Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fauconnier, rapporteur.
M. Alain Fauconnier, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est un texte à la fois ambitieux et pragmatique qui vient en discussion aujourd’hui au Sénat en deuxième lecture.
Des consommateurs mieux informés, mieux protégés et mieux à même de défendre leurs droits : c’est la première ambition de ce texte. Le projet de loi comporte à cet égard des mesures qui feront date et que le pays attend depuis parfois des décennies. Permettez-moi de citer les principales.
Une procédure d’action de groupe permettant une réparation des préjudices économiques tout en évitant les dérives de la judiciarisation de la vie des affaires est créée.
Une protection contre la spirale du surendettement pour les ménages financièrement les plus vulnérables, grâce à un registre national des crédits aux particuliers, est mise en place.
Les règles européennes en matière de vente à distance et hors établissement sont transposées, ce qui permet notamment d’étendre la durée de la période de rétractation.
Les règles de garantie légale sont réformées, avec un allongement important de la durée de la présomption d’antériorité du défaut de conformité, ce qui va contribuer à développer des modes de consommation et de production durables.
Un dispositif de lutte efficace et équilibré contre le démarchage téléphonique abusif est instauré.
La qualité et la transparence de l’information relative aux plats servis dans la restauration sont renforcées, avec la mention « fait maison ».
Le régime des appellations géographiques protégées est étendu aux biens non alimentaires.
Voilà autant de mesures, de portée très générale ou bien plus circonscrite, qui vont toutes dans le même sens : renforcer les droits des consommateurs.
L’ambition de ce texte, c’est aussi celle d’une police économique modernisée, plus agile, plus rapide, plus efficace, grâce à un renforcement des compétences de la DGCCRF, notamment de ses pouvoirs d’enquête, au durcissement des sanctions administratives et au renforcement des pouvoirs du juge en matière économique, avec l’extension de la suppression des clauses abusives à tous les contrats identiques. Une information transparente et loyale sera garantie par un système de contrôles et de sanctions crédibles : cela contribuera à renforcer la confiance entre consommateurs, producteurs et distributeurs.
L’ambition de ce texte, c’est enfin d’améliorer le pouvoir d’achat de nos concitoyens par des mesures concrètes et immédiates, lisibles par tous. Je pense en particulier à la possibilité de résilier à tout moment les contrats d’assurance au-delà de la première année suivant leur conclusion. Je pense également aux dispositions dans le domaine de l’optique-lunetterie, à la tarification dans les parkings publics ou bien encore au remboursement des taxes d’aéroport pour les passagers n’ayant pas embarqué. Je note d’ailleurs que le Parlement – je fais notamment référence au Sénat – a été une force de proposition importante en la matière. Notre Haute Assemblée n’a pas hésité à porter des mesures qu’elle estimait profitables, parfois même contre l’avis du Gouvernement.
Ainsi – et je veux l’exprimer avec force –, cette loi en faveur des consommateurs n’est pas une loi contre les entreprises. Opposer les uns aux autres n’aurait guère de sens d’un point de vue économique. La philosophie initiale du texte, que j’ai défendue dans mon travail de rapporteur, est celle d’un équilibre entre le renforcement des droits des consommateurs et le développement de la compétitivité des entreprises. Cette approche inspire notamment la conception de l’action de groupe, qui comporte des filtres évitant les dérives.
Dans le même sens, en tant que rapporteur, je me suis systématiquement opposé aux amendements tendant à créer une charge administrative disproportionnée pour les entreprises ; je pense notamment à certaines obligations excessives en matière d’information sur les pièces détachées ou de garantie légale. En revanche, j’ai soutenu les initiatives qui se justifiaient par la défense des intérêts, souvent substantiels, des consommateurs ou qui me semblaient de nature à créer une dynamique positive de montée en gamme pour nos entreprises ; je pense en particulier à l’augmentation de la durée de présomption d’antériorité de conformité ou à l’affichage obligatoire « fait maison ».
