M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest. Toujours est-il, monsieur le ministre, que la question doit être réglée ; nous en sommes bien d’accord.
La commission des lois a proposé au Gouvernement de lui présenter les dispositions envisagées, lesquelles ne doivent pas être très compliquées ; bien que le texte soit un cavalier, elle aurait été tout à fait disposée à l’examiner. Je regrette que le Gouvernement n’ait pas donné suite à cette offre. Souhaitons que la réforme nécessaire de l’ensemble du droit d’asile puisse néanmoins avoir lieu dans de bonnes conditions.
Monsieur le ministre, les membres du groupe UMP voteront le présent projet de loi, surtout compte tenu des modifications que lui a apportées la commission des lois.
Reste que, comme M. le rapporteur, je m’interroge sur l’évolution de notre procédure pénale. Dans les années quatre-vingt-dix, nous avons accompli une œuvre législative importante en réformant le code pénal ; au demeurant, je trouve qu’il faudrait réviser la révision, car ce code, qui est resté assez longtemps inchangé, comporte désormais certaines incohérences, notamment en ce qui concerne l’échelle des peines.
Aujourd’hui, il est évident qu’il faut adapter la procédure pénale, notamment pour ce qui est de l’enquête, en tenant compte de l’évolution du principe du contradictoire – notion qu’il ne faut pas confondre avec l’accusatoire. Devons-nous garder notre procédure inquisitoire ? Les différentes formules proposées pour rénover notre parquet peuvent-elles convenir à la Cour européenne des droits de l’homme, ce qui nous permettrait de poursuivre une grande construction juridique française fondée sur le souci de l’égalité des droits et de l’efficacité de la justice ?
Nous devons réfléchir à ces grandes questions et je souhaite que nous nous y employions tous ensemble.
Quant au projet de loi que nous examinons, il apporte des améliorations ; il suscitera certes un certain nombre de questions touchant à son application pratique, mais je pense qu’il faut le voter, ne serait-ce que pour ne pas être condamné. Je n’aime pas que notre pays soit condamné par l’Europe, parce que je crois en elle, mais je souhaiterais qu’elle s’occupe prioritairement de ce qui la regarde ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’exercice auquel nous nous livrons cet après-midi est difficile et contraignant, comme à chaque fois qu’il s’agit de transposer en droit interne des directives européennes : difficile, il l’est parce que, cette fois-ci comme le plus souvent, les dispositions en débat sont complexes et techniques ; contraignant, il l’est parce que, la transposition devant être fidèle, le rôle des Parlements nationaux est en réalité très limité.
Cela a été justement rappelé en commission par M. Gélard, nous devons nous garder de « profiter » de cette transposition pour réformer des dispositions connexes à celles que modifie la directive. Une telle dérive, malheureusement courante, est parfois due à l’initiative du Gouvernement. Et je ne vise pas uniquement le gouvernement actuel !
Autrement dit, dans cet exercice de transposition, nous avons assez largement les mains liées. En l’espèce, il est d’autant plus périlleux que nous examinons des dispositions visant à modifier l’un des domaines les plus sensibles de notre corpus juridique, à savoir la procédure pénale.
Année après année, nous constatons bien la tendance qui se dessine : elle tend à faire prévaloir une procédure accusatoire, d’inspiration anglo-saxonne, sur notre modèle traditionnel fondé sur une procédure inquisitoire, comme vient de le rappeler M. Hyest.
Évidemment, il ne s’agit pas de dénigrer les avancées récentes en matière de droits de la défense ! La réforme de la garde à vue, pour ne citer qu’elle, était indispensable et fait indéniablement progresser notre législation répressive.
Pour autant, faisons attention à ne pas aller trop loin, en préservant une forme d’équilibre entre les droits de la défense et les moyens d’enquête destinés à permettre la manifestation de la vérité.
