Mme la présidente. Mes chers collègues, douze autres orateurs doivent encore s’exprimer dans la discussion générale. Je vous demande de bien vouloir respecter scrupuleusement, lors de vos interventions, le temps de parole qui vous a été imparti. J’y serai particulièrement attentive.
La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen en seconde lecture de la loi de programmation militaire 2014-2019 prend bien sûr un relief tout particulier avec le sommet franco-africain pour la paix et la sécurité en Afrique qui a eu lieu en cette fin de semaine, et la résolution de l’ONU, sur notre intervention militaire en République centrafricaine
Ces deux événements illustrent concrètement notre discussion de cet après-midi, puisque nous examinons les moyens, les grandes orientations et les enjeux qui sont ceux de notre défense pour les six années à venir.
Lors de l’examen en première lecture, notre groupe vous avait clairement fait part, monsieur le ministre, de notre opposition à certaines de vos conceptions stratégiques. Celles-ci ne correspondent pas à notre conception d’une défense nationale progressiste qui permette à la fois de défendre les intérêts de notre pays et de son peuple, de promouvoir nos valeurs et de mettre en œuvre une politique étrangère d’influence favorisant l’émergence d’un monde plus juste et plus solidaire et faisant progresser la paix et le désarmement.
Nous avions également relevé qu’il n’y avait pas de différence assez nettement affirmée avec la politique menée par le précédent Président de la République, voire qu’il y avait une certaine continuité.
Nous avions ainsi pris les exemples de la pleine réintégration dans le commandement militaire de l’OTAN ou de l’ouverture d’une nouvelle base à Abou Dhabi comme étant ceux de réorientations stratégiques majeures, qui traduisaient un alignement sur des positions atlantistes, sans débat national approfondi autre que parlementaire. C’est sans évoquer notre désaccord fondamental avec la conception de la dissuasion nucléaire qui est celle du Président de la République et avec la part budgétaire trop importante qui lui est accordée, au détriment de nos forces conventionnelles.
Ainsi, le texte de la loi de programmation militaire qui nous revient après son examen par l’Assemblée nationale n’est pas de nature à nous faire changer d’appréciation sur ces aspects de notre politique de défense.
Cela dit, un raisonnement mécanique, voire simpliste, aurait pu nous amener à penser que la loi de programmation militaire étant, comme son nom l’évoque en partie, la traduction financière et budgétaire des grandes orientations de la politique de défense proposées par le Gouvernement, nous devrions la rejeter en bloc parce que nous en repoussons certains aspects. Notre démarche et la réalité des choses sont plus complexes.
Nous sommes fermement attachés à un certain nombre de principes, en particulier au fait que nos forces armées sont celles de notre République. Nous estimons que notre outil de défense doit pouvoir disposer des moyens garantissant son efficacité et sa crédibilité pour assurer les missions qui lui sont confiées au nom de notre pays.
C’est la raison pour laquelle nous avons reconnu, monsieur le ministre, que dans un budget contraint, en préservant un plancher minimum de ressources, vous aviez tenu le pari de résoudre une difficile équation, celle de maintenir, malgré tout, notre niveau stratégique et notre statut international, en conservant la crédibilité de la dissuasion nucléaire – bien que nous ne partagions pas votre conception –, en continuant d’assurer la protection du territoire et en réduisant quelque peu nos capacités d’intervention hors du territoire national ; tout cela afin de garantir notre autonomie stratégique et notre autonomie financière, qui sont des éléments fondamentaux de la souveraineté nationale.
En matière budgétaire, nos collègues à l’Assemblée nationale n’ont pas réellement modifié l’équilibre général de la loi. Ils ont maintenu l’intégralité des garanties qui avaient été introduites ici, en particulier les clauses de sauvegarde, celles de « revoyure » et de « retour à meilleure fortune », ou bien encore les dispositions relatives au contrôle parlementaire de l’exécution. Ces éléments ont fait l’objet d’une très forte mobilisation de la part de notre commission et de son président.
