M. Charles Revet. Ce sont plus que des regrets !
M. Jacques Mézard. Des critiques !
Mme Carole Delga, secrétaire d'État. Je renouvelle mes remerciements à M. le rapporteur pour le travail accompli en peu de temps. Sur ce sujet dont la forte sensibilité est connue, le Gouvernement, tout particulièrement Bernard Cazeneuve et moi-même, souhaite accompagner le Parlement pour que des résultats rapides soient obtenus.
C’est bien pourquoi nous souhaitons un vote conforme sur ce texte. Nous avons le sentiment qu’il est nécessaire que les règles permettant une concurrence saine, apaisée et équilibrée soient rapidement mises en place.
Porteur de créations d’emplois tout en étant protecteur des emplois qui existent, ce texte permettra de répondre aux besoins de mobilité des citoyens. Nous pensons qu’il y a une forme d’urgence à ce que ce cadre soit enfin fixé de façon durable et permette l’épanouissement de l’ensemble des offres de transport, conformément à leur vocation et en s’appuyant sur les moyens de communication actuels.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est bien là le sens de la position générale du Gouvernement sur cette proposition de loi qui vous est présentée cet après-midi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, jusqu’à présent, 2014 aura été une année difficile pour les taxis, une année de conflit, de tension, d’inquiétudes et de mobilisation face à l’émergence de la concurrence des VTC. Eh bien, faisons en sorte que 2014 soit aussi l’année de l’apaisement, l’année des solutions pour ce secteur si important non seulement pour les emplois, pour notre vie quotidienne, pour le tourisme, mais également pour la nouvelle conception de la mobilité durable que nous voulons promouvoir.
Il nous faut trouver tous ensemble, mes chers collègues, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, une solution durable pour un secteur dans lequel, j’aurai l’occasion de le redire, il y a de l’activité pour tout le monde.
M. Yves Pozzo di Borgo. Non, ce n’est pas vrai !
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. Bien sûr que si ! Les professionnels le disent eux-mêmes !
C’est notre responsabilité de législateur aujourd’hui.
Le 11 juin dernier, les taxis ont fait grève à Paris, mais aussi à Londres, à Rome ou même à Berlin pour protester en particulier contre la société américaine Uber, qui, via une application smartphone, met en relation des véhicules avec chauffeur et des clients, permettant à ceux-ci de géolocaliser les véhicules en temps réel. Ils protestaient notamment contre le service UberPOP, qui, sous couvert de covoiturage, permet à des particuliers d’exercer une activité de faux taxi tout en faisant payer les personnes transportées.
Ces VTC, qui aujourd’hui se développent de manière fulgurante, ont vu leur régime juridique assoupli en 2009 par la loi Novelli, vous l’avez souligné, madame la secrétaire d'État. Je le rappelle, la procédure d’immatriculation est purement déclarative auprès d’Atout France. Les conditions à respecter, pour les chauffeurs comme pour les véhicules, sont peu exigeantes, surtout si on les compare à celles qui pèsent sur les taxis.
Aujourd’hui – le décompte a lieu quasiment en temps réel –, on dénombre en France 7 745 entreprises de VTC. Il y en avait cinq fois moins voilà trois ans à peine.
Face à ce rapide accroissement, les procédures d’immatriculation de VTC ont été gelées au mois de février dernier, après que le juge des référés du Conseil d’État a suspendu le décret du 27 décembre 2013 relatif à la réservation préalable des voitures de tourisme avec chauffeur qui prévoyait un délai minimal de quinze minutes avant la prise en charge du client.
C’est en partie à cause de ce gel que nous avons été vigoureusement incités à adopter, sans tarder, la présente proposition de loi. Or j’ai été surpris de découvrir que 865 immatriculations avaient été délivrées par Atout France, la semaine dernière,...
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. ... le 15 juillet, c’est-à-dire la veille de l’examen de ce texte par la commission du développement durable.
M. Charles Revet. Voilà !
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. Je m’en suis aperçu au début de cette semaine. Je tiens à exprimer solennellement au Gouvernement mon très vif regret de ne pas avoir été informé plus tôt,...
M. Yves Pozzo di Borgo. Bravo !
Mme Anne-Marie Escoffier. Très bien !
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. ... alors même que nous avons eu depuis un grand nombre d’occasions de travailler sur ce sujet. Il me semble que cette information est essentielle à nos débats.
