M. Michel Bécot. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Gautier.
M. Jacques Gautier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà donc réunis pour l’examen en deuxième lecture du projet de loi de programmation militaire. Il s’agit là d’un texte sur lequel le Sénat, saisi en premier, s’est beaucoup investi, et au premier chef le président de notre commission, Jean-Louis Carrère, dont je salue le travail et la passion.
M. Christian Bourquin. Bravo !
Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !
M. Jacques Gautier. Je formulerai très rapidement six observations.
Premièrement, nos collègues députés ont su, dans l’ensemble, compléter de façon judicieuse notre contribution sans la dénaturer. Je m’en réjouis et les en remercie. Je remercie également mon collègue et ami Daniel Reiner, qui a effectué un précieux travail de liaison entre les deux chambres à des fins d’explication (M. le président de la commission des affaires étrangères applaudit.), si précieux du reste, mes chers collègues, que nous devrions nous en inspirer à l’avenir pour d’autres textes.
Deuxièmement, les députés ont adopté, sur l’initiative du Gouvernement, un amendement qui complète la trajectoire financière du projet de loi de programmation militaire de 500 millions d’euros, si nécessaire. Cela va, bien sûr, dans le bon sens.
Nous savons, monsieur le ministre, que c’est votre engagement personnel qui a permis d’arracher ce complément et je salue votre action. Mais nous ne sommes pas dupes : la recette est incertaine – 2014 ou 2015 – et le combat va continuer avec Bercy.
Cela m’amène à ma troisième observation : le report de charges. Il a atteint cette année 3,6 milliards d’euros – 3,1 milliards d’euros si l’on tient compte de votre amendement dès 2014 – dont 2,1 milliards pour le seul programme146, le tout en forte augmentation.
Le ministère de la défense a toujours connu des reports de charges, mais nous atteignons là un sommet. Si je m’en tiens aux rapports successifs de la commission des finances de l’Assemblée nationale sur les divers projets de loi de finances – ils n’ont jamais été démentis –, je trouve 1,7 milliard d’euros de report de charges à la fin de 2009, seulement 719 millions d’euros à la fin de 2010, de nouveau 1,5 milliard d’euros à la fin de 2011, 1,7 milliard d’euros à la fin de 2012 et 3,6 milliards d’euros, ou 3,1 milliards, cette année.
Cette explosion n’est pas supportable. Il sera nécessaire, comme c’est prévu dans le projet de loi de programmation militaire, d’apporter des réponses budgétaires lors de la clause de revoyure de 2015, pour au moins, monsieur le ministre, réduire sensiblement cette « bosse » que le ministère pousse devant lui !
Quatrième observation : cette clause de revoyure sera d’autant plus importante que vous devrez prendre des décisions en ce qui concerne, outre ce report de charges, les avions ravitailleurs, les drones, les Rafale – en fonction de l’export – et un certain nombre de programmes nécessaires à nos forces ; je pense aux missiles et aux munitions.
Monsieur le ministre, je souhaite de tout cœur, dans l’intérêt de notre pays, que la reprise économique soit au rendez-vous et qu’elle vous donne les moyens de corriger la trajectoire de ce projet de loi de programmation militaire. Si, malheureusement, ce n’était pas le cas, vous devriez faire face à la réalité. À mon avis, la seule option possible passerait alors par des cessions d’actifs, comme je le proposais au travers de mes amendements en première lecture. Sinon, nous devrions faire le deuil de la LPM et notre outil de défense serait gravement obéré.
Cinquième remarque : après être intervenue au Mali, la France intervient, sous mandat des Nations unies, en République centrafricaine. Nous en avons parlé cet après-midi, et je m’en félicite.
Vendredi dernier, au sommet de l’Élysée, le secrétaire général de l’ONU, le président Barroso et bien d’autres ont félicité la France. Les Nations unies et l’Union européenne ont promis des soutiens financiers et logistiques pour la force africaine… Parfait ! Mais, encore une fois, c’est la France qui intervient sur le terrain, c’est elle qui paiera et qui paie déjà le prix de la sueur et du sang !
