Sommaire
Présidence de Mme Bariza Khiari
Secrétaires :
M. Jacques Gillot, Mme Marie-Noëlle Lienemann.
3. Communications du Conseil constitutionnel
4. Décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité
5. Débat sur la politique d’aménagement du territoire
M. Hervé Maurey, au nom du groupe UDI-UC.
M. Alain Bertrand, Mmes Hélène Lipietz, Hélène Masson-Maret, M. Aymeri de Montesquiou, Mme Évelyne Didier, MM. Pierre Camani, Yvon Collin, Jean-Claude Lenoir, Delphine Bataille.
Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement.
6. Démission de membres de commissions et candidatures
Suspension et reprise de la séance
7. Communication relative à une commission mixte paritaire
8. Organismes extraparlementaires
9. Nomination de membres de commissions
10. Accord avec l'Italie pour la réalisation et l'exploitation d'une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin. – Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale : MM. Thierry Repentin, ministre délégué chargé des affaires européennes ; Yves Pozzo di Borgo, rapporteur de la commission des affaires étrangères ; André Vairetto, rapporteur pour avis de la commission du développement durable.
Mme Kalliopi Ango Ela, M. Jean-Pierre Vial, Mme Évelyne Didier, MM. Jean-Claude Requier, Vincent Capo-Canellas, Jacques Chiron, Jean Besson.
MM. le rapporteur, Thierry Repentin, ministre délégué.
Clôture de la discussion générale.
MM. Jean-Claude Carle, Didier Guillaume, Mme Kalliopi Ango Ela, MM. Alain Néri, Louis Nègre, Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères.
Adoption définitive, par scrutin public, de l’article unique du projet de loi dans le texte de la commission.
11. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de Mme Bariza Khiari
vice-présidente
Secrétaires :
M. Jacques Gillot,
Mme Marie-Noëlle Lienemann.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Dépôt de rapports
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l’article 67 de la loi n° 2004–1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, le rapport sur la mise en application de la loi n° 2012–1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012.
Il a été transmis à la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois et, pour information, à la commission des finances.
M. le président du Sénat a également reçu de M. le Premier ministre le rapport sur la mise en œuvre du programme national pour l’alimentation établi en application de l’article L. 230–1 du code rural et de la pêche maritime.
Il a été transmis à la commission des affaires sociales ainsi qu’à la commission des affaires économiques.
Enfin, M. le président du Sénat a reçu le rapport d’information de l’Agence de la biomédecine, établi en application de l’article L. 1418–1 du code de la santé publique.
Il a été transmis à la commission des affaires sociales.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
3
Communications du Conseil constitutionnel
Mme la présidente. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 14 novembre 2013, qu’en application de l’article 61–1 de la Constitution la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles L. 5125–31 et L. 5125–32 du code de la santé publique (Pharmacie d’officine) (2013–364 QPC).
Le texte de décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
M. le président du Conseil constitutionnel a également informé le Sénat, le 14 novembre 2013, qu’en application de l’article 61–1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 80 quinquies du code général des impôts (Déclaration des indemnités journalières versées par les organismes de sécurité sociale) (2013–365 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de ces communications.
4
Décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité
Mme la présidente. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 15 novembre 2013, une décision du Conseil sur une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 621–2 et L. 622–1 du code de commerce, « dans leur rédaction applicable en Polynésie française » (n° 2013–352 QPC).
Acte est donné de cette communication.
5
Débat sur la politique d’aménagement du territoire
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur la politique d’aménagement du territoire, organisé à la demande du groupe UDI-UC.
La parole est à M. Hervé Maurey, au nom du groupe UDI-UC.
M. Hervé Maurey, au nom du groupe UDI-UC. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe UDI-UC a souhaité inscrire aujourd’hui à l’ordre du jour du Sénat ce débat sur l’aménagement du territoire, car, vous le savez, c’est un sujet au cœur des préoccupations de notre assemblée, et tout particulièrement de notre groupe politique.
Nous avons également souhaité ce débat car, dix-huit mois après la création d’un ministère de « l’égalité des territoires » et votre arrivée à la tête de ce ministère, le temps nous semble venu de faire un premier bilan de l’action du Gouvernement sur ce sujet.
Je le ferai, vous le savez, avec objectivité car j’ai la chance d’appartenir à un groupe politique où les positions ne sont pas fonction du fait que l’on soit dans la majorité ou dans l’opposition.
J’avoue à cet égard que je suis surpris de l’attitude de certains de mes collègues, dont je ne reconnais pas les prises de position depuis quelques mois tant elles ont évolué.
