M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à titre préliminaire, je tiens à dire ma satisfaction de pouvoir débattre d’une proposition de loi manifestement irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution (Mme Éliane Assassi s’exclame.), surtout une proposition de loi dont le premier signataire est notre collègue Jean Arthuis : j’ai en effet pu apprécier il n’y a pas si longtemps ses talents de gardien du foyer constitutionnel qu’est devenu l’article 40, même si, comme il nous l’a rappelé voilà quelques instants, il a proposé sa suppression à l’occasion de la discussion budgétaire.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !
M. Pierre-Yves Collombat. Je prendrai un simple exemple parmi une foule d’autres : en 2010, je me suis vu refuser, par ses soins attentifs, un amendement visant à rendre obligatoire la consultation de la population en cas de fusion entre un département et une région, au motif que je créais une dépense à la charge de l’État. Il n’est nul besoin de faire une étude d’impact pour savoir qu’une telle dépense eût été minime au regard de l’augmentation de la charge publique qui résultera de l’adoption du présent texte, si tant est qu’il soit adopté.
Comme le souligne Philippe Marini, son successeur à la présidence de la commission des finances, dans un tout récent rapport – dont je vous recommande la lecture – consacré à la recevabilité financière des amendements et propositions de loi au Sénat, la cohérence des « raisonnements juridiques » des présidents de la commission des finances du Sénat ne laisse aucune place à l’aléa. Peut-être en laisse-t-elle un peu à la surprise ! (Sourires.)
Quoi qu’il en soit, c’est pour moi et pour le groupe RDSE une bonne chose que cette proposition de loi puisse être discutée.
C’est d’abord une bonne chose parce que la dimension humaine du problème posé – il s’agit d’enfants démunis de tout et parfois en grand danger – n’échappe à personne. La dimension délictueuse, voire criminelle, de ce phénomène, qui se développe, n’est pas non plus absente, même si c’est loin d’être toujours le cas, chaque situation étant différente.
C’est aussi une bonne chose car – et c’est surtout l’angle sous lequel est ici abordée la question de l’accueil des mineurs étrangers isolés – se trouvent ainsi posés deux problèmes essentiels pour les départements : la clarification de leurs compétences, notamment par rapport à celles de l’État, et les moyens de les financer.
En l’occurrence, il est clair que l’État est concerné à plusieurs titres : maîtrise des flux migratoires et qualité des contrôles, lutte contre l’immigration clandestine et les trafics d’êtres humains, justice des mineurs. Même si l’essentiel de la tâche et de la charge est assuré par les départements, le budget de l’État est déjà mis à contribution pour assurer totalement ou partiellement le fonctionnement de plusieurs structures d’accueil temporaire ou d’urgence.
Il est clair aussi que la charge est inégalement répartie, certains départements comme le Nord et le Pas-de-Calais étant surtout des territoires de transit, d’autres, des territoires de séjour, voire d’installation. D’après les chiffres dont je dispose, Paris et la Seine-Saint-Denis accueillaient en 2009 les deux tiers des mineurs isolés étrangers arrivant, le dernier tiers étant réparti entre divers départements de l’Île-de-France ou à proximité – par exemple, dans la Mayenne, le Loiret –, le Rhône ou les Bouches-du-Rhône.
Le problème que soulève cette proposition de loi est donc bien réel pour certains départements de France métropolitaine et, comme nous l’a montré M. Mohamed Soilihi voilà quelques instants, à Mayotte, il est dramatique.
Pour autant, la solution proposée est-elle la bonne ?
Je ne le pense pas. D’abord, parce que, d’une manière ou d’une autre, dans le meilleur des cas, l’État ne pourra qu’assurer une faible partie de la tâche d’accueil, les tâches que retient, par exemple, le rapport Debré, l’essentiel revenant aux départements qui ont une compétence générale de protection de l’enfance en vertu de la loi du 5 mars 2007.
Ensuite, parce que, vu l’adoration portée à la règle d’or budgétaire, il n’est pas douteux que les compensations financières qui pourraient être accordées aux départements d’accueil de mineurs isolés étrangers seraient prises sur les compensations des charges sociales dues à d’autres départements.
L’accueil des mineurs isolés étrangers n’est pas une compétence si spécifique qu’elle demande un traitement particulier, ce que prévoit cette proposition de loi. C’est une dimension d’un problème global : la clarification des compétences des départements et le financement équitable des « restes à charge » compte tenu des ressources dont ils disposent. Or, comme l’a montré le débat sur la péréquation mené la semaine dernière ici même, il existe de grandes disparités entre départements, qu’il s’agisse du niveau de reste à charge ou de ressources par habitant. Les deux ne sauraient d’ailleurs être séparés.
