Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Laurent.
M. Daniel Laurent. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse, qui me satisfait pleinement. Vous l’avez dit, la géothermie de minime importance possède un vrai potentiel de développement. Il serait dommage de ne pas l’employer correctement.
Je vous sais gré du renforcement de ces exigences thermiques, dû à une réelle prise de conscience et à une collaboration étroite avec tous les intervenants.
trains express régionaux et désenclavement du haut jura
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Bailly, auteur de la question n° 713, adressée à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Gérard Bailly. Je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur les menaces pesant sur la ligne de train express régional du haut Jura, une infrastructure indispensable à la desserte et au désenclavement de ce territoire de montagne.
Cette ligne, créée il y a un siècle grâce à d’importants efforts – elle compte de nombreux tunnels et viaducs de grande qualité architecturale et patrimoniale – relie les gares de Champagnole, Saint-Laurent, Morez, Saint-Claude et Oyonnax, d’une part, aux autres villes du massif du Jura, vers La Cluse et Bourg-en-Bresse, et, de l’autre, à Paris, via Besançon et Dôle.
La fréquentation de cette ligne est certes faible : moins de dix trains y circulent chaque jour. Qui plus est, d’importants travaux sont nécessaires, comme le révèle une étude menée par Réseau ferré de France, RFF, en 2013.
Toutefois, les propositions actuelles de transfert sur route par autocar posent des problèmes de coûts économiques, environnementaux et même humains. Cette partie du massif du Jura est très enneigée en hiver : n’oublions pas que, par la route, il faut franchir le col de la Savine, qui culmine à 998 mètres et qui, bien souvent, est difficilement praticable.
Des travaux de sécurisation ont déjà été financés par le département dans le cadre d’un contrat de projet État-région, ou CPER, que j’ai moi-même cosigné en l’an 2000 en tant que président du conseil général.
Le comité de défense de cette ligne ferroviaire, qui s’est constitué, a interpellé tous les maires des villes et des villages répartis le long de cette dernière. Ses membres demandent à RFF de s’engager à fournir des investissements à même d’assurer le bon fonctionnement de la ligne.
Ils souhaitent voir mobiliser des dotations de l’État et de la région à la hauteur des besoins des populations, afin de prévenir toute rupture d’égalité.
Ils demandent au surplus à la SNCF de maintenir des personnels dans les gares. Outre la vente des billets, ces agents assument des missions de renseignements. Ils indiquent par exemple les horaires des trains. Qui plus est, ils assurent la sécurité, voire le déneigement des quais. Je le répète, les hivers sont rudes dans le haut Jura !
Enfin, le comité de défense rappelle la nécessité de maintenir vers Dôle, Dijon et Besançon des TER directs, adaptés aux horaires cadencés des correspondances existant à Mouchard, par exemple pour rallier Paris par le TGV.
Monsieur le secrétaire d’État, le département du Jura a déjà été mis à l’écart de la nouvelle ligne TGV Rhin-Rhône, qui relie Mulhouse à Dijon. L’ancienne ligne, qui passait par Dôle, a été fermée. Nous avons également eu la déception de voir le projet de branche sud du TGV Rhin-Rhône effacé du schéma national des infrastructures de transport, le SNIT au printemps 2013.
Nous ne saurions donc voir à présent disparaître la ligne du haut Jura. J’ajoute que cette voie ferrée est très utilisée par les collégiens et étudiants pour rejoindre les facultés de Besançon, de Dijon ou de Lyon, ainsi que par les touristes qui rejoignent notre territoire.
Monsieur le secrétaire d’État, il faut prendre en compte les difficultés propres aux territoires de montagne. Je me permets d’insister : envisage-t-on de mobiliser les crédits nécessaires aux travaux que je viens d’évoquer, au titre du prochain CPER ? Il ne faudrait pas enclaver davantage encore le haut Jura, qui est déjà particulièrement isolé !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de M. Frédéric Cuvillier, qui assiste ce matin aux célébrations organisées pour les vingt ans du tunnel sous la Manche.
Le Gouvernement entend les préoccupations que vous exprimez quant à la pérennité de la ligne ferroviaire entre Andelot-en-Montagne et La Cluse.
Le degré général de vieillissement des infrastructures, qu’il s’agisse des voies ou des ouvrages d’art, nécessiterait des travaux de renouvellement pour que l’exploitation soit pérennisée sur l’ensemble de cette section de chemin de fer.
Vous le savez, l’infrastructure ferroviaire nationale a souffert, depuis de nombreuses années, de sous-investissements chroniques. À cet égard, Frédéric Cuvillier a lancé deux chantiers.
Tout d’abord, il a engagé un grand plan de modernisation du réseau, le GPMR, qui doit être décliné territorialement en partenariat avec les collectivités territoriales. Il s’agit de poursuivre l’indispensable effort de renouvellement et de modernisation du réseau ferroviaire à l’aide d’une enveloppe d’au moins 2,5 milliards d’euros chaque année. Compte tenu des besoins existants, cette action devra être concentrée sur les lignes les plus fréquentées et les nœuds ferroviaires les plus empruntés.