Pour ce qui me concerne, j’ai critiqué l’absence de politique ambitieuse en matière d’aménagement du territoire du gouvernement Fillon, déclarant même sur ce sujet qu’il n’y avait « plus de pilote dans l’avion ». Et lorsque vous êtes venue pour la première fois devant notre commission en 2012, je vous ai indiqué partager un certain nombre de vos appréciations sur le constat que vous dressiez quant à la situation de notre pays en matière d’aménagement du territoire.
J’avais également exprimé le souhait que la disparition du concept d’« aménagement du territoire » au profit de celui d’« égalité des territoires » ne soit pas une simple évolution sémantique, mais la marque d’un véritable changement, terme qui, à l’époque, avait encore du sens, et donnait encore de l’espoir.
Cela semble bien loin, je vous l’accorde.
Alors, où en sommes-nous aujourd’hui ?
Madame la ministre, j’aurais vraiment aimé, dans l’intérêt du pays, pouvoir observer une évolution positive en matière d’égalité des territoires. Mais, très honnêtement, ce n’est pas possible.
Je tiens d’ailleurs par avance à exprimer ma compassion à l’égard de mes collègues socialistes – je pense notamment à mon ami Pierre Camani – qui vont tenter de démontrer l’inverse en indiquant que l’État est de retour dans nos territoires.
Je leur exprime mes encouragements, car l’exercice sera hélas ! difficile pour eux ; il leur faudra beaucoup de militantisme, d’imagination et un brin de mauvaise foi, voire beaucoup, pour affirmer cela.
En effet, madame la ministre, force est de constater qu’il n’y a pas un domaine dans lequel l’égalité des territoires a progressé en dix-huit mois.
Si je prends l’exemple du département dont je suis élu, et que par définition je connais le mieux, aucun progrès n’est à observer.
Aucun progrès en matière de couverture en téléphonie mobile, malgré mes courriers, mes interpellations, mes questions orales et mes réunions aux cabinets des ministres concernés, Mme Pellerin et vous-même ! Il n’y a pas un endroit dans l’Eure où le téléphone passe mieux que le 6 mai 2012 !
Quand donc l’État s’attaquera-t-il enfin à cette insupportable situation où des citoyens contribuables à part entière entendent à la radio des publicités vantant les avantages de la téléphonie mobile de quatrième génération alors qu’ils n’ont pas la moindre connexion ?
M. Aymeri de Montesquiou. C’est vrai !
M. Hervé Maurey. Comment pouvez-vous tolérer cela, madame la ministre ?
Sur le haut débit et le très haut débit, même chose : aucune amélioration n’a été concrètement observée sur le terrain, au-delà des critiques du gouvernement précédent, des déclarations, des feuilles de route et autres missions.
Pire, les socialistes ont montré leur duplicité sur le sujet lorsque, après avoir adopté, ici même, en février 2013, la proposition de loi que j’avais déposée avec Philippe Leroy visant à assurer l’aménagement numérique des territoires, ils ont voté contre à l’Assemblée nationale quelques mois plus tard.
Entre-temps, les socialistes étaient passés de l’opposition à la majorité et, à ce titre, obtempéraient à la nouvelle ministre chargée du numérique, qui reprenait mot à mot les termes de son prédécesseur, Éric Besson, c’est-à-dire ceux des opérateurs.
En matière de démographie médicale, où sont les dispositions de la proposition de loi de Jean-Marc Ayrault sur le bouclier rural, qui visait, en 2011, à soumettre l’installation des médecins à une autorisation préalable ? Elles sont, comme tant d’autres, oubliées !
Sur ce sujet aussi, le parti socialiste recule et Mme Touraine, dont nous connaissons bien, dans cette assemblée, l’arrogance, critique ses prédécesseurs mais ne propose que des mesurettes qui ont prouvé, en vingt ans, leur inefficacité.
En matière d’infrastructures, le Gouvernement a enterré ou reporté aux calendes grecques, à la suite du rapport Duron, nombre de liaisons autoroutières, ferroviaires ou fluviales, invoquant le fait qu’elles ne seraient pas rentables, notion, vous en conviendrez, mes chers collègues, quelque peu antinomique avec celle d’égalité des territoires.
Autre sujet qui montre que l’égalité des territoires non seulement ne progresse pas, mais au contraire régresse : la réforme des rythmes scolaires. Peut-on imaginer réforme plus inégalitaire ?
Car si cette réforme peut, certes avec difficulté, s’appliquer dans les grandes villes disposant de personnels et de locaux, elle est tout simplement inapplicable dans nos petites communes.
Comment organiser des activités périscolaires dans un village où il n’y a pas d’autres salles que la salle de classe ?
Comment trouver du personnel compétent pour uniquement quarante-cinq minutes par jour ?
