M. Daniel Reiner. C’est faux !
M. Gérard Longuet. … est un coup de force qui ne répond à aucune nécessité !
Au fond, l’appel au référendum fait écho à la décision que le général de Gaulle avait eu le courage de prendre en 1969. Il n’était absolument pas tenu d’organiser un référendum ni de tirer les conséquences du résultat. Mais, sentant qu’il pouvait y avoir un décalage entre sa volonté de réforme et l’opinion, il avait choisi de s’en remettre au peuple.
Aujourd’hui, le Gouvernement n’a pas de majorité au Sénat, et n’a qu’une majorité contrainte à l’Assemblée nationale. Il en est de même pour cette réforme, qui n’est absolument pas comprise par l’opinion : des régions entières ont déjà manifesté, par sondage ou par l’intermédiaire de leurs élus, leur hostilité à des regroupements qui n’ont tout bonnement aucun sens. Certes, je le conçois aisément, l’appel au suffrage universel direct n’est pas la meilleure façon d’approfondir un texte (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.),...
M. Philippe Kaltenbach. Quel aveu !
M. Gérard Longuet. ... mais le problème est profondément politique. Vous imposez une réforme que les responsables des collectivités locales, riches de leur expérience et fiers de leur engagement, refusent. Vous voulez un passage en force alors que, très raisonnablement, rien dans l’actualité ne l’impose. C’est la raison pour laquelle le groupe UMP se rallie à une initiative de votre majorité.
Si vous avez des problèmes dans votre majorité, c’est à vous de les régler, pas à nous ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Monsieur le ministre, en m’adressant à vous, c’est au Gouvernement tout entier que je m’adresse. Nous sommes un certain nombre à être en contact avec les élus locaux ; je vous dois la vérité, vous donnez le tournis à la France des territoires !
Vous nous aviez promis une grande loi. Dans les faits, nous n’avons rien vu de tel. Vous avez ensuite annoncé trois lois. L’une d’entre elles a été votée, rétablissant la clause de compétence générale. L’encre n’était pas encore sèche que vous déclariez vouloir la supprimer !
Nous avons entendu le Président de la République nous dire : « Jamais nous ne toucherons aux départements. » Et nous apprenons à présent que vous voulez les supprimer !
Ce qui est certain – et les élus locaux l’ont bien compris –, c’est que les dotations aux collectivités territoriales baisseront de 11 milliards d’euros, c’est-à-dire de 20 %.
Monsieur le ministre, je crois qu’il y a urgence à calmer le jeu. Or votre réponse relevait tout à l’heure plus de la polémique que de la volonté d’adopter une attitude responsable face à l’inquiétude des élus locaux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Didier Guillaume. Nous sommes très responsables ! Nous aussi sommes en contact avec les élus locaux, il n’y a pas que vous !
M. Dominique de Legge. Il ne s’agit pas d’une catégorie socioprofessionnelle particulière. Ce sont des concitoyens dévoués, au service des territoires. Pourtant, avec cette réforme à laquelle on ne comprend rien – en attendant que vous en annonciez une nouvelle, tout aussi contradictoire que les précédentes… –, vous les méprisez totalement. Il faut redonner la parole au peuple ! (Nouveaux applaudissements sur les travées de l'UMP. – Nouvelles exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, les talents que chacun s’accorde à vous reconnaître ne peuvent racheter ce mauvais texte, malgré les efforts méritoires qui ont été les vôtres. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)
M. Didier Guillaume. Il était excellent !
M. Jean-Pierre Chevènement. Nous vous avons entendu avec intérêt rappeler le distique qu’Edgar Faure composa jadis – sous mes yeux, dois-je dire : il était président du conseil régional de Franche-Comté – : « On ne vit que pour un instant ; le reste du temps, on attend. » (M. le ministre acquiesce.)
