M. Yves Détraigne, rapporteur. Mon intervention sera brève, car tout le monde sait que l’objet de cette motion est de renvoyer à la commission des lois l’examen de la proposition de loi de notre collègue Henri Tandonnet. J’ai d’ailleurs noté avec intérêt que l’ensemble des groupes comme M. le secrétaire d’État ont parfaitement compris l’importance du sujet ainsi que les difficultés juridiques que nous devons régler.
Cette demande de renvoi à la commission n’est pas un enterrement. Au contraire, elle traduit notre volonté partagée de creuser la question afin de trouver une solution aux difficultés que tend à régler, peut-être un peu rapidement, la présente proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Comme le rapporteur vient de le dire, cette motion tendant au renvoi à la commission est destinée à nous permettre d’approfondir le travail.
La commission, qui s’est réunie dans les conditions qui ont été rappelées, a considéré que l’objet de la proposition de loi de notre collègue Tandonnet était justifié par la réalité des difficultés rencontrées dans les communes et les intercommunalités par rapport à la prescription acquisitive de portions du domaine privé communal. Par conséquent, la commission, qui a eu un débat très riche sur le sujet, chacun ayant eu à connaître de ce type de difficultés, a souhaité que le travail puisse se poursuivre.
Je sais que les motions tendant au renvoi à la commission sont très souvent destinées à couper court à la discussion d’un texte. Cela n’est pas du tout l’intention de notre rapporteur, il l’a bien précisé. Je veux vous dire, au nom de la commission, que c’est même l’intention contraire qui nous anime. Nous voulons permettre à cette proposition de loi de prospérer, mais nous voulons nous assurer que toutes ses implications juridiques auront été traitées et que sa rédaction permettra réellement de remplir l’objet qu’elle s’assigne.
Si cette motion tendant au renvoi à la commission est adoptée, notre rapporteur, qui s’est pleinement investi dans l’étude de la proposition de loi, pourra poursuivre son travail pour, le moment venu, dans des délais qui ne devraient pas être trop longs, revenir devant vous afin que notre assemblée puisse, je l’espère, adopter des solutions pertinentes à ce problème.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant au renvoi à la commission.
(La motion est adoptée.)
Mme la présidente. En conséquence, le renvoi de la proposition de loi à la commission est ordonné.
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Communication d’un avis sur un projet de nomination
Mme la présidente. En application de la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de l’article 10 de la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983, la commission des finances, lors de sa réunion du 22 octobre 2014, a émis un vote favorable – dix-sept voix pour, deux bulletins blancs – à la nomination de Mme Stéphane Pallez aux fonctions de président-directeur général de La Française des jeux.
Acte est donné de cette communication.
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Demande d’avis sur un projet de nomination
Mme la présidente. Conformément aux dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et en application de l’article 11 du décret n° 2004-123 du 9 février 2004, M. le Premier ministre, par lettre en date du 22 octobre 2014, a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître l’avis de la commission du Sénat compétente sur le projet de nomination de M. Nicolas Grivel aux fonctions de directeur de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine.
Cette demande d’avis a été transmise à la commission des affaires économiques.
Acte est donné de cette communication.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Hervé Marseille.)
PRÉSIDENCE DE M. Hervé Marseille
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Questions cribles thématiques
accords de libre-échange
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques posées à M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, sur les accords de libre-échange, thème choisi par le groupe UMP.
Je rappelle que l’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.
La parole est à Mme Bariza Khiari, pour le groupe socialiste.
Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au cours de cette séance de questions cribles thématiques consacrée aux accords de libre-échange, il sera souvent question du traité que la Commission européenne et le Canada ont dévoilé le mois dernier. Permettez-moi de profiter de l’occasion qui m’est donnée, en tant que première oratrice, pour exprimer notre entière solidarité avec le Canada, dont le Parlement fédéral a été hier pris pour cible par un tireur, pour faire part de notre profonde tristesse et faire preuve de compassion à l’égard tant de la famille du soldat tué que de l’ensemble du peuple canadien.
Monsieur le secrétaire d’État, voilà presque un mois, le 26 septembre dernier, la Commission européenne et le Gouvernement fédéral du Canada ont dévoilé le contenu du traité de libre-échange, le CETA – Comprehensive Economic and Trade Agreement. Les négociations avaient commencé en 2009 entre la Commission et le Canada et, à l’instar de celles qui concernent les autres traités de libre-échange, elles ont été menées pour le moins dans une très grande opacité.
