M. Yves Détraigne. À mon tour de parler du rapport déjà évoqué par plusieurs de mes collègues et par vous-même, madame la garde des sceaux, que Virginie Klès et moi-même avons présenté en octobre dernier à la commission des lois.
Ce rapport d’information a pour objectif d’améliorer l’accès à la justice pour nos concitoyens malgré la suppression de nombreuses implantations judiciaires résultant de la réforme de la carte judiciaire. Nous avons fait le choix d’adopter une démarche pragmatique consistant principalement à proposer la fusion des juridictions de première instance – en premier lieu les tribunaux d’instance et les tribunaux de grande instance – en un tribunal de première instance unique. Les lieux de justice existant actuellement constitueraient autant de portes d’entrée à cette nouvelle juridiction.
Quel que soit le tribunal du ressort compétent pour s’occuper de son affaire, le justiciable n’aurait à s’adresser qu’à un seul greffe – le plus proche de son domicile – pour s’informer, engager une procédure ou suivre l’avancement de cette dernière. Cette formule de guichet universel de greffe, intéressante pour faciliter l’accès du justiciable à la justice sans procéder à une nouvelle réforme de la carte judiciaire, nécessite toutefois que quelques préalables soient remplis afin d’être mise en œuvre dans les meilleures conditions.
Au-delà du rapprochement des procédures entre les juridictions de premier degré et de la mutualisation des effectifs de greffe du tribunal d’instance, du conseil de prud’hommes et du tribunal de grande instance dans le périmètre du ressort de ce dernier, il est indispensable – si l’on ne veut pas connaître les mêmes difficultés que celles que l’on a rencontrées dans le domaine pénal, avec la mise en œuvre de l’application informatique CASSIOPÉE – de mener à terme le développement de la chaîne civile informatique Portalis. C’est une priorité ! Cette chaîne permettra de connaître en temps réel, quel que soit le guichet de greffe auquel on s’adressera dans le ressort du tribunal de première instance, l’état d’avancement d’une procédure.
Dès lors, pouvez-vous, madame la garde des sceaux, nous dire où en sont le développement et la mise en œuvre de l’application Portalis ?
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avec votre permission, monsieur Détraigne, je répondrai d’un mot à M. Hyest, au sujet de la consultation dont nous avons parlé il y a un instant. Les groupes de travail ne rassembleront pas seulement des magistrats. Des avocats, des policiers, des gendarmes, des préfets, des universitaires y seront aussi.
M. Jean-Jacques Hyest. Bien sûr !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Évidemment, c’est vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qui aurez la main définitive sur la loi. Je sais d’ailleurs la capacité de nos parlementaires à réécrire des textes de loi ; c’est arrivé par le passé. Nous tâcherons toutefois de vous présenter un projet de loi suffisamment solide pour que vous n’ayez pas à le recomposer complètement.
M. Jean-Jacques Hyest. C’est un peu présomptueux !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Détraigne, vos propositions sont extrêmement élaborées. Le cabinet, l’administration et moi-même les avons étudiées attentivement. Sachez que votre rapport, je l’ai indiqué à plusieurs reprises, est versé au dossier de la réforme judiciaire : nous le diffusons déjà très largement, et nous allons continuer à y travailler.
Ces dernières années, des efforts ont été faits sur les applications informatiques, notamment en matière de justice pénale, avec le logiciel CASSIOPÉE. Vous le savez, nous sommes en train de travailler à son interconnexion avec d’autres applications. Nous l’avons déjà réalisée avec la gendarmerie. L’interconnexion avec la police, quant à elle, sera achevée dans le courant de l’année 2014. À ce titre, nous venons de signer une convention avec le préfet de police, qui nous permettra de mener une expérimentation dans le XIe arrondissement de Paris.
Nous allons continuer à étendre CASSIOPÉE aux cours d’appel, à la justice spécialisée, notamment à l’instruction et aux tribunaux pour enfants.
Le coût de cette application est de 60 millions d’euros et pour la plateforme nationale des interceptions judiciaires, la somme est de 36 millions d’euros. Pour Portalis, nous avons prévu 41 millions d’euros. Reste que nous rencontrons une vraie difficulté en matière d’application dans le domaine de la justice civile, notamment pour connecter l’ensemble du territoire. Quelques procédés sont utilisés – la « citrixification », un procédé web ou encore le dispositif contact visio justice –, mais ce n’est pas satisfaisant. Il nous faut une application qui puisse mailler l’ensemble du territoire.