Je pense que nous devons continuer à défendre ce qui fait la spécificité de la procédure pénale française. Cela ne signifie pas que celle-ci ne nécessite pas d’être réformée Au contraire, les membres de mon groupe sont convaincus que les innombrables lois pénales que le Parlement a adoptées ces dernières années – nous les avons souvent votées ! – n’ont pas permis d’aboutir à un corpus juridique réellement cohérent, et ce pour une raison simple : aucune réflexion sur l’ensemble de la chaîne pénale n’a été proposée à cette occasion.
En la matière, nous en sommes restés au stade des rapports, forts nombreux et de qualité, tels les rapports Delmas-Marty ou Léger.
Comme l’ont évoqué en commission M. Pillet et M. le rapporteur, il serait peut-être utile que le Sénat s’empare de cette question, non pas pour produire un énième rapport, mais pour passer à l’action en tentant de proposer une réelle modernisation de notre procédure pénale.
Il est impératif d’entamer cette démarche de fond si l’on veut stopper la tendance actuelle, selon laquelle, trop souvent, on attend d’être à quelques mois de l’échéance d’une transposition de directive pour légiférer au coup par coup, dans l’urgence, sans vision d’ensemble.
Globalement, le travail réalisé par M. le rapporteur va dans le bon sens, et je salue les améliorations qu’il a introduites lors des travaux de la commission. Mais je serais presque tenté de dire qu’il a juste limité les dégâts.
Car si nous nous devons de transposer toutes les directives, je suis assez sceptique, à titre personnel, sur les améliorations réelles du fonctionnement de la justice pénale que l’on prétend introduire par le biais du présent projet de loi. Et je suis encore plus sceptique lorsque je pense aux directives déjà adoptées que nous allons devoir transposer dans les années à venir, lesquelles, si vous me permettez l’expression, vont « en remettre une couche ».
Prenons simplement le cas de l’accès au dossier. Le texte que nous examinons va déjà assez loin ; d’autres diraient peut-être trop loin. Mais si j’en crois M. le rapporteur, qui s’est exprimé sur ce point en commission, nous savons déjà que ce sera pire demain ! D’autant qu’il n’est plus simplement question d’un accès au dossier réservé à l’avocat, lequel est soumis à des obligations déontologiques, mais d’un accès ouvert au suspect. Et j’aurais pu citer d’autres exemples, témoignant, me semble-t-il, de la dénaturation profonde et peut-être inévitable de notre procédure pénale.
Je formulerai maintenant quelques observations sur l’article 10 du projet de loi. Tel que rédigé initialement, il visait à habiliter le Gouvernement à prendre des ordonnances pour assurer l’application du règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, dit « Dublin III ».
En clair, il s’agissait d’introduire un droit au recours suspensif pour les demandeurs d’asile. Or cette question ne faisait pas l’objet de ce projet de loi. C’est donc sagement que la commission a décidé d’exclure du texte qui nous est soumis cet article 10, en adoptant l’amendement proposé par notre collègue Hélène Lipietz.
Première remarque, il s’agissait évidemment d’un pur cavalier législatif, puisque le texte que nous examinons ne traite absolument pas de l’asile.
Seconde remarque, cet article traduisait la volonté du Gouvernement, une fois encore, de traiter un sujet important par voie d’ordonnance. Selon nous, une telle démarche n’est pas respectueuse du Parlement, surtout lorsque sont en cause des thèmes aussi sensibles. Fort heureusement, vous y avez renoncé, monsieur le ministre.
Dans ces conditions, s’agissant d’un texte de transposition, nous le voterons, même si, vous l’aurez compris, nous sommes assez réservés quant aux améliorations qu’il apporte au fonctionnement et à l’efficacité de notre justice pénale. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP, du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souscris totalement aux excellents propos tenus par M. le rapporteur et M. Hyest s’agissant de l’article 10. Vous savez, monsieur le ministre, à quel point nous sommes réticents au recours aux ordonnances. Si le Gouvernement avait présenté les mesures qu’il entend mettre en œuvre sous forme de dispositions législatives, mon groupe aurait pu adopter une attitude favorable à leur égard. En effet, dans ce cas, il aurait ouvert un droit de recours suspensif, qui n’existe pas aujourd'hui.
