M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la sécurité est la première des libertés que doit garantir l’État dans le cadre de ses missions régaliennes. Voilà une évidence devant laquelle tout le monde ici tombera d’accord. Mais, s’il s’agit d’une évidence dans la déclaration, tel n’est plus du tout le cas, et depuis longtemps, dans les faits. Pourtant, la sécurité est à la société ce que les fondations sont à une maison. Sans sécurité, la maison France est condamnée à la violence, à l’anarchie et à l’effondrement. Sans sécurité, point d’activités économiques viables, si ce n’est l’économie souterraine, l’économie de la drogue, qui fait des ravages à Marseille, dans un silence assourdissant du premier magistrat de la ville.
M. Stéphane Ravier. Nous nous devons par conséquent de considérer la sécurité comme la priorité, car elle conditionne tout le reste. Aussi l’augmentation des effectifs de police et de gendarmerie actée ici est-elle très loin d’être suffisante. Elle ne fait qu’entamer un timide début de rattrapage de la fonte des effectifs opérée sous la présidence de Nicolas Sarkozy entre 2007 et 2012, qui avait contribué, durant la même période, à une augmentation de 45 % des agressions sur les personnes physiques.
Depuis lors, l’insécurité a continué de se développer, malgré les statistiques coupées des réalités dont nous abreuve le ministère de l’intérieur. C’est ce que confirme le rapporteur spécial, en soulignant une hausse généralisée de la délinquance en 2013, conforme à la réalité du terrain.
Malgré les 18 milliards d’euros qui seront votés, l’insécurité n’est pas prête de reculer dans notre pays. Fidèle à son idéologie, qui veut qu’il n’y ait d’insécurité que d’insécurité sociale, rejetant toute responsabilité individuelle, le Gouvernement s’obstine à agir contre le seul sentiment d’insécurité. Cela se traduit par l’absence de réelle réponse judiciaire. Quant aux réponses apportées, elles vont à l’encontre du bon sens, découragent les forces de l’ordre et révoltent les victimes.
Depuis trop longtemps – les récents événements de Sivens l’ont rappelé –, la gauche et la droite sont en échec total face aux violences. Elles restent toutes deux prisonnières de leurs dogmes : laxisme, victimisation des coupables, désengagement de l’État, affaiblissement matériel et moral des forces de l’ordre. En bon Marseillais, j’ai peut-être tendance à exagérer…
Mme Éliane Assassi. À peine !
M. Stéphane Ravier. Pourtant, lorsqu’il s’est agi de réprimer la Manif pour tous, l’État s’est montré impitoyable, usant de violences inouïes à l’encontre de familles qui manifestaient pacifiquement.
Mme Éliane Assassi. C’est terrible !
M. Stéphane Ravier. Nous aimerions observer autant de fermeté lorsqu’il s’agit de bandes d’extrême gauche qui saccagent les centres-villes pour contester les grands projets d’infrastructure. Nous aimerions autant de volontarisme lorsque des bandes de jeunes attaquent et détroussent en plein Paris des boutiques et des cars de touristes médusés et horrifiés. Encore une fois, les milliards d’euros consentis ici ne porteront leurs fruits que s’ils sont précédés de l’abandon de l’idéologie au profit du bon sens, et ce en apportant un soutien total aux honnêtes gens et aux victimes plutôt qu’aux délinquants, de la considération et des moyens matériels aux forces de l’ordre, qui risquent leur vie et la perdent trop souvent pour protéger nos compatriotes. Des tablettes face à des kalachnikovs, il y a là, assurément, un léger déséquilibre dans le rapport de forces !
Vider les prisons, panacée, semble-t-il, de Mmes Dati et Taubira, ce n’est pas respecter le travail des policiers et des gendarmes, et encore moins les victimes !
J’évoquerai très brièvement le volet de la sécurité routière. Je tiens simplement à souligner qu’il s’agit là du seul domaine où le tout-répressif est appliqué. On nous impose la prévention pour résoudre la délinquance, mais, pour la sécurité routière, la répression tourne à l’acharnement. Peut-être ce gouvernement, comme les précédents, trouve-t-il là une manne fiscale à peine déguisée.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Tout en nuance…
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que présidente de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, je ne pouvais manquer de venir m’exprimer ce soir.