Nous pensons que nous devrions être en mesure de commencer à appliquer Portalis dans quatre ans environ. Il faut savoir que sa mise en place s’étalera dans le temps et qu’elle sera coûteuse, mais ce sera une priorité du prochain budget triennal.
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, pour la réplique.
Je vous prie d’être bref, mon cher collègue.
M. Ladislas Poniatowski. Si la ministre répond à la réplique du parlementaire, c’est normal qu’on déborde !
M. Yves Détraigne. Madame la garde des sceaux, je vous remercie de cette explication, qui ne me rassure cependant pas complètement.
La réussite de la réforme de la justice de proximité et de la justice de première instance passe par un outil informatique efficace. Au moment où va être lancée la réflexion sur l’organisation de la justice du XXIe siècle, n’oublions pas de rappeler que les crédits doivent suivre, même si je sais que c’est compliqué aujourd’hui.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il faut également prendre en compte le temps du développement !
M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach. Depuis trente ans, les gouvernements successifs, de gauche comme de droite, ont permis à la France d’acquérir un dispositif solide en matière de droit des victimes. Il convient d’ailleurs sur ce point de rendre hommage à l’un de nos anciens et éminents collègues, grand artisan de ce dispositif quand il fut garde des sceaux : Robert Badinter.
On peut le dire, la France est un bon élève de la classe en Europe. Néanmoins, la pratique se révèle plus mitigée que la théorie. En effet, à l’heure actuelle, force est de constater que des faiblesses entravent encore l’accès à la justice et le droit des victimes.
Ces faiblesses sont d’abord liées à la complexité des dispositifs existants. La victime peut en effet connaître des difficultés dans ses démarches de constitution de partie civile.
Il convient ensuite de souligner un manque d’information. La remise d’un simple formulaire, souvent rédigé en des termes peu accessibles, ne saurait être une réponse parfaitement adaptée aux attentes des victimes, déjà fragilisées.
Par ailleurs, l’accompagnement de la victime doit être renforcé. Les bureaux d’aide aux victimes ont besoin de moyens supplémentaires, aussi bien financiers qu’humains. Je pense notamment aux greffiers, indispensables pour que ces bureaux fonctionnent correctement.
Enfin, ces dernières années, les associations d’aide aux victimes ont dû faire face à une baisse de leurs subventions. Je le regrette ! Pour conforter leur rôle essentiel dans l’accompagnement des victimes, un soutien plus important doit leur être alloué et leurs subventions doivent être pérennisées, voire sanctuarisées.
Au-delà de l’accès à la justice, il faut, à mon sens, en finir avec une indemnisation inégalitaire des victimes. L’absence de référentiel indicatif commun à l’échelle nationale a pour conséquence une forte variation de l’indemnisation des victimes.
M. le président. Veuillez poser votre question, mon cher collègue.
M. Roger Karoutchi. Il n’y a pas de question !
M. Philippe Kaltenbach. Avec le sénateur Christophe Béchu, nous avons rédigé un rapport visant à améliorer le dispositif d’indemnisation des victimes, que nous allons vous remettre dans les prochains jours, madame la garde des sceaux.
Aussi, je souhaiterais profiter de l’occasion qui m’est donnée pour vous interroger sur les mesures que vous comptez prendre afin que la condition de la victime soit mieux appréhendée, à chaque stade du procès pénal.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Kaltenbach, je devais vous recevoir pour la remise du rapport que vous avez rédigé avec M. Christophe Béchu, mais une contrainte d’agenda m’a obligée à reporter notre rendez-vous. Cependant, une autre date a été fixée. J’ai évidemment commencé à lire ce rapport, et j’ai noté la trentaine de propositions que vous y faites.
Vous savez à quel point le Gouvernement est fortement engagé aux côtés des victimes, même s’il a décidé de façon délibérée et résolue de ne pas les instrumentaliser et de ne pas faire de tapage autour des actions qu’il conduit. Dès la première loi de finances du quinquennat, nous avons augmenté le budget de l’aide aux victimes de 25,8 %, alors qu’il ne cessait de baisser depuis 2010. Pour l’année 2014, il a encore été augmenté de près de 8 %. Nous avons également ouvert – je m’y étais engagée devant vous – des bureaux d’aide aux victimes dans tous les tribunaux de grande instance, soit une centaine en une année, contre une cinquantaine seulement au cours des trois années précédentes.