M. Charles Revet. Bien sûr !
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. En d’autres termes, je considère que l’argument de l’urgence due au gel des immatriculations, que j’avais avancé devant mes collègues en commission,...
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. ... pèse forcément moins aujourd’hui. (Bien sûr ! sur les travées du RDSE et de l'UDI-UC.)
Madame la secrétaire d'État, je souhaite donc que le Gouvernement nous donne des éléments d’explication plus précis, car il est de notre responsabilité, comme de la vôtre, de veiller à ce que la libération de ces immatriculations ne vienne pas trop brutalement déstabiliser un secteur déjà tendu. Nous y reviendrons.
Cela étant, le Premier ministre a confié au député Thomas Thévenoud une mission de concertation avec l’ensemble des professionnels du secteur, taxis comme VTC, afin de trouver des solutions pérennes à un conflit que l’on pouvait sans doute résumer de manière très simple : trop de rigidité et de contraintes pour les taxis ; une trop grande souplesse et trop peu de règles pour les VTC.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est par conséquent avant tout un texte d’équilibre. Les propositions du rapport Thévenoud, remis au mois d’avril dernier, avaient recueilli l’assentiment de tous les acteurs du secteur du transport léger de personnes, les taxis comme les VTC.
Dans tout compromis, une mesure vient en équilibre d’une autre. Le texte, tel qu’il avait été initialement déposé, était le reflet fidèle du rapport précité. Il a été examiné en première lecture par l’Assemblée nationale le 10 juillet et les avancées qui ont été adoptées respectaient globalement l’équilibre initial. Telle est la raison pour laquelle j’ai proposé, en commission, l’adoption du texte en l’état.
J’ai pris le temps d’analyser attentivement l’ensemble des points majeurs du texte issu des travaux de l’Assemblée nationale. J’ai rencontré tous les acteurs, organisé quatre tables rondes, entendu plus de quarante professionnels. J’ai acquis la conviction que, au fond, toutes les parties appréciaient la majorité des propositions formulées, tout en sachant que, en pareilles circonstances, il est courant d’essayer d’obtenir plus.
Aussi, à la suite de ces rencontres et compte tenu des évolutions qui ont été apportées par l’Assemblée nationale, j’ai considéré que le texte avait conservé le point d’équilibre – très important – atteint lors de la grande concertation du printemps dernier. De ce fait, il n’oppose pas les taxis aux VTC, ou l’inverse. Au contraire, il fixe des règles du jeu stables et équitables pour tous.
Si j’ai proposé la semaine dernière que la commission adopte en l’état la proposition de loi transmise par l’Assemblée nationale, je souligne que personne n’avait alors déposé d’amendement avant le terme du délai limite pour le dépôt des amendements, conformément à la procédure habituelle.
La commission n’a donc pas modifié la proposition de loi, mais de nombreux collègues m’ont interrogé sur certains points, en particulier sur le compromis mis en œuvre par le texte. Les questions sont nombreuses, car ce sujet est délicat et complexe.
Je souhaite par conséquent, mes chers collègues, vous apporter un certain nombre d’éclairages sur les points qui suscitent le plus de questions, voire parfois des polémiques. Certains d’entre eux sont quelquefois source de confusion ou font même l’objet de fausses informations. Vous avez donné, madame la secrétaire d’État, des précisions. Peut-être apporterai-je les mêmes, mais, en la circonstance, il ne me paraît pas négatif de rappeler ce que contient exactement ce texte.
Premier point : oui, le registre de disponibilité des taxis prévu à l’article 1er sera bien facultatif pour les chauffeurs de taxis. En outre, il sera contrôlé par l’autorité publique, qui garantira une protection des données personnelles. Un rapport permettra d’en évaluer l’utilité et de faire un bilan, mesure introduite par l’Assemblée nationale sur l’initiative du groupe UMP.
Deuxième point : oui, le texte s’attaque au problème essentiel du système de délivrance des licences. Il met fin au principe de cessibilité dans la mesure où toutes les nouvelles licences qui seront délivrées ne seront plus cessibles. Je rappelle que cette disposition a été préconisée dans tous les rapports – et ils sont nombreux – publiés depuis longtemps sur ce sujet : le rapport Rueff de 1959, le rapport Chassigneux, le rapport de la commission Attali, et j’en oublie certainement.