J’en viens aux dispositions essentielles du présent texte qui visent à renforcer les droits de la défense, ce qui est incontestablement positif. Il s’agit de transposer la directive du 22 mai 2012 et, partiellement, celle du 22 octobre 2013. Trois apports principaux doivent être soulignés. Je ne les rappellerai que brièvement, dans la mesure où tout a déjà été dit par les orateurs précédents.
Tout d’abord, s’agissant de l’audition libre, vous le savez, mes chers collègues, la réforme de la garde à vue, instaurée par la loi du 14 avril 2011, a laissé en suspens la question de l’audition d’une personne par la police ou la gendarmerie alors qu’elle n’est pas placée en garde à vue.
Il est vrai que, aujourd'hui, aucune disposition du code de procédure pénale ne définit le déroulement d’une audition libre. Or, selon votre rapport, monsieur Michel, environ 780 000 auditions dites « libres » sont réalisées chaque année, ce qui est tout de même considérable.
À la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité, et pas seulement des directives que je viens d’évoquer, il a été établi qu’une personne dans ce cas ne pourra être entendue par les services de police ou de gendarmerie qu’après avoir été expressément informée de ses droits et, le cas échéant, mise en mesure de les exercer.
Ces droits sont au nombre de cinq.
Premièrement, la personne devra connaître la qualification de l’infraction. Deuxièmement, elle aura le droit de quitter les locaux. Troisièmement, elle aura également droit, le cas échéant, à un interprète. Quatrièmement, elle aura le droit de se taire, droit auquel Mme Lipietz est très attachée. Cinquièmement, elle sera informée de la possibilité de bénéficier de conseils juridiques.
À cet égard, je note, monsieur le ministre, que le présent projet de loi va plus loin que le Conseil constitutionnel, puisqu’il donne la possibilité à toute personne suspectée d’avoir commis une infraction susceptible de conduire à un an d’emprisonnement ou plus d’être assistée d’un avocat dans le cadre de cette audition et de bénéficier par conséquent de l’aide juridictionnelle.
Ensuite, ces droits seront mieux notifiés. Si le droit français satisfait les directives sur de nombreux points, il ne répond pas à deux exigences européennes. Il s’agit, d’abord, du droit de garder le silence, dont on peut considérer qu’il découle de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, mais aussi de l’arrêt du 8 février 1996 de la Cour européenne des droits de l’homme Affaire John Murray c. Royaume-Uni.
Avec ce projet de loi, vous allez plus loin, monsieur le ministre, puisque vous instaurez la notification du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions posées ou de ne pas le faire, que ce soit dans le cadre des auditions libres, de l’instruction, devant le tribunal correctionnel ou la cour d’assises. C’est un progrès tout à fait net.
De même, pour ce qui concerne le droit à l’interprète, le présent texte parachève la transposition de la directive du 20 octobre 2010, en précisant les modalités du droit à l’interprétariat, dans les quatre cas que je viens de citer.
Enfin, et c’est le troisième apport du texte, l’accès au dossier est étendu. Pendant la garde à vue, l’accès par un avocat à un certain nombre de pièces – procès-verbal notifiant le placement en garde à vue, certificat médical et compte rendu des auditions – est prévu. Même si l’on peut aller au-delà, je note que cet état de droit, comme vous l’écrivez dans votre rapport, monsieur Michel, a été jugé conforme à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme par la chambre criminelle de la Cour de cassation. Je souligne aussi que le dispositif proposé est cohérent avec les conclusions du rapport que vous aviez cosigné, monsieur le rapporteur, avec notre collègue Jean-René Lecerf, qui préconise de bien distinguer – c’est une proposition d’une grande clarté – ce qui relève de la phase policière de ce qui relève de la phase judiciaire, ce qui explique le renforcement de l’accès au dossier durant les phases de l’instruction et du jugement.
Aujourd'hui, les articles 114 et 197 du code de procédure pénale prévoient cet accès uniquement pour les avocats. Or les dispositions du présent texte visent à renforcer l’information non seulement de l’avocat, mais aussi de la personne mise en cause sur la procédure au cours de la garde à vue et de l’instruction. Elles tendent également à améliorer l’accès au dossier ainsi que le contradictoire dans la phase précédant le jugement et dans la phase de jugement elle-même.