Nous mobilisons aussi les associations, à qui nous exprimons toute notre gratitude pour leur travail.
Vous le savez, dès le mois de juin 2013, j’ai demandé à l’Inspection générale des services judiciaires de procéder à une évaluation de ces bureaux d’aide aux victimes, de façon à ajuster la prise en compte de leurs besoins. Nous avons déjà commencé à mettre en place un certain nombre de préconisations, comme le renforcement de la dotation pour le premier équipement, l’inclusion des bureaux dans l’agenda de la juridiction ou le développement de permanences le soir et le week-end. Vous le voyez, nous essayons d’apporter un service actif aux victimes.
Mais nous allons beaucoup plus loin encore. En effet, avant même la transposition de la directive Victimes d’octobre 2012, pour laquelle le délai court jusqu’en novembre 2015, j’ai décidé de lancer une expérimentation sur le suivi individualisé des victimes. Parmi les préconisations faites dans votre rapport, monsieur le sénateur, figure l’instauration d’un barème unique visant à harmoniser la réponse à apporter aux victimes. Si je souhaite que le principe de l’individualisation soit maintenu, j’ai conscience qu’il est nécessaire de disposer de référentiels valables sur l’ensemble du territoire.
M. le président. Merci, madame la garde des sceaux !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Par conséquent, nous allons rassembler ces éléments pour que les juridictions puissent en disposer.
M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour la réplique.
M. Philippe Kaltenbach. Je vous remercie de votre réponse, madame la garde des sceaux.
Il est important de conjuguer responsabilisation de l’auteur de l’infraction et protection de la victime. Celle-ci a en effet besoin de la même attention que celle accordée à l’auteur de l’infraction. Cela relève d’un souci de justice et d’équité. Je sais que c’est l’une de vos principales préoccupations, et nous vous faisons pleinement confiance pour mener à bien les réformes nécessaires en la matière.
M. le président. La parole est à M. Albéric de Montgolfier. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Albéric de Montgolfier. Madame la garde des sceaux, votre politique manque parfois de visibilité. Je pense en particulier à votre politique pénale. Ma question porte néanmoins sur un autre point, qui, lui aussi, demande à être éclairci : je veux parler de l’aide juridictionnelle.
Ne souhaitant pas mettre le Gouvernement dans l’embarras, vous avez décidé de reporter la réforme de l’aide juridictionnelle après 2014, peut-être en 2015. Sur le fond, je le dis clairement, nous ne pouvons qu’approuver ce recul du Gouvernement. Cette réforme aurait mis en difficulté les avocats, qui font preuve d’un véritable sens civique en travaillant pour des sommes modestes au bénéfice des plus démunis. Elle aurait également mis en difficulté les justiciables, en réduisant l’offre de services du fait des difficultés qu’auraient éprouvées les cabinets à la suite de la baisse des moyens mis à leur disposition pour remplir cette mission.
Malgré cette reculade, la question du financement demeure d’actualité. Le projet de loi de finances pour 2014 prévoit en effet une baisse des crédits consacrés à l’aide juridictionnelle de l’ordre de 32 millions d’euros, ce qui met à mal le principe même de cette aide. Vous êtes d’ailleurs restée assez floue à ce sujet. J’en veux pour preuve les propos que vous avez tenus lors de l’assemblée générale extraordinaire du Conseil national des barreaux. En effet, vous avez indiqué aux avocats : « Explorons jusqu’au bout chaque piste. À charge pour vous de la récuser. »
Pour notre part, nous ne pouvons accepter que la ministre chargée de ce sujet demande aux acteurs du secteur, ici les avocats, d’assumer ce non-choix. Ma question est donc très simple : faut-il encore compter sur de nouvelles taxes pour financer la refonte de l’aide juridictionnelle ? En tous les cas, pouvez-vous nous éclairer sur vos intentions en la matière, ainsi que sur les pistes que vous envisagez pour la réforme de cette aide après 2014, année de l’impasse budgétaire ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Christian Cambon. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Trois procès en deux minutes, bel exploit, monsieur le sénateur !
Vous avez parlé du flou entourant notre politique pénale,…
M. Albéric de Montgolfier. Ma question porte sur l’aide juridictionnelle !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … mais c’est une pratique à laquelle je me suis fortement habituée depuis dix-huit mois.
