M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, Internet, numérique, espionnage, renseignement, protection, données personnelles, libertés publiques : voilà des thèmes dont nous n’avons pas fini de parler et qui solliciteront fortement non seulement le législateur français, mais également ceux des pays du monde entier dans les mois et les années qui viennent !
En effet, les défis auxquels nous devons faire face sont considérables. Ici même, comme vous l’avez rappelé, madame la garde des sceaux, nous avons débattu avec soin du projet de loi de programmation militaire, notamment de son article 13, devenu article 20 dans le texte définitif. Il s’agissait alors de processus à caractère administratif, tels qu’ils sont régis par la loi de 1991 et par la loi de 2006.
Dans cet article, le Sénat puis l’Assemblée nationale n’ont inscrit que des garanties complémentaires – je le répète, il s’agissait de mesures non pas judiciaires, mais administratives – portant uniquement sur le contenant des fadettes et de la géolocalisation, afin que les décisions fussent désormais prises par le Premier ministre lui-même ou par des personnes qualifiées autour de lui. Le mot « document » figurant dans le texte ne s’applique donc qu’aux éléments relatifs au contenant, et non au contenu, lequel relève de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, la CNCIS, s’il y a des écoutes, dans des conditions qui doivent être strictement respectées. Telle est la position que mon collègue et ami Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, et moi-même avons défendu avec constance.
Madame la garde des sceaux, vous avez vraiment bien fait de ne pas inscrire les dispositions dont nous parlons aujourd’hui, quelles que fussent les considérations relatives à l’urgence, dans cette loi de programmation militaire. Pour le coup, c’eût été un motif d’inconstitutionnalité que de traiter de la justice judiciaire dans un tel véhicule législatif. Je ne pense pas que le Sénat l’aurait accepté.
Aujourd’hui, madame la garde des sceaux, vous avez fort bien parlé de ce texte que nous devons examiner, d’une part, parce que vous l’avez jugé nécessaire avant même – je tiens à vous en rendre hommage – le prononcé des arrêts de la Cour de cassation, et, d’autre part, parce que les arrêts de ladite juridiction créent un vide juridique.
C’est pourquoi, une fois n’est pas coutume, nous sommes partisans de l’urgence, comme nous l’avions été lorsque le Conseil constitutionnel avait jugé inconstitutionnels les articles de la loi relative au harcèlement sexuel. Il faut aller vite pour régler cette béance juridique qui ne saurait durer et qui empêche les fonctionnaires de la police et les militaires de la gendarmerie d’assumer leurs missions.
Aussi, comme il n’y a qu’une lecture dans chaque assemblée, il importe que nous menions nos réflexions avec beaucoup de soin. C’est la raison pour laquelle nous avons procédé à un très grand nombre d’auditions : comme vous le savez, madame la garde des sceaux, nous avons entendu les membres de votre cabinet et les fonctionnaires des services du ministère de la justice, mais également les membres du cabinet et des services du ministre de l’intérieur, ainsi que l’ensemble des représentants des magistrats, des avocats et des policiers.
Ce faisant, nous avons cherché, en toute honnêteté, à trouver la solution la plus équilibrée possible entre des exigences qu’il n’est pas facile de concilier. Tel est le défi auquel nous sommes confrontés, en tant que défenseurs des libertés individuelles, du droit à la vie privée, des données personnelles, de l’intégrité et de l’intimité de chacun.
Par ailleurs, nous avons parfaitement conscience de l’impérieuse nécessité de lutter contre le terrorisme, de secourir nos otages dans le monde et de lutter contre les meurtres, les crimes et les violences de toute nature. Nous ne hiérarchisons pas ces deux principes : ils sont l’un et l’autre respectables et nécessaires, mais nous devons trouver la meilleure manière de les articuler.
Vous avez tout dit sur ce projet de loi et sur l’arrêt Uzun de la Cour européenne des droits de l’homme, madame la garde des sceaux, ce qui me permettra d’abréger mon propos. Je me permettrai cependant de noter que les décisions de la chambre criminelle de la Cour de cassation sont, une fois encore, la conséquence de la position de la Cour européenne des droits de l’homme : celle-ci considère que les membres du parquet, en France, ne sont pas des magistrats au sens propre du terme, contrairement à ce que nous pensons dans notre pays et à ce qu’a dit et redit avec éclat le Conseil constitutionnel. Il faut donc régler ce problème.
