M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Reiner, en remplacement de M. Jeanny Lorgeoux, rapporteur de de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je m’efforcerai d’être aussi bref qu’il est raisonnable, pour permettre à M. Fekl de prendre la parole ce soir.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. Je vous en remercie.
M. Daniel Reiner, rapporteur. Je tiens à préciser que je supplée notre collègue Jeanny Lorgeoux, qui est l’auteur du rapport présenté en juin dernier devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. En outre, je me permets de vous signaler, madame Aïchi, que la proposition de loi au profit de laquelle Jean-Louis Carrère, alors président de notre commission, vous avait proposé de retirer un amendement a bien été soumise à l’examen du Sénat, puisqu’elle a été débattue en commission et qu’elle l’est ce soir en séance publique.
Notre collègue propose d’instaurer une journée des morts pour la paix et la liberté d’informer, au cours de laquelle seraient honorés les humanitaires et les journalistes qui ont payé du prix de leur vie leur désir de soulager la misère de leurs frères ou de servir la liberté d’expression.
À notre avis, la question qui nous est posée n’est ni juridique ni technique ; elle est, en réalité, hautement politique. La commission en a longuement débattu et, si elle n’a pas approuvé la proposition de Mme Aïchi, plusieurs sujets de convergence importants n’en sont pas moins apparus.
D’abord, la commission a souligné l’importance du travail de mémoire et de son renouvellement. Dieu sait si, de ce point de vue, l’année 2014 est tout à fait particulière.
Ensuite, nous sommes convenus que le tribut payé par les travailleurs humanitaires et par les journalistes était très lourd, en ces temps où des crises d’une violence inouïe éclatent sur tous les continents. Il est évidemment inutile de rappeler quels immenses services rendent les travailleurs humanitaires, en particulier auprès des 27 millions de personnes déplacées et des 10 millions de réfugiés. Songeons, mes chers collègues, qu’une personne sur six dans le monde souffre de la faim.
On estime que sept cents de ces travailleurs sont morts entre 1990 et 2000 – je ne dispose pas de données plus récentes. L’actualité nous a rappelé ce dont sont capables des organisations aussi barbares que Daech, qui s’en prennent aux travailleurs humanitaires et aux journalistes.
Ces derniers jouent évidemment un rôle crucial au service de la liberté ; dans cet hémicycle, nous sommes tous particulièrement soucieux que les conditions d’exercice de cette liberté, toujours menacée, soient préservées. Car l’information est plus qu’une liberté : elle est le seul moyen d’alerter l’opinion publique et de mobiliser la communauté internationale, d’ouvrir la voie à la prise de conscience d’abord, et ensuite à l’action.
Malheureusement, cela fait des journalistes des cibles. Ainsi, le baromètre annuel établi par Reporters sans frontières est édifiant : 71 journalistes ont été tués dans l’exercice de leurs fonctions en 2013, principalement en Syrie, en Somalie et au Pakistan ; la même année, 87 autres ont été kidnappés, pour ne citer que ceux-là.
Enfin, nous avons constaté, au cours des dernières années, une inflation commémorative ; c’est sur ce point qu’a porté l’essentiel de nos discussions. Le diagnostic est très net, établi notamment par le rapport rendu en 2008 par la commission Kaspi.
La prolifération est patente pour ce qui est des journées internationales de l’ONU, puisqu’on n’en recense pas moins de cent vingt-sept, de la journée de la mémoire de la Shoah, le 27 janvier, à la journée internationale de la solidarité humaine, le 20 décembre. Je vous fais grâce d’un inventaire à la Prévert, Leila Aïchi ayant déjà signalé quelques dates.
Je rappelle simplement qu’il existe une journée mondiale de la radio, le 13 février, une journée mondiale de la liberté de la presse, le 3 mai, et une journée mondiale de l’aide humanitaire, le 19 août. Sans oublier la journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes, fixée au 2 novembre, qui a été instaurée en décembre dernier, sur l’initiative de la France, à la suite de l’attentat qui a coûté la vie à deux journalistes français de RFI ; par la promotion de cette journée, notre diplomatie a voulu marquer tout le prix qu’elle accorde à la protection des journalistes.
Je n’oublie pas non plus le 21 septembre : cette date, que Mme Aïchi a choisie pour la journée qu’elle propose d’instaurer, est, depuis 1981, la journée internationale de la paix. Or cette journée est déclinée chaque année sur un thème particulier, qui, parfois, ma chère collègue, rejoint le sujet que vous avez soulevé.
