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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire allemande
M. le président. Mes chers collègues, je suis très heureux de saluer en votre nom la présence, dans notre tribune d’honneur, d’une délégation de six parlementaires du groupe d’amitié Allemagne-France du Bundestag, conduite par son vice-président, M. Thomas Nord. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que MM. les ministres, se lèvent.)
La délégation est accompagnée par nos collègues du groupe sénatorial d’amitié France-Allemagne.
La délégation est en France depuis dimanche pour une visite d’étude centrée sur le Parlement français et l’organisation du travail des parlementaires. Depuis de nombreuses années, les parlements français et allemands entretiennent d’étroites relations, notamment grâce aux sessions de travail interparlementaire de leurs groupes d’amitié qui se tiennent régulièrement en France et en Allemagne et qui contribuent à faire vivre l’amitié franco-allemande.
Formons le vœu que votre visite contribue à l’approfondissement de la coopération entre nos assemblées. Nous vous souhaitons la plus cordiale bienvenue au Sénat ! (Applaudissements.)
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Débat sur l'action de la France pour la relance économique de la zone euro
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur l’action de la France pour la relance économique de la zone euro, organisé à la demande du groupe socialiste et apparentés.
La parole est à M. Richard Yung, orateur du groupe auteur de la demande.
M. Richard Yung, au nom du groupe socialiste et apparentés. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’espère que ce débat rassemblera autant de sénateurs et de sénatrices que la proposition de loi tendant à favoriser le recrutement et la formation des sapeurs-pompiers volontaires ! Il a été inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée à la demande du groupe socialiste, qui estime le moment opportun pour débattre d’un tel sujet.
Au cours des deux dernières années, la France n’a pas ménagé ses efforts pour réorienter la stratégie européenne de sortie de crise. Grâce à l’action du Président de la République et du Gouvernement, la croissance et l’emploi sont désormais au cœur de l’agenda européen. L’Europe et la zone euro n’ont plus l’austérité pour seul horizon.
Dès le mois de juin 2012, la France a obtenu qu’un pacte pour la croissance et l’emploi soit adopté par le Conseil européen. Il prévoit notamment une recapitalisation de la BEI, la Banque européenne d’investissement, une mobilisation des fonds structurels non consommés, ainsi que la création d’obligations liées à des projets. Le résultat a été, je dois le dire, un peu plus modeste que celui que l’on pouvait espérer.
La France a également défendu un budget pluriannuel privilégiant un équilibre entre croissance et sérieux budgétaire. Notre pays a aussi soutenu, avec d’autres, le projet de taxe sur les transactions financières et obtenu la révision de la directive relative aux travailleurs détachés. La France est également très active, et même moteur, en matière d’union bancaire.
Parallèlement à ces avancées, les conservateurs, majoritaires dans la zone euro et fortement représentés au sein de la commission Barroso, …
M. Jean Desessard. C’est dommage !
M. Richard Yung. On préférerait qu’il y ait plus d’écologistes, c’est certain !
Ces conservateurs, donc, ont mis en place des politiques d’austérité assez brutales, qui ont limité la mise en œuvre de mesures budgétaires contra-cycliques permettant de sortir du cycle de non-croissance. Ces politiques ont d’ailleurs, depuis lors, été critiquées par le FMI, le Fonds monétaire international, et par l’OCDE. La zone euro continue de pâtir de l’absence d’une véritable coordination des politiques économiques.
Une contrevérité souvent entendue concerne les supposées réformes du marché du travail allemand, dites « Hartz ». La droite, qui aime beaucoup la politique menée par M. Schröder, nous cite toujours celle-ci comme un modèle de vertu. Chacun choisit ses socialistes comme il peut !
La réalité, c’est que cette politique a eu peu d’effet sur l’économie allemande. La réunification, soit 16 millions d’Allemands supplémentaires, puis l’ouverture aux pays de l’Est, avec le marché que vous connaissez, mes chers collègues, ont offert une chance extraordinaire à l’industrie allemande des biens d’équipement, qui a su profiter du moteur extraordinaire qu’ont représenté ces évolutions. Telle est l’histoire de la grande prospérité allemande.