Tels sont donc les apports du projet de loi que nous examinons. Les membres du groupe socialiste souscrivent bien entendu à l’ensemble de ces avancées.
Cela étant, je veux souligner, monsieur Michel, que, dans votre rapport, vous avez fait preuve d’abord d’une grande fidélité aux directives, ensuite d’un souci de pragmatisme absolument nécessaire. Ainsi, vous avez insisté à juste titre sur l’indispensable information, et même formation, des policiers et des gendarmes s’agissant des nouvelles procédures de mise en œuvre des auditions dites « libres ».
Vous avez également déposé en commission des amendements visant à préciser que des auditions libres ne pourraient avoir lieu à la suite de l’arrestation d’une personne.
Vous avez en outre introduit une disposition « simple et pratique », pour reprendre les termes de M. Chevènement, prévoyant la notification des droits par écrit associée à la convocation.
Vous avez par ailleurs prévu l’articulation entre l’audition libre et la garde à vue, étant entendu que la durée de la première sera imputée sur la seconde. Vous avez aussi ajouté de nouvelles dispositions relatives aux droits des victimes, ces dernières pouvant désormais être assistées d’un avocat lors d’une confrontation.
Enfin, vous avez proposé l’élargissement des droits d’une personne gardée à vue, qui pourra demander au magistrat de se prononcer sur le renouvellement d’une telle mesure.
Tout a été dit – je n’y reviendrai pas – sur la procédure accusatoire et la procédure inquisitoire. Les dispositions que nous sommes amenés à transposer sont plutôt en cohérence avec la procédure accusatoire au sein d’une procédure inquisitoire. À cet égard, monsieur le ministre, je me permets, par votre intermédiaire, d’attirer l’attention du Gouvernement sur les décisions qui sont prises dans les instances européennes et d’en appeler à sa grande vigilance.
Il n’est pas nécessaire que les procédures judiciaires ou juridiques anglo-saxonnes l’emportent sur la logique qui caractérise la justice de notre pays. Certes, il est nécessaire de parvenir à des compromis, mais, dans les discussions, il est non moins nécessaire de défendre les principes qui fondent le droit français, de manière que lesdits compromis prennent également en considération nos règles de fonctionnement, protectrices des libertés, garantes de la clarté de la procédure, et auxquelles nous sommes attachés.
En outre, et ce n’est guère original puisque M. Hyest et d’autres collègues m’ont devancé, je voudrais revenir sur les conséquences financières de cette transposition, qu’il est normal d’évoquer.
J’ai été frappé de lire, à la page 34 de l’étude d’impact, que deux chiffrages ont été établis, le second représentant plus du double du premier. Or, quel que soit le montant retenu – 13 161 720 euros ou le double –, il faudra bien trouver l’argent.
Poursuivant la lecture de cette étude d’impact, j’ai aussi trouvé cette phrase sibylline en bas de la même page 34 : « Par ailleurs, le rapport de mission de M. Carre-Pierrat sur l’aide juridictionnelle attendu est susceptible de préconiser des modalités nouvelles de participation de la profession d’avocat aux missions d’aide juridique de nature à modifier la présente étude d’impact établie sur la base d’un paiement à l’acte. » En bon français, cela signifie qu’une manière de trouver ces 13 millions d’euros – voire ces 29 534 900 euros – consisterait peut-être à demander aux avocats de payer à due concurrence selon des « modalités nouvelles de participation », comme il est joliment écrit. Simplement, craignant quelques réactions au sein de la profession, du Conseil national des barreaux et dans les autres instances – nous connaissons parfaitement les oppositions –, je considère qu’il faut rester très prudent et ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, même si l’on peut envisager divers systèmes par lesquels les professions juridiques dans leur ensemble apporteraient leur contribution.