En outre, je note avec satisfaction la majoration de 500 millions d’euros des ressources exceptionnelles afin de garantir le financement des premiers programmes d’équipement inscrits dans la loi.
De la même façon, à la suite de l’amputation de 650 millions d’euros de crédits d’équipement dans le projet de budget rectificatif pour 2013, vous avez pris l’engagement, en le faisant inscrire dans la loi, que toutes les opérations d’investissement prévues seraient réalisées. Dont acte.
Enfin, pour ce qui concerne le surcoût des opérations extérieures qui, comme on l’a vu avec cette nouvelle intervention en République centrafricaine, pèse lourdement sur nos finances publiques au détriment d’autres priorités, vous avez heureusement obtenu qu’il soit financé par la solidarité interministérielle à hauteur de 578 millions d’euros.
Je note aussi votre volonté de demander, lors du prochain Conseil européen de défense, l’extension du mécanisme européen Athéna, qui permet le financement en commun d’une partie des dépenses relatives à des opérations militaires menées dans le cadre de l’Union européenne. Il faut toutefois prendre cette louable intention pour ce qu’elle est, car actuellement l’Union européenne est très loin d’avoir une politique commune de défense.
Enfin, le système d’indemnisation des victimes des essais nucléaires a aussi progressé, et vous y avez ajouté quelques dispositions. Toutefois, il en faudra d’autres pour que ce dispositif reconnaisse pleinement un droit à l’indemnisation de ces victimes qui, aujourd’hui, restent trop peu nombreuses à être reconnues en tant que telles. Il s’agit d’une première avancée, mais nous devons continuer de travailler.
Néanmoins, malgré tous les garde-fous budgétaires, j’ai encore, comme en première lecture, des doutes sur la cohérence capacitaire et la compatibilité entre les moyens alloués dans votre projet de loi et les ambitions stratégiques élevées qui sont affichées dans le Livre blanc.
Comment tout cela pourra-t-il réellement fonctionner avec un budget dont la stabilité repose en grande partie sur des choix dont je ne partage pas le bien-fondé ? Je pense en particulier à la poursuite de la diminution drastique des effectifs. Ces suppressions d’emplois, qui ne devraient principalement toucher que le soutien et l’administratif, ne peuvent être sans conséquence néfaste sur la cohérence et les capacités de notre outil de défense conventionnel, qui risque d’être affaibli.
En outre, la disparition d’unités, de bases ou d’établissements a malheureusement toujours de graves répercussions sur la situation de nos territoires et de leurs populations.
Enfin, nous contestons toujours fortement la possibilité de cessions de participations de l’État dans nos industries pour compenser un manque de ressources. Vous connaissez notre position sur ce sujet. C’est une politique de Gribouille qui constitue, à nos yeux, de nouveaux abandons de la maîtrise publique dans des secteurs déterminants pour l’indépendance et la souveraineté nationale.
À ce propos, la façon dont le groupe EADS restructure ses activités de défense en sacrifiant ses salariés en vue de préserver la rentabilité financière du groupe illustre les dangers d’une telle démarche. En effet, si ce groupe se permet aujourd’hui de telles pratiques, c’est bien parce que l’État actionnaire s’est de lui-même considérablement affaibli dans la gouvernance de l’entreprise. Nous ne pouvons plus exercer aucune influence sur la stratégie industrielle, et il ne reste plus aujourd’hui au Gouvernement qu’à rappeler M. Enders à ses obligations d’accompagnement social.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai exposé les raisons pour lesquelles le groupe communiste républicain et citoyen contestait certains choix effectués dans ce projet de loi de programmation militaire.
Toutefois, nous sommes conscients que ce texte traduit un équilibre fragile. En outre, il tente, dans une période complexe et pleine d’incertitudes, de sauvegarder une défense nationale qui soit, autant que faire se peut, stratégiquement autonome. En cherchant à sauvegarder cet outil, il s’agit de l’indépendance et de la souveraineté de notre pays. Nous y sommes, comme vous, monsieur le ministre, profondément attachés.