Aujourd'hui, la zone euro est toujours en panne de croissance, même si certains pays tirent leur épingle du jeu. On nous parle de l’Irlande, mais en passant sous silence ses choix fiscaux !
La maigre reprise enregistrée à la fin de l’année 2013 s’étant essoufflée, les prévisions de la Commission européenne ont récemment été revues à la baisse. La croissance du PIB de la zone euro devrait péniblement atteindre 0,8 % en 2014 et 1,1 % en 2015.
Au troisième trimestre, l’économie française, avec une croissance située entre 0,3 % et 0,4 %, a été légèrement plus dynamique que l’économie allemande. Elle a été soutenue – si j’ose dire – par la consommation des ménages et la dépense publique. On le constate, l’action publique est importante. On pourrait demander à M. Gattaz, toujours prompt à donner des leçons, ce que font, en matière d’investissement, les entreprises pour participer à cet effort, alors qu’elles bénéficient d’une baisse des charges de 30 milliards d’euros à 40 milliards d’euros.
Conséquence la plus grave d’une croissance atone, le taux de chômage continue de plafonner à un niveau record, situé entre 10 % et 11 %.
Plus que jamais, la menace de la déflation plane sur la zone euro. Je n’évoquerai pas ce point, qui sera développé ultérieurement. Je dirai simplement que l’exemple du Japon, qui se traîne depuis quinze ans avec une croissance oscillant entre 0 % et moins 2 %, mérite d’être médité. On a vu hier les décisions drastiques prises par le Premier ministre Shinzo Abe : dissolution de l’assemblée – mesure de politique interne – et, surtout, relance de la consommation des ménages par une politique de soutien extraordinairement forte. C’est au moins le quatrième ou cinquième plan de relance japonais, les précédents n’ayant pas permis d’enregistrer des résultats.
S’ils ne veulent pas connaître le même sort que le Japon, les pays de la zone euro doivent relever deux défis majeurs : relancer la croissance et éviter la spirale déflationniste.
Un nouvel assouplissement de la politique monétaire est nécessaire. Depuis quelques mois, tous les regards se tournent vers Francfort. Bien qu’il s’agisse d’une institution non pas de la zone euro à proprement parler, mais de l’Union européenne dans son ensemble, même si les Britanniques y jouent un rôle modeste, la Banque centrale européenne – la BCE – a concentré l’essentiel de ses efforts sur la zone euro. Elle a déployé un arsenal de mesures destinées à relancer le crédit aux entreprises et à conjurer le risque de déflation. Son objectif est d’injecter 1 000 milliards d’euros supplémentaires dans l’économie de la zone euro. Je salue ce volontarisme monétaire, soutenu par la France.
L’offensive de la BCE a débuté au mois de juin, lorsqu’elle a abaissé son principal taux directeur et instauré un taux d’intérêt négatif. Ainsi, les banques paient désormais la Banque centrale européenne pour y déposer leurs liquidés. C’est tout de même un mécanisme qui mérite réflexion ! On préférerait d’ailleurs qu’elles prêtent cet argent aux entreprises, ce serait plus utile !
La BCE a aussi pris des mesures non conventionnelles, à commencer par le lancement d’un nouveau programme de prêts à long terme aux banques, ou LTRO, Long term refinancing operations, de 400 milliards d’euros. Gageons que cette initiative permettra de doper réellement le crédit. On se souvient que lors des deux précédentes opérations de refinancement à long terme, en 2011 et 2012, les liquidités amassées à faible coût par les banques avaient été lucrativement réinvesties dans des obligations d’État, certaines très rémunératrices. Un tel dispositif est peut-être bon pour le financement de la dette des États, mais, là encore, on préférerait que cet argent soit investi dans les entreprises.
Lors de la première injection de liquidités, les banques européennes ont demandé 82,6 milliards d’euros. C’est décevant, puisque le double de cette somme était espéré. Toutefois, il y aura d’autres émissions d’ici à la fin de l’année qui seront, du moins je l’espère, plus soutenues.
