M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Ces trois amendements portent tous sur la redevance pour création de bureaux.
Cette question mérite un débat, que nous aurons à compter de vendredi lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative. De nombreuses dispositions de ce texte concerneront en effet cette taxe.
L’amendement n° II-338 rectifié bis a pour objet d’exclure les locaux de stockage du champ d’application de la redevance pour création de bureaux. J’ai bien entendu ce que nous a dit notre collègue : cette taxe serait aujourd'hui d’un faible rendement. Il n’en demeure pas moins que, s’il était adopté, cet amendement conduirait à restreindre le champ d’application de la redevance. Or la commission est par nature assez prudente s’agissant des pertes de recettes.
En outre, l’article 14 bis du projet de loi de finances rectificative prévoit la création d’un tarif unique pour les locaux de stockage de l’ensemble de la région. Dans l’attente de l’examen de ce texte, la commission demande à notre collègue de bien vouloir retirer son amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
Sur l’amendement n° II-339 rectifié, par coordination avec l’amendement n° II-338 rectifié bis, la commission émet également un avis défavorable, puisqu’il vise à exclure les locaux à usage de bureaux dépendant de locaux de stockage du champ de la redevance.
Quant à l’amendement n° II-336 rectifié, il sera pleinement satisfait par l’article 20 octies du projet de loi de finances rectificative pour 2014. Cet article a pour objet de rétablir l’exonération de redevance pour les constructions de bureaux en Ile-de-France à l’ensemble des opérations de démolition-reconstruction pour la surface utile de plancher n’excédant pas la surface de l’immeuble avant reconstruction. Cette exonération s’appliquera à toutes les opérations « pour lesquelles l’avis de mise en recouvrement est émis à compter du 1er décembre 2014 ».
Dans la mesure où le Sénat devrait voter cet article, auquel la commission sera sans doute favorable, j’invite notre collègue à retirer son amendement et je lui donne rendez-vous à partir de vendredi.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Un certain nombre de dispositions allant dans le sens de vos amendements, madame la sénatrice, ont été introduites dans le projet de loi de finances rectificative pour 2014.
Le texte prévoit tout d’abord une harmonisation des taux servant au calcul de la taxe pour l’ensemble des locaux de stockage, afin de gommer les différences.
Il prévoit également un arrêt de la hausse qui était programmée de cette taxe pour un certain nombre de locaux.
Enfin, votre amendement sur les opérations de démolition-reconstruction sera satisfait.
Je pense donc qu’il y a lieu de retirer ces amendements et, le cas échéant, d’affiner le dispositif lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative qui sera soumis au Sénat à la fin de cette semaine. À défaut, j’émettrai un avis défavorable, afin qu’il n’existe pas deux textes concurrents.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour explication de vote sur l'amendement n° II-338 rectifié bis.
M. Jean-Claude Lenoir. Mon intervention sera un peu paradoxale.
Il y a une vingtaine d’années, j’étais jeune élu à l’Assemblée nationale et j’avais mené campagne dans un département qui m’a élu de façon constante, l’Orne, pas très loin de Paris, sur le thème des implantations excessives dans la région parisienne.
J’étais à l’époque persuadé que des taxations et des redevances permettaient de freiner le mouvement qui confortait l’implantation de pôles, notamment tertiaires, dans la région Île-de-France, au détriment d’une région qui pouvait très bien les accueillir.
C’est ce qui a été fait. Le bilan, il faut le dire, est plutôt décevant. Ce ne sont pas ces redevances, ces taxes qui ont empêché l’augmentation des mètres carrés d’activité. En revanche, ce qui a été décisif, c’est le coût moindre, dans nos départements situés relativement proche de Paris, du mètre carré, du fonctionnement des entreprises.
