pénal est inadapté à la répression de ce qui est qualifié de « phénomène des maisons et appartements squattés ». Toujours selon les auteurs de cette proposition de loi, la notion de flagrant délit, censée permettre une expulsion rapide des occupants sans titre, est difficilement caractérisable et, de surcroît, ne peut plus être caractérisée passé un délai de quarante-huit heures suivant l’intrusion illicite. La police ne peut donc plus procéder à l’expulsion immédiate des squatteurs, et il revient au propriétaire ou au locataire du domicile de saisir la justice, afin d’obtenir une décision d’expulsion.
Pour pallier cette difficulté, le texte initial de la proposition de loi prévoyait non seulement de porter de quarante-huit heures à quatre-vingt-seize heures la durée pendant laquelle le flagrant délit d’occupation sans titre d’un logement pouvait être constaté, mais également de permettre au maire de demander au préfet de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux.
La commission des lois, considérant qu’il n’était pas opportun de confier au maire la compétence de défendre la propriété privée de ses administrés, a heureusement écarté cette dernière possibilité.
Reste un article unique qui modifie l’article 226-4 du code pénal, afin de lever toute ambiguïté relative à la nature continue du délit de violation de domicile lorsque l’occupant illégal se maintient dans les lieux. Dès lors que l’introduction dans le domicile d’autrui s’est faite « à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte », les forces de l’ordre pourront désormais intervenir au titre du flagrant délit tout au long du maintien dans les lieux, sans qu’il soit besoin de prouver que ce maintien est également le fait de « manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte ».
Il ne s’agit finalement que de préciser l’infraction de violation de domicile et non, comme le titre racoleur de la proposition de loi le laisse entendre, de créer un régime dérogatoire pour faciliter l’expulsion des squatteurs de domicile.
Le texte issu des travaux de la commission des lois est donc bien plus acceptable que le texte initial,…
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument, c’est vrai !
Mme Esther Benbassa. … mais il n’en reste pas moins une proposition de loi d’affichage. Il n’aura échappé à personne que notre collègue Natacha Bouchart est également maire de Calais : ce sont donc non pas les squatteurs qui sont en l’occurrence visés, mais bien les migrants qui n’ont parfois pas d’autre choix, en plein hiver, que d’investir un bâtiment inoccupé.
Mme Catherine Troendlé. Vous faites un mauvais procès !
Mme Esther Benbassa. L’amalgame ne peut être fait entre toutes les situations, mais c’est malheureusement un tel amalgame qui a présidé à l’élaboration de ce texte.
Il existe de véritables réseaux organisés qui repèrent des logements vacants, souvent des logements sociaux, en prennent possession dès que l’occasion se présente, puis les louent à des familles désespérées. Cette activité est lucrative et doit être combattue, d’autant plus qu’elle s’exerce très souvent au détriment des personnes vivant dans les situations les plus précaires.
Il est regrettable que le texte dont nous débattons aujourd’hui ne s’attaque pas aux organisateurs de ces occupations illicites. Il s’agit en l’espèce uniquement de protéger les domiciles privés, mais quid de l’occupation des immeubles et bâtiments vacants ? À Calais comme ailleurs, ce sont majoritairement des logements vides depuis longtemps qui sont utilisés par des personnes sans domicile pour se mettre à l’abri.
Tenter de faire croire, comme dans l’exposé des motifs, que « les exemples se multiplient de personnes qui, de retour de vacances, d’un déplacement professionnel ou d’un séjour à l’hôpital, ne peuvent plus ni rentrer chez elles, parce que les squatters ont changé les serrures, ni faire expulser ces occupants », relève pour le moins de la mauvaise foi.
Mme Catherine Procaccia. Ces situations surviennent dans le département dont vous êtes élue, madame Benbassa !
Mme Esther Benbassa. Il est inutile de vous emporter, ma chère collègue !
Mme Cécile Cukierman. On sait tous que c’est une proposition de loi d’affichage !