Je constate par ailleurs que la BCE s’est timidement – oserai-je le dire ? – engagée sur la voie de l’« assouplissement quantitatif », technique utilisée par la Banque d’Angleterre, la Federal Reserve et le Trésor américain. Les choses ne sont pas comparables, pour de nombreuses raisons que vous connaissez, mes chers collègues. Le Trésor américain émet des bons du Trésor, que rachète la Federal Reserve, mais le marché est différent, puisque, aux États-Unis, l’essentiel du financement des entreprises se fait sur le marché financier, alors que dans notre pays il est opéré par les banques.
Afin de stimuler l’octroi de prêts aux PME, Mario Draghi a récemment lancé un programme de rachat massif de titres de dette adossés à des actifs, appelés ABS, et d’obligations sécurisées. Ce n’est pas du freinage, c’est au contraire une accélération, comparable à la titrisation. (Sourires.) La BCE pourra racheter sur les marchés des titres correspondant au compactage de créances bancaires : crédits à la consommation, prêts aux PME, prêts immobiliers. Les banques, qui verront leur bilan allégé, pourront ainsi accorder de nouveaux crédits.
Ce programme, qui pourrait porter sur quelque 160 milliards d’euros, vise à redynamiser le marché européen des ABS, actuellement au point mort. Je sais que la titrisation n’a pas bonne presse depuis la crise des subprimes de 2008, due à la titrisation abusive des banques américaines, en particulier dans le secteur immobilier. Mais il peut y avoir une « bonne » titrisation, que nous recherchons. À cet égard, j’estime que nous devons soutenir les efforts de la BCE pour recréer et redévelopper un marché européen de titrisation.
Ces mesures ont déjà contribué à faire chuter l’euro, qui vaut désormais 1,24 dollar. Cette baisse est bienvenue. Les entreprises s’en félicitent, car cette diminution donne une bouffée d’oxygène aux exportateurs de la zone euro.
Un nouvel assouplissement de la politique monétaire s’avère donc nécessaire. C’est ce à quoi M. Draghi semble préparer les esprits, sous la pression du FMI et de différentes organisations, favorables au programme de rachat d’obligations souveraines. Les banquiers parlent toujours de façon extrêmement déguisée, fidèles à l’adage « si vous m’avez compris, c’est que je me suis mal exprimé. » Il faut donc décrypter les messages des banques centrales.
Au demeurant, c’est le seul moyen d’augmenter de manière significative le bilan de la BCE. Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour rendre hommage à M. Draghi, qui a fait une sorte de révolution copernicienne de la pensée, de la doctrine et de la pratique de la BCE. Vous le savez comme moi, la Bundesbank, laquelle n’est pas le moindre des acteurs au sein du Conseil des gouverneurs, est tout à fait hostile à cette démarche. En la matière, M. Draghi a donc fait preuve de courage et de détermination.
Une autre option envisageable consiste à mettre en place un programme de rachat d’obligations privées. Je parlais auparavant des obligations publiques, de dette d’État. J’ai cru comprendre que le gouverneur de la Banque de France, M. Christian Noyer, était réticent sur ce point. Nous devons le convaincre de l’intérêt d’une telle opération pour la Banque centrale européenne.
Cela étant, il nous faut aussi donner plus de flexibilité à la politique budgétaire. Pour que les États de la zone euro puissent relancer la demande et l’investissement public, ils doivent bénéficier d’une certaine souplesse dans la conduite de leur politique budgétaire. Telle est la réalité. C’est ce message, parfois bien reçu, d’autres fois critiqué, que s’est efforcé de transmettre M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Et des pays comme l’Italie, notamment, peuvent suivre cette voie.
