compte rendu intégral

Présidence de M. Charles Guené

vice-président

Secrétaires :

M. Jean Boyer,

M. Marc Daunis.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à onze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Candidature à une commission

M. le président. J’informe le Sénat que le groupe socialiste et apparentés a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission des affaires sociales, en remplacement de M. René Teulade, décédé.

Cette candidature a été affichée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.

3

Démission d'un membre d'une délégation et candidature

M. le président. M. le président du Sénat a reçu avis de la démission de M. Claude Domeizel comme membre de la délégation sénatoriale à l’outre-mer.

J’informe le Sénat que le groupe socialiste et apparentés a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la délégation sénatoriale à l’outre-mer en remplacement de M. Claude Domeizel, démissionnaire.

Cette candidature a été affichée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.

4

Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'une proposition de loi

M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi relative à l’interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON810, déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 18 février 2014.

5

Prise d'effet de nominations à une commission mixte paritaire

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale.

En conséquence, les nominations intervenues lors de la séance du jeudi 20 février 2014 prennent effet.

6

Explications de vote sur l'ensemble (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à reconquérir l'économie réelle
Discussion générale (suite)

Économie réelle

Rejet en nouvelle lecture d'une proposition de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à reconquérir l'économie réelle
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, visant à reconquérir l’économie réelle (proposition n° 372, résultat des travaux de la commission n° 378, rapport n° 377).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de vous retrouver tous ce matin, après vous avoir quittés à une heure et demie, après l’adoption du projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale.

Depuis le début de ce quinquennat, le cap du Gouvernement est évidemment l’emploi. Nous venons de débattre d’un texte sur la formation professionnelle qui y concourt, en améliorant une forme de compétitivité – la plus importante peut-être pour notre économie ! –, à savoir la qualité de la compétence, et la sécurisation des parcours professionnels des salariés.

La proposition de loi que vous examinez de nouveau aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, y contribue également.

Je ne reviendrai pas sur la perte d’emplois industriels enregistrée lors de la première décennie de ce siècle ; Pierre Moscovici l’avait évoquée ici même lors de l’examen du texte en première lecture. Nous devons tout faire pour maintenir les activités et l’emploi industriels dans notre pays, et c’est ce qui a conduit la majorité parlementaire à déposer une proposition de loi visant à reconquérir l’économie réelle. Je veux saluer la qualité du travail parlementaire, notamment celui de Mme la rapporteur Anne Emery-Dumas, ainsi que celui de la commission des lois et de la commission des finances qui ont apporté leur contribution à ce texte, dont je regrette qu’il n’ait pu être adopté par le Sénat en première lecture.

Permettez-moi de dire quelques mots sur les deux grands axes qui structurent cette proposition de loi : l’obligation de recherche d’un repreneur, d’une part, et les mesures en faveur de l’actionnariat de long terme, d’autre part.

L’obligation de rechercher un repreneur en cas de fermeture de site prendra force de loi à l’issue d’un processus d’élaboration collective que je considère comme exemplaire. Engagement du Président de la République encore candidat, cette proposition figure dans le document d’orientation que j’avais adressé moi-même aux partenaires sociaux dès le mois de septembre 2012, partenaires à qui je demandais d’« apporter une réponse aux situations dans lesquelles une entreprise qui envisage de fermer un site refuserait de considérer favorablement l’offre valable d’un repreneur assurant la pérennité de tout ou partie des emplois ».

Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs – vous êtes tous des spécialistes en la matière ! –, les partenaires sociaux se sont saisis de cette question, et une disposition figure dans l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013.

C’est donc la totalité des organisations d’employeurs et la majorité des organisations syndicales – il est bon de le rappeler, y compris ici ! – qui ont choisi d’instaurer une obligation de recherche de repreneur.