Certes, les mineurs isolés étrangers pèsent plus sur certains départements que sur d’autres, mais il n’en va pas différemment de l’APA, du RSA, de l’AAH, l’allocation aux adultes handicapés, qui, en bonne logique, devraient, eux aussi, relever de la solidarité nationale. Sans compter que si les aéroports internationaux, les ports et les voies de communication importants représentent des charges pour les départements qui les abritent, ce sont aussi souvent une source de richesse rien moins que négligeable.
Pour notre groupe, la question des mineurs isolés étrangers ne relève pas d’un traitement spécifique, comme le laissent entendre les auteurs de cette proposition de loi ; elle doit être traitée dans un cadre global. Ce cadre pourrait être, comme l’a dit notre rapporteur il y a quelques instants, le second volet du prochain projet de loi « Lebranchu-Escoffier » – je n’ai pas réussi à lui trouver un nom (Sourires.) – qui doit intervenir avant la fin de la présente législature. Il faut donc que ce problème soit traité et équitablement résolu dans ce cadre, en tenant compte des charges mais aussi des ressources et, bien évidemment, du caractère très particulier qu’il présente sur les plans technique et humain. (Mmes Hélène Lipietz et Éliane Assassi ainsi que M. Claude Dilain applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé.
M. Éric Doligé. Madame le garde des sceaux, vous avez dit voilà quelques instants que vous craigniez d’entendre un certain nombre de choses inexactes. Tout ce que je vais vous dire est exact, même si ce n’est pas forcément en rapport avec ce que vous avez dit vous-même, car les chiffres que je vais vous donner sont issus du comité de suivi, auquel je participe. J’ose donc croire que vous considérerez mes chiffres comme étant exacts.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je ne sais pas pourquoi vous vous êtes senti visé par mon propos, monsieur le sénateur !
M. Éric Doligé. Je tenais en tout cas à vous apporter cette précision.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j’ai souhaité être signataire de cette proposition de loi pour un certain nombre de raisons.
D’abord, c’est un sujet particulièrement difficile et sensible puisqu’il s’agit de mineurs qui sont par nature plus fragilisés probablement que certains autres, qu’il faut y apporter une réponse le plus rapidement possible et qu’il ne faut pas non plus faire d’angélisme sur un tel sujet.
Ensuite, le département que je préside – et je remercie mon collègue Collombat de l’avoir cité – est celui qui en France compte le plus de mineurs isolés relativement à sa population. Si l’on se réfère aux chiffres qui sont donnés par la cellule MIE (L’orateur brandit un document.), le Loiret est classé septième, mais rapportée à sa population, la proportion de mineurs qu’il accueille est beaucoup plus importante qu’en Seine-Saint-Denis, à Paris, ou dans le Nord. On connaît donc bien le sujet dans mon département.
Par ailleurs, avec un certain nombre d’autres collègues, dont René-Paul Savary et Christian Favier, je participe régulièrement au comité de suivi, donc au dispositif qui nous permet de voir comment les choses évoluent. J’ai également pu constater que ce comité était davantage dans l’analyse des statistiques que dans la recherche de solutions. Il ne formule pas de propositions.
Notre rôle est de proposer des solutions. C'est ce que fait, selon moi, cette proposition de loi. Certes, ces solutions sont discutables, mais, comme l’a dit Yves Détraigne, ce n’est pas la peine d’invoquer l’article 40 de la Constitution. Laissons vivre le débat, nous verrons bien si des amendements permettront d’améliorer le texte.
Je tiens à dire également que le phénomène des mineurs isolés étrangers, s’il est peu connu de nos concitoyens, interpelle ceux à qui l’on en parle.
Je ferai un bref rappel historique. Cela a été dit, M. Bartolone, à l’époque président de conseil général, a estimé, pour des raisons que l’on peut comprendre – c’est dans son département qu’il y avait le plus grand nombre de mineurs étrangers, pour des motifs historiques –, qu’il ne pouvait plus accueillir autant de mineurs : il a donc pris un arrêté de suspension.
Dans le compte rendu du début du mois de janvier dernier, j’ai lu qu’il y avait eu neuf arrêtés, auxquels il faut ajouter les recours de douze départements contre la circulaire. Si la quasi-totalité de ces arrêtés ont été retirés, au dernier moment d’ailleurs, c'est non pas parce que nous pensions que le problème était résolu ou que nous avions trouvé des solutions, mais parce que nous voulions attirer votre attention sur les problèmes que nous rencontrons sur nos territoires, madame le garde des sceaux.