Ensuite, M. Cuvillier a entrepris d’agir au titre du volet « mobilité multimodale » des prochains contrats de projet État-région qui, vous l’avez rappelé, sont actuellement en cours d’élaboration. Ce travail doit être mené de concert avec les collectivités, pour définir les opérations de modernisation prioritaires. C’est dans ce cadre que doit être envisagée la remise à niveau de la ligne Andelot-La Cluse. Le gestionnaire et l’État ne seront pas en capacité d’investir seuls. Une participation importante est donc attendue de la part des collectivités territoriales.
Réseau ferré de France assure d’ores et déjà l’entretien de la ligne. Il consacre en moyenne 2,5 millions d’euros par an à la portion franc-comtoise de celle-ci. Des travaux plus importants y sont, de surcroît, réalisés à l’occasion de coupures triennales. La prochaine phase de ce programme est fixée à l’été 2015. Elle permettra de mener pour 1,5 million d’euros de travaux au titre de la voie et des ouvrages d’art.
Quant aux conditions d’exploitation des services ferroviaires, notamment la mise en circulation de TER directs vers Dôle, Dijon et Besançon, elles relèvent de la compétence de la région, dans le cadre des conventions TER conclues avec la SNCF. L’État ne peut pas influer sur les choix des autorités organisatrices régionales. Cependant, il fait pleinement confiance à ces dernières pour prendre les décisions répondant au mieux aux besoins de mobilité des habitants. M. Cuvillier sait qu’elles sont soucieuses d’articuler au mieux, avec la SNCF, les services TER et TGV.
Il en va de même de la question des personnels des gares. Il convient à ce propos de remarquer que les modes d’achat auxquels les voyageurs ont recours ont évolué sous l’effet des nouvelles technologies. Il est normal que l’organisation du service soit adaptée, en lien avec les régions, afin d’offrir une réponse efficace et adaptée aux besoins des usagers.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Bailly.
M. Gérard Bailly. Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie de votre réponse, qui porte sur les transports ferroviaires dans leur ensemble et, plus précisément, sur la ligne du Jura qui nous préoccupe.
Le bassin du haut Jura est un secteur très industriel. La jeunesse y est bien présente ; les entreprises, sur place, ont besoin de jeunes qualifiés. Or les formations nécessaires ne sont proposées que dans les grandes villes que je viens de citer. À l’heure où l’on parle de développement durable, il est capital que nos jeunes ne soient pas contraints d’utiliser leur seule voiture, quand seulement ils en possèdent une, pour aller étudier.
Eu égard à l’expérience des précédents CPER, je souhaite que l’État se montre attentif à la demande qui doit être formulée par le conseil régional, avec l’appui du conseil général du Jura, en vue de fédérer tous les efforts : cette ligne doit perdurer ! Elle est indispensable à notre territoire, qui s’étend de Besançon à Oyonnax, ville du département de l’Ain, dans la région Rhône-Alpes, et comprend l’ensemble du Jura.
En posant cette question orale, je tenais à alerter à la fois l’État, la SNCF et RFF sur cet enjeu. Cette belle ligne est baptisée « la ligne des hirondelles ». Or, si l’on en croit les titres des journaux (M. Gérard Bailly brandit un article de presse.), « la ligne des hirondelles a du plomb dans l’aile » ! Voilà pourquoi je lance cet appel au secours.
Mme la présidente. Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Charles Guené.)
PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
3
Rappels au règlement
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour un rappel au règlement.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, ce rappel au règlement se fonde sur l’article 36 de notre règlement.
Je veux faire état ici d’un événement extrêmement grave survenu voilà quelques jours au Nigéria : l’enlèvement de plus de 200 jeunes filles de quinze à dix-huit ans. Le groupe terroriste qui a revendiqué ce kidnapping a déclaré que les jeunes filles n’avaient pas le droit d’étudier et annoncé qu’il allait vendre celles qu’il retenait au marché aux esclaves !
Il se trouve que, hier soir, le Sénat a ratifié à l’unanimité la convention d’Istanbul, laquelle a pour objet de donner un cadre européen à la lutte contre ce fléau que constituent les violences faites aux femmes.
Face à une telle horreur, nous ne pouvons qu’être sidérés et révoltés. Comment réagir autrement lorsque, en 2014, on apprend de pareilles nouvelles ?
M. Charles Revet. C’est vrai, il y a vraiment de quoi être scandalisé !
Mme Laurence Cohen. Serions-nous revenus à des temps qu’on croyait révolus, ceux de la barbarie ?
J’invite le Sénat tout entier à se mobiliser. En effet, et je pense que nous serons unanimes sur ce point, nous devons tous, hommes et femmes, en tant que parlementaires, réagir et former une chaîne humaine de solidarité pour exprimer notre indignation.
J’en appelle à M. le président du Sénat, Jean-Pierre Bel, pour que, sur son initiative, une délégation se rende à l’ambassade du Nigéria afin de condamner ces actes avec la plus grande fermeté. La Haute Assemblée doit, à cet égard, donner l’exemple, afin que la France réagisse à son tour et que tous les moyens soient mis en œuvre, tant au niveau national que sur le plan international, pour que ces jeunes filles recouvrent la liberté et retrouvent le chemin de leur foyer.