Lors de la transposition de cette disposition dans la loi relative à la sécurisation de l’emploi, j’avais annoncé que celle-ci serait complétée par la proposition de loi que les députés socialistes avaient déjà déposée. Cette proposition de loi s’inscrit donc dans le prolongement logique de la sécurisation de l’emploi, et ce en bonne articulation avec cette dernière.

L’objet de cette proposition de loi est donc non pas la coercition, contrairement à ce que j’entends parfois, ni une quelconque échappée punitive contre l’entreprise, mais la généralisation des bonnes pratiques, en cherchant des alternatives aux licenciements. Pour ce faire, la loi décrit les moyens à employer de manière claire et transparente, en y associant les représentants des salariés. Cette loi est non pas une loi de contrôle, mais une loi de vertu.

En conséquence, le Gouvernement soutient la démarche, l’esprit et la lettre de ce texte, qui recherche un compromis responsable, lequel traduit la priorité collective au droit à l’emploi.

Je souhaite à présent évoquer le second pilier de cette proposition de loi, celui qui concerne l’actionnariat de long terme et les OPA, les offres publiques d’achat.

Nous avons un objectif partagé : la puissance publique doit favoriser l’actionnariat et les investissements de long terme, seuls facteurs vraiment créateurs de valeur pour nos industries et nos territoires. S’inscrire dans le temps long, c’est se réconcilier avec l’avenir ; l’actionnariat durable, c’est aussi l’emploi durable.

Nous avons progressé sur de nombreux aspects lors des débats parlementaires ; je rappellerai les principaux acquis du texte. La généralisation des droits de vote double et les mesures concernant le rythme de progression dans le capital d’une entreprise vont permettre de lutter contre les prises de contrôle « rampantes » par certains investisseurs.

L’instauration d’un « seuil de caducité » des offres, qui est une forme de soupape de sécurité en prévention des opérations hostiles, contribuera également à protéger nos entreprises et à encourager l’investissement de long terme, dans le respect du droit communautaire. En ne se voyant plus imposer la « neutralité » systématique en période d’offre, les conseils d’administration pourront mettre en place des stratégies de défense en cas d’OPA hostile.

Enfin, les salariés, qui sont au cœur même de la création de valeur dans l’entreprise, seront désormais consultés en cas d’OPA et pourront s’exprimer.

Je profite de cette intervention pour apporter trois précisions s’agissant de l’interprétation de quelques dispositions du texte, modifiées par l’Assemblée nationale, dont le Gouvernement souhaite qu’elles puissent figurer au compte rendu de nos débats afin d’éclairer éventuellement les discussions relatives à l’application de celles-ci. Je serai précis, et vous prie par avance d’excuser le caractère terne de mes propos.

À l’article 5, alinéa 13, les députés ont souhaité accorder une autorisation temporaire à un actionnaire d’une société de repasser la barre des 30 % des droits de vote après avoir successivement réduit sa participation en capital, puis bénéficié de la nouvelle règle sur les droits de vote double, sans avoir à lancer une offre publique obligatoire.

Je souhaite, au nom du Gouvernement, préciser que cette disposition doit se comprendre comme permettant également de déroger, dans ce cas de figure et dans les mêmes conditions, à la règle prévue à l’article L. 433-3 du code monétaire et financier telle qu’elle résulte du présent texte.

À l’article 6, alinéa 14, les députés ont précisé la capacité du juge de prolonger le délai accordé au comité d’entreprise pour donner un avis sur l’offre, afin d’éviter des manœuvres dilatoires de la part de la société objet de l’offre.

Là encore, afin de clarifier la compréhension du texte, le Gouvernement indique que le juge aura évidemment la capacité de prolonger le délai accordé au comité d’entreprise pour rendre son avis si le management de la société objet de l’offre ne transmet pas certaines informations dans un autre but que de faire obstacle à cette offre.

À l’article 7, enfin, les députés ont adopté une disposition qui avait été votée ici même, au Sénat, pour fixer un rapport de 1 à 5 entre le nombre d’actions gratuites distribuées à chaque salarié dans le cas, nouvellement créé dans le présent texte, d’une distribution d’actions gratuites à tous les salariés sous un plafond de 30 % du capital de la société.