Je vais répondre à votre question sur l’aide juridictionnelle. Il vous va bien de saluer l’engagement des avocats, alors que vous n’avez pas revalorisé d’un centime d’euro l’unité de valeur durant tout le précédent quinquennat ! (M. Stéphane Mazars applaudit.)
M. Philippe Kaltenbach. Ils avaient oublié !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cependant, vous avez eu raison de leur rendre hommage, car ceux qui pratiquent l’aide juridictionnelle font preuve d’un réel engagement civique.
Parmi les six rapports publiés sur le sujet depuis une dizaine d’années, figure le rapport du sénateur du Luart, qui s’intitule L’Aide juridictionnelle : réformer un système à bout de souffle. Il date de 2007 ! Or, en cinq ans, vous n’avez pas trouvé le temps de réformer l’aide juridictionnelle !
Si vous êtes étonné que je parle aux avocats, que je mette des propositions sur la table et que je suggère à la profession d’explorer ces pistes avant de les récuser, c’est parce qu’il y a une grande différence de méthode entre ce que vous faisiez et ce que nous faisons.
M. Ladislas Poniatowski. Et qu’est-ce que vous faites ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous, nous ne réformons pas à l’encontre des professions, nous réformons avec elles ! Nous les respectons, nous discutons des différentes pistes possibles, nous nous concertons, nous les consultons, afin d’aboutir à une bonne réforme.
En plus de dix ans, aucun gouvernement n’a eu le courage de réformer l’aide juridictionnelle, qui s’en est trouvée fragilisée. Avec notre action, nous allons pérenniser le financement de l’aide juridictionnelle, qui est une question de solidarité vis-à-vis des justiciables les plus vulnérables.
M. Albéric de Montgolfier. Nous sommes d’accord !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pour y avoir droit, un justiciable doit même être en dessous du seuil de pauvreté. Nous allons donc consolider cette politique de solidarité.
M. Jean-Claude Frécon. Très bien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous le savez, j’ai chargé M. Carre-Pierrat d’une mission, ce qui nous permettra de continuer à discuter avec les professionnels, afin d’aboutir à une proposition de financement de l’aide juridictionnelle avant le prochain budget.
M. le président. Veuillez conclure, madame la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je note par ailleurs que vous n’avez pas dit un quart de mot du timbre de 35 euros, que vous aviez instauré. Il constituait une véritable entrave à l’accès au juge et il a pénalisé des justiciables vulnérables.
M. Philippe Kaltenbach. C’est vrai !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous avons dû abonder le budget de la justice de 60 millions d’euros pour financer sa suppression. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Albéric de Montgolfier, pour la réplique.
M. Albéric de Montgolfier. Je remercie Mme la garde des sceaux de manifester son attachement à l’aide juridictionnelle, mais le problème est de nature budgétaire.
À seize heures, je vais participer à l’Assemblée nationale à la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances, qui va sans doute échouer. À cette occasion, nous pourrons constater une baisse de 32 millions d’euros des crédits consacrés à l’aide juridictionnelle.
M. Ladislas Poniatowski. Voilà !
M. Albéric de Montgolfier. Quant aux pistes envisagées, le débat reste ouvert. En tout cas, nous serons extrêmement vigilants.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Madame la garde des sceaux, en prolongement de la journée internationale du 25 novembre, je souhaite vous redire ma préoccupation au sujet des violences à l’égard des filles et des femmes de notre pays. Je connais votre engagement et celui de Mme la ministre des droits des femmes sur le sujet.
J’aimerais rappeler quelques chiffres, hélas d’actualité !
Les victimes de violences sexuelles sont à 80 % des femmes et 50 % de ces actes sont commis sur des filles de moins de quinze ans. Le nombre de viols de mineurs et de majeurs est estimé à 190 000 par an en France.
Les viols sont majoritairement le fait d’hommes ou de garçons proches de la victime. De ce fait, ils sont très peu dénoncés auprès de la justice, car les victimes sont sous emprise et prisonnières de la peur. La loi du silence protège les auteurs : le nombre de plaintes est faible, et les condamnations sont rarissimes. Moins de 2 % des viols font l’objet d’une condamnation.