Enfin, les propos que vous avez tenus à l’instant, tout en réaffirmant vos convictions et celles du Gouvernement, réitèrent votre appui à l’ouverture d’un débat sur la dissuasion nucléaire, dans le cadre de la commission de la défense de l’Assemblée nationale.
Ainsi, malgré nos divergences et nos critiques de fond sur certaines orientations stratégiques, notre groupe maintiendra son abstention sur la loi de programmation militaire pour les années 2014-2019. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, l’adoption, en deuxième lecture, par le Sénat du projet de loi de programmation militaire dans le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, et utilement précisé à cette occasion, marquera la fin positive d’un long marathon que vous avez su mener à bien à partir de l’arbitrage initial du Président de la République, assurant à nos armées une ressource totale de crédits de 190 milliards d’euros sur six ans. Mon concours ainsi que celui des sénateurs du RDSE, au nom desquels je m’exprime, ne vous manqueront pas plus à l’issue de la deuxième lecture qu’à l’issue de la première.
M’étant déjà exprimé lors de cette première lecture, je ne reviendrai pas sur le contenu du projet de loi, que j’approuve. Comme l’a rappelé le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, M. Jean-Louis Carrère, dont je tiens à saluer le travail considérable et l’implication constante, l’Assemblée nationale a approuvé la plupart des avancées introduites par le Sénat, notamment les clauses de sauvegarde permettant le respect de la trajectoire financière dessinée par le projet de loi.
Sur l’initiative du Gouvernement, une majoration potentielle des recettes exceptionnelles, à hauteur de 500 millions d’euros, a été introduite pour compenser les annulations de crédits de la fin de la gestion 2013 que vous avez dû accepter. En effet, le ministère de la défense a dû contribuer à hauteur de 486 millions d’euros à l’effort de réduction des déficits publics demandé à tous les ministères pour que l’État puisse tenir les engagements européens qu’il a pris en la matière. C’est à ce prix que la Commission européenne a accordé son satisfecit au budget de 2014.
Par ailleurs, votre ministère devra prendre en charge un dépassement de la masse salariale de 232 millions d’euros, résultant, pour les trois quarts, des dysfonctionnements du système Louvois ; je ne vous demanderai pas quelle proportion du trop-versé vous espérez récupérer…
Vous avez obtenu le dégel de la plus grande partie des crédits liés à la réserve de précaution et la couverture par des crédits interministériels de l’intégralité du surcoût des opérations extérieures, soit 1,26 milliard d’euros, dont 630 millions seulement avaient été budgétés.
Je mesure tout ce qu’il vous a fallu de ténacité pour parvenir à ces résultats. Il n’en reste pas moins que vous héritez d’une « bosse » – si je puis employer ce terme qui ne vous convient pas du tout ! (Sourires.) – de près de 3 milliards d’euros. Cette bosse, qui n’est pas la vôtre puisqu’elle résulte de la gestion précédente, n’en fait pas moins peser un lourd handicap de départ sur le respect de la trajectoire financière de la programmation, forcément exposée à de multiples aléas. Le surcoût réel des opérations extérieures dépassera inévitablement les 450 millions d’euros prévus par le projet de loi de finances pour 2014, avec la prolongation de l’opération Serval, qui mobilise encore 2 000 hommes au Mali, et le lancement de l’opération Sangaris, qui mobilise 1 600 hommes en Centrafrique.
À mon tour, je m’incline devant nos deux soldats tombés cette nuit, et je m’associe à la douleur de leurs familles.
Toujours au titre des charges non prévues à ce jour, j’ajoute qu’il faudra financer la formation de 20 000 soldats africains chaque année ; le Président de la République s’y est engagé le 6 décembre, lors du sommet franco-africain de Paris.