Le Gouvernement souhaite préciser que, comme c’était bien l’intention des députés, cette nouvelle règle encadrant la distribution d’actions gratuites ne s’appliquera pas de manière cumulative sur plusieurs résolutions successives d’autorisation d’attribution d’actions gratuites. Elle ne vaudra donc que dans le cas où une assemblée générale extraordinaire a autorisé, pour un délai déterminé ne pouvant dépasser trente-huit mois, une attribution d’actions gratuites à l’ensemble des salariés. Dès lors, elle ne trouvera pas à s’appliquer si l’employeur décidait, comme c’est déjà possible aujourd’hui, d’une attribution d’actions gratuites à certains salariés dans la limite du plafond de 10 % du capital – 15 % pour les sociétés non cotées.

Telles sont les précisions que je souhaitais apporter.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi constitue l’un des leviers en faveur de notre ambition commune de favoriser et de protéger l’actionnariat de long terme et l’industrie dans notre pays, mais elle ne saurait résumer une politique à elle seule.

En renforçant nos entreprises, nous consolidons notre tissu productif et préparons les emplois de demain. En agissant sur le financement de l’économie, nous donnons à nos entreprises les moyens de se développer. Au-delà de ce texte, tel est précisément l’objet global du pacte de responsabilité, dont le Gouvernement a pris l’initiative, en vue de créer un véritable compromis social qui permette de rapprocher toutes les parties prenantes. Le pacte de responsabilité est le rassemblement de tous ; il doit être le combat commun pour l’emploi.

Cette proposition de loi est offensive et pragmatique ; elle s’inscrit dans la stratégie que nous développons en matière de lutte pour l’emploi, pour le renforcement de la démocratie dans l’entreprise, comme pour la protection de nos intérêts stratégiques français. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 5 février dernier n’est pas parvenue à trouver un accord sur la proposition de loi visant à reconquérir l’économie réelle.

C’est donc le texte voté par l’Assemblée nationale en première lecture qui a servi de base aux députés lors de la nouvelle lecture. Ces derniers ont adopté tant en commission qu’en séance une quarantaine d’amendements, dont la plupart reprennent ceux que le Sénat avait lui-même votés ou, du moins, leurs objectifs. Je ne les énumérerai pas ici, d’autant que M. le ministre vient d’en rappeler les points saillants beaucoup plus brillamment que je ne saurais le faire…

M. Michel Sapin, ministre. Merci, madame la rapporteur !

Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur. Aussi, mes chers collègues, je vous invite à vous reporter au rapport que nous avons mis en ligne mercredi soir.

En revanche, je souhaite attirer votre attention sur les principales modifications que le Sénat avait adoptées, mais qui n’ont pas été reprises par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.

À l’article 1er, les députés n’ont pas réintroduit le seuil de cinquante salariés que nous avions prévu pour les établissements menacés de fermeture. Ils n’ont pas repris non plus notre référence au plan de sauvegarde de l’emploi, pas plus qu’ils n’ont exclu du dispositif de recherche de repreneur les entreprises soumises à une procédure de conciliation ou de sauvegarde.

Surtout, ils ont maintenu la définition restrictive du motif de refus légitime par l’employeur d’une offre sérieuse de reprise, en le limitant à un seul cas, à savoir la mise en péril de l’activité de l’entreprise. Considérant que cette disposition pouvait comporter de sérieux risques d’insécurité juridique, nous avions souhaité que la mise en péril d’une partie seulement de l’activité de l’entreprise ou une offre présentée à un prix manifestement sous-évalué constituent également un motif légitime de refus.

La commission des affaires sociales avait également souhaité mieux définir la notion d’« offre sérieuse », en reprenant le critère du paiement du prix de cession et des créanciers qu’avait proposé notre collègue Hervé Marseille, et encourager indirectement les offres de reprise présentées par des salariés, en inscrivant dans le texte la notion d’« ancrage territorial », suggérée par notre collègue Marc Daunis. Les députés ne nous ont pas suivis sur ces deux points.