Une femme sur dix vivant en couple est victime de violences conjugales. En 2012, 166 femmes et 31 hommes ont été tués par leur compagne, leur compagnon, leur ex-compagne ou leur ex-compagnon et 25 enfants sont morts du fait de violences familiales. Cette situation est un véritable fléau qui ternit notre société. Il n’y a aucune fatalité à de tels comportements. Ce n’est qu’une question d’habitude et d’éducation, nous le savons bien.
La justice, par les vertus pédagogiques de la sanction, a un rôle important à jouer en la matière, à condition de cesser d’apparaître aux yeux des victimes et des associations qui les accompagnent comme une justice aléatoire, optionnelle, voire inégalitaire.
Madame la garde des sceaux, je souhaiterais savoir quelles mesures vous avez prévu pour garantir l’application des textes existants en la matière et permettre que les délais d’application soient mieux adaptés aux besoins des victimes.
Par ailleurs, quelles dispositions comptez-vous prendre concernant l’application effective de la convention d’Istanbul, texte de référence en matière de prise en charge des victimes de violences et de lutte contre les violences à l’égard des femmes ?
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, pour deux minutes.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je vais essayer, monsieur le président. (Sourires.)
Madame Meunier, je connais votre engagement et celui de plusieurs sénatrices et sénateurs sur le sujet. Il s’agit d’un véritable drame. En effet, si les femmes sont victimes de violences conjugales, les enfants en sont témoins, quand ils ne sont pas eux-mêmes victimes de violences familiales. Notre politique est donc résolument tournée vers l’accompagnement et la protection des victimes.
Ainsi, j’ai décidé de réunir deux fois par an le Conseil national de l’aide aux victimes, qui travaille sur les violences faites aux femmes. Il n’avait pas été réuni depuis l’année 2010.
M. Philippe Kaltenbach. Il était utile de le rappeler !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous le modernisons, nous en modifions la composition et nous le réunissons régulièrement.
Le ministère de la justice est également partie prenante du quatrième plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes.
Nous travaillons en outre sur cette question dans le cadre du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous étendons par exemple la durée de l’ordonnance de protection et nous permettons son renouvellement ; nous généralisons le téléphone « grand danger » – je suis en train de lancer le marché national –, ce qui permettra aux femmes d’être protégées sur l’ensemble du territoire.
Avec des structures départementales qui déclinent la politique nationale, nous travaillons sur l’éviction du conjoint violent, ainsi que sur des stages de sensibilisation pour éviter la réitération.
Avec Mme la ministre des droits des femmes et M. le ministre de l’intérieur, nous mettons l’accent sur le traitement des mains courantes. J’ai d’ailleurs lancé une formation pour les magistrats, les policiers, les gendarmes, les personnels des services sociaux, afin d’améliorer le recueil des plaintes, l’accompagnement et l’écoute. Je publierai bientôt une circulaire pour appeler les parquets à mieux prendre en compte ce type de violences.
Vous savez que nous avons récemment transposé la convention d’Istanbul dans le droit français. Nous avons donc introduit les dispositions de protection des femmes victimes de violences, notamment conjugales, dans notre code pénal.
M. le président. Il faut conclure, madame la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La correctionnalisation des viols est à la fois scandaleuse et trop fréquente, même si elle s’effectue avec l’approbation de la victime. J’ai donc lancé une évaluation pour connaître les conditions effectives dans lesquelles cette correctionnalisation d’un crime se produit dans notre pays.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour la réplique.
Je vous invite à faire preuve de concision, ma chère collègue.
Mme Michelle Meunier. Je remercie Mme la garde des sceaux d’ouvrir tous ces chantiers. Il faudra évaluer l’application des différents dispositifs sur le terrain, à l’échelle du département.
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Christian Cambon. Dans ses nombreuses promesses électorales, le candidat François Hollande s’était notamment engagé à faciliter l’accès pour tous à la justice de proximité. Or, comme cela a été souligné tout au long de la séance, la justice de proximité marche mal.
Mme Cécile Cukierman. Et pourquoi elle marche mal ?
M. Christian Cambon. Elle est compliquée, lente et coûteuse ; elle ne contribue pas à la bonne image de ce service public. Néanmoins, c’est cette justice que les Français vivent au quotidien. En effet, par chance, tous ne sont pas délinquants ou criminels.
Mme Cécile Cukierman. La justice, c’est également pour les victimes, monsieur Cambon !