J’irai droit au but, monsieur le ministre : ce serait un bon budget si nous étions en période normale. Dans les circonstances présentes, il faut plus de moyens, plus d’hommes, plus de matériels. Comprenez-moi bien, je ne cherche pas à critiquer votre action, et encore moins celle des forces de police et de gendarmerie, auxquelles tous ceux qui m’ont précédée à cette tribune ont rendu hommage à juste titre, mais j’exprime une inquiétude.
Dimanche dernier, M6 a diffusé un reportage sur les réseaux djihadistes en France. L’équipe de journalistes est parvenue à remonter une filière de vente de drapeaux à la gloire de Daech, dont le cœur était dans le département de l’Ain. En dépit des précautions prises par les journalistes pour masquer le nom des rues, ce sont les habitants du village concerné qui ont prévenu les forces de l’ordre, après avoir eux-mêmes reconnu les lieux à la télévision.
Cette anecdote pourrait s’arrêter là si elle ne venait malencontreusement renforcer ma conviction que nous ne consacrons pas assez de moyens à la lutte contre les réseaux djihadistes. Je connais votre détermination et vous connaissez la nôtre à cet égard. Il n’y a donc aucune d’ambiguïté. Simplement, il existe un décalage grandissant entre nos moyens de lutte contre ces réseaux et leurs récentes mutations. Nous avons aujourd’hui sur notre territoire des filières qui font l’apologie du terrorisme et qui travaillent à son financement. Ces mêmes filières se sont imposées comme la direction des ressources humaines de l’ennemi que nous sommes partis affronter en Irak et en Syrie.
J’ai lu avec beaucoup d’attention les rapports budgétaires. Pas un seul ne comporte le mot « terrorisme ». Pas un seul ne mentionne les enjeux auxquels nous devons faire face. Or ces moyens doivent bien servir à quelque chose. Certes, il s’agit de rapports budgétaires, mais nous ne sommes pas dans un cas de figure tout à fait classique à une époque tout à fait tranquille. Appelons un chat un chat : la délinquance de tous les jours n’est pas la délinquance djihadiste !
Dans le cadre de l’État de droit, auquel nous sommes tous attachés, nous avons voté avec plus ou moins de bonne humeur, le 13 novembre dernier, un texte relatif à la lutte contre le terrorisme, qui prévoit l’interdiction administrative de sortie du territoire, le blocage – qui a été obtenu avec beaucoup de difficultés – des sites internet faisant l’apologie du terrorisme, la création d’un délit d’entreprise terroriste individuelle. Mais toutes ces mesures ne suffiront pas !
Ce matin, j’ai demandé à votre collègue François Rebsamen s’il s’était assuré que ces djihadistes étaient bien répertoriés, notamment par les services de l’ANPE. En effet, des informations que nous pouvons avoir montrent que ces gens fraudent obstinément et avec beaucoup d’entrain nos services sociaux. Même si les sommes ne sont pas très importantes, il n’y a aucune raison que nous financions par les assurances sociales ou les indemnités chômage ceux qui s’apprêtent à commettre des actions terroristes et criminelles en Syrie ou en Irak.
M. Alain Gournac. C’est vrai !
Mme Nathalie Goulet. Par ailleurs, nous devons améliorer la coordination entre les services de sécurité des aéroports et la police, afin d’assurer le contrôle de mobilité que réclame depuis longtemps la police de l’air et des frontières, et renforcer la surveillance de l’aviation privée, qui est moins contrôlée que les compagnies traditionnelles.
Facilitons l’accès aux listes de passagers aériens par les autorités de police européennes. Je veux parler des fameux Passenger Name Record, ou PNR. Je sais que vous travaillez sur cette question, monsieur le ministre, à laquelle vous êtes extrêmement attaché. Le coordinateur européen de la lutte antiterroriste milite comme vous pour plus de données. Là aussi, il faudra des moyens supplémentaires pour contrôler tous ces gens.