Nous ne pouvons en effet plus continuer à accueillir les mineurs étrangers dans de telles conditions, pour un certain nombre de raisons, qui tiennent bien sûr au coût de la prise en charge, mais aussi à l’importance du nombre de ces mineurs. Vous avez évoqué, madame le garde des sceaux, le pourcentage de 4 %. Dans mon département, j’ai la responsabilité d’environ 1 200 mineurs, dont 200 peuvent être étrangers, ce qui représente davantage que 4 % !
Ces chiffres sont relativement significatifs. Lorsque l’on a l’habitude d’avoir la responsabilité d’un volant de 1 200 mineurs et que l’on dispose d’un nombre de places fixe en maison d’enfants à caractère social, dans des familles ou en maison de l’enfance, l’arrivée d’un nombre important de mineurs pose problème. On ne peut alors plus accueillir les mineurs locaux que la justice nous confie. On doit parfois les loger dans des hôtels, alors qu’ils sont tout jeunes, car nous ne pouvons pas trouver du jour au lendemain de solution d’accueil. Tels sont les problèmes que nous rencontrons et que nous devons réussir à résoudre.
À l’époque, M. Bartolone s’était arrangé avec M. Mercier. Je me souviens que des réunions avaient été organisées au ministère sur cette question. Puis il y a eu une explosion du nombre de mineurs isolés étrangers. Je rappelle qu’en 2011 leur nombre ne représentait qu’un tiers de celui de 2013. Le problème existait, mais il était tout à fait « absorbable », en tout cas dans le département que je gère. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, pour des raisons tant techniques que financières. Cette situation met en difficulté l’ensemble des mineurs du département.
Je souhaiterais aborder un autre problème, qui n’a pas encore été évoqué : celui des jeunes majeurs. C'est une évidence, madame le garde des sceaux, mais ces mineurs isolés étrangers finissent par devenir des majeurs ! Je constate une augmentation considérable du nombre de ces jeunes majeurs. Dans mon département, j’en ai actuellement 82, soit davantage que de jeunes majeurs du département.
Cela soulève un véritable problème « d’embouteillage » et d’acceptation pour nos structures d’accueil des jeunes, qu’ils soient mineurs ou jeunes majeurs. Je rappelle que, la plupart du temps, bien que ce ne soit pas une obligation, les départements accueillent les jeunes de 18 à 21 ans, parce que l’État, qui en a en principe la charge, est défaillant et que les régions, comme Pôle emploi, ne font peut-être pas toujours leur travail s’agissant de la formation de ces jeunes majeurs étrangers.
Cette problématique des mineurs qui deviennent de jeunes majeurs a été évoquée de nouveau lors du dernier comité de suivi, notamment par le Réseau éducation sans frontières et par le président Touraine. Nous ne parvenons pas à obtenir pour ces jeunes des papiers qui leur permettraient de travailler et de sortir de la situation dans laquelle ils sont. Je vous ai écrit à ce sujet voilà près d’un an ; je n’ai pas eu de réponse.
C’est la raison pour laquelle nous avons pris des arrêtés : nous voulions vous alerter sur un certain nombre de problèmes que nous rencontrons.
Je vais maintenant évoquer le problème de la durée moyenne d’accueil des mineurs dans les foyers de l’enfance : alors qu’elle est de trois mois et demi pour un mineur placé par un juge, elle est de dix-huit mois pour les mineurs étrangers. Un mineur étranger est donc accueilli cinq fois plus longtemps dans un établissement qu’un mineur du département. Cela soulève, là aussi, un problème « d’embouteillage ». Si un foyer dispose de quarante places, la rotation est plus importante avec les jeunes mineurs du département qu’avec les mineurs étrangers.
Voilà des sujets que l’on n’ose pas aborder et qui sont pourtant bien réels !
Je terminerai mon intervention en évoquant – je ne devrais pas le faire – la question financière. Pour un département – nous sommes tous d’accord sur ce point ! –, le coût d’un mineur étranger, ou local d’ailleurs, est de 50 000 à 60 000 euros. Si l’on multiplie cette somme par le nombre de mineurs, on dépasse largement le montant de 250 millions d’euros que vous a donné l’Assemblée des départements de France puisqu’on obtient un montant de 600 ou 700 millions d’euros ! Cela pose véritablement problème.