M. Christian Cambon. Et voilà !
M. Jacques Gautier. Il est temps, à quelques jours du sommet européen sur la défense, d’obtenir, comme cela a été demandé, soit l’envoi de groupements tactiques à nos côtés, soit des compensations, y compris financières. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
Ma sixième et dernière remarque concerne l’ensemble du budget de l’État pour 2014. Bercy a décidé de geler, au 1er janvier prochain, 7 % des crédits votés par nos assemblées, soit 300 millions d’euros supplémentaires, puisque l’an dernier ce gel était limité à 6 %. C’est bien la preuve que Bercy ne table pas sur un retour de la croissance ! Cela pose aussi la question de la sincérité et de la véracité des budgets qui sont votés par nos assemblées. Il faudra bien qu’un jour les gouvernements, par-delà les différences partisanes, réfléchissent à une mise à plat du fonctionnement budgétaire pour plus de transparence et de véracité, comme nous devons le faire dans nos diverses collectivités territoriales.
Monsieur le ministre, je m’étais abstenu sur ce texte en première lecture. Aujourd’hui, je constate que l’Assemblée nationale n’a pas dénaturé notre travail, qu’elle l’a complété et que votre amendement de 500 millions d’euros, cette somme fût-elle insuffisante, va dans le bon sens. Certes, ce projet de loi demeure fragile et de nombreuses incertitudes demeurent, voire s’amplifient. Mais ce n’est pas au moment où des milliers de soldats Français sont déployés en OPEX, parfois dans des conditions dangereuses, comme au Mali ou en Centrafrique, que je peux voter contre ce projet de loi. Pour moi, voter contre serait pire pour notre armée et pour nos industries de défense que de laisser passer un texte a minima et insuffisant.
M. Robert del Picchia. Très bien !
M. Jacques Gautier. Je m’abstiendrai donc, monsieur le ministre, comme certains de mes collègues de l’UMP, en rêvant, au moins en matière de défense, d’une grande coalition à l’allemande, où nous pourrions ensemble, en amont, faire les meilleurs choix pour nos armées et notre outil de défense. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, du RDSE et du groupe socialiste. – Mme Leila Aïchi applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Roger.
M. Gilbert Roger. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, conformément aux engagements du Président de la République, et malgré un contexte économique et budgétaire extrêmement difficile, l’effort consacré par la nation à sa défense sera maintenu à un niveau significatif.
Entre 2014 et 2019, les ressources du ministère de la défense s’élèveront à 190 milliards d’euros courants. En sanctuarisant le budget de la défense nationale, le Président de la République a fait le choix de maintenir un niveau d’ambition élevé sur la scène internationale, à la hauteur des besoins et des responsabilités de notre pays. Il faut rappeler que peu de pays dans le monde peuvent, comme la France, se prévaloir d’une armée capable d’assumer les trois missions fondamentales que sont la protection du territoire national et de sa population, une dissuasion nucléaire à deux composantes et l’intervention sur des théâtres extérieurs.
Depuis le précédent Livre blanc, celui de 2008, le contexte stratégique a connu des évolutions majeures, et notamment les conséquences que l’on sait de la crise économique et financière. Ainsi, le projet de LPM, tout en maintenant l’effort consacré par la nation à sa défense, a dû prendre en compte l’objectif de redressement des finances publiques, dont la dégradation est devenue en elle-même un enjeu de souveraineté.
Par conséquent, afin de dégager les marges de manœuvres budgétaires nécessaires pour que la France conserve son rang sur la scène internationale, le projet de loi prolonge de façon modérée la réduction du format de nos armées, avec la suppression de 23 500 emplois entre 2014 et 2019.
Cette déflation d’effectifs, qui se fait en cohérence avec la refonte des contrats opérationnels et les objectifs fixés par le Livre blanc de 2013, est assortie d’un large plan de mesures d’accompagnement du personnel civil et militaire appelé à quitter le service. Je souhaite qu’une attention particulière soit portée, sur le long terme, à l’accompagnement social, économique et territorial du nouveau format d’armée défini par ce Livre blanc.
Cette manœuvre de ressources humaines ambitieuse s’inscrit dans le contexte rendu difficile par les insuffisances du système de paye Louvois. Je tiens d’ailleurs à saluer la décision courageuse que vous avez prise, monsieur le ministre, de remplacer ce système informatique.