Ils n’ont pas non plus conservé les dispositions que la commission des lois du Sénat avait introduites pour sécuriser la procédure suivie devant le tribunal de commerce. En particulier, ils n’ont pas maintenu la distinction entre la procédure de vérification et celle de sanction, ni la possibilité pour le tribunal de recourir à l’assistance d’un juge commissaire et à un administrateur judiciaire, ni encore la faculté pour le ministère public de saisir le tribunal pour sanctionner l’entreprise.

Par ailleurs, les députés ont maintenu leur position en ce qui concerne le délai imposé au tribunal de commerce pour statuer, fixé à quatorze jours, ainsi que l’obligation faite à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, la DIRECCTE, de suspendre sa décision d’homologation du plan de sauvegarde de l’emploi tant que le tribunal n’a pas rendu son jugement.

Je vous rappelle que nous avions supprimé cette dernière obligation, considérant que la décision d’homologation et le jugement du tribunal de commerce étaient, en droit, deux procédures distinctes. Quant au délai accordé au tribunal pour statuer, nous l’avions fixé à un mois, afin que les juges puissent remplir sereinement leur office.

L’Assemblée nationale n’a pas conservé les dispositions, issues d’un amendement de notre collègue Marc Daunis que nous avions adopté en séance publique, tendant à ajouter la notion d’« ancrage territorial » parmi les critères que le tribunal de commerce doit considérer lorsqu’il examine des offres de reprise d’une entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire.

À l’article 5, les députés n’ont pas maintenu la clause de rendez-vous destinée à garantir que l’assemblée générale examinera au moins tous les deux ans la question des droits de vote double, si elle a refusé de les mettre en place de prime abord.

À l’article 6, certains aménagements importants que la commission des affaires sociales avait apportés à la procédure suivie devant le tribunal de grande instance n’ont pas été conservés ; c’est le cas, notamment, de la suspension automatique du délai d’un mois fixé au comité d’entreprise pour rendre son avis en cas de saisine du tribunal.

Enfin, les députés n’ont pas modifié le contenu du rapport demandé au Gouvernement sur l’utilisation, depuis dix ans, des actions spécifiques, ou golden shares, de l’État, et sur ses droits de vote multiple, alors que nous souhaitions le restreindre aux actions et dispositifs décidés en assemblée générale afin de ne pas porter préjudice aux pactes d’actionnaires auxquels l’État est lié.

Telles sont, mes chers collègues, les dispositions votées par le Sénat que l’Assemblée nationale n’a pas retenues.

Reste qu’un grand nombre d’amendements adoptés par le Sénat ont été repris par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, raison pour laquelle je n’ai déposé, au nom de la commission, que trois amendements, qui tous portent sur l’article 1er.

Les deux premiers visent à renforcer la sécurité juridique de la proposition de loi, en élargissant les motifs légitimes de refus d’une offre, en accordant un délai d’un mois au tribunal de commerce pour rendre son jugement et en supprimant l’obligation faite à la DIRECCTE de suspendre sa décision d’homologation tant que le tribunal de commerce n’a pas statué.

Le troisième amendement tend à préciser la définition d’une offre sérieuse de reprise, en y incluant la capacité de son auteur à garantir l’ancrage territorial de l’activité, ainsi que le paiement du prix de cession et des créanciers.

Lors de sa réunion, mercredi dernier matin, la commission a adopté ces trois amendements, mais n’a pas adopté le texte de la proposition de la loi. Je forme néanmoins le vœu que l’Assemblée nationale, qui aura le dernier mot, prenne en compte nos travaux de nouvelle lecture ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tôt ce matin, nous avons adopté le très important projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale. Malheureusement, cette proposition de loi ne connaîtra pas le même sort. (M. Jean Desessard feint de s’en étonner.) Eh oui, mon cher collègue : on ne peut pas toujours être gentil !