À l’évidence, la multiplication nuit à la hiérarchisation. De fait, il peut sembler curieux de mettre sur le même plan la commémoration des victimes de la Shoah et, par exemple, la journée mondiale de l’habitat. Je n’ose même pas faire mention de la journée prévue pour la date d’hier : le 19 novembre, en effet, est la journée mondiale des toilettes… Elle a sûrement une signification, mais je doute qu’elle soit commémorée partout !
Quant au calendrier de commémorations propre à la France, il compte douze dates d’ordre historique, dont la moitié ont été instaurées tout récemment.
Quelle est donc la conséquence de cette inflation ? D’après la commission Kaspi, la banalisation et l’affadissement de ces journées. Nous sommes tombés d’accord avec ce constat.
Un second risque existe, même si cette remarque ne s’applique pas nécessairement à la présente proposition de loi : la communautarisation des commémorations, chaque association promouvant sa date et sa cérémonie, au point que les hommages finissent parfois par diviser au lieu de rassembler.
Nous avons également considéré que cette proposition de loi était faiblement normative, dans la mesure où elle ne prévoit ni jour férié, ni jour chômé, ni obligation de manifestations pédagogiques ; en réalité, sa portée est symbolique.
En définitive, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a tenu à affirmer l’importance du travail d’hommage et de commémoration et à rendre, en notre nom à tous, un hommage appuyé aux humanitaires et aux journalistes, tout en prenant en compte les analyses dont il ressort que l’inflation commémorative peut entraîner des effets négatifs.
Compte tenu de ces considérations, et eu égard au caractère faiblement normatif de la proposition de loi, elle n’a pas souhaité augmenter le nombre de jours légaux de commémorations et d’hommages. Toutefois, elle a souligné que la journée internationale de la paix, fixée par l’ONU le 21 septembre, pourrait constituer le cadre d’un hommage particulier rendu, même sans loi, aux travailleurs humanitaires et aux journalistes. (Mme Bariza Khiari applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame Aïchi, mesdames, messieurs les sénateurs, trop de journalistes paient de leur vie leur engagement en faveur de la liberté de la presse. Au cours des derniers mois, Ghislaine Dupont, Claude Verlon, Camille Lepage, James Foley et Steven Sotloff ont ainsi perdu la vie.
Bien d’autres noms résonnent encore dans nos mémoires. Ainsi celui de Peter Kassig, assassiné il y a quelques jours par Daech dans les conditions les plus atroces. Il vient allonger encore un peu plus la liste des noms des travailleurs humanitaires tombés sous les coups du terrorisme aveugle et des attaques délibérées de groupes armés ou de régimes oppresseurs.
En 2013, 155 travailleurs humanitaires ont perdu la vie en accomplissant leur mission. L’année 2014 a vu et voit encore un déferlement intolérable de violence qui sème la mort.
Partout dans le monde, des femmes et des hommes œuvrent pour la paix. Partout dans le monde, des journalistes se battent, se mettent en danger et, parfois, meurent, pour informer et pour faire vivre la liberté de la presse, qui est au cœur de la démocratie.
Comme l’a rappelé le ministre des affaires étrangères et du développement international, Laurent Fabius, quand on tue un journaliste, on commet un double assassinat : contre une personne, bien sûr, mais aussi contre la liberté d’information.
Tuer un humanitaire, c’est tuer quelqu’un qui a fait du dévouement aux autres son métier et sa vocation. C’est toujours un acte d’une infinie lâcheté, qui tout à la fois supprime une vie et prive les populations civiles des secours et de la protection dont elles ont besoin pour tout simplement survivre sur les terrains de conflit.
Ces faits, qui figurent parmi les pires violations du droit, sont révoltants pour la conscience humaine. Je crois que c’est aussi cela que vous avez voulu signifier, madame Aïchi, en déposant cette proposition de loi. Si le Gouvernement comprend et partage son inspiration, et s’il souscrit à ses objectifs et à sa philosophie, il est en revanche plus réservé sur son dispositif. Permettez-moi de vous en exposer les raisons.
Je tiens tout d’abord à souligner que, en particulier grâce à l’action déterminée de la France, plusieurs initiatives ont été prises au niveau international, notamment depuis le dépôt de la proposition de loi, pour rendre hommage aux travailleurs humanitaires et aux journalistes et pour mieux protéger, concrètement et sur le terrain, leur travail et leur action. La journée que vous proposez d’instaurer, madame la sénatrice, risquerait donc de recouper d’autres journées et célébrations d’ores et déjà inscrites à l’agenda officiel, tant national qu’international, et de s’y superposer.
Ainsi, c’est sur l’initiative de la France qu’une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies sur la sécurité des journalistes a instauré, à la fin de l’année dernière, une journée internationale pour la lutte contre l’impunité des crimes commis contre les journalistes, célébrée le 2 novembre en mémoire de l’assassinat des journalistes de Radio France internationale.