Dans mon département, le coût annuel, qui s’élevait à 1,5 million d’euros voilà trois ans, est de 7 millions d’euros aujourd'hui. Pour les majeurs étrangers, nous sommes passés de 1,5 million d’euros à 5 millions d’euros. Au total, cela fait 12 millions d’euros, contre 3 millions d’euros il y a trois ans. C’est insupportable ! Il ne faut pas penser que ce sont des montants insignifiants, qui ne représentent rien dans un budget départemental : je le redis, c’est un problème que l’on ne peut plus gérer.
C’est pourquoi je souhaite, madame le garde des sceaux, que nous puissions aller au terme de notre débat, pour entrer véritablement dans la problématique. Nous ne pouvons pas nous cacher derrière notre petit doigt !
La situation est dramatique : on traite mal ces enfants, qu’ils soient locaux ou étrangers – je ne veux pas faire de différence –, car nos capacités tant d’accueil que financières ne nous permettent plus de les recevoir dans des conditions acceptables.
Monsieur le président, sur un tel sujet, compte tenu des problèmes que cela nous pose, j’aurais pu parler toute la journée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – MM. Jean Arthuis et Yves Détraigne applaudissent également.)
Mme Hélène Lipietz. Moi aussi !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je m’attendais à entendre un certain nombre d’orateurs évoquer la situation préoccupante des mineurs isolés étrangers, mais elle a été peu évoquée ; il a été question de la situation préoccupante des conseils généraux et de leurs finances. Triste débat ! (M. Jean-Noël Cardoux s’exclame.) Car, enfin, mes chers collègues, de qui parlons-nous aujourd'hui ?
Certes, certains de ces mineurs ne sont pas isolés – mais s’ils ne le sont pas, ils sont aux mains de réseaux de prostitution –, d’autres ne sont pas mineurs. Mais la majorité d’entre eux sont des mineurs, isolés. Nous sommes face à un drame, une tragédie. À ces enfants, souvent très jeunes – ils peuvent avoir 10 ou 12 ans –, qui quittent leur pays d’Europe de l’Est ou d’Afrique subsaharienne, leur pays en guerre ou dans lequel ils meurent de faim ou peuvent être tués ou massacrés, pour venir chez nous,…
M. Jean-Noël Cardoux. Zola !
M. Jean-Pierre Michel. … que répondons-nous ? Nous ne voulons pas de vous, car vous coûtez trop cher ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Voilà ce que j’ai entendu de la part de la représentation nationale aujourd’hui !
M. Jean-Noël Cardoux. Démagogue !
M. Éric Doligé. Ce n’est pas ce que nous avons dit !
Mme Éliane Assassi. N’oubliez pas que ce sont d’abord des enfants !
M. Éric Doligé. C’est nul !
M. Jean-Pierre Michel. Nous avons tous, mes chers collègues, rencontré ces mineurs ; j’en ai moi-même connu par le biais de diverses associations.
Je me souviens d’un jeune Égyptien de dix-sept ans, parti d’Alexandrie, qui était allé en Libye où il avait pris un bateau en laissant tout – son argent, sa carte d’identité – pour se rendre à Lampedusa. Là, il s’échappe et fait du stop jusqu’à Milan, avant de prendre un train pour retrouver à Paris un vague cousin. À la frontière, il est refoulé. Il retourne à Milan, où il travaille « au noir » un mois pour 200 euros. Il reprend le train, donne au contrôleur les 200 euros qu’il avait gagnés, et il arrive à Paris. Heureusement, le Gouvernement l’a régularisé. Aujourd’hui, il est majeur et il travaille. Voilà de qui nous parlons !
Bien sûr, il y a des problèmes. Dans le rapport sur la PJJ, j’aborde cette question, car il s’agit d’enfants en danger. M. Bas – il n’est plus présent –, qui est à l’origine de la loi de 2007, sait bien que tous les enfants en danger doivent être traités de la même manière, quels qu’ils soient. Je reconnais, pour m’être rendu dans plusieurs départements, que les conseils généraux ont bien souvent atteint les limites de ce qu’ils peuvent faire.
Les parquets signalent un certain nombre de difficultés, qui concernent notamment le paiement des réquisitions pour les interprètes, ainsi que les frais médicaux – qui ne sont pas toujours payés, vous le savez très bien, madame la ministre.
La non-reconnaissance de l’état de minorité pose également problème. Ces mineurs n’ont aucun recours et aucun conseil. Ils sont hors droit, hors-sol, hors vie, hors tout ! Il faut examiner cette question.