Une telle réaction sera à l’honneur des parlementaires que nous sommes. (Applaudissements.)
M. le président. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, ma chère collègue. M. le président du Sénat en sera évidemment informé.
La parole est à M. Éric Doligé, pour un rappel au règlement.
M. Éric Doligé. Monsieur le président, je m’associe bien entendu totalement au rappel au règlement de Mme Cohen. Je pense que tous nos collègues ici présents se joignent à elle pour appuyer sa demande.
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Éric Doligé. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article de notre règlement relatif à l’organisation de nos travaux et fait suite à l’intervention du Président de la République, ce matin, sur une station de radio.
Au cours cette intervention, le Président de la République a évoqué la date des prochaines élections régionales et cantonales. Le Sénat étant l’assemblée qui représente les collectivités, cette nouvelle ne peut pas être ici passée sous silence.
Qui plus est, sur ce sujet, nous voyons défiler un certain nombre de textes qui se contredisent les uns les autres – pas moins de quatre en deux ans ! –, ce qui n’est pas sans poser problème. M. le ministre du travail, qui a siégé dans cette assemblée et y a exercé certaines responsabilités, s’interroge sans doute, lui aussi, sur l’impact que peuvent avoir des changements incessants quant aux dates de ces élections.
Je rappelle que le Président de la République a déclaré ce matin souhaiter « que nous puissions, pour les élections régionales et cantonales à venir, avoir un nouveau découpage pour les régions », ajoutant, en ce qui concerne la date des élections : « Si c’est en 2016, cela permettrait d’avoir le temps. »
M. Jean Desessard. Et c’est vrai !
M. Éric Doligé. Il évoque « douze ou onze régions » et indique : « Pour les départements, je pense que les conseils généraux ont vécu. » Sous-entendu : il est probable que la suppression des conseils généraux interviendra en 2016, soit encore plus tôt que prévu...
Mais je rappelle aussi que, voilà tout juste huit jours, le 29 avril, ici même, le Premier ministre affirmait avec beaucoup de conviction que les élections régionales et cantonales auraient bien lieu au mois de mars 2015.
M. Charles Revet. Oui, c’est contradictoire !
M. Éric Doligé. Le Premier ministre nous disait en substance : ne vous inquiétez pas, on maintiendra la date des élections, on ne la changera pas…
Du reste, le 8 avril, dans son discours de politique générale, lorsqu’il a annoncé la suppression des conseils généraux à l’horizon de 2021, le Premier ministre n’avait pas dit autre chose.
Je pourrais faire de nombreux rappels de cette sorte, mais la journée n’y suffirait pas ! Je veux toutefois encore mentionner les déclarations importantes du Président de la République, lors de sa conférence de presse du 14 janvier dernier, et celles de Mme Lebranchu à Tulle, lors de ses vœux aux collectivités. Tous deux ont redit que les départements constituaient un élément essentiel du fonctionnement de nos institutions et qu’ils étaient incontournables.
Ce matin, selon le Bulletin quotidien, « le Président de la République, M. François Hollande, serait très réservé sur un tel report » à 2016, que réclament Alain Rousset et Didier Guillaume.
Toutes ces déclarations ne sont pas sans soulever un certain nombre de questions, d’autant que, dans quelques jours, le projet de loi sur l’organisation des territoires doit être présenté en conseil des ministres, avant d’être examiné en commission par le Sénat et inscrit à l’ordre du jour de nos travaux.
Avec ce texte est annoncée la disparition de la compétence générale, alors même qu’elle venait juste d’être instituée à nouveau ! Or il apparaît que, finalement, tout le monde la conservera ! Ainsi, les départements vont être invités à confier à la région le transport scolaire, mais, quelques lignes plus loin, il est prévu que la région pourra déléguer cette compétence aux départements !
On le voit, rien ne bouge en ce bas monde, en tout cas pour ce qui est de la clause de compétence générale !
Monsieur le président, je vous remercie de transmettre à M. le président du Sénat notre souhait de voir le Premier ministre venir à nouveau devant nous pour prononcer un discours de politique d’organisation territoriale, de manière que nous puissions essayer de comprendre ce qui va se passer. Peut-on véritablement croire que, dans les semaines qui viennent, c'est-à-dire dans un délai extrêmement court, nous serons en mesure de répondre à toutes les questions qui nous seront posées ? Je pense à ce nouveau projet de loi, aux nouvelles compétences qui seront dévolues aux collectivités – communautés de communes, départements, régions –, avec tous les problèmes que cela entraînera nécessairement.
Il relève de la responsabilité du Premier ministre de nous expliquer comment il pense organiser les collectivités territoriales. C’est d’autant plus important que, même si nous n’avons jamais parlé de cet aspect du problème, les départements délèguent des grands électeurs pour les élections sénatoriales.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Éric Doligé. Il serait tout de même intéressant de savoir si l’on supprime le Sénat… (Exclamations amusées.) Pardonnez-moi ce lapsus ! Mais après tout, c’est peut-être la prochaine étape, mes chers collègues… (Sourires.)