Que le Gouvernement ne s’inspire-t-il pas de cette sage philosophie,…
M. Gérard Longuet. Qu’il attende !
M. Jean-Pierre Chevènement. … qui ne vous est pas revenue par hasard à l’esprit,...
M. Bruno Sido. C’est l’effet boomerang !
M. Jean-Pierre Caffet. Éloge de l’immobilisme…
M. Jean-Pierre Chevènement. ... en prenant le temps de la réflexion, du débat, pour parvenir à une réforme territoriale réussie, ce que nous souhaitons tous !
Pour qu’il en soit ainsi, il faut que cette réforme procède d’une vue d’ensemble et tienne compte de facteurs essentiels, au premier rang desquels se trouve l’histoire.
L’organisation du territoire n’est pas la même selon les pays, qu’il s’agisse de l’Allemagne, de l’Espagne, du Royaume-Uni, de l’Italie, de la France, etc. N’entrons pas dans ces considérations.
La démocratie constitue un autre de ces facteurs essentiels.
En France, la démocratie s’enracine dans le tissu très serré, très dense, des communes issues des anciennes paroisses que la Révolution a dotées d’un conseil municipal et d’un maire élu. Il a fallu attendre 1884 pour que l’élection des maires devienne définitivement la règle. La commune est la cellule de base de la démocratie, une petite République dans la grande, comme l’a rappelé le Président de la République lui-même.
C’est également de la Révolution que date la création des départements, auxquels la IIIe République naissante a donné les conseils généraux dans les tout premiers mois de l’année 1871, plus précisément au mois de janvier.
C’est sur ces bataillons d’élus représentatifs que la IIIe République naissante s’est appuyée. Ai-je besoin de rappeler les « couches nouvelles » de Gambetta ? Ce vivier d’élus est toujours là : il est pour le Gouvernement le meilleur recours contre les privilèges de l’argent. En effet – faut-il le rappeler ? –, ces élus si décriés sont l’émanation du suffrage universel.
Ne sacrifiez pas ce riche héritage à des impulsions venues de je ne sais où. Qui a eu l’idée de cette réforme ? Qui l’a pensée ? J’ai posé la question, je n’ai jamais eu la réponse. Pourtant, je l’ai posée à qui de droit (Murmures sur les travées de l'UMP.)…
Vous le savez bien, en dehors du sentiment d’appartenance, fondateur du civisme, la démocratie tient au besoin de proximité, qui doit être conciliée avec l’efficacité. En la matière, il n’y a pas de règle : il faut trouver les points d’équilibre. La France, par sa superficie, est le plus grand pays d’Europe. Elle compte donc beaucoup de communes et, pour lutter contre cet émiettement, la solution a été trouvée : c’est l’intercommunalité.
Mme Jacqueline Gourault. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. Bien entendu, il faut tenir compte des faits. La rigueur, le souci de réaliser des économies de gestion sont des considérations tout à fait respectables et pertinentes. Pourtant, très franchement, la réduction à 60 départements constituait une piste plus digne d’être explorée que la réduction du nombre des régions de 22 à 14. (Applaudissements sur quelques travées de l'UMP.)
M. Didier Guillaume. Allons-y ! En avant !
M. Jean-Pierre Chevènement. Je veux insister sur ce qui me paraît tout à fait raisonnable. L’intercommunalité permet de répondre à l’urbanisation de la France, tout en offrant une organisation rationnelle des espaces ruraux. Notre pays compte désormais des métropoles, créées avec le soutien du groupe du RDSE.
Si l’intercommunalité est une bonne chose, il ne faut pas durcir excessivement ses règles. Monsieur le ministre, est-ce vraiment une bonne l’idée d’élever le seuil de la population de 5 000 à 20 000 ?
M. Gérard Longuet. Non !
M. Jean-Pierre Chevènement. Au-delà de 30 communes, nous le savons, il n’y a plus de démocratie possible. Par conséquent, c’est un seuil de nombre de communes qu’il faut fixer, et non un seuil démographique ; cela n’a pas de sens ! En revanche, regrouper les intercommunalités pour que, à l’échelon des départements, des conseils élus puissent exprimer la voix du peuple, c’est le bon sens !