Le Président de la République a annoncé que l’opération Sangaris serait courte. Cependant, nous le savons tous par expérience, il est plus facile de prendre un billet aller qu’un billet de retour ! Au Mali, le deuxième tour des élections législatives a lieu dimanche prochain, le 15 décembre. Le Mali est un pays indépendant, comme son président nous l’a rappelé très récemment. Il lui incombe donc de résoudre par lui-même le problème structurel qui est le sien depuis son indépendance, en 1960, et de le faire autant que possible par le dialogue, conformément aux accords de Ouagadougou.
M. Gérard Larcher. Eh oui !
M. Jean-Pierre Chevènement. Pour ce qui concerne l’opération Serval, il paraîtrait raisonnable d’atteindre rapidement l’objectif de 1 000 hommes, initialement prévu pour la fin de l’année.
Les autorités maliennes savent que, pour réduire les groupes terroristes qui subsistent dans le nord du pays, il faut les couper de la population, dont le soutien conditionne le retour à une paix durable. La formation de troupes africaines de maintien de l’ordre est donc un objectif essentiel et urgent, comme l’a justement rappelé le Président de la République. On n’imagine pas que la communauté internationale, c'est-à-dire plus précisément l’ONU et l’Union européenne, puisse se décharger de cette mission sur la France.
Pour en revenir aux inévitables tensions qui pèsent d'ores et déjà sur l’exécution de votre budget de 2014, il est nécessaire, monsieur le ministre, que vous obteniez de vos collègues des finances et du budget l’inscription, dans le prochain projet de loi de finances rectificative, des 500 millions d’euros de ressources exceptionnelles, afin de sécuriser la programmation des opérations d’armement jusqu’à l’application de la clause de revoyure, prévue pour 2015. Cette activation rapide est d’autant plus nécessaire que la réalisation des recettes exceptionnelles inscrites dans le projet de loi de programmation militaire peut prendre du temps, comme l’avait fait observer la Cour des comptes dans un rapport de juillet 2012.
J’ajoute que les ressources exceptionnelles pour les années 2014, 2015 et 2016 atteignent 4,8 milliards d’euros, soit 5,4 % des crédits consacrés à la défense. Des décisions rapides peuvent être prises concernant, par exemple, l’ouverture du capital d’entreprises publiques qui ne relèvent pas forcément du secteur de l’armement mais dans lesquelles la participation de l’État est très fortement majoritaire ; de telles opérations se feraient donc sans préjudice pour l’indépendance nationale.
La contradiction entre nos engagements européens et le souci, que vous avez réitéré, de voir la France conserver en Europe une posture militaire de premier rang, implique en bonne logique que les dépenses consacrées à la défense soient déduites du déficit autorisé par les traités européens, comme l’ont suggéré François Rebsamen et Jean-Louis Carrère au cours du débat précédent. Il me semble que cette demande devrait être effectuée officiellement par le Président de la République et par le Gouvernement lors du prochain Conseil européen. Certes, cela prendra un peu de temps, car, nous le savons, l’Europe n’est pas pressée…
Seuls des États comme la France ou la Grande-Bretagne ont la vélocité nécessaire pour intervenir militairement de manière efficace. L’Europe a déjà démontré son impotence en matière stratégique. Ce sont, par conséquent, les États qui ont la capacité de réagir vite quand il le faut, dans le cadre des résolutions de l’ONU, bien entendu.
J’aimerais enfin, monsieur le ministre, que vous puissiez nous confirmer les propos du délégué général pour l’armement concernant les perspectives de vente à l’exportation du Rafale. J’aimerais également que vous nous précisiez où en est la coopération avec la Grande-Bretagne et d’autres partenaires européens s’agissant de l’édification d’une industrie européenne des drones. Il serait paradoxal que le déclassement stratégique de la France apparaisse comme la résultante du choix européen fait il y a plus de deux décennies et maintenu depuis lors par les plus hautes autorités de l’État. Il serait peut-être temps de revoir non pas l’objectif, mais les termes du contrat.