L’idée n’est évidemment pas de s’affranchir du respect des règles du pacte de stabilité et de croissance. On entend régulièrement parler de la barre des 3 % du PIB de déficit. Mais ce pourcentage date de 1992, des critères de Maastricht ! Il n’est donc pas nouveau ! Rappelons-nous d’ailleurs que, pendant une période, la France et l’Allemagne s’étaient mises d’accord pour ne pas le respecter ! Donc, on le constate bien, la flexibilité existe. Il faut réfléchir sur ces sujets…
En d’autres termes, le rythme de l’assainissement des finances publiques doit être adapté à celui de la mise en œuvre des politiques de relance et de lutte contre le chômage, élément principal. Car, au final, c’est la croissance qui permettra de résorber les déficits et les dettes publics. Je constate à ce propos que, aujourd’hui, l’OCDE et le FMI partagent cette conviction : que de chemin parcouru !
Je pense que nous devrions ouvrir un débat « franc et amical », comme l’on dit, avec nos partenaires allemands. Ceux-ci continuent à privilégier l’aspect « stabilité » du pacte au détriment de son aspect « croissance ». Récemment, le gouvernement de Mme Merkel a proposé de rendre plus contraignante la surveillance des budgets nationaux dans le cadre d’une négociation dite « politisée». Je ne sais pas exactement ce que cela signifie, mais on comprend que les discussions se déroulent en dehors de la Commission européenne, directement entre les gouvernements, et non entre la Commission et les gouvernements. L’intergouvernemental l’emporte donc encore.
Berlin a également évoqué des possibilités de sanctions. Je pense que nous devons discuter sérieusement avec nos amis allemands parce que cela ne va vraiment pas dans le sens de la politique que nous suivons.
La relance économique passe aussi par un renforcement de l’investissement.
Les Allemands ont fait un geste relativement important en la matière en mettant 10 milliards d’euros sur la table, comme l’a annoncé voilà quelques jours M. Schäuble. Ils pourraient sans doute faire plus. Néanmoins, cet effort est essentiel, tant pour l’Allemagne, qui souffre de sous-investissements – c’est une affaire intérieure allemande et il ne nous appartient pas de dire à notre partenaire que ses réseaux autoroutier et électrique sont quelque peu branlants –, que pour le reste de la zone euro. De surcroît, l’Allemagne a besoin de soutenir sa demande, d’autant que s’expriment dans ce pays des demandes fortes d’augmentation de salaire. Certes, il ne nous incombe pas de les soutenir.
Je me réjouis donc que le nouveau président de la Commission européenne ait repris l’idée de doter l’Union de nouvelles capacités financières, afin de relancer le cycle de l’investissement.
Le plan Juncker demeure encore flou à nos yeux. Deux questions doivent être tranchées : quels investissements seront financés par ces 300 milliards d’euros et quelles seront les modalités du financement ? Je ne développerai pas ce point, d’autres intervenants le feront ultérieurement, mais c’est un sujet marqué par l’urgence.
Évitons que ce plan ne fasse que recycler d’anciens projets, en matière énergétique ou autre, qui dormaient sans succès au fond des tiroirs. Il ne doit pas traîner en longueur : son financement ne doit pas rencontrer de difficultés. Il faut par conséquent trouver de l’argent frais et mobiliser des financements publics, afin d’attirer des investisseurs vers des projets prioritaires.
Pour ce qui concerne le financement en dette, on peut imaginer une mise à contribution de la Banque européenne d’investissement, dont il faudrait sans doute augmenter le capital. Mais le coefficient multiplicateur est assez fort en la matière, puisque pour atteindre 300 milliards d’euros de prêts sur trois ans, soit 100 milliards d’euros par an, il lui faudrait distribuer environ 30 milliards de prêts supplémentaires par an, ce qui nécessiterait une recapitalisation à due proportion.
Mais on peut aussi étudier la possibilité de développer les obligations liées à des projets déterminés – ce que l’on appelle les project bonds en anglais.
Une autre solution, dont on ne parle pas, mériterait d’être étudiée : la mobilisation du mécanisme européen de stabilité, le MES, dont la capacité de prêt est importante, de l’ordre de 450 milliards d’euros à terme. Or cet argent est inemployé. Les Allemands ne sont pas enthousiastes, arguant que ces fonds doivent justement servir à la stabilité. Mais, parallèlement, l’un des éléments de stabilisation est le retour à la croissance et à la prospérité. Je pense donc que l’on devrait aller dans cette voie.
