Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la mission de contrôle de l’application des lois est importante pour la commission des finances.
Elle l’a été particulièrement en 2013, car, s’il faut reconnaître que nous sommes saisis au fond de relativement peu de textes par rapport à d’autres commissions – 18 % des lois promulguées cette année –, nous avons dû contrôler 40 % des textes d’application attendus, ce qui a représenté 190 mesures, contre 118 l’année dernière. C’est la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires, dite « loi bancaire », qui explique cette augmentation.
Sur ces 190 mesures attendues, 58 % ont été prises, contre 76 % l’année dernière. L’essentiel des mesures attendues, mais qui n’ont pas été prises, se rapporte à la loi bancaire, dont le taux de mise en œuvre, monsieur le secrétaire d'État, n’est que de 20 %. S’agissant des rapports d’application des lois, seuls quatre ont été remis ; il manque notamment celui qui est relatif à la loi bancaire. Sur vingt et un rapports demandés par le Parlement, dix sont toujours en attente.
Mes chers collègues, j’en ai terminé, non pas avec mon propos,…
M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Cela aurait été bien ! (Sourires.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … mais avec les chiffres.
Mme Nathalie Goulet. Déjà !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je lis une certaine désillusion sur les visages de nos collègues ! (Nouveaux sourires.)
Sur le fond, je souhaite formuler quelques remarques.
En premier lieu, et vous le savez bien, monsieur le secrétaire d'État, vous qui avez été un parlementaire très présent dans l’hémicycle du Palais Bourbon, un gouvernement, quel qu’il soit, met peu d’empressement à faire vivre des dispositifs qui n’ont pas été adoptés sur son initiative.
Mme Nicole Bricq. Tous les gouvernements agissent ainsi !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il en va ainsi, pour ne prendre que cet exemple, de l’intégration des sacs en plastique – plus particulièrement des sacs de caisse – au régime de la taxe générale sur les activités polluantes. Nous avons d’ailleurs l’intention d’y revenir par le biais d’un amendement lors de l’examen du prochain projet de loi de finances rectificative.
Mme Marie-Christine Blandin. Très bien !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. En deuxième lieu, nous avons assisté en 2013 à une innovation extraordinaire : la réintroduction par voie de circulaire – vous avez bien entendu, mes chers collègues : par voie de circulaire ! – d’une disposition de la loi de finances censurée par le Conseil constitutionnel, à savoir la prise en compte de revenus qui ne sont pas réellement perçus par le contribuable pour le calcul du plafonnement de l’impôt de solidarité sur la fortune.
Le Conseil constitutionnel a joué son rôle et a immédiatement réagi, mais j’ai voulu mentionner cette pratique, qui se situe à l’extrême limite de ce l’on peut imaginer.
En troisième lieu, certains rapports particulièrement attendus ne sont pas remis en temps utile au Parlement, voire ne sont jamais déposés. Ainsi, le « jaune » budgétaire sur l’application de notre réseau de conventions fiscales, attendu avec le projet de loi de finances pour 2014, n’a été remis que le 4 avril dernier et ne fournit aucune explication sur le retrait de la liste des États et territoires non coopératifs de Jersey et des Bermudes. Notre excellente collègue Nicole Bricq s’en souvient fort bien, qui fut très attentive à ces sujets dans le passé.
Nous attendons toujours l’annexe au projet de loi de finances relative à la mise en œuvre par l’administration fiscale des dispositifs anti-abus – par exemple en matière de prix de transfert – et de leur application aux filiales des entreprises françaises détenues à l’étranger, censée exister depuis 2009.
Je conclurai par quelques considérations relatives à la loi bancaire, dont je disais tout à l’heure que seuls 20 % des textes d’application avaient été pris. Et je formulerai cinq remarques.
Premièrement, comment s’explique ce faible taux, qui contraste avec l’importance politique que ce texte semblait revêtir à l’époque aux yeux du Gouvernement ?
Deuxièmement, les textes sur la résolution bancaire, c’est-à-dire sur la gestion des faillites bancaires, ont été pris rapidement, il faut le reconnaître. Monsieur le secrétaire d'État, est-ce dû à la situation spécifique de Dexia et du Crédit immobilier de France ?
Troisièmement, c’est demain mardi, le 1er juillet 2014, que doit commencer le recensement des activités qui devront être filialisées au sein des groupes bancaires. Or le décret d’application n’a pas été publié.