Le paradoxe de mon intervention tient au fait que je soutiens l’amendement déposé par mon amie Sophie Primas. Je me dis que, après tout, on empêchera les installations en région parisienne non pas par le biais des redevances et des taxes, mais plutôt grâce à l’attractivité des territoires qui sont relativement proches de Paris et qui multiplient les arguments en faveur de l’accueil de ces mètres carrés. Pour ce qui est des établissements de logistique, pour ce qui est également des bâtiments permettant de stocker les archives, qui est aujourd'hui un créneau important, il existe désormais toutes sortes d’opportunités.
Je suis sensible à l’argument défendu par le ministre et par le rapporteur général, à savoir que des dispositions vont être présentées dans quelques jours dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2014. Je pense que Sophie Primas a raison, que le rapporteur général et le ministre ont raison, que moi-même j’ai raison, et finalement que le mieux est sans doute de renvoyer le débat à quelques jours pour mettre à plat l’ensemble de ces dispositions.
M. le président. Madame Primas, les amendements nos II-338 rectifié bis, II-339 rectifié et II-336 rectifié sont-ils maintenus ?
Mme Sophie Primas. Je remercie M. le rapporteur général et M. le secrétaire d’État de leurs réponses.
Permettez-moi d’ajouter que ces questions sont d’autant plus prégnantes dans nos territoires qu’ils ne vont pas beaucoup bénéficier du Grand Paris Express et des développements en termes de transport, l’arrivée d’EOLE, qui les desservira un jour, étant chaque année reportée de deux ans.
Cela étant dit, j’ai bien entendu ce que vous m’avez expliqué sur le projet de loi de finances rectificative, monsieur le rapporteur général, monsieur le secrétaire d’État. Je retire donc les deux amendements concernés, mais je maintiens l’amendement n° II-339 rectifié, au travers duquel je demande que soient exonérés de la redevance les bureaux dépendants de locaux de stockage,…
M. Jean-Claude Lenoir. C’est logique !
Mme Sophie Primas. … car il me semble que ce point ne sera pas traité.
M. le président. Les amendements nos II-338 rectifié bis et II-336 rectifié sont retirés.
Je mets aux voix l'amendement n° II-339 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° II-172, présenté par Mme Cohen, MM. Favier, Foucaud et P. Laurent, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l'article 44 duodecies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans les six mois suivant la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l’élargissement de l’assiette du versement transport en région Île-de-France, notamment aux revenus financiers.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Au travers de cet amendement récurrent, nous souhaitons soumettre à notre assemblée la possibilité d’un élargissement de l’assiette du versement transport.
L’assiette de ce versement est aujourd'hui exclusivement assise sur la masse salariale des entreprises franciliennes. Or un tel paramètre ne permet pas de mesurer les capacités contributives réelles des entreprises. Ainsi, si les revenus financiers constituent l’élément clef du bilan des banques, il est important d’en tenir compte.
Eu égard aux forts besoins de financement en matière de transports en Île-de-France, comme le débat l’a mis en évidence, nous estimons que de nouvelles ressources doivent être envisagées pour financer ce que nous essayons de mettre en œuvre à travers le STIF, même si nous reconnaissons que des efforts ont été faits, efforts que, du reste, nous saluons.
Pour cette raison, nous proposons à tout le moins que soit remis par le Gouvernement au Parlement dans les six mois un rapport sur la possibilité de l’élargissement de l’assiette du versement transport en Île de-France, notamment aux revenus financiers.
Puisque nous cherchons de nouveaux modes de financement, et alors que nous entendons souvent dire sur les travées de la droite qu’il ne faut pas solliciter les revenus financiers ou les banques, nous pensons qu’un rapport nous permettrait de trancher cette question en toute connaissance de cause et non pas sur des ouï-dire ou des rumeurs.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. La commission n’est pas favorable à un tel élargissement, car on modifierait la nature de la ressource. En effet, alors que l’assiette du versement transport est aujourd'hui exclusivement assise sur les salaires, elle serait élargie aux revenus financiers. Cela engendrerait une augmentation de la fiscalité. Or, par principe, la commission est opposée à toute hausse de la fiscalité.
En outre, la commission n’est pas très enthousiaste à l’idée de multiplier les rapports.