Je sais que cette réforme n’est pas la vôtre, madame la ministre, mais je ne crois pas vous avoir entendu émettre la moindre réserve sur ce sujet !
Enfin, la politique de matraquage fiscal et social mise en place par le Gouvernement porte atteinte à l’égalité des territoires dans la mesure où ce sont les entreprises les plus fragiles qui sont les premières victimes de cet acharnement du Gouvernement.
Les territoires qui s’en sortent le mieux sont ceux qui étaient les plus dynamiques, et ceux qui souffrent le plus sont ceux qui étaient déjà les plus faibles.
En période de crise, l’aménagement du territoire doit tout particulièrement se concentrer sur la création d’emplois dans les zones les plus fragiles.
Je n’aurai pas la cruauté, madame la ministre, de vous demander votre bilan sur ce point, alors que chacun observe que le Gouvernement en est réduit à saupoudrer les millions, parfois même les milliards, pour éteindre le feu dans les territoires. Voilà quelques jours, nous avons atteint le record de 4 milliards d’euros dispersés en une journée dans les territoires !
Cette situation est aggravée par un mal-être des territoires ruraux, qui observent que le Gouvernement n’aime pas la ruralité.
Pour s’en convaincre, il suffit d’observer le combat permanent du Gouvernement pour réduire le poids du monde rural dans les assemblées départementales et, ici même, au sein de la Haute Assemblée.
Face à cette réalité, vous allez certainement vous féliciter de la création d’un Commissariat général à l’égalité des territoires, dont on nous dit dans le « bleu » budgétaire que « cette nouvelle organisation sera un instrument de justice territoriale et de lutte contre les inégalités spatiales ».
Comme c’est joli ! Mais, en réalité, il n’aura guère plus de pouvoir ni de moyens que l’actuelle DATAR, la délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale.
J’ai assisté à l’audition du futur commissaire général devant notre commission le 14 octobre dernier : M. Delzant a été bien en peine d’expliquer la différence entre ce commissariat à l’égalité des territoires et la DATAR !
Madame la ministre, il ne suffit pas de changer le nom d’un organisme, ou même d’en créer un, comme Mme Pellerin, qui nous annonce une agence du numérique, pour être dans le concret et dans l’action.
De même qu’il ne sert à rien de multiplier les commandes de rapports, d’annoncer des schémas et de confier des missions, si ce n’est pour créer l’illusion et, par là même, la déception.
Vous avez demandé à Éloi Laurent un rapport sur le concept d’égalité des territoires ; j’ai d’ailleurs accepté d’y apporter ma contribution, prouvant ainsi ma bonne volonté... Et après ?
Quid de ce rapport, qui avait d’ailleurs juste oublié de traiter du numérique ? Même mes collègues socialistes s’en sont offusqués, c’est vous dire…
Ce rapport s’interroge sur le fait de savoir si la France en 2040 sera hyperpolisée, postpolisée, régiopolisée ou dépolisée ! Est-ce vraiment la question ?
M. Hervé Maurey. Et puisque l’on parle de prospective, comment ne pas s’étonner ici que les conclusions du séminaire gouvernemental sur la France à l’horizon 2025 n’évoquent pas, même d’un mot, l’égalité des territoires ?
Cette échéance serait-elle trop proche ? Ne s’intéresse-t-on à l’égalité des territoires dans ce gouvernement qu’à l’horizon 2040 ?
Ces changements de façade, ces rapports ne masquent pas, madame la ministre, l’échec du Gouvernement en la matière.
Alors, pourquoi cet échec ? Car c’est bien d’un échec dont on peut parler aujourd’hui ! Je ne suis d’ailleurs pas le seul à le dire puisque, pas plus tard que la semaine dernière, le Conseil économique, social et environnemental a plaidé pour un renouveau de la politique d’aménagement du territoire et vous a demandé de préparer une loi cadre et de programmation sur l’égalité des territoires qui, je cite le rapporteur, « sanctuariserait la politique d’aménagement du territoire, tout en promouvant une meilleure transversalité de l’État en parallèle d’une déconcentration accrue ».
La raison de cet échec est très simple : la politique d’aménagement du territoire n’est pas une priorité de ce gouvernement.
Nous le voyons dans le budget : moins 14 % depuis 2012 en autorisations d’engagement et moins 12 % en crédits de paiement pour la mission « Politique des territoires » alors que dans le même temps les dépenses de l’État diminuent de seulement 1,7 % en volume.
Nous le voyons plus encore dans les arbitrages sur tous les sujets que j’ai évoqués il y a quelques instants – le numérique, la santé, les infrastructures, l’emploi –, le critère de l’égalité des territoires n’est jamais prépondérant.