En vérité, il y a des raisons à cette situation : la proposition de loi n’ayant fondamentalement pas été changée, notre position n’évoluera pas davantage.

Nous ne sommes pas hostiles à l’information du comité d’entreprise, mais nous doutons de l’efficacité du dispositif prévu. Monsieur le ministre, permettez-moi, à cet égard, de mentionner un fait.

La semaine dernière, votre collègue M. Montebourg a visité une entreprise du Pas-de-Calais qui est en difficulté et qui a annoncé vouloir fermer l’une de ses lignes de production : elle appartient à un papetier finlandais bien connu, Stora Enso, qui estime devoir la fermer en raison d’une surproduction mondiale. Sur place, M. Montebourg a annoncé qu’il y avait trois repreneurs, mais il n’a évidemment pas communiqué leurs noms.

Monsieur le ministre, je vous le demande : à quoi sert-il de faire croire aux comités d’entreprise qu’ils pourront être informés et associés si les noms des repreneurs potentiels sont tenus secrets dans le but, que je comprends, de favoriser la négociation ? En vérité, j’ai l’impression qu’on tape à côté, qu’on est dans l’irréel alors qu’on parle d’économie réelle !

Non seulement, comme Mme la rapporteur vient de l’indiquer, l’Assemblée nationale a maintenu les grandes lignes de la proposition de loi, mais la nouvelle mouture de celle-ci semble même en retrait par rapport à celle que le Sénat avait adoptée.

Si nous désapprouvions le dispositif proposé, nous avons eu à cœur de le sécuriser davantage ; notre collègue Hervé Marseille, en particulier, s’y est employé. Malheureusement, nos collègues députés sont revenus sur les principales avancées adoptées par la Haute Assemblée en matière de sécurité juridique.

C’est ainsi qu’ils n’ont pas maintenu le seuil de cinquante salariés requis pour définir les établissements devant entrer dans le cadre de la procédure de recherche de repreneur. Ils n’ont pas non plus exclu du dispositif les entreprises soumises à une procédure de conciliation ou de sauvegarde.

Il y a plus grave encore à nos yeux. Alors qu’il était crucial de mieux définir dans le texte la notion fondamentale de « refus légitime de l’employeur », l’Assemblée nationale n’a retenu qu’un seul cas de refus légitime : la mise en péril de l’activité de l’entreprise, par trop restrictive.

Quant à la notion, tout aussi fondamentale, d’« offre sérieuse de reprise », le groupe UDI-UC avait déposé un amendement reprenant l’une des plus importantes recommandations du Conseil d’État au sujet de la proposition de loi. Nous proposions d’apprécier le caractère sérieux de l’offre de reprise au regard, d’une part, de la garantie de la préservation de l’activité et de l’emploi dans l’établissement et, d’autre part, de la capacité de paiement du prix de cession.

Le Sénat avait au moins fini par adopter ce dernier critère, mais l’Assemblée nationale l’a malheureusement supprimé. Mme la rapporteur a déposé un amendement tendant à le réintroduire dans la proposition de loi. Nous le voterons bien entendu et nous remercions notre collègue de l’avoir présenté.

Toujours est-il que, indépendamment de ces questions de sécurité juridique, nous ne saurions fondamentalement souscrire à un texte dont la philosophie est aux antipodes de la politique qui nous semble devoir s’imposer. En effet, la proposition de loi vise à administrer, à imposer et à sanctionner, plutôt qu’à relever le véritable défi : celui de la compétitivité.

Pour tout dire, cette proposition de loi comporte une très forte dimension politique et anachronique – monsieur le ministre, vous le savez bien ! De fait, chacun sait qu’elle est destinée à concrétiser un engagement de campagne du président Hollande. Par ailleurs, elle semble exhumée d’un autre temps : celui d’avant le revirement social-libéral du Président de la République.