L’idée qui sous-tend ce rapport étant le changement de la nature du versement transport, point sur lequel nous divergeons, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement. L’assiette du versement transport est le nombre de salariés, car ce sont eux qui empruntent les transports en commun. S’il était adopté, cet amendement modifierait complètement la nature du versement transport.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Je relève des contradictions dans les propos qui sont tenus.
Lorsque les membres du groupe communiste républicain et citoyen font des propositions, notamment pour augmenter le versement transport, en argumentant sur l’accroissement des besoins, en montrant qu’au niveau de la région ils ne sont pas des « Messieurs ou Mesdames Plus » mais qu’ils agissent au contraire en toute connaissance de cause en proposant un tarif unique pour le pass Navigo – qui profitera aussi aux entreprises puisqu’il permettra de diminuer le montant de leurs remboursements –, on nous dit que ce n’est pas possible, qu’il ne faut pas le faire.
Quand nous proposons de réfléchir à un élargissement de l’assiette du versement transport et à la manière de mettre éventuellement à contribution les banques, lesquelles profitent d’un bon maillage du territoire – car c’est d’aménagement du territoire qu’il s’agit –, on nous dit que c’est malvenu.
En fait, nous sommes coincés. Il faut toujours rester dans les mêmes rails, si je puis m’exprimer ainsi s’agissant de transports.
Nous ne vous demandons pas d’être d’accord avec nos propositions, mais au moins pourriez-vous accepter qu’elles soient étudiées dans un rapport. Or même cela, vous le refusez ! La Haute Assemblée n’a vraiment que très peu de possibilités de modifier la donne…
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je ne vois pas où est la contradiction que vous prétendez pointer, madame Cohen.
Les banques, comme les autres entreprises, s’acquittent du versement transport en fonction de leur masse salariale. Cette contribution, étant une taxe affectée, vise à répondre à un besoin, et son assiette doit être déterminée en conséquence. Je ne vois donc pas en quoi il serait cohérent d’élargir son assiette actuelle au chiffre d’affaires, aux bénéfices ou que sais-je encore.
Par ailleurs, alors que le Gouvernement a annoncé qu’il était favorable au fait de laisser au STIF la faculté d’augmenter ses recettes via le versement transport, je trouve tout de même un peu curieux de reprocher au Gouvernement d’être hostile à une hausse du versement transport. Nous nous sommes prononcés pour à l’Assemblée nationale, et je vous ai dit que nous y serons tout aussi favorables ici lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative.
Je ne vois donc pas où est la contradiction. Aussi, le Gouvernement maintient sa position défavorable, et ce faisant ne bride en rien l’action et la réflexion du Sénat.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° II-172.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 44 terdecies (nouveau)
I. – Après la première occurrence du mot : « montant », la fin de l’article 1735 ter du code général des impôts est ainsi rédigée : « , compte tenu de la gravité des manquements, de 0,5 % du montant des transactions mentionnées au dernier alinéa du I de l’article L. 13 AA du même livre concernées par la demande ou, si le montant correspondant est supérieur à cette dernière somme, de 5 % des bénéfices transférés, au sens de l’article 57 du présent code. Le montant de l’amende ne peut être inférieur à 10 000 €. »
II. – Le I est applicable aux contrôles pour lesquels un avis de vérification est adressé à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° II-328, présenté par M. de Montgolfier, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer cet alinéa par cinq alinéas ainsi rédigés :
I. – Après la première occurrence du mot : « amende », la fin de l’article 1735 ter du code général des impôts est ainsi rédigée :
« , compte tenu de la gravité des manquements, égale au plus élevé des deux montants suivants :
« - 0,5 % du montant des transactions mentionnées au dernier alinéa du I de l’article L. 13 AA du livre précité et concernées par la demande ;
« - 5 % du montant des bénéfices transférés au sens de l’article 57 du présent code.
« L’amende ne peut être inférieure à 10 000 euros. »
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il s’agit, par cet amendement, de clarifier les sanctions applicables en cas de non-transmission à l'administration fiscale de la documentation relative aux prix de transfert.