Je reprends : il serait intéressant de savoir si l’on supprime les départements avant 2016, car cela aura une incidence sur les élections sénatoriales de 2017. Comment fera-t-on alors ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, monsieur Doligé.
M. Charles Revet. Peut-être le ministre veut-il répondre…
M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social. Je vais m’en tenir à mon département ministériel, si vous le permettez ! (Sourires.)
M. Charles Revet. C’est plus prudent ! (Nouveaux sourires.)
4
Lutte contre le dumping social et la concurrence déloyale
Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre dans le cadre de la sous-traitance et à lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale (proposition n° 397, texte de la commission n° 488, rapport n° 487).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes aujourd’hui appelés à examiner une très intéressante proposition de loi, déposée par le député Gilles Savary : elle vise à renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre dans le cadre de la sous-traitance internationale.
Il s’agit là d’un sujet qui revient souvent, car nous partageons tous un même but : lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale.
Le détachement de travailleurs étrangers n’est pas un fait nouveau, mais il se développe. En 2012, 170 000 salariés étrangers ont été détachés en France et, même si nous ne disposons pas encore des chiffres définitifs, on peut estimer que leur nombre aura été de 220 000 en 2013, soit une hausse importante, de l’ordre de 10 %. Bien entendu, il faut le souligner, un grand nombre de nos compatriotes bénéficient eux-mêmes d’un détachement : 140 000 Français sont détachés à l’étranger par des entreprises françaises. La France occupe ainsi le troisième rang en Europe quant à la mise en œuvre de cette possibilité.
Il convient de le souligner, le principe du détachement des travailleurs n’est pas en cause. Ce qui l’est, ce sont les montages frauduleux et les abus qui peuvent l’entourer et qui, malheureusement, sont de plus en plus fréquents.
La directive européenne Détachement de 1996 avait posé un cadre pertinent : aucun employeur établi hors d’un territoire ne peut détacher un salarié sans être soumis au respect des règles sociales de l’État d’accueil. Toutefois, force est de constater que cette directive est désormais contournée, sans possibilité réelle de sanction.
Ces situations ne sont l’apanage ni des villes ni des campagnes, pas plus que des chantiers de BTP ou des exploitations agricoles ; c’est un sujet qui concerne toute la société française, et même toute l’Europe.
Pour le Gouvernement, comme pour le Sénat, j’en suis sûr, le choix est clair : construire l’Europe, ce n’est pas laisser faire. Nous nous devons donc de refuser la concurrence par le moins-disant social.
C’est tout l’intérêt de cette proposition de loi. Elle protège les entreprises qui payent leurs cotisations sociales en France et respectent le droit. Elle protège les travailleurs installés en France d’une concurrence aussi inégale qu’injuste. Elle protège aussi les travailleurs détachés qui, loin d’être coupables, sont les victimes de certaines pratiques inacceptables.
C’est l’honneur de notre pays que de protéger et de respecter ceux qui travaillent sur notre sol. La loi française doit s’appliquer de la même manière à tous les travailleurs, détachés ou non. Or il est illégal, en France, par exemple, de faire travailler des salariés 45 heures par semaine pour 3 euros de l’heure, ou moins, de faire dormir des gens dans des hangars, de les priver d’accès aux soins.
Ces dénis ou, à tout le moins, ces contournements de notre droit provoquent la concurrence déloyale que dénoncent d’une même voix organisations syndicales et patronales et qui engendre, ici ou là, il faut bien le reconnaître, racisme et xénophobie.
En 2012, la Commission européenne a proposé un texte que je qualifierai de faible, car il ne permet pas de demander au donneur d’ordre, le vrai responsable, de rendre des comptes. La France l’a refusé le 25 octobre dernier, faisant ainsi échouer un mauvais compromis – comme quoi, c’est possible ! – et se donnant deux mois pour convaincre ses partenaires européens. C’est tout à l’honneur de notre pays.
Avec l’Allemagne, mais aussi la Roumanie et la Bulgarie, deux pays qui savent fort bien ce que signifie l’exploitation de leurs travailleurs, nous sommes parvenus, le 9 décembre 2013, à arracher, cette fois, un compromis que l’on peut considérer comme bon.
Il comporte en effet, incontestablement, deux avancées majeures.
Il prévoit, premièrement, que la liste des documents exigibles auprès des entreprises en cas de contrôle doit être une liste ouverte. La France fixera la liste des documents exigibles pour tous les travailleurs détachés dans notre pays. La directive imposera aussi des règles dans les pays qui en sont aujourd’hui dépourvus.
Il prévoit, deuxièmement, que les entreprises donneuses d’ordres du secteur du bâtiment et des travaux publics doivent impérativement être responsabilisées vis-à-vis de leurs sous-traitants, et cela dans tous les États, sous la forme d’une responsabilité solidaire ou d’un mécanisme de sanctions équivalentes. Les responsables des fédérations du BTP, que j’ai rencontrés, souhaitaient une telle évolution.