Du reste, c’est la raison du malaise, très compréhensible, des promoteurs du texte. C’est aussi la raison pour laquelle on a choisi de passer par une proposition de loi, ce qui permet de contourner la double obligation de consulter les partenaires sociaux et de fournir une étude d’impact. Or cette dernière lacune est majeure à mes yeux. En l’absence d’étude d’impact, il est absolument impossible de savoir si le dispositif proposé est effectivement susceptible de maintenir l’activité sur un certain nombre de sites. En particulier, l’issue de l’affaire Mittal aurait-elle été plus favorable qu’elle ne l’a été si la proposition de loi avait été en vigueur ? Même dans l’affirmative, combien de sites et d’emplois pourraient encore être concernés ?

A contrario, les nouvelles obligations et sanctions n’auront-elles pas sur l’économie des conséquences négatives bien plus importantes que les éventuels effets bénéfiques de la proposition de loi ?

Telles sont évidemment les questions centrales. Or elles demeurent sans réponse ! Face à ce vide, on ne peut que s’interroger sur le caractère avant tout publicitaire et idéologique de la proposition de loi. Au demeurant, cette dernière se borne à renforcer les dispositions du code du travail qui imposent déjà la recherche d’un repreneur en cas de licenciement collectif ayant pour conséquence la fermeture d’un établissement. Mes chers collègues, vous constatez qu’on est bien loin du choc de simplification et du choc de compétitivité dont l’évocation devient chaque année un peu plus incantatoire.

En réalité, nous n’éviterons pas les Florange de demain en obligeant et en sanctionnant – l’économie ne fonctionne pas ainsi –, mais en gagnant en compétitivité.

Parce que les emplois les moins qualifiés sont ceux qui résistent le moins à la concurrence internationale, en raison de leur poids fiscalo-social trop élevé, il est urgent de reporter les charges pesant sur la production vers la consommation. Cette politique aurait de surcroît l’avantage de frapper les produits d’importation. Nous espérions que la conversion sociale-libérale du Président de la République le conduirait à adopter cette solution de bon sens : hélas ! cette proposition de loi nous conduit à en douter.

Monsieur le ministre, la défense de l’emploi mérite certainement d’autres solutions, et je suis sûr que vous en êtes convaincu ! (Mme Catherine Procaccia applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à peine sortons-nous d’un débat de plus de trente heures sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale que nous sommes de nouveau réunis pour examiner la proposition de loi visant à reconquérir l’économie réelle.

Ces conditions de travail, qui ne dépendent ni de Mme la présidente de la commission des affaires sociales ni de Mme la rapporteur, ne sont pas de nature à favoriser le travail parlementaire. De fait, la précipitation semble de mise et tout donne l’impression que, avec cette proposition de loi, il s’agit davantage d’organiser un grand plan de communication – disons même une opération d’affichage – que de s’attaquer réellement à l’emprise du capital sur le monde du travail.

Sans doute la reconquête de l’économie réelle est-elle un projet ambitieux, que nous soutenons. Seulement, pour l’atteindre, il faudrait prendre d’autres mesures : en finir avec le poids de la finance, qui compresse les salaires ; réduire la pression des actionnaires, qui empêche l’investissement dans l’innovation ; réduire le coût des banques et des emprunts, qui alourdit les charges des entreprises et les prive des leviers nécessaires pour investir dans la recherche et dans la modernisation des outils de production.

Pour reconquérir l’économie réelle, il aurait fallu, selon nous, introduire une véritable obligation de vente pour les entreprises qui veulent se débarrasser d’un site rentable. Trop souvent, en effet, des dizaines, des centaines, voire des milliers de salariés sont sacrifiés sur l’autel de la rentabilité !

Pour eux, cette proposition de loi sera dans la plupart des cas inopérante, ce qui n’aurait pas été le cas de la proposition de loi tendant à interdire les licenciements boursiers, qu’une majorité de sénatrices et de sénateurs de gauche ont votée sur notre initiative.

