M. le président. L'amendement n° 20, présenté par M. Sueur, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Après les mots :
cinq ans
insérer les mots :
ou à des menaces de mort ou à une évasion respectivement prévus par les articles 222-17 et 434-27 du code pénal,
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Les deux amendements en discussion commune aboutissent pratiquement au même résultat.
Je soulève toutefois un problème de procédure, monsieur le président.
Bien que nous ayons reçu l’amendement n° 15 du Gouvernement seulement douze minutes avant la réunion de la commission, nous nous sommes efforcés de travailler de manière positive et constructive.
Toutefois, Mme la ministre vient à l’instant de nous présenter un amendement n° 15 rectifié, dont la commission n’a jamais eu connaissance.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il a été rectifié après l’examen du texte par la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. C’est pourquoi nous avons rédigé notre amendement n° 20 à partir de l’amendement initial du Gouvernement. Nous y avons inscrit la condition d’une infraction punie d’une peine d’au moins cinq ans d’emprisonnement, car la commission des lois est très attachée à cette durée, qui nous apparaît conforme à la décision de la CEDH en ce qu’elle renvoie à des faits d’une particulière gravité.
Dans votre amendement initial, vous aviez toutefois fait valoir, madame la ministre, que deux cas, les menaces de mort et les évasions, dont les auteurs n’encourent que trois ans, n’étaient dès lors pas inclus dans le dispositif. Nous avons donc inclus dans l’amendement n° 20 les cas des évasions et des menaces de mort.
Vous avez évoqué, dans votre intervention orale, deux autres infractions : la non-présentation d’enfant aggravée et le harcèlement sexuel aggravé, qui revêtent également une gravité particulière.
Votre amendement n° 15 rectifié présente donc le double avantage d’inscrire dans le texte la limite de cinq ans et d’inclure toutes les infractions dont les auteurs encourent une peine égale ou supérieure à trois ans, mais qui consistent en des délits d’atteinte aux personnes, ce qui, si j’ai bien compris, couvre les quatre circonstances que vous avez énoncées : l’évasion, les menaces de mort, le harcèlement sexuel aggravé et la non-présentation d’enfant aggravée.
Je crois pouvoir, sous le contrôle de mes collègues de la commission des lois, affirmer que cet amendement n° 15 rectifié constitue une synthèse parfaite, à laquelle nous pouvons nous rallier. Je pense donc être en mesure de retirer l’amendement n° 20 au bénéfice de l’amendement n° 15 rectifié.
M. le président. L'amendement n° 20 est retiré.
La parole est à Mme Hélène Lipietz, pour explication de vote sur l'amendement n° 15 rectifié.
Mme Hélène Lipietz. Bien que n’aie pas eu le temps de chercher sur le site Légifrance, il me semble que l’évasion est abordée non pas dans le livre II, mais dans le livre IV du code pénal, à l’article 434-27, que vous citiez dans votre amendement n° 20, monsieur le rapporteur. Si l’on veut inclure l’évasion, il faut donc faire mention de cet article dans l’amendement du Gouvernement.
Dès lors que l’évasion relève du livre IV, l’amendement n° 15 rectifié, qui ne vise pas ce livre, ne couvre pas cette infraction.
M. le président. Je me permets de faire observer que, dans l’objet écrit de l’amendement n° 15 rectifié, il est bien fait mention et de l’article 222-17 et de l’article 434-27.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Je prends acte de la remarque pertinente de Mme Lipietz. Ce point pourra être traité dans la suite du processus parlementaire, à moins que l’amendement n° 15 rectifié ne soit dès à présent modifié à nouveau de manière à mentionner l’article ayant trait à l’évasion.
Mme Nathalie Goulet. Ce serait préférable !
M. le président. Encore faut-il que nous puissions disposer tout de suite d’un nouveau libellé de l’amendement…
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Vous parlez avec justesse, monsieur le président.
Puisque ce problème a été soulevé par Mme Lipietz en séance publique et qu’il est patent que nous souhaitons viser l’évasion, il suffira de procéder à cette modification à l’Assemblée nationale ou en commission mixte paritaire.
Je maintiens donc l’avis favorable de la commission sur l’amendement n° 15 rectifié du Gouvernement, nonobstant cette observation.
M. André Reichardt. C’est la sagesse du vieux briscard ! (Sourires.)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 1, présenté par Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 4
Remplacer les mots :
d’une personne à l’insu de celle-ci, d’un véhicule ou de tout autre objet
par les mots :
d'un véhicule ou de tout moyen de transport de marchandises
II. – Après l’alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Pour les besoins et dans les conditions mentionnées au précédent alinéa, il peut être procédé à la localisation d’une personne à l’insu de celle-ci au moyen de données obtenues auprès des opérateurs de communications électroniques et des personnes mentionnées à l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques.
La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Cet amendement tend à préciser et à circonscrire le champ des objets susceptibles d’être utilisés dans le cadre de mesures de géolocalisation.
Le texte actuel autorise la géolocalisation « d’un véhicule ou de tout autre objet sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur ». Cette formulation extrêmement large pourrait ouvrir la voie à une extension considérable du champ de la géolocalisation. De très nombreux objets sont en voie de devenir des objets connectés. Leur développement est d’ailleurs l’une des priorités affichées pour le redressement productif de la France. Au travers d’une connexion Wi-Fi ou de données GPS, ils pourront interagir avec un réseau de communication, ce qui permettra leur localisation.
Or le suivi d’objets connectés, beaucoup plus intrusif pour la vie privée que la géolocalisation via des balises, n’est explicitement prévu ni dans l’exposé des motifs du projet de loi ni dans l'étude d'impact, qui n’envisagent que la géolocalisation d’un téléphone portable ou d’un dispositif installé sur un véhicule ou un conteneur.
Il ne faut donc pas permettre, à mon sens, que soit introduite subrepticement par la loi une telle extension du champ de la géolocalisation. Il me semble que cela nécessiterait un débat préalable et transparent, ainsi que l’a recommandé le Conseil national du numérique dans son avis du 6 décembre 2013 sur les libertés numériques.
Prévoir la possibilité d’une utilisation des objets connectés à des fins de surveillance des personnes revient à ouvrir une boîte de Pandore et à miner la confiance des citoyens envers ces objets, donc à nuire à leur développement. C’est pourquoi je demande l’ajout de cette précision.
M. le président. L'amendement n° 7, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Après les mots :
d'une personne
insérer les mots :
ayant un lien avec l'enquête ou l'instruction et
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Le texte vise la possibilité de géolocaliser « une personne à l’insu de celle-ci ». Il me paraît de bon sens de préciser que cette personne doit avoir « un lien avec l’enquête ou l’instruction ».
M. le président. L'amendement n° 10, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Après les mots :
tout autre objet
insérer les mots :
en liaison avec l'enquête ou l'instruction
Cet amendement a déjà été défendu.
Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 1,7 et 10 ?
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Madame Garriaud-Maylam, la géolocalisation est utile pour savoir où se trouvent des personnes recherchées à la suite de décisions de justice parce qu’elles sont suspectées, qu’elles présentent des risques pour la société ou qu’elles sont déjà reconnues coupables. Ce ne sont donc pas les objets qui sont visés, mais bien les personnes. La géolocalisation est un outil permettant de déterminer l’endroit où se trouvent des personnes par la pose de balises ou par divers moyens ou techniques, impliquant des objets tels qu’un téléphone portable.
Il est impossible que la loi précise quels objets sont concernés, car les technologies évoluent très vite.
En outre, cette démarche n’est licite que dans le cadre d’une décision de justice et d’une procédure judiciaire. Il s’agit alors d’un moyen de trouver des informations au sujet de personnes présentant des risques, constituant une menace, etc.
Voilà pourquoi la commission des lois a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 1.
Quant aux amendements nos 7 et 10, j’ai le plaisir d’indiquer à Mme Nathalie Goulet qu’ils sont satisfaits, car l’ensemble de ce texte concerne les enquêtes et les instructions judiciaires. Tout ce qu’il contient n’a donc de sens que par rapport à des personnes impliquées par une enquête ou une l’instruction judiciaire.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Concernant l’amendement n° 1, je rappelle que la géolocalisation concerne exclusivement la localisation, et en aucune manière le contenu. En conséquence, madame Garriaud-Maylam, vos inquiétudes devraient être levées. Le fait que les garanties procédurales s’appliquent et que le contrôle soit effectué par le magistrat devrait également y contribuer.
J’entends votre préoccupation, mais prendre ces dispositions générales permet d’éviter qu’une évolution technologique permettant d’améliorer la géolocalisation ne nous contraigne à prendre, dans quelque temps, une nouvelle disposition législative.
Madame Goulet, je précise que la géolocalisation ne sera évidemment mise en œuvre qu’envers les personnes liées à l’enquête. Du reste, la rédaction proposée pour l’article 230-32 du code de procédure pénale indique bien que les opérations de géolocalisation ne peuvent être menées que « si les nécessités de l'enquête ou de l'instruction […] l'exigent ». Et je vous rappelle, comme je l’ai fait précédemment, l’existence des garanties procédurales.
Il n’est jamais très plaisant d’émettre un avis défavorable, mais je suis obligée de le faire sur ces trois amendements, dans l’intérêt du droit. (Sourires.)
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour explication de vote sur l’amendement n° 1.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je vous remercie, monsieur le président de la commission des lois, madame la ministre, des précisions que vous avez apportées. Il s’agissait d’un amendement d’appel et je me doutais qu’il recevrait deux avis défavorables, d’autant que des amendements proches, voire identiques, avaient été déposés, puis retirés durant le week-end.
Je retire donc cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 1 est retiré.
La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote sur les amendements nos 7 et 10.
Mme Nathalie Goulet. En ce qui concerne les personnes, j’accepte l’explication selon laquelle elles sont nécessairement visées par l’instruction ou l’enquête.
Reste cependant le problème posé par la formule « tout autre objet », qui me semble très imprécise. Elle ne concerne pas les véhicules, qui sont cités après, mais elle ouvre tout de même un champ extrêmement vaste à la géolocalisation.
Je ne vois pas comment un procès-verbal d’enquête pourrait lister les objets ; cela risque donc de susciter un débat.
S’agissant des amendements suggérés par des associations diverses et variées, je les avais retirés, ce dont je me réjouis, estimant, à la relecture, qu’ils n’étaient pas opportuns. Mais l’amendement que je présente ici tend à apporter une précision dont je persiste à penser qu’elle n’est pas totalement inutile.
Je sais bien, madame la garde des sceaux, que notre débat doit s’achever assez rapidement et je ne voudrais pas passer pour particulièrement obstinée – ce n’est pas mon genre ! (Sourires.) –, mais j’aimerais être rassurée sur ce point. Peut-il s’agir des lunettes Google, de la montre Google ? Comment allez-vous déterminer l’objet ? N’est-ce pas la porte ouverte à toute géolocalisation ? Existe-t-il une limite ?
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. L’objet de l’enquête est bien entendu de permettre des investigations sous l’autorité d’un juge. Dès lors, il ne revient pas à la loi de définir précisément l’ensemble des réalités matérielles qui permettront d’atteindre l’objectif de géolocalisation.
Concrètement, tout le monde s’accorde à reconnaître que le projet de loi vise, par exemple, les téléphones portables. C’est un fait.
Dans le cadre d’une enquête ordonnée par un juge, à l’heure actuelle, dans certaines circonstances, des conversations effectuées depuis des téléphones portables sont écoutées tous les jours, de même que, dans d’autres – tel est l’objet du présent article –, des téléphones portables sont géolocalisés. Vous le savez, à partir d’un tel appareil, même éteint, on peut localiser une personne.
Et quel autre objet que le téléphone portable est plus proche de l’intimité d’une personne ?
Mme Nathalie Goulet. Le mari ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Nombre de nos concitoyens ont leur téléphone portable près d’eux quasiment vingt-quatre heures sur vingt-quatre. C’est une réalité que je n’invente pas.
On peut aussi prendre comme cible des véhicules ou imaginer d’autres supports encore, sans qu’il soit nécessaire de les spécifier dans la loi. En revanche, il convient de préciser que rien n’est possible sans la décision d’un juge.
S’agissant du domicile privé – si cela peut vous rassurer –, la loi apporte des garanties, qui sont renforcées dans le texte que nous examinons. Ainsi, il faut avoir obtenu un accord préalable du juge d’instruction pour installer un instrument de géolocalisation dans l’espace intime d’une personne, à savoir son domicile, dans le cadre d’une instruction…
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. … ou d’une information judiciaire, en effet. Cette opération est conduite sous l’autorité d’un juge du siège.
Il n’est possible d’installer durant la nuit – les heures sont précisées – une balise ou un support de géolocalisation dans un domicile privé qu’à deux conditions, qui doivent être réunies : la décision du procureur de la République, qui devra demander l’autorisation, et celle du juge des libertés et de la détention. Quel que soit le support technique, il faudra donc nécessairement l’autorisation préalable de deux juges, un juge du parquet et un juge du siège.
Vous le constatez, ce sont là des garanties. À mes yeux, la meilleure des garanties s’appelle la justice. En tout état de cause, il faut donc obtenir l’accord préalable, la décision préalable, le contrôle constant d’un juge judiciaire.
M. le président. Madame Goulet, après ces explications, maintenez-vous les amendements nos 7 et 10 ?
Mme Nathalie Goulet. Je retire l’amendement n° 7, mais je maintiens l’amendement n° 10, monsieur le président.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Par courtoisie, je veux tout d’abord vous dire, madame Goulet, que nous n’avons pas pour habitude de bâcler les débats. Je ne vois donc pas ce que vous vouliez dire lorsque vous avez évoqué la fin rapide de notre débat.
Ensuite, je rappelle qu’il s’agit de géolocaliser un objet et non pas d’entrer dans un objet. Qu’appelle-t-on « objet », demandez-vous ? Un conteneur de stupéfiants, utilisé pour un trafic, est un objet, qui peut donc être localisé. La géolocalisation est une technique utilisée à la fois par la police, la gendarmerie et les douanes. Les douanes doivent souvent œuvrer rapidement pour arrêter les auteurs des infractions, sous peine de les voir s’échapper.
On ne dresse pas une liste des objets concernés, mais, comme l’a souligné le président de la commission des lois, la décision de géolocaliser, que ce soit par balise ou par téléphone portable, vise à collecter des preuves ou à suivre l’auteur de l’infraction. Il ne s’agit donc pas là de géolocaliser tous azimuts, si je puis dire.
Une telle décision est prise pour les nécessités d’une enquête, avec toutes les garanties procédurales qui s’y attachent.
Mme Nathalie Goulet. Je ne suis pas convaincue ! Je maintiens l’amendement n° 10 !
M. le président. L'amendement n° 8, présenté par Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :
I.- Alinéa 6, première phrase
Supprimer les mots :
, d’une enquête préliminaire
II.- Après l’alinéa 6
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« 1° bis Dans le cadre d'une enquête préliminaire par le juge des libertés et de la détention à la requête du procureur de la République, pour une durée maximum d'un mois renouvelable dans les mêmes conditions de forme et de durée ;
La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. La Cour de cassation, suivant en cela la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, a estimé que la géolocalisation, « en raison de sa gravité, ne peut être réalisée que sous le contrôle d'un juge ».
Or le présent projet de loi instaure un mécanisme selon lequel cette mesure peut être mise en œuvre pendant un délai de quinze jours, sans aucun contrôle du juge. La rédaction actuelle de l’article 1er ne répond donc pas aux exigences formulées par la Cour européenne des droits de l’homme.
Se passer de l'approbation préalable d'un juge peut être acceptable de manière dérogatoire dans le cadre des enquêtes de flagrance ou en cas d'urgence, mais ne l’est pas lorsqu’il s’agit d'enquêtes préliminaires ordinaires.
Dans ce dernier cas, afin de respecter les libertés individuelles telles que définies par la Convention européenne des droits de l'homme, il importe que l’intervention du juge ait lieu dès la mise en œuvre de la géolocalisation et non au terme du délai de quinze jours.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement pour une raison très simple : vos propos, madame Garriaud-Maylam, ne sont pas conformes aux conclusions de la Cour européenne des droits de l’homme.
En effet, dans l’arrêt Uzun, cette institution a demandé l’approbation du dispositif par un juge du siège à un certain stade de la procédure. Elle a validé le délai d’un mois retenu en Allemagne, à la suite d’une modification législative.
Cela étant, d’une part, le présent projet de loi prévoit un délai de quinze jours sans saisine du juge, ce qui est totalement compatible avec l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, sans préjudice de l’amendement que nous présentera dans quelques minutes M. Requier, qui vise à abaisser ce délai à huit jours.
D’autre part, ce texte introduit une autre disposition, à la demande non pas de la Cour européenne des droits de l’homme, mais de la Cour de cassation : à l’origine du dispositif, l’intervention du procureur de la République pour une enquête préliminaire et celle du juge d’instruction pour une information judiciaire.
Ces deux mesures – l’intervention du juge d’instruction ou du procureur de la République dès la mise en œuvre du dispositif et celle du juge des libertés et de la détention dès le quinzième jour – vont donc au-delà de ce que demande la Cour européenne des droits de l’homme.
C’est pourquoi, je le répète, la commission est défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de revenir sur le débat relatif à la qualité des magistrats du ministère public et sur leur appartenance à l’autorité judiciaire. En filigrane, se pose la question de savoir s’il faut déposséder le procureur de la République de la possibilité d’ordonner une géolocalisation.
On peut faire tous les procès que l’on veut aux magistrats du ministère public, mais je vous rappelle que vous avez adopté la loi visant à prohiber les instructions individuelles et qui a été promulguée le 25 juillet 2013. Non seulement je me suis engagée, dès ma prise de fonctions, à ne pas donner d’instructions individuelles – et je n’en donne pas ! –, mais cela est maintenant interdit par la loi.
Ensuite, un débat sur la réforme constitutionnelle a été engagé dans cette enceinte même, afin d’inscrire dans la Constitution que les gardes des sceaux respectent l’avis du Conseil supérieur de la magistrature lors de la nomination de ces magistrats. Vous avez raison, monsieur Reichardt, de rappeler que mes prédécesseurs suivaient cette pratique, mais ils ne le faisaient pas tous – seulement les derniers ! L’appréciation conventionnelle, dont je rappelle qu’elle est différente de l’appréciation constitutionnelle, n’aura bientôt plus lieu d’être.
Conformément à la Constitution, le Conseil constitutionnel considère l’unité de corps : les magistrats du ministère public appartiennent à l’autorité judiciaire. La jurisprudence conventionnelle apprécie les choses différemment, notamment dans l’arrêt Medvedyev. Cela dit, ce fut avant la loi du 25 juillet 2013 et avant la réforme judiciaire, qui, vous le savez – le Président de la République s’y est engagé –, vous sera prochainement soumise.
Les magistrats du ministère public sont des magistrats à part entière et sont donc garants, comme les autres, même si leur champ d’intervention est plus restreint que celui des magistrats du siège – notre droit est ainsi fait –, des libertés individuelles. C’est pourquoi nous n’avons aucune raison de penser qu’ils ne peuvent pas autoriser un acte tel que la géolocalisation.
À cet égard, je rappelle que la procédure de géolocalisation a lieu, dans 93 % ou 95 % des cas, dans le cadre des enquêtes préliminaires, qui ne donnent pas nécessairement lieu à l’ouverture d’une information judiciaire. Par conséquent, les magistrats du ministère public me semblent parfaitement fondés à ordonner une telle mesure.
C’est pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’amendement n° 8.
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour explication de vote.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. J’entends vos explications, madame le garde des sceaux. Mais je tiens à rappeler que la Cour de cassation a bien insisté, dans ses deux arrêts, sur le fait que la géolocalisation des téléphones portables constitue une ingérence dans la vie privée, dont la gravité nécessite qu’elle soit exécutée sous le contrôle d’un juge …
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. … et non sous le seul contrôle du parquet, ce dernier n’étant pas une autorité judiciaire indépendante pour la Cour européenne des droits de l’homme.
Certes, les magistrats du parquet procèdent de l’ordre judiciaire, mais telle est, autant que je sache – il faut peut-être que je relise les textes ! (Sourires.) –, l’interprétation de la Cour européenne des droits de l’homme.
M. André Reichardt. Tout à fait !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. C’est d’ailleurs pour cette raison que vous aviez demandé, le 29 octobre 2013, l’arrêt des opérations de géolocalisation en cours dans les enquêtes conduites sous la direction du parquet, sauf à les confier à des juges d’instruction.
Cela étant, je retire mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 8 est retiré.
L'amendement n° 11, présenté par MM. Mézard, Requier, Tropeano et Fortassin, est ainsi libellé :
Alinéa 6, première et deuxième phrases
Remplacer les mots :
quinze jours
par les mots :
huit jours
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Lors de la discussion générale, j’ai précisé que les membres du groupe RDSE étaient très réservés quant au délai de saisine de quinze jours du juge des libertés et de la détention par le procureur de la République, une durée qui correspond d’ailleurs à celle de l’enquête de flagrance.
Par conséquent, nous proposons de fixer ce délai à huit jours. En effet, d’une part, nous considérons qu’un délai plus court serait difficile à mettre en œuvre et risquerait de menacer les enquêtes en cours, ainsi que d’entraîner des vices de procédure dommageables à la société.
D’autre part, nous estimons qu’un délai plus long, en l’occurrence de quinze jours, serait attentatoire aux libertés individuelles, puisque le juge des libertés et de la détention n’interviendrait qu’à la fin de l’enquête de flagrance ; sans compter qu’il ne serait pas conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, non plus qu’à celle de la Cour de cassation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Après avoir longuement débattu de la proposition que M. Requier vient de présenter, la commission des lois a décidé, dans un premier temps, d’adopter le délai de quinze jours, considérant qu’il correspondait à celui de la flagrance prolongée.
Il est clair que la durée de quinze jours, comme je viens de le souligner en réponse à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, est compatible avec les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, puisque celle-ci considère qu’un délai d’un mois est satisfaisant. Toutefois, il est clair aussi que l’intervention du juge du siège au bout de huit jours peut apparaître comme une garantie plus forte.
C’est pourquoi, après délibération, la commission a décidé de s’en remettre à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je comprends la préoccupation des membres du groupe RDSE. Je signale seulement que le projet de loi prévoit un certain nombre de garanties : il réserve le recours à la géolocalisation aux cas où la peine encourue est supérieure à un certain seuil et rend obligatoire une autorisation écrite, éventuellement renouvelée, du magistrat.
La Cour européenne des droits de l’homme n’ayant pas elle-même fixé de délai, nous avons choisi la durée de quinze jours, parce qu’il nous a paru cohérent de se régler sur le délai en vigueur pour l’enquête de flagrance prolongée. De fait, si le principe est admis que le procureur peut ordonner l’acte de géolocalisation, ce délai est le plus adéquat aux yeux du Gouvernement.
J’aurais mauvaise grâce à douter de la sagesse de la Haute Assemblée, mais j’aimerais vous avoir convaincus, mesdames, messieurs les sénateurs, que la durée de quinze jours est justifiée ! (Sourires.)