Sur le numérique, on privilégie les opérateurs. Sur l’accès aux soins, l’intérêt des médecins. Sur les infrastructures, la rentabilité. Sur l’emploi, le matraquage fiscal. Sur les rythmes scolaires, j’avoue ne pas comprendre le critère qui a prévalu, à part la volonté d’un ministre de faire la une des médias et, de ce point de vue, c’est un succès.
J’ajoute une raison structurelle, que j’avais d’ailleurs déjà soulignée sous le précédent gouvernement : un ministre chargé de l’aménagement du territoire, s’il est en charge d’autres missions qui se gèrent au quotidien ou dans l’urgence, est accaparé par celles-ci au détriment de l’aménagement du territoire qui est une action de moyen et de long terme.
En clair, et je ne vous en fais pas le reproche, vous êtes bien plus ministre du logement que ministre de l’égalité des territoires.
Alors, comment s’en sortir et comment mettre enfin en place une vraie politique d’aménagement du territoire ?
Tout d’abord, arrêtons les rapports et les comités Théodule. Il y a, notamment dans notre assemblée, suffisamment de travaux pour savoir ce qu’il faut faire, ou ne pas faire.
Permettez-moi de vous livrer quelques pistes de réflexion.
Premièrement, il faut un vrai ministère de l’aménagement du territoire qui n’ait pas d’autres missions que l’aménagement du territoire, mais qui ait, en revanche, de vrais pouvoirs en la matière.
M. Aymeri de Montesquiou. Très bien !
M. Hervé Maurey. Un ministère qui dispose d’une véritable transversalité et qui soit associé à toutes les décisions ayant un impact sur les territoires.
Tous les projets de loi, toutes les décisions doivent intégrer le critère d’aménagement du territoire ; leur impact au regard de l’égalité des territoires doit être évalué comme on le fait aujourd’hui en ce qui concerne la parité. Si nous mettions la même énergie à faire de l’égalité des territoires un devoir politique et moral que nous le faisons – à juste titre – pour la parité entre les hommes et les femmes, la situation s’améliorerait.
Deuxièmement, il faut que l’État se recentre sur ses vraies missions, qu’il s’occupe moins de la sphère économique, qu’il laisse les entreprises se créer, se développer et qu’il allège leurs contraintes. L’État, lui-même ainsi allégé de tâches qui ne sont pas les siennes, pourra se concentrer sur ses missions régaliennes, parmi lesquelles figure, au premier rang, l’aménagement du territoire.
À ce titre, il doit s’investir réellement, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, sur le déploiement des réseaux, c’est-à-dire des infrastructures routières, ferroviaires, fluviales et numériques.
Je rappelle qu’en matière de très haut débit le Gouvernement a confirmé le choix de son prédécesseur – après l’avoir critiqué – de laisser l’initiative du déploiement aux opérateurs privés et la liberté pour eux de déployer uniquement là où ils ont envie de le faire. Comme ce sont des entreprises privées, elles déploient uniquement dans les secteurs rentables, obligeant les collectivités locales à intervenir dans les zones non rentables.
Ce système est totalement antinomique avec la notion d’égalité des territoires.
Tout d’abord, parce que c’est dans les départements les plus ruraux, c’est-à-dire les plus pauvres, que les opérateurs investissent le moins, voire pas du tout, obligeant par là même les collectivités à investir, à un coût élevé pour le contribuable. Il l’est également puisque, selon la capacité financière des collectivités locales et leur volontarisme en la matière, le déploiement des réseaux sera extrêmement différent d’un département à l’autre.
En matière de numérique, les inégalités vont donc continuer à croître.
Il faut sortir de cette logique. Il faut également que l’État s’attache à assurer une véritable couverture de notre territoire en téléphonie mobile, ce qui, je l’ai dit, n’est toujours pas le cas aujourd’hui.
Troisièmement, l’État doit veiller à ce que nos territoires puissent, pour être vivants, bénéficier non seulement d’infrastructures, mais aussi de services. Des services, ce sont d’abord des services publics, notamment en milieu rural.
J’observe à cet égard que le seul projet concret du Gouvernement qui nous a été présenté dans le cadre de la préparation de la loi de finances pour 2014, c’est la généralisation, à l’horizon 2017, du dispositif « + de services publics », expérimenté par notre collègue Michel Mercier lorsqu’il était ministre.
J’ajoute, sur un autre sujet, que c’est également sur l’initiative de notre groupe politique que l’on a instauré dans la loi postale le principe des 17 000 points postaux présents sur le territoire.
Les services, c’est également l’accès aux soins. Je me permets à cet égard de vous rappeler les conclusions de notre groupe de travail sur la démographie médicale adoptées à l’unanimité et qui prônent des mesures ambitieuses en termes de régulation de l’installation des médecins, mesures indispensables si l’on veut un jour mettre un terme à la désertification médicale.
Quatrièmement, l’État doit tout mettre en œuvre pour favoriser la création d’emplois dans les zones fragiles. Les infrastructures et les services publics y contribuent. Il faut que des politiques incitatives le permettent également, et il faut que l’État employeur, comme cela s’est fait dans le passé, donne l’exemple et n’hésite pas à délocaliser certains de ses services pour dynamiser des territoires.
J’évoquais ainsi, voilà quelques jours, avec mon collègue Henri Tandonnet, l’exemple réussi de l’implantation de l’École nationale d’administration pénitentiaire dans le Lot-et-Garonne. Cette implantation décidée en septembre 1994 a permis de dynamiser un territoire en renforçant la présence étudiante. Il y a 6 000 étudiants par an à Agen grâce à cette école, ce qui a indubitablement des conséquences sur l’économie locale.
Cinquièmement, à une époque où l’argent public est rare, je ne vous dirai pas qu’il faut injecter plus d’argent, je vous dirai, au contraire, qu’il faut optimiser les crédits.
À quoi sert de dépenser des sommes élevées pour créer des maisons de santé subventionnées par le Fonds national d’aménagement et de développement du territoire sans être certain que des médecins viendront s’y installer et sans que le ministère de la santé ou le vôtre ne s’en préoccupe ?
Le moins que l’on puisse exiger lorsque l’on finance une maison de santé, c’est de s’assurer que cet équipement réglera le problème de l’accès aux soins, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas ; je connais un certain nombre d’exemples qui l’attestent.
Sixièmement, sur la méthode, l’État doit veiller à travailler en étroite collaboration avec les élus et non contre eux. Quel que soit le rôle de l’État, qui est primordial, en matière d’égalité des territoires, ce ne doit être à aucun moment l’État contre les collectivités locales.
Je voudrais à cet égard prendre l’exemple du développement de l’éolien.
Comment accepter que des permis de construire soient attribués pour des éoliennes contre l’avis unanime des communes concernées ? Il faut une vision nationale du déploiement de ces infrastructures, qui n’existe pas aujourd’hui, et ensuite une déclinaison locale en concertation avec les élus locaux.
Il n’est pas acceptable que des décisions qui impactent l’avenir d’un territoire soient prises contre la volonté de ceux qui en ont la responsabilité.
L’ambition de l’État ne doit pas aboutir à déposséder les élus locaux des projets de leur territoire.
Voilà, madame la ministre, quelques axes de réflexion qui me semblent prioritaires.
La mission, j’en conviens, n’est pas mince, nous avons cependant la conviction profonde que cette tâche est non seulement nécessaire mais indispensable si nous souhaitons sortir de cette crise et faire de l’égalité des territoires non pas un slogan pompeux mais une réalité concrète.
Il faut simplement, oserais-je dire, une vraie volonté politique, que le Gouvernement ne semble pas avoir.
En conclusion, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais vous citer ces quelques mots prononcés par Georges Pompidou, alors Premier ministre, devant l’Assemblée nationale. Pour présenter l’action de son gouvernement – qui créa la DATAR, il y a tout juste cinquante ans – pour lutter contre l’inégalité entre les territoires, il disait : « Le but de l’action gouvernementale est de remédier à cette inégalité et de tendre vers l’équilibre. Nous en avons tous conscience et nous devons nous pénétrer de l’idée que, de notre action, nous ne tirerons aucune autre satisfaction que celle d’avoir contribué de notre mieux à préparer une France plus harmonieuse ».
Madame la ministre, travailler à préparer une France plus harmonieuse, cet objectif est plus que jamais d’actualité. Nous apprécierions qu’il inspire l’action du Gouvernement dont vous êtes membre et qu’ainsi vous puissiez vraiment agir dans cette direction. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Bertrand.
M. Jean-Claude Lenoir. Il va être encore plus sévère !
M. Alain Bertrand. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, compte tenu du peu de temps qui m’est imparti, je serai bref.
Je ne partage pas tous les propos tenus par notre collègue Hervé Maurey. Je partage ce qu’il a dit sur la téléphonie ou l’implantation de certaines écoles, comme l’École nationale d’administration pénitentiaire, dans les milieux ruraux.
En revanche, je ne le suis pas sur les rythmes scolaires, lorsqu’il affirme que l’indigence qui serait appliquée à la ruralité date de l’élection de M. Hollande. C’est, cher collègue, en somme, ce que vous nous avez dit au début de votre intervention.