Nous sommes fiers de la décentralisation réalisée par Gaston Defferre, Pierre Mauroy et François Mitterrand. Qu’en resterait-il si nous gardions les départements en nous privant des conseils élus ? Il en est de même pour les régions : elles gagneraient à procéder des départements. Nous pouvons recomposer notre démocratie à partir de la base.
Vous le savez, la fusion des régions est très problématique. Elle se fait sans aucun enthousiasme. Il me semble que la concertation et le débat devraient être partout la règle, et nous déminerions utilement le terrain de la réforme territoriale si nous organisions des assises. C’est la raison pour laquelle nous vous demandons de prendre le temps de la réflexion.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Jean-Pierre Chevènement. Cette motion référendaire répond au souci d’une réforme territoriale réussie. Il faut que le Gouvernement prenne le temps de revoir sa copie. C’est ce temps que nous voulons lui donner en présentant et en soutenant cette motion référendaire. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UMP. – M. Pierre Laurent applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Moi non plus, je ne suis pas un adepte des procédures, pas plus que des tergiversations du reste…
Monsieur le ministre, vous avez tenu des propos très provocateurs vis-à-vis de ceux qui ne pensent pas comme vous. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)
Un sénateur du groupe socialiste. Il vient de naître !
M. René-Paul Savary. Ce débat montre bien la conception que l’on peut avoir de la démocratie et du respect que l’on porte aux élus locaux, c’est-à-dire à ceux qui sont au service de nos concitoyens.
Certes, on peut appréhender de différentes façons l’organisation territoriale, mais on ne saurait en aucun cas partager votre vision, qui est celle d’une désorganisation !
Certains ont prôné une conception verticale, incarnée par le conseiller territorial. Celui-ci rapprochait départements et régions, maintenait la proximité et permettait que des avancées soient réalisées, notamment grâce aux départements chefs-lieux de région, souvent situés à quelques centaines de mètres des hôtels de département et de région. La préfecture, le conseil général, le conseil régional,…
M. Bruno Sido. Le rectorat !
M. René-Paul Savary. … quand ils sont proches, travaillent encore plus efficacement ensemble.
D’autres ont préféré une conception horizontale, avec de grandes régions, ce qui suppose une structure de mutualisation, de proximité, d’expertise. Pour contrebalancer l’éloignement induit par la taille des régions, le département est maintenu.
Votre système est bancal : il imprime un mouvement de recentralisation et non de décentralisation. C’est la raison pour laquelle on n’est pas enclin à y adhérer. Vous voulez construire la maison avant même de savoir combien de pièces seront nécessaires ou quelle famille l’occupera !
Il est bien difficile de donner une dimension aux régions sans connaître à l’avance les compétences qui lui seront dévolues. Si l’on décide de créer de grandes régions stratégiques, à l’instar de ce qui se passe chez certains de nos voisins, pour leur confier la gestion de bouts de routes départementales ou de collèges, ou pour leur affecter un nombre de collaborateurs trop important, cela entraînera inévitablement un coût supplémentaire.
Cette réforme est bancale. Elle l’est tant sur le plan financier qu’en termes de conception organisationnelle et de démocratie locale. C’est la raison pour laquelle, moi qui n’étais pas au départ favorable à cette procédure, je soutiens avec vigueur cette motion référendaire ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n’ai pas relevé toutes les incohérences que j’ai entendues, parce qu’il y en a d’un côté comme de l’autre. J’avoue aussi ne pas être un religieux du référendum.
M. Jacques Legendre. Un religieux ?
M. François Fortassin. Il n’en reste pas moins que ce dispositif est inscrit dans la Constitution et qu’il est des moments dans la vie politique où celui-ci se révèle utile.
En l’occurrence, cette réforme est tout sauf anodine. Qui plus est, elle est très mal comprise.
Il n’est qu’à la comparer avec la décentralisation de Gaston Defferre, qui, elle, avait été très bien entendue. En effet, sa finalité était simple : il s’agissait de rapprocher les citoyens utilisateurs de l’élu décideur. Il y avait une colonne vertébrale. Dans cette réforme, on la cherche vainement.