Enfin, la relance économique nécessite un renforcement de la gouvernance.
Nous devons transformer la zone euro en véritable union politique, avec un président doté de responsabilités économiques et financières qui puisse impulser des initiatives en matière d’harmonisation fiscale. Car nous n’avançons pas du tout sur ce point, qu’il s’agisse de l’impôt sur les sociétés, ou de la taxe sur les transactions financières. (M. André Gattolin approuve.) Nous devons aussi trouver des dispositifs permettant aux parlements d’être associés à ce travail.
Nous traitons aujourd’hui d’un grand sujet et j’espère que nos idées seront plus claires à la sortie de cet hémicycle qu’à notre arrivée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que, formellement, nous discutons de la relance de l’activité économique dans la zone euro, je voudrais en préalable dire que je refuse de concevoir celle-ci comme un élément que l’on pourrait dissocier totalement du reste de l’Union européenne.
Bien sûr, il est utile et pertinent d’envisager des moyens spécifiques d’intervention se rapportant à la zone euro : je pense à des mesures de nature monétaire, de renforcement de l’union bancaire, ou encore à des dispositions visant à doter la zone euro d’un budget et d’une gouvernance spécifiques. Mais, au-delà de l’adoption ou non par ses membres de la monnaie unique, c’est bien l’Union européenne, en tant qu’espace économique regroupant plus de 500 millions de personnes, qui confère à notre continent sa richesse et son potentiel d’innovation et de renouvellement dans le monde d’aujourd’hui, et surtout de demain. Il suffit de regarder les performances économiques de certains pays membres de l’Union mais non membres de la zone euro, comme la Pologne, pour s’en convaincre : le dynamisme de nos économies – ou, au contraire, leur atonie – ne repose pas uniquement sur la monnaie unique.
C’est donc bel et bien à l’échelle de l’Union européenne tout entière qu’il nous faut réfléchir.
M. Jean Desessard. Très bien !
M. André Gattolin. D’un point de vue économique, l’Union européenne, enfermée souvent dans des politiques presque exclusives de réduction des déficits et de la dette publique, va mal, tant en termes d’emploi, d’activité industrielle que de croissance globale.
La compétition à l’échelle mondiale n’a jamais été aussi vive, il faut le reconnaître, et dans bien des domaines, notre retard à l’endroit des États-Unis ne se résorbe pas, voire il s’accentue.
Nous devons faire face aussi à la concurrence chaque jour plus forte des pays émergents, à tel point que ce qualificatif « émergent » est en train de devenir totalement inapproprié pour certains d’entre eux.
C’est d’ailleurs tout le sens du plan de 300 milliards d’euros annoncé par le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, à propos duquel la presse indique qu’il devrait être au moins partiellement détaillé dès la semaine prochaine. Toujours selon la presse, la France aurait établi une liste comprenant une trentaine d’initiatives qui pourraient en bénéficier. Nous serions heureux, monsieur le ministre, d’en savoir davantage sur ces propositions faites par le Gouvernement français.
Car si la France veut peser dans la relance de l’activité économique en Europe, elle doit faire en sorte que les investissements portés par le plan Juncker correspondent au moins à deux types de critères.
Tout d’abord, ces investissements doivent être véritablement stratégiques au regard des enjeux auxquels nous faisons face. Ils doivent, selon moi, se concentrer sur les filières d’avenir plutôt que de chercher à perpétuer un modèle finissant.
Ensuite, ces mesures ne doivent plus se contenter de viser indifféremment l’ensemble des secteurs et des acteurs. On ne peut plus s’en tenir à l’approche purement horizontale qui a été jusqu’à ce jour dominante dans les politiques économiques de l’Union européenne.
À force de vouloir établir un prétendu écosystème réglementaire et légal identique pour tous et dans tous les domaines d’activité, la Commission européenne finit par s’enfermer dans un dogmatisme stérile et dans l’instauration de dispositions qui deviennent souvent inefficaces en matière de développement durable de l’activité en Europe.