M. Hervé Maurey. Pas du tout !
M. Alain Bertrand. Nous ne sommes pas la même ruralité. Il y a longtemps que la ruralité est mal comprise à Paris.
M. Hervé Maurey. C’est ce que j’ai dit !
M. Alain Bertrand. Cela s’explique par de nombreuses raisons, notamment le fait qu’une large part de notre Haute Assemblée soit élue à la proportionnelle. S’il n’y avait pas de proportionnelle, la ruralité serait beaucoup mieux comprise.
Madame la ministre, vous avez dit récemment que l’aménagement du territoire devait viser à réparer les territoires meurtris et à mettre fin aux inégalités. C’est effectivement le cœur du sujet.
Comme le Président Hollande, vous avez vous-même, madame la ministre, des attaches rurales. À l’instar de mon collègue Maurey, je demanderai également, à la fin de mon intervention, qu’une loi de programmation advienne. Pourquoi une telle loi doit-elle intervenir rapidement et est-elle importante ?
Tout d’abord, nous sommes nombreux à souhaiter mettre toute notre intelligence au service de la ruralité ou de l’hyper-ruralité. À cet égard, je rends hommage au groupe centriste d’avoir demandé ce débat.
Toutefois, dans cette loi que nous appelons de nos vœux, il nous faudra distinguer ruralité et hyper-ruralité. En effet, 80 % des territoires français sont ruraux. Or nous n’aurons pas les moyens de nous attaquer à de nouvelles actions, de nouvelles intelligences, de nouveaux crédits sur 80 % du territoire de notre pays ; nous ne serions pas efficaces.
Nous sentons que la fracture se creuse.
Le 13 décembre 2012, les membres du groupe RDSE et moi-même avions présenté une proposition de résolution. Depuis lors, est intervenue l’importance loi sur le logement, sur laquelle vous avez travaillé. Aussi, désormais nous attendons le volet sur l’égalité des territoires.
Il est vrai que, sur le terrain, le service public et le service au public se réduit. La téléphonie est un excellent exemple. Le débat sur la téléphonie est surréaliste. Alors que l’on entend parler de la 4G, de la 5G, voire de la 38G (Sourires.), nous, nous n’aurons bientôt même pas le téléphone fixe, car les lignes sont si mal entretenues que les poteaux et les câbles gisent souvent sur le sol. Ne parlons pas du mobile, il ne passe pas.
À cela s’ajoutent la DDE, les fermetures de succursales de la Banque de France, les problèmes de services de santé, les problèmes de l’offre de transport – de nombreux petits trains sont menacés –, la réduction des crédits concernant les infrastructures, et le débat sur l’écotaxe ne va rien arranger puisqu’elle devait apporter une part de crédits à nos infrastructures.
Parfois, les ruraux voient leurs espoirs déçus. Par exemple, dans le Massif central, le projet de ligne reliant Clermont-Ferrand et Paris en TGV, qui desservirait quinze départements ruraux, bien qu’annoncé, a été reporté.
Les choix collectifs ne nous sont pas toujours favorables. Souvent, la route est la seule possibilité pour se déplacer. Nous n’avons pas de liaisons aériennes. Les liaisons ferroviaires peuvent également être insuffisantes. Ainsi, je le dis souvent parce que c’est risible, il faut dix-huit heures pour faire l’aller-retour entre Mende et Paris, et neuf heures pour l’aller-retour entre Mende et Montpellier !
Certes, les ressources financières sont maigres. Pour autant, l’intelligence commanderait que tout ne soit pas concentré dans les capitales régionales. Il faut déconcentrer depuis les capitales régionales vers les départements n’ayant pas d’agglomérations.
Comme diraient les enfants, ça tourne au foutage de gueule. (Sourires.) Voilà trente ans, il nous a été dit : on fait de la décentralisation, ce qui implique de quitter Paris. Or, désormais, tout est entassé dans les capitales régionales ! Les autres, les petits départements ruraux et hyper-ruraux sont complètement délaissés. Il faut remédier à cette situation. Le chantier est immense. Il faut inventer des procédures, revoir les problèmes de dotation, de mise en œuvre des deniers publics, et de zonage. Nous avons besoin de nouvelles stratégies, notamment dans l’hyper-ruralité. Enfin, la stratégie d’accueil des entreprises doit aussi être revue.
L’aménagement du territoire et, surtout, l’égalité des territoires, c’est la solidarité, la République, et cela devrait donc couler de source.