En clair, cela signifie qu’il sera désormais possible d’établir une chaîne de responsabilités pour lutter contre les montages frauduleux, dont le seul but est de contourner les textes. La page de la directive Bolkestein, qui aura fait beaucoup jaser, est donc bel et bien tournée. Il n’y aura plus ni dumping ni exploitation !
Au moment où les élections européennes approchent, je tiens à souligner que le Parlement européen a, le 16 avril dernier, voté la nouvelle directive ; on en entend dire tellement de mal qu’il est bon aussi de rappeler les choses positives qu’il accomplit, même si cela s’est fait, en l’occurrence, sous la pression de notre pays.
La proposition de loi de Gilles Savary anticipe la mise en œuvre de cette nouvelle de cette nouvelle directive et en renforce même le dispositif. Elle ne limite pas son champ d’action au seul secteur du bâtiment. Elle élargit la chaîne de responsabilités à l’ensemble des donneurs d’ordre, des maîtres d’ouvrage, mais aussi des entreprises de travail temporaire ou des entreprises qui sous-traitent, et garantit ainsi aux salariés détachés la possibilité de faire valoir leurs droits. Elle confère en outre aux organisations syndicales la possibilité d’agir au nom d’un salarié lorsque celui-ci, par exemple, n’est plus présent sur le territoire, ce qui est bien souvent le cas.
La commission que vous présidez, madame David, a accompli, sous l’égide de Mme Emery-Dumas, un important travail de simplification de la proposition de loi, travail je voudrais ici remercier tous les membres de la commission des affaires sociales. Il est important d’aller vers des textes simples, efficaces, précis, qui puissent réellement s’appliquer.
M. Charles Revet. Il y a du travail à faire !
M. François Rebsamen, ministre. Les propositions de la commission permettent de renforcer la portée du texte, en articulant les mesures qu’il contient autour de deux axes.
C’est, premièrement, la création d’une sanction administrative pour non-respect de l’obligation de déclaration de l’entreprise, mais aussi l’indispensable obligation de vigilance du donneur d’ordre, qui doit être lui-même responsabilisé et vérifier que l’entreprise à laquelle il fait appel est en règle.
C’est, deuxièmement, le recentrage de la solidarité financière en cas de non-respect de son obligation de diligence pour non-paiement des salariés par leur employeur, ou pour hébergement dans des conditions particulièrement indignes, ce qui arrive malheureusement encore trop souvent.
Les donneurs d’ordre qui, en France, ne se seront pas assurés du respect de ces obligations par leur prestataire seront également passibles de sanctions.
Parallèlement, la responsabilité solidaire du donneur d’ordre a été recentrée sur le paiement par l’entreprise de salaires inférieurs aux minima conventionnels ou légaux et/ou sur la prise en charge du relogement collectif des salariés. J’ai vu toutefois que des amendements avaient été déposés sur ce thème.
L’action, mesdames, messieurs les sénateurs, ne s’arrête pas là. Le plan national de lutte contre le travail illégal apporte des outils supplémentaires, comme la réforme de l’inspection du travail, qui crée des unités pluridisciplinaires et spécialisées, lesquelles sont indispensables. Les URSSAF, les forces de l’ordre et/ou les services fiscaux, de même que les services douaniers le cas échéant, sont également impliqués dans cette lutte, avec la volonté d’une plus grande cohérence de l’action collective.
Telles sont les orientations que nous avons retenues en France. Dans d’autres pays, la police effectue un contrôle systématique dès l’ouverture d’un chantier, pour vérifier la réalité des entreprises concernées et s’assurer de la légalité des conditions d’emploi des salariés. Nous n’en sommes pas là, mais nous mettons en place des dispositifs efficaces de vérification.
Sans harmonisation des conditions sociales en Europe, la liberté de circulation des hommes et des femmes comme des marchandises et des services finira, rongée par le dumping, par devenir caduque !
Le Gouvernement apporte donc son soutien plein et entier à cette proposition de loi, afin de mieux combattre les abus, en dissuadant de les commettre et, éventuellement, en les sanctionnant.
À la veille des élections européennes, ce texte montre quelle Europe nous voulons, nous, la gauche. Nous voulons une Europe solidaire, une Europe des échanges, du partage, de la libre circulation, mais aussi, comme je l’ai indiqué hier à mon homologue britannique, une Europe respectueuse des règles, faute de quoi le vivre ensemble des nations au sein du concert européen deviendra impossible. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, sur certaines travées du RDSE et sur quelques travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a été adoptée le 25 février dernier par l’Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée. Rebaptisée la semaine dernière en commission, elle vise désormais à lutter contre les fraudes et les abus constatés lors des détachements de travailleurs et la concurrence déloyale.
Ce sujet n’est pas inconnu de notre assemblée puisque, le 16 octobre dernier, celle-ci a adopté en séance publique – et à l’unanimité des présents – à l’issue d’un débat de qualité, une résolution sur les normes européennes en matière de détachement des travailleurs.