La définition du nouveau format d’armée ainsi que les efforts d’économie consentis par le ministère de la défense supposeront une optimisation du plan de stationnement du ministère, dans un souci de mutualisation des soutiens, de densification des emprises et de réduction des dépenses de fonctionnement. La LPM prévoit, pour la période 2014-2019, une enveloppe de 150 millions d’euros en faveur de l’accompagnement économique, sur la base d’un principe de contractualisation au niveau local.
Dans un souci d’utilisation efficiente des fonds et d’équité à l’égard des collectivités, il est indispensable d’expliciter sur le terrain les mesures prévues pour accompagner les restructurations dans les territoires les plus fragiles. Vous avez d’ailleurs commencé ce travail, monsieur le ministre.
Cet effort pédagogique est aussi nécessaire pour remonter le moral des troupes, qui ont déjà consenti par le passé de nombreux efforts, en interarmées, en termes de mutualisation et de rationalisation du dispositif de soutien. Du reste, l’annonce faite par le ministère le 25 octobre dernier de débloquer immédiatement des fonds à hauteur de 30 millions d’euros pour les bases de défense a été accueillie avec soulagement par les militaires, d’autant que ces fonds sont prioritairement destinés à financer des dépenses concrètes comme des équipements, les réfections de locaux et certaines facilités.
Un sujet d’inquiétude demeure pourtant : la question des gels de crédits, que nous avons évoquée. Ce sont 820 millions d’euros qui risquent de manquer aux armées en 2014. Si ces crédits ne sont pas dégelés, c’est toute la programmation militaire qui risque de voler en éclats.
Monsieur le ministre, vous aviez annoncé, le 15 novembre dernier, qu’un accord avait été trouvé avec Bercy. Pourriez-vous nous préciser quel est le sort réservé à ces 820 millions d’euros ?
Enfin, mes chers collègues, je souhaite vous faire part de ma satisfaction s’agissant de la façon dont se sont déroulés les débats tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale sur ce projet de LPM, démontrant la capacité de la représentation nationale à adopter des choix stratégiques pour la nation dans un consensus transpartisan. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE. – Mme Leila Aïchi et M. Jacques Gautier applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Pintat.
M. Xavier Pintat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le vote d’une loi de programmation militaire est un moment important dans une législature. Nous devons tout faire pour préserver la valeur de nos forces armées, respecter les hommes et les femmes qui les composent, préserver la qualité des équipements dont ils disposent et veiller à la préparation qu’ils reçoivent. Nous devons tout faire, y compris éviter de nous quereller, car il y va de l’intérêt de la nation.
Alors, que penser de ce projet de loi tel qu’il nous revient de l’Assemblée nationale ?
Je ferai d’abord remarquer que l’Assemblée nationale n’a que peu modifié le texte et qu’elle a conservé la quasi-totalité des acquis du Sénat. Dont acte ! Nous pouvons saluer le travail effectué par notre commission en première lecture, sous l’impulsion efficace de son président, Jean-Louis Carrère.
J’observe cependant que l’Assemblée nationale a supprimé le seul apport du groupe UMP du Sénat : la modification du calendrier de livraison des avions ravitailleurs. Lorsqu’on est à la recherche d’un consensus transpartisan, une telle mesure est regrettable, même si nous avons pris acte de votre déclaration liminaire, monsieur le ministre.
Ensuite, nous avons appris, entre les deux lectures de ce texte, qu’il y aurait un report de charges de 3,6 milliards d’euros de l’exercice 2013 sur l’exercice 2014. Jacques Gautier l’a rappelé, jamais le report de charges n’avait été aussi important, puisqu’il s’élevait seulement à 1,5 milliard d’euros à la fin de 2011. Plus grave encore, à l’heure où nous délibérons, ce report n’est pas compensé par des ouvertures de crédits.
Autant le dire tout de suite, cette loi de programmation militaire ne pourra pas être respectée !
Du reste, il m’a fallu faire mes propres recherches et lire votre interview, monsieur le ministre, sur le blog de La Tribune pour connaître le montant exact du report de charges : une information que j’aurais préféré lire dans un rapport officiel…
Vous allez sans doute me répondre que les 500 millions d’euros votés à l’Assemblée nationale sont une garantie. Mais j’ai entendu trop de gouvernements, de tous bords, faire des promesses pour ignorer que celles-ci n’engagent parfois que ceux qui les écoutent !
Si vous aviez gagné l’arbitrage, cet amendement aurait été inclus dans le projet de loi de finances. Or il n’y figure pas !
Ce double constat étant dressé, ayons le courage de regarder la vérité en face.
La vérité est que la précédente majorité, à laquelle j’appartenais, a fait passer l’effort de défense de 1,75 % du PIB à 1,5 %, ce que je regrette, et qu’elle a réduit le format de nos forces armées en faisant partager l’idée que 1,5 % du PIB était le plancher en dessous duquel on ne pouvait aller.
Mais la vérité est aussi que la majorité actuelle se berce d’illusions en invoquant un retour à meilleure fortune à 1,8 % du PIB et en croyant à des « clauses de garantie ».
La vérité est, enfin, que l’effort de défense de notre pays passera de 1,5 % en 2013 non pas à 1,3 %, comme on l’espérait encore il y a un mois, mais à 1,1 % en 2019, puisque nous savons maintenant que la programmation ne pourra pas être respectée.
Encore une fois, il ne s’agit pas, monsieur le ministre, de vous mettre en cause. Vous savez l’estime que notre commission vous porte, tant sur un plan personnel que pour votre engagement. Il s’agit, s’il en est encore temps et que nous en sommes encore capables, de chercher les raisons de cette mécanique implacable qui conduit le Gouvernement – je devrais dire tous les gouvernements – à réduire l’effort de défense.
C’est en sénateur convaincu que la défense est l’ultime garant de notre liberté que je me suis efforcé de comprendre les raisons de cette situation. J’ai trouvé deux éléments de réponse.
D’abord, la défense est, par définition, la Grande Muette, et c’est bien ainsi. Mais il faut que nous soyons raisonnables : on ne peut pas reporter l’entier fardeau des ajustements budgétaires sur les forces armées au seul prétexte qu’elles ne diront rien !
Aucune administration de l’État n’a été autant saignée à blanc. Aucune n’accepterait ce que les armées ont accepté. Si l’on veut éviter que le désespoir gagne nos armées, il nous faut, nous parlementaires de tous bords, nous mobiliser tous ensemble pour la défense et vous aider, monsieur le ministre, à obtenir les arbitrages qu’on vous refuse.
Ensuite, je vois dans l’affaire du report de crédits la suite malheureuse de ce qui s’est passé lors de la commission du Livre blanc. Ce n’est un secret pour personne : jamais il n’a été fourni aux membres de la commission « l’équation budgétaire », c’est-à-dire le montant des moyens mis à la disposition des armées.
Et cela continue avec la LPM, car le report de crédits devrait être intégré dans la construction budgétaire et ne pas constituer un aléa insupportable pour le budget de la défense.
M. Jeanny Lorgeoux. C'est spécieux !
M. Xavier Pintat. C’est pourquoi il nous faut desserrer la contrainte financière.
Certains plaident pour la vente d’une partie non stratégique de nos participations dans les entreprises de défense, considérant que cet argent serait mieux investi dans la recherche, dans l’emploi, au service de nos exportations, qu’en stériles participations dont tout le monde a pu constater l’inutilité dans l’affaire BAE-EADS.
D’autres croient aux marges susceptibles d’être dégagées par le choix d’une défense intelligente à l’OTAN et de la mutualisation, avec le pooling and sharing, pour mettre fin aux gaspillages inutiles.
Nous devons en priorité concentrer nos investissements sur nos besoins capacitaires communs.
Une autre politique est donc possible. Pour y parvenir, la confiance sera déterminante.
Je voudrais terminer en relayant la vive émotion suscitée par la nouvelle rédaction de l’article 13 auprès des internautes, qui s’expriment largement dans les médias depuis quarante-huit heures.
Il n’est pas souhaitable, dans un pays qui se veut exemplaire en matière de protection des libertés et de respect des droits de l’homme, de proposer sans expertise préalable une généralisation des interceptions administratives et de permettre aux services de l’État d’accéder à tous les documents stockés dans les serveurs des fournisseurs d’accès à Internet comme des hébergeurs, sur les disques durs ou dans les clouds, bien au-delà des seules données de géolocalisation, objet initial de l’article 13.
De tels pouvoirs, même sous contrôle, pensés à l’origine pour les télécommunications et non pour le numérique, dépassent largement le cadre de la lutte contre le terrorisme et me semblent disproportionnés au regard des libertés individuelles.
Contrairement à la position que j’avais adoptée en première lecture, et que je ne regrette pas, car on ne s’oppose pas a priori à une loi de programmation militaire, je ne voterai pas ce texte pour toutes les raisons que je viens d’évoquer et pour tirer la sonnette d’alarme.
M. Jeanny Lorgeoux. C’est bien dommage !
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. À la suite des propos de notre collègue Xavier Pintat, je souhaite dire quelques mots de l’article 13 du projet de loi, dont la rédaction actuelle est très largement issue d’un amendement que j’avais défendu en première lecture en tant que rapporteur pour avis de la commission des lois.
Des campagnes ayant été lancées voilà quelques jours à l’encontre de cet article, je tiens à rappeler avec quelque solennité dans quelles conditions on est parvenu au texte qui nous est maintenant soumis.
En première lecture, au Sénat, nous avons voté cet article dans une rédaction qui était d’ailleurs assez proche de celle qu’avait proposée notre collègue Jean-Jacques Hyest. Il est le fruit d’un important travail mené avec Jean-Louis Carrère et en dialogue avec vous, monsieur le ministre. Cet article a ensuite été adopté par la commission de la défense et par la commission des lois de l’Assemblée nationale, puis par l’Assemblée nationale elle-même.
Je le dis avec force, nous devons avoir, en matière de renseignement, les moyens de lutter contre le terrorisme, mais en prévoyant en même temps des garanties et des moyens de contrôle qui assurent le respect des libertés individuelles, de la vie privée et des données personnelles. Eh bien, je défie quiconque de me prouver que cet article n’apporte pas ces garanties et ces possibilités !
Premièrement, s’agissant des « fadettes », le Parlement a fait le choix de prévoir que c’est le Premier ministre, et non plus le ministre de l’intérieur, comme c’est le cas actuellement, qui doit donner son autorisation.
Deuxièmement, pour avoir accès à la géolocalisation, ce qui est particulièrement nécessaire lorsque l’on veut lutter contre le terrorisme, l’un des trois ministres compétents – celui de la défense, celui de l’intérieur ou celui chargé des douanes – devra en faire la demande écrite et motivée au Premier ministre. Il reviendra à ce dernier, ou à la personne qui répondra en son nom, de fournir une réponse écrite. Cette garantie, aujourd’hui, n’existe pas ; nous l’avons instituée.
Je précise que les dizaines de milliers d’interceptions actuellement opérées ne sont pas, aujourd'hui, soumises aux deux conditions que je viens d’exposer.
Troisièmement, nous augmentons considérablement le rôle de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, la CNCIS. Nous lui donnons des pouvoirs de contrôle, mais aussi d’intervention dans le cours du processus, ainsi que la faculté de faire connaître ses positions, afin qu’il en soit tenu compte.
Quatrièmement, je rappelle que la CNIL – Commission nationale de l’informatique et des libertés – a été auditionnée, notamment sur cette mouture de l’article 13, non seulement par le rapporteur pour avis que j’étais, mais aussi par le rapporteur qu’est le président Jean-Louis Carrère.
J’ajoute que la CNIL sera forcément amenée à s’exprimer sur le décret qu’il sera nécessaire de prendre pour appliquer cette loi, ainsi que l’a indiqué M. le ministre.
Nous sommes accusés d’élargir le champ d’intervention à la recherche de renseignements relatifs à certaines réalités économiques et scientifiques, à la sécurité nationale ou à la prévention de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous. Or tout cela figure dans la loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications : c’est devenu l’article L. 241-2 du code de la sécurité intérieure et j’invite chacun à s’y référer.
Certains, qui semblent se réveiller soudainement, nous reprochent aujourd'hui d’avoir retenu ces champs d’application. Mais, chers collègues, nous ne faisons que reprendre intégralement ce qui a été voté il y a vingt-trois ans !
Cinquièmement, au lieu de rafistoler la loi de 2006, qui, vous le savez, sera caduque au 31 décembre 2015, nous avons réinscrit tout le processus dans la loi de 1991.
Mes chers collègues, le vote de ce dispositif par notre assemblée a suscité de nombreux commentaires positifs, jusqu’à la parution, trois semaines et demie plus tard, d’un communiqué de l’Association des services internet communautaires, l’ASIC, association qui regroupe les majors du web, selon laquelle l’article 13 poserait des problèmes en matière de libertés publiques. Ce communiqué a créé une sorte d’emballement et provoqué toute une série de déclarations sur les réseaux sociaux.
M. Jeanny Lorgeoux. Qu’ils lisent les textes !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. D'ailleurs, ces réactions sont très symptomatiques de la façon dont fonctionne notre société…
À ceux qui nous accusent aujourd'hui de porter atteinte aux libertés, à la vie privée et aux données personnelles, à propos d’un texte qui, bien évidemment, est perfectible – nous aurons encore de multiples occasions de débattre de la sécurité de l’Internet –, mais ne comprend que des garanties nouvelles, nous disons qu’ils feraient peut-être bien de balayer devant leur porte ! En effet, après avoir d'abord nié avoir fourni des informations à la National Security Agency, la NSA, et au programme PRISM, ces majors du web ont fini par reconnaître que toute une économie reposait sur des milliards de données personnelles. (M. Robert del Picchia s’esclaffe.)
M. Jeanny Lorgeoux. Évidemment !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pour ce qui nous concerne, nous avançons : nous voulons nous doter de services de renseignement efficaces, pouvoir aller rechercher les otages et lutter contre le terrorisme, mais nous le faisons en nous dotant des garanties et des capacités de contrôle qui sont absolument nécessaires.
Telle est la mise au point que je tenais à faire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Jacques Gautier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne reprendrai pas l’ensemble des problématiques soulevées par le présent projet de loi de programmation militaire, ayant déjà eu de multiples occasions de donner ma position sur la plupart des sujets évoqués par les différents orateurs qui viennent de se succéder à la tribune.
Toutefois, je veux apporter quelques éléments complémentaires sur des points très précis soulevés par les uns et les autres.
M. Jean-Pierre Chevènement a évoqué la « bosse » du report de charges. Bien que j’aie moins d’ancienneté que lui dans la vie parlementaire, je me permets de lui rappeler que, en 1978, alors que j’étais jeune député et que je siégeais à la commission de la défense de l’Assemblée nationale, cette bosse existait déjà ! Et il fallait déjà la « pousser » ! Je suis aujourd'hui ministre, et il faut toujours pousser la bosse…
Autrement dit, cette situation n’est pas nouvelle. Cela étant, elle est préoccupante et je suis assez d’accord avec ceux – y compris M. Gautier – qui considèrent que le report de charges devient insupportable.
Néanmoins, il n’est pas aussi insupportable que ne l’affirme M. Larcher, qui a avancé le chiffre de 4 milliards d’euros. Nous n’en sommes pas là ! Grâce aux 500 millions d’euros que j’ai obtenus pour compenser le report de charges ayant résulté du règlement de la loi de finances pour 2013, le report de charges s’élève à 3,1 milliards. Certes, c’est encore beaucoup trop, et il faudra essayer de remédier à cette situation à l’avenir.
Cependant, les 500 millions d’euros que je viens d’évoquer me permettront de passer les commandes prévues dès la fin de l’année 2013 et le début de l’année 2014. J’ai dressé tout à l'heure la liste de ces commandes, extrêmement importantes, qui permettent d’assurer la fiabilité complète du projet de loi de programmation soumis à votre examen.
Monsieur Reiner, votre suggestion concernant l’A 400M me permet de faire une observation concernant la coopération avec les Britanniques en matière de défense, laquelle sera à l’ordre du jour du sommet franco-britannique qui se tiendra à la fin du mois de janvier prochain. De notre côté, nous espérons notamment une éventuelle collaboration en matière de soutien à l’A 400M : ayant réceptionné notre premier appareil et le Royaume-Uni s’apprêtant à en faire autant, nous sommes en train de discuter de la possibilité de mettre en place les bases d’une mutualisation. Ce serait un pas important dans la collaboration entre la France et la Grande-Bretagne.