Enfin, se pose le problème juridique de l’accession de ces mineurs à la majorité. Certains ne demandent qu’à s’intégrer. Un quart d’entre eux, dans l’association où ils sont, travaillent, apprennent le français et, finalement, s’en sortent, mais pas forcément à 18 ans et un jour !
Alors que fait-on lorsqu’ils deviennent majeurs ? Certains conseils généraux ont passé des conventions avec la protection judiciaire de la jeunesse pour les accompagner encore pendant un certain temps. Pas tous !
Je ne méconnais pas les problèmes. Il faut bien évidemment les régler. Pour ma part, j’ai fait un certain nombre de propositions, mais ce n’est pas le moment de vous les dévoiler.
Je m’associe à la grande humanité dont a fait preuve René Vandierendonck. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas traiter cette proposition de loi totalement. Alors, que nous reste-t-il comme solution ? Devons-nous voter pour ou contre ? En effet, la commission des lois, par une majorité aléatoire – on connaît les majorités de commissions : l’un des membres sort, l’autre entre, certains ont un pouvoir, d’autres non… –, a repoussé le renvoi en commission, qui, dans l’esprit du rapporteur, était un véritable renvoi en commission.
Aujourd’hui, nous devons choisir entre voter pour ou contre cette proposition de loi. Un scrutin public sera-t-il demandé ? Allons-nous nous arranger pour que toute la majorité vote contre ? Ou allons-nous voter un certain nombre d’articles, alors même que, comme vous l’avez dit, monsieur Détraigne, ils mériteraient quelque réécriture par voie d’amendements ?
Nous sommes donc dans une impasse. Notre groupe votera contre cette proposition de loi, à regret car elle avait le mérite de poser les problèmes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je vous remercie, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, de vos interventions. Vous avez pris le temps d’analyser en profondeur les problèmes que pose la situation difficile à laquelle nous sommes confrontés. Nous examinons ces difficultés avec rigueur, dans un souci d’améliorer le dispositif. Je veux bien entendre que ce n’est pas la bonne solution, le bon dispositif, mais je ne vous ai pas entendu proposer de dispositif alternatif. Nous allons donc continuer à consolider le dispositif existant.
Pour ceux qui s’inquiètent, à bon droit, de l’efficience de ce système notamment à l’égard des jeunes majeurs, je répète que la triple inspection qui a commencé le 6 janvier dernier et qui remettra son rapport le 15 avril prochain traite également de cette question, qui est, nous le savons, importante.
Je veux bien entendre que certains mineurs sont très actifs dans des réseaux. S’il y a des cas particuliers, il ne faut pas oublier quelle est la situation générale de ces mineurs. Certains sont accueillis dans des établissements de la protection judiciaire de la jeunesse.
Je pourrais prendre tous les exemples dont j’ai été témoin et en faire un paradigme.
J’ai vu des jeunes qui ont appris le français très vite. J’en ai vu qui se sont formés à un métier très rapidement. J’ai vu parmi eux des majors de promotion, dans les classes-relais que nous avons créées avec l’éducation nationale, où interviennent des éducateurs.
Cela étant, le sujet n’est pas de savoir si les mineurs isolés étrangers sont parfaits et réussiront excellemment dans la vie ! La question qui se pose est celle de notre responsabilité à l’égard de ces mineurs.
Je ne sous-estime ni ce que font les conseils généraux ni la charge que fait poser sur eux la prise en charge de ces jeunes.
Je rappelle simplement que les chiffres que je vous ai donnés procèdent d’une grande honnêteté. Comme je vous l’ai dit, ils résultent d’une projection linéaire.
Pour sa part, M. Bas, qui s’exprimait voilà quelques instants à la tribune, a fait passer en quelques minutes la proportion de mineurs isolés étrangers dans les mineurs pris en charge par l’aide sociale à l’enfance de 4 % à 5 %. Sauf que 4 %, monsieur Bas, c’est déjà une hypothèse haute ! Le sujet est trop sérieux pour que l’on joue avec les chiffres.
Le flux d’entrée annuel avait été estimé, de manière consensuelle, à 1 500 jeunes. Toutefois, en huit mois, nous avons constaté que ce flux s’élevait, en pratique, à 2 500. J’aurais pu en rester là, mais j’ai préféré retenir une projection en année pleine, d’où ce chiffre de 4 000. Mais, de fait, il n’y a pas 4 000 jeunes qui entrent chaque année sur notre territoire !