Mme Nicole Bricq. Exact !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le secrétaire d'État, sur quelles bases cette filialisation va-t-elle pouvoir se faire ?
Mme Nathalie Goulet. Quel suspense ! (Sourires.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Quatrièmement, nous attendons toujours le texte réglementaire relatif à la publication dès 2014 de certaines données portant sur la transparence des activités pays par pays. Ce texte avait été demandé en particulier par vos amis politiques, par vos collègues et camarades de groupe à l’Assemblée nationale… On l’attend toujours. Quand ces données seront-elles publiées ?
Cinquièmement, et enfin, la loi bancaire comportait une disposition qui préparait les banques à la collecte des informations relatives à la mise en œuvre de l’accord avec les États-Unis relatif à la loi américaine FATCA, c'est-à-dire Foreign Account Tax Compliance Act.
Mes chers collègues, si cette législation américaine prévoit que la première transmission de données aura lieu en septembre 2015, celle-ci portera sur des données collectées à compter du 30 juin 2014, c’est-à-dire aujourd’hui même. Or, à ce jour, lundi 30 juin, le projet de loi de ratification de l’accord n’a toujours pas été présenté en conseil des ministres. Il n’y a donc pas, monsieur le secrétaire d'État, de fondement juridique à la collecte de ces données.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le calendrier de ratification et sur la manière dont pourra être comblé ce vide juridique en matière de collecte des données entre le 30 juin 2014 et la date de ratification de l’accord ?
Cette question, mes chers collègues, n’est pas purement formelle ; elle est hautement politique. (Mmes Nicole Bricq et Nathalie Goulet approuvent.) Je me permets de le souligner. On ne peut pas ne pas appliquer FATCA en raison du risque de retrait de leur licence américaine aux banques françaises. Chacun le comprend, avec la décision qu’attendait aujourd’hui BNP Paribas et que je persiste, à titre personnel, à considérer comme tout à fait scandaleuse.
Mme Nathalie Goulet. Un hold-up !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Toutefois, dans le contexte de ce contentieux, on peut se poser la question : est-ce vraiment le moment, monsieur le secrétaire d'État, de donner tout ce qu’ils veulent aux États-Unis, alors que ce pays se comporte comme s’il avait engagé ce que j’appellerai une guerre monétaire ?
Dès lors qu’ils peuvent imprimer et émettre autant de dollars américains qu’ils veulent, seule véritable monnaie de transaction dans le monde, ce pouvoir monétaire, cette suprématie des États-Unis doit-elle – peut-elle – être détournée à des fins de politique internationale et pour servir la puissance de ce pays, fût-il le plus puissant du monde ? Est-ce concevable, est-ce convenable ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, mes chers collègues, je pourrais vous dire que 92 % des lois promulguées au cours de la période de référence sont devenues applicables. Toutefois, bien entendu, ce pourcentage, comme bien d’autres, ne signifie à peu près rien. Pourquoi ? Parce que ces quatorze lois ne comportaient en tout que douze mesures d’application.
En revanche, ce qui a une signification, c’est l’importante charge de travail de la commission des lois. En effet, quoique certains des textes que nous avons examinés n’aient pas été promulgués au cours de la période de référence, si nous comptabilisons toutes les situations possibles, notre commission a examiné au cours de celle-ci 41 textes et produit 27 avis, dont 21 avis budgétaires.
Notre charge de travail est donc importante, mais nous ne nous en plaignons pas compte tenu de l’intérêt que nous prenons à notre tâche.
Mes chers collègues, plutôt que de vous faire un exposé exhaustif sur cette question, j’ai choisi, avec l’approbation de la commission, de ne traiter qu’un seul sujet, à savoir la mise en œuvre de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, un texte important.
Le premier point que je voulais aborder devant vous, parce que ce sont des problèmes extrêmement concrets, est relatif à la célébration d’un mariage entre un Français et un ressortissant d’un pays n’autorisant pas le mariage des personnes de même sexe et lié à la France par une convention bilatérale. Ce point a sans doute constitué la principale difficulté rencontrée au lendemain de l’adoption de cette importante loi.
Afin de garantir le droit de se marier à tout Français, y compris lorsque son futur conjoint est ressortissant d’un État qui ne reconnaît pas le mariage entre personnes de même sexe, la loi a introduit une nouvelle règle de conflit de lois – il s’agit de l’article 202-1, alinéa 2, du code civil – permettant d’écarter la loi personnelle de l’un des futurs époux qui n’autoriserait pas l’union entre personnes de même sexe.