La liste des exemples que je pourrais citer en la matière est longue, mais je me focaliserai sur ceux qui me paraissent les plus édifiants.
Ainsi, depuis plusieurs années, l’Union favorise les politiques de la recherche et de l’innovation.
Nous sommes tous d’accord : sans recherche forte, il n’y a pas d’innovation, condition pourtant nécessaire à une relance durable de l’activité dans un monde ultra-concurrentiel et en mutation permanente. Sur le fond, cette politique de l’Union est donc une bonne chose, notamment au moment où l’on annonce que la Chine devrait, dès cette année, dépasser l’Europe en matière de dépenses dans le domaine de la recherche et du développement.
De nombreux moyens sont donc engagés dans ce domaine dans le cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020 de l’Union européenne, et la Commission se montre particulièrement favorable aux politiques nationales des États membres qui instaurent d’importants crédits d’impôt recherche.
Le problème est que cette condition indispensable à la relance économique n’est pas en elle-même suffisante ; en effet, sans un soutien stratégique aux filières d’avenir, c’est-à-dire aux filières industrielles européennes qui vont utiliser les apports de la recherche européenne, nous assisterons à une migration des compétences, des savoirs, des personnes et des entreprises vers des régions du monde qui soutiennent ces filières d’avenir avec un grand volontarisme. Or, faisant preuve d’un dogmatisme incroyable, la toute puissante direction générale de la concurrence de la Commission sanctionne systématiquement tout appui un peu prononcé des États à ces filières bien identifiées et innovantes, pendant que nos concurrents nord-américains et asiatiques usent et abusent des crédits d’impôt sectoriels – qui ne sont pas condamnés par les règles de l’Organisation mondiale du commerce – pour attirer chez eux nos entreprises et nos talents les plus novateurs.
Cela ne peut pas durer ! Il ne saurait y avoir de relance durable de l’activité sans de véritables politiques industrielles européennes en aval des politiques de recherche ou des politiques horizontales de renforcement de notre compétitivité.
Autre difficulté, déjà évoquée par Richard Yung : la fiscalité.
C’est une question à laquelle il va bien falloir s’attaquer sérieusement, car trop d’États membres ont encore recours à leurs politiques fiscales au détriment de leurs partenaires.
M. Jean Desessard. En effet !
M. André Gattolin. Nous devons désormais nous efforcer d’utiliser systématiquement et conjointement politiques fiscales communes et politiques budgétaires d’investissement européennes comme des outils au service d’une stratégie collective de relance économique, en visant notamment une véritable convergence fiscale entre les États membres.
Enfin, et pour conclure, je voudrais revenir sur la question de l’identification des domaines qui, à l’échelle européenne, nous semblent les plus stratégiques pour relancer durablement l’activité au travers, entre autres, de ce plan de 300 milliards d’euros.
Selon certaines déclarations, la Commission européenne souhaiterait faire porter l’effort d’investissement en premier lieu sur les grandes infrastructures de réseau. C’est un classique de la Commission en matière d’investissements européens et, ne le nions pas, un enjeu très important en matière tant de cohésion européenne que de développement économique durable de l’Union.
Toutefois, je pense là encore que le fait de se focaliser trop exclusivement sur cette dimension risquerait d’occulter deux enjeux tout aussi stratégiques pour l’avenir de nos économies.
D’une part, nous devons impérativement mettre en place une véritable filière européenne de l’industrie numérique pour espérer rattraper une partie de notre retard, qui est considérable par rapport aux États-Unis et même à certains pays asiatiques.
D’autre part, il existe aujourd’hui une urgence politique, économique et environnementale à renforcer nos capacités industrielles dans les domaines ayant trait à la transition écologique...
Monsieur le ministre, nous aimerions savoir quelles sont vos priorités et celles du Gouvernement s’agissant des orientations à donner au plan de relance préparé par la Commission européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2008 la Commission européenne proposait un plan de relance de 200 milliards d’euros qui visait à protéger les travailleurs, les ménages et les entrepreneurs risquant, selon elle, d’être frappés par la crise financière naissante dont les effets commençaient à se faire sentir très nettement. Elle suggérait d’investir davantage dans le développement des compétences professionnelles, afin d’aider les personnes à conserver leur emploi ou à réintégrer le marché du travail, et de soutenir le pouvoir d’achat pour créer de la croissance. En résumé, il s’agissait d’apporter une réponse coordonnée à l’aggravation de la crise économique. Malheureusement, nous n’en avons jamais vraiment vu la couleur !