Monsieur le ministre, j’entends bien que vous êtes prêt à accepter un certain nombre d’amendements, et nous reconnaissons sans réserve cette bonne volonté. Pour autant, cela ne suffira pas à donner une colonne vertébrale à ce texte.
Par ailleurs, il est normal que les habitants des Hautes-Pyrénées, qui sont enclavés par le département voisin des Pyrénées-Atlantiques et qui pourraient se retrouver, sans être consultés, rattachés à la région Languedoc-Roussillon, aient le sentiment d’être floués.
C’est la raison pour laquelle je voterai avec enthousiasme cette motion référendaire. Je peux admettre qu’un certain nombre de mes collègues n’aient pas le même point de vue que moi. Pour autant, en l’état actuel des choses, il est très difficile de considérer que les uns ont raison, quand les autres sont des passéistes ou des attardés … pour ne pas dire des attardés mentaux. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le ministre, vous venez de nous donner une leçon de cohérence. Pour ma part, j’ai combattu les réformes présentées par la droite sous les applaudissements, à l’époque, de mes camarades de gauche. Je combats aujourd’hui des réformes du même esprit, et je suis applaudi par la droite ! Est-ce moi qui suis incohérent ?
Finalement, ce qui me gêne peut-être le plus, c’est que j’ai contribué – certes modestement – à l’installation au pouvoir du Président de la République et du gouvernement actuels.
J’avais bien quelques doutes depuis un certain temps, mais ce fut tout de même un choc pour moi de découvrir que le nouveau gouvernement, malgré le changement, maintenait la même politique !
L’incohérence ne se situe donc peut-être pas là où vous pensez l’avoir trouvée, monsieur le ministre.
Quant à l’étude d’impact et aux arguments qui ont été avancés à son sujet, je crois d’abord que l’on confond études sérieuses et rapports, lesquels se caractérisent tous, depuis le rapport Pébereau jusqu’au rapport Attali – et j’en passe ! – par une même idéologie, qui se déroule tel un fil rouge.
De surcroît, lorsque l’on s’aperçoit que, zone euro aidant, la France ne respecte plus les critères de Maastricht, on nous dit qu’il faut faire des économies !
Mais quel est donc le résultat des économies que nous avons engagées ? Quelle est l’évolution du chômage ? Quelle est l’évolution du déficit, y compris encore le mois dernier ? Pour le moins, le remède ne semble pas très efficace. Dès lors, peut-être pourrait-on s’interroger sur l’intérêt de réaliser des économies qui bloquent toute la machine économique, et se poser la question du bien-fondé de cette fameuse politique de l’offre.
En outre, personne ne m’a expliqué comment calculer les économies potentielles à attendre de la réforme des collectivités territoriales, l’essentiel étant de répéter à l’envi qu’il faut faire des économies !
Je ne pense donc pas être incohérent quand je demande des explications.
Vous nous dites que notre démarche est farfelue, au motif que si le Sénat juge déjà qu’il n’est pas suffisamment informé et que les études d’impact sont insuffisantes, il est peu probable que le peuple puisse se prononcer en parfaite connaissance de cause.
Mais le peuple est souverain, monsieur le ministre ! Et c’est précisément à lui de juger des questions délicates quand on ne sait plus où l’on va. Qu’il juge bien ou mal, il a en tout cas l’autorité pour le faire !
Si le débat sur la présente réforme n’avait pas été enclenché à la va-vite, s’il avait eu lieu dans d’autres circonstances, peut-être les choses se seraient-elles passées différemment. Mais encore eût-il fallu que nous disposions de tous les éléments d’appréciation.
Sans doute y a-t-il des réformes à faire. Mais elles ne se justifient certainement pas pour les raisons que l’on avance aujourd’hui, et ce n’est pas de cette manière qu’il faut les engager.
Pour ma part, je pense avoir eu une attitude cohérente depuis que je siège sur ces travées, et il me semble que tout le monde ne peut pas en dire autant ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, nous vous en avons souvent fait part, vous connaissez notre respect pour votre personne et votre action.