Cela dit, l’amendement du Gouvernement appelé en discussion après celui-ci vise le même objectif tout en étant, semble-t-il, plus complet dans sa rédaction et plus abouti.
C’est pourquoi je retire l’amendement de la commission au profit de celui du Gouvernement.
M. le président. L'amendement n° II-328 est retiré.
L'amendement n° II-458, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer cet alinéa par six alinéas ainsi rédigés :
I. – L’article 1735 ter du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Après les mots : « d’une amende », la fin de cet article est ainsi rédigée : « pouvant atteindre, compte tenu de la gravité des manquements, le plus élevé des deux montants suivants : » ;
2° Sont ajoutés trois alinéas ainsi rédigés :
« a. 0,5 % du montant des transactions concernées par les documents ou compléments qui n’ont pas été mis à disposition de l’administration après mise en demeure ;
« b. 5 % des rectifications du résultat fondées sur les dispositions de l’article 57 et afférentes aux transactions mentionnées au a.
« Le montant de l’amende ne peut être inférieur à 10 000 €. »
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Cet amendement tend à préciser les conditions dans lesquelles les plus grandes entreprises sont tenues à une obligation de documentation en matière de prix de transfert, en application de l’article L. 13 AA du livre des procédures fiscales.
L’article 1735 ter du code général des impôts prévoit, pour les entreprises qui n’appliquent pas cette exigence de transparence, une amende de 10 000 euros ou, dans le cas d’un montant supérieur, d’une somme pouvant atteindre 5 % des bénéfices transférés.
Dans la lignée de recommandations figurant dans les travaux du Parlement et de l’Inspection générale des finances, l’Assemblée nationale a adopté, dans le cadre du présent projet loi de finances, l’article 44 terdecies, qui a pour objet de rendre l’amende plus dissuasive en l’asseyant sur le montant des transactions pour lesquelles la documentation est défaillante.
Ainsi, l’amende n’est plus forcément dépendante de l’existence de redressements. Cela concerne notamment les cas où l’administration, faute justement d’informations, n’est pas en mesure d’établir ces derniers.
Le présent amendement, de précision, vise à s’assurer que la mesure ait une portée qui ne souffre d’aucune ambiguïté. À cette fin, le Gouvernement vous propose d’indiquer que l’assiette de l’amende portera sur les opérations concernées par les seuls documents que l’entreprise n’aura pas fournis, alors même qu’elle aura reçu une mise en demeure.
M. le président. Je mets aux voix l'article 44 terdecies, modifié.
(L'article 44 terdecies est adopté.)
Articles additionnels après l'article 44 terdecies
M. le président. L'amendement n° II-447 rectifié, présenté par M. Bocquet, Mme Beaufils, M. Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 44 terdecies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – L’article 57 du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le transfert de fonctions et de risques par une entreprise établie en France à une entreprise liée au sens du premier alinéa et située hors de France, fait présumer un transfert de bénéfice, lorsque l’entreprise établie en France ne démontre pas qu’elle a bénéficié d’une contrepartie financière équivalente à celle qui aurait été convenue entre des entreprises indépendantes. L’entreprise établie en France fournit les nouvelles modalités de détermination des résultats réalisés par les entreprises parties au transfert, y compris celles établies hors de France. » ;
2° Au quatrième alinéa, les mots : « premier, deuxième et troisième » sont remplacés par les mots : « quatre premiers ».
II. – Le I s’applique aux exercices clos à compter du 31 décembre 2014
La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Je ferai une première remarque de caractère général.
Les dossiers fiscaux de plusieurs groupes multinationaux, appartenant à des secteurs économiques différents – entreprises industrielles ou de services, notamment dans le domaine du numérique, etc. –, révèlent les opérations et schémas fiscaux utilisés par les entreprises afin de réduire leur niveau d’imposition en France, mais aussi les difficultés rencontrées par l’administration fiscale dans l’exercice de ses missions de contrôle.