Aujourd’hui, M. Juncker nous annonce un plan de relance de 300 milliards d’euros qui nous laisse quelque peu dubitatifs, vous l’avez souligné, monsieur Yung. « Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup ! », disait une grande élue du Nord. (Sourires.)
M. Éric Bocquet. En effet, personne ne sait d’où viendront ces fonds, faute de crédits budgétaires à Bruxelles comme dans les capitales européennes. Ne serait-ce qu’un effet d’annonce supplémentaire ? D’autant que, M. Juncker l’a précisé, les règles budgétaires imposées par l’Union européenne resteront inchangées.
Pourtant, les tendances de l’investissement en Europe demeurent inquiétantes, la courbe du chômage ne cesse d’augmenter sans réelle perspective d’amélioration à ce jour, une part de la population s’est fortement paupérisée, le tout étant lié à l’incapacité des États et des collectivités locales à s’engager financièrement et politiquement. Le rapport annuel de l’INSEE publié aujourd’hui en est une illustration édifiante.
Selon de nombreuses études, la chute de l’investissement en Europe depuis 2008 est deux fois plus prononcée qu’aux États-Unis et au Japon. Le niveau de l’investissement privé dans la zone euro était, au début de 2014, inférieur de 15 points à celui de 2007 et ne représentait plus que 19 % du PIB de la zone euro, contre 25 % aux États-Unis.
Pis, le volume de l’investissement public était en 2013 deux fois plus faible que celui des États-Unis. En trente-cinq ans, il a été divisé par deux en raison de choix européens et nationaux contre-productifs.
Certes, plusieurs éléments expliquent ce recul de l’investissement, mais nous savons aujourd’hui que c’est l’aveuglement des décideurs européens qui « plombe » l’économie européenne ; c’est la poursuite de politiques d’austérité budgétaire excessives et de baisse du coût du travail qui empêche la reprise et conduit la zone euro, comme le révèlent de nombreux analystes et autres prix Nobel, vers la déflation, laquelle entrave à son tour le désendettement des États. Pourtant, selon nous, la dette peut être un levier de croissance dès lors qu’elle finance l’investissement public utile.
Nous débattons aujourd’hui, sur l’initiative du groupe socialiste, de l’action de la France pour la relance économique de la zone euro. Permettez-moi d’exprimer une certaine perplexité.
Certes, M. le Président de la République a demandé à ses homologues européens de « garantir une politique budgétaire équilibrée au niveau de la zone euro et de débattre des conséquences des décisions nationales sur l’ensemble de l’Europe, afin notamment d’éviter que les politiques de compétitivité menées simultanément ne prolongent la situation de faible inflation, pesant d’autant sur les efforts de désendettement » des États. Il a également réclamé « une application des règles budgétaires favorable à l’investissement et à l’emploi ». Autrement dit, il a souhaité que les politiques européennes soient réorientées vers la croissance. Toutefois, tout en reconnaissant les limites de ces dernières, il demandait aussi plus d’indulgence et de patience aux États et institutions européennes, afin de mettre en œuvre les réformes voulues par Bruxelles.
Ainsi, le Gouvernement continue toujours à défendre l’austérité, à mettre à mal nos services publics, notre protection sociale, le code du travail, à assécher les dotations des collectivités territoriales pourtant déjà à bout de souffle, à utiliser l’argument du coût du travail pour casser un peu plus notre modèle économique et social, bref, à mettre en œuvre le pacte de stabilité, alors même que celui-ci tarde à apporter la preuve de son efficacité.