Vous défendez aujourd’hui un projet de loi que nous n’apprécions pas. Malheureusement, un excellent ministre ne saurait être l’arbre qui cache la forêt d’un mauvais texte ! (Sourires.)
Vous souhaitez que nous trouvions ensemble un chemin. Mais, pour cela, il faut savoir d’où l’on part et où l’on va. C’est la définition d’un chemin ! Et le moins que l’on puisse dire, c’est que vous n’avez fait aucun effort pour que nous puissions cheminer ensemble.
Vous avez, par ailleurs, fait référence au président Edgar Faure. Pour les radicaux que nous sommes, l’évocation d’Edgar Faure, de Maurice Faure et de tant d’autres qui ont siégé dans cet hémicycle – je pense aussi au président François Mitterrand, qui fut membre de notre groupe – nous rappelle un temps où le Sénat résistait à la force brutale du gouvernement en place.
Il ne semble toutefois pas qu’Edgar Faure ait été totalement convaincu par la position du président Gaston Monnerville – j’ai relu tous les discours prononcés par ce dernier lorsqu’il s’opposait à juste titre au gouvernement de l’époque – puisqu’il a finalement succombé aux sirènes du pouvoir pour entrer dans le gouvernement du général de Gaulle.
M. Roger Karoutchi. Ce n’était pas indigne !
M. Jacques Mézard. Je vous l’accorde, mon cher collègue, mais nous connaissons tous les qualités comme les faiblesses d’Edgar Faure.
Quoi qu’il en soit, monsieur le ministre, je retiens surtout de cette référence historique qu’il s’agissait d’une époque où le Sénat savait résister. Je suis de ceux qui considèrent qu’il est nécessaire que la Haute Assemblée sache résister quand elle conclut que le gouvernement ne va pas dans le bon sens. C’est cela le courage politique, quelle que soit la sensibilité à laquelle on appartient. C’est justement ce que nous nous efforçons de faire, quel que soit le gouvernement en place.
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Jacques Mézard. On me dit qu’il n’est pas très convenable de recourir à des manœuvres d’ordre procédural. Or nous ne nous livrons pas à des manœuvres. Mais si nous utilisons les moyens que la Constitution et le règlement du Sénat nous offrent, c’est d’abord pour vous signifier que la méthode employée ne nous semble pas être la bonne, parce qu’elle traduit un grand mépris du Gouvernement à l’égard de la démocratie parlementaire. Peut-être nous trompons-nous, car je connais vos idées républicaines et votre sens de la mesure, monsieur le ministre. Toujours est-il que c’est notre avis, et il est nécessaire que nous vous le fassions savoir.
On nous dit aussi qu’il n’est pas correct d’avoir déposé une motion référendaire. Le référendum doit être réservé à des questions essentielles, ai-je entendu. Mes chers collègues socialistes, je me souviens pourtant d’un temps pas si lointain où je signais avec vous une motion référendaire portant sur le projet de loi relatif à l’avenir de La Poste, sujet certes important…
Cela étant, quand on parle d’incohérences et de contradictions, monsieur le ministre, il faut faire attention. Nous incarnons pour notre part une tradition républicaine à laquelle nous sommes très attachés.
À propos d’incohérences, j’aurai le plaisir de vous rappeler lors de la discussion générale quelques citations extraites de discours que le Président de la République a prononcés à Dijon, Limoges ou Tulle, et de les mettre en relation avec le contenu du présent projet de loi. Je crois qu’il sera alors difficile de prétendre à une quelconque cohérence. C’est la réalité, et nous la connaissons.
Comment pouvez-vous nous inviter au débat alors que vous le verrouillez et que vous n’apportez aucune réponse aux questions légitimes que nous posons depuis quelques jours ?
Pour l’essentiel, le texte est à prendre ou à laisser. Je sais bien que vous accepterez in fine un amendement tendant au rapprochement du Limousin et de l’Aquitaine – on sait bien pourquoi ! –, et que vous consentirez peut-être à un ou deux autres efforts.
Mais, sur le fond, comme M. le Premier ministre l’a rappelé ce matin, la suppression des conseils généraux est programmée, sans aucune concertation possible. Or l’on ne peut pas traiter les territoires dotés de métropoles de la même manière que les territoires ruraux.
Les membres de mon groupe ne sauraient approuver un texte terriblement inquiétant, à la fois pour certains de nos territoires et pour la sensibilité que j’ai l’honneur de représenter. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à propos de cette fusée à deux étages qu’est la réforme territoriale – on parle du premier texte en pensant au second –, je voudrais livrer le regard d’un sénateur-maire rural sur les intentions du Gouvernement à l’endroit des structures qui font encore la force de la démocratie locale.
Je dois avouer avoir été, en qualité de membre de la commission spéciale, particulièrement stupéfait des arguments employés hier par les partisans de cette réforme.
Il y a, en premier lieu, la peur de tomber dans une sorte de « référendumite » aiguë en France, alors que le dernier référendum dans notre pays date de 2005, voilà neuf ans. Il concernait l’Europe et sa Constitution et ses résultats ont été foulés aux pieds, bafoués, anéantis. Quelle image de démocratie et de respect du peuple !
Il y a, en second lieu, la volonté de gagner du temps, alors que la réforme territoriale est bien trop importante pour n’en faire qu’une question de temps. Il s’agit bien, pour nous, d’une question de fond, qui remet en cause la démocratie de proximité gérée par les élus municipaux et départementaux.
En ma qualité de maire d’une commune rurale de 2 500 habitants, je sais que ce n’est pas la communauté de communes qui gérera correctement, à notre place, chaque heure et chaque jour, les questions touchant nos administrés, nos associations et notre patrimoine.
Depuis de nombreuses années, tout a été pensé pour supprimer nos communes au profit des communautés de communes ou des EPCI. Cela a commencé avec le coefficient d’intégration fiscale, dont la finalité était de transférer un maximum de compétences des communes vers les EPCI.
Aujourd’hui, le nouveau gadget s’appelle « mutualisation », et les menaces de réduction de la dotation globale de fonctionnement envers les récalcitrants doivent permettre de terminer le sale boulot.
Non, monsieur le ministre, nous ne voulons pas, nous les maires, devenir de simples administrateurs de politiques verticales, anti-décentralisatrices et décidées d’en haut. Nous voulons être des maires de plein exercice.
Le conseiller territorial était déjà une amorce de suppression homéopathique des départements. Le gouvernement actuel a supprimé le conseiller territorial, mais propose une mesure encore plus radicale en vidant les départements de leurs compétences d’ici à 2021.
À droite, comme au parti socialiste, il faut vite oublier et abandonner cette très mauvaise idée de supprimer les départements et les communes, que ce soit maintenant ou plus tard. En témoigne un sondage très récent réalisé dans les Côtes-d’Armor.
Même s’il s’agit du département du président de l’Assemblée des départements de France, il ne constitue certainement pas une exception. Quelques chiffres clés de cette étude doivent être retenus : 78 % des Costarmoricains se disent attachés à leur département et 84 % d’entre eux font avant tout confiance aux collectivités locales pour améliorer leur quotidien. Si 69 % pensent qu’une réforme de l’organisation administrative de la France est nécessaire – il faut donc faire quelque chose, mais pas ce qui est prévu dans la présente réforme –, 70 % sont opposés à la suppression de leur département et 75 % voudraient être consultés par référendum si le Gouvernement envisageait une telle suppression.
Voilà quelques semaines, Mme Marylise Lebranchu m’indiquait, à l’occasion d’une séance de questions d’actualité, que les communes n’allaient pas « tenir le coup ». Je suis désolé, mais elles en ont vu d’autres depuis la Révolution française, qu’il s’agisse des guerres ou des périodes de vaches maigres. Chaque fois, elles ont apporté la preuve que la meilleure des solidarités était bien celle qui était gérée dans la proximité immédiate.