Ce mode de négociation pose une réelle question démocratique, d’autant que ce traité porte, entre autres, sur les produits, les services, les investissements et les achats publics, domaines qui touchent de près le fonctionnement de notre économie et de nos territoires.
Mais surtout, ces secteurs sont abordés dans un document de 521 pages, assorties de 1 000 pages d’annexes : après la stratégie de rétention d’information, voici celle de la profusion ! Dans un cas comme dans l’autre, la question de l’accessibilité et de la lisibilité du texte ne permet pas le fonctionnement de règles démocrates saines et vient nourrir plus que de raison l’euroscepticisme.
Les orateurs qui me succèderont vont sans doute vous interroger sur le mécanisme de règlement des différends, mécanisme qui revient à créer une justice arbitrale privée dont la finalité est de protéger les investisseurs, mais qui entrave la capacité de régulation des États.
M. Éric Bocquet. Très bien !
Mme Bariza Khiari. Aussi ma question ne portera-t-elle pas sur cet aspect essentiel, mais sur un thème qui intéresse aussi au plus haut point le Sénat : les indications géographiques protégées.
Celles-ci sont, en fait, un label européen désignant un produit dont les caractéristiques sont liées au lieu géographique de production, comme, par exemple, le riz de Camargue. Si ces indications géographiques protégées ont en Europe une dimension publique liée au territoire, en Amérique du Nord, cette appellation recouvre des marques qui appartiennent aux entreprises. Ainsi, une société canadienne peut dénommer sa production locale « jambon de Parme ». Depuis plusieurs années, cette asymétrie juridique est l’objet d’intenses débats, car il ne saurait être question que, au nom d’un traité, soient commercialisés en Europe du « jambon de Parme », du « riz de Camargue » ou du « champagne » produits hors des territoires européens.
À l’occasion d’une séance de questions d’actualité à l’Assemblée nationale, Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger, a annoncé des avancées importantes concernant les indications géographiques et leur prise en compte dans le CETA. Pourriez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous donner davantage de précisions ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de mon collègue Matthias Fekl, qui se trouve aujourd’hui en Chine.
Avant de répondre à votre question, madame Khiari, je souhaite m’associer à votre déclaration, témoigner à mon tour notre sincère solidarité envers le peuple, le Parlement et le Gouvernement canadiens, leur dire combien notre émotion est grande, et leur faire part de notre volonté commune de faire face à de telles menaces terroristes, dont nous connaissons, malheureusement, la réalité.
Madame le sénateur, vous avez abordé le sujet de façon globale. Je partage vos préoccupations générales, mais permettez-moi, dans les deux minutes qui me sont imparties, de répondre le plus précisément possible à votre question relative aux indications géographiques. Sur ce point, le résultat obtenu avec le Canada nous semble satisfaisant.
Vous le savez, initialement, ce pays était réticent à cette problématique. L’accord qui a été conclu marque donc un réel progrès, tout comme celui qui était intervenu avec la Corée du Sud en 2011.
Les indications géographiques relatives aux vins et spiritueux, déjà protégées par l’accord conclu entre l’Union européenne et le Canada au mois de septembre 2003, voient leur protection renforcée, car elle figure de nouveau dans l’accord en cause. Quarante-deux indications géographiques françaises bénéficieront d’une protection totale, un recours administratif étant possible. Je pense notamment à des spécialités comme les pruneaux d’Agen, les canards à foie gras du Sud-Ouest, ou encore le piment d’Espelette. Vous-même avez cité le riz de Camargue.
Quelques exceptions à la protection donnée ont néanmoins été octroyées. Le système canadien de marque déposée pourra, dans certains cas, coexister avec certaines indications géographiques européennes, mais la mention « sorte de », « type de », ou encore « style canadien » devra être apposée.
L’avancée enregistrée présente l’avantage de démontrer que les indications géographiques et les marques déposées peuvent coexister, formant ainsi un précédent positif, en vue, notamment, des négociations dans le cadre du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement. Elle sera, en tout cas, un point d’appui important.
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, pour la réplique.
Mme Bariza Khiari. Monsieur le secrétaire d'État, j’avais effectivement noté ces progrès qui avaient été annoncés par Matthias Fekl.
Toutefois, en tant que socialistes, nous nous situons au juste milieu : nous nous opposons tant au libre-échange généralisé qu’au protectionnisme. Au regard de cette position, il me semble qu’il conviendrait d’examiner le traité à l’aune du « juste échange », tel qu’il a pu être défini par notre éminent ancien collègue Henri Weber : réciprocité, équilibre, équité, respect des normes internationales et intégration des normes non marchandes. Mais ce débat aura lieu, puisque ce traité doit, bien évidemment, être validé par le Parlement.