Mme Esther Benbassa. L’arsenal juridique existe pour mettre fin aux occupations illégales, que personne dans cette enceinte ne songe à défendre. Il peut être précisé, amélioré, mais nous ne pouvons pas faire l’impasse sur la situation de centaines de personnes, hommes, femmes, nombreux enfants, qui n’ont pas d’autre choix que de squatter pour survivre.
Mme Chantal Deseyne. Non !
Mme Esther Benbassa. Pour conclure, si le texte issu des travaux de la commission des lois est acceptable du point de vue du droit, son esprit reste contraire à une certaine idée de notre société, humaniste et solidaire, que le groupe écologiste défend. Pour cette raison, mes chers collègues, nous ne pourrons apporter nos voix à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste, ainsi que du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question de l’occupation illicite de domicile, couramment appelée « squat » ou encore « vol de domicile », est une dure réalité pour les familles et pour les élus.
Pour autant, nous regrettons que le texte de madame Bouchart, qui, il est vrai, revêt un caractère local particulièrement douloureux pour les maires et, bien sûr, pour la population, joue sur les peurs et sur les angoisses. (Mme Natacha Bouchart s’exclame.)
Certes, celles-ci sont réelles, mais les solutions avancées ne sont malheureusement pas à la hauteur des enjeux. Cette question sensible aurait mérité mieux, à commencer par la prise en compte de l’ensemble des problématiques liées au logement des plus précaires. Les bonnes intentions ne suffisent pas, et la stigmatisation de cette population va crescendo.
Je salue néanmoins le travail de M. le rapporteur, qui a introduit une réelle rigueur juridique en réécrivant le texte en commission.
Il était nécessaire de supprimer l’article 2, véritable cadeau empoisonné pour les maires. De même, la réécriture de l’article 1er était bienvenue : alourdir l’arsenal répressif de manière imprécise et surtout contreproductive était une aberration. Je pense au délai de flagrance qui aurait été figé dans la loi, alors que, aujourd’hui, la rédaction de l’article 53 du code de procédure pénale permet une certaine souplesse.
Le phénomène d’occupation illicite de domicile, en particulier à Calais, où la situation est certes très complexe et très grave, est la conséquence de la fermeture de centres d’accueil de migrants, de la destruction systématique des campements plus petits, mais surtout d’une politique d’asile et de coopération frontalière insuffisante, voire inhumaine. Le présent texte propose de renforcer les mesures répressives, plaçant les réfugiés sous la pression policière permanente.
À cet égard, l’annonce de l’ouverture d’un nouveau centre de jour et d’un accord financier entre la France et la Grande-Bretagne de l’ordre de 15 millions d’euros nous laisse sceptiques. Rien n’est dit sur la question fondamentale du droit d’asile. Nous devons prendre la mesure de notre responsabilité, ce qui serait tout à notre honneur.
Pour faire face à cette réalité, nous avons besoin d’une réponse européenne, même si un réel effort national serait un signal déterminant. Comme le souligne justement le GISTI, le Groupe d’informations et de soutien des immigrés, au fil du temps, l’Europe a évolué négativement en repoussant les personnes migrantes, y compris celles qu’elle a l’obligation de protéger des persécutions. Pour les bénéficiaires du droit d’asile, c’est le brouillard administratif, tant les procédures sont longues, peu lisibles, bref, faites pour décourager celles et ceux qu’elles devraient protéger.
C’est une révision du règlement Dublin III qu’il faut promouvoir, afin que chaque demandeur d’asile en Europe puisse aller déposer son dossier dans le pays de son choix. C’est une orientation immédiate vers un centre d’accueil qu’il faut mettre en place pour les personnes qui souhaitent demander une protection à la France. C’est au renforcement de la protection des mineurs que nous devons travailler. Enfin, et surtout, c’est l’inconditionnalité de l’hébergement qui doit être la règle, ce qui ne peut se traduire que par la création de dispositifs d’accueil et d’orientation adaptés et en nombre suffisant.
Ces quelques propositions sont soutenues par de nombreuses associations qui ne sont pas forcément radicales, mais qui connaissent le terrain et gèrent tous les jours ces situations de détresse extrême.
La répression n’est pas la solution pour des personnes qui ont tout abandonné, qui ont connu des situations inhumaines de violence ou de privation de la dignité la plus élémentaire. Le constat est accablant : ce sont des personnes démunies, affligées, craintives, soumises au regard d’autrui et à la merci des réactions des autres.
Il y a urgence à faire preuve de réalisme dans la construction de solutions durables qui permettraient de prévenir les drames, mais aussi les situations de squats illicites, objet de la présente proposition de loi.
Sortons de la problématique de Calais, car la loi a vocation à s’appliquer sur tout le territoire national.
Mme Cécile Cukierman. Absolument !
M. Michel Le Scouarnec. La répression ne peut pas résoudre la crise du logement ni mettre fin à l’existence de filières organisées profitant du désarroi de nombreuses familles. En effet, près de 10 millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté. Les travailleurs dits « pauvres » ne peuvent se loger correctement. Quelque 150 000 personnes seraient sans-abri, contre 80 000 voilà dix ans. Autant d’hommes, de femmes et d’enfants dont le droit au logement est loin d’être garanti !
Les occupations illicites de domicile sont bien souvent une conséquence de la pénurie de logements accessibles pour tous et partout – en tout cas, une telle pénurie ne peut qu’aggraver la situation. Dès lors, la pénalisation des squatteurs n’est pas la solution ; notre arsenal juridique est déjà riche.
M. François Grosdidier. Il est inefficace !
Mme Cécile Cukierman. Ce n’est pas cette proposition de loi qui le rendra efficace, vous le savez très bien !
M. Michel Le Scouarnec. Comme le souligne le rapporteur, mais aussi les réponses tant du Gouvernement actuel que de la précédente majorité, le droit pénal en vigueur sanctionne déjà l’installation illicite d’individus dans le domicile d’autrui, notamment lorsque celle-ci est commise durant l’absence des légitimes occupants partis en vacances. En effet, l’article 226-4 du code pénal réprime d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait de s’introduire ou de se maintenir dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte.
De surcroît, lorsque la mise en demeure de quitter les lieux n’a pas été suivie d’effet dans le délai fixé, le préfet doit procéder à l’évacuation forcée du logement. Cette disposition permet d’accélérer la procédure d’expulsion dans les cas visés et de permettre au propriétaire ou au locataire de reprendre possession des lieux dans les délais les plus brefs, l’expulsion pouvant intervenir vingt-quatre heures après la mise en demeure adressée par le préfet aux occupants sans droit ni titre de quitter les lieux.
Mme Natacha Bouchart. Cette disposition n’est pas appliquée !
Mme Cécile Cukierman. Ce n’est pas votre proposition de loi qui la rendra effective !
M. Michel Le Scouarnec. J’ai été aussi confronté au problème du squat, madame Bouchart, et je sais que c’est une dure réalité, mais la loi existe.
En matière de logement pour les migrants, le Gouvernement a décidé, au début de cette année, de solliciter l’opérateur Adoma pour contribuer à la mise en œuvre de la circulaire du 26 août 2012. Celui-ci peut, à la demande des préfets, recourir à son parc de logements vacants ou proposer des services d’ingénierie pour apporter des solutions.
Ainsi, comme vous pouvez le constater, des réponses à la question soulevée par Mme Bouchart existent déjà dans le droit positif ainsi que dans la jurisprudence de la Cour de cassation à propos de la notion de domicile. Et n’oublions pas non plus les leviers dont disposent les préfets et donc l’État.
C’est pourquoi nous pensons que c’est essentiellement un manque de moyens et de volonté politique qu’il faut aujourd’hui combattre, au lieu de promouvoir la répression et la pénalisation de personnes en grande détresse, quel que soit leur statut juridique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de Natacha Bouchart, maire de Calais, a été déposée dans un contexte particulier. Elle reflète les préoccupations d’une élue locale.
En effet, depuis de nombreuses années, cette ville du nord de la France fait face à un afflux massif d’immigrés de diverses origines – Afghans, Irakiens, Érythréens, Soudanais et Iraniens – en transit vers la Grande-Bretagne, ce qui crée des tensions avec les habitants.