Comment voulez-vous, monsieur le ministre, que, avec 11 milliards d’euros de moins demain, les collectivités locales investissent davantage ? Tournez-vous donc vers les prêteurs institutionnels et renégociez la dette de l’État si vous voulez trouver une bonne solution. Ne faites pas payer aux collectivités locales une addition dont elles ne sont pas responsables !
Enfin, à propos des regroupements autoritaires régionaux, de nombreux orateurs viennent de démontrer avec brio que ceux-ci relevaient davantage de l’amateurisme que de l’écoute des premiers concernés. Ces regroupements méritent à tout le moins un référendum pour respecter le peuple. Quant au second texte, qui entend décider du triste sort des communes et des départements, il mérite lui des milliers de référendums. Les maires que nous sommes et les présidents de conseil général ne manqueront pas de vous le rappeler, monsieur le ministre !
Telles sont les raisons pour lesquelles il faut voter la présente motion référendaire et montrer le chemin à l’Assemblée nationale.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. À mon tour, je vais tenter de convaincre mes collègues de la majorité de l’impératif démocratique qui commande de voter cette motion tendant à soumettre le présent projet de loi au référendum.
Monsieur le ministre, vous nous avez dit qu’il fallait laisser le Parlement débattre. Certes, mais cela ne doit pas nous interdire de nous demander au nom de quelle légitimité nous légiférons. Ceux qui nous ont permis de détenir la majorité dans cet hémicycle ont placé la réforme territoriale au cœur de leur mandat. Je rappelle en effet que le débat de 2010 n’est pas pour rien dans le changement de majorité intervenu au Sénat. Il est donc important que nous respections tant la parole que nous avons donnée lorsque nous combattions la réforme de la droite que le mandat populaire dont nous sommes porteurs.
Évidemment, l’argument est réversible. Vous l’avez d’ailleurs utilisé pour répondre à M. Retailleau. Au moins ce débat aura-t-il permis à ce dernier de faire un discours dont nous conserverons le compte rendu, et nous ne manquerons pas de rappeler à notre collègue les arguments qu’il a invoqués lorsque nous examinerons concrètement les articles du projet de loi.
Nous devons également nous interroger : cette réforme répond-elle à une demande du pays ?
Chers collègues socialistes et écologistes, en votant contre la motion référendaire, ne prenez-vous pas le risque de provoquer des réveils très douloureux ? Si l’argument du millefeuille territorial, qui a été beaucoup avancé et dont il a beaucoup été question dans les médias, impressionne peut-être une partie des Français – les sondages montrent cependant que c’est bien plus compliqué que cela –, il est néanmoins en train de s’effondrer, comme le montrent toutes les études. In fine, cette réforme ne permettra pas de réaliser les économies que vous promettez aux Français. Elle risque même de coûter très cher et de créer une grande pagaille.
Êtes-vous certains que les Français ont réellement compris les conséquences, évoquées par notre collègue Jean-Pierre Chevènement tout à l’heure, du fait de porter à 20 000 le nombre d’habitants des intercommunalités ? Êtes-vous certains que les Français qui vous ont donné mandat pour siéger dans cet hémicycle ont mesuré ce que signifie concrètement la disparition de la clause de compétence générale ? Vos électeurs ont-ils compris que, demain, les financements croisés rendront impossible la réalisation de tous les engagements que vous avez pris devant eux, qui plus est dans un contexte d’austérité budgétaire ? Telles sont les questions que nous voulons soulever en vous soumettant cette motion référendaire.
Nous souhaitons non pas bloquer le débat parlementaire, mais au contraire provoquer un réel débat de fond, démocratique, et nous donner du temps. Tel est le sens de cette motion.
Ce faisant, nous essayons une fois encore, et nous continuerons de le faire, de vous convaincre qu’il est grand temps d’entendre le pays. À ceux qui avancent l’argument du courage, je répondrai que le courage, c’est non pas d’aller droit dans le mur, mais de stopper le train fou de prétendues réformes, qui vont se solder par des échecs dramatiques. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)