Nous savons les efforts que vous avez faits à cet égard, madame la garde des sceaux, mais nous ne sommes pas parvenus à trouver un règlement satisfaisant – nous en avons parlé suffisamment au Sénat. En revanche, nous avons entendu avec intérêt, tout d’abord, le message de M. le Président de la République le 31 décembre 2013, et, ensuite, ce que vous avez déclaré avec force et ardeur lors de la conclusion du débat national sur la justice du XXIe siècle que vous avez organisé à l’UNESCO il y a quelques jours ; ce grand rassemblement aura d'ailleurs marqué les esprits par un effort de réflexion sans précédent, se traduisant par la présentation de quatre rapports qui feront date. Comme vous, nous sommes désireux de voir appliquer dans les faits les propositions très audacieuses et pertinentes qui ont été émises à cette occasion.
Lors de la clôture de ces assises, vous avez dit – M. le Premier ministre l’avait indiqué à l’ouverture – que vous entendiez remettre sur le métier la question de la réforme du statut du parquet et du Conseil supérieur de la magistrature. Nous devons pouvoir trouver un compromis sur des dispositions représentant une avancée qui, sans être forcément exhaustive, permettra une évolution positive par rapport à la conception de la Cour européenne des droits de l’homme. Mon collègue Jean-Pierre Michel reviendra sur le détail des dispositions de ce projet de loi, mais il est tout à fait clair, lorsque l’on compare de bonne foi les textes, que les arrêts de la Cour de cassation vont au-delà des termes explicites de l’arrêt Uzun.
Nous avons étudié de près ce projet de loi, comme je l’ai déjà dit, et nous avons proposé quelques modifications.
Tout d’abord, en ce qui concerne la nature des délits qui peuvent faire l’objet d’une utilisation de la géolocalisation, la commission des lois a retenu le quantum de peine de cinq ans d’emprisonnement, et cela pour une raison très précise : la Cour européenne des droits de l’homme, dans l’arrêt Uzun, évoque des « faits d’une particulière gravité ». Il est évident que le vol simple ne peut, à notre sens, être considéré comme tel.
Vous avez déposé un amendement que nous avons examiné avec soin, madame la garde des sceaux, et la commission a décidé de présenter une contre-proposition.
J’aurai l’honneur de présenter tout à l’heure cet amendement, qui vise à maintenir le quantum général de cinq ans d’emprisonnement, tout en reconnaissant deux exceptions que vous aviez vous-même invoquées pour justifier de fixer ce quantum à trois ans : les cas de menaces de mort et les évasions. Si cet amendement était adopté, nous garderions le seuil de cinq ans d’emprisonnement, qualifiant des faits d’une particulière gravité conformément à l’arrêt Uzun, tout en réservant le cas des évasions et des menaces de mort.
Ensuite, en ce qui concerne la procédure, nous avons considéré, après avoir entendu les différents points de vue, qu’il était juste, dans le cas d’opérations de géolocalisation dans un domicile privé, que les garanties générales applicables au domicile privé dans notre droit soient pleinement respectées. Par conséquent, si ces opérations ont lieu la nuit, l’accord du procureur et celui du juge des libertés et de la détention devront être recueillis. Lorsque les opérations de géolocalisation dans un domicile privé sont effectuées de jour, la décision relèvera du juge d’instruction.
En ce qui concerne l’initiative de l’officier de police judiciaire, l’OPJ, nous avons évoqué ce sujet avec les représentants des fonctionnaires de police, des magistrats et des avocats.
Pour prendre en compte un certain nombre de situations d’urgence, qu’il s’agisse de risques de violences aux personnes, de dégradations des biens ou de destruction des preuves, nous avons considéré qu’il pouvait être utile que l’OPJ puisse prendre l’initiative de recourir à la géolocalisation à deux conditions : premièrement, il devra prévenir le procureur, sans délai et par tout moyen ; deuxièmement, le procureur devra donner son aval par écrit dans un délai de douze heures maximum – certains des représentants que je viens d’évoquer demandaient que ce délai fût porté à quarante-huit heures, voire davantage. La commission des lois a choisi de retenir un délai de douze heures, qui est extrêmement bref.
Madame la ministre, vous avez déposé un amendement tendant, d’une part, à imposer au procureur, lorsqu’il donne son accord écrit, de mentionner les motifs d’urgence, et, d’autre part, dans l’hypothèse où il ne souscrirait pas à la mesure demandée, à rendre nuls et non avenus tous les actes accomplis.
L’adoption de cet amendement – je puis d’ores et déjà vous indiquer qu’il a recueilli un avis favorable de la commission –, permettrait de revenir à la position défendue initialement par votre ministère, comme vous l’avez rappelé, qui représentait un équilibre satisfaisant entre les conditions de réalisme auxquelles sont bien sûr attachés ceux qui interviennent sur le terrain, policiers et gendarmes, et la nécessité d’une mise en œuvre complète du contrôle de la justice.
En ce qui concerne, enfin, la décision qui devra être ratifiée par un magistrat du siège, votre projet de loi prévoit un délai de quinze jours, madame la ministre, pour que le juge des libertés et de la détention soit amené à se prononcer sur la suite des opérations de géolocalisation. Certains ont trouvé ce délai trop court, d’autres trop long.
Que disent les textes ? L’arrêt Uzun prévoit une intervention a posteriori d’un juge du siège dans un « délai raisonnable ». Comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, cet arrêt a été rendu contre l’Allemagne. Or la loi de ce pays a été changée afin que le juge du siège intervienne dans un délai d’un mois, et ce délai a été jugé satisfaisant par la Cour européenne des droits de l’homme.
Le délai de quinze jours que vous nous proposez est donc plus protecteur. M. Mézard et les membres du groupe du RDSE ont proposé de le ramener à huit jours. J’observe cependant que la durée de quinze jours correspond à celle d’une enquête de flagrance prolongée. Après débat et sur ma proposition, la commission des lois a décidé de s’en remettre, sur ce point, à la sagesse du Sénat. Notre assemblée pourra se déterminer souverainement sur cette proposition tendant à permettre une intervention plus précoce du juge du siège.
Le dernier point de mon intervention sera relatif à une question que vous avez bien voulu aborder, madame la garde des sceaux. Une demande fortement argumentée nous a été présentée afin de protéger les personnes qui coopèrent avec la police – chacun comprendra ce qu’il en est – afin de permettre la mise en œuvre de la géolocalisation. Nous avons entendu des formules très fortes à ce sujet, et certains de nos interlocuteurs souhaitaient que l’ensemble des éléments relatifs au lieu, à la date et aux circonstances dans lesquelles la géolocalisation a été instaurée soient exclus du dossier, celui-ci ne devant donc comporter que les résultats de la géolocalisation, c’est-à-dire les informations utiles pour lutter contre la criminalité.
Nous avons interrogé sur cette question votre ministère, les deux organisations syndicales des magistrats et les organisations représentatives des avocats. Or, après réflexion, il nous est apparu qu’un accord pourrait sans doute intervenir sur la base d’une décision du juge – je pense que vous y serez sensible, madame la garde des sceaux, puisque vous avez vous-même évoqué ce point. Ainsi, les différentes parties pourront faire valoir un certain nombre de considérations devant le juge, et celui-ci – et lui seul – pourra décider, s’il l’estime opportun, qu’un certain nombre de pièces relatives à l’origine de la géolocalisation ne figurent pas dans le dossier n° 1, qui donnera lieu à l’ensemble du débat devant le tribunal.
La commission des lois a estimé que cette solution était pertinente et pouvait se révéler protectrice et recevoir un assentiment général dès lors, je le répète, qu’il s’agit d’une décision du juge, donc d’une décision de justice.
Tels sont les points dont nous avons longuement parlé. Le débat a été très riche au sein de la commission des lois, dont les membres se sont mis d’accord sur ces propositions pour faire avancer le débat.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes très attachés au respect de la vie privée et des données personnelles. Nous avons écouté les propos tenus récemment par M. Barack Obama. (Mme Nathalie Goulet s’exclame.) Nous en avons retenu les aspects positifs, mais nous n’avons pas pour autant été insensibles aux carences et aux limites posées par le président des États-Unis lui-même, bref, à ce qui n’a pas été dit.
Les membres de la délégation parlementaire au renseignement – nous sommes quatre députés et quatre sénateurs à siéger au sein de cette instance – ont été reçus par le Président de la République pour aborder ces questions. Celui-ci nous a indiqué que des discussions étaient en cours au plus haut niveau, c'est-à-dire entre les chefs d’État, pour définir des règles de bonne conduite. Il nous a également dit son attachement, qui est aussi le nôtre, à ce que la coopération entre les services de renseignement concerne les seuls éléments nécessaires à la lutte contre le terrorisme et exclue totalement ce qui relève de la vie privée et des données personnelles.
Le débat sur ces questions va se poursuivre. Je crois d’ailleurs, madame la ministre, que vous-même, Mme Fleur Pellerin et, sans doute, d’autres ministres pourrez être amenés à élaborer, avec le Parlement bien sûr, une grande loi sur l’ensemble du champ numérique et sur les libertés publiques.
Nous avons donc cette préoccupation, mais, dans le même temps, nous sommes aussi attachés à la lutte contre le crime, le terrorisme et toutes les horreurs qui peuvent être perpétrées. Du reste, il me semble que, si l’on avait pu intercepter Mohamed Merah avant qu’il ne commette ses assassinats, tous les Français s’en seraient félicités. Les Français sont d’accord pour considérer qu’il faut tout faire pour empêcher ces horreurs, ces atteintes à l'humanité, ce terrorisme que nous connaissons aujourd'hui. Car l’actualité nous montre, hélas, que des jeunes de quinze ans, scolarisés dans nos lycées, sont enrôlés dans des mouvements dont le caractère terroriste ne fait pas de doute.
Voilà pourquoi nous devons veiller tant au respect de la vie privée et des données personnelles qu’à la lutte contre le terrorisme et la violence. C’est un défi considérable que d’assumer ces deux responsabilités !
Ce projet de loi, madame la ministre, est une avancée nécessaire pour tenter de concilier, au mieux, ces deux principes, auxquels nous sommes profondément attachés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du RDSE et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme cela a déjà été indiqué, le projet de loi qui nous est présenté aujourd’hui a pour objet de mettre notre droit en conformité avec les exigences posées par la Cour européenne des droits de l’homme concernant la géolocalisation. Il s’agit de compléter le code de procédure pénale et le code des douanes et de préciser dans quelles conditions les services concernés peuvent « géolocaliser » des véhicules, des individus, des objets dont ces derniers sont porteurs, et ce en temps réel.
Eu égard aux inquiétudes, nombreuses, qui ont été exprimées au sujet du vote de l’article 20 de la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019, voté en décembre dernier, le groupe UMP a naturellement examiné avec un intérêt particulier le contenu du présent texte.
La question qui se pose à nous est, en effet, celle des justes moyens à mettre en œuvre pour tenir compte des deux arrêts du 22 octobre 2013 de la chambre criminelle de la Cour de cassation sans entraver le travail des services de police et l’action de la justice.
La Cour de cassation considère qu’une mesure de géolocalisation constitue une « ingérence dans la vie privée », une atteinte grave, donc, à la vie privée de la personne géolocalisée. Par conséquent, cette mesure ne peut être légalement mise en œuvre que dans les conditions prévues par l’article 8, alinéa 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle doit alors, premièrement, être prévue par une loi présentant les qualités requises par la jurisprudence de la Cour européenne et, deuxièmement, être proportionnée et nécessaire.
Or, si la question juridique soulevée par la Cour de cassation ne consiste pas en une remise en cause du fondement légal du recours à la géolocalisation – elle s’attaque plutôt à la compétence de l’autorité prenant la décision –, les arrêts précédemment évoqués ont pu, de fait, entraîner une vraie paralysie dans l’action des forces de police, la Chancellerie ayant donné des instructions dans le sens du respect desdits arrêts.
Ainsi, par une circulaire du 29 octobre 2013, le ministère de la justice étend l’interdiction des mesures de géolocalisation à « toutes les enquêtes diligentées sous la direction du procureur de la République : flagrances, recherches des causes de la mort ou de la disparition ou d’une personne en fuite ». La Chancellerie demande par ailleurs aux parquets d’appliquer la même règle de droit aux balises, de les bannir de leurs enquêtes et de laisser ce système de suivi des déplacements de voitures aux seuls juges d’instruction.
Cette « mise en arrêt » des enquêtes ayant recours à la géolocalisation a provoqué une grave déficience dans l’exécution des missions de sécurité et de justice.
Certaines affaires illustrent parfaitement ces problèmes de procédure auxquels sont actuellement confrontées les forces de l’ordre.
À Nanterre, dans les Hauts-de-Seine, le 24 octobre 2013, par exemple, une femme et son enfant sont séquestrés à domicile, puis enlevés avant d’être relâchés dans la rue. Les enquêteurs demandent au parquet à pouvoir identifier les téléphones ayant activé les bornes sur l’itinéraire des malfaiteurs pour établir un éventuel lien avec une autre affaire. Mais ce « bornage » leur est refusé.
Le 3 novembre 2013, là encore dans le département des Hauts-de-Seine, une poste est « braquée ». La police identifie des suspects, mais il lui faut vérifier par des moyens techniques leur présence à l’heure et sur les lieux du crime. L’identification géographique des données de connexion des mobiles des voyous lui est refusée.
Nous ne pouvons nier l’effectivité et la nécessité de la géolocalisation. Celle-ci est devenue indispensable aux forces de police et de gendarmerie par les deux techniques qu’elle met en œuvre : le suivi dynamique d’un terminal de télécommunication et l’utilisation d’une balise installée sur un objet ou un moyen de transport.
La géolocalisation remplit trois fonctions : retrouver une personne disparue, quelle qu’en soit la raison, ou une éventuelle victime, retracer les déplacements d’une personne et, enfin, remplacer la filature.
Certes, il n’existe actuellement pas de restriction à l’utilisation de la géolocalisation, mais les moyens limités des forces de l’ordre et la pertinence même du recours à ce dispositif les conduisent à utiliser principalement cette technique dans le cas très particulier de la criminalité de réseaux ou de trafic.
Au même titre que les techniques fondées sur l’analyse des traces d’ADN, cet outil est devenu essentiel. Il est particulièrement apprécié par les policiers pour ce qu’il représente d’irréfutable.
Pour autant, l’intervention du législateur est indispensable dès lors que les enquêtes préliminaires, ouvertes sous l’impulsion des enquêteurs, représentent près de 90 % des procédures de géolocalisation et qu’il est fait recours à celle-ci dans plus des deux tiers des enquêtes.
Conscient de l’importance de cette intervention du législateur dans le domaine de la géolocalisation pour redonner aux forces de l’ordre les moyens d’exercer leur mission, notre collègue François Pillet avait d’ailleurs déjà rédigé une proposition de loi avant même le dépôt du présent projet de loi par le Gouvernement.
Cette proposition de loi comportait trois dispositions. Premièrement, les officiers de police judiciaire étaient autorisés à prendre toute mesure permettant la localisation et l’établissement des déplacements d’une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction. Deuxièmement, la légalité de la décision de géolocalisation prise par le procureur de la République devait être contrôlée par le juge des libertés et de la détention. Troisièmement, il fallait rendre applicable cette géolocalisation dans le cadre des enquêtes préliminaires, qui, je le répète, représentent 90 % des cas d’espèce.
Le dispositif proposé par notre collègue permettait ainsi d’établir un équilibre entre intérêt général et protection des libertés publiques.
Aujourd’hui, avec son projet de loi, le Gouvernement souhaite aller dans le même sens, et nous saluons cette initiative. Le texte qu’il propose a d’ailleurs été parfaitement enrichi en commission des lois, comme M. le rapporteur vient de l’indiquer. Il faut en remercier ce dernier, ainsi que les membres de la commission.
La géolocalisation sera désormais possible dans le cadre d’une enquête relative à une infraction punie d’une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à cinq ans – seuil que nous avons défini en commission des lois, alors que le texte initial envisageait trois ans –, ainsi que dans le cadre d’une enquête en recherche des causes de la mort, des causes de la disparition et en recherche d’une personne en fuite.
L’option de soumettre systématiquement de telles mesures à l’autorisation préalable d’un juge n’a pas été retenue. Lors d’une enquête dirigée par le parquet, le procureur de la République pourra autoriser une mesure de géolocalisation « pour une durée maximum de quinze jours consécutifs », le terme « consécutifs » étant un ajout de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Absolument !