Toutefois, je vous rassure, mes chers collègues, afin de ne pas léser ceux qui se sont endettés pour acheter une licence, les licences déjà délivrées restent cessibles, mais elles doivent satisfaire à des conditions d’ancienneté prévues dans le texte et qui sont assez confortables.
Troisième point : la proposition de loi clarifie les différents statuts des chauffeurs tout en allant dans le sens d’un progrès social et humain. Il existe aujourd’hui trois statuts, un chauffeur pouvant être artisan, salarié ou locataire. Demain, il n’en subsistera plus que deux, car le texte supprime le statut de locataire, qui s’apparentait sur bien des points à ce que certains ont qualifié de forme d’esclavage moderne. Toutefois, pour que cette réforme ne soit pas trop brutale, elle a été aménagée.
Je balaierai maintenant les idées reçues, souvent relayées dans les médias, sur les articles relatifs aux VTC.
Premièrement, il est inexact d’affirmer que la géolocalisation est désormais interdite aux VTC. Vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État, et j’y ai été sensible. C’est bien la maraude électronique qui leur est interdite, dans la mesure où la maraude est, et doit rester, le monopole réglementaire des taxis. Les VTC pourront continuer à proposer une géolocalisation de leurs véhicules – c’est d’ailleurs l’un des éléments qui explique leur succès commercial rapide –, mais les éditeurs d’applications ne pourront plus permettre à leurs clients de héler électroniquement, si je puis dire, un véhicule à l’extérieur.
Deuxièmement, pour ce qui concerne la tarification des prestations de VTC, je tiens à rappeler que la tarification kilométrique est l’un des éléments centraux de l’activité de taxi, avec le compteur horokilométrique. Or, selon le droit en vigueur, les VTC peuvent facturer leur course au kilomètre parcouru. Le texte corrige cette anomalie en leur interdisant la tarification kilométrique. En revanche, il est important de maintenir la possibilité de tarifer à la durée. Les VTC, je pense en particulier aux VTC historiques de la grande remise, sont parfois amenés à effectuer des prestations sur plusieurs heures d’affilée, voire des journées entières, et il est nécessaire de leur laisser la possibilité de continuer à tarifer de cette manière et d’exercer leur profession. Par ailleurs, je vous rappelle qu’un décret devra fixer la durée minimale à partir de laquelle ce mode de tarification est possible. Cela constituera donc en pratique un garde-fou.
Troisièmement, j’évoquerai ce que l’on appelle couramment le « retour à la base arrière ». Même si cette expression ne figure pas dans le texte, elle est sous-entendue. Ce retour suscite de nombreux débats et fera l’objet, j’en suis sûr, d’une large discussion lors de l’examen des articles.
À la suite de l’adoption d’un amendement en fin de discussion en séance à l’Assemblée nationale, les VTC ont désormais l’obligation de revenir à leur siège social ou, comme vous l’avez rappelé très justement, madame la secrétaire d’État, dans un parking situé hors de la chaussée à l’issue d’une prestation. Cet amendement me semble participer de l’équilibre fragile trouvé par les députés sur la question sensible de la maraude. Ainsi que l’expliquait Thomas Thévenoud dans son rapport, il est difficile de considérer que les VTC ne sont pas en maraude lorsqu’ils circulent sur la voie publique, en attente de réservation préalable, et qu’ils sont rendus visibles aux consommateurs par des applications pour smartphones. La frontière est fine. Le retour à la base arrière permet de mieux faire la distinction entre les activités des taxis et des VTC. Nous aurons l’occasion de discuter de nouveau tout à l’heure de ce point important. Nous examinerons très attentivement les amendements qui seront proposés.
En conclusion, la remise à plat des règles applicables aux VTC dans cette proposition de loi est la conséquence logique d’une dérégulation poussée à l’excès dans la loi Novelli que le législateur de l’époque n’avait probablement pas pu ou su anticiper.
Les VTC sont les premiers à prôner une concurrence non faussée avec les taxis sur le marché de la réservation préalable. Le fait est que, aujourd’hui, ils opèrent dans un cadre réglementaire permettant un certain nombre de distorsions de concurrence en leur faveur. Le texte n’a pas d’autre objet que de remettre les compteurs à zéro, si je puis dire, et de rétablir l’égalité des armes entre les acteurs. Je suis convaincu qu’il y va aussi de l’intérêt et de la sécurité du consommateur.