De façon générale, cette proposition de loi nous paraît largement insuffisante, à plus d’un titre. En effet, il faut tenir compte des pratiques très souvent mises en œuvre par les dirigeants des grands groupes pour déresponsabiliser socialement les entreprises.

Ainsi, les grands groupes ont tendance à créer des filiales artificielles. Je les qualifie d’artificielles, car elles ne prennent leurs ordres que d’une entreprise, dont dépend la totalité de leur activité. Grâce à ce mécanisme, les groupes financiers gèrent de fait les entreprises et peuvent réduire leurs obligations légales et sociales.

Nous pensons qu’ils pourront aussi s’exonérer de l’application de l’article 1er de la proposition de loi, puisque l’obligation de rechercher des repreneurs ne concerne que les entreprises de plus de 1 000 salariés : en dessous de ce seuil, les dirigeants ne se voient imposer aucune contrainte en matière de recherche de repreneur. Au bout du compte, grâce à la multiplication des filiales, devenue pratique courante, cette obligation de recherche ne concernera, chaque année, qu’une poignée d’entreprises.

On sait également que les employeurs cherchent, depuis des années, à obtenir un éclatement du contentieux du travail, afin de sécuriser les licenciements en réduisant les droits des salariés. Le Gouvernement a déjà donné satisfaction au MEDEF avec l’accord national interprofessionnel sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi : en effet, les licenciements pour motif économique ont été élargis, alors qu’ils ne visent bien souvent qu’à accroître les marges ou les profits chers aux actionnaires.

Il poursuit dans cette voie en passant d’une obligation de vente à une obligation de recherche, ce qui n’est pas tout à fait la même chose, et confie le contentieux non pas aux tribunaux de grande instance, comme il s’y était engagé, mais aux tribunaux de commerce, c'est-à-dire à une juridiction fortement contestée, et pas seulement par nous, composée exclusivement de dirigeants d’entreprise. C’est d’autant plus grave que ces juges spéciaux, qui manquent parfois de formation, pourront même moduler les seules sanctions économiques prévues par cette proposition de loi. La pénalité de 20 SMIC par emploi supprimé ne constitue qu’un plafond, par ailleurs dérisoire lorsque l’on mesure combien certains dirigeants de grands groupes sont volontairement prêts à payer dans le cadre des plans dits sociaux.

Qui plus est, cette proposition de loi méconnaît la capacité de certains employeurs à organiser une véritable optimisation sociale et fiscale mettant les territoires et les salariés en concurrence entre eux. C’est pourquoi je regrette que la majorité de gauche du Sénat et les députés aient refusé de rendre obligatoire le remboursement des aides publiques perçues par les employeurs qui licencient. Et les députés ont encore allégé la contrainte, en précisant qu’il ne s’agirait que du remboursement des aides pécuniaires. Les patrons ne s’y tromperont pas et n’hésiteront pas à solliciter des aides matérielles, en infrastructures notamment, plutôt que des aides financières.

Par ailleurs, qu’adviendra-t-il des exonérations de cotisations sociales, qui représentent également des aides importantes perçues par les entreprises ? Seront-elles considérées comme des aides financières et donneront-elles lieu à remboursement ?

Enfin, comment les personnes publiques seront-elles informées de l’existence d’une condamnation de l’entreprise ? C’est une question que nous avions soulevée et qui demeure sans réponse. Il y va pourtant de leur faculté à agir pour demander le remboursement des aides versées.

Tout cela, mes chers collègues, nous conduit, comme en première lecture, à ne pas voter cette proposition de loi, non que nous ne partagions pas son intention initiale, d’ailleurs beaucoup plus ambitieuse que le texte qui nous est proposé in fine, mais parce que nous ne voulons pas bercer d’illusions les salariés concernés par ce texte, qui nous semble trop timoré.

Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe CRC s’abstiendra sur cette proposition de loi. (Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit.)