Cette résolution apportait le soutien du Sénat au gouvernement français, engagé alors dans une négociation difficile avec nos partenaires européens au sujet de la directive d’exécution de la directive 96/71 concernant le détachement de travailleurs dans le cadre d’une prestation de services.
Je voudrais, à cette occasion, saluer le travail remarquable de la commission des affaires européennes du Sénat, et plus particulièrement de son rapporteur Éric Bocquet, dont le rapport d’information du 18 avril 2013 a permis de poser les jalons de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.
Ce travail précurseur a ensuite été repris et approfondi par nos collègues députés, à travers le rapport d’information du 29 mai 2013 de Gilles Savary, Chantal Guittet et Michel Piron, également assorti d’une proposition de résolution européenne, qui a été adoptée définitivement le 11 juillet dernier.
Compte tenu de l’ampleur du travail parlementaire sur cette question et des rappels auxquels vient de se livrer M. le ministre, je me contenterai, mes chers collègues, d’évoquer rapidement les enjeux économiques, sociaux et humains que représentent les abus et les fraudes au détachement.
Lié à la libre prestation de services, inscrite au cœur de la construction européenne, le détachement de travailleurs connaît une progression exponentielle. Selon la direction générale du travail –DGT –, 210 000 salariés ont été détachés en 2013 en France, ce qui représente, compte tenu d’une durée moyenne de prestation de 44 jours, 33 000 équivalents temps plein sur l’année. Le nombre de salariés détachés a ainsi été multiplié par 28 en treize ans.
En plus de ces travailleurs déclarés auprès de l’inspection du travail, il faut compter tous ceux qui ne le sont pas. Même si la DGT a, depuis, abandonné son estimation, elle a considéré en 2009 et en 2010 qu’un salarié détaché sur deux à un salarié sur trois n’était pas déclaré.
On distingue schématiquement deux catégories de fraudes et d’abus.
La première catégorie regroupe les fraudes et abus spécifiques à la réglementation du détachement. Comme vous le savez, les règles du détachement s’appliquent aux personnes qui exécutent leur travail, pendant une période limitée, sur le territoire d’un État membre autre que l’État sur le territoire duquel elles travaillent habituellement. Or le prestataire étranger n’est parfois qu’une coquille vide, sans activité stable, continue et permanente dans l’État d’origine, ce qui constitue un contournement du détachement. Par ailleurs, les salariés sont parfois recrutés exclusivement pour la durée du détachement. Surtout, les droits garantis par ce qu’on appelle le « noyau dur » ne sont pas toujours respectés, par exemple en matière de paiement du salaire minimum en vigueur dans le pays d’accueil, de conditions d’hygiène et de sécurité, de repos et de congés.
Même s’il faut éviter tout amalgame entre détachement de travailleurs et travail illégal, force est de constater que l’absence de déclaration préalable de détachement auprès de l’inspection du travail s’accompagne souvent d’un délit de travail dissimulé.
Les délits de marchandage et de prêt de main-d’œuvre illicites sont, quant à eux, moins fréquents, mais non moins graves. Cette seconde catégorie de fraudes est difficile à déceler, car les montages juridiques sont souvent complexes et concernent plusieurs pays, dont parfois des pays tiers.
Il y a donc urgence à agir, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour protéger les droits des travailleurs détachés tout d’abord, qui sont souvent démunis, en position de faiblesse et, disons le mot, « exploités », mais aussi pour mettre fin au développement d’une concurrence déloyale à l’égard des entreprises françaises qui respectent la loi. Il s’agit aussi, plus globalement, de préserver notre modèle social, mis à mal par les entreprises qui ne paient pas leurs cotisations.
Tel est le sens de cette proposition de loi, qui a été considérablement enrichie lors de son examen en commission et en séance à l’Assemblée nationale, le plus souvent à l’instigation de son rapporteur, Gilles Savary, dont la compétence, l’engagement et le sens de l’écoute ne sont plus à démontrer.
Le texte ne se limite pas à transposer les articles 9 et 12 de la directive d’exécution adoptée le 16 avril dernier par le Parlement européen, qui portent respectivement sur les mesures de contrôle du détachement que peut instituer un État membre et sur la solidarité financière du donneur d’ordre à l’égard du salaire minimum des salariés détachés d’un sous-traitant. Il met également en œuvre certaines préconisations de la résolution européenne de l’Assemblée nationale du 11 juillet dernier, comme la création d’une liste noire d’entreprises et de prestataires de services indélicats, ou la possibilité pour les syndicats d’ester en justice pour défendre les droits d’un salarié détaché.
Par ailleurs, le texte renforce notre arsenal juridique de lutte contre le travail illégal, en conférant par exemple de nouvelles prérogatives aux agents de contrôle, aux juges et aux autorités administratives.
Enfin, il prévoit diverses mesures pour mieux encadrer le cabotage routier de marchandises.
J’en viens aux modifications apportées au texte par la commission des affaires sociales du Sénat.