M. André Reichardt. La poursuite des opérations devra être prescrite par décision du juge des libertés et de la détention, sur requête du procureur de la République, la durée de cette autorisation étant, au maximum, d’un mois renouvelable.
Lors d’une information judiciaire, les opérations de géolocalisation seront autorisées par le juge d’instruction pour une durée maximum de quatre mois renouvelable.
En cas d’urgence, risque imminent de dépérissement des preuves ou d’atteinte grave aux personnes ou aux biens, l’autorisation de procéder à une mesure de géolocalisation pourra être donnée par tout moyen.
Une décision écrite de géolocalisation du magistrat compétent devra ensuite intervenir dans un délai de douze heures, et non plus de quarante-huit heures : encore un apport de la commission des lois !
Celle-ci a, enfin, prévu une procédure spécifique en matière de criminalité organisée : le juge des libertés et de la détention, et lui seul, pourra décider que l’heure, le lieu et les premières données de géolocalisation figureront dans un second dossier, non joint à la procédure, afin notamment de protéger les témoins. M. le rapporteur a souligné tout l’intérêt de cette mesure, mais nous avons noté les observations du Gouvernement.
Il nous apparaît donc, à l’issue des travaux de la commission, et sous réserve des amendements que nous allons examiner tout à l'heure, que le texte parvient à un équilibre acceptable entre intérêt général et protection des libertés publiques, du moins tel que nous entendons tous ici, je le crois, le rechercher. Les moyens mis en œuvre nous semblent nécessaires et plutôt mesurés.
C’est pourquoi, en l’état actuel du projet de loi, le groupe UMP y est globalement favorable et se déclare prêt à le voter. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. le rapporteur ainsi que MM. Jean-Claude Requier et Serge Larcher applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, ce projet de loi vient sans doute à point !
Je ferai, à son sujet, trois séries d’observations : la première portera, justement, sur le moment et les circonstances de son examen, la deuxième sur le fond du texte et la troisième sur la place particulière du parquet.
On peut tout d’abord se demander si nous n’aurions pas pu anticiper la nécessaire modification de notre droit en matière de géolocalisation, comme en matière de garde à vue. Les arrêts de la Cour de cassation d’octobre 2013 n’étaient-ils pas prévisibles ? On peut légitimement se poser la question. En effet, les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme sur lesquelles s’est appuyée la chambre criminelle pour remettre en cause l’utilisation de la géolocalisation ne datent pas d’hier : l’arrêt le plus important, cela a été rappelé, remonte au mois de septembre 2010.
N’aurait-il pas mieux valu examiner cette question avant de nous retrouver face à un vide juridique empêchant enquêteurs et magistrats de travailler efficacement en matière de lutte contre la délinquance ? La réponse est probablement positive, ce qui devrait nous appeler à plus de vigilance pour que, à l’avenir, une telle situation ne se reproduise plus.
En tout cas, une chose est sûre : l’intervention du législateur est aujourd’hui indispensable afin de rendre à nouveau possible l’utilisation des moyens de géolocalisation dans le cadre des enquêtes préliminaires et des enquêtes de flagrance.
Cette intervention est également indispensable pour améliorer l’encadrement des moyens techniques en cause : en l’absence d’un texte législatif suffisamment clair et précis, la porte est sans doute ouverte à des pratiques occultes, au bord ou même en dehors de toute légalité, ne pouvant être tolérées dans un État de droit.
C’est donc dans l’intérêt de la sécurité de nos concitoyens, mais aussi pour un bon fonctionnement de notre justice pénale que le législateur se devait de réagir rapidement, après les arrêts rendus par la Cour de cassation en octobre dernier, d’autant que les délinquants, eux, continuent allègrement d’utiliser ces moyens.
Les parlementaires centristes ont alerté le Gouvernement sur ce sujet. Je tiens d’ailleurs à saluer l’initiative de notre collègue François Pillet, qui, ainsi que M. Reichardt vient de le rappeler, avait déposé une proposition de loi sur le même thème ; nombre des membres du groupe de l’UDI-UC avait d’ailleurs cosigné cette proposition de loi.