Nous reviendrons sur tous ces points lors du débat que nous aurons dans quelques instants, mais je tenais, mes chers collègues, à vous apporter ces précisions liminaires. Je suis sûr que de nos échanges émergera une solution de bon sens, de celles que le Sénat a toujours à cœur de rechercher. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Charon.
M. Pierre Charon. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je commencerai par faire un compliment : cette proposition de loi est absolument nécessaire. En effet, depuis la loi du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques, il existe indéniablement un problème de rationalisation de l’offre de transport léger de personnes.
La proposition de loi qui nous est soumise doit donc garantir le bon développement des taxis et des véhicules de tourisme avec chauffeur et assurer une juste concurrence entre les deux acteurs.
Elle a été discutée à l’Assemblée nationale le 10 juillet dernier, après engagement de la procédure accélérée. Toutefois, l’urgence ne doit pas mener à la précipitation ! Malgré l’adoption de nombreux amendements, le texte est encore loin d’être parfait. Il demeure trop contraignant sur plusieurs points majeurs.
Et voici que, pour des raisons de circonstances, le Gouvernement veut faire adopter le texte au Sénat sans modification, donc sans véritable débat ! Mais pourquoi le Sénat renoncerait-il à son rôle de législateur en votant conforme un texte rédigé uniquement par l’Assemblée nationale ?
Ce texte contient des dispositions contraires à l’esprit d’entreprise. Il ne favorise pas le développement de l’emploi et de l’initiative individuelle, alors que, dans le même temps, le Gouvernement prétend redresser la situation économique.
Cette proposition de loi doit permettre de pacifier les relations entre les VTC et les taxis et de définir durablement des règles de concurrence justes entre ces deux acteurs.
Une loi trop vite rédigée et qui ne satisfait aucune des parties prenantes ne peut être perçue comme une bonne solution. En outre, rien ne justifie d’adopter le présent texte en urgence et de manière définitive avant la fin de la session, puisque les mesures qu’il prévoit n’entreront en application qu’au mois de mars 2015.
Le débat ne peut se limiter à une opposition entre des professions réglementées qui refuseraient de s’adapter et obtiendraient gain de cause afin d’éviter la concurrence et ceux qui se sont lancés dans de nouveaux moyens de consommation. La majorité des chauffeurs de taxis ont une réelle volonté de se moderniser et de s’adapter aux demandes des consommateurs. L’une des professions considérées n’a pas tous les torts. Il faut donc faire en sorte que toutes deux puissent cohabiter justement, toujours au bénéfice des consommateurs.
Si certaines sociétés de VTC étrangères pratiquent une concurrence déloyale, il faut l’éviter et faire en sorte qu’elles appliquent la loi. La stigmatisation de certains ne doit pas faire oublier les développeurs français vertueux comme LeCab, SnapCar, Chauffeur-Privé, AlloCab ou Supershuttle.
La liberté d’entreprendre doit être préservée avant tout. Si les VTC disposent effectivement d’outils électroniques et d’une réglementation qui leur confèrent un avantage concurrentiel indéniable sur les taxis, ces derniers ne semblent pas s’être adaptés assez rapidement à l’ère numérique.
Les membres du groupe UMP partagent donc l’avis des auteurs du texte pour ce qui concerne la modernisation de l’activité de taxi.
Nous sommes notamment tout à fait favorables à l’article 1er, que vous avez évoqué, monsieur le rapporteur, qui vise à créer un registre de disponibilité des taxis, et à l’article 1er bis, qui permet le paiement par carte bancaire dans les taxis.
Cela étant dit, cette proposition de loi instaure de nombreuses règles supplémentaires et des contraintes, alors qu’il faudrait au contraire plus de liberté et de flexibilité. Alors que les dispositions concernant les taxis sont généralement favorables aux consommateurs, les VTC sont en l’espèce malmenés. Vous voudriez tuer la profession que vous ne vous y prendriez pas autrement !
Une disposition, qui fait débat au sein même de votre gouvernement, introduit une restriction générale à la liberté d’aller et venir des VTC et de leurs chauffeurs.
L’obligation faite aux VTC de rejoindre le lieu d’établissement de leur exploitant ou un lieu de stationnement hors chaussée après chaque prestation est inacceptable.
Cette mesure qui leur est imposée est une contrainte que leurs concurrents directs sur le marché de la réservation au préalable ne subissent pas, les taxis utilisant des centrales radios.