Nous ne pouvons, bien entendu, que partager la philosophie des auteurs de la proposition de loi. Mais, à la lumière de la vingtaine d’auditions que j’ai effectuées le mois dernier, j’ai acquis la conviction qu’il fallait simplifier les règles si l’on voulait atteindre l’objectif de réduire les fraudes et les abus, éviter les stratégies de contournement de la part des entreprises et faciliter le travail des agents de contrôle. Je me félicite de constater que la commission a bien voulu adopter les amendements que je lui ai proposés en ce sens.
En premier lieu, la commission a souhaité traiter à part entière la question de la déclaration préalable de détachement, qui est au cœur du débat, sans la lier à celle de la solidarité financière en cas de non-paiement des salariés détachés, comme le prévoyait l’article 1er de la proposition de loi tel qu’il résultait des travaux de l’Assemblée nationale.
Nous avons tout d’abord élevé au niveau législatif l’obligation pour le prestataire étranger d’effectuer une déclaration préalable de détachement auprès de l’inspection du travail.
En plus de cette déclaration, l’employeur devra indiquer les coordonnées de son représentant en France, conformément à l’article 9 de la directive d’exécution, qui autorise un État membre à imposer la désignation d’une personne « chargée d’assurer la liaison avec les autorités compétentes dans l’État membre d’accueil dans lequel les services sont fournis ».
Nous avons ensuite fait obligation au donneur d’ordre ou au maître d’ouvrage qui recourt à un prestataire étranger de vérifier que celui-ci s’est bien acquitté de son obligation de déclaration, quel que soit le montant de la prestation. Les particuliers sont toutefois dispensés de cette obligation de vigilance, à l’instar de ce qui était prévu dans la proposition de loi initiale.
Surtout, la commission a franchi un pas décisif en prévoyant que tout manquement à ces règles, de la part du prestataire étranger, mais aussi du donneur d’ordre ou du maître d’ouvrage français dans sa relation avec un cocontractant étranger, sera passible d’une sanction administrative.
La situation actuelle n’est pas satisfaisante, chacun en conviendra : l’amende contraventionnelle de quatrième classe, d’un montant de 750 euros, est peu dissuasive. En outre, elle est rarement appliquée. C’est pourquoi nous proposons de créer une sanction administrative, prononcée par le directeur de la DIRECCTE, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, en nous inspirant largement de celle qui est prévue à l’article 1er de la proposition de loi tendant au développement, à l’encadrement des stages et à l’amélioration du statut des stagiaires, dont le Sénat poursuivra tout à l’heure l’examen.
Le montant de l’amende sera au plus de 2 000 euros par salarié détaché et au plus de 4 000 euros en cas de réitération dans un délai d’un an à compter du jour de la notification de la première amende, le tout étant plafonné à 10 000 euros. Pour fixer son montant, l’autorité administrative devra prendre en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur, ainsi que ses ressources et ses charges, ce qui autorisera une certaine souplesse.
En outre, la commission a supprimé la création d’une déclaration spécifique en cas de sous-traitance imposée aux maîtres d’ouvrage ou donneur d’ordre, car celle-ci devenait superfétatoire du fait de l’obligation générale de vérification imposée au donneur d’ordre ou au maître d’ouvrage « dès le premier euro ».
En deuxième lieu, la commission a retenu un dispositif unique de solidarité financière, applicable au donneur d’ordre et au maître d’ouvrage, en cas de non-paiement du salaire minimum à un salarié d’un sous-traitant, qu’il soit détaché ou non. Le dispositif prévu à l’article 1er, qui ne concernait que les salariés détachés, a donc été supprimé dans un souci de simplicité.
La commission a par ailleurs élargi le champ d’application de la solidarité financière prévue à l’article 2 : les personnes qui recourent aux services d’une entreprise de travail temporaire pourront désormais être mises à contribution, tandis que la protection de la solidarité financière s’étendra aussi aux salariés du cocontractant d’un sous-traitant.
En troisième lieu, la commission a procédé à divers aménagements pour renforcer la cohérence du texte.
Elle a tout d’abord sécurisé juridiquement les dispositions relatives à l’action en justice d’un syndicat pour défendre les droits d’un salarié détaché, sans mandat de sa part.
La commission a aligné les dispositions d’expression de l’opposition du salarié sur celles qui existent déjà dans le code du travail en matière notamment de marchandage, de discrimination ou de harcèlement.
Elle a ensuite prévu une amende de 3 750 euros et un emprisonnement de deux mois lorsqu’une personne qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour travail illégal ne respecte pas une décision administrative de remboursement d’aide publique.
Enfin, la commission a étendu la possibilité donnée au juge de prononcer, à titre de peine complémentaire, lorsqu’une personne est condamnée pour travail illégal, l’interdiction de recevoir une aide publique aux aides financières versées par une personne privée chargée d’une mission de service public. Il s’agissait, pour la commission, d’un amendement de cohérence juridique.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous constaterez comme moi que la commission a amélioré le texte sur des points décisifs : ses propositions devraient recueillir une large approbation sur ces travées.