Vous avez mis en place un numéro vert. C’est une excellente initiative, qui fonctionne très bien. Il faut continuer ce type d’action préventive.
Je profite du temps qu’il me reste pour vous dire, puisque vous êtes aussi le ministre en charge des cultes, qu’il faut renforcer les dispositifs de formation des aumôniers et des imams. Nous devons discuter de cette question sans stigmatiser personne. Je glisse ce sujet dans mon intervention, car je ne pourrai malheureusement pas être là vendredi matin. Quoi qu’il en soit, je lirai avec beaucoup d’attention votre réponse dans le compte rendu des débats.
Je sais que nos préoccupations sont aussi les vôtres. Toutes mes remarques n’ont donc d’autre but que de renforcer notre volonté collective de lutter contre un ennemi commun.
Je terminerai mon intervention en évoquant un dossier qui me soucie beaucoup. Je veux parler de la plateforme nationale des interceptions judiciaires.
Voilà déjà quelques mois, j’ai lu des choses qui m’ont beaucoup inquiétée. J’avais d’ailleurs posé une question d’actualité au Gouvernement le 17 juillet dernier à ce sujet. Que des sociétés réalisant les écoutes judiciaires menacent d’interrompre leurs activités, ce n’est ni républicain, ni courtois, ni conforme aux règles de droit et de protocole. Pour ma part, les gens qui me menacent ne m’intimident pas du tout. Ils auraient même tendance à m’agacer prodigieusement.
Qu’en est-il de ces écoutes ? Le système a été confié à la société Thales, qui est éminemment compétente. Reste que nous sommes tout de même passés de 17 millions d’euros à 47 millions d’euros. Mais peut-être faut-il soulever cette question dans le cadre de l’examen des crédits de la mission « Justice » ? Je me suis laissé dire que c’est une problématique que vous avez en partage avec Mme Taubira et que, lorsqu’on s’adresse à l’un, il faut ensuite s’adresser à l’autre... Je sens que ceux qui ont aimé le logiciel Louvois vont adorer la plateforme des écoutes judiciaires.
Monsieur le ministre, les écoutes constituent un moyen extrêmement important pour lutter contre ces réseaux. Nos adversaires, eux, ne s’embarrassent pas des règles de l’État de droit, des décisions du Conseil constitutionnel ou du contrôle de la CNIL. C’est parce qu’il est difficile de combattre avec des moyens légaux des gens sans foi ni loi, c’est parce que la situation budgétaire est très tendue, c’est parce que les enjeux sont fondamentaux que nous avons décidé de voter les crédits de la mission. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon.
M. Christian Cambon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen des crédits de la mission « Sécurités » nous donne un bref aperçu de la politique que le Gouvernement souhaite mener en matière de sécurité, un aperçu qui reste néanmoins éclairé par les résultats fournis par les statistiques.
Depuis 2002, la gauche semble avoir opéré une véritable inflexion dans son approche des thématiques sécuritaires. Je le dis avec bienveillance, monsieur le ministre : nous croyons tous ici à votre détermination personnelle à lutter contre l’insécurité sous toutes ses formes. Ainsi, l’examen des crédits de cette mission est de nature à conforter notre groupe dans cette appréciation, même si les derniers chiffres de la délinquance, conjugués à la politique pénale du Gouvernement, qui reste sujette à caution, nous conduisent à penser que la route est encore longue.
Tout d’abord, malgré une augmentation du budget et des réorganisations fonctionnelles louables, les forces de l’ordre manquent de moyens opérationnels suffisants.
Lorsqu’on examine les crédits de la mission « Sécurités », un chiffre émerge immédiatement, c’est celui des créations de postes. Ainsi, dans le projet de loi de finances pour 2015, il est proposé de créer, comme en 2014, 405 postes dans la police et la gendarmerie. Avec ce choix, vous portez le total des créations d’emplois à 1 290 équivalents temps plein depuis 2013. Bien sûr, et vous auriez tort de faire autrement, l’essentiel de la communication gouvernementale en matière de sécurité s’articule autour de ces deux chiffres.