Cette journée, qui vient d’être commémorée pour la première fois à New York en liaison avec l’UNESCO, s’ajoute à la journée mondiale de la liberté de la presse, célébrée le 3 mai en France et dans le monde entier.
Il s’agit d’initiatives fortes destinées à rappeler les enjeux et à faire œuvre de mémoire et de souvenir.
Nous agissons aussi sans relâche pour promouvoir, à travers les textes adoptés par les Nations unies, la mise en place de mécanismes d’alerte précoce et de réponse rapide. De tels dispositifs permettent aux journalistes menacés de contacter les autorités afin de bénéficier des protections nécessaires.
Nous avons présenté ce mois-ci, à l’Assemblée générale des Nations unies, avec la Grèce, avec l’Autriche, une résolution qui demande aux États de prendre des mesures concrètes pour diligenter des enquêtes et poursuivre les auteurs de crimes contre les journalistes, dont 90 % restent impunis. En principe, le vote sur ce projet interviendra vendredi prochain, à New York.
Dès 2006, la France avait été à l’initiative de la résolution 1738 du Conseil de sécurité sur la protection des journalistes dans les conflits armés.
Les travailleurs humanitaires, eux aussi, sont malheureusement trop souvent victimes d’attaques ciblées, en nombre croissant partout dans le monde, au mépris des principes d’humanité, d’impartialité et de dévouement qui gouvernent leur engagement.
Ces travailleurs humanitaires bénéficient d’une protection particulière au regard des conventions de Genève qui régissent le droit international humanitaire.
En outre, les attaques délibérées contre les personnels participant à une mission d’aide humanitaire sont considérées comme des crimes de guerre au regard du statut de la Cour pénale internationale, à laquelle la France est partie.
Notre pays se mobilise dans toutes les enceintes pour renforcer leur protection, trop souvent battue en brèche, et faire respecter concrètement le droit international humanitaire.
Elle a œuvré, au Conseil de sécurité de l’ONU, pour l’adoption, le 29 août dernier, de la résolution 2175 sur la sécurité et la protection des travailleurs humanitaires, qui réaffirme les obligations de toutes les parties pour assurer le respect du droit international humanitaire et garantir la protection des travailleurs humanitaires.
En outre, notre pays commémore chaque année la journée mondiale de l’aide humanitaire, le 19 août, en souvenir de l’attentat qui avait frappé le siège des Nations unies à Bagdad.
C’est, chaque année, l’occasion pour la communauté internationale de saluer le dévouement et l’engagement des acteurs humanitaires qui portent secours aux populations dans le besoin et dans la détresse, au péril de leur vie, dans des conditions toujours plus difficiles.
J’ajoute que la France est aussi engagée quotidiennement, conformément à ses valeurs, au travers de l’ensemble de son réseau diplomatique, en faveur des droits de l’homme partout dans le monde.
La journée des droits de l’homme, le 10 décembre, ainsi que le prix des droits de l’homme de la République française, décerné chaque année, est aussi l’occasion de célébrer de grandes personnalités qui œuvrent en faveur des droits de l’homme.
La France continuera avec force à défendre la sécurité des journalistes et des travailleurs humanitaires, témoins des guerres et acteurs de la paix, des principes d’humanité et de dignité de la personne humaine. Les journées internationales pour la paix, la liberté de la presse, l’aide humanitaire, contribuent, par-delà les frontières, à rappeler qu’en exerçant leur mission, c’est la liberté même qu’ils défendent.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, tout en partageant l’inspiration qui a présidé à l’élaboration de cette proposition de loi, le Gouvernement émet donc des réserves quant aux modalités retenues. C’est dans cet état d’esprit qu’il s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée. (M. le rapporteur et Mme Bariza Khiari applaudissent.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que cette proposition de loi a été inscrite dans le cadre de l’espace réservé au groupe écologiste, d’une durée de quatre heures. Ces quatre heures étant écoulées – elles sont même dépassées –, je me vois dans l'obligation d’interrompre l’examen de ce texte. Il appartiendra donc à une prochaine conférence des présidents d’inscrire la suite de cette proposition de loi à l'ordre du jour d’une prochaine séance.
16
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 20 novembre 2014 :
À onze heures :
1. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances pour 2015 (n° 107, 2014-2015) ;
Rapport de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances (n° 108, 2014-2015).
Discussion générale.
De quinze heures à quinze heures quarante-cinq :
2. Questions cribles thématiques sur le thème « Quel financement pour les transports collectifs en France ? ».
À seize heures et, éventuellement, le soir :
3. Suite de l’ordre du jour du matin.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 20 novembre 2014, à zéro heure cinquante.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART