Mme Nathalie Goulet. Cet amendement tend à réparer un léger trou dans la raquette. Il trouve parfaitement sa place dans le présent projet de loi de finances, qui, nous dit-on depuis le début de son examen, vise à apporter plus de justice sociale.
D’après mes recherches, environ 350 organismes internationaux sont soumis à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961, dont les articles 34 et 38 exonèrent totalement les fonctionnaires internationaux d’impôt sur le revenu. Il y va ainsi du directeur général du Fonds monétaire international, des fonctionnaires de l’ONU, de l’UNESCO, de l’OCDE, du Bureau international du travail, de l’OMS ou de la Banque mondiale. En cette période de difficultés économiques, alors que tous les États ont des efforts à faire, une telle exonération est extrêmement choquante.
La Délégation des fonctionnaires internationaux, qui est rattachée au Quai d’Orsay, n’a pas de chiffres exacts sur le nombre de fonctionnaires français travaillant dans les organisations internationales. Or les Français qui travaillent dans de telles organisations ou qui sont fonctionnaires européens sont exonérés d’impôt sur le revenu, comme d’ailleurs les autres fonctionnaires internationaux.
La France a été pionnière sur la taxe internationale sur les transactions financières, sur la taxe sur les billets d’avion ou sur la séparation des activités bancaires et spéculatives. C’est la preuve que notre pays est capable d’innover en matière de fiscalité.
Cet amendement tend à instaurer une fiscalisation des fonctionnaires internationaux. D’aucuns me répondront sans doute que la mise en œuvre d’une telle solution est compliquée en raison des conventions internationales. J’ai donc consulté le texte de la convention de Vienne.
Aux termes de l’article 34, l’agent diplomatique est « exempt de tous impôts et taxes, personnels ou réels, nationaux, régionaux et communaux », à l’exception des « droits de succession », ce qui est bien normal, des « impôts et taxes perçus en rémunération de services particuliers rendues » et des « droits d’enregistrement, de greffe, d’hypothèque et de timbre ».
L’article 38 envisage l’éligibilité à l’imposition nationale de fonctionnaires ressortissant d’un pays qui serait en outre l’État où siège une organisation internationale, comme c’est le cas de l’Italie pour la FAO ou de la France pour l’UNESCO. Et si des États imposent leurs fonctionnaires qui travaillent à l’ONU, l’organisation rembourse le montant de l’impôt versé !
Vous le voyez, monsieur le ministre, la marge de progression est extrêmement importante. Je crois que 20 000 personnes sont concernées pour la France. Il convient d’ajouter à ce chiffre les fonctionnaires européens.
L’idée est que le Sénat montre aujourd'hui l’exemple en fiscalisant les fonctionnaires français travaillant dans les organisations internationales. Ma demande d’aujourd'hui concerne évidemment les fonctionnaires français, mais vous pourrez ensuite porter cette mesure au niveau européen, pour que nos partenaires instaurent également une telle contribution de solidarité pour leurs fonctionnaires, avant d’étendre le dispositif à d’autres pays membres de l’ONU.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. L’idée est bonne !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. La commission des finances a bien conscience que Nathalie Goulet soulève, comme souvent, un problème particulièrement intéressant.
En vertu des articles 34 et 38 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, qui date de 1961, les fonctionnaires internationaux sont notamment exonérés d’impôt sur le revenu. L’amendement de Mme Goulet vise donc à soumettre à une imposition de 10 % de leur revenu les fonctionnaires internationaux, qui ne sont aujourd’hui pas assujettis à l’impôt sur le revenu. Notre collègue demande également la remise d’un rapport sur le sujet.
La commission des finances considère que la question est importante, mais qu’elle pourrait difficilement être traitée dans le cadre d’un tel amendement. Certes, c’est un amendement d’appel, mais, en l’état, la solution proposée n’est, semble-t-il, pas compatible avec nos conventions internationales. Néanmoins, le sujet doit certainement pouvoir être approfondi.
Par ailleurs, je ne suis pas certain qu’un rapport formel soit nécessaire. Le Gouvernement peut sans doute d’ores et déjà nous communiquer les éléments dont il dispose.
Compte tenu des difficultés juridiques que l’adoption de cet amendement poserait, j’en suggère le retrait. Cependant, il est important que nous ayons un tel débat et que le Gouvernement puisse nous donner toutes indications utiles sur cette problématique particulièrement délicate.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Madame la sénatrice, vous proposez l’instauration d’une contribution de solidarité sur le revenu fixée à 10 % du revenu pour tous les fonctionnaires internationaux qui ne sont pas assujettis à l’impôt sur le revenu en France. Vous demandez en outre que soit remise au Parlement avant le 1er juin 2014 la liste complète des fonctionnaires internationaux de nationalité française.
Je comprends bien entendu votre préoccupation de voir tous nos concitoyens, y compris ceux qui représentent les intérêts de la France au sein des grandes organisations, participer à l’effort de redressement de nos finances publiques. Pour autant, comme vous le relevez vous-même, une telle proposition se heurte à un obstacle juridique majeur. Les avantages fiscaux, comme les autres immunités dont ils bénéficient, sont accordés aux fonctionnaires des organismes internationaux dans le cadre de traités internationaux dûment ratifiés par la France. Il n’est donc pas possible d’y revenir sans contrevenir à ces traités et à l’article 53 de la Constitution.
Cette impossibilité juridique étant rappelée, je voudrais apporter trois précisions de nature à relativiser ce qui pourrait être considéré comme une situation choquante dans le contexte que nous connaissons.
Premièrement, les exonérations fiscales dont bénéficient les organisations internationales et leurs fonctionnaires ont pour objectif non pas de constituer une catégorie de personnes privilégiées, mais de garantir l’indépendance de l’organisation de ces personnels vis-à-vis de l’État hôte ou des États membres et d’éviter que l’État ne capte via l’impôt une partie des contributions financières que les autres États membres consacrent au financement de l’organisation.
Deuxièmement, vous n’ignorez pas que la plupart des organisations internationales prélèvent sur les rémunérations versées à leurs agents un impôt interne dont le montant peut, pour certaines, être tout à fait comparable au montant de l’impôt sur le revenu qui aurait été perçu en l’absence d’exonération.
Enfin, si le Gouvernement veille à préserver l’attractivité de la France et des fonctionnaires français pour les organisations internationales, il considère, aussi bien lors des négociations d’accords internationaux que pour leur application, que les avantages consentis sont dérogatoires au droit commun et doivent faire l’objet d’une interprétation stricte. Cela suppose de demeurer ferme sur certains principes, en particulier sur l’application du taux effectif aux rémunérations des fonctionnaires internationaux résidant en France ou encore sur l’exclusion du bénéfice de l’exonération d’impôt sur le revenu pour les fonctionnaires français ou résidents permanents en France employés par les organisations internationales qui y ont leur siège.
Les préoccupations légitimes que vous exprimez au travers de cet amendement sont dans une très large mesure déjà prises en compte. Je vous suggère donc de le retirer.
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Avant de revenir au Sénat, j’ai été pendant un peu plus de deux ans le représentant de la France auprès de l’OCDE, à Paris. Je rassure tout de suite Mme Goulet : je ne bénéficiais à ce titre d’absolument aucun privilège fiscal.
Je comprends le sens de cet amendement, mais – le ministre a d’ailleurs bien mis l’accent sur la difficulté – il me laisse un petit goût d’amertume. Pendant deux ans et demi, sous la pression des ministères, j’ai été obsédé par la difficulté à faire entrer suffisamment de Français à l’OCDE. Les raisons en sont diverses. D’abord, soyons francs, les organisations internationales demandent à l’heure actuelle aux candidats de maîtriser au moins deux ou trois langues.
Mme Nathalie Goulet. C’est tout à fait normal !
M. Roger Karoutchi. Certes, mais malheureusement les Français sont plus rarement trilingues ou quadrilingues que les Allemands, les Anglo-Saxons, ou d’autres.
Ensuite, les organisations internationales sont beaucoup plus intéressées par les personnes ayant beaucoup travaillé soit dans des sociétés, soit dans des organismes financiers à travers le monde. Même si beaucoup de Français partent aujourd'hui faire carrière à l’étranger, ils sont, en proportion, moins nombreux que les Anglo-Saxons. Résultat des courses, je me battais avec le secrétaire général de l’OCDE, car, dix ans auparavant, 40 % des cadres A de l’OCDE étaient Français, contre 20 % aujourd'hui. À cette allure, ils ne seront bientôt plus que 10 %.
Je suis désolé d’avoir à vous le dire, madame Goulet, je me souciais davantage de faire recruter des Français que de la façon dont ils étaient fiscalisés. Ne vous faites aucune illusion, c’est pareil à la Commission européenne comme dans toutes les organisations internationales : les Français ne s’y investissent pas assez. Ils ne sont pas suffisamment présents, ce qui nous fait perdre beaucoup d’influence dans les organisations internationales. Les fonctionnaires ne sont pas seuls en cause. Il y va de même pour tous les recrutements dans ces instances, qui se font généralement au détriment des Français.
Pour le reste, je suis d’accord. Quand j’ai pris connaissance, à mon arrivée à l’OCDE, du niveau de salaire des fonctionnaires internationaux, j’en suis resté, comment dirais-je...
M. Yves Pozzo di Borgo. Baba !
M. Yvon Collin. Pantois !
M. Gérard Longuet. Admiratif !
M. Roger Karoutchi. Voilà, admiratif ! Pas jaloux, mais pas loin !
M. Gérard Longuet. Envieux !
M. Roger Karoutchi. C’est le mot ! Quoi qu’il en soit, comment fiscaliser ces salaires ? Une convention a été passée entre l’OCDE et l’État français : soit vous fiscalisez tout le monde, soit vous ne fiscalisez personne, mais vous ne pouvez pas imposer seulement les Français. Le problème ne se pose même pas au niveau européen, il se pose au niveau mondial puisque l’OCDE compte parmi ses membres trente-quatre pays. Il faudrait donc que ces trente-quatre pays acceptent une modification de la convention.
Je comprends votre idée, madame Goulet, mais je ne vois pas comment l’appliquer, d’autant que le niveau interne de prélèvements des fonctionnaires internationaux, ou autres, à l’OCDE, de mémoire est de 20 %. Certes, c’est beaucoup moins que s’ils étaient imposés sur le revenu, mais ce n’est pas rien non plus.
En revanche, monsieur le ministre, je me souviens d’un problème qui n’est toujours pas réglé pour les fonctionnaires internationaux en poste à Paris, celui des cotisations de sécurité sociale et de retraite. Tous les ans cette difficulté est un élément supplémentaire de conflit entre les organisations internationales et Paris. Ne pourrions-nous pas la régler en demandant à l’OCDE, par exemple, d’accepter que l’on relève la cotisation ou la contribution volontaire de l’ensemble des fonctionnaires internationaux ?
En tout état de cause, il me paraît très difficile de voter une mesure qui ne concernerait que les Français. Votre proposition, madame Goulet, ne pourrait être mise en œuvre que si toutes les nations représentées dans l’organisation sont d’accord pour l’adopter.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Madame Goulet, vous soulevez toujours des sujets intéressants. Vous aviez déjà évoqué les ambassadeurs thématiques, sans grand succès d’ailleurs.
Mme Nathalie Goulet. Oui, il y en a de nouveaux !
M. Richard Yung. Tout à fait, il y en a de plus en plus ! Preuve que l’avis du Parlement est moyennement pris en compte par le Gouvernement.
Je suis d’accord avec Roger Karoutchi quand il parle des grilles de rémunération. Cela dit, ma chère collègue, je crains que vous ne partiez en guerre contre des moulins à vent. À mon avis, il n’y a aucune chance pour que cette affaire prospère, notamment en raison du problème des conventions.