Au final, le texte nous semble être conforme aux dispositions de la directive d’exécution et aux principes constitutionnels, tout en apportant des réponses pratiques aux attentes des entreprises, des salariés et des agents de contrôle.
Avant de conclure, je voudrais présenter les conditions nécessaires pour que les objectifs de cette proposition de loi puissent être atteints, tant à l’échelon européen qu’à l’échelon national.
Sur la scène européenne, notre pays doit tout d’abord œuvrer en faveur d’une harmonisation sociale par le haut. Le débat que nous avons eu la semaine dernière en commission en témoigne, la concurrence restera déloyale tant que les niveaux de cotisations sociales entre États membres resteront aussi hétérogènes. Compte tenu du différentiel de cotisations sociales et de l’obligation pour un salarié détaché pendant moins de deux ans de continuer de payer ses cotisations à la sécurité sociale de son pays d’origine, le coût horaire net d’un ouvrier polonais, par exemple, est de 20 % à 30 % plus bas que celui de son homologue français.
La convergence économique entre États membres et entre régimes de sécurité sociale est inéluctable, nous disent les plus optimistes. Certes, mais à quelle échéance ? Il n’empêche que notre gouvernement doit être une force motrice en Europe pour faire bouger les lignes.
En attendant, et dans le respect de la réglementation européenne qui s’impose à nous, il nous faut renchérir le coût des détachements, car ce différentiel de 20 % à 30 % sera sensiblement amoindri si le prestataire étranger doit supporter l’intégralité des frais de transport et d’hébergement de ses salariés détachés.
Il faudra également aller vers une carte d’affiliation à la sécurité sociale au niveau européen, ainsi que vers une déclaration européenne de détachement, afin de faciliter les contrôles et de lutter contre les fraudes transnationales.
Par ailleurs, la commission des affaires européennes du Sénat et son rapporteur, Éric Bocquet, ont rendu le 10 avril dernier un rapport d’information très complet et documenté sur les conditions de travail dans les transports européens, assorti d’une proposition de résolution contenant des pistes de réflexion qui méritent d’être approfondies.
Ainsi, dans le transport routier de marchandises, la commission préconise la mise en place rapide du chronotachygraphe intelligent dès 2018 dans tous les véhicules de transport par route et sa diffusion rapide dans les corps de contrôle, ainsi que l’introduction d’un carnet européen de cabotage pour chaque véhicule de transport.
À l’échelon français, la coopération entre les différents agents de contrôle doit être renforcée et facilitée. À défaut, les dispositions de la loi resteront lettre morte. Il ne s’agit pas de se donner bonne conscience en instaurant des normes ambitieuses que, dans la réalité, nous ne pourrons mettre en œuvre sur le terrain et qui, en fin de compte, susciteraient la frustration et la déception. De ce point de vue, le travail des corps de contrôle sera grandement facilité par la mise en œuvre de l’application SIPSI – système d’information-prestations de services internationales –, qui centralisera toutes les déclarations de détachement et pourra être consultée, notamment par les contrôleurs de l’URSSAF.
Le Gouvernement doit également poursuivre la réforme en cours de l’inspection du travail, qui est en première ligne pour détecter les abus et les fraudes au détachement et lutter contre le travail illégal. Les inspecteurs et les contrôleurs du travail ne peuvent pas se désintéresser de cette lutte, car les délits du droit du travail sapent les fondements mêmes du droit du travail. Qui peut accepter sur le territoire de la République des conditions de travail et d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine ? Encore faut-il que leurs effectifs, leurs missions et leurs formations soient à la hauteur de nos ambitions. C’est pourquoi j’apporte tout mon soutien au plan national de lutte contre le travail illégal, ainsi qu’à la réforme qui vise à faire du ministère du travail un « ministère fort », réforme que votre prédécesseur, monsieur le ministre, a engagée dès son arrivée aux responsabilités et que vous allez, je n’en doute pas, poursuivre.
En aval des contrôles, la réponse pénale doit être améliorée et complétée par le développement des sanctions administratives que j’appelle de mes vœux. Il faut en effet sanctionner rapidement les infractions non délictuelles et désengorger les tribunaux, tout en respectant le principe du contradictoire et les droits des employeurs. Telle est précisément le but de la sanction administrative que nous avons créée pour renforcer l’effectivité des déclarations préalables de détachement.
Enfin, les décisions administratives prises à l’encontre des personnes verbalisées pour travail illégal doivent être encouragées, car elles constituent un instrument riche de promesses au sein de notre arsenal juridique. Malheureusement, selon les indications provisoires fournies par la Délégation nationale à la lutte contre la fraude, seules trois décisions de refus d’aides publiques et une décision d’exclusion temporaire des marchés publics ont été formulées l’an dernier. Il convient par conséquent d’identifier rapidement les obstacles qui freinent le développement de ces décisions et de les lever.
En conclusion, mes chers collègues, je ne peux que vous inviter à adopter cette proposition de loi, fruit d’un travail approfondi du Parlement. Je souhaite qu’elle recueille l’assentiment le plus large possible sur nos travées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur quelques travées de l’UMP.)