M. René-Paul Savary. Si !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, ne versons pas dans la surenchère.
Je le répète, la proportion de 4 % est déjà une hypothèse haute (M. René-Paul Savary s’exclame.), qui permet de donner la mesure d’un sujet qui n’est pas simple.
Monsieur le sénateur Doligé, on m’informe qu’une réponse a bien été adressée à votre demande. Sans doute était-elle trop tardive…
M. Éric Doligé. Je l’ai reçue après avoir pris mon arrêté !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Peut-être a-t-elle en ce cas aidé au retrait de l’arrêté ?
M. Éric Doligé. Non, c’était avant !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En tout état de cause, je prends la pleine responsabilité du retard avec lequel nous vous avons répondu.
D’une façon générale, je suis désolée que nous ne puissions répondre aux parlementaires avec plus de diligence.
Sachez simplement que c’est avec une immense ambition que, prenant mes fonctions au ministère de la justice, j’ai entrepris de m’attaquer à ce problème : j’ai fait suivre pendant quatre mois les réponses que nous donnions aux parlementaires. Le problème, c’est que nous recevons 700 lettres de parlementaires en deux semaines ! Dans ces conditions, nous n’arrivons pas à les écluser, même en exerçant la pire des pressions sur l’administration… J’en suis profondément désolée. Croyez bien que j’ai bataillé ! À la fin de l’année 2012, nous avions ainsi fait en sorte d’envoyer une réponse à toutes les lettres qui nous avaient été adressées… Mais le rythme des demandes s’est maintenu, nous mettant face à une impossibilité pratique.
Monsieur Doligé, vous comprenez mieux les raisons du retard avec lequel nous vous avons répondu. Je vous présente mes excuses, comme j’aurai probablement l’occasion de le faire de nouveau à l’avenir, auprès d’autres parlementaires…
Cela étant dit, vous avez rappelé à juste titre que vous étiez membre du comité de suivi. Tous les éloges que j’ai adressés aux membres de ce comité vous concernent donc personnellement ! (M. Éric Doligé s’exclame.)
Vous m’avez interpellée sur la situation de votre département.
Nous nous appuyons sur les mêmes tableaux : ceux qui sont produits par le comité de suivi, dont les trois dernières colonnes sont tout à fait significatives.
Permettez-moi de vous faire observer que, selon ces tableaux, 63 jeunes sont entrés par votre département du Loiret, tandis que 35 y ont été maintenus.
M. Éric Doligé. Oui !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Autrement dit, le dispositif de solidarité entre départements a permis au Loiret de faire prendre en charge 28 jeunes par d’autres départements. (M. Jean-Noël Cardoux s’exclame.)
Vous nous expliquez que ces mineurs isolés étrangers pèsent sur vos infrastructures. Je le sais, j’en conviens, et c’est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons mis en place ce dispositif de répartition entre les départements.
Vous nous dites que la prise en charge des mineurs isolés étrangers est particulièrement lourde. Je l’entends bien, et je ne nie pas la pression qui peut en résulter pour les départements. Cela étant, je conteste le taux de 5 % que vous avancez : à ce rythme, d’ici à dix-neuf heures, la proportion des mineurs isolés étrangers sera passée à 15 % !
À cet égard, permettez-moi de vous faire observer que, sur les 63 jeunes entrés dans votre département, vous n’en avez conservé que 35 ! Cela prouve que, pour votre département, le dispositif de solidarité fonctionne bien, et c’est tant mieux.
M. René-Paul Savary. Vous ne parlez que du flux ! Et le stock ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il n’empêche que, je le répète, ce dispositif, nous devons l’améliorer, le perfectionner.
Monsieur Bas, j’ai bien entendu vos suggestions très pertinentes, très éclairées sur l’usage du Fonds national de financement de la protection de l’enfance.
À ce sujet, permettez-moi de procéder à deux rappels.
Premièrement, ce fonds a été créé par la loi de 2007, dont je sais que vous avez été un artisan : pour vous avoir entendu, lors d’un colloque, procéder à une explication extrêmement précise des articles de ce texte, je connais la part que vous y avez prise !
Cette loi définit dans le détail les responsabilités des départements, et notamment des trois services obligatoires, dont l’aide sociale à l’enfance. Elle ne laisse aucune place à l’interprétation libre. Nous sommes d’accord !
Par ailleurs, alors que ce fonds a été créé par la loi de 2007, le décret d’application n’est intervenu qu’en 2010, ce que je déplore.