Ce n’est pas tant la convention de Vienne qui est problématique, c’est surtout qu’il existe une convention spécifique pour chaque organisation. Il faudra donc renégocier entre 180 et 200 conventions internationales, et tous les pays concernés doivent donner leur accord. Aucune chance de succès ! Abandonnez cette idée.
Par ailleurs, ce qu’ont dit M. Karoutchi et M. le ministre est parfaitement exact : il existe déjà une sorte d’impôt interne. La grille de salaire dont vous parlez est une grille nette sur laquelle un certain pourcentage – peut-être de l’ordre de 20 %, mais il varie d’une organisation à une autre – est théoriquement prélevé. Dans certains cas, ces sommes retournent à l’État. C’est ce qui se produit aux États-Unis, par exemple, où il existe un impôt sur le revenu mondial, y compris pour les fonctionnaires internationaux. Votre proposition de fiscalisation devra tenir compte de cet impôt interne : avec une contribution de solidarité à 10 %, vous passez l’imposition totale à 30 %, ce qui posera des difficultés encore plus grandes.
Pour finir, vous ne pouvez pas traiter les Français différemment des autres nationalités. Selon moi, cette idée ne sera franchement pas amenée à prospérer.
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour explication de vote.
M. Yves Pozzo di Borgo. Ma génération n’a pas connu la crise de l’emploi. Il n’y avait pas de chômage et une simple licence, acquise en trois ou quatre ans, nous ouvrait toutes les possibilités. La situation de l’emploi était plus qu’euphorique. Dans ces circonstances, on trouvait normal que ceux qui partaient à l’étranger, alors qu’on se trouvait si bien en France, ne paient pas d’impôts : ils partaient loin, à Bruxelles ou ailleurs. Je force un peu le trait, mais je ne suis pas très loin de l’état d’esprit qui régnait à l’époque parmi les étudiants.
Monsieur le ministre, en vous écoutant parler, j’ai cru voir l’équipe de hauts fonctionnaires internationaux qui a rédigé les trois arguments que vous avez cités, en bon ministre, en reprenant les articles de la convention internationale…
Dans le même temps, je suis très sensible aux arguments de Roger Karoutchi : nos hauts fonctionnaires sont aussi nos missionnaires. Évidemment, nul doute, ils n’ont pas fait vœu de pauvreté. Nous sommes néanmoins très fiers que des fonctionnaires français occupent des postes importants à la Banque mondiale ou à la Commission européenne.
En revanche, je ne suis pas d’accord avec mon collègue Yung. La crise mondiale, la pression fiscale, la diminution du pouvoir d’achat, le chômage sont devenus des problèmes européens, voire mondiaux. Automatiquement, les gens s’interrogent sur les salaires des fonctionnaires, notamment des fonctionnaires internationaux, qui sont des acteurs importants dans la résolution des crises et l’élaboration des solutions à mettre en œuvre. Le problème soulevé par Mme Goulet n’est donc pas un problème français. En tant que membre de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’OSCE, et du Conseil de l’Europe, je voyage beaucoup, et je suis étonné de constater que cette question agite de nombreuses opinions publiques.
Je ne crois pas, monsieur Yung, que vous puissiez rayer d’un trait de plume ce problème important. Il touche à l’exemplarité des hauts fonctionnaires. Certes, ces derniers méritent notre protection, parce qu’ils sont envoyés dans le monde entier, mais il me semble qu’un signe à la fois français, mais aussi européen, serait le bienvenu.
Je le dis au ministre des affaires européennes ou au ministre des affaires étrangères : il serait bon que la France donne le signal. Il est grand temps que les hauts fonctionnaires internationaux, qui n’ont pas vraiment prononcé le vœu de pauvreté, même s’il s’agit de missionnaires, se sentent un peu concernés par la pression fiscale que l’ensemble des habitants de l’Europe et au-delà supportent. Cet argument est important.
Si Mme Goulet maintient son amendement, je le voterai dans une logique d’appel. Il n’est pas juste de dire, comme l’a fait M. Yung, que nous nous battons contre des moulins à vent. C’est un amendement important pour l’action politique du monde, notamment en direction des activités internationales qui prennent de plus en plus d’ampleur.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Je souhaite que Mme Goulet maintienne son amendement, même si je suis très sensible aux arguments de Roger Karoutchi et aux observations de bon sens de M. le ministre. L’affaire est difficile, et l’amendement n’épuise pas le sujet, tant s’en faut !
Pour autant, doit-on renoncer à soulever la question ? La réponse est non ! Nous sommes obligés de nous interroger sur le statut des fonctionnaires internationaux, et ce pour deux bonnes raisons.
Premièrement, les organismes internationaux jouent un rôle croissant : nous souhaitons tous un monde organisé, pacifié, où les échanges sont fluides et où des normes mondiales, acceptées par chacun, fixent les comportements respectifs des nations. Par conséquent, les fonctionnaires internationaux, en particulier les plus compétents et les plus qualifiés d’entre eux, seront de plus en plus nombreux à l’avenir. Il est donc indispensable de s’efforcer d’ouvrir le dossier et de ne pas refermer la porte. D’une certaine façon, cet amendement, monsieur le ministre, vous place dans une position plus forte pour engager le débat avec vos collègues européens ministres du budget, par exemple, en ce qui concerne les administrations européennes.
Deuxièmement, il existe un sentiment beaucoup plus politique, c’est la raison pour laquelle l’amendement de Mme Goulet est utile.
Tout d’abord, cette disposition vous permet d’ouvrir le dossier et, en quelque sorte, d’introduire un coin dans un système qui aurait naturellement tendance à se refermer sur lui-même.
En outre, elle permet de montrer à nos concitoyens, qui mesurent bien le caractère international et européen de nombreuses règles, que ceux qui imaginent ces dernières, qui préparent les décisions et qui souvent d’ailleurs les établissent – même si les gouvernements en ont en théorie la responsabilité –, que ces hauts fonctionnaires, ces technocrates internationaux, pour reprendre un terme plus polémique, connaissent à leur tour des règles comparables à celles qui s’appliquent dans les pays sur lesquels ils apportent leur regard.
Il est tout de même extraordinaire de voir les hauts fonctionnaires du FMI donner des leçons de vertu au monde entier – plus particulièrement à ceux qui en ont le plus besoin, heureusement –, alors que leur autorité pourrait être sérieusement contestée du simple fait qu’ils vivent de la contribution de tous. Les contribuables de tous les pays sont sollicités au bénéfice de hauts fonctionnaires qui, eux, ne leur restituent pas de ces contribuables une partie de leurs revenus, contrairement à l’effort fiscal pour lequel ils plaident à l'échelle internationale.
C’est la raison pour laquelle, tout en mesurant que l’adoption de cet amendement ne réglerait pas le problème, je serais heureux que le Sénat prenne une position politique, en considérant que c’est là un sujet majeur et qu’il n’y a pas de raison de l’abandonner à des spécialistes. Faisons-en un sujet politique ! (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je souhaite formuler plusieurs remarques.
Tout d’abord, étant engagés dans un travail législatif, nous devons nous interroger sur l’opérationnalité et l’applicabilité des mesures que nous arrêtons. Or, au regard des traités qui nous lient aux organisations internationales et qui ont été ratifiés par le Parlement au titre de l’article 53 de la Constitution, la disposition qui est ici proposée ne pourrait être appliquée. Il est même très probable que le Conseil constitutionnel, en vertu de ce même article 53, la censurerait.
Par conséquent, nous prendrions délibérément en loi de finances des dispositions, dont nous savons dès à présent qu’elles ne peuvent avoir aucune issue en droit, simplement pour envoyer un signal politique.
M. Gérard Longuet. Et voilà !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je suis très réservé sur ce type de démarche, parce que cela signifie que nous notre travail législatif perd beaucoup en force et en rigueur.
Par ailleurs, nous nous battons beaucoup – j’appelle l’attention de tous les membres de votre assemblée sur ce point – pour accroître la présence des fonctionnaires français dans les organisations internationales. C’est un combat qui, pour chaque gouvernement, quel qu’il soit, est difficile, car nous le menons face à de très nombreux pays. (M. Roger Karoutchi acquiesce.)