Nous en sommes bien d’accord, monsieur le ministre, il faut faire des efforts budgétaires. À cet égard, le Président de la République a annoncé des objectifs très ambitieux. Pour ce qui est du ministère de la justice, son budget reste bien en deçà de ce qui serait nécessaire, en dépit, je tiens à le souligner, des efforts notables qui ont été engagés depuis deux ans. Il n’en demeure pas moins que le prochain projet de loi de finances devra prévoir des moyens supplémentaires pour financer l’aide juridictionnelle, qui bien évidemment montera en puissance et de manière significative à la suite de l’adoption du présent texte.
En conclusion, je félicite à la fois le Gouvernement d’avoir présenté ce projet de loi nécessaire et M. le rapporteur d’avoir fait preuve d’une vision réaliste et pragmatique et d’avoir pris en compte les logiques à l’œuvre dans notre pays. Le groupe socialiste – au nom duquel je m’exprime exceptionnellement puisque, habituellement, j’interviens en ma qualité de président la commission des lois – votera ce texte et je vous invite à faire de même, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Je remercie tout d’abord l’ensemble des orateurs, dont les interventions ont été d’une grande homogénéité puisque, au nom de leur groupe respectif, ils ont tous annoncé qu’ils voteront ce texte.
Tous ont souligné les avancées que celui-ci permettra, tout en soulevant un certain nombre d’interrogations, et ils l’ont inscrit dans une perspective, démarche identique à celle qu’a suivie le Gouvernement.
Au fond, nous sommes face à un problème bien connu, que nos concitoyens ignorent parfois : je veux parler de la spécificité de notre procédure pénale et de notre droit pénal, à laquelle nous tenons. Nos concitoyens ont tendance à penser que, dans les autres pays, les droits des victimes sont largement pris en compte, alors même, ce qu’ils ne savent pas, que, dans nombre de pays, celles-ci ne sont pas parties au procès pénal. Dès lors, l’une des difficultés auxquelles nous sommes confrontés quand il s’agit de transcrire des règles européennes dans notre législation, c’est la place qu’accorde notre droit pénal à la victime. Encore faudrait-il que nos concitoyens se départent de l’idée que la victime, partout, est au premier rang. Eh bien non, tel n’est pas le cas : je le répète, elle n’est pas systématiquement partie au procès pénal.
En outre, différents orateurs l’ont souligné, notre procédure pénale se heurte aux principes de la procédure accusatoire, auxquels les personnes sont attachées là où elle prévaut. L’Europe nous obligeant à progressivement mettre en œuvre un certain nombre de principes, auxquels nous adhérons néanmoins, ces deux procédures, accusatoire et inquisitoire, finissent par se rencontrer à un moment donné. Trouver une solution définitive n’est pas si facile et, en la matière, mesdames, messieurs les sénateurs, vous serez saisis d’autres dossiers encore plus importants.
Je voudrais maintenant répondre aux propos des différents orateurs.
Le rapport du procureur général Jacques Beaume a été évoqué. Il sera rendu au mois de mai et soumis au débat public.
Madame Assassi, la question des moyens est tout à fait légitime. Cependant – et je m’adresse également à Jean-Pierre Sueur –, il ne faut pas tirer de l’étude d’impact des conclusions hâtives. Attendons que le rapport en cours soit rendu public et que les négociations actuellement menées soient conclues. Ne suscitons pas des problèmes en amont alors que, pour l’instant, nous sommes dans une démarche de réflexion, d’expertise et de concertation.
S’agissant de la question particulière – et légitime – de l’incidence du droit à un interprète, sachez que le coût de cette mesure a déjà été pris en compte, notamment dans la loi du 5 août 2013.
Monsieur Tropeano, je veux vous préciser que la Cour européenne des droits de l’homme impose des droits, mais uniquement pour les personnes gardées à vue. Pour le reste, je vous renvoie aux précisions qu’a apportées M. le rapporteur. De ce point de vue, il faut bien faire la distinction.
Madame Lipietz, vous avez souligné à la fois les difficultés de transposition, mais, en même temps, le progrès que représente le texte examiné ce jour. Je sais bien que les parlementaires ont toujours le sentiment que les mesures nécessaires sont prises trop tardivement ou au dernier moment. En l’espèce, à la fois nous sommes tenus par la nécessité de transposer la directive du 22 mai 2012 avant le 2 juin prochain, et nous avons également anticipé en inscrivant dans le présent projet de loi la transposition partielle de la directive du 22 octobre 2013, dont l’échéance est plus lointaine. Je vous remercie d’en avoir donné acte au Gouvernement.