Cela se traduit par une augmentation par rapport à 2014 des crédits de paiement et des autorisations d’engagement pour atteindre respectivement 17,76 milliards d’euros et 17,74 milliards d’euros. En d’autres termes, la gendarmerie et la police nationales seront épargnées par les coupes budgétaires que subissent d’autres secteurs.
Cet arbitrage aura néanmoins un prix, celui d’une significative réduction des mesures catégorielles. Une comparaison est éloquente à ce sujet : les mesures catégorielles dans la police nationale passeront de 20,88 millions d’euros en 2015 à 13,62 millions d’euros en 2016 et à 0,65 million d’euros en 2017. Ce n’est pas tout : l’impact du schéma d’emplois ne sera que de 0,5 million d’euros en 2016, contre 19,5 millions d’euros pour l’année 2015. C’est à ce prix qu’on arrive à stabiliser une masse salariale malgré une augmentation des effectifs. Et je ne m’attarderai pas sur le stock d’heures supplémentaires, qui pourrait s’élever à plus de 300 millions d’euros !
Une stabilisation de ces dépenses est attendue pour les exercices 2016 et 2017 en ce qui concerne les dépenses afférentes à la police nationale.
Pour la gendarmerie, la situation est identique. La hausse des effectifs doit être compensée par « l’effet de repyramidage et la limitation des nouvelles mesures catégorielles ». Pour illustrer cette situation, signalons que les schémas d’emplois pour 2014 et 2015 n’entraînent qu’une hausse de 1,5 million d’euros de la masse salariale.
L’autre difficulté que pose ce « dogme des effectifs », si je peux m’exprimer ainsi, c’est la question des redéploiements qui visent à mettre davantage de personnels de police sur la voie publique.
Pour revenir un instant sur l’action du précédent gouvernement, de la précédente majorité, il est utile de rappeler que la nouvelle organisation de la police, notamment en ce qui concerne les patrouilleurs et les forces mobiles, nous avait permis, à effectif constant, d’augmenter le nombre de patrouilles sur la voie publique de près de 25 %.
Dans le cadre de l’examen de ce projet de loi de finances, le rapport souligne que des synergies administratives et directionnelles ont permis le redéploiement de 547 postes de policiers nationaux en deux ans. La méthode est sans doute la bonne, mais l’ampleur des redéploiements est insuffisante pour être véritablement perceptible par nos concitoyens.
Pour la gendarmerie, on observe un mouvement inverse puisque le plafond d’emplois consacré à l’exercice des missions de sécurité et de paix publiques a été diminué de 180 équivalents temps plein travaillé par rapport à l’année dernière.
L’autre dommage collatéral de ce budget, c’est l’effritement progressif des moyens opérationnels pour les forces de l’ordre, et cela, malgré des mutualisations croissantes entre police nationale et gendarmerie, même si nous saluons ce mouvement de mutualisation.
À ce titre, je dirai un mot de la création du service de l’achat, des équipements et de la logistique de la sécurité intérieure. Le SAELSI s’est vu confier la synergie de la logistique de la gendarmerie et de la police nationales ; malheureusement, les économies faites n’apporteront pas de moyens matériels supplémentaires. Bien que le projet de loi de finances amorce un cycle d’investissement, il n’en demeure pas moins que les plus hauts responsables nous font part de leurs difficultés à répondre à la demande de leurs équipes, en ce qui concerne aussi bien l’entretien des véhicules, l’accès au carburant que le parc immobilier de l’État.
À présent, passons à l’épineuse question des chiffres de la délinquance, qui est extrêmement inquiétante dans ses manifestations. Je veux dire un mot de la méthode de calcul de ces chiffres, car ils révèlent quelques surprises.
Nous apprenions, il y a quelques mois, que vous aviez mis sur pied un nouveau service statistique ministériel visant, de manière impartiale, à intégrer les chiffres des crimes et délits enregistrés par la police et la gendarmerie « dans le champ labellisé de la statistique publique ». Pourquoi pas ? Mais alors que va devenir l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, l’ONDRP, qui vient de mettre en place un nouveau tableau de bord de la délinquance ? Avec quels instruments statistiques va-t-on mesurer les chiffres et leur évolution ?