M. Chevènement a demandé des précisions sur l’évolution des drones d’observation et sur la possibilité, pour l’Europe, de se doter de machines spécifiques sans avoir besoin d’aller acheter « sur étagère », essentiellement aux États-Unis, comme nous l’avons fait par le passé, en raison de l’absence de capacités au niveau européen.
Si tout va bien, la question d’un projet de drone de nouvelle génération réalisé en commun par l’ensemble des pays européens sera à l’ordre du jour du Conseil européen consacré aux questions de défense des 19 et 20 décembre prochain et sera, je l’espère, validé par les chefs d’État et de gouvernement. Ce serait une très grande avancée, qui s’ajouterait au « club des utilisateurs de Reaper », qui sera lui aussi lancé lors dudit Conseil. J’espère que ces éléments satisferont Jean-Pierre Chevènement.
J’ai bien noté que plusieurs intervenants avaient formulé les mêmes interrogations et exprimé les mêmes inquiétudes concernant les ressources exceptionnelles.
Comme je l’ai dit et répété, j’estime que ces ressources ne sont pas si exceptionnelles que cela puisqu’elles représentent 3,5 % de l’ensemble des 190,6 milliards dont est dotée l’enveloppe jusqu’à la fin de l’année 2019. Cela étant, l’inscription, dans le rapport annexé au projet de loi de programmation, de la possibilité même de ces ressources exceptionnelles et des registres sur lesquels elles seraient mobilisées constitue déjà une avancée.
Au reste, mesdames, messieurs les sénateurs, la série de cliquets ou de clauses de sauvegarde que votre assemblée a prévue devrait vous rassurer sur le fait que les ressources exceptionnelles seront au rendez-vous ! En tout état de cause, j’en suis intimement convaincu, et les 500 millions d’euros que j’ai pu obtenir pour la fin de gestion de l’année 2013 témoignent de la volonté du Gouvernement de conforter ces orientations.
M. Bockel m’a interrogé sur la brigade franco-allemande. Si j’ai pris la décision de dissoudre le 110e régiment d’infanterie de Donaueschingen, c’est en particulier parce qu’il était très onéreux et que son implantation n’était peut-être pas la plus évidente. En revanche, nous allons affecter à la brigade franco-allemande le 1er régiment d’infanterie de Sarrebourg, qui est plus historique – c’est l’un des plus anciens de France – et plus important, mais aussi mieux équipé puisqu’il dispose de systèmes FÉLIN. Ce régiment apportera une contribution significative à la brigade franco-allemande, avec une répartition entre la France et l’Allemagne qui sera alors, de surcroît, plus équilibrée.
Reste le sujet de la mobilisation de la brigade franco-allemande sur un certain nombre d’objectifs. Mon homologue allemand et moi-même en sommes toujours au même point, à savoir que nous sommes convaincus de la nécessité de réfléchir ensemble à la possibilité de mobiliser rapidement tout ou partie de la brigade franco-allemande sur un théâtre d’opérations, qui pourrait être, demain, le Mali. En tout cas, c’est dans cette direction que nous travaillons.
Monsieur Trillard, si certains ne percevront l’indemnité pour services en campagne, ou ISC, qu’en 2014, c’est parce que le logiciel Louvois ne fonctionne pas bien ! Croyez bien que je subis tous les mois les perturbations qu’il crée. Vous savez les conséquences que les distorsions de Louvois sur le versement des soldes peuvent avoir sur le moral des forces : quand je vais sonder le moral des unités, il est essentiellement question de ce logiciel ! Nous essayons de remédier à cette difficulté. À cet égard, j’ai pris des décisions qui s’imposaient.
Enfin, je ne vais pas redire à M. Gautier combien je suis préoccupé par le concept de « groupement tactique » ; j’y ai fait allusion tout à l'heure. C’est un sujet de réflexion pour moi comme, je l’espère, pour les acteurs européens. En effet, si ces groupements existent d'ores et déjà dans les textes, nous devons désormais préciser les modalités de leur mobilisation, qui ont fait et font encore défaut, comme nous venons de le voir en République centrafricaine.
Mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les quelques remarques que je voulais faire en complément de mon propos introductif et en guise de réponse aux interrogations des orateurs. Je vous remercie une nouvelle fois de vos contributions à l’élaboration de ce texte, dont je souhaite évidemment qu’il puisse être adopté ce soir.