Ces difficultés ne datent pas d’hier. Selon la Croix-Rouge, entre 1999 et 2002, plus de 67 000 personnes ont transité par le camp de Sangatte. Conçu pour accueillir 200 personnes, cet immense hangar en abritait 1 600 avant sa fermeture. Son démantèlement, loin d’apporter une solution durable, n’a fait que fractionner le problème sans le résoudre. Aujourd’hui, les migrants illégaux s’installent dans la zone forestière qui entoure Calais et qui est surnommée la « jungle ».
Les squats d’immeubles par ces populations se sont multipliés ces derniers mois. Depuis juillet, l’ancien site industriel Vandamme, situé en centre-ville, est l’objet d’un squat à la suite de l’évacuation, dix jours plus tôt, de 610 migrants installés dans un autre immeuble de la ville. Le tribunal a bien ordonné l’expulsion des squatteurs le 24 juillet, mais le préfet n’a pas souhaité la mettre en pratique pour des raisons d’ordre public.
Cet exemple illustre bien le dilemme auquel nous confrontent les squats de domicile et de locaux vides. Au drame humanitaire qui se joue au quotidien se surajoute la question du respect du droit de propriété. Les droits des uns s’opposent au respect de la dignité des autres, sans qu’il soit toujours possible de dégager des compromis acceptables et satisfaisants.
Si la situation des squatteurs est déplorable, celle des propriétaires lésés par l’occupation illégale n’est pas beaucoup plus enviable. On doit se garder de tout manichéisme en la matière. L’on sait, par exemple, l’investissement que représente l’achat d’un bien immobilier pour un particulier, ce dernier tablant souvent sur des revenus locatifs. Et nous pensons qu’il aurait fallu différencier en matière d’expulsion les logements vides des autres cas.
Par ailleurs, l’arsenal juridique à disposition de ces justiciables ne fait pas toujours preuve d’une grande efficacité.
L’expulsion des occupants illégaux est l’une des procédures les plus délicates à mettre en œuvre, car elle s’oppose directement à certains droits, notamment le droit au logement. Elle a été entourée par le législateur de maintes précautions d’exécution : si celles-ci sont nécessaires pour lutter contre les abus, elles sont aussi sources d’extrême lenteur.
Passé le délai de quarante-huit heures permettant de constater la flagrance de l’infraction, le propriétaire est contraint d’engager une procédure en justice. La décision juridictionnelle est un préalable à la procédure d’expulsion. Quand on connaît les délais habituels des juridictions, il est facile d’imaginer alors le parcours semé d’embûches que rencontre le requérant.
Ensuite, des délais permettant de retarder l’exécution sont prévus.
Je vise tout d’abord le délai de grâce, qui permet aux occupants de locaux d’habitation ou à usage professionnel dont l’expulsion aura été ordonnée par une juridiction d’obtenir des délais renouvelables qui peuvent excéder une année, sans toutefois pouvoir dépasser trois ans.
Je pense ensuite à la trêve hivernale, instaurée en 1956 après l’appel lancé par l’abbé Pierre, qui a pour finalité de surseoir à toute expulsion non exécutée au 1er novembre de chaque année, et ce jusqu’au 31 mars de l’année suivante, à moins que le relogement ne soit assuré.
Je songe enfin au délai de deux mois entre le commandement d’avoir à libérer les lieux et l’exécution effective de l’expulsion. Il permet à la personne menacée d’expulsion d’accomplir des démarches pour trouver un nouveau logement.
Les auteurs du texte dont nous discutons aujourd’hui tentent ainsi d’avancer des solutions à une difficulté réelle. Le travail de la commission des lois, qui a modifié la nature de l’infraction de l’article 226-4 du code pénal pour en faire une infraction continue, améliore sensiblement les moyens à la disposition des forces de l’ordre pour constater l’infraction.
En conclusion, la majorité des membres du groupe du RDSE voteront cette proposition de loi, mais seulement dans la forme adoptée par la commission des lois, en particulier à la suite de l’adoption des deux amendements de M. le rapporteur.