L’impôt est désormais perçu comme un coût parmi d’autres que les groupes multinationaux essaient de réduire, d’« optimiser », pour employer le langage à la mode.
Dans cette perspective, les grandes entreprises bénéficient du jeu complexe de la hiérarchie des normes qui fait primer les conventions internationales et le droit de l’Union européenne sur la loi fiscale française. Or le principe de non double imposition et les libertés de circulation européennes permettent aux plus grandes entreprises de localiser leur base taxable là où la fiscalité est la plus clémente, voire de réduire leur imposition au strict minimum.
Cette tendance a été rappelée par le Conseil des prélèvements obligatoires dans un rapport d’octobre 2009 portant sur les prélèvements obligatoires des entreprises dans une économie mondialisée. Ce rapport révèle que les groupes les plus importants acquitteraient leur impôt à un « taux implicite d’imposition » de 13 % seulement, bien en deçà de celui des entreprises de taille intermédiaire ou des petites et moyennes entreprises.
Ma seconde remarque m’amène à l’objet de cet amendement.
Il ressort des investigations conduites au cours des derniers mois que le premier levier d’optimisation des entreprises multinationales relève des prix de transfert et de la restructuration d’entreprises. À cet égard, certains groupes transfèrent des fonctions, des risques ou des actifs stratégiques dans des États à faible taux d’imposition, laissant en France des sociétés aux activités beaucoup moins rémunératrices.
Pourtant, la réalité économique de ces entreprises demeure généralement inchangée, la rémunération allouée à la France ne correspondant dès lors plus à la richesse qui est effectivement produite.
Face à ces procédés abusifs, l’administration fiscale dispose de l’article 57 du code général des impôts. Celui-ci prévoit que les prix pratiqués entre entreprises d’un même groupe doivent être identiques à ceux qui sont pratiqués avec une entreprise indépendante. Ce dispositif fonde l’essentiel des redressements qui touchent les grandes entreprises, lesquels ont atteint 2 milliards d’euros en 2009 et 1,4 milliard d’euros en 2010.
Toutefois, il semblerait que le dispositif prévu à l’article 57 précité ait perdu en efficacité du fait des évolutions de la réalité économique. Tout d’abord, la concentration accrue des entreprises rend plus difficile la comparaison des prix pratiqués au sein d’un même groupe avec ceux qui sont en vigueur entre des entreprises indépendantes. Ensuite, les flux commerciaux portent de moins en moins sur des marchandises, mais concernent principalement ce que l’on appelle des actifs incorporels, qui sont facilement délocalisables tout en étant difficiles à évaluer par l’administration fiscale.
C’est exactement en ces termes que notre collègue Philippe Marini, ancien président de la commission des finances, avait motivé l’une de ses propositions de loi originales dont nous reprenons ici, sans la moindre hésitation, l’un des éléments clefs.
La lutte contre la fraude fiscale, devenue l’une des priorités de l’action gouvernementale, doit effectivement passer par une modification de l’article 57, arme anti-délocalisation des bénéfices qu’il nous faut moderniser et renforcer.
Les enjeux de la migration des assiettes fiscales, ajoutés aux nombreuses dispositions d’allégement de l’impôt – le régime des groupes et la consolidation des comptes ont également quelques effets pervers du point de vue de la délocalisation des profits et, plus encore, des activités – imposent que les propositions formulées il a un an et demi par notre éminent collègue trouvent leur place dans la législation fiscale de notre pays.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Aux yeux de la commission, les prix de transfert et leur contrôle soulèvent indéniablement une vraie question, et des travaux ont en effet été réalisés sur le sujet.
Pour autant, l’adoption de cet amendement aurait des conséquences importantes, puisqu’il tend à inverser purement et simplement la charge de la preuve : ce ne serait plus à l’administration fiscale de prouver le transfert anormal de bénéfices, mais aux entreprises, ce qui leur poserait de graves difficultés, car, outre l’instabilité de la législation fiscale, la qualification juridique d’un prix de transfert de fonctions ou de risques est très incertaine.