Je vous fais confiance, madame la ministre. Le sujet que nous abordons est essentiel, mais il ne sera jamais prioritaire, car les maires ou les sénateurs des villes de 200 000 habitants, 500 000 habitants ou 1 million d’habitants sont toujours privilégiés. Nous, les petits, les ruraux, les sans-grades, nous passons après les autres. Pourtant, il s’agit d’une grande tâche !
J’ai confiance en M. Hollande, en Jean-Marc Ayrault et en vous-même, madame la ministre. Nous demandons une loi de programmation, qui devra être élaborée avec toute l’intelligence qu’elle mérite.
Une telle loi de programmation ne peut être produite dans la précipitation. Il faut distinguer les zonages, et étudier ce qu’il est possible de faire.
Notre sujet porte notamment sur la question des infrastructures. Il est important de rappeler que, sur cette problématique, certains pays comme le Canada réservent un pourcentage de leur budget à l’hyper-ruralité. En France, nous pouvons faire aussi bien.
Cette loi bien élaborée, bien pensée, prenant en compte les attentes des ruraux, je vous sais capable, madame la ministre, de la mettre en œuvre. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe UDI-UC, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, peut-on encore parler d’aménagement du territoire à l’heure de la mondialisation ou, à tout le moins, de l’Union européenne ?
Peut-on encore appliquer des méthodes centralisées, qu’elles soient colbertistes, napoléoniennes ou républicaines, pour organiser le territoire ? D’ailleurs, l’organisation du territoire, est-ce régalien, comme l’a dit un intervenant tout à l’heure ? N’est-ce pas « ringard » ?
Surtout, les objets de l’aménagement sont-ils ceux dont s’occupaient le baron Haussmann, les plans quinquennaux ou le préfet Delouvrier, à l’heure où nous venons de recréer de véritables potentats métropolitains ?
Évidemment non, comme le prouvent la fusion et le changement de dénomination de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale – la DATAR –, du Secrétariat général du comité interministériel des villes et de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances en un Commissariat général à l’égalité des territoires, sous votre tutelle, madame la ministre.
Voilà un thème passionnant dont les quelque treize sénateurs et sénatrices présents pourraient débattre pendant des heures, le sujet ne semblant pas susciter la présence de nos autres collègues en séance.
M. Jean-Claude Lenoir. Les meilleurs sont là !
Mme Hélène Lipietz. Heureusement, comme toujours !
En effet, l’aménagement du territoire est forcément une politique complexe, puisqu’il s’agit en réalité de la conjonction de plusieurs politiques – services publics, mobilité, développement économique – qui doivent être menées à tous les échelons territoriaux.
Beaucoup d’efforts ont été menés pour organiser le développement des territoires, entre rural et urbain – peut-être insuffisamment pour le rural – et également au sein même des territoires ruraux et au sein des territoires urbains.
Malgré tout, on constate des échecs, probablement dus, dans certains cas, à une vision à trop court terme. Je ne citerai qu’un exemple : le déséquilibre entre l’est et l’ouest de la région parisienne.
Ainsi, nos collègues Fichet et Mazars ont publié en février 2013 un rapport qui souligne l’influence des politiques d’aménagement du territoire sur le développement économique : « sans infrastructures de transports et de communication adéquates, il est difficile, voire impossible d’attirer nombre d’activités économiques sur le territoire. »
Jusqu’à une période récente, l’aménagement spatial s’est borné au développement des autoroutes ou des lignes à grande vitesse.
Cette conception est révolue, et le Grenelle de l’environnement a souligné la nécessité de mettre un coup d’arrêt au développement routier.
Le transport ferroviaire de proximité est à la peine, face aux lourds investissements de modernisation nécessaires actuellement.
Pourtant, les dessertes ferroviaires locales sont pour les territoires non centraux une nécessité alors que, si l’on observe les choix budgétaires actuels, la priorité est donnée aux lignes à grande vitesse.
L’aménagement du territoire implique un réseau ferroviaire en toile d’araignée, et non ces trains à grande vitesse et grande distance qui visent à relier la France et le reste du monde à Paris.
Il faut aussi penser à reconstruire le fret, disparu depuis une vingtaine d’années : mettre un camion sur un train sera toujours moins polluant et plus sûr pour les usagers de la route qu’un camion qui roule.
Il faut donc retrouver des marges de manœuvre budgétaires grâce à la taxe poids lourds dite « écotaxe », mais qui devrait s’appeler « pollutaxe ». Cette redevance est au service de l’activité locale des territoires, parce qu’elle incite les transporteurs et leurs clients à optimiser leurs transports, autrement dit à ne plus faire circuler de poids lourds à vide.