Sous cette modeste réserve, qui m’est personnelle, j’approuve, comme la totalité des sénateurs du RDSE, le projet de loi de programmation militaire assorti des modifications introduites par l’Assemblée nationale, qui ne changent pas la structure du texte sur lequel nous nous étions déjà prononcés le 21 octobre. Ce contrat nous engage tous, car c’est de la survie de la France comme grande nation politique qu’il s’agit. Monsieur le ministre, vous vous êtes battu pour tenir cet engagement, mais nous avons encore à nous battre tous ensemble pour qu’il soit, jusqu’au bout, intégralement tenu. (Applaudissements les travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi que sur quelques travées de l'UMP. – M. Jean-Marie Bockel applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, le douzième projet de loi de programmation militaire, que nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture, fixe les priorités opérationnelles et les choix majeurs en matière d’équipements et d’effectifs, et donc les dépenses militaires, pour les années 2014 à 2019.
Trois points ont retenu notre attention.
Tout d'abord, la défense est le troisième poste de dépenses de l’État, après l’éducation et la dette : elle reçoit chaque année 31,4 milliards d’euros.
Ensuite, ce projet de loi contient des initiatives qu’il convient de saluer, car elles permettront d’améliorer le fonctionnement de l’armée française et le quotidien de nos soldats, auxquels nous rendons hommage. D’autres portent sur les projets d’équipements ou traduisent la priorité accordée à l’entraînement et, dans une certaine mesure, au renseignement. Nous saluons également l’annonce de l’abandon du logiciel fou Louvois, censé assurer le paiement des soldes.
Ce projet de loi manque cependant l’occasion d’adapter notre outil de défense à nos priorités stratégiques. En effet, ce texte confirme le maintien d’une force de dissuasion nucléaire qui représente à elle seule 23,3 milliards d’euros de crédits sur la période 2014-2019. Or, comme nous l’avons déjà signalé en première lecture, cette décision n’a fait l’objet d’aucun débat en séance publique. Nous n’avons pas, non plus, été associés aux travaux, sûrement riches et de grande qualité, de la commission ad hoc chargée d’élaborer le Livre blanc.
Nous nous étonnons que notre stratégie nucléaire ne soit pas débattue dans cet hémicycle, à défaut d’être davantage remise en question alors que de plus en plus de hauts responsables politiques et militaires s’interrogent ouvertement sur la pertinence d’une force atomique aussi coûteuse que désuète. L’environnement international et géopolitique a totalement changé à partir de 1989, mais nous continuons à nous cramponner à un dispositif ancien, qui ne correspond pas au monde d’aujourd'hui.
Dans un contexte économique très contraint, nous considérons qu’il est urgent de mener une réflexion sur le bien-fondé du maintien en l’état de notre force nucléaire. Pour notre part, nous réclamons un ajustement de notre force de dissuasion ; certains d’entre nous souhaitent même sa remise en cause totale.
Paul Quilès, un homme politique particulièrement responsable, l’ancien Premier ministre Michel Rocard, lui aussi très respecté dans cet hémicycle, ou encore le précédent ministre de la défense, Hervé Morin, posent ouvertement la question : pourquoi ne pas garder la composante sous-marine et supprimer la composante aérienne à échéance de dix ans, ce qui nous permettrait d’économiser environ 1,5 milliard d’euros ? On pourrait utiliser cette somme à la fois pour le désendettement et pour renforcer nos unités d’intervention envoyées sur le terrain dans le cadre de nos engagements internationaux.
N’oublions pas non plus les engagements pris par la France en matière de désarmement, notamment dans le cadre du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, le TNP : en le signant, notre pays s’est engagé à « poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire ».
Quelles sont nos priorités stratégiques ? Est-il vraiment nécessaire de maintenir en mer quatre sous-marins lanceurs d’engins et de conserver en parallèle une coûteuse composante aéroportée ? Nous ne le pensons pas. Il y a là, pour notre budget de défense, une source de déséquilibre entre les crédits alloués à la dissuasion et les moyens donnés à nos forces conventionnelles, et cela mérite au moins examen. Nous sommes aujourd’hui à un an et demi de la conférence de révision du TNP : la France devra bien alors préciser sa politique de désarmement. Le temps presse !
Ce projet de loi de programmation militaire aurait pu être l’occasion de débattre collectivement des priorités à fixer à notre outil de défense.
Je souhaite à présent insister sur le dossier de l’indemnisation des victimes des essais nucléaires. Si le dispositif d’indemnisation a fortement évolué lors de l’examen du projet de loi au Sénat et à l’Assemblée nationale – nous saluons d’ailleurs votre écoute, monsieur le ministre, ainsi que celle de votre cabinet sur ce dossier –; nous jugeons que les avancées demeurent insuffisantes.
En effet, les demandes des victimes, qui vivent souvent des situations difficiles, sont analysées à la seule lumière d’un modèle statistique qui conclut presque toujours à un risque négligeable. Le logiciel utilisé, qui n’a pas été conçu pour cela à l’origine, fait finalement ce pour quoi il a été choisi ; il y a là comme un syllogisme ! Vous le savez, monsieur le ministre, seuls douze dossiers de demande d’indemnisation ont connu un sort favorable, alors que le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, le CIVEN, en a reçu près de 840 ! Dix-sept ans après le dernier essai nucléaire, et près de trois ans après la promulgation de la loi relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dite « loi Morin », la France n’arrive toujours pas à indemniser ceux qu’elle a exposés.
Pourquoi ne pas permettre un réel examen des dossiers au cas par cas ?
Du reste, si le système de présomption de causalité avec limite était supprimé, il ne faudrait pas s’attendre pour autant à une multiplication démesurée des nouvelles demandes d’indemnisation de la part des personnels civils et militaires : tout simplement parce que beaucoup d’entre eux sont, hélas, déjà morts ! Quant aux survivants, il leur est très difficile de démontrer le lien entre leurs maladies et leur participation à des essais dont on leur avait affirmé jadis qu’ils étaient « sans danger » ou « propres ». Or, nous le savons désormais, ces termes sont tout aussi « impropres » que l’étaient les essais !
Il convient en outre de rappeler que les crédits de paiement de 10 millions d’euros pour l’indemnisation des victimes des essais nucléaires ont été maintenus dans la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation » du projet de loi de finances pour 2014. Dès lors, l’irrecevabilité au titre de l’article 40 de la Constitution qui a frappé notre proposition nous laisse interrogatifs. Au demeurant, à quoi bon inscrire une telle somme si le nombre d’indemnisés reste toujours aussi faible ?
Enfin, s’agissant de l’article 13, qui, dans un premier temps, nous avait seulement rendus perplexes, nous pensons aujourd’hui, vu la polémique qu’il suscite, qu’il n’offre peut-être pas toutes les garanties dans une démocratie telle que nous la concevons et la souhaitons.
M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. Pourtant, je vous ai expliqué ce qu’il en était !
Mme Corinne Bouchoux. Finalement, monsieur le ministre, même si nous avons pu, lors du précédent débat sur l’intervention en République centrafricaine, vous faire part de notre soutien global, sachez que, à une exception près, les sénateurs et sénatrices écologistes ne pourront pas voter ce texte pour les raisons que je viens d’évoquer.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous venons d’avoir un débat sur la situation en République centrafricaine et l’intervention de nos soldats dans ce pays. C’est la démonstration, s’il en était besoin, que notre défense nationale est bien le bras armé de notre diplomatie. C’est l’ultime preuve, s’il en fallait une, que notre armée est la première garantie de notre crédibilité et, à ce titre, le gage de notre siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies.
Hasard du calendrier, la résolution 2127 a été votée la veille du sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique.
En 1994, sur l’initiative du président Mitterrand, se tenait à Biarritz un sommet franco-africain où il était déjà question de forces d’intervention rapide en Afrique.