Par ailleurs, plusieurs dispositions du présent projet de loi permettront de renforcer le contrôle des prix de transfert. Je pense à l’article 44 terdecies, qui, comme l’a expliqué à l’instant M. le secrétaire d’État, vise à rendre pleinement opérante l’amende applicable en cas de non-transmission de la documentation relative aux prix de transfert, puisque cette amende peut atteindre 0,5 % du montant de toutes les transactions entre les deux entreprises.
La commission est donc tout à fait d’accord pour aller dans le sens d’un meilleur contrôle des prix de transfert, notamment en fournissant toute la documentation nécessaire. Pour autant, votre proposition de renverser dans tous les cas la charge de la preuve, ce qui, à l’heure actuelle, est plutôt l’exception, va à notre sens trop loin. Pour cette raison, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Si le Gouvernement est défavorable à cet amendement, monsieur le rapporteur général, ce n’est pas parce que celui-ci serait source de complexité pour les entreprises.
Les prix de transfert, étant au cœur des stratégies d’évasion et d’optimisation fiscales agressives, pour ne pas dire des techniques de fraude, élaborées par les entreprises, soulèvent des questions bien trop importantes pour qu’on se retranche derrière un argument aussi faible que le problème de la complexité.
Le Gouvernement souhaite être sans concession sur ce sujet. Pour autant, M. Bocquet le sait parfaitement, c’est un sujet complexe. Il a donné lieu à de nombreux aller-retour entre le Parlement et le Conseil constitutionnel, qui a invalidé beaucoup des mesures que les parlementaires avaient inscrites dans les textes financiers, en particulier à la fin de l’année dernière.
En effet, presque tous les amendements votés par le Parlement ont été censurés par le Conseil constitutionnel. Parmi les amendements non censurés, il y en avait un – qui devrait être plus présent dans le débat public – qui visait à obliger les entreprises soumises à un contrôle de fournir à l’administration fiscale les rulings obtenus auprès d’autres pays – je ne vais pas en citer, tout le monde en a au moins un en tête –, de sorte que le débat actuel sur la question des rulings est à peu près clos en France.
Cette parenthèse étant fermée, le Gouvernement souhaite que nous avancions avec prudence, et, de fait, l’une des consignes qui m’a été donnée est de prévenir le plus possible la censure du Conseil constitutionnel.
Les dispositions de votre amendement, monsieur Bocquet, même si j’en comprends l’esprit et le partage, je crois l’avoir démontré, mentionnent un transfert de fonctions et de risques ; or c’est justement le défaut de précision de ces deux notions qui a motivé la censure par le juge constitutionnel des amendements qui allaient dans le même sens que le vôtre.
Vous en avez repris la rédaction en termes identiques, de sorte que, sans nul doute, le Conseil constitutionnel, maintenant son interprétation, annulerait votre amendement pour ce motif d’imprécision, qui fait courir le risque d’incompétence négative. Par conséquent, pour prévenir cette censure, je pense qu’il serait plus sage de retirer votre amendement.
Pour finir, je voudrais indiquer, parce que ce sujet des prix de transfert, à juste titre, préoccupe vivement le Gouvernement, que M. le ministre des finances, Michel Sapin, et ses deux homologues italien et allemand ont cosigné une lettre à la Commission européenne, notamment à Pierre Moscovici, commissaire chargé de la fiscalité, dans laquelle ils font part de leur détermination à aboutir le plus rapidement possible sur ce dossier – notamment s’agissant du problème de l’assiette, avec la fameuse question du projet BEPS –, c’est-à-dire avant même la date proposée par la Commission, soit, je crois, la fin de l’année 2016.
Aller plus vite, cela ne veut pas dire non plus décider tout de suite – les deux sujets, quoique légèrement différents, sont finalement très proches.
Cet amendement ne me paraît pas opérationnel en l’état et il me semble plus sage de le retirer.
M. le président. Monsieur Bocquet, l'amendement n° II-447 rectifié est-il maintenu ?
M. Éric Bocquet. Oui, monsieur le président.