Cependant, cette règle de conflit de lois peut être mise en échec, mes chers collègues, par application du principe de hiérarchie des normes. En effet, comme le rappelle la circulaire du 29 mai 2013, le deuxième alinéa de l’article 202-1 du code civil ne pourrait s’appliquer aux ressortissants des pays avec lesquels la France est liée par des conventions bilatérales qui prévoient que la loi applicable aux conditions de fond du mariage est la loi personnelle de chacun des époux.
Dans la dépêche du 1er août 2013 diffusée aux procureurs généraux, le ministère de la justice a précisé qu’une distinction pouvait être établie entre les conventions renvoyant expressément à la loi nationale de chacun des époux, qui ne pourraient être écartées, et celles qui ne visent que la situation des ressortissants français, qui pourraient donner lieu à une interprétation plus souple. Cette analyse a permis que soit envisagée favorablement la célébration des mariages concernant les ressortissants du Laos, du Cambodge, de l’Algérie et de la Tunisie.
C’est dans ce contexte que sont intervenues les premières décisions judiciaires sur ce sujet.
Le tribunal de grande instance de Chambéry a jugé, le 11 octobre 2013, que le droit au mariage pour les personnes de même sexe faisait désormais partie de l’ordre public international français, qui permet au juge d’écarter l’application d’une loi étrangère incompatible avec les valeurs et les droits fondamentaux français, malgré l’existence d’une convention internationale contraire à laquelle la France est partie.
Il a ainsi écarté l’application de l’article 5 de la convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire, qui prévoit que les conditions de fond du mariage doivent être appréciées au regard de la loi personnelle de chacun des époux, la législation marocaine interdisant le mariage des personnes de même sexe.
La cour d’appel de Chambéry a confirmé ce jugement dans un arrêt du 22 octobre 2013. Elle a considéré qu’il convenait d’écarter l’application de la convention franco-marocaine au profit des principes supérieurs du nouvel ordre public international, instaurés par la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Cette jurisprudence semble aller plus loin que l’interprétation de la règle de conflit de lois développée dans la dépêche du 1er août 2013. Cependant, sur l’initiative du parquet général, cette décision fait l’objet d’un pourvoi en cassation, dont on peut espérer que l’issue permettra de fixer la jurisprudence sur cette question.
J’appelle donc l’attention sur un problème très délicat : même si la loi française écarte l’application d’une loi étrangère, certains traités et conventions internationales sont en vigueur sur notre sol, ce qui crée un risque de conflit entre deux ordres de légalité.
La seconde question que je voudrais soulever concerne l’adoption par les couples de personnes de même sexe.
En effet, comme vous le savez, mes chers collègues, l’adoption est désormais ouverte sous toutes ses formes, dans les conditions prévues par le titre VIII du code civil, à tous les couples mariés, qu’ils soient homosexuels ou hétérosexuels.
À ce jour, les seuls cas d’adoption dont ont eu à connaître les tribunaux concernent des hypothèses d’adoption de l’enfant du conjoint, le cas de figure le plus fréquent étant celui d’une femme se rendant à l’étranger pour faire l’objet d’une insémination artificielle, sa conjointe sollicitant ensuite des juridictions françaises l’adoption de l’enfant.
Ces questions relèvent de l’appréciation des tribunaux, le juge restant seul compétent pour décider d’une adoption, qui, selon l’article 353 du code civil, ne peut être prononcée que si les conditions de la loi sont remplies et si l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant.
Le tribunal de grande instance de Lille, en application de la loi du 17 mai 2013, a été la première juridiction française à autoriser par jugement en date du 14 octobre 2013 l’adoption en la forme plénière par une épouse des deux enfants de sa conjointe. Depuis lors, d’autres juridictions ont suivi cet exemple, en particulier celles de Toulouse et de Limoges.
Toutefois, le premier refus d’adoption a été prononcé tout récemment par le tribunal de grande instance de Versailles. Dans une décision du 30 avril 2014, au motif de fraude à la loi, cette juridiction a en effet refusé l’adoption par l’épouse de sa mère d’un enfant conçu selon un protocole d’assistance médicale à la procréation réalisé en Belgique.
Il y a là un véritable problème, d’autant que, si l’on se fonde sur les jugements rendus sur des cas semblables, l’analyse du tribunal de Versailles ne semble pas être partagée par la majorité des juges.