Au total, quand je considère le travail accompli sur ce texte depuis son dépôt au Parlement, le 2 mai dernier, je me dis que ces neuf mois de gestation parlementaire sont en voie de déboucher sur une loi utile à notre pays, dont nous pourrons être fiers.
J’en viens maintenant aux soixante-quatre articles faisant l’objet de cette navette, afin d’évoquer les principales modifications apportées par les députés et celles qui ont été introduites par la commission des affaires économiques. Personnellement, je traiterai uniquement des chapitres II, III et IV du texte, les autres parties ayant été confiées à mon collègue corapporteur Martial Bourquin.
Le chapitre II est relatif à l’information et aux droits contractuels des consommateurs. Je relèverai plusieurs points.
Les députés ont décidé le passage à une tarification par tranches de quinze minutes dans les parkings publics, mais la commission des affaires économiques est revenue à une tarification à la minute.
Les députés ont également souhaité l’assouplissement de la mesure de remboursement sans frais des taxes d’aéroport pour les passagers n’ayant pas embarqué. Alors que le Sénat avait voté un remboursement sans frais dans tous les cas, les députés ont préféré un remboursement sans frais uniquement si la demande de remboursement se fait en ligne. Sinon, des frais représentant jusqu’à 20 % du montant remboursable peuvent être appliqués.
L’Assemblée nationale a voté le rétablissement du caractère obligatoire de la mention « fait maison » dans la restauration, mais la commission a préféré revenir à une mention facultative. À titre personnel, je suis favorable au caractère obligatoire de cet affichage.
Les députés ont rétabli un dispositif d’encadrement de la prospection téléphonique commerciale fondé sur l’opt out, ce qui correspond au choix fait par la commission des affaires économiques en première lecture. Je tiens à le souligner, avec l’inscription gratuite des consommateurs ne voulant pas être démarchés sur une liste d’opposition au démarchage, on crée un dispositif de protection très renforcé pour les consommateurs, sans commune mesure avec le dispositif Pacitel existant, et qui permet en même temps de ne pas ruiner tout un pan d’activité. J’espère que le Sénat confirmera en séance ce choix sans revenir à son vote de première lecture.
L’Assemblée nationale a aussi rétabli le texte qu’elle avait adopté en première lecture concernant les normes des stations-service. Les députés ont ramené la date butoir de mise aux normes à 2016, au lieu de 2020, et ont restreint le champ d’application aux stations de moins de 500 mètres cubes. La commission des affaires économiques a, là encore, considéré qu’il était souhaitable de revenir au texte précédemment voté par notre chambre.
Je tiens à le souligner, les députés ont émis un vote conforme sur deux dispositions introduites par le Sénat : celle qui portait sur la libéralisation de la vente des produits d’entretien des lentilles de contact, introduite sur l’initiative de notre collègue Muguette Dini, et celle relative à la libéralisation de la vente des tests de grossesse, issue d’un amendement déposé par Patricia Schillinger. Ces avancées ont eu un large écho. Il aurait été bon que les députés et les médias mettent davantage en avant l’apport du Sénat. Une fois de plus, la Haute Assemblée a fait la preuve de la qualité de ses travaux et de sa modernité.
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. Alain Fauconnier, rapporteur. Ce constat vaut également pour les dispositions sur l’optique-lunetterie, que j’avais introduites en première lecture, contre l’avis du Gouvernement.
Les dispositions adoptées par le Sénat étaient issues du travail à quatre mains réalisé en 2011 par Gérard Cornu, que je tiens à saluer, et moi-même, à l’occasion des débats sur le projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs, ou projet de loi Lefebvre.
Les députés ont adopté l’article 17 quater, désormais soutenu par le Gouvernement, ce dont je me réjouis : cet article devrait permettre le développement, dans un cadre sécurisé, de la vente en ligne des lunettes et des lentilles, ce qui aura une incidence très sensible sur le pouvoir d’achat de nos concitoyens, comme l’a souligné tout à l’heure M. le ministre.
Les députés ont cependant supprimé une disposition importante, à savoir le relèvement de trois à cinq ans de la durée pendant laquelle les opticiens-lunetiers peuvent adapter une prescription de verres correcteurs. Soucieuse de rétablir l’équilibre de l’article 17 quater, mais également fidèle à la vocation constitutionnelle du Sénat de représentation des territoires, la commission des affaires économiques a rétabli cette mesure : aucun élément sanitaire ne justifie la suppression de ce dispositif, qui apporte une vraie réponse aux problématiques des « déserts médicaux ». Je ne m’attarde pas plus longtemps sur cette question, car nous aurons l’occasion d’en débattre lors de l’examen des amendements.
J’en viens maintenant au chapitre III consacré aux secteurs de l’assurance et de la banque. Le texte, tel qu’il nous est transmis par les députés, appelle trois principales observations.
En matière de crédit, les députés ont maintenu l’équilibre général et les principaux « curseurs » du texte adopté par le Sénat. Je m’en félicite, car cela traduit le réalisme des arguments que nous avons défendus ; je tiens d’ailleurs à saluer dans ce domaine la contribution des rapporteurs pour avis de la commission des finances et de la commission des lois, Mmes Michèle André et Nicole Bonnefoy.
La commission des affaires économiques s’est principalement attachée, sur le volet crédit, à préciser les modalités d’entrée en vigueur des dispositions du texte, l’enjeu étant de trouver le bon équilibre entre les attentes des consommateurs, pour lesquels une entrée en vigueur rapide est souhaitable, et les contraintes logistiques des professionnels, qui ont besoin d’un délai raisonnable pour s’adapter à la nouvelle législation.
En matière d’assurance, notre tâche s’est résumée à parachever la rédaction et la coordination de mesures qui, pour l’essentiel, correspondent à une avancée majeure : la liberté de changer d’assureur, à tout moment, au bout d’une année, et non plus seulement au voisinage de la date anniversaire du contrat.
L’élément nouveau, introduit par les députés sur l’initiative du Gouvernement, se situe à l’intersection du crédit et de l’assurance, puisqu’il s’agit de l’assurance emprunteur, qui représente des sommes considérables, de l’ordre de 6 milliards d’euros, ainsi qu’une proportion importante du coût des crédits, dans une période marquée, il est vrai, par des taux d’intérêt atteignant un plancher historique. Sur la base du droit en vigueur, et en pratique, l’emprunteur ne peut plus changer d’assureur une fois le contrat signé. Alors que la liberté de choix de l’assureur est une des principales avancées du texte dans les domaines de l’assurance automobile et de l’assurance habitation, il pouvait paraître surprenant de ne pas étendre cette possibilité à l’assurance emprunteur.
Afin d’éclairer la décision, le Gouvernement a souhaité que l’Inspection générale des finances étudie l’impact d’une possibilité de substitution. Cette précaution s’est révélée opportune, puisque le rapport de l’inspection met en évidence les deux caractéristiques fondamentales du système français d’assurance emprunteur, que sont, d’une part, le niveau relativement élevé des commissions versées et, d’autre part, la logique de mutualisation qu’il incorpore. Ce second point signifie concrètement qu’au lieu de payer huit à dix fois plus à cinquante-six ans qu’à vingt-six ans, comme le voudrait la pure application des lois de la probabilité et du marché, l’écart est plutôt de un à deux ou trois fois plus.
La commission des affaires économiques s’est efforcée de trouver un équilibre satisfaisant, permettant à l’emprunteur de faire jouer la concurrence pour faire diminuer les primes, tout en préservant une mutualisation à laquelle nos concitoyens sont très attachés, comme en témoignent les sondages réalisés sur ce point.
Pour l’essentiel, la commission approuve le choix d’un délai de substitution ouvert pendant douze mois à compter de la signature du prêt, en écartant les solutions extrêmes que constituent le quasi-statu quo et un droit de substitution automatique tout au long de la vie du prêt.
En ce qui concerne les modalités du dispositif, la commission a adopté plusieurs amendements en se préoccupant, particulièrement, d’éliminer toute possibilité de faire supporter à l’emprunteur des frais dissuasifs en cas de changement d’assurance emprunteur : comme vous le savez, le diable se cache dans les détails, et notamment dans les frais annexes !
J’en viens enfin au chapitre IV. Je dirai quelques mots sur le cheminement législatif de l’article 23, qui tend à créer un dispositif de protection des indications géographiques pour les produits non alimentaires et vise à renforcer les moyens accordés aux collectivités territoriales pour protéger leur nom dans les procédures de dépôt de marques auprès de l’Institut national de la propriété industrielle, l’INPI. Vous savez que c’est un dispositif qui me tient particulièrement à cœur.
Approuvant l’essentiel des dispositions adoptées par le Sénat, les députés ont introduit trois modifications qu’il nous a semblé opportun de conserver.
La première vise à préciser que la procédure de consultation de l’INAO, l’Institut national de l’origine et de la qualité, sera déclenchée non pas systématiquement, mais seulement s’il existe un risque de chevauchement entre les indications géographiques industrielles et les indications géographiques protégées, les IGP, ou les appellations d’origine protégées, les AOP, agricoles existantes ou en cours d’instruction par l’INAO. Il est en effet souhaitable de prévoir de larges vérifications, mais inutile de multiplier les consultations qui ne seraient pas nécessaires.
Le deuxième correctif apporté par l’Assemblée nationale vise à préciser le rôle de l’INPI au moment de l’instruction de la demande d’homologation : l’institut vérifie que la production ou la transformation du produit ainsi que le périmètre de la zone géographique ou du lieu déterminé permettent de garantir que le produit possède une qualité ou une réputation liée à cette zone ou à ce lieu.
La troisième modification introduite par les députés vise à compléter la définition de l’indication géographique, en ajoutant le critère de « savoir-faire traditionnel ».
Sur mon initiative, l’article 23 du texte adopté par la commission a été perfectionné sur trois points.
Tout d’abord, nous avons prévu que la consultation de l’INAO par l’INPI doit être lancée lorsque la dénomination de l’indication géographique artisanale ou industrielle peut créer un risque de confusion avec la dénomination d’une AOP ou d’une IGP agricole. Cette formulation, plus protectrice et plus précise que celle du texte adopté par les députés, a pour objet de couvrir les cas où la dénomination de l’indication géographique correspond partiellement à la dénomination de l’AOP ou de l’IGP.
Ensuite, la commission a ramené de trois à deux mois la durée des consultations effectuées par l’INPI pendant la phase d’instruction. Ce délai nous paraît suffisant pour émettre un avis sur un cahier des charges et il tient compte du besoin d’accélérer la procédure dans l’intérêt des professionnels en attente d’une protection efficace au moyen des indications géographiques.
Enfin, la commission a pris en compte l’évolution de la réglementation européenne, en prévoyant de mettre à jour la liste des indications géographiques au sein du code de la propriété intellectuelle.
J’ai, bien entendu, poursuivi ma réflexion sur ce sujet essentiel pour nos territoires, et je soumets au Sénat quelques ultimes perfectionnements du texte, en particulier pour préciser la portée de la protection et prévoir que les indications géographiques protégées ne peuvent pas devenir génériques.
Par ailleurs, la commission a émis un avis favorable sur un amendement présenté par notre collègue Stéphane Mazars, amendement ayant pour objet de consolider le lien entre le territoire et le produit non agricole, en distinguant la dimension globale du produit et ses composants.
Pour finir, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au vu des nombreuses avancées structurelles ou sectorielles que comporte ce texte, tant pour les consommateurs que pour notre économie, compte tenu également des progrès que cette deuxième lecture permettra encore d’apporter, c’est avec fierté et enthousiasme que je vous invite à adopter ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, du RDSE et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Martial Bourquin, rapporteur.
M. Martial Bourquin, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur la présentation générale d’Alain Fauconnier, sinon pour rappeler qu’en examinant ce texte, qui comprend plus de cent soixante-dix dispositions, nous nous sommes efforcés non seulement de perfectionner tous les dispositifs, mais aussi de les relier les uns aux autres pour essayer d’anticiper leur effet global et la liberté de choix.
Si la fragilité et la liberté de choix du consommateur sont des préoccupations majeures, il nous fallait également prendre en compte les difficultés auxquelles sont confrontées les entreprises, tout particulièrement celles qui respectent leurs salariés et les consommateurs, dans un environnement économique et financier, qui, sur le terrain, suscite des attentes auxquelles nous apportons des réponses concrètes.
Dans cet esprit, je vous présenterai rapidement les enjeux de cette deuxième lecture pour ce qui concerne les principales dispositions du projet de loi que je suis chargé de rapporter.
S’agissant tout d’abord de l’action de groupe, l’une des deux dispositions phare du projet de loi, avec le registre national des crédits aux particuliers, le Sénat avait sensiblement ajusté le dispositif en première lecture, sur mon initiative et celle de notre collègue Nicole Bonnefoy, rapporteur pour avis de la commission des lois.
En commission, nous avions ainsi adopté dix-huit amendements, parmi lesquels certains visaient à préciser la procédure de médiation. Surtout, un amendement que j’avais proposé à la commission tendait à détailler et à encadrer les conditions d’engagement d’une action de groupe simplifiée.
En séance publique, dix amendements de la commission des lois avaient été adoptés ; sur certains d’entre eux, le Gouvernement s’en était remis à la sagesse du Sénat. La Haute Assemblée avait, notamment, modifié la procédure d’action de groupe en matière de concurrence en permettant l’engagement d’une telle action avant que la décision de l’autorité de la concurrence ne soit devenue définitive.
En deuxième lecture, les députés ont sensiblement ajusté le dispositif, adoptant une quinzaine d’amendements en commission ou en séance publique.
Ils ont maintenu plusieurs dispositions introduites par le Sénat, en particulier pour ce qui concerne la médiation. Ils ont poursuivi l’amélioration de la procédure d’action de groupe en matière de concurrence, dans l’esprit qui avait prévalu lors de l’examen du texte au Sénat, en permettant au juge de prononcer la responsabilité du professionnel sur le fondement d’une décision d’une autorité de la concurrence non définitive, si les recours ne portent pas sur l’établissement des manquements. Ils sont enfin revenus sur certains ajouts de la Haute Assemblée.
Les députés ont ainsi rétabli le dispositif qu’ils avaient initialement retenu concernant l’action de groupe simplifiée, sans tenir compte des remarques que nous avions formulées en première lecture.
Sur mon initiative, la commission des affaires économiques est revenue au dispositif de l’action de groupe simplifiée tel qu’il a été adopté par le Sénat en première lecture, sous réserve d’un ajustement permettant de prendre en compte une critique du rapporteur de l’Assemblée nationale. Ce dispositif nous paraît plus précis et plus sûr juridiquement que celui qui a été adopté par les députés.
J’en viens au chapitre V du projet de loi. Je souhaite insister sur le volet du texte consacré au rééquilibrage des forces entre les entreprises. De façon assez solennelle, je voudrais faire observer qu’il s’agit ici d’élaborer un cadre juridique dont l’objectif concorde parfaitement avec l’impératif de renforcement de la compétitivité de notre économie. En effet, le rapport de Louis Gallois démontre que le rééquilibrage des forces et la pacification des relations entre les entreprises sont l’une des clefs de notre redressement. Un juste équilibre et la pacification, c’est aussi le « cœur de métier » du travail de législateur. Plus la loi est fluide, plus elle est applicable et plus elle est efficace.
S’agissant de l’article 61 relatif au renforcement des sanctions en matière de délais de paiement, je rappelle qu’en première lecture le Sénat a supprimé le régime dérogatoire introduit par les députés en faveur des factures récapitulatives, en particulier pour l’achat de matériaux de construction.
Prendre du recul et décider n’est pas une tâche facile, mais nous avons estimé, ici, au Sénat, qu’une telle mesure pénaliserait les fournisseurs de matériaux de construction au profit, parfois, des promoteurs immobiliers. En effet, les fournisseurs sont souvent des petites et moyennes entreprises ou des très petites entreprises, qui devraient trouver des financements complémentaires pour faire face à des besoins accrus de trésorerie, ce qui est presque actuellement une mission impossible dans le contexte actuel de restriction du crédit.
Au final, je constate que l’Assemblée nationale, après avoir voté une dérogation, ce qui, vous en conviendrez, est souvent plus gratifiant que de tenir une ligne de rigueur, a approuvé la position prise par le Sénat.
Je rappelle, mes chers collègues, que les délais de paiement représentent un manque à gagner de 11 milliards d’euros par an pour les PME et TPE et qu’une entreprise sur quatre, en France, est en difficulté en raison de délais de paiement trop longs. Or plus nous prévoyons d’exceptions à la règle, plus nous fragilisons les plus petites d’entre elles !
Par conséquent, la commission des affaires économiques a supprimé, sur mon initiative, le nouveau régime dérogatoire en matière de délais de paiement introduit en deuxième lecture par les députés. Il avait pour but d’affranchir certaines entreprises exportatrices – à savoir les entreprises de négoce spécialisées dans la grande exportation hors de l’Union européenne – de la contrainte du délai maximal de règlement pour les biens achetés en franchise de TVA, sans toutefois que le délai librement fixé avec le créancier soit abusif à son égard.
Je m’arrête un bref instant sur ce point pour rappeler que si l’exportation est bien entendu un défi prioritaire, il faut avant tout penser à la régulation globale de notre économie et au péril parfois imminent auquel doivent faire face les PME industrielles, qui se trouvent dans une logique de survie.
J’observe d’ailleurs que, premièrement, nous réalisons 70 % de nos exportations vers l’Union européenne. Or, dans cette zone économique, c’est la directive du 16 février 2011 qui s’impose à tous et limite en principe les délais de paiement à soixante jours civils en Europe.
Deuxièmement, il me paraît hautement souhaitable, avant d’ouvrir une nouvelle fois la boîte de Pandore des dérogations, de recourir à des solutions mieux ciblées : mobiliser des outils de financement et de soutien – affacturage, aides publiques, aides à l’exportation – permettrait sans doute de soulager les secteurs et les entreprises spécifiquement pénalisés par les décalages de paiement entre clients et fournisseurs à la grande exportation.
Pour ces raisons, et parce que l’accès au crédit est aujourd’hui extrêmement difficile pour nos PME et que la crise se fait encore sentir dans notre industrie, la commission des affaires économiques a supprimé cette disposition.
Les dérogations ouvrent la porte à d’autres dérogations. La loi de modernisation de l’économie, la LME, dont Élisabeth Lamure fut l’un des rapporteurs au Sénat, a constitué l’aboutissement d’un long travail. Elle avait accordé des délais pour ces dérogations. Aujourd’hui, ils sont arrivés à leur terme. Il faut donc appliquer la LME, et rien qu’elle !
En matière de régulation des relations de sous-traitance, la commission a réintroduit, en la réaménageant, la disposition adoptée par le Sénat en première lecture, pour répondre aux objections, non pas de principe mais de forme, mises en avant par la rapporteure de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, qui est à l’origine de la suppression de ce dispositif.
Ici encore, personne ne conteste aujourd’hui que l’amélioration et l’encadrement des relations de sous-traitance sont une nécessité fondamentale pour la compétitivité de notre économie. Dans le prolongement des préconisations du rapport que j’ai remis au Gouvernement en tant que parlementaire en mission, il a paru essentiel à la commission de contribuer sans plus attendre, dans ce projet de loi, à la pacification, comme je le disais tout à l’heure, des relations de sous-traitance de production, ce qui passe par des conventions ou contrats-types. Trop souvent, c’est la jungle, la loi du plus fort. Il faut mettre en place, comme en Allemagne ou certains pays du nord de l’Europe, de véritables contrats, une véritable entente et collaboration entre PME, sous-traitants et grands donneurs d’ordre.
S’agissant des relations entre fournisseurs et distributeurs, l’article 62 du projet de loi traduit l’intention de préserver les principaux équilibres de la loi de modernisation de l’économie, qui semblent garantir les intérêts de toutes les parties.
Encore fallait-il renforcer le formalisme contractuel et sanctionner plus fermement les dérives sur lesquelles la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, exerce sa vigilance, tout en tenant compte de la volatilité du prix des matières premières.
Les députés ont adopté une dizaine d’amendements sur cet article. Je vous en résume la teneur et les conséquences que nous en avons tirées.
Tout d’abord, ils ont précisé la notion de convention unique ainsi que son contenu ; ils ont ensuite supprimé les dispositions introduites par le Sénat relatives aux nouveaux instruments promotionnels, les NIP, avant de décider finalement de les réintroduire dans la convention unique lors du débat en séance publique.
Sur ce point, la commission vous soumet une solution d’équilibre qui vise à sortir les nouveaux instruments promotionnels du champ de la convention unique, tout en donnant une définition et un cadre juridiques à cette pratique extrêmement répandue mais dont aucune mention n’est faite dans notre législation commerciale.
Les députés ont ensuite prévu que les renégociations de prix, en fonction de la volatilité des matières premières, doivent s’effectuer dans le respect du secret des affaires et des secrets de fabrication existants.
Enfin, sur l’initiative de François Brottes, président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, a été adopté un amendement qui tend à instaurer, pour le distributeur, l’obligation de répondre dans un délai de deux mois au fournisseur qui estime qu’un accord a été remis en cause. À défaut de réponse, le fournisseur a la possibilité de signaler la situation à la DGCCRF. La commission a supprimé ce dispositif, dont l’intention est certes légitime, mais dont la portée juridique est très insuffisante, puisque la sanction prévue, le signalement à la DGCCRF, est d’ores et déjà possible même en l’absence de réponse. De plus, la mise en œuvre pratique d’une telle initiative paraît difficilement compatible avec la réalité de terrain.
La commission a adopté plusieurs autres correctifs au texte transmis par les députés pour l’article 62. Il s’agit d’abord de préserver la possibilité d’une remise globale concernant les « autres obligations » auxquelles s’engage le distributeur à l’égard de son fournisseur, afin de contrecarrer le retour au « ligne à ligne », tout en prévoyant que cette rémunération globale ne soit pas disproportionnée par rapport à la valeur des services concernés. Une deuxième modification vise à introduire la notion d’abus dans la disposition qui interdit la pratique des « garanties de marge ». Enfin, deux autres rectifications tendent à améliorer la précision du texte et à supprimer des redondances
En conclusion, comme l’indiquait Alain Fauconnier tout à l’heure, la commission des affaires économiques vous invite, mes chers collègues, à adopter ce projet de loi, qui marque une avancée importante en redonnant du pouvoir aux citoyens, aux consommateurs.
Cela fait trente ans que nous parlons de l’action de groupe, que le ministre Benoît Hamon et le Gouvernement mettent en place. Elle verra le jour dans quelques semaines et donnera du pouvoir d’achat aux consommateurs, tout en préservant la stabilité de nos entreprises. Cet équilibre inédit entre renforcement du pouvoir des consommateurs, bon fonctionnement de l’économie et maintien du filtre des seize associations de consommateurs doit garantir que la grande avancée sociale que représente cette loi ne remettra pas en cause la France de producteurs que nous voulons.
Je vous invite une nouvelle fois, mes chers collègues, à voter ce texte, vraiment très important pour notre économie et notre population. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)