compte rendu intégral
Présidence de Mme Bariza Khiari
vice-présidente
Secrétaires :
M. Alain Dufaut,
Mme Marie-Noëlle Lienemann.
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Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
Avant d’aborder l’ordre du jour de cette séance, je tiens à souhaiter la bienvenue à Guy Fischer, qui est de retour parmi nous. Je suis très heureuse de vous retrouver dans cet hémicycle, mon cher collègue.
M. Guy Fischer. Je vous remercie, madame la présidente. C’est une grande joie pour moi d’être de retour parmi vous. Cela étant, je ferai aujourd'hui ma dernière intervention en séance.
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Nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes
Suite de la discussion et rejet d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, à la demande du groupe CRC, de la proposition de loi relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes et à l’affectation des dividendes à l’agence de financement des infrastructures de transports, présentée par Mireille Schurch et plusieurs de ses collègues (proposition n° 59 [2011-2012], résultat des travaux de la commission n° 276, rapport n° 275).
Mes chers collègues, je vous rappelle que la discussion générale avait été entamée lors de notre séance du 22 janvier dernier.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, madame la rapporteur, mes chers collègues, au risque de vous surprendre, je souhaite commencer mon intervention par un compliment à l’endroit des auteurs de cette proposition de loi. Grâce à eux, nous allons avoir un débat mêlant les questions afférentes à l’aménagement du territoire et les questions afférentes aux infrastructures de transport. Plus important encore, nous allons peut-être avoir des explications de la part du secrétaire d’État sur ce qui vient d’être annoncé, à savoir que des décisions essentielles allaient être prises la semaine prochaine concernant l’écotaxe.
La présente proposition de loi s’inspire du rapport d’information sénatorial Infrastructures de transport : remettre la France sur la bonne voie, publié le 6 février 2008, mais peut-être plus encore du rapport annuel de la Cour des comptes de 2009. Vous avez raison, madame la rapporteur, ces documents doivent être étudiés avec la plus grande attention. Que disent-ils, en substance ? Tout simplement que les entreprises chargées de la gestion des autoroutes auraient pu rester dans le giron de l’État, comme le souligne le rapport d’information sénatorial, et que, aujourd’hui, du fait des privatisations, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, est devenue une sorte de coquille vide.
Comme je viens de le dire, ces documents ont au moins l’avantage de guider la réflexion. Cependant, si réflexion il doit y avoir, celle-ci ne doit pas être articulée autour de l’hypothétique nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes que prévoit la présente proposition de loi. Le groupe UMP estime, avec d’autres, que c’est l’avenir de l’AFITF et plus globalement des investissements d’infrastructures de transport de notre pays qui est en discussion aujourd’hui.
Lors de l’examen du texte en commission, Mme la rapporteur nous a clairement invités à mener une réflexion sur les dommages collatéraux de certaines libéralisations. C’est justement ce que nous nous apprêtons à faire.
Je ne vous cache pas que nous allons naturellement voter contre la proposition de loi.
Mme Évelyne Didier, rapporteur de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. J’avais un espoir…
M. Roger Karoutchi. Je le sentais ! (Sourires.)
Je m’autoriserai une brève digression sur l’histoire des privatisations dans notre pays. En effet, au regard de cette histoire récente, il est étonnant que la droite en général et l’UMP en particulier soient dans l’obligation d’assumer seules la libéralisation de notre économie. S’il nous faut assumer ces libéralisations, nous le ferons, mais j’espère simplement que certains de nos collègues de la majorité n’ironiseront pas trop sur le caractère attendu de notre position.
Je rappelle que l’Acte unique européen de 1986, qui déboucha notamment sur la directive « marchés publics de travaux », fut signé sous l’empire d’une majorité qui n’était pas spécialement de droite. Ce n’est pas non plus un gouvernement de droite qui a engagé en 2000 la réforme visant à renforcer la concurrence pour l’attribution des nouvelles concessions autoroutières. On pourrait également ouvrir le débat sur les privatisations ou débuts de privatisation qui ont concerné plusieurs très grandes entreprises françaises – Air France, EADS, France Télécom, le Crédit Lyonnais et j’en passe – entre 1997 et 2002. Je note enfin que, curieusement, alors que l’on avait très peu privatisé entre 2007 et 2012, depuis lors on a repris le rythme des privatisations et des ouvertures de capital ; celles-ci ont par exemple concerné Safran, EADS ou encore Aéroports de Paris. Il y a donc là un élément qui dépasse probablement les clivages politiques.
Je ne ferai pas de commentaire sur ceux qui se disent un jour ennemis de la finance et procèdent le lendemain à des ouvertures de capital ou à des privatisations. Pour notre part, nous avons une position plutôt équilibrée. L’UMP comporte à la fois un courant libéral, plus ouvert sur l’entreprise, et un courant gaulliste, un peu plus interventionniste et qui n’est pas opposé, ni la forme ni sur le fond, lorsque c’est nécessaire, aux interventions de l’État et aux nationalisations. Il y a probablement un temps pour tout.
La valeur actuelle des participations de l’État est inférieure à 100 milliards d’euros, contre 200 milliards d’euros il y a dix ans. Cela doit nous inciter à une certaine prudence en matière de libéralisation. Le groupe UMP assume sans acrobaties sémantiques sa position en matière de participation de l’État dans les entreprises qui pourraient se révéler stratégiques. Si nous sommes opposés à la proposition de loi examinée aujourd’hui, qui est pour le moins radicale, nous entendons alimenter le débat sur le financement de l’AFITF et les investissements futurs en matière d’infrastructures de transport terrestre.
L’exposé des motifs de la proposition de loi évoque une amputation du budget de l’AFITF de 1 à 2 milliards d’euros par an du fait des privatisations des concessions d’autoroutes. Ce sont autant d’investissements en moins. Comme on peut présumer que les dividendes des sociétés concessionnaires étaient la ressource essentielle de l’AFITF, les privatisations ont donc conduit – nous le reconnaissons – à un certain bricolage financier.
Nous reconnaissons également qu’il existe un manque de lisibilité en ce qui concerne les financements de l’AFITF. Monsieur le secrétaire d'État, ce manque de lisibilité est apparu de manière criante – c’est le moins que l’on puisse dire – avec la suppression, peut-être provisoire – attendons la semaine prochaine – de l’écotaxe. En effet, le produit de cette taxe devait être le socle du financement de l’AFITF, avec une recette estimée à 800 millions d’euros. Cette somme devait être affectée au paiement d’infrastructures nouvelles prévues par l’ancienne majorité.
Conséquence directe de cette suspension, dont nous ne connaissons pas l’issue, le financement provisoire de l’AFITF n’a plus grand-chose de provisoire. En réalité, il n’a plus grand-chose de visible. L’État est en effet obligé de jongler, pour son financement, entre le produit de la redevance domaniale due par les sociétés concessionnaires d’autoroutes, le produit de la taxe d’aménagement du territoire, due par les concessionnaires d’autoroutes, et enfin une fraction égale à 40 % du produit des amendes issues des systèmes automatiques de contrôle et de sanction. En ce sens, l’exposé des motifs, qui s’appuie sur le rapport de la Cour des comptes, pose légitimement la question des moyens financiers dont dispose l’AFITF. Il faut aussi rappeler que l’AFITF doit être considérée comme un intermédiaire financier transparent, comme le souligne d'ailleurs la Cour des comptes dans son rapport.
Finalement, on constate que, par effet de domino, la proposition de loi soulève de vraies questions. Je pense notamment à celle de l’existence même de l’AFITF. Si la proposition de loi ne préconise pas cette solution, le rapport de la Cour des comptes, monsieur le secrétaire d'État, prône sans ambiguïté la suppression de l’AFITF et l’intégration de ses activités – notamment la conclusion des conventions de financement – dans la nouvelle direction générale des infrastructures, des transports et de la mer, la DGITM.
Je me garderai bien d’en arriver à la même conclusion – c’est peut-être un peu prématuré –, mais le débat mérite d’être ouvert : quid de l’avenir d’une agence qui n’a pas vocation, pour le moment, à sélectionner les investissements ? De la même manière, c’est la DGITM, et non l’AFITF, qui est chargée de la passation et de la gestion des contrats de concession. Il ne faudrait pas oublier que l’AFITF a pour mission de formaliser le financement des projets d’infrastructures et de mettre au point les conventions relatives à chacune des opérations.
Pour conclure s’agissant de l’avenir de l’AFITF, je crois que le rôle qui était initialement dévolu à cette dernière était indispensable. L’Agence n’était pas seulement un intermédiaire. Cependant, ses difficultés de financement se sont accrues dans le même temps qu’elle se voyait confier le développement des liaisons ferroviaires de fret et des transports collectifs de personnes. Le spectre de ses interventions s’est ainsi élargi à d’autres modes de transport. On est donc dans la contradiction la plus totale : d’un côté, moins de financement et un financement moins lisible, de l’autre, plus de contraintes, plus d’obligations, plus de domaines de compétence. L’adage selon lequel c’est celui qui paye qui décide ne s’applique pas à l’AFITF.
L’autre question essentielle que pose la proposition de loi porte sur le jugement a posteriori des privatisations effectuées depuis l’ouverture du capital d’Autoroutes du Sud de la France en 2002. Certains estiment, non sans raison, que ces privatisations n’ont pas apporté les financements nécessaires. Ils évoquent également un manque à gagner de l’ordre de 37 milliards d’euros sous forme de dividendes d’ici à 2032. Quels que soient les chiffres avancés, force est de reconnaître – et j’en suis tout à fait conscient – que les privatisations ont limité les marges de manœuvre de la puissance publique.
En revanche, je ne sais pas si ces privatisations se sont déroulées dans un cadre opaque. Quel que soit le jugement porté a posteriori, la question posée est celle de l’opportunité plus que celle de la légalité. Comme je l’ai dit tout à l'heure, il y a plusieurs sensibilités à l’UMP ; dans la mesure où j’appartiens plutôt à la sensibilité gaulliste, je suis moyennement favorable – je le dis franchement – à ce qui s’est passé.
M. Roger Karoutchi. L’exposé des motifs de la proposition de loi évoque le souhait des rapporteurs de la mission d’information de 2008 « que tous les enseignements de la privatisation en 2005 soient tirés à l’avenir, notamment lorsque les concessions prendront fin et que l’État retrouvera toutes les marges de manœuvre pour organiser le service au mieux de ses intérêts financiers et patrimoniaux ».
S’il est légitime de se poser la question du sort des concessions, il faut aussi prendre conscience que le retour des concessions dans le giron de l’État ne peut intervenir que si celui-ci dispose d’opérateurs aptes à prendre la relève– et c’est un autre problème !
Mme Mireille Schurch. On en trouvera !
M. Roger Karoutchi. Or tous les groupes gestionnaires d’autoroutes sont désormais privés. Il faudrait donc, pour que l’État reprenne la main, créer des opérateurs ad hoc, sous la forme, j’imagine, de sociétés d’économie mixte. Cette opération sera également très coûteuse : sans doute moins qu’une nationalisation, mais il ne faut pas sous-estimer les difficultés qu’elle posera.
En conséquence, le groupe UMP, qui, je le rappelle, votera contre cette proposition de loi, dégage deux réflexions de ce débat. Tout d’abord, les privatisations qui ont eu cours de 2002 à 2005 n’ont pas donné les résultats escomptés : le constat est clair et il faut l’admettre. Ensuite, monsieur le ministre, une réflexion approfondie devra être entamée avec les sociétés concessionnaires, bien avant le terme des concessions, pour que nous trouvions, dans les années à venir, des solutions offrant des conditions meilleures pour l’État et pour les usagers.
Monsieur le ministre, je ne sais si vous êtes en mesure de nous apporter aujourd’hui des précisions sur les décisions définitives que Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a annoncées pour la semaine prochaine concernant l’écotaxe et le financement des infrastructures de transport ? Je serais tenté de dire au groupe CRC que, si ce débat avait eu lieu dans une semaine, nous aurions disposé de plus d’éclaircissements concernant les moyens de financement que le Gouvernement entend consacrer à ces infrastructures.
Quoi qu’il en soit, en l’état, je ne peux que vous confirmer – je ne dirai pas « à regret », car je ne voudrais pas vous faire croire que j’ai basculé ! (Sourires.) – que notre groupe ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, reconnaissons-le d’emblée, nos collègues du groupe CRC ont un certain talent pour inscrire dans leur « niche » des sujets à forte actualité médiatique et potentiellement polémiques.
Mme Évelyne Didier, rapporteur. Oh !
M. Vincent Capo-Canellas. À défaut d’être directement applicables en l’état – selon moi, en tout cas –, ces textes présentent cependant l’intérêt de susciter le débat. Tel est particulièrement le cas de cette proposition de loi qui vise à nationaliser les sociétés concessionnaires d’autoroutes.
Le report de quelques mois de ce débat « saucissonné » est finalement opportun. Le sujet des bénéfices des sociétés d’autoroutes n’a en effet pas quitté l’actualité : il est revenu sur le devant de la scène avec les déclarations de la ministre de tutelle, Mme Royal, qui souhaite – ou souhaitait : je ne sais s’il faut parler au passé… – prélever un milliard d’euros sur les sociétés concessionnaires pour compenser le manque à gagner lié à l’abandon de l’écotaxe poids lourds, abandon qu’elle appelait de ses vœux. Roger Karoutchi vient de faire allusion aux dernières déclarations de Mme la ministre ; nous verrons bien quelle suite sera donnée à tout cela, et peut-être pourrez-vous nous en dire un peu plus, monsieur le secrétaire d’État.
Peu contestent aujourd’hui que la privatisation des concessions d’autoroutes décidée en 2005 a certainement été une erreur du gouvernement d’alors. Nous l’avions contestée à l’époque et les groupes centristes du Parlement avaient été, je le rappelle, particulièrement en pointe dans le débat. François Bayrou avait même intenté un recours contre cette décision devant le Conseil d’État.
La privatisation des sociétés concessionnaires d’autoroute a eu une conséquence particulièrement dommageable pour la politique des infrastructures de transport. L’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, qui venait juste d’être créée pour financer les grands projets d’infrastructures ferroviaires, fluviales, maritimes, mais aussi routières, s’est ainsi trouvée privée de recettes durables. La principale ressource de l’AFITF devait être constituée par le produit de la cession des participations détenues par l’État et son établissement public Autoroutes de France dans le capital des trois sociétés d’économie mixte concessionnaires.
Je rappelle que, contrairement aux engagements qui avaient été pris, seuls 4 milliards d’euros sur les 14,8 milliards d’euros issus de la vente des parts de l’État ont été effectivement affectés à l’AFITF, la majeure partie de la somme ayant été consacrée au désendettement de l’État. Cette décision, facile et marquée par une vision de court terme, a privé l’AFITF d’une ressource pérenne et dynamique. Elle a engendré un manque à gagner déterminant pour le financement des infrastructures de transport. Voilà notre point d’accord.
Avec le recul et en pensant aux difficultés actuelles pour financer les grands projets d’infrastructures de transport, qui nous obligent à faire des choix parmi les projets et à les étaler dans le temps, on ne peut que regretter cette décision. Nous avons déjà eu l’occasion de l’évoquer à plusieurs reprises ici et nous serons peut-être amenés à en débattre plus longuement à brève échéance au sein de cet hémicycle, si le Premier ministre rend rapidement ses arbitrages sur l’écotaxe poids lourds.
Néanmoins, si notre groupe est d’accord sur ce constat, l’ensemble des orateurs, lors de la réunion de la commission du développement durable, ont admis que la nationalisation n’est sans doute pas la bonne solution ni la bonne réponse à la question posée.
Cette proposition de loi est sans doute un texte d’appel, mais nous pouvons douter qu’elle soit applicable en l’état. En tout cas, je fais partie des sceptiques.
Nos collègues communistes proposent en effet la recette – d’aucuns diront : « la vieille recette » – de la nationalisation, qui coûterait, selon les estimations, quelque 50 milliards d’euros, soit grosso modo le produit actuel de l’impôt sur les sociétés. Bien entendu, nous n’en avons pas les moyens. Si nos collègues du groupe CRC font mine de croire – ils me pardonneront cette expression – au gage qui consiste à augmenter d’autant l’impôt sur les sociétés, nous estimons qu’une telle mesure ferait fuir ou fermer les entreprises encore présentes sur notre territoire – ou, du moins, une bonne partie d’entre elles. Bref, le remède n’est-il pas pire que le mal ? Telle est la raison pour laquelle notre groupe s’opposera à cette proposition de loi.
Cette initiative présente néanmoins l’avantage certain de permettre à notre assemblée d’inviter à nouveau le Gouvernement à appliquer les recommandations du rapport de la Cour des comptes sur les relations entre l’État et les sociétés concessionnaires d’autoroutes. Ce rapport a mis en lumière un certain nombre d’anomalies et de lacunes dans le contrôle par les services de l’État des obligations des sociétés concessionnaires d’autoroutes, qui se traduisent notamment par des hausses régulières des tarifs des péages autoroutiers, définis par ailleurs dans des conditions très opaques. Sur ce point aussi, chers collègues du groupe CRC, vous avez visé juste, car il s’agit d’un vrai sujet !
Plutôt que de s’engager dans une nationalisation irréaliste, le ministère des transports doit, me semble-t-il, faire siennes les recommandations de la Cour des comptes. Ne nous trompons pas de débat : le rapport de la Cour des comptes ne traite pas directement des sociétés concessionnaires d’autoroutes, mais critique, parfois durement, les services de l’État, qui ne sont pas en mesure de faire respecter les termes du contrat de concession ni de négocier avec les sociétés d’autoroutes des conditions plus favorables pour l’État et les usagers. Pour ces derniers, cette défaillance s’est traduite par une hausse continue et importante des tarifs autoroutiers, qui sont pourtant en principe encadrés et limités. Je tiens à préciser que, lorsque j’évoque les carences des services de l’État, je souligne un problème d’organisation et de moyens, sans remettre en cause les personnels qui s’efforcent d’accomplir leur mission au mieux : je salue leur travail, tout en considérant que leurs moyens de contrôle devraient être renforcés.
La question posée par la Cour des comptes dans cette affaire est celle du rôle de l’État régulateur. La principale conclusion de la Cour est en effet que les conditions actuelles d’encadrement des concessions autoroutières ne permettent pas que les intérêts des usagers et de l’État soient défendus comme ils devraient l’être.
Il ne s’agit pas de remettre en cause le système des concessions qui a permis de développer en quelques dizaines d’années dans notre pays un réseau autoroutier dense et moderne. En revanche, l’État doit contrôler de façon beaucoup plus précise le respect par les sociétés concessionnaires d’autoroutes de leurs obligations.
Meilleure négociation des contrats de plan et des avenants, mise en œuvre des dispositions contraignantes prévues par les cahiers des charges en cas de non-respect par les concessionnaires de leurs obligations contractuelles, contre-expertise des coûts prévisionnels des investissements, révision du décret de 1995 : toutes ces propositions de bon sens formulées par la Cour des comptes doivent être mises en œuvre par le ministère.
J’ai pris bonne note des assurances que M. le ministre délégué chargé des transports a bien voulu nous donner en janvier dernier, au début de la discussion générale. Je crois qu’il est revenu sur ce sujet depuis, mais il faudra que les intentions affichées trouvent une traduction dans la réalité.
En commission, plusieurs de nos collègues ont demandé la constitution d’une mission d’information sur la question de la privatisation des sociétés d’autoroutes. Je suis favorable à une initiative de ce type de notre assemblée, car elle permettrait d’y voir plus clair et de répondre aux questions de la hausse des tarifs des péages autoroutiers et de la rente tarifaire, qui reviennent régulièrement sous une forme polémique. Cette mission permettrait aussi de vérifier que les nouvelles procédures et contrôles mis en place par les services du ministère des transports, et évoqués par M. le ministre délégué lors de la précédente séance consacrée à ce débat, sont bien entrés en application. Enfin, comme le note la Cour des comptes, le cadre des concessions autoroutières doit évoluer alors que les besoins d’extension et de modernisation du réseau autoroutier sont moindres.
Pour conclure, permettez-moi de souligner un paradoxe en m’interrogeant sur la décision prise par le précédent Premier ministre de prolonger de trois ans les concessions en cours.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les auteurs de la proposition de loi rappellent leur opposition à la privatisation de l’intégralité du capital des sociétés d’économie mixte concessionnaires d’autoroutes intervenue en 2006 sur l’initiative du gouvernement de Dominique de Villepin. Ils mettent en avant les faibles recettes attribuées alors à l’AFITF pour le financement des infrastructures de transport : 4 milliards d’euros sur un prix de cession de 14,8 milliards d’euros. Ils soulignent les fortes augmentations de tarifs constatées depuis, la diminution des effectifs dans le secteur concerné ainsi que la rente de situation dont bénéficient les sociétés d’autoroute. Ils en tirent la conclusion de la nécessité de nationaliser toutes les sociétés concessionnaires, et non pas seulement celles qui ont été privatisées en 2006.
Pour gager cette mesure, le texte prévoit d’augmenter le taux de l’impôt sur les sociétés à due concurrence. Il convient de noter que, contrairement à la formulation de l’intitulé de cette proposition de loi, rien n’est prévu dans le texte pour garantir l’affectation à l’AFITF d’une partie des recettes de péages qui, dans cette hypothèse, reviendrait à l’État.
J’ai souvent dénoncé, en commission et en séance publique, l’erreur, voire la faute politique, qui a consisté à vendre les actifs de l’État dans les sociétés concessionnaires d’autoroutes. D’autres parlementaires socialistes ont exprimé la même position tout aussi clairement. Le groupe socialiste fait donc le même constat que les auteurs de la présente proposition de loi.
Par ailleurs, la Cour des comptes est parvenue aux mêmes conclusions à la suite d’une analyse très précise des conditions de vente des actions de l’État, mais aussi de la gestion des sociétés concessionnaires observée depuis lors.
En effet, dans son rapport de 2008, la Cour a montré que le prix des actifs de l’État vendus aux sociétés concessionnaires d’autoroutes a été sous-évalué. Elle a estimé que cette vente aurait dû rapporter 24 milliards d’euros et non 14,8 milliards d’euros. La Cour des comptes a également constaté certaines pratiques tarifaires opaques, au moins jusqu’en 2008, allant à l’encontre de la notion de service public. Il s’agit, par exemple, de la technique dite du « foisonnement » qui consiste en une hausse de tarifs ciblée sur les itinéraires les plus fréquentés.
Par ailleurs, dans son rapport de juillet 2013 sur les relations entre l’État et les sociétés concessionnaires d’autoroutes, la Cour des comptes a mis en évidence une progression de 10 %, entre 2008 et 2011, des recettes de péages, lesquelles se sont élevées à 7,6 milliards d’euros en 2011. Ces chiffres édifiants doivent nous faire réagir, s’agissant de la gestion déléguée d’un service public. La Cour a d’ailleurs indiqué, non sans malice, que la profitabilité de ce secteur « a été beaucoup plus marquée et constante que celle de l’ensemble de l’économie française, hors secteur financier ».
Si nous souscrivons au constat des auteurs de cette proposition de loi, constat dont la pertinence est évidente, faut-il pour autant les suivre dans leur volonté de nationaliser toutes les sociétés concessionnaires d’autoroutes ?
On comprend bien, madame la rapporteur, la logique qui préside à cette proposition. La rente autoroutière ainsi dégagée apporterait dans la durée des recettes suffisantes pour financer la régénération des infrastructures de transport et leur développement. Mais les marges de manœuvre financières de l’État sont aujourd’hui très faibles – c’est le moins que l’on puisse dire ! – et le coût de rachat des actifs des sociétés concessionnaires d’autoroutes est très élevé.
S’agissant d’une éventuelle nationalisation, une première difficulté tient au manque de précisions sur la valeur actuelle des sociétés concessionnaires d’autoroutes.
Dans sa décision du 16 janvier 1982, le Conseil constitutionnel a précisé les grands principes des nationalisations d’entreprises. Ainsi, l’indemnité allouée aux actionnaires des entreprises doit satisfaire aux principes posés par l’article XVII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et doit, en conséquence, être juste et préalable. Alors, combien cela pourrait-il coûter ?
Cela a été dit précédemment, la Cour des comptes a estimé que la vente des actifs de l’État aux sociétés concessionnaires aurait dû s’élever à 24 milliards d’euros en 2006. Cette estimation peut constituer le point de départ d’une évaluation du prix de rachat des concessions autoroutières, auquel il faudrait ajouter d’autres éléments.
Tout d’abord, la privatisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes en 2006 ne concernait pas la totalité du capital de ces sociétés puisque l’État n’en possédait qu’une partie. Il faudrait donc racheter l’ensemble du capital des sociétés concessionnaires actuelles et non pas seulement l’équivalent de ce qui a été vendu en 2006.
En outre, si l’on devait nationaliser aujourd’hui ces sociétés, sans doute faudrait-il reprendre également leurs dettes, estimées au total à 25 milliards d’euros par le ministère des transports.
Ensuite, la décision de nationaliser entraînerait une rupture des contrats de concession qui prévoient des pénalités importantes dans ce cas.
Enfin, la liste des sociétés concessionnaires à nationaliser dans l’article 1er de la proposition de loi inclut non seulement les anciennes sociétés d’économie mixte concessionnaires d’autoroutes, mais également les autres concessions qui ne faisaient pas partie de la cession de 2006. Nationaliser l’ensemble des sociétés autoroutières alourdirait d’autant plus le coût d’un éventuel rachat.
La nationalisation de l’ensemble des sociétés concessionnaires d’autoroutes pourrait ainsi coûter de 40 à 50 milliards d’euros, selon les estimations provisoires de la Cour des comptes, ce qui amène à évoquer la deuxième difficulté d’application de cette proposition de loi.
En effet, le texte prévoit, dans son article 3, de gager les nationalisations des sociétés concessionnaires d’autoroutes sur une augmentation de l’impôt sur les sociétés.
Pour connaître le niveau d’augmentation de l’impôt sur les sociétés induit par la mise en œuvre de la proposition de loi, il est essentiel de comparer le rendement de cet impôt au coût d’un éventuel rachat.
L’impôt sur les sociétés rapporte globalement chaque année à l’État 50 milliards d’euros. Afin de ne pas remettre en cause les actions financées par cet impôt, tout en rachetant les actions des sociétés concessionnaires d’autoroutes, il faudrait purement et simplement doubler, sur un exercice budgétaire, les recettes actuelles de l’impôt sur les sociétés.
Cette solution apparaissant pour le moins très difficilement supportable par les entreprises françaises, en particulier les plus petites, dans une période de grave crise économique, l’autre solution serait d’augmenter à due concurrence l’endettement de l’État. Cette solution est, là encore, pour le moins, très difficilement envisageable en raison du niveau actuel de la dette.
En outre, comment justifier, dans une période où les contribuables sont fortement sollicités, le fait d’apporter autant d’argent public à des sociétés privées qui n’ont pas, jusqu’à maintenant, suffisamment participé au développement des infrastructures de transports, bien qu’elles aient beaucoup demandé financièrement aux usagers ?
Dans ce contexte, il paraît préférable d’attendre la fin des concessions : les autoroutes reviendront alors progressivement à l’État, puisque, ne l’oublions pas, ces infrastructures appartiennent à la nation.
Pour autant, la situation actuelle n’est absolument pas satisfaisante. Cette proposition de loi a donc le grand mérite – et il convient d’en remercier ses auteurs – de permettre d’engager le débat sur l’ensemble des questions liées aux concessions autoroutières.
Le rapport de la Cour des comptes de juillet 2013, relatif aux relations entre l’État et les sociétés concessionnaires d’autoroutes, constitue une excellente base de travail. En effet, la Cour dresse une série de huit recommandations, notamment pour réguler les tarifs des péages, mieux encadrer les négociations et sanctionner plus lourdement les éventuels non-respects des obligations contractuelles.
La mise en œuvre de ces recommandations permettrait sans doute de rééquilibrer les contrats de concession en faveur de l’État. L’enjeu essentiel porte, à mon sens, sur la manière de faire contribuer plus fortement les concessionnaires actuels à l’effort national de maintenance des infrastructures de transport et de leur développement.
Je souhaite ainsi mettre en débat trois réflexions.
La première porte sur la pertinence de conserver la forme contractuelle du contrat de plan dans les relations entre l’État et les sociétés concessionnaires d’autoroutes. En effet, quand l’État était actionnaire des sociétés concessionnaires d’autoroutes, il disposait de toutes les informations nécessaires sur la réalité des coûts et des besoins, et une partie des résultats financiers lui revenait.
Avec la privatisation des sociétés d’autoroutes, il en est différemment. Le contrat de plan est-il toujours un outil efficace de négociation contractuelle ou un outil performant de suivi des contrats de concessions ? En tout cas, il me semble nécessaire de le vérifier !
Dans la négative, il serait utile de réfléchir à une évolution des formes de relations entre l’État et les concessionnaires, avec l’objectif de redonner du poids à la puissance publique et d’améliorer le contrôle du respect des dispositions du contrat de concession.
La deuxième réflexion concerne la place du Parlement en la matière. Même si les relations entre l’État et les concessionnaires sont purement contractuelles et ne supposent l’intervention d’aucune autre institution publique, il est tout de même important que le Parlement soit au minimum tenu informé des négociations en cours et du suivi des contrats.
La troisième réflexion a trait à la mise en place d’une fiscalité plus adaptée concernant la contribution des sociétés concessionnaires d’autoroutes à l’effort national de développement des infrastructures de transport.
La taxe d’aménagement du territoire est contractuellement liée au tarif des péages et donc à la participation des usagers. Si l’État décide d’augmenter cette taxe, le risque est grand que ce soient les usagers qui la supportent. Pourquoi ne pas imaginer une modulation de cette fiscalité pour peser moins sur l’usager et plus sur les dividendes des sociétés concessionnaires ? Le choix du Gouvernement de relever de plus de 50 % en 2013 la fiscalité domaniale non liée au tarif des péages a été une judicieuse initiative. Cependant, le Conseil d’État a souhaité limiter cette augmentation au motif que le prélèvement supplémentaire doit être justifié par un avantage économique tiré de l’occupation du domaine public. Faut-il alors imaginer une nouvelle fiscalité ?
La question de la nationalisation ou de la participation accrue au financement des infrastructures de transport des sociétés concessionnaires d’autoroutes est donc un sujet complexe et mérite une analyse plus approfondie de sa faisabilité. C’est pourquoi le Gouvernement comme la majorité présidentielle, en particulier le député Jean-Paul Chanteguet, réfléchissent actuellement à des solutions pertinentes.
En attendant que ces réflexions permettent de formuler des propositions, il convient, me semble-t-il, de relever le niveau de la taxe d’aménagement du territoire, tout en surveillant les tarifs de péage.
En conclusion, je rappelle que le groupe socialiste fait le même constat que les auteurs de la proposition de loi. Il n’en tire toutefois pas les mêmes conclusions, à savoir la nationalisation immédiate des actifs de toutes les sociétés concessionnaires d’autoroutes, en raison des marges budgétaires extrêmement limitées de l’État et du coût très élevé que représenteraient le rachat des actifs des sociétés concessionnaires et la rupture des contrats de concessions.
Cette proposition a toutefois le grand mérite – il faut le dire avec force – d’ouvrir le débat sur l’ensemble des questions relatives aux concessions autoroutières, débat qui ne fait que commencer et qui doit être mené à son terme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)