Outre qu’elle les rend moins efficaces, la mesure entraîne pour les VTC l’engagement de coûts supplémentaires qui rendra leur activité impraticable.
Il convient de rappeler que le Conseil constitutionnel a clairement souligné l’anticonstitutionnalité d’une interdiction générale de stationnement sur la voie publique pour les motos taxis.
Et n’oublions pas cette disposition ubuesque, qui précise qu’un VTC ne peut « s’arrêter ou stationner sur la voie ouverte à la circulation publique, à l’abord des gares et des aérogares, ou, le cas échéant, dans l’enceinte de celles-ci, au-delà d’une durée, fixée par décret, précédant la prise en charge de clients. » Elle empêchera, comble de l’absurde, les VTC de s’arrêter pour laisser descendre leurs clients avant d’honorer la réservation suivante !
Il n’est vraiment pas raisonnable d’adopter, en l’état, ce texte !
En réalité, cette proposition de loi touche à des domaines variés : le pouvoir d’achat des clients, pour qui le prix est une composante essentielle dans le choix du mode de transport, l’emploi et l’attractivité de notre pays. Les modes de transport constituent en effet le premier contact avec la France des touristes et hommes d’affaires en déplacement.
À dire vrai, la manière dont nous traitons ce sujet est surtout révélatrice d’une certaine conception de la concurrence, de la liberté d’entreprendre et de l’innovation.
Le développement des VTC n’a jamais constitué un frein à celui des taxis, ces deux modes de transport étant complémentaires. Le développement des deux acteurs est bon pour l’emploi et pour les usagers.
Nous sommes tous dans cette enceinte confrontés à la pénurie de l’offre de taxis. Paris a aujourd’hui le plus mauvais ratio du nombre de chauffeurs par habitants, inférieur même à celui qui prévaut dans des villes de taille bien plus réduite.
Le contingentement du nombre de taxis a en outre empêché toute création d’emplois en trente ans.
À Paris, les deux tiers des taxis fonctionnent aujourd’hui sur réservation. On dénombre 14 000 abonnés à un système de radio-taxi, et le Sénat en sait quelque chose ! Un tiers des taxis seulement pratiquent la maraude.
La conséquence pour le consommateur est la cherté de la course.
À Londres, où les VTC se sont beaucoup développées, 20 % des citoyens les plus défavorisés utilisent les taxis et minicab une fois et demie plus que 20 % de ceux qui sont plus favorisés. Parce qu’ils y ont accès, les plus défavorisés font le choix de recourir au taxi plutôt que de posséder une voiture, qui leur coûterait plus cher.
Or le taxi parisien est à ce jour un service destiné aux plus aisés !
Si l’offre de taxis et de VTC augmente, les Parisiens en useront. Les déplacements seront alors plus rapides et pratiques ; ils généreront moins de pollution et une circulation plus fluide.
Il existe en France dix acteurs majeurs du VTC ; ils ont environ 3 500 voitures et 50 % des chauffeurs sont des professionnels reconvertis.
Ces entreprises créent de l’emploi et assurent à leurs chauffeurs une rémunération honorable. Pour ne citer qu’un exemple, plus de 400 emplois ont été créés par la société LeCab en un an et demi. On peut raisonnablement estimer à 10 000 les créations d’emplois dans les cinq ans.
Ne nous empressons pas de tuer ce qui marche, notre pays ne peut se le permettre !
Pour toutes ces raisons, les membres du groupe UMP voteront contre ce texte, s’il n’est pas raisonnablement modifié. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la présente proposition de loi nous est soumise à la suite de la décision du Conseil d’État d’annuler le décret qui obligeait les VTC à attendre quinze minutes avant de prendre en charge un client.
Devant l’émotion soulevée par cette décision, le Premier ministre d’alors a souhaité une concertation, et c’est le travail issu de cette concertation qui nous est proposé. Il est de coutume de se féliciter des concertations. Encore faut-il relever, dans le cas présent, que chacune des parties regarde ce texte avec circonspection et crainte.
Aussi peut-on s’interroger : l’équilibre instable revendiqué existe-t-il vraiment ? J’incline au contraire à penser que ce texte, dans son état actuel, entérine plutôt un déséquilibre.
En fait, l’exercice qui a été tenté par notre collègue député Thomas Thévenoud s’apparente sans doute à une tâche irréalisable. Essayer de concilier chacun des acteurs de la mobilité sans revoir l’architecture globale du système, c’était mission impossible.