Monsieur Hyest, vous avez abordé ce débat en rappelant notre histoire récente et en vous interrogeant sur l’avenir. Le fait le plus intéressant et le plus frappant est que votre réflexion rejoint celle du Gouvernement et conclut à la nécessité à la fois de procéder à cette transposition et de faire avancer les droits de la défense, les droits de la victime, conformément à nos engagements. Vous avez également soulevé des interrogations largement partagées, que M. Détraigne a résumées, y compris sur la question complexe de l’accès au dossier et la nécessité de préserver l’équilibre entre les droits de la défense et l’efficacité des enquêtes. Ce sont des principes que chacun à l’esprit.
Il ne doit y avoir aucune crainte à garantir davantage les droits des personnes mises en cause au cours d’une procédure. Pour avoir tous ici pris part à des débats de cette nature, nous savons bien que, chaque fois que nous avons amélioré les droits de la défense, des inquiétudes sont apparues quant à l’efficacité de la procédure, ou la possibilité de voir des personnes échapper à la justice. Eu égard à l’expérience, nous devons aborder ce débat d’une manière beaucoup plus apaisée : l’amélioration des droits de la défense n’a rendu en rien inefficace l’action policière ou répressive. Et personne ne pourra démontrer le contraire ! C’est un faux débat et je vous remercie tous de ne pas nous avoir entraînés dans cette impasse. Ainsi, telles qu’elles se déroulent ce jour, les discussions sont beaucoup plus intéressantes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Yann Gaillard applaudit également.)
M. le président. Je salue Mme la garde des sceaux.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Chapitre Ier
Dispositions relatives à l’audition des personnes suspectées et ne faisant pas l’objet d’une garde à vue
Article 1er
I (nouveau). – L’article 61 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« S’il apparaît, au cours de l’audition d’une personne qui n’est pas gardée à vue, des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, les informations prévues aux 1° à 6° de l’article 61-1 lui sont communiquées sans délai. »
II. – Après l’article 61 du même code, il est inséré un article 61-1 ainsi rédigé :
« Art. 61-1. – La personne à l’égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction et qui n’est pas gardée à vue ne peut être entendue sur ces faits qu’après avoir été avisée :
« 1° De la qualification, de la date et du lieu présumés de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre ;
« 2° Du droit de quitter à tout moment les locaux où elle est entendue ;
« 3° Le cas échéant, du droit d’être assistée par un interprète ;
« 4° Du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ;
« 5° Si l’infraction pour laquelle elle est entendue est un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, du droit d’être assistée au cours de son audition ou de sa confrontation, selon les modalités prévues aux articles 63-4-3 et 63-4-4, par un avocat choisi par elle ou, à sa demande, désigné d’office par le bâtonnier de l’ordre des avocats ; l’intéressé est informé que les frais seront à sa charge sauf s’il remplit les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle ;
« 6° De la possibilité de bénéficier, le cas échéant gratuitement, de conseils juridiques dans une structure d’accès au droit.
« Lorsque la personne a été convoquée par l’officier de police judiciaire, les informations prévues aux 2° à 6° du présent article peuvent figurer sur la convocation qui lui est adressée.
« Le présent article n’est pas applicable si la personne a été conduite par la force publique devant l’officier de police judiciaire. »
III (nouveau). – Le premier alinéa du III de l’article 63 du même code est complété par les mots: « ou, si elle a été entendue librement dans les conditions prévues à l’article 61-1, à l’heure à laquelle cette audition a débuté. »
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer le mot :
avisée
par le mot :
informée
La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Il s'agit d'un amendement rédactionnel. Le verbe « informer » étant habituellement utilisé, notamment dans les textes régissant la garde à vue, il est préférable d'employer le même terme pour l'audition libre, afin d'éviter toute ambiguïté.