Enfin, toujours en matière de statistiques, nous reprenons à notre compte les propos du rapporteur spécial, qui regrettait « que ne soit toujours pas mesuré le sentiment d’insécurité ».
Concernant les violences non crapuleuses, les chiffres sont particulièrement inquiétants. Selon le dernier bilan de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, on observe une hausse très significative des violences non crapuleuses au cours de la dernière année : de l’ordre de 4 % en zone police et de 7 % en zone gendarmerie.
En regardant plus attentivement la tendance de fond pour l’année 2013, les chiffres sont encore plus alarmants : le nombre de cambriolages est en augmentation de 7 %, pour atteindre au total le chiffre de 390 000 en 2013. Pour un certain nombre d’entre nous, maires de banlieue, nous savons ce qu’est l’inquiétude des populations face à l’accroissement du nombre des cambriolages.
On note également une hausse des crimes et délits en matière d’atteintes aux biens, aussi bien en zone police – près de 3 % – qu’en zone gendarmerie – près de 4 %. Plus important sans doute, on remarque une évolution préoccupante du nombre des crimes et délits en matière d’atteintes volontaires à l’intégrité physique des personnes, tant en zone police qu’en zone gendarmerie.
En matière de taux d’élucidation, les résultats doivent encore davantage nous interpeller. Ainsi, en zone police, ils ont nettement baissé pour les vols avec violence ainsi que pour les homicides. En ce qui concerne la gendarmerie, on ne constate pas d’évolution significative.
Pour conclure sur les chiffres de la délinquance, je reprendrai à mon compte les propos d’Alain Bauer. Interrogé en avril 2014 sur le système pénal français, qui ne permet pas de faire baisser la délinquance, il disait : « Le maillon faible aujourd’hui, c’est la justice » – certes, vous n’êtes pas garde des sceaux – « pas tellement parce qu’elle fait mal son travail, mais parce qu’elle est marquée par ce que j’appelle la "théologie de la libération", qui considère que toute politique pénale forte est injuste et discriminatoire. » En d’autres termes, alors que leur travail est de plus en plus difficile, comment les forces de l’ordre peuvent-elles encore être certaines que leurs efforts aboutiront à la neutralisation des malfaiteurs ?
À ce sujet, je voudrais dire un mot du mal-être des policiers. Malheureusement, l’actualité récente me touche personnellement puisque, dimanche dernier, nous apprenions qu’une policière de trente-trois ans s’était suicidée avec son arme de service. Elle était affectée au commissariat de Charenton-Saint-Maurice, qui pourtant n’est pas soumis à une très forte pression. Cet événement est d’une exceptionnelle gravité. De même, jeudi dernier, une capitaine de police s’est suicidée au commissariat de Bastia.
Ces deux policiers sont respectivement les quarante-huitième et quarante-neuvième à se donner la mort depuis le début de l’année. Ces chiffres doivent nous interpeller. Nous en sommes donc à nous demander si le record de suicides dans la police, qui date de 1996 et qui s’élevait à soixante-dix, ne va pas être battu.
Conséquence de cette triste actualité, le directeur général de la police nationale, Jean-Marc Falcone, a réuni les syndicats de police sur ce sujet, le mercredi 5 novembre. Il a été évoqué la création d’un comité d’hygiène et de sécurité, qui se réunira après les élections professionnelles du 4 décembre prochain, et enfin une réunion que vous allez présider, ministre de l’intérieur, dès le début de l’année 2015. Pouvez-vous nous préciser ce qu’il en est, car les personnels de police sont manifestement très inquiets ?
Enfin, je veux dire un mot du revirement de dernière minute du Gouvernement en ce qui concerne le permis de conduire à puce électronique.
Nous apprenions, le 6 novembre, que le ministère de l’intérieur souhaitait retirer la puce électronique des nouveaux permis de conduire. Une directive européenne impose le format de carte de crédit à tous les États membres pour leurs permis de conduire. Au départ, la date de janvier 2013 avait été évoquée pour sa mise en place, avant d’être reculée à l’automne de la même année. Un an plus tard, trois millions de permis de conduire à puce électronique ont été distribués. Or, à partir de janvier 2015, les nouveaux permis de conduire, désormais délivrés au format « carte de crédit », ne disposeront plus d’une puce électronique.
Le Gouvernement justifie cette décision en invoquant le coût de ce type de permis de conduire, qui s’élèverait à 6 millions d’euros par an. Au total, il semble que le Gouvernement puisse espérer une économie de 90 millions d’euros étalés sur toute la durée de remplacement des anciens permis de conduire.
Permettez-moi, avec un certain nombre de nos collègues, de vous faire part de mon étonnement face à cette mesure, qui, à court terme, va pénaliser les entreprises françaises responsables de la fabrication des composants de ces puces électroniques, et qui, sur le long terme, est un bien mauvais calcul. En effet, le permis de conduire doté d’une puce électronique devait se transformer à terme en carte intelligente multi-usage, offrant des services divers et facilitant le travail des forces de police, qu’il s’agisse des différents types de permis, de l’assurance, des taxes ou du certificat du véhicule, qui auraient pu ainsi être contrôlés de manière globale.
En conclusion, comme j’ai eu l’occasion de le dire précédemment, mon groupe politique et moi-même ne porterons pas le fer sur les grands arbitrages de cette mission « Sécurités », notamment en ce qui concerne les effectifs. Pour autant, le choix d’augmenter légèrement les effectifs à enveloppe constante n’est pas sans conséquence ; c’est ce que nous avons vu avec les mesures catégorielles. Aussi, tâchons de rester vigilants afin que la hausse du nombre de patrouilles sur la voie publique, élément essentiel de notre politique de sécurité, ne se fasse pas au détriment de la carrière de nos forces de l’ordre. Sans doute les redéploiements d’effectifs doivent-ils être davantage utilisés.
Malgré ces arbitrages acceptables, le groupe UMP estime que les mesures opérationnelles ne sont pas de nature à apporter une réponse adaptée aux chiffres inquiétants de la délinquance qui viennent d’être dévoilés. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis 2012, la sécurité et la justice font partie, tout comme l’éducation et l’emploi, des priorités du Gouvernement.
La maîtrise des dépenses, à laquelle le contexte budgétaire nous contraint, ne s’est pas accompagnée d’un désengagement de l’État de ses missions régaliennes, qui ont été au contraire préservées et qui ont vu, cette année encore, leurs budgets augmenter.
Les crédits de la mission « Sécurités », qui comprend non seulement la police et la gendarmerie, mais également la sécurité civile et la sécurité routière, sont globalement en hausse. La police voit son budget augmenter de 0,5 %, avec 9,69 milliards d’euros, et la gendarmerie de 0,4 %, avec 8 milliards d’euros.
Cette hausse des moyens a permis de mener à bien des réformes d’envergure, telles que la création, dès juillet 2012, de zones de sécurité prioritaires – il en existe aujourd’hui quatre-vingts – et le déploiement du plan anti-cambriolages et anti-vols à main armée en septembre 2013, dont l’efficacité est probante. En effet, les chiffres du service statistique ministériel de la sécurité intérieure présentés le 20 novembre dernier par le Premier ministre et vous-même, monsieur le ministre, ont démontré une baisse significative des crimes et délits sur les dix premiers mois comparés à ceux de 2013. Cette transparence vous honore. Néanmoins, je souhaiterais que nous restions dans la logique que vous avez initiée, en faisant preuve de prudence par rapport à ces chiffres et en ne tombant pas dans les travers du précédent quinquennat.
L’efficacité des actions que vous avez menées repose également sur les moyens qui ont été déployés. La révision générale des politiques publiques avait supprimé 13 338 postes de policiers et gendarmes depuis 2007. En 2015, comme en 2014 d’ailleurs, 405 policiers et gendarmes supplémentaires seront recrutés. Nous ne pouvons que saluer ce renforcement des moyens humains après des années de réduction d’effectifs.
Je souligne aussi l’effort exceptionnel, à hauteur de 90 millions d’euros, qui a été effectué pour le renouvellement du parc automobile plus que vieillissant de la police et de la gendarmerie. Il ne permettra pas d’acheter les 6 800 véhicules dont la gendarmerie a cruellement besoin ou les 10 896 qui font défaut à la police, mais il faut rappeler que le retard pris dans ce domaine est ancien et particulièrement important.
La vétusté du parc immobilier de la police et de la gendarmerie est également un réel problème, pointé par de nombreux rapports, dont le plus récent, celui de Jean-Pierre Blazy, député du Val-d’Oise, portait sur la lutte contre l’insécurité sur tout le territoire.
La police nationale devrait disposer d’une enveloppe de près de 41 millions d’euros, soit 4,3 % de plus que le budget précédent, dédiés en partie à la modernisation de ses locaux. S’agissant de la gendarmerie, un plan de réhabilitation de 70 millions d’euros sera alloué pour des investissements similaires. Là encore, ces crédits ne seront sans doute pas suffisants, mais le mouvement impulsé démontre votre volonté d’améliorer les conditions de travail des forces de l’ordre et les conditions de vie de leur famille.
Il convient enfin de souligner la priorité donnée à la lutte contre le terrorisme. Je pense notamment à la loi du 13 novembre dernier visant à renforcer les dispositions relatives à ce fléau. Je me permets d’ailleurs d’appeler votre attention sur le phénomène de radicalisation observé depuis peu dans les territoires d’outre-mer.
Vous ne m’en voudrez donc pas, monsieur le ministre, si je m’appesantis sur le problème de l’insécurité dans ces territoires. Les zones géographiques dans lesquelles ils se situent sont particulièrement sensibles en matière de sécurité, en raison notamment de leur éloignement et de leur placement à des carrefours stratégiques.
Nos territoires ultramarins connaissent un niveau de violences particulièrement élevé : en 2013, les atteintes volontaires à l’intégrité physique y ont augmenté de 7 %, prolongeant un mouvement de hausse enregistré depuis 2006 ; 12,48 faits pour 1 000 habitants étaient recensés contre 7,88 en moyenne en métropole. La part des mineurs ou des jeunes majeurs impliqués est en constante augmentation.
Au-delà de ces caractéristiques communes, la situation de chaque territoire est spécifique. Ainsi, les Antilles françaises doivent faire face au développement des trafics illicites en mer, en particulier des trafics de stupéfiants. En Guyane, l’orpaillage clandestin est à l’origine du développement d’une criminalité importante. À Mayotte, les cambriolages sont en très forte augmentation.
Dans le domaine de la sécurité civile, une attention particulière doit être portée aux territoires les plus exposés aux accidents climatiques ou naturels, tels que les cyclones ou les glissements de terrain. Mayotte a d’ailleurs accusé de nombreux dégâts à la suite du passage du cyclone Hellen en mars dernier.
Enfin, la situation en matière de sécurité routière est problématique. Le nombre de tués sur les routes ultramarines reste élevé. Ce constat nécessite une action forte et ciblée des pouvoirs publics.
Comme vous l’avez justement énoncé lors de votre visite à Mayotte en juin dernier : « Partout en métropole et outre-mer, chacun a un même droit à la sécurité ». Pourriez-vous nous préciser, monsieur le ministre, quelles mesures le Gouvernement compte prendre localement pour lutter contre cette insécurité grandissante ?
Pour conclure, je dirais que le budget que vous nous présentez marque la volonté du Gouvernement de préserver, malgré un contexte de crise sans précédent, la capacité opérationnelle des forces de sécurité, afin de faire face aux nombreuses menaces qui planent sur le pays.
Permettez-moi, monsieur le ministre, une parenthèse : je tiens à vous dire ici que, à titre personnel, j’ai été véritablement choqué par les attaques d’une extrême violence dont vous avez fait l’objet ces dernières semaines. Chacun doit mesurer la résonance de ses propos en pareilles circonstances.
Le groupe socialiste ne peut qu’encourager le Gouvernement à poursuivre ses efforts pour garantir à tous les Français le droit légitime à la sécurité et votera les crédits de la mission « Sécurités ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)