Si nous prenons ici une position pouvant apparaître, à l’égard des organisations internationales au sein desquelles nous entendons promouvoir nos propres ressortissants, comme une déclaration d’hostilité, cela ne facilitera pas la promotion des intérêts français dans ces mêmes instances.
Enfin, lorsque nous sommes amenés, au sein d’organisations européennes ou internationales, à nous prononcer sur les conditions dans lesquelles sont rémunérés les fonctionnaires internationaux, les positions que nous prenons font largement écho à celles qui viennent d’être défendues à l’instant, notamment par Mme Goulet ou par M. Longuet. J’en ai fait l’expérience lorsque j’étais ministre des affaires européennes. Chaque fois que cela est possible sans drame, nous rejoignons la préoccupation qui vient d’être exprimée.
Bien entendu, il vous appartient de vous prononcer sur cet amendement, mesdames, messieurs les sénateurs, mais j’appelle votre attention sur le fait que le sujet est délicat, qu’il n’a pas d’issue en droit et qu’il peut avoir des conséquences fâcheuses sur la promotion des fonctionnaires dans les institutions internationales.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il me serait tout de même difficile de voter un amendement qui serait contraire à des conventions internationales et qui serait susceptible d’être censuré par le Conseil constitutionnel.
Cela dit, monsieur le ministre, les réponses que vous avez apportées ne me semblent pas satisfaisantes. J’ai compris que vous plaidiez pour le statu quo.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Si tel n’est pas le cas, j’aurai mal compris, pardonnez-moi, mais vos annonces étaient si modérées qu’elles en étaient peu perceptibles…
Il serait tout de même utile que vous puissiez dire au Sénat que vous avez l’intention de vous concerter avec vos homologues au sein des autres pays de l’Union européenne, que vous considérez que le statu quo est totalement inéquitable, car la situation faite aux fonctionnaires internationaux, quelle que soit leur nationalité, est tout de même devenue hors normes, au regard de chacun des États de l’Union européenne. C’est une situation que personne ne partage, ni les parlementaires, ni les hauts fonctionnaires, ni les responsables d’entreprises publiques, entre autres.
La question qui est posée est donc légitime, et il me semble que l’on devrait pouvoir progresser en ce sens. Monsieur le ministre, il serait utile que vous nous disiez, si telle est votre intention, votre disponibilité à aller dans ce sens, à obtenir des engagements de vos collègues et, progressivement, à modifier les dispositions des différentes conventions concernant les organisations internationales auxquelles nous participons. Nous serions tous rassurés si vous pouviez nous dire qu’il est bien dans votre intention de secouer ce statu quo.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Monsieur le président de la commission des finances, ce n’est pas notre intention, c’est notre action !
Je ne vais pas annoncer que nous envisageons d’agir alors que nous agissons déjà de façon déterminée dans toutes les institutions internationales auxquelles nous participons ; c’est le combat de la France. Nous le menons au sein des institutions internationales, en liaison avec les autres gouvernements, pour faire en sorte que l’objectif soit atteint.
Il n’y a pas de modération dans mon propos ; je souhaite simplement que les dispositions que nous prenons aient en droit une application immédiate. Or, si le Sénat adopte cet amendement, il n’aura en droit aucune application et je ne sais même pas s’il passera le filtre du Conseil constitutionnel.
Mme Michèle André. Voilà !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Le travail que nous faisons ensemble a bien sûr une dimension politique, mais il a aussi une dimension juridique. Notre souci commun doit être de faire en sorte que ce que nous portons politiquement soit juridiquement incontestable, sinon notre action est inopérante.
Il n’y a donc pas de modération dans mon propos ; il y a une détermination à agir là où nous le pouvons et une volonté de rigueur dans le travail législatif que nous conduisons ensemble. Cette rigueur, le Gouvernement la doit au Parlement.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ce ne sont pas des engagements très clairs !
Mme la présidente. Madame Goulet, l'amendement n° I-18 est-il maintenu ?
Mme Nathalie Goulet. Je remercie mes collègues Gérard Longuet, Yves Pozzo di Borgo et Richard Yung, ainsi que M. le président de la commission des finances, d’être intervenus sur cet amendement.
Lorsque, par deux fois, le Sénat a voté, en loi de finances rectificative, une contribution en faveur de la Grèce, c’est bien le contribuable français qui est venu au secours de ce pays. Cette décision, tout à fait légitime, répondait aux accords que nous avons conclus, mais c’est bien le contribuable français qui, en quelque sorte, a permis au fonctionnaire grec d’être payé, de ne pas acquitter d’impôt, de ne pas payer de contribution de retour.
Monsieur le ministre, vous avez dit que les fonctionnaires acquittaient un impôt au sein de leurs organisations, mais cette contribution, sauf pour les États-Unis, est versée à l’institution et ne profite pas au pays contributeur.
M. Roger Karoutchi. Mais elle est défalquée de la contribution !
M. Richard Yung. Exactement !
Mme Nathalie Goulet. Aujourd’hui, lorsque je demande à la Délégation des fonctionnaires internationaux combien de Français travaillent dans les organisations internationales, elle n’est pas en mesure de me communiquer un seul chiffre, ni la moindre donnée concernant la masse salariale.
Une telle opacité peut nourrir n’importe quel fantasme. Si tout le monde connaît le salaire de la directrice générale du Fonds monétaire international et sait qu’elle n’acquitte aucun impôt sur cette somme qui est relativement importante, il serait tout de même extrêmement intéressant d’avoir une idée de ces chiffres et d’obtenir un peu plus de transparence.
J’ai bien compris que les dispositions de cet amendement ne résisteraient pas au Conseil constitutionnel, mais mon petit doigt m’a dit, et les débats qui se sont tenus ici l’ont confirmé, que nous n’examinerions pas la deuxième partie de la loi de finances et que, en toute hypothèse, le Sénat ne voterait ni la première ni la deuxième partie de ce texte ! Par ailleurs, cet amendement d’appel a suscité un grand nombre d’articles dans les journaux espagnols, italiens et allemands, car le problème qu’il soulève est réel.
En admettant que cela ne soit pas une imposition, mais simplement une cotisation forfaitaire de solidarité, quitte à me faire battre – ce ne sera pas la première fois et j’espère que ce ne sera pas la dernière –, je vais tout de même maintenir cet amendement.
Même s’il ne passe pas le seuil de cette maison – de toute façon, il n’échappera pas à la censure du Conseil constitutionnel –, nous aurons donné un signe, montré que le problème nous concerne. En effet, on ne peut pas laisser certaines personnes échapper totalement à l’impôt sur le revenu, qu’elles soient françaises ou européennes. C’est une question de solidarité en ces temps de grave crise économique.
Monsieur le ministre, il y a un trou dans la raquette, et le Sénat va essayer de recorder cette dernière, même si cela ne va pas très loin !
Je maintiens donc mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Madame la sénatrice, nous sommes tout à fait prêts à communiquer aux assemblées la liste des fonctionnaires internationaux par organisation internationale et à faire un travail auprès de chacune de ces instances afin de savoir quel est le dispositif de prélèvement qui s’applique à chaque fonctionnaire français qui y est employé. Cela permettra de répondre à l’objectif de transparence que vous appelez de vos vœux.
En contrepartie, je vous redemande de bien vouloir retirer votre amendement.
Mme la présidente. Madame Goulet, vous êtes de nouveau sollicitée. Qu’en est-il finalement de l’amendement n° I-18 ?
Mme Nathalie Goulet. Devant un tel engagement, madame la présidente, je ne peux que m’incliner ! Je reste toutefois convaincue que nous sommes vraiment dans la bonne ligne et que nos collègues et partenaires européens pourront s’appuyer sur l’exemple français pour trouver une solution qui soit compatible avec la situation de crise et la pression fiscale subie par chacun de nos compatriotes.
Monsieur le ministre, je vous remercie de votre proposition. Je retire donc mon amendement, madame la présidente.