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour le groupe UDI-UC.
M. Joël Guerriau. Au mois de décembre dernier, le Gouvernement s’est réjoui d’avoir signé l’accord avec les États membres de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, lors de sa neuvième conférence ministérielle.
Cet accord allège les procédures de passage des frontières des marchandises dans l’objectif de réduire sensiblement le coût d’une opération de commerce international. Selon le Gouvernement, il devait bénéficier en premier lieu aux petites et moyennes entreprises.
En France, un millier de PME seulement réalisent à elles seules 70 % des exportations. Elles sont respectivement deux fois et trois fois moins nombreuses qu’en Italie et qu’en Allemagne.
Les PME françaises ont sans nul doute un potentiel important de croissance à l’export. Toutefois, la mondialisation des échanges n’a de sens que si elle s’accompagne d’un cadre juridique précis, faute de quoi nous offrons une position avantageuse aux entreprises de pays qui ne s’imposent ni contrainte fiscale, ni règles de protection sociale, ni ambition environnementale.
Le libre-échange a fait de la Chine l’atelier du monde à moindre coût. Il a favorisé la libre circulation des capitaux pour échapper à l’impôt. Au sein de l’Europe, les flux de main-d’œuvre Est-Ouest ont contribué à créer des distorsions de compétitivité entre États membres dont nous constatons parfois les conséquences dans nos propres régions.
C’est un fait, le libre-échange inquiète nos citoyens.
Échanger avec des pays qui ne respectent pas les mêmes normes sociales revient à commercer sur le dos de la pauvreté. Un libre-échange dépourvu de fondement humaniste encourage l’exploitation de l’homme par l’homme.
Monsieur le secrétaire d’État, je continue de croire que l’on ne prospère véritablement que lorsque l’on tire l’humain vers le haut. À cette fin, tout doit être mis en œuvre pour lutter contre la concurrence déloyale dont font preuve les pays qui entretiennent volontairement de bas niveaux de salaires et de protection sociale au seul profit de bénéfices immédiats.
Quel est l’intérêt d’importer aujourd’hui ce que nous produisions hier à meilleure qualité ? Les nouvelles puissances commerciales assument-elles véritablement leurs responsabilités pour, par exemple, lutter contre le réchauffement climatique, contribuer au progrès social ou agir en faveur de la sécurité alimentaire ? Dans le cadre de la négociation des accords transatlantiques et des travaux de l’OMC, quelles mesures le Gouvernement prend-il afin de défendre nos exigences sociales et environnementales ?
Pouvez-vous nous dire, monsieur le secrétaire d’État, quels bénéfices réels la France a obtenu depuis l’accord de 2013 au sein de l’OMC ? Quelles sont les mesures prises par le Gouvernement pour encourager et accompagner nos PME à l’exportation ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, votre question est double : d’une part, l’OMC et, d’autre part, les problèmes liés à ce que l’on appelle le « dumping social ».
Vous le savez, le Conseil général de l’OMC, qui s’est réuni le 21 octobre à Genève, n’a pu que constater le blocage de l’Inde, empêchant la mise en œuvre des différentes décisions prises lors de la conférence ministérielle de l’Organisation à Bali à la fin de l’année dernière, en particulier la finalisation de l’accord sur la facilitation des échanges.
S’ouvre ainsi au sein de l’Organisation mondiale du commerce une période de réflexion. C’est un euphémisme, car nous considérons que la situation est grave pour l’OMC et pour le multilatéralisme commercial, lequel répond à notre vision de l’organisation et de la régulation du monde et reste une priorité nationale et européenne. Le G20 des chefs d’État de Brisbane sera sollicité sur ce sujet, afin de tenter de trouver une solution. Une certaine inquiétude se fait jour, car la succession de traités bilatéraux ou transcontinentaux n’est pas l’objet premier de la politique diplomatique et commerciale que nous voulons mettre en œuvre au plan international.
Quant à la question du dumping social, les accords de libre-échange incluent, vous le savez également, monsieur le sénateur, un chapitre sur le développement durable qui reconnaît les principes généraux issus des conventions internationales – conventions de Rio, de l’Organisation internationale du travail et autres. Les parties s’engagent à développer leurs relations commerciales dans le respect tant des normes sociales et environnementales que des accords internationaux dans ce domaine.
De façon générale, la France et l’Europe portent des exigences environnementales et sociales fortes en matière de politique commerciale. En témoigne, par exemple, le schéma de préférences généralisées de l’Union européenne. Ce dernier récompense par des baisses de droits de douane les pays en développement ayant ratifié les principales conventions internationales relatives aux sujets précités, mais nul ne doute qu’il y a matière à réaliser bien des progrès dans ce domaine.