La crise de l’écotaxe nous oblige d’ailleurs à raisonner à l’échelle européenne en prenant en compte les territoires frontaliers. L’Alsace, à l’inverse de la Bretagne, demande sa mise en œuvre car les camions ont envahi ses routes. L’Allemagne a mis en place la taxe poids lourds il y a déjà presque dix ans...
Un autre enjeu réside dans l’aménagement numérique des territoires, qui est une façon de se déplacer virtuellement ! Le numérique permet de surmonter les problèmes de mobilité, d’isolement, ou encore de handicap grâce aux services en ligne et de gérer au plus près les besoins des citoyens.
C’est pourquoi je salue les départements pionniers, notamment les départements ruraux, ceux qui se sentent tellement abandonnés par le centralisme parisien, et le volontarisme du Gouvernement qui s’est fixé pour objectif que l’ensemble du territoire ait accès au très haut débit sous dix ans. Il s’agit d’un objectif décisif pour nos territoires comme pour la France dans ses rapports avec le monde.
De plus, le maillage numérique permet la délocalisation de nos institutions, par exemple l’École nationale d’administration, l’ENA, à Strasbourg, mais aussi l’INSEE. Toutes ces institutions n’ont finalement pas besoin d’être à Paris.
M. Jean-Claude Lenoir. Malakoff, ce n’est pas très loin !
Mme Hélène Lipietz. Il permet également de désengorger Paris et de donner du travail aux jeunes, là où ils ont étudié.
Si le territoire est fixe, tel n’est pas le cas des individus et des familles. Comme le souligne la mission commune d’information concernant l’avenir de l’organisation décentralisée de la République dans le rapport qu’elle a publié récemment, on ne vit plus toujours sa retraite à l’endroit où l’on a travaillé. Ce phénomène ira en s’accélérant avec le vieillissement croissant de la population. De même, hélas ! on ne travaille plus là où on a étudié.
Comment nous, politiques, pouvons-nous avoir une quelconque action sur cette mobilité individuelle ? Devons-nous avoir une action ?
Est-ce le rôle de l’État, des régions, des entreprises ou des individus de penser l’aménagement du territoire ?
L’aménagement du territoire est-il une nécessité ou l’intelligence des territoires ne saura-t-elle pas faire face aux problèmes rencontrés avec un minimum d’intervention ? Tel est l’enjeu de notre débat. (M. Aymeri de Montesquiou applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Masson-Maret.
Mme Hélène Masson-Maret. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous le savons tous, l’aménagement du territoire est un domaine sensible. En effet, qu’il s’agisse de la politique de grands travaux, de la couverture numérique, du développement du ferroviaire, ou encore des pôles de compétitivité, toutes les actions liées à l’aménagement du territoire ont un coût, qu’il soit assuré par l’État, les collectivités ou des sociétés commerciales.
De plus, ces investissements, nous le savons également, sont peu valorisants pour les gouvernements, qui ne récoltent que trop tardivement les fruits de leurs arbitrages.
Pourtant, c’est bien à l’État qu’il convient de définir les grands axes de la politique d’aménagement du territoire.
Or, malgré les efforts des précédents gouvernements qui ont largement investi dans l’aménagement du territoire en mettant en place les pôles de compétitivité, le Grand Paris, la couverture numérique avec les réseaux d’initiative publique, le financement de lignes à haute vitesse, il est nécessaire aujourd’hui, madame la ministre, de prendre conscience du fossé qui se crée entre les hyper-centres connectés à la mondialisation et le reste de nos territoires plus démunis, meurtris, comme vous l’avez souvent dit.
Ce constat va à l’encontre même de l’esprit de la politique d’aménagement du territoire et de l’égalité des territoires. Il n’est donc pas supportable.
Il faut l’admettre, les gouvernements précédents n’ont sans doute pas réussi à répondre pleinement à la progression de l’inégalité des territoires. Mais, malheureusement, madame la ministre, en ce qui concerne le gouvernement actuel, malgré l’avancement du phénomène, il ne semble pas que vous proposiez de réponses plus ambitieuses, au contraire.
Je voudrais ici justifier mes propos. Si l’on établit une rapide comparaison entre les projets annuels de performance des programmes 112 et 162 pour les années 2012 et 2014, celle-ci montre une continuité, entre le gouvernement précédent et le gouvernement auquel vous appartenez, dans la plupart des objectifs assignés à la politique des territoires.
Cette continuité se traduit dans quelques objectifs incontournables, tels que la redynamisation des territoires ruraux, ou encore le soutien au développement des pôles de compétitivité.
Remarquons que l’on trouve en supplément, en 2014, de nombreux vœux pieux sur le développement solidaire des territoires. Cela est louable, madame la ministre, mais quels outils sont proposés par le Gouvernement pour réaliser ