M. Jean-Jacques Lozach. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les collectivités territoriales concourent à concrétiser l’idée d’un sport national, d’un sport de la République ; le pouvoir politique d’État a délégué une grande part de sa traduction opérationnelle aux fédérations sportives et aux élus locaux, à tel point que ces collectivités constituent aujourd’hui, et de très loin, le premier financeur de la pratique physique et sportive, de sa promotion, de son affirmation, de sa présence sur l’ensemble du territoire national, voire de son expression lors d’événements internationaux, tel l’Euro 2016. Face aux 9 milliards d’euros consacrés par les collectivités à cette politique publique, l’intervention de l’État semble minime.
Ce que le sport professionnel apporte à une ville, un département ou une région est intrinsèquement lié non seulement aux valeurs sociales et éducatives véhiculées – ou supposées l’être – par le sport, telles que la transmission du goût de la pratique aux enfants, le respect de l’autre et des règles, la concrétisation d’enjeux sanitaires, pédagogiques et culturels majeurs, mais également à ses implications économiques, médiatiques et politiques, telles que le sentiment d’appartenance à une communauté ou un territoire, les enjeux d’identité, une image de dynamisme et de modernité, une mixité sociale.
Cette impulsion donnée à la base par les collectivités locales, qui doit pouvoir se poursuivre par le maintien de la clause de compétence générale pour les départements et les régions, dans la réforme territoriale aujourd’hui en débat – il n’est pas encore législatif, mais cela ne saurait tarder – ne peut atteindre son plein effet, gagner sa pleine justification, devrais-je dire, que si l’État garantit l’exemplarité du sport de haut niveau, en même temps qu’il reconnaît le rôle des collectivités territoriales, notamment dans sa gouvernance. En la matière, le Conseil national du sport mis en place par Valérie Fourneyron constitue une avancée appréciable.
Les élus locaux suivent avec attention la manière dont l’État appréhende la vision éthique du sport, par exemple, au travers de la lutte contre le dopage et contre toutes les formes de corruption, contre les « achats » éventuels de votes dans les instances internationales, les manquements au règlement, les violences au sein et autour des enceintes sportives, par la protection apportée aux plus jeunes, le degré de maîtrise et de transparence – il doit être optimal – du marché des transferts de joueurs, l’intérêt porté à la formation des cadres et des clubs....
En effet, les élus ne sauraient, les yeux fermés et dans la durée, orienter une contribution de l’argent public vers une pratique dont les principes vertueux seraient régulièrement transgressés. Le sport spectacle apparaît comme un bien public, qui ne doit pas être monopolisé par des intérêts partisans ou privés.
Pour n’en donner qu’un seul exemple, les matchs truqués dans le football sont une illustration récente du risque de dérives. Une association d’opérateurs de paris en ligne ne vient-elle pas de dénoncer, le 3 juin dernier, à Bruxelles, une forte augmentation du nombre de matchs manipulés dans les championnats européens 2013-2014 ? « De lourds soupçons pèsent sur 460 rencontres, et sur 110 d’entre elles, il n’y a aucun doute », a indiqué le député européen Marc Tarabella.
Par ailleurs, veillons à ce que les équipements, les financements publics ne se concentrent pas, demain, de façon excessive, sur les quatorze métropoles que la loi du 27 janvier 2014 vient de consacrer. Il s’ensuivrait une atteinte à la « glorieuse incertitude du sport » !
En matière d’installations destinées prioritairement au sport professionnel, nous sommes extrêmement dubitatifs, nous aussi, quant au recours aux partenariats public-privé pour construire de nouveaux stades ou arenas, car si ces PPP apparaissent souvent attractifs à court terme, ils se révèlent ou se révéleront coûteux à long terme pour les deniers publics et le contribuable.
Il nous paraît souhaitable que, progressivement, les clubs deviennent propriétaires de leur stade, comme en Allemagne ou en Grande-Bretagne, mais cette doctrine ne vaut pour l’heure que pour le football et le rugby. Tout désengagement public serait mortifère pour les autres sports collectifs professionnels – basket, volley, hand – et les sports individuels professionnels, qu’il ne faut pas exclure de la réflexion – athlétisme, tennis, équitation, judo... –, avec des sportifs, parfois professionnels, utilisant des équipements publics. N’oublions pas que 76,5 % des équipements sportifs sont la propriété des communes.
Si l’intervention des collectivités pour favoriser le sport pour tous et son maillage territorial nous apparaît légitime et déterminante, leur intervention en faveur du sport professionnel suscite des interrogations, voire des réserves inhérentes notamment à l’indécence de certains revenus.
Ainsi, on lit dans un rapport de la Cour des comptes de 2009 que les collectivités financent souvent des équipements à l’usage exclusif des clubs professionnels, de football notamment, au bénéfice de structures privées dont l’objet unique est la recherche de profits grâce au spectacle sportif, aux droits télévisuels, au merchandising, à des prestations commerciales ; ces sociétés sont souvent déficitaires, alors que les collectivités se trouvent, elles, dans l’obligation réglementaire, et justifiée, d’équilibrer leurs budgets de fonctionnement.
N’oublions pas non plus le rôle souvent joué par les collectivités dans le soutien, notamment en termes d’accompagnement financier, à la carrière de jeunes sportifs, qui deviendront plus tard des professionnels, mais également dans l’aide à leur reconversion professionnelle ; ainsi, beaucoup vivent leur après-carrière en tant qu’employés au sein de collectivités.
Par-delà les trente propositions de la mission commune d’information, animée avec diplomatie et rigueur par son président, Michel Savin, et son rapporteur, notre ancien collègue Stéphane Mazars, le cœur de ce travail parlementaire réside, me semble-t-il, dans la vérification intransigeante de la mission d’intérêt général véhiculée par la dépense publique. Les subventions publiques octroyées aux clubs professionnels ne sauraient souffrir d’une contrepartie insuffisante, voire inexistante, en termes de réalisation d’une mission de service public comme la formation des jeunes joueurs, la contribution à des actions d’insertion sociale dans les quartiers des zones urbaines sensibles, les prestations d’image au profit de la collectivité, la contribution au mieux-vivre collectif....
Cette exigence est d’autant plus impérieuse que toutes les collectivités concourent fortement au rétablissement des comptes publics de notre pays et à la réduction de sa dette, situation leur imposant des choix devant être jugés incontestables – ou les moins contestables possible... – par nos concitoyens. Ne sortons-nous pas d’élections municipales où l’on n’a jamais autant parlé de financements, de fiscalité, d’endettement, de fonctionnement et d’investissement, en un mot de budget ?
À l’occasion de l’Euro 2016, organisé par la France, il serait sans doute souhaitable de rechercher un modèle économique permettant de créer dans les villes moyennes un réseau de salles nécessaire pour l’organisation de championnats nationaux de plus grande qualité, en capitalisant sur les performances de nos équipes nationales, par exemple de basket ou de hand. Cette réflexion contribuerait à la définition de principes qui doivent être régulièrement réaffirmés, ceux d’un service public du sport fondé sur un lien indissociable entre régulation financière et régulation éthique.
Mais le sujet de notre débat de ce jour n’est pas strictement hexagonal. Ainsi l’Union européenne a-t-elle, en décembre 2012, réuni son groupe d’experts sur le financement durable du sport, chargé de revoir les mécanismes de solidarité dans le sport en Europe. Son document de synthèse fait état d’un budget de 153,8 milliards d’euros consacrés au sport dans l’Union européenne, provenant pour 26 milliards des collectivités locales et pour 10 milliards des États, auquel il convient d’ajouter le bénévolat, dont la valeur est estimée à 28 milliards d’euros.
Quant à la part revenant au sport pour tous, elle provient, là encore, bien davantage des collectivités locales – 23 milliards d’euros – que des États – 5 milliards d’euros.
Ce groupe d’experts conclut qu’il faut clarifier le statut des aides de l’État dans le sport de façon à sécuriser les investissements publics en faveur du sport pour tous, notamment en précisant ce qui relève d’une activité économique – c’est bien le cas du sport professionnel – et ce qui n’en relève pas.
Nous formulons avec conviction le souhait que le travail approfondi de notre mission sénatoriale contribue, pour les collectivités territoriales, à ce nécessaire effort de clarification. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Maurice Vincent.
M. Maurice Vincent. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le sport tient une place de plus en plus importante dans notre société et porte des enjeux majeurs en termes de santé publique, de cohésion sociale, d’épanouissement personnel et de développement économique.
Dans ce cadre, le sport professionnel, avec sa visibilité parfois mondiale – la Coupe du monde de football qui débute au Brésil en est un bon exemple – et ses dimensions économique, financière et politique, justifie parfaitement qu’une mission d’information ait été consacrée à la question spécifique de ses relations avec les collectivités territoriales.
Je veux, à mon tour, saluer la qualité du travail réalisé par Michel Savin et Stéphane Mazars, et de leurs nombreuses propositions, en insistant sur deux d’entre elles qui ont particulièrement retenu mon attention.
J’évoquerai d’abord la nécessité de repenser, en considération de l’intérêt public local, le soutien des collectivités territoriales au sport professionnel. La mission commune d’information a mis en évidence l’ampleur des sommes engagées : 157 millions d’euros pour la saison 2011-2012 ! Je souscris naturellement à l’idée qu’il faut clarifier et mieux maîtriser l’ensemble des aides, tout en s’assurant qu’elles sont la contrepartie de réelles retombées locales.
Tous les élus locaux, singulièrement les maires, ont fait l’expérience de demandes, parfois de pressions, jugées excessives et auxquelles ils doivent résister. Nous ne pouvons que les encourager ! Je souhaite cependant souligner que, pour la plupart des disciplines sportives, il est objectivement difficile de mesurer ce qui est derrière cet intérêt public local, ce que peut apporter une équipe professionnelle de basket, de handball, par exemple.
Sans forcément jouer les premiers rôles dans les compétitions nationales ou internationales, la présence dans une commune d’un club comportant un certain nombre de joueurs professionnels insuffle sans nul doute un certain dynamisme dans le développement local de cette discipline sportive, en incitant les jeunes à la pratiquer. Elle contribue aussi à l’image de la collectivité et peut, dans certains cas, renforcer tel ou tel aspect de l’économie locale, en particulier avec l’accueil des équipes visiteuses et de leurs supporters.
Pour ces raisons, il me semble difficile de contester de façon générale la légitimité des aides accordées, qu’elles soient de fonctionnement ou d’investissement. En revanche, nous devons inciter les élus à mesurer leur engagement et à adapter le plus objectivement possible le montant de ces aides au bénéfice collectif escompté.
Il va de soi que le segment particulier du « sport business », à l’image de la Ligue 1 de football ou du Top 14 en rugby, relève d’une situation différente en raison de ses capacités à mobiliser d’importantes ressources privées. Pour ces disciplines, il est logique de remettre en cause, comme le préconise la mission commune d’information, l’attribution sans contrepartie de subventions de fonctionnement.
La deuxième partie de mon intervention portera sur la construction et la gestion des grands stades utilisés par le « sport business ».
Pour ce qui concerne les grands stades construits depuis de nombreuses années, la mission commune d’information fait apparaître dans son rapport une grande hétérogénéité dans le montant des redevances ou droits d’utilisation actuellement acquittés par les clubs professionnels. Ce point devrait faire sans délai l’objet d’une remise en ordre, par une évaluation objective – ce n’est pas forcément difficile à faire ! – des coûts de fonctionnement et de mise à disposition que représente pour la collectivité la gestion des équipements. Les chambres régionales des comptes s’y emploient régulièrement.
Il faut insister sur ce point, car le coût public objectivement évalué doit être « facturé », si vous me passez cette expression, à tous les clubs professionnels pour qu’il soit compensé. Cela permettrait, à la fois, de protéger le contribuable local et de garantir l’équité de traitement entre les clubs professionnels, qui sont par ailleurs en compétition sur le plan sportif.
Pour ce qui concerne la construction ou la rénovation en cours de dix stades en vue de l’Euro 2016, d’autres questions se posent en raison des sommes considérables engagées – 1,7 milliard d’euros, dont la plus grande partie est apportée par les collectivités territoriales – et de la diversité des modes de financement – financement purement privé, public, public et privé dans le cadre d’un partenariat public-privé ou encore maîtrise d’ouvrage publique. Nos collègues Dominique Bailly et Jean-Marc Todeschini ayant consacré un autre rapport très intéressant à ce sujet, il n’est donc pas nécessaire que j’y revienne longuement.
Je souhaiterais simplement souligner à mon tour, après la mission commune d’information, le risque inhérent à un financement par un partenariat public-privé. Chacun constate en effet le coût élevé de ce système, pour les collectivités comme pour les clubs, ce qui a pu ou pourra engendrer des conflits pour fixer le curseur lorsque le loyer annuel s’élève à plusieurs millions d’euros, et ce sur une longue durée. De nouveaux désagréments nous attendent certainement encore.
En revanche, je serai plus dubitatif sur la question de la transmission aux clubs sportifs de la gestion directe et de l’exploitation des grands stades, qui deviendraient alors assez rapidement « privés ». Ce système fonctionne dans un certain nombre de pays, notamment en Allemagne, comme l’a relevé la mission commune d’information. Néanmoins, l’écosystème actuel du sport en France est assez différent. Dominique Bailly l’a dit, de nombreux équipements restent encore la propriété de collectivités publiques.
Je suis certain que la plupart des grands clubs de football ou de rugby ne pourraient pas, brutalement, prendre la propriété ni même assurer la gestion directe de leurs enceintes.
C’est la raison pour laquelle, si l’on veut aller en ce sens, ce qui est certainement souhaitable, il faudra d’abord remettre à plat l’ensemble de la régulation du sport professionnel et du « sport business » pour en garantir l’équilibre.
Pour conclure, j’évoquerai un point important qui a été abordé non par la mission commune d’information, mais à l’Assemblée nationale : c’est la nécessité de renforcer, ou de recréer, les liens, y compris financiers, entre sport professionnel et sport amateur, par un accroissement de la contribution du premier au bénéfice du second. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Alain Néri.
M. Alain Néri. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous abordons cet après-midi un dossier très intéressant, celui du sport, qui a pris une place de plus en plus importante dans le quotidien de nos concitoyens. On le constate, le sport est très souvent un sujet de discussions, parfois passionnées, entre amis ou en famille ; quant à la pratique sportive, elle ne cesse de se développer.
Mais le terme générique de « sport » recouvre des réalités très différentes. Il y a d’abord le sport loisir, ouvert à tous, pratiqué par des amateurs qui, par définition, aiment la pratique sportive. Il y a ensuite le sport professionnel, pour ceux qui ont atteint un certain niveau et qui offrent, par conséquent, un spectacle à nos concitoyens. Enfin, depuis quelques années, a émergé le « sport business » : c’est là où le bât blesse, car avant tout les personnes qui organisent ce sport-là sont motivées par le « business », c’est-à-dire l’argent. Après tout, vouloir gagner de l’argent n’est pas en soi condamnable, mais, alors, les choses doivent être claires : si on est libéral, on ne doit pas l’être à moitié et, pour exercer son activité, il ne faut pas solliciter l’argent public !
Je l’ai dit à de nombreuses reprises, aujourd’hui, il y a trop d’argent dans le sport et pas assez d’argent pour le sport. Dans certaines disciplines, les sommes qui circulent sont exorbitantes, faramineuses, et même indécentes, notamment en matière de transferts ou de salaires. Je me demande d’ailleurs si certains joueurs de football savent exactement combien ils gagnent, tellement leurs rémunérations sont déraisonnables…
On comprend bien que l’on ne peut pas demander à l’argent public, donc aux contribuables, de participer à cette inflation galopante. Il est tout de même indécent de demander à des personnes rémunérées au SMIC de payer des impôts pour financer des salaires mensuels de plusieurs centaines de milliers d’euros !
Nous avons donc raison de nous interroger aujourd’hui sur la façon dont doivent réagir les collectivités territoriales. Doivent-elles se désengager ? Non ! Faut-il qu’elles vérifient la hauteur de leurs engagements ? Oui ! Il faut réguler nos interventions ; nous devons les moduler selon les disciplines. Le rapport est très clair sur ce point. Certaines disciplines, mêmes professionnelles, vivent aujourd’hui chichement parce qu’elles ne bénéficient pas de relais médiatiques.
Se pose également le problème des droits de télévision, qui ont augmenté de manière prodigieuse.
Les droits de retransmission des matchs de Ligue 1 et de Ligue 2 pour la période 2016-2020 s’élèveront à 748,5 millions d’euros, soit une augmentation de 23 %. La Ligue de rugby suit le même chemin, ce qui m’inquiète d’ailleurs un peu, au regard des valeurs traditionnelles de ce sport. Nos communes, qui ne sont parfois pas très importantes, ne pourront plus suivre. Les droits pour Canal+ de la Ligue de rugby s’élèveront à 355 millions d’euros sur quatre ans, soit 71 millions d’euros par an.
Je me rappelle d’une discussion avec Mme Buffet sur le budget des sports : nous avions, sur le coup de minuit, déposé avec mon ami Henri Nayrou un amendement fixant à 5 % la part des droits de télévision réservée au sport amateur. Que n’avons-nous alors entendu ! On allait assassiner le sport de haut niveau et autres cris d’orfraie… Je constate que, depuis lors, il n’a fait que croître et embellir. Monsieur le secrétaire d’État, je n’ai qu’un seul regret – nous pourrons peut-être nous rattraper à l’occasion du prochain budget : ne pas avoir fixé cette part à 15 %, au lieu de 5 %. Nous aurions aidé le sport amateur sans priver le sport professionnel !
Sur ces questions, sachons donc raison garder. Dans le sport, la passion l’emporte souvent sur la raison. Nous n’empêcherons jamais les aléas sportifs. Nous sommes tous, je pense, hostiles à des ligues fermées, comme elles existent aux États-Unis avec la NBA pour le basket ou la NHL pour le hockey. Nous souhaitons que le sport continue à véhiculer des valeurs, ici, celle du dépassement de soi, y compris quand, après avoir gravi bien des échelons, on est rétrogradé et que l’on doit changer de division.
L’opinion publique réclame aux collectivités territoriales toujours plus d’équipements. Malheureusement, lorsque les résultats sportifs ne sont pas au rendez-vous, les communes sont confrontées à d’énormes difficultés. Je citerai Le Mans, qui avait prévu de jouer la Coupe d’Europe et qui évolue maintenant en National, ou Grenoble, ou encore Strasbourg, qui n’a même plus d’équipe professionnelle !
Du fait de tous ces engagements qui ont été pris pour la construction de grands stades, on se retrouve aujourd’hui avec des équipements surdimensionnés. Cela pose problème sur le plan tant financier que sportif. Imaginez un club en National jouant devant 300 spectateurs dans un stade de 50 000 places : ce n’est agréable ni pour les joueurs ni pour le public ; quant aux finances de la commune...
Monsieur le secrétaire d’État, ce rapport va susciter de nombreuses réflexions. Sa très grande qualité en fait un précieux outil de travail. Je souhaite qu’ensemble nous puissions réfléchir à un certain nombre de réformes pour que le sport continue à être un facteur de cohésion sociale et de dynamisme pour nos communes. Mais sachons raison garder : la passion ne doit pas l’emporter sur la raison ! (Applaudissements.)
M. Michel Savin, président de la mission commune d’information. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Thierry Braillard, secrétaire d'État auprès de la ministre des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux à mon tour louer l’excellent travail réalisé par MM. Savin et Mazars. On souligne volontiers la sagesse de la Haute Assemblée, mais j’ai aussi relevé dans leur rapport, dont les préconisations nous invitent à la réflexion, beaucoup d’impertinence…
Je salue également le non moins excellent rapport rédigé précédemment par MM. Dominique Bailly et Jean-Marc Todeschini, qui nourrit lui aussi la réflexion du Gouvernement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d'abord exprimer un petit regret : je trouve que vous avez un peu oublié les vertus de la loi du 6 juillet 2000, dite « loi Buffet ». Cette loi a tout de même permis de réguler et de rendre plus transparents les rapports entre les collectivités et les clubs professionnels.
Il existe deux formes de financement des clubs professionnels par les collectivités : au titre, d’une part, des missions d’intérêt général, et, d’autre part, de l’achat de prestations de services. Il ressort du rapport de MM. Savin et Mazars qu’il est peut-être temps d’affiner le dispositif de la loi du 6 juillet 2000, car il apparaît clairement aujourd’hui que les trois missions d’intérêt général visées par celle-ci ont parfois été quelque peu détournées, interprétées dans un sens ne correspondant plus totalement à ce qu’avait voulu le législateur. À cet égard, le présent rapport doit inciter tant le Gouvernement que le législateur à réactualiser cette loi essentielle pour la régulation des relations entre les collectivités et les clubs professionnels. Je profite d'ailleurs de cette occasion pour rendre hommage au travail qu’avait réalisé Mme Buffet : rappelez-vous d’où nous venons ! Sur le terrain, on voit parfois certains maires ou certains présidents de conseil général faire la course à l’échalote, mélanger fonds publics et fonds privés, se payer un club professionnel alors que la collectivité dont ils ont la charge n’en a pas forcément le besoin ou les moyens !
Mme Corinne Bouchoux. Très bien !
M. Alain Néri. C’est bien dit !
M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Par ailleurs, ce rapport est aussi essentiel en ce qu’il pose enfin la question des infrastructures sportives. À cet instant, je veux rendre hommage au courage de ses auteurs.
Aujourd'hui, notre pays est à un tournant culturel : le modèle français de la collectivité propriétaire et exploitante des équipements a vécu. Sur ce point aussi, je souscris aux propos qu’a tenus Dominique Bailly. À l’ère du sport professionnel, on ne peut plus imaginer qu’une ville va financer, gérer et exploiter un équipement qui ne profitera qu’à la société privée utilisatrice. Je partage entièrement le constat établi par les auteurs du rapport : les partenariats public-privé, les PPP, constituent des bombes à retardement, ne serait-ce qu’en raison de l’aléa sportif, que M. Néri a évoqué. La France n’entendant pas adopter le modèle des ligues fermées, comment peut-on signer un engagement sur trente ans, sans certitude que, durant cette période, le club locataire de l’infrastructure jouera toujours au plus haut niveau ? (Mme Corinne Bouchoux opine.) Qui peut affirmer avec certitude que le club de Clermont – je cite cet exemple au hasard, monsieur Néri ! – restera pendant trente ans en Top 14 ? On ne le peut pas, en raison de l’aléa sportif !
Je le répète, les auteurs du rapport ont été courageux de dire haut et fort que nous allons au-devant de gros problèmes. Cela étant, monsieur Savin, qu’entendez-vous par « sport professionnel arrivé à maturité » ? Pour l’heure, la grande majorité des clubs professionnels bénéficient du soutien de collectivités territoriales. Si, demain, les collectivités n’aident plus les clubs de volley-ball, celui-ci disparaîtra de la carte du sport professionnel français ! Cela vaut aussi pour le hand-ball et, surtout, pour le basket-ball. Restent le football et le rugby…
Le club de rugby d’Oyonnax, qui joue en Top 14, est-il un club professionnel arrivé à maturité, qui ne devrait plus être subventionné par les collectivités ? La réponse est non ! Ce club est un vecteur économique extrêmement important dans la vallée de la plasturgie de l’Ain. Son rôle va bien au-delà du seul domaine sportif. Or, s’il n’était pas soutenu par les collectivités, il ne serait plus en Top 14 !
De même, le club de football féminin de Juvisy relève-t-il du sport professionnel arrivé à maturité ? À nouveau, la réponse est non ! Sans soutien des collectivités, il n’y aurait plus de football féminin professionnel à Juvisy ! Je remercie d’ailleurs Mme Bouchoux d’avoir souligné la nécessité de développer le sport féminin : qu’elle ne doute pas de ma détermination à cet égard.
Enfin, les clubs de football de Caen ou de Metz, qui viennent de monter en Ligue 1, sont-ils arrivés à maturité et ne doivent-ils plus, pour cette raison, bénéficier du soutien des collectivités ? Parlez-en aux sénateurs des deux départements concernés ! M’étant récemment rendu dans le Calvados, j’ai pu constater que le Stade Malherbe de Caen est un vrai vecteur pour les collectivités, et je n’ai entendu personne dire que, maintenant qu’il a accédé à la Ligue 1, ce club ne doit plus être soutenu…
Monsieur Savin, la notion de « sport professionnel arrivé à maturité » est donc difficile à cerner, et sa définition est discutable. Cependant, vous avez raison d’en appeler à « moins d’argent public » et à « mieux d’argent public » et, surtout, je souscris à ce que vous avez dit sur la nécessité d’un changement de culture.
Mme Escoffier a invoqué à juste titre le bon sens. Le désarroi des villes moyennes est patent. Le cas du Havre, évoqué par plusieurs sénateurs, est exemplaire, mais il procède d’un autre schéma : une convention d’occupation temporaire du domaine public permet au club de football de la ville d’exploiter l’équipement ; j’y reviendrai. Quant aux métropoles, aux régions et au Grand Paris, ils doivent eux aussi définir leur relation avec les clubs professionnels.
Monsieur Vanlerenberghe, vous avez parlé de « privatisation des bénéfices ». Je vous mets au défi de me dire quels clubs professionnels ont dégagé et réparti des bénéfices au cours des cinq dernières années : il n’y en a pas !
M. Alain Néri. Non, parce qu’on ne limite pas les dépenses !
M. Thierry Braillard, secrétaire d'État. Le sport professionnel est une activité où l’on ne gagne pas d’argent, même quand on limite les dépenses. Nous y reviendrons, monsieur Néri : les règles du fair-play financier s’appliquent.
M. Le Scouarnec, évoquant le sport-spectacle, a soulevé la question de la mise à disposition des infrastructures et celle de l’instauration de nouvelles modalités de régulation. Aujourd'hui, la plupart des clubs professionnels sont des sociétés. Dès lors, une collectivité ne peut mettre à disposition un équipement gratuitement. La loi l’interdit : elle impose le versement d’une redevance d’occupation, laquelle mériterait d’ailleurs peut-être d’être un peu mieux encadrée, pour des raisons d’équité. En effet, à l’heure actuelle, on voit très bien que la collectivité fait un peu ce qu’elle veut,…
M. Alain Néri. Marseille…
M. Thierry Braillard, secrétaire d'État. … sous réserve qu’un citoyen n’engage pas un recours devant le tribunal administratif. Cette question mérite d’être approfondie.
Madame Michel, j’ai trouvé vos propos un peu durs ! Je ne suis pas sûr que les responsables de l’Union Sportive dacquoise les apprécient, d’autant que ce club n’est financé qu’à hauteur de 13 % par des fonds publics. La notoriété de Dax tient aussi aux succès passés de son équipe de rugby, notamment aux exploits de Pierre Albaladejo. Il en va de même pour Tarbes et son club de rugby : ce n’est pas le grand amateur de sport qu’est M. Fortassin qui me contredira ! Le sport professionnel apporte de la cohésion sociale, mais aussi une notoriété extrêmement intéressante pour les collectivités : certaines se paient des campagnes de communication, d’autres, à travers le sport professionnel, s’en offrent une à moindres frais…
Concernant le salaire moyen des sportifs professionnels, madame Michel, et particulièrement des joueurs de football de Ligue 1, les données sont quelque peu faussées par l’importance des salaires versés par deux ou trois clubs. Je ne suis pas là pour défendre le sport professionnel, mais je pense que la situation décrite par certains n’est pas représentative de la situation réelle des joueurs professionnels de football, de rugby, de volley-ball, de hand-ball ou de basket-ball.
Par exemple, si le salaire moyen des joueurs de rugby du Top 14 est de 11 000 euros, il est de l’ordre de 4 000 euros à Dax ou à Tarbes, clubs qui évoluent en Pro D2. On n’est pas là dans le sport business ! Dans le même ordre d’idées, dans le football, Ibrahimović, joueur d’exception, est l’arbre qui cache non pas la forêt, mais le désert ! La situation du sport professionnel et des sportifs professionnels est plus précaire que vous ne le pensez.
Comme M. Mézard, je considère que le sport contribue de manière importante au lien social, qu’il ne faut pas opposer sport professionnel et sport amateur et qu’une simplification des normes des fédérations est nécessaire. J’ai d’ailleurs saisi Mme Spinosi, présidente du Conseil national du sport, de ce dernier sujet, car la complexité de ces normes est parfois tout à fait abusive, ainsi que l’a également souligné M. Néri.
Madame Bouchoux, vous n’avez pas tort de parler d’un système « à bout de souffle », de souligner la nécessité de réguler l’usage des équipements et d’intervenir sur les tarifs. Selon vous, les clubs professionnels devraient devenir propriétaires des infrastructures qu’ils utilisent, mais encore faut-il qu’ils le veuillent et, dans l’affirmative, qu’ils le puissent ! Sinon, il faut trouver un moyen pour qu’au moins ils assurent la gestion et l’exploitation des équipements : cela seul leur permettra de dégager des recettes et d’éviter ainsi d’aller frapper à la porte de la mairie ou du conseil général pour obtenir des subventions supplémentaires.
Vous connaissez la position du Gouvernement sur le dossier de Roland-Garros. D’importantes dépenses ont été engagées par la Fédération française de tennis pour réaliser des travaux d’infrastructure tout en privilégiant l’environnement, avec notamment la sauvegarde des espèces en voie de disparition ou la préservation des serres d’Auteuil, qui constituent un élément essentiel du patrimoine.
D’aucuns défendent l’idée qu’il faut bâtir une autre enceinte pour accueillir cette manifestation sportive, mais les travaux réalisés visant notamment à rehausser le court central sans en créer un nouveau, cela devrait vous satisfaire, madame Bouchoux, vous qui n’aimez guère le béton : il s’agit de travailler sur l’existant plutôt que de construire une nouvelle infrastructure.
J’ai déjà tellement fait l’éloge de l’intervention de M. Bailly que je vais en rester là. (Sourires.)
M. Dominique Bailly. Non, continuez si vous voulez ! (Nouveaux sourires.)
M. Thierry Braillard, secrétaire d'État. Je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à considérer le modèle du Havre, à tout point de vue exemplaire.
Je remercie M. Bailly d’avoir affirmé son opposition à la proposition n° 27 du rapport. Je trouve, monsieur Savin, que celle-ci va un peu trop loin : il nous appartient tout de même de défendre le rôle de l’État et des collectivités dans le cadre d’une politique sportive équitable et équilibrée.
Monsieur Lozach, nous partageons le même point de vue sur les perspectives des partenariats public-privé. Vous avez rappelé l’importance des missions d’intérêt général, la contribution du sport au mieux-vivre ensemble et à l’image de la collectivité, ainsi que l’impératif d’exemplarité du sport de haut niveau.
M. Vincent parle en connaissance de cause quand il évoque les enjeux de la présence d’un club professionnel dans une ville et ses retombées en termes de dynamisme, d’image, d’apport à l’économie locale. Toutefois, il faut savoir résister aux pressions parfois insupportables qu’exercent certains présidents de clubs professionnels, qui n’hésitent pas à mélanger fonds privés et fonds publics.
Monsieur Néri, en distinguant sport professionnel et sport business, vous avez mis le doigt sur une problématique dont les ligues nationales professionnelles doivent prendre conscience. Pour que l’aléa sportif demeure, il va falloir mettre en place des moyens de régulation : si, en début de saison, on connaît déjà l’identité du champion, l’intérêt sportif risque d’être limité ! Vous posez donc une question importante dont, je l’espère, les ligues se saisiront.
Je conclurai mon propos en pointant un certain nombre de problématiques qui vous inciteront peut-être, mesdames, messieurs les sénateurs, à instaurer une nouvelle mission commune d’information et à poursuivre votre réflexion, qui nourrit celle du Gouvernement.
Je vous invite ainsi à réfléchir à la question du semi-professionnalisme. Le statut des joueurs et des joueuses est le plus souvent d’une précarité totale. Comme je l’ai dit tout à l’heure, Ibrahimović est l’arbre qui cache le désert. Quelques cas, que l’on peut dénombrer sur les doigts d’une seule main, masquent une réalité parfois faite de bricolages : les salaires ne sont pas payés comme il se doit, on contourne un peu les règles du droit du travail, le club prend en charge le paiement du loyer du joueur ou rembourse des notes de frais, etc. Les sportifs concernés sont en fait des semi-professionnels et se trouvent dans une situation de grande précarité.
Il faut donc mener une réflexion sur ce sujet, car, aujourd'hui, la situation du sport professionnel dans notre pays n’est pas satisfaisante : les clubs, qui sont des sociétés, cherchent vainement à retrouver leur compétitivité. Il nous appartient de les aider, car ces sociétés emploient, au-delà des quelques joueurs présents sur le terrain, de nombreux salariés.
En matière de lutte contre le dopage ou contre les dérives des jeux en ligne, ainsi que de contrôle de la gestion des clubs professionnels, la France peut s’enorgueillir de mener une politique très vertueuse. Vous avez observé qu’il n’en allait pas de même dans tous les pays d’Europe. Essayer d’exporter ce modèle vertueux français qui permet d’éviter, par le contrôle, la survenue de dérives et de catastrophes économiques pourrait être l’une de nos missions.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie une fois encore MM. Savin et Mazars du très intéressant travail qu’ils ont accompli et qui alimentera ma réflexion dans les semaines à venir, éventuellement en vue de l’élaboration d’un projet de loi. (Applaudissements.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions de la mission commune d’information sur le sport professionnel et les collectivités territoriales.