Qu’en est-il aujourd’hui, près de vingt ans plus tard et quelques heures avant le vote d’une loi de programmation militaire qui nous apparaît d’ailleurs sous-dotée au regard de nos ambitions concrètes sur la scène diplomatique ?
Comme l’ont fait les orateurs précédents, je veux ici saluer le courage et le comportement exemplaires de nos soldats sur différents théâtres d’opérations. Bien sûr, nous partageons tous l’hommage que le président du Sénat a rendu aux deux militaires tombés pour la paix à Bangui.
En tout cas, alors que nous allons avoir à nous prononcer sur ce projet de loi de programmation militaire, la réalité géopolitique nous rattrape et c’est elle qui doit nous guider dans notre vote. La France, par ses valeurs et par son attachement à la paix dans le monde, ne veut et ne peut déroger à ses obligations morales et humanitaires. Or, pour assumer notre rôle sur la scène internationale, il faut que nous ayons les moyens financiers, humains et industriels correspondants. C’est bien à cette équation aux inconnues multiples que doit répondre une loi de programmation militaire.
Certes, vendredi, le Président de la République a déclaré que l’Afrique devait assurer elle-même sa sécurité, mais force est de constater que les premiers, encore et toujours, à être sur place pour protéger les populations civiles, ce sont les soldats français, aux côtés de ceux de l’Union africaine.
Quels qu’aient été les discours prononcés vendredi dernier à l’Élysée – j’y étais – par les présidents Barroso et Van Rompuy, on ne peut que constater l’absence, sur le terrain, de nos alliés européens, qui laissent la France seule en Centrafrique, à quelques jours d’un Conseil européen consacré à la défense.
Une fois de plus, comme lors de l’opération Serval, nos alliés n’engagent pas leurs forces sur cette terre africaine qui ne leur est pourtant pas étrangère, comme le rappelait Jacques Legendre, puisque beaucoup de ces pays ont avec elle des liens historiques et culturels, des liens qui remontent bien plus loin que le passé récent ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe UMP.) Pourtant, nul parmi eux ne remet en cause la légitimité de cette opération pour prévenir crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Je ne reviendrai ni sur la quantité ni sur la qualité des travaux réalisés au sein de notre commission depuis plus d’un an ; elles sont incontestables, et je voudrais à cet égard remercier le président et nos collègues de toute sensibilité, nombreux à être présents cet après-midi, qui se sont engagés sur le dossier. J’observe cependant, pour le regretter, que cette nouvelle loi de programmation militaire ne bénéficiera qu’assez peu de ces travaux, en dépit de nos efforts de concertation qui ont permis au projet de loi amendé d’arriver à l’Assemblée nationale.
Il me semble que ce projet de loi de programmation militaire est de fait, avant même son adoption, déjà dépassé au regard des objectifs visés.
Monsieur le ministre, je sais que, ces derniers jours, vous parcourez les garnisons et les quartiers militaires, vous préoccupant de la vie quotidienne de nos militaires, ce qui est indispensable et urgent eu égard à l’ambiance actuelle ; le compte rendu du Conseil supérieur de la fonction militaire du mois de juin dernier en témoigne.
Pourtant, dans le même temps, le Gouvernement décide de priver le ministère de la défense de plus de 820 millions d’euros sur la fin de gestion de son budget pour 2013, prétendument sanctuarisé. Cette ponction s’impute en quasi-totalité sur les crédits d’équipement, représentant 10 % de ces derniers hors dissuasion, celle-ci étant heureusement sanctuarisée.
Vous nous avez déclaré pouvoir obtenir, si besoin était, des ressources exceptionnelles en 2014 pour compenser ce prélèvement. Mais d’où viendront-elles et comment pourront-elles être utilisées puisque les contraintes d’emploi de telles ressources sont écrasantes ?
Cette loi de programmation militaire n’est-elle donc pas déjà caduque, victime des différents projets de loi de finances initiale et rectificative qui se succèdent ?