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour la réplique.
M. Joël Guerriau. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de votre réponse, qui montre que nous tentons de résister aux débordements qui se produisent au titre du libre-échange.
Lors de l’élaboration de l’accord sur la facilitation des échanges, la Chambre de commerce internationale avait affirmé que, de ce fait, le commerce mondial allait être stimulé de l’ordre de 1 000 milliards de dollars et que 21 millions d’emplois seraient créés. Nous restons dubitatifs.
Je ne voudrais pas que, derrière ce leurre, le libre-échange devienne le cheval de Troie visant à démanteler nos ambitions sociétales, en particulier en matière environnementale et sociale. Nous avons une coresponsabilité en la matière. Nous devons faire en sorte que les droits humains demeurent un élément indiscutable et non négociable des accords, afin que nos échanges s’effectuent dans le respect de l’humanité.
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour le groupe UMP.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ma question porte sur le système d’arbitrage investisseurs-État, sujet qu’a évoqué brièvement tout à l’heure notre collègue Bariza Khiari.
Avant même l’adoption du mandat de négociation sur le traité transatlantique, le Sénat avait fait part de son inquiétude sur ce point précis. Un tel système soulève en effet de nombreuses questions, en matière d’indépendance des arbitres, d’accessibilité de la justice, et in fine de droit des États à faire respecter les normes.
J’observe que, actuellement, les États-Unis sont les premiers investisseurs directs dans l’Union européenne, et réciproquement, sans aucun traité bilatéral.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Exactement !
M. Jean Bizet. Il est donc permis de s’interroger : en quoi ce système d’arbitrage investisseurs-État est-il si nécessaire ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Très bien !
M. Jean Bizet. Je relève aussi que les États-Unis ont déjà conclu des accords de libre-échange sans un tel mécanisme d’arbitrage avec l’Australie, Singapour et Israël. C’est aussi ce que font valoir nos partenaires allemands, par la bouche du ministre fédéral de l’économie, Sigmar Gabriel, et du ministre de la justice, Heiko Maas.
Pourtant, le mandat de négociation finalement adopté par le Conseil prévoit explicitement l’inclusion d’un tel mécanisme. Il assortit malgré tout son activation de conditions strictes. C’est ce qui a permis hier au président Juncker d’être très ferme devant le Parlement européen. Il a affirmé que l’accord final ne comporterait « aucun élément de nature à limiter l’accès des parties aux juridictions nationales ou qui permettrait à des juridictions secrètes d’avoir le dernier mot dans des différends opposant investisseurs et États. » Il concluait : « L’État de droit et le principe de l’égalité devant la loi doivent s’appliquer aussi dans ce contexte. »
Monsieur le secrétaire d’État, je ne peux que me féliciter de ces paroles, mais je reste inquiet. Croyez-vous possible de conclure un accord ambitieux avec les États-Unis qui ne prévoit pas d’arbitrage entre investisseurs et États ?
J’ajouterai, d’une façon beaucoup plus générale, que les traités commerciaux ne prévoient que l’information du Parlement européen sur la négociation d’un accord commercial par l’Union. Pourtant, le traité de libre-échange transatlantique, le TTIP, parce qu’il sera un accord mixte, devrait être ratifié non seulement par le Parlement européen, mais aussi par les parlements nationaux. Il serait donc légitime de tenir ces derniers pleinement informés à toutes les étapes de la procédure. Quels engagements pourriez-vous prendre aujourd’hui à cet égard envers le Sénat ? (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, votre question est importante, je dirai même stratégique, et porte sur deux points, dont le premier est la transparence.
Vous le savez, le Gouvernement a demandé à la nouvelle Commission européenne de travailler dans la plus grande transparence par rapport aux États lui ayant donné mandat. Ceux-ci, du moins la France, ont bien l’intention de faire en sorte que leur soient communiqués, étape après étape, les divers éléments d’information. Au final, évidemment, le Parlement national aura son mot à dire sur la validation ou non du traité en cause.
J’en viens maintenant au mécanisme de règlement des différends.
Comme vous le savez également, la France a déjà conclu plus de cent accords bilatéraux de protection des investissements avec des pays tiers comportant un mécanisme d’arbitrage international afin de préserver les intérêts de nos entreprises qui investissent à l’étranger. Chaque fois, ces accords ont évidemment été soumis au Parlement, qui n’a trouvé en la matière aucun risque de perte de souveraineté. Encore fallait-il que les choses soient dûment calibrées et précisées.