En effet, contrairement à la gestation pour autrui, l’assistance médicale à la procréation ne fait pas l’objet d’une prohibition d’ordre public. Le seul fait de recourir à l’assistance médicale à la procréation à l’étranger ne serait donc pas contraire à un principe essentiel du droit français et ne constituerait pas, en soi, une fraude à la loi susceptible de fonder le refus d’une adoption par le conjoint.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je termine, madame la présidente.
Au demeurant, rien ne permet de savoir qu’un enfant est issu d’une assistance médicale à la procréation et encore moins d’une assistance médicale à la procréation réalisée à l’étranger, aucune mention ne figurant à cet égard sur son acte d’état civil. Si un tribunal de grande instance s’oppose à l’adoption sur ce fondement, c’est que les parents l’ont indiqué au cours de la procédure.
J’ai choisi ces exemples, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour montrer que l’application de la loi est aussi soumise à des décisions de justice qui peuvent être contradictoires entre elles et auxquelles nous devons également prêter attention. Si ce n’est là qu’un aspect du vaste problème de l’application de la loi, il est loin d’être négligeable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre discussion de cette après-midi a le mérite de porter au cœur du débat public cette question de l’application des lois.
Si la démocratie passe par le vote de la loi par les représentants du peuple siégeant au Parlement, il n’y a pas de démocratie effective sans mise en application des lois votées.
C’est dire l’importance des travaux de la commission présidée par notre collègue David Assouline, et c’est la raison pour laquelle, en tant que présidente du groupe CRC, j’ai tenu à être présente cette après-midi.
Du débat de l’année dernière, il était ressorti que le taux de mise en application des lois de la session ordinaire s’élevait à 65 %. Ce taux était alors en progression de 20 % par rapport à l’année précédente. Comme cela a été relevé, il n’a pas évolué depuis lors. Le rapport semble indiquer une progression sur la XIVe législature, avec 88 % de lois mises en application, mais ce chiffre devra être confirmé par le prochain rapport.
Comme l’a dit notre collègue David Assouline, le seul taux d’application dont on pourrait se satisfaire est évidemment celui de 100 %, selon un principe simple : toute loi votée doit être appliquée.
La question de l’application des lois est en lien direct avec le principe démocratique. C’est d’autant plus vrai que l’on constate que le taux d’application des lois d’initiative parlementaire est plus faible que celui des lois d’initiative gouvernementale et que ce taux diminue encore quand l’initiative appartient au Sénat ! Ainsi, la non-application des lois revient à ne pas reconnaître les droits du Parlement et constitue aussi une manière pour les gouvernements de récupérer la main.
Ce phénomène malmène a fortiori les droits des groupes parlementaires qui n’appartiennent pas à la majorité, car, pour valoriser leurs initiatives, ils ne disposent que des espaces dédiés aux propositions de loi. Ces dernières, en plus d’être rares, peuvent être qualifiées d’inutiles si elles ne sont jamais traduites sous forme de décrets !
En ce qui concerne les rapports que le Gouvernement doit remettre au Parlement aux termes de la loi, malheureusement, là encore, la situation n’a pas changé : elle reste affligeante, puisque la remise de ces rapports n’intervient que rarement. Ils sont pourtant utiles, car ils permettent au Parlement d’exercer un contrôle sur l’action du Gouvernement.
Quant aux études d’impact,…
Mme Nathalie Goulet. Ah !
Mme Éliane Assassi. … les fameuses études d’impact, elles sont une obligation constitutionnelle, je le rappelle, et elles doivent figurer en annexe de chaque projet de loi, aux fins de permettre d’apprécier les conséquences concrètes de ces textes et de mesurer leur impact financier.
Grâce à ces études, il est possible de contrôler l’effectivité des textes législatifs, en mettant en relation les lois et les moyens qui leur sont alloués. Pour autant, on peut le constater, elles sont rarement complètes, quand elles ne sont pas erronées, et elles sont trop souvent considérées comme facultatives.
Plus largement, je pense que l’effectivité réelle des lois dépend étroitement des conditions dans lesquelles celles-ci sont présentées et adoptées.
Je voudrais ici revenir sur un point souligné par ce rapport : la procédure accélérée ne favorise nullement une entrée en vigueur plus rapide des textes de loi, pas plus qu’elle n’accroît le nombre de textes appliqués.