M. Christian Cambon. Deux jugements sur trois concernent les actes et les événements simples, quoique souvent dramatiques, qui frappent les Français dans leur vie de tous les jours et pour lesquels ils sollicitent l’aide de la justice : divorce, licenciement, surendettement, conflits familiaux ou conflits de voisinage qui engorgent les tribunaux.
Le constat, nous, les élus, l’entendons de la bouche de nos concitoyens. Les procédures sont bien trop complexes, le coût de la justice est trop élevé et les délais pour obtenir une décision de justice sont trop longs.
Certes, l’image négative de la justice résulte parfois de l’incompréhension de certaines peines prononcées, dans un temps où l’opinion réclame plus de sévérité, mais elle tient tout autant à la difficulté pour le justiciable d’obtenir justice dans ces conflits du quotidien. Or il semble que, depuis votre arrivée à la Chancellerie, vous ayez consacré beaucoup d’énergie à faire adopter des réformes sociétales dont la nécessité immédiate ne sautait pas aux yeux.
M. Philippe Kaltenbach. Quelle mauvaise foi !
M. Christian Cambon. Vous vous lancez aujourd’hui dans une réforme de la justice pénale qui risque encore d’aggraver le divorce entre l’opinion publique et l’institution judiciaire. Ne serait-il pas légitime, avant de vouloir diminuer le nombre de détenus en prison, d’apporter des réponses concrètes à cette justice de proximité, à cette justice de tous les jours ?
Mme Cécile Cukierman. Quand on s’occupe d’un divorce, on n’envoie pas les gens en prison !
M. Christian Cambon. Madame la garde des sceaux, pouvez-vous nous apporter votre éclairage sur les réflexions en cours ? Surtout, quels sont vos projets et quels moyens comptez-vous mobiliser pour que la justice de notre pays devienne enfin accessible, compréhensible et plus efficace pour le quotidien ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
Mme Cécile Cukierman. La justice de proximité, c’est pour la justice civile ! Et le discours sécuritaire, ça ne marche pas pour la justice civile !
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, je trouve deux grandes vertus à votre question.
La première est de souligner l’importance de la justice civile. Comme je le rappelle à longueur de temps, la justice civile concerne 70 % de l’activité de l’institution judiciaire. C’est la justice du quotidien, celle qui répond aux problèmes d’endettement, d’expulsion de logement, celle de la justice familiale.
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Elle concerne toute une série de problèmes discrets, mais essentiels pour les justiciables.
La deuxième vertu de votre question est de dresser le bilan du gouvernement du précédent quinquennat. (Sourires sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Vous avez montré les conséquences d’outils que nous connaissons parfaitement : la révision générale des politiques publiques, ou RGPP, la réforme de la carte judiciaire, qui a créé des déserts judiciaires et abouti à la suppression de 80 postes de magistrats, le non-remplacement d’un départ sur deux à la retraite…
Depuis l’an dernier, le Gouvernement a effectivement rompu avec une telle politique. Les crédits de la justice ont augmenté de 4,3 % l’année dernière et de 1,7 % cette année.
M. Alain Gournac. Ça ne marche pas mieux !
M. Jean-Jacques Hyest. La RGPP ne s’appliquait pas à la justice !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Et nous créons des emplois : 590 en 2014 !
Nous travaillons pour améliorer la situation que vous nous avez laissée. Votre héritage, ce sont non seulement les déserts judiciaires, mais également la multiplication des contraintes, fonctions et obligations qui ont abouti à l’engorgement de nos juridictions, avec pour conséquence principale l’allongement des délais, donc la pénalisation des justiciables !
Nous sommes en train de réparer tout cela. J’espère que vous aurez à vous en réjouir très bientôt. Il suffit simplement d’accepter les réalités, les données, les informations, au lieu de nous faire des procès.
Vous discutez toujours de choses que vous croyez être. Je vous propose simplement de débattre ensemble – je crois que c’est un peu la culture de cette maison – des réalités. Le travail que mène le Gouvernement depuis un an et demi permet d’améliorer la justice, notamment s’agissant des paramètres mesurables, comme les délais. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon, pour la réplique.
M. Christian Cambon. Madame la garde des sceaux, je vous ai interrogée respectueusement pour vous donner l’occasion de présenter vos projets. Or, comme de coutume avec ce gouvernement, vous nous répondez « héritage ». Mais si les Français vont ont élus, ce n’est pas pour parler du passé,…