Ces accords peuvent être un enjeu de compétitivité et de développement de nos entreprises à l’international.
S’agissant plus particulièrement du traité avec les États-Unis, ce sujet fait débat depuis le début, et vous ne l’ignorez pas, la France n’était pas demandeuse en la matière. Le mandat de négociation prévoit que les États membres peuvent décider d’inclure ou non le mécanisme précité dans le TTIP au regard des critères de transparence, d’impartialité et de respect des droits des États à réguler.
Par conséquent, au cours de la négociation et jusqu’au terme de celle-ci, nous gardons la totale souveraineté de nos décisions sur ce point, notamment en ce qui concerne le contrôle des investissements.
J’ai noté avec satisfaction, comme vous, les propos tenus hier par le nouveau président de la Commission européenne, M. Juncker. Il a posé des conditions très strictes à l’introduction d’un tel mécanisme dans l’accord avec les États-Unis. Je souhaite que, au Conseil, les débats sur le maintien ou non de l’ISDS – investor-state dispute settlement – dans le TTIP s’engagent sur cette base, qui comporte à la fois un mandat d’exigence pour notre négociateur et un enjeu de souveraineté pour notre pays.
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour la réplique.
M. Jean Bizet. Monsieur le secrétaire d’État, je prends note des informations que vous avez bien voulu nous livrer.
D’abord, en ce qui concerne l’information du Parlement et le débat qui pourrait avoir lieu en son sein, je me permets de vous le rappeler, j’apprécie la façon dont ce type de discussions peut s’engager avec les parlements nationaux dans les pays d’Europe du Nord. Une telle pratique permettra in fine, sans doute dans un certain nombre d’années, de cristalliser quelque peu les négociations. Je souhaite que les parlements nationaux puissent définir un mandat qui sera ensuite exécuté par le commissaire européen chargé du commerce extérieur, à l’heure actuelle Mme Cecilia Malmström. Nous faillirions à notre mission si nous n’adoptions pas une telle architecture.
Ensuite, s’agissant de l’ISDS, vous avez souligné, en réponse à la question posée par Joël Guerriau, que le multilatéralisme ne se portait malheureusement pas bien au sein de l’OMC. En revanche, l’organisation et le fonctionnement de l’organe de règlement des différends ont jusqu’à présent toujours donné satisfaction. Nous pourrions peut-être nous en inspirer, au lieu de créer un système supplémentaire par le biais des ISDS.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour le groupe du RDSE.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le secrétaire d’État, voilà un mois, la Commission européenne est parvenue à un accord de libre-échange avec le Canada. À l’instar de mes collègues, mes pensées vont vers le peuple canadien qui a subi hier des violences inacceptables.
Cet accord prend acte de l’ouverture d’un contingent à droits de douane nuls de 50 000 tonnes en faveur des viandes bovines canadiennes. Prochainement, plusieurs centaines de milliers de tonnes de viandes bovines en provenance des États-Unis et des pays du Marché commun du Sud, le Mercosur, pourraient arriver, dans les mêmes conditions douanières, sur le sol européen et dans l’assiette de nos consommateurs.
Il s’agit bien évidemment d’une viande extrêmement compétitive, puisqu’elle est produite selon des systèmes fondés sur la seule rentabilité et bénéficiant d’une quasi-absence de réglementation des conditions de production, ce qui n’a rien à voir avec les normes en vigueur de ce côté de l’Atlantique.
On mesure l’incidence considérablement négative qu’auraient de telles importations sur la production européenne et sur le revenu des éleveurs.
Monsieur le secrétaire d’État, dans les accords de libre-échange, il ne suffit pas de classer la viande bovine au sein de la catégorie des produits sensibles ! Il faut faire davantage pour protéger nos producteurs et pour maintenir une viande bovine de qualité pour nos consommateurs.
En clair, la viande bovine ne doit pas servir à l’Europe de monnaie d’échange pour obtenir mieux ou plus dans d’autres secteurs considérés comme prioritaires. Il faut bien le mesurer, ce qui est en jeu, c’est le maintien d’une filière bovine européenne et française rentable et d’excellence. C’est aussi de l’emploi des éleveurs français qu’il est question !
Le Gouvernement français a-t-il pris la mesure de ce qui se joue pour la filière bovine française avec les accords de libre-échange ? A-t-il l’intention de s’engager auprès de la Commission européenne en faveur d’une exclusion de la viande bovine de ces accords ? (Mme Marie-Noëlle Lienemann et M. André Gattolin applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.