Plus encore, cette procédure nuit à la qualité des textes et ne sert que trop souvent des objectifs politiques, qu’il s’agisse d’éviter les deux lectures par les assemblées ou bien de réaliser un gain de temps sur un calendrier trop rempli ; en effet, et cela non plus n’a pas changé, nous continuons de faire face à une avalanche de textes qui peinent à trouver leur place dans un calendrier chargé ; d’où l’ouverture de sessions qui n’ont plus d’extraordinaires que le nom.
Pourtant, il est une exigence essentielle : celle de stabilité, de sécurité et de lisibilité de la loi pour les citoyens.
Notre législation est sur bien des points devenue peu lisible. Cette avalanche des textes, quand ceux-ci entrent en vigueur, compromet ensuite la capacité des magistrats à appliquer la loi. Cette situation met également en cause le principe de l’égalité des concitoyens devant une loi qu’ils sont censés connaître.
Mes chers collègues, le contrôle de l’application des lois est donc une question importante, puisqu’elle sous-tend l’effectivité des principes démocratiques et constitutionnels de notre République. À ce titre, je tiens à remercier notre collègue David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, de tout le travail qu’il entreprend, avec, disons-le, une certaine ténacité.
Pour autant, il me semble que beaucoup reste à faire, et je ne puis qu’appeler le Gouvernement à, enfin, écouter cette commission et à prendre en compte les conclusions de ce rapport pour améliorer l’application des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’appréciation des lois. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ennui vient de l’uniformité !
M. Daniel Reiner. « L’ennui naquit un jour de l’uniformité. »
Mme Nathalie Goulet. Tout à fait. Je vous remercie, cher collègue.
Le bilan annuel de l’application des lois, c’est un peu comme le patinage artistique sur France 2 un dimanche après-midi : il y a les figures obligées et les figures libres ; donc, après les figures imposées exécutées par les présidentes et présidents des commissions, place maintenant aux figures libres ! (Sourires.)
Si le rapport annuel de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois est riche et dense, surtout dans sa deuxième partie, je remarque tout d’abord qu’il est entaché des vices mêmes qu’il dénonce, puisqu’il nous est parvenu seulement le 26 juin dernier, ce qui est un peu tard pour préparer efficacement les débats…
En fait, le problème fondamental est que cette commission semble faire double emploi avec les commissions permanentes. Le premier alinéa de l’article 22 de notre règlement est formel sur ce point : le suivi de l’application des lois est une compétence des commissions permanentes. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les présidentes et des présidents des commissions permanentes sont toutes et tous venus nous exposer leur avis.
Dès lors, pourquoi nous encombrer de ce chapitre X bis de l’instruction générale du Bureau pour donner un semblant de légitimité à cette commission ? Je crois que nous serions bien avisés de revoir l’existence de cet article et, par là même, de cette commission. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Souffrez, chers collègues, que j’use de mon droit de parole !
D’ailleurs, puisque nous parlons de commissions et de délégations, je ferai remarquer que le président du Sénat s’est opposé à une demande émanant de l’ensemble des membres de la commission chargée d’examiner les problèmes d’évasion fiscale, sur l’initiative de notre excellent rapporteur Éric Bocquet, de création d’une délégation permanente pour suivre les problèmes d’évasion et de fraude fiscales.
Quoi qu’il en soit, depuis un an, le Gouvernement nous sollicite régulièrement pour l’habiliter à prendre des ordonnances de simplification des normes réglementaires. J’ai d’ailleurs le bonheur et le privilège de représenter un département, l’Orne, qui est présidé par Alain Lambert, lequel nous parle tous les jours de l’avalanche de normes qui nous accable. Nous nous trouvons donc dans une situation assez singulière, où, d’un côté, on veut supprimer des normes, et où, de l’autre, celles qui sont nécessaires ne sont pas appliquées.
Tous ces problèmes me semblent liés à deux questions fondamentales : celle de la qualité de la loi et celle de son application effective.
Je commencerai par la question de la qualité de la loi. C’est un sujet qui est cher à l’excellent président de la commission des lois, notre collègue Jean-Pierre Sueur, qui vient d’ailleurs de présider un colloque sur l’écriture de la loi ; le Conseil constitutionnel nous rappelle aussi très souvent les conditions à respecter pour que la loi soit de bonne qualité.
Néanmoins, tout cela ne nous empêche pas de sombrer dans de véritables naufrages législatifs. À titre d’exemple, j’évoquerai le récent texte sur l’aide au développement, qui n’avait de loi que le nom et qui, si notre commission des affaires étrangères ne s’en était pas mêlée, aurait été un texte exclusivement bavard, aucunement normatif et sans le moindre intérêt, sauf à transformer notre assemblée en relais inefficace de mère Térésa. (Mme Corinne Bouchoux sourit.)
Je le dis avec d’autant plus de conviction qu’il a fallu se battre en commission mixte paritaire pour maintenir les procédures d’évaluation qui avaient été demandées par notre commission et que le Sénat avait adoptées. Le problème de la rédaction de la loi revêt donc une grande importance.
J’en viens maintenant au problème de l’application de la loi.
Entre 2012 et 2013, sur les trente lois qui ont été promulguées, cinq décrets d’application sont au point mort, notamment celui qui porte sur l’interdiction du Bisphénol A dans les produits alimentaires – nous en avons parlé tout à l’heure. Le problème, nous dit-on, est qu’il n’est pas conforme aux réglementations européennes. Certes, mais, en attendant, il crée un problème sanitaire !
Près de 11 % des mesures réglementaires de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 n’ont toujours pas été prises, alors que nous allons peut-être aborder le projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative pour l’année 2014.
Nous constatons le même phénomène en matière de lois de finances, puisque sept mesures d’application du collectif de décembre 2012 ne sont jamais sorties, notamment les dispositions réglementaires concernant la traçabilité du tabac, un sujet pourtant relativement important, et je ne parle pas de la réforme essentielle des lanceurs d’alerte.
Sur cette question, non seulement notre réglementation est éparse, non seulement nous n’avons pas de définition précise du lanceur d’alerte, non seulement le dispositif n’est pas efficace, puisque certains lanceurs d’alerte viennent encore d’être licenciés, mais les décrets d’application ne paraissent pas.
Avant de terminer, madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais vous parler de l’action de groupe, que nous avons eu beaucoup de difficulté à imposer.
En tant que vice-présidente de la commission commune d’information sur le Mediator, j’estime que cette action de groupe permettrait tout de même de faciliter un certain nombre de procédures pour ceux qui n’ont pas les moyens de poursuivre individuellement des groupes, notamment pharmaceutiques, car les victimes, vous le savez, rencontrent des difficultés en raison du coût de la justice.
Mes chers collègues, chacun vient ici apporter son petit lot de lamentations liées à ses propres préoccupations. Toutefois, très franchement, cette action de groupe doit, enfin, pouvoir être intégrée à notre droit positif.
J’en viens à la question des conventions internationales. Celle-ci se pose à la marge. Toutefois, ceux qui ont siégé à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe le savent parfaitement, le prestige et la reconnaissance de la France dans les institutions internationales supposent, outre de donner des leçons et d’illuminer la planète, de respecter les conventions internationales. Si nous ne les ratifions pas, cela soulève des problèmes !
Or certaines conventions sont dans les limbes entre l’Assemblée nationale et le Sénat, voire entre le Quai des brumes et chacune des deux chambres du Parlement depuis plus de onze ans ! À ce propos, je suis en possession d’une liste, et si vous êtes intéressés, mes chers collègues, je pourrai vous la communiquer.
Pour conclure, je dirai que, parfois, quand les parlementaires demandent des rapports, ils savent très bien pourquoi ils le font.
Monsieur le secrétaire d’État, vous qui avez été parlementaire, vous n’ignorez pas que, depuis 2007, je me bats pour résoudre le problème totalement inintéressant des ambassadeurs thématiques, au sujet duquel nous n’avons toujours pas obtenu le rapport que nous appelons de nos vœux. Non seulement le coût de ce dispositif nous est inconnu, mais les nominations continuent. Nous nous heurtons donc toujours au phénomène permanent du recyclage des amis en mal d’exotisme, des obligés alimentaires de la République dont notre pays ne peut plus supporter le coût.
En revanche, comme l’a mentionné M. le vice-président de la commission des affaires étrangères, votre collègue Jean-Yves Le Drian a remis à la commission des affaires étrangères un rapport sur la mise en place de la loi de programmation militaire.
Ce rapport est remarquable et tout à fait utile à nos travaux. Nous pourrons ainsi suivre, je l’espère, la progression de l’application de cette loi, en évitant les gels et les surgels dont nous pouvons éventuellement craindre qu’ils ne l’affectent. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)