Comment débattre du rôle de la France lorsque le Gouvernement accepte de participer à la course au moins-disant social et applique au plan national les recettes qui nous mènent droit vers la déflation ? Comment débattre du rôle de la France lorsque la politique économique prônée depuis 2012 – avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi et, depuis 2014, le pacte de responsabilité et de solidarité – est une politique de compétitivité réductrice ?
Cette politique n’est pas très crédible et manque de cohérence.
De surcroît, le Président de la République demande une amélioration du fonctionnement de la zone euro à traités constants, alors que ce sont l’architecture, les pouvoirs et les missions de la Banque centrale européenne et de la Banque européenne d’investissement qu’il faut remettre à plat. Ce sont le mécanisme européen de stabilité et le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance qu’il faut dénoncer. C’est enfin au déficit démocratique qu’il faut remédier.
N’est-ce pas le Président de la République qui, au mois de juin 2012, avait pris l’engagement très clair de renégocier le traité européen en privilégiant la croissance et l’emploi, et en réorientant le rôle de la Banque centrale européenne ?
Que dire encore de la réallocation des fonds structurels vers des objectifs de croissance alors que ces fonds correspondent à une politique de solidarité et de convergence à l’égard des régions les moins développées d’Europe et que cette réallocation remet en cause les propres perspectives de développement de celles-ci en matière de projets structurants et d’investissements d’avenir ? De nombreuses autres questions mériteraient beaucoup plus qu’un débat.
Pour nous, la crise de l’euro est une crise de la construction européenne.
Un projet européen digne de ce nom est un projet volontariste et un projet que les peuples européens pourraient s’approprier. Il suppose une Europe libérée de la tutelle des marchés financiers, des dogmes néolibéraux et de l’orthodoxie budgétaire.
Cette rupture, que la France devrait soutenir, serait, selon nous, un préalable à la fondation d’une Europe démocratique et sociale. En effet, chacun le constate, aujourd’hui l’Europe ne fait plus rêver ; elle génère même beaucoup d’inquiétudes qui aboutissent à des attitudes de rejet et parfois de repli.
Pourtant, le marché unique devait enclencher une dynamique favorable à la croissance économique et à l’emploi ; la monnaie unique devait nous mettre à l’abri de crises financières éventuelles. Malheureusement, l’échec en la matière est patent, et personne ne s’en réjouit. En dépit de ce constat, les gouvernements européens et le gouvernement actuel s’entêtent dans l’erreur politique et la faute morale que représente l’offensive contre les dépenses publiques et les droits sociaux.
Nous pensons que l’heure est venue de réorienter radicalement la construction européenne vers des objectifs de croissance et de solidarité, dans l’unique intérêt des peuples !
L’interdiction dogmatique du déficit structurel et du déséquilibre budgétaire revient à condamner cette forme d’endettement qu’est l’investissement public. Or celui-ci, on le sait, est un moteur de croissance, de création de richesses et d’emploi ; nous avons défendu cette position à maintes reprises dans cet hémicycle, et nous continuerons de le faire. Cette voie est religieusement bannie, proscrite, en faveur d’une relance économique par l’austérité : quelle gageure !
La reconstruction européenne passe par une déconstruction des règles et doctrines de la zone euro, par une réorientation des priorités en faveur de l’investissement public, social et écologique. Le rôle de la Banque centrale européenne doit être modifié et mis au service de ces objectifs. La crise économique actuelle devrait être l’occasion pour l’Union de se doter d’un socle commun de droits sociaux minimaux universels, indépendants du travail, car celui-ci n’est pas garanti. Nous en sommes loin, et le dernier arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne relatif au prétendu tourisme social est pour nous un motif d’inquiétude extrême.
La solidarité entre États membres est en panne, si tant est qu’elle ait jamais véritablement fonctionné ; il nous faut d’urgence la renforcer. Toutefois, la solution se situe aussi en dehors des institutions. Il est décisif et urgent de donner la parole aux peuples européens, aux peuples souverains et de la respecter, pour qu’ils puissent décider eux-mêmes des orientations du projet européen.
Une telle responsabilité historique ne saurait légitimement être assumée par les seules institutions de l’Union. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Jean Desessard applaudit également.)