Car c’est bien ainsi que la question aurait dû être posée. Il ne devrait pas s’agir, me semble-t-il, d’être pour les taxis et contre les VTC, ou l’inverse. Nous devrions considérer la question de la mobilité à l’échelle de la métropole. Et nous souvenir que taxis et VTC remplissent deux missions complémentaires, donc différentes.
Les VTC sont un système de location de véhicule avec chauffeur. Du reste, cette complémentarité est reconnue s’agissant des anciennes voitures de grande remise, qui constituent une part des VTC actuels. Mais le monopole des taxis est battu en brèche en raison de deux problèmes : d’une part, ils ne sont pas assez nombreux pour répondre à la demande ; d’autre part, la concurrence se développe au travers de certains VTC, qui répondent notamment par l’utilisation des nouvelles technologies à une demande réelle d’une offre plus moderne.
Le développement rapide des VTC montre qu’ils satisfont les nouveaux besoins de services et les nouvelles attentes de la clientèle, en France comme dans d’autres pays. On notera que d’autres modes de transport de particuliers se développent, tels que Autolib’, Vélib’ ou le covoiturage. Faute d’avoir pu s’adapter aux moyens technologiques modernes et en raison d’une qualité de service parfois perfectible, les taxis traditionnels n’ont pas su totalement répondre à cette nouvelle demande de mobilité.
Il faut le rappeler : si un monopole remplit sa mission, il n’est pas question de le remettre en cause. Mais si un besoin de modernisation de l’offre se fait sentir et qu’il n’est pas suffisamment pris en compte, alors ce monopole risque de se trouver remis en cause, si ce n’est en droit, du moins dans les faits. La demande de mobilité et le besoin d’une offre renouvelée de mobilité sont en effet des réalités.
Avouons que la réglementation qui régit encore la profession des taxis est assez largement surannée. Le rapport Armand-Rueff de 1959 soulignait déjà que « la limitation réglementaire du nombre de taxis nuit à la satisfaction de la demande » ! Ce que l’horrible rapport Attali, souvent fustigé, n’a fait que confirmer en 2008.
Les métropoles mondiales nous montrent la voie de l’effort à accomplir : le nombre des taxis et des VTC est plus élevé tandis que celui des voitures individuelles est plus faible dans les métropoles mondiales où la mobilité est bien assurée. C’est le cas à New York ou à Londres ; les chiffres en attestent. En réalité, les VTC mettent en cause la voiture individuelle, pas le taxi.
Il faut bien sûr engager une remise à plat globale. Au lieu de cela, la présente proposition de loi me paraît être un cautère sur une jambe de bois. On évite toute réforme globale ; on choisit la réglementation et la contrainte dans un secteur déjà hyper-réglementé, alors qu’il aurait fallu introduire plus de flexibilité et de liberté ; on répond à la pression des taxis en essayant de limiter les concurrents possibles, leur laissant croire que c’est une planche de salut alors que c’est au contraire boucher leur propre horizon. Il y a un avenir pour les taxis, mais pas celui que vous dessinez, fait de faux-semblants.
L’avenir passe d’abord par une adaptation des taxis eux-mêmes aux besoins des utilisateurs d’aujourd’hui. Malheureusement, la présente proposition de loi laisse de côté le problème de fond pour essayer de contenter tout le monde.
Au contraire même, elle instaure, sur deux sujets, des dispositions tout à fait contestables : je pense à la géolocalisation et à la question du retour à la base.
Madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, je vous invite à évoluer sur ces deux points, sur lesquels des amendements ont été déposés. L’équilibre du texte issu des travaux de l’Assemblée nationale n’est pas tenable.
Cela dit, nous regrettons bien sûr les conditions d’élaboration et d’examen de cette proposition de loi. Je regrette, madame la secrétaire d’État, que vous ayez, tout à l’heure, au début de votre intervention, souhaité un vote conforme du Sénat, et que vous vous soyez réjouie du grand open data que vous créez. En fait, il s’agit surtout de capter une technologie et d’interdire à une profession de l’exercer. Ce n’est pas, me semble-t-il, la meilleure façon d’engager le débat avec la Haute Assemblée. L’engagement de la procédure accélérée constitue donc pour nous un problème. Exiger que le Sénat, en quelques jours, se saisisse de ce texte ne nous paraît pas acceptable,…