M. le président. La parole est à M. François Fortassin, pour explication de vote.
M. François Fortassin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon intervention portera non sur le fond, mais sur la forme.
Notre collègue Aline Archimbaud nous annonce qu’elle votera pour le texte parce que, dit-elle, elle en a compris l’esprit. Si je suis son raisonnement, tous ceux qui voteraient contre n’auraient rien compris… (Sourires.)
Pour ma part, si j’accepte toutes les prises de position, je réfute totalement ce genre d’arguments !
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe socialiste, l’autre, du groupe CRC.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 119 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 34 |
Contre | 310 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Article 2
Les dispositions mentionnées à l’article précédent ne sont pas applicables aux établissements publics de santé qui présentent un risque grave et imminent pour la santé et la sécurité des personnels, de ses usagers ou des personnes présentes à d’autres titres dans l’Établissement.
Un décret en Conseil d’État précise les conditions dans lesquelles le directeur de l’agence régionale de santé fait application du premier alinéa, ainsi que les voies de recours devant l’autorité administrative.
M. le président. Mes chers collègues, j’attire votre attention sur le fait que, si l’article 2 connaît le même sort que l’article 1e, qui vient d’être rejeté, les explications de vote sur l’article 2 vaudront en fait explications de vote sur l’ensemble.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 2.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 120 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 33 |
Contre | 310 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Mes chers collègues, les deux articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, faute de texte à mettre aux voix.
En conséquence, la proposition de loi tendant à instaurer un moratoire sur les fermetures de service et d'établissements de santé ou leur regroupement n’est pas adoptée.
La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Annie David, président de la commission des affaires sociales. Je souhaitais remercier l'ensemble des orateurs et des participants, ainsi que Mme la ministre pour sa présence et les réponses qu’elle nous a apportées.
Bien que le travail de la commission n’ait pas abouti à l'adoption de cette proposition de loi, je crois que le débat était au cœur des préoccupations des sénatrices et des sénateurs de la commission des affaires sociales, et vous avez pu entendre, madame la ministre, leur attente vigilante quant au futur projet de loi de santé publique que vous devez nous présenter.
Nous ne manquerons pas ce rendez-vous et, tous et toutes, nous répondrons : « présent », pour être ensemble à l'initiative ou, du moins, pour aboutir à une véritable grande réforme de la santé publique, dont notre pays a grand besoin.
4
Nomination des membres d'une commission spéciale
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que les groupes ont présenté leurs candidatures pour la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées, et je proclame M. Philippe Adnot, Mme Delphine Bataille, M. Michel Bécot, Mme Esther Benbassa, M. Joël Billard, Mmes Maryvonne Blondin, Françoise Boog, M. Jean-Pierre Chauveau, Mme Laurence Cohen, MM. Christian Cointat, Roland Courteau, Jean-Patrick Courtois, Mmes Cécile Cukierman, Catherine Deroche, Muguette Dini, MM. Philippe Esnol, Bernard Fournier, Yann Gaillard, Mmes Mme Catherine Génisson, Marie-Françoise Gaouyer, MM. Jean-Pierre Godefroy, Alain Gournac, Mme Chantal Jouanno, M. Philippe Kaltenbach, Mmes Christiane Kammermann, Virginie Klès, Claudine Lepage, Hélène Masson-Maret, Michelle Meunier, MM. Jean-Pierre Michel, Alain Milon, Mme Gisèle Printz, MM Jean-Claude Requier, Gérard Roche, Mme Laurence Rossignol, MM. Jean-Pierre Vial, Richard Yung, membres de la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.
5
Candidatures à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission des affaires économiques m’a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine.
Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.
6
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 22 janvier 2014, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 3 de l’ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 (Discipline des notaires et de certains officiers ministériels) (2013-385 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
7
Nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes
Discussion d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe CRC, de la proposition de loi relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes et à l’affectation des dividendes à l’agence de financement des infrastructures de transports, présentée par Mme Mireille Schurch et plusieurs de ses collègues (proposition n° 59 [2011-2012], résultat des travaux de la commission n° 276, rapport n° 275).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Mireille Schurch, auteur de la proposition de loi.
Mme Mireille Schurch, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre réseau autoroutier, qui s’étire sur près de 11 000 kilomètres, est le deuxième d’Europe et le quatrième au niveau mondial. Il assure un maillage dense de notre territoire.
Levier de développement économique et social, de décloisonnement territorial et de sécurité publique, ce réseau est d’abord un patrimoine national qui n’a cessé de s’enrichir et de se développer depuis les années cinquante.
Dès cette époque, il est apparu que les déplacements traduisaient la capacité d’une société à valoriser son territoire, et les autoroutes ont été – elles le sont encore – un outil dont la France s’est dotée à cette fin.
Dès lors, la modernisation des infrastructures de transport a été une constante dont la traduction concrète fut le lancement de grands travaux routiers et autoroutiers, mais aussi ferrés. La politique de grands travaux en faveur de régions comme le Languedoc-Roussillon ou l’Auvergne, par exemple, a illustré cette volonté de désenclavement.
Patrimoine de tous les Français, les autoroutes sont un service public. En effet, selon Léon Duguit, éminent juriste, toute activité dont l’accomplissement doit être assuré, réglé et contrôlé par les gouvernants est un service public. Il ajoute que cette activité ne peut être réalisée complètement que par l’intervention directe ou indirecte de la force gouvernante.
Le rappel de cette définition est, je pense, essentiel. La Cour des comptes et le Conseil d’État ont reconnu ce caractère aux autoroutes. Le Conseil d’État précise que, en l’état actuel, ce n’est pas un service public national du fait de la présence de multiples gestionnaires. Toutefois, en tant que législateur, nous pouvons définir les autoroutes comme service public national et imposer cette définition au juge.
En effet, le maillage de l’ensemble du territoire et l'importance qu’il représente en termes de mobilité et d’accessibilité peuvent légitimer une telle définition. Cela nous renvoie au préambule de 1946, qui énonce que tout service public national doit devenir propriété de la Nation.
Toujours au regard du préambule de la Constitution, il est essentiel de rappeler que les autoroutes constituent, en fait, un quasi-monopole naturel. En effet, les usagers sont captifs et la demande de déplacements plus sûrs et plus rapides est une constante.
En 2010, il y avait cinq fois moins de risques de se tuer sur une autoroute que sur une route départementale, et six fois moins que sur une route nationale. Ce succès se traduit par les chiffres : les autoroutes représentent 25 % de la circulation pour moins de 1 % du réseau asphalté.
Enfin, pour terminer ce tableau introductif, les concessions d’autoroutes constituent une rente dont Hervé Mariton estime dans son rapport qu’elle se situe entre 34 et 39 milliards d’euros sur la durée des concessions.
C’est pourquoi la cession de l’ensemble des participations publiques détenues par l’État dans les sociétés concessionnaires décidée par les gouvernements successifs à partir de 2001 et surtout de 2005 est une faute tout à la fois politique, financière et sociale.
Les autoroutes françaises génèrent plus de 8 milliards d'euros de chiffre d’affaires chaque année et les marges des sociétés concessionnaires d’autoroutes, aujourd’hui totalement privatisées, ne cessent de croître.
En effet, les autoroutes françaises, dont la plupart étaient largement amorties, ont été cédées, en 2005, à trois multinationales du BTP pour la somme de 15 milliards d’euros, au lieu des 22 milliards auxquels les estimait la Cour des comptes… Soit un manque à gagner pour l’État de 7 milliards d’euros !
De plus, en vendant sa participation, l’État a aussi renoncé aux dividendes futurs, quelque 40 milliards de bénéfice d’ici à 2032. Or ces dividendes auraient dû être dédiés au financement d’un important programme d’infrastructures de transport, comme vous le rappellera mon collègue Gérard Le Cam. Ces dividendes sont désormais attribués aux actionnaires des sociétés privatisées, alors que ces derniers ne prennent qu’un risque économique très limité.
Le système est d’autant plus intéressant pour ces sociétés que les recettes se sont envolées : entre 2005 et 2012, le prix moyen du kilomètre a augmenté de 16,4 %, soit deux fois plus vite que l’inflation ! Ces augmentations ne sont d’ailleurs justifiées ni par l’amélioration des services ni par le développement des infrastructures. De plus, il y a eu une course aux économies synonyme de réduction du personnel.
Ces constats ont largement été relayés par la presse et par différents rapports officiels, voire par des pétitions d’élus et de citoyens.
Pourtant, il serait normal qu’une fois le coût de l’investissement amorti, les tarifs des péages diminuent. Il n’en est rien ! Au contraire, ces sociétés ont procédé à des augmentations de tarifs sur les axes les plus saturés afin de s’assurer un maximum de rentabilité, en dehors de toute autre considération. Bien entendu, ces augmentations sont sans commune mesure avec les charges d’entretien des axes concernés.
Aujourd’hui, l’usager se perd dans une multitude de tarifs qui se trouvent, de façon injustifiée, en augmentation constante.
Le caractère de service public d’une activité n’empêche pas sa privatisation. Ainsi, une activité confiée à une entreprise privée reste publique si elle constitue un service public.
C’est le cas des sociétés d’autoroutes, selon le système initialement conçu en 1955. C’était une certaine forme de privatisation, mais elle était limitée à la fois parce que les sociétés concessionnaires faisaient partie du secteur public – leur capital étant majoritairement détenu par des personnes publiques – et parce que l’activité concédée à ces sociétés restait un service public.
De même, si la cession par l’État de la totalité de ses participations dans les sociétés concessionnaires d’autoroutes a eu pour objet et pour effet de les privatiser au sens organique, elle n’a pas pour autant privatisé le service public assuré par les sociétés. Elles doivent assurer, alors même qu’elles sont entièrement privées, une activité qui reste publique en tant que service public.
J’insiste sur ce point, car ce qui est aujourd’hui une atteinte à ce service public – au-delà de la faute financière qu’a été la cession de 2005 –, c’est l’incapacité de l’État à s’imposer comme force gouvernante.
Certes, les délégataires sont tenus par un cahier des charges signé avec l’État et doivent respecter un certain nombre de contraintes, dont, notamment, l’application des conditions tarifaires. Mais, si la puissance publique continue officiellement à arrêter l’évolution générale des tarifs – en fonction de calculs jugés opaques par la Cour des comptes –, les sociétés d’exploitation pèsent de tout leur poids pour augmenter les tarifs des péages afin de verser à leurs actionnaires de juteux dividendes. Ainsi, selon l’association « 40 millions d’automobilistes », entre 2005 et 2010, les tarifs des péages ont augmenté de 8 % pour Cofiroute et de 11 % pour les Autoroutes du Sud de la France.
Dès 2008, la Cour des comptes avait estimé que le système était devenu trop favorable aux concessionnaires. Malgré cela, année après année, les gouvernements ont continué d’homologuer des tarifs plus que critiquables.
Et rien ne semble changer. La Cour des comptes a rendu public en juillet 2013 un rapport qui dénonce, encore une fois, le système de fixation des tarifs des autoroutes et leurs montants élevés, soulignant le fait que « le rapport de force apparaît plus favorable aux sociétés concessionnaires » qu’aux pouvoirs publics. La Cour relève aussi le manque d’exigence de l’État « en cas de non-respect de leurs obligations par les concessionnaires, qu’il s’agisse de préserver le patrimoine, de respecter les engagements pris dans les contrats de plan ou de transmettre les données demandées ».
Concernant le suivi de la politique d’investissement, il a été souligné que les derniers contrats de plan ne comportent pas de clause permettant à l’État de connaître le coût réel de tous les investissements compensés, ni le budget consacré à l’entretien du patrimoine de l’État, donc du patrimoine commun. Le rapport de l’Assemblée nationale fait ainsi état d'un cadre tarifaire et d'un modèle financier qui, selon ses termes, « n’offrent pas, aujourd’hui, une protection suffisante des intérêts des usagers ».
Encore une fois, les magistrats de la Cour des comptes recommandent de mettre en œuvre des dispositions contraignantes et de réaliser systématiquement une contre-expertise de tous les coûts prévisionnels des investissements.
Mais, pour l’heure, rien n’est fait. L’État renonce à exercer ce qui lui reste d’autorité réglementaire, au détriment de l’usager. Face à ces constats que nous partageons tous dans cet hémicycle, et pour mettre fin à cette situation intenable, nous vous proposons de revenir sur ce choix irresponsable qui devait aboutir à la vente de notre patrimoine autoroutier. C’est le sens de notre proposition de loi.
Faute politique, faute financière, le marché de dupes de 2005 est aussi une grave faute sociale : les sociétés d’autoroute ont une politique systématique qui a conduit à la suppression de milliers d’emplois en CDI et en CDD ainsi que de saisonniers ! En effet, depuis la privatisation, ces sociétés ont massivement réduit leur personnel – de 14 % ! – pour se situer en deçà des 15 000 salariés. Diminution du nombre de salariés, donc diminution des coûts, pour des investissements qui stagnent à 2 milliards d’euros par an…
Alors que les autoroutes françaises ont été bradées, que la fixation du tarif des péages ne répond qu’aux seuls appétits d’actionnaires très éloignés des préoccupations d’utilité publique, alors que les critiques sont de plus en plus nombreuses et virulentes, nous pensons qu’il n’est plus possible de se cacher derrière les erreurs des équipes gouvernementales successives.
Pire, la crise accroît les recettes et le chiffre d'affaires de ces groupes. D’abord, parce que les salariés ou les demandeurs d’emploi sont contraints de se déplacer toujours plus loin pour leur travail ou leurs recherches, le plus souvent en direction des métropoles régionales desservies par le réseau autoroutier. Ensuite, parce que, dans de trop nombreuses régions, la déstructuration du service public ferroviaire et de la SNCF oblige à se reporter sur les autoroutes.
Je le vois dans mon département : face aux dysfonctionnements actuels et à une qualité de service sans cesse dégradée, l’autoroute s’impose devant le ferroviaire entre Montluçon et Paris.
C’est pourquoi nous vous invitons, à travers notre proposition de loi, à rééquilibrer le rapport de force entre l’État, les usagers et les sociétés concessionnaires privées.
Nous souhaitons également rappeler une conception exigeante de la démocratie : les biens « sociaux » doivent être accessibles à tous et la délimitation de leur périmètre est une affaire de choix collectif qui ne saurait obéir à une logique totalement marchande et encore moins capitaliste.
Pour cela, deux solutions se présentent : soit augmenter les taxes sur les sociétés concessionnaires, comme cela avait été envisagé lors de la loi de finances pour 2009, mais cette option avait été abandonnée, soit renationaliser ces sociétés. Tel est le sens de notre proposition de loi, dont l’article 1er prévoit le retour dans le giron de l’État des sociétés concessionnaires d’autoroutes.
Cette seconde option nous semble plus juste, tant la différence est grande, fondamentale, même, entre la rémunération normale et la véritable rente qu’organisent aujourd’hui Vinci et les autres sociétés concessionnaires au détriment des usagers.
Une telle option permettrait de répondre au principe posé par l’article 4 de la loi du 18 avril 1955 selon lequel la perception d’un péage n’est légitime qu’en vue d’assurer la couverture des dépenses liées à la construction, à l’exploitation, à l’entretien, à l’aménagement ou à l’extension de l’infrastructure autoroutière.
Si nous entendons les critiques qui peuvent être faites sur le coût, pour le budget de l’État, d’une nationalisation des sociétés d’autoroutes, nous ne souscrivons pas au chiffre de 50 milliards d’euros avancé par notre collègue Michel Teston lors de la présentation du rapport de notre éminente collègue Évelyne Didier devant la commission du développement durable.
En effet, aucune étude fiable n’est en mesure de nous éclairer sur le coût d’une telle nationalisation. Je laisse à Évelyne Didier le soin de développer ce point.
Ne reproduisons pas les erreurs du passé, notamment celles du contrat Ecomouv’. Nous avons trop entendu que rien ne pouvait être fait, que l’État se devait de verser un loyer de 20 millions d’euros par mois à Ecomouv’, alors même que des arguments juridiques solides en faveur d’une remise en cause de ce contrat inique existent et que les doutes sur la fiabilité du système mis en place sont loin d’être levés. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Sénat enquête en ce moment sur ce contrat.
Nous venons de vous démontrer, monsieur le ministre, mes chers collègues, la faisabilité juridique d’une nationalisation de nos autoroutes. Nous sommes tous d’accord non seulement pour reconnaître le scandale financier qu’a constitué la privatisation, mais aussi pour dénoncer l’incurie de l’État dans la fixation des tarifs des péages et dans le contrôle des investissements.
Si le blocage est d’ordre financier, monsieur le ministre, nous attendons de votre part que vous mettiez tous les moyens nécessaires pour nous fournir des chiffres fiables, sans a priori ; nous sommes prêts à participer à ce travail d’expertise.
Mes chers collègues, nos concitoyens ne nous pardonneront pas une énième reculade. Nous ne pouvons plus privilégier la rémunération des actionnaires des sociétés concessionnaires au détriment de l’intérêt général.
C’est pourquoi je vous demande de ne pas suivre les membres de la commission du développement durable qui ont rejeté notre texte, et vous invite à voter notre proposition de nationalisation des sociétés d’autoroutes. Nos concitoyens nous attendent ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. –M. Ronan Dantec applaudit également)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Évelyne Didier, rapporteur de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes et à l’affectation des dividendes à l’agence de financement des infrastructures de transports a été déposée le 25 octobre 2011 par notre collègue Mireille Schurch et les membres du groupe CRC. Mireille Schurch vient de nous exposer clairement le contexte et les motivations qui ont présidé à son dépôt.
Le texte est court – trois articles –, et il a pour unique objet de prévoir la nationalisation des sociétés concessionnaires des autoroutes françaises.
Cette proposition de loi répond à un objectif : revenir sur la décision de l’État, qui a cédé ses dernières participations dans les sociétés concessionnaires d’autoroutes.
Permettez-moi de revenir sur les faits.
L’AFITF, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, a été créée en novembre 2004, à la suite du Comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire du 18 décembre 2003, afin de porter la participation de l’État dans le financement des grands projets d’infrastructures ferroviaires, fluviales, maritimes et routières, et de mieux distinguer ces crédits, auparavant noyés dans l’universalité budgétaire.
L’Agence devait alors bénéficier de deux ressources pérennes principales : d’une part, la redevance domaniale due par l’ensemble des sociétés d’autoroutes, publiques et privées, en raison de leur occupation du domaine public ; d’autre part, les dividendes perçus par l’État et par son établissement public, Autoroutes de France, au titre de leurs participations dans trois groupes de sociétés d’économie mixte concessionnaires : Autoroutes du Sud de la France, ASF, Autoroutes Paris-Rhin-Rhône, APRR, et la Société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France, la SANEF.
Ces dividendes devaient constituer la principale source de financement de l’AFITF. Ils ont rapporté 332 millions d’euros en 2005, et cette recette était promise à un dynamisme important.
Le réseau autoroutier était alors quasi achevé, les investissements à amortir de moins en moins nombreux et, par conséquent, les marges des sociétés de plus en plus fortes. En outre, le trafic autoroutier était en augmentation.
La mise en place de l’AFITF a ainsi répondu – en apparence, tout du moins – à une logique de fléchage des crédits vers les infrastructures de transport. Elle devait également favoriser l’insertion de la politique des transports dans une perspective de long terme, fondée sur un développement durable, avec un objectif de report modal clairement affiché.
Cependant, dès le mois de juin 2005, à peine plus de six mois après la création de l’AFITF, le Premier ministre, Dominique de Villepin, annonçait, contre toute attente, la cession de l’ensemble des participations de l’État dans ces sociétés concessionnaires d’autoroutes, faisant ainsi preuve d’une grande incohérence.
D’après le député Hervé Mariton, auteur d’un rapport sur la valorisation du patrimoine autoroutier publié en juin 2005, « la privatisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes est une bonne décision. Elle aide – oblige – à clarifier le rôle de l’État, le prémunissant de la confusion des rôles entre régulateur et détenteur de patrimoine. Elle permet de mobiliser davantage de moyens, et plus vite, pour la menée à bien d’un ambitieux programme multimodal d’infrastructures, et c’est alors un choix favorable à l’aménagement du territoire. Enfin, la privatisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes permettra de développer le projet industriel de ces entreprises, par diversification des activités en France, par développement sur les marchés étrangers. »
Au fond, l’argumentation n’est pas vraiment sérieuse.
On peut douter, par exemple, de la volonté de mobiliser davantage de moyens en faveur du report modal au regard de l’affectation du produit de ces cessions. C’est en effet la poursuite du désendettement du budget général qui l’a emporté sur l’objectif d’un financement pérenne des infrastructures de transport : sur les 14,8 milliards d’euros issus de la cession, seuls 4 milliards d’euros ont été attribués à l’AFITF !
Examinons ensemble les conséquences de cette décision.
Premièrement, l’État s’est privé d’une ressource importante pour le financement des infrastructures de transport. D’après certaines estimations, le manque à gagner s’élèverait à 37 milliards d’euros d’ici à 2032, date d’échéance médiane de ces concessions autoroutières, soit 1 à 2 milliards d’euros par an qui ne viennent pas alimenter les caisses de l’AFITF.
Les services de Bercy, que j’ai interrogés à ce sujet, n’ont jamais voulu – ou pu – nous fournir la moindre évaluation de ce montant, au motif que « le niveau de versement de dividendes dépend des résultats financiers des entreprises, qui dépendent eux-mêmes pour partie de la structure financière et de la politique de distribution retenues par les actionnaires. Même à considérer que ces résultats seraient demeurés identiques si l’État avait conservé sa participation, l’Agence des participations de l’État ne dispose pas des résultats financiers des sociétés d’autoroutes privatisées, notamment des versements de dividendes à leurs actionnaires - ces sociétés ne sont en effet pas tenues de rendre publics ces éléments ».
Si vous me permettez cette parenthèse, il est à regretter que l’État concédant se préoccupe si peu de la rente dont bénéficient les entreprises concessionnaires. En fait, il agit comme s’il voulait assurer une rentabilité confortable aux concessionnaires. Je n’étais d’ailleurs pas la seule à m’en étonner au sein de notre commission...
Toujours est-il que, de 2006 à 2012, ces entreprises ont enregistré des bénéfices importants : le résultat net d’ASF a augmenté de 15 %, celui de la SANEF, de 8 % et celui d’APRR, de 5 %.
La décision de 2005 a donc constitué une facilité de court terme d’une incroyable inconséquence, d’autant plus critiquable qu’elle a été mise en œuvre – j’attire votre attention sur ce point – sans aucune consultation du Parlement. Or l’État et son établissement public, Autoroutes de France, détenaient plus de 70 % du capital d’APRR et de la SANEF, et la moitié de celui d’ASF !
Deuxièmement, cette opération, contestable dans son principe, n’a pas été réalisée de façon optimale pour l’État, comme l’a relevé la Cour des comptes dans son rapport public de 2008. L’État n’a fait appel qu’à une seule banque conseil pour les trois opérations d’ouverture de capital des sociétés d’autoroutes, se privant ainsi de la possibilité de disposer de plusieurs avis indépendants de ceux que fournissent les conseils des entreprises.
Par ailleurs, le choix d’un taux d’actualisation « excessivement élevé » a interdit à l’État de valoriser toute la durée des concessions cédées, et donc de tirer le bénéfice patrimonial maximal de la privatisation. Les participations publiques dans ces sociétés ont donc bel et bien été bradées.
Troisièmement, l’État n’a pris aucune disposition pour éviter l’apparition d’une rente tarifaire et protéger les intérêts du consommateur après la cession.
Cette situation, déjà dénoncée par la Cour des comptes dans son rapport de 2008, est malheureusement toujours d’actualité, puisqu’elle a fait l’objet d’un nouveau rapport spécifique de la Cour des comptes en juillet 2013, sur les relations entre l’État et les sociétés concessionnaires d’autoroutes.
Je ne reviens pas en détail sur un phénomène que nous connaissons tous : alors que la hausse du tarif des péages est en théorie encadrée et limitée, la conclusion de contrats de plan entre les sociétés d’autoroutes et l’État a rendu possibles des hausses tarifaires supplémentaires, dont la justification n’est pas évidente. Ainsi, la hausse des tarifs a été en général supérieure à l’inflation : pour les véhicules légers, par exemple, elle a dépassé en moyenne 2,2 % par an chez ASF et 1,8 % chez APRR, alors que l’indice de progression des prix à la consommation hors tabac n’a augmenté que de 1,6 %.
Cette hausse continue des tarifs est extrêmement préoccupante et ne peut perdurer. J’appelle votre attention sur ce sujet, monsieur le ministre, alors que vous menez des négociations avec les sociétés autoroutières pour réaliser un plan de relance autoroutier dont le montant, nous dit-on, s’élèverait à environ 3 milliards d’euros et qui pourrait encore allonger la durée des concessions...
Je ne peux comprendre une telle mesure. À ce rythme-là, les concessions seront prolongées ad vitam aeternam, garantissant aux sociétés concessionnaires des revenus plus que confortables, sur le dos des usagers !
Au vu de ces éléments, le groupe CRC propose de nationaliser les sociétés concessionnaires d’autoroutes. La proposition de loi ne limite d’ailleurs pas cette opération aux trois groupes de sociétés concessionnaires dans lesquelles l’État détenait des participations en 2005, mais l’élargit à d’autres sociétés concessionnaires d’autoroutes. Au total, ce sont douze sociétés que le texte prévoit de nationaliser. Tel est l’objet de l’article 1er de la proposition de loi.
L’article 2 précise que cette nationalisation prend effet au bout d’un an à compter de la promulgation de la loi.
L’article trois dispose que les charges résultant de l’application de la loi sont compensées à due concurrence par le relèvement du taux de l’impôt sur les sociétés.
Réunie le 14 janvier dernier, la commission du développement durable n’a pas été favorable à l’adoption du texte, en particulier pour des raisons budgétaires. La nationalisation de ces douze sociétés et les pénalités à acquitter au titre de la rupture des concessions pourraient en effet représenter plusieurs milliards d’euros ; mais ce coût reste à chiffrer précisément.
La commission a toutefois largement partagé les inquiétudes de votre rapporteur sur le financement non sécurisé de l’AFITF et sur les hausses excessives des tarifs des péages.
Nous n’insisterons pas sur la situation extrêmement préoccupante de l’AFITF aujourd’hui, en particulier depuis la suspension de l’écotaxe poids lourds, nous en avons déjà parlé dans cet hémicycle. Nos territoires ont besoin que les projets structurants en termes de mobilité et de désenclavement, parfois décidés de longue date, puissent être menés à bien.
Par ailleurs, si la transition énergétique figure effectivement parmi les priorités du Gouvernement, il convient de lui octroyer les moyens nécessaires, notamment en ce qui concerne le report modal.
Les membres de la commission ont aussi appelé de leurs vœux un contrôle plus efficace de la part de l’État sur les tarifs des péages autoroutiers. Nous veillerons à ce que les conclusions de la Cour des comptes soient effectivement prises en compte par le Gouvernement. Le maintien du statu quo serait absolument incompréhensible.
Pour conclure, cette proposition de loi aura donc au moins le mérite de souligner combien les attentes sont fortes dans ces deux domaines : le financement des infrastructures de transport, d’une part, et le retour à une politique de tarification plus juste de la part des concessionnaires, d’autre part.
C’est le sens de la position de la commission qui, tout en ne souhaitant pas l’adoption de la proposition de loi, a voulu que le Gouvernement soit saisi de cette double et vive préoccupation.
Par ailleurs, de nombreux membres de la commission ont souhaité en savoir davantage et ils ont proposé la création d’une mission d’information. Cette question devra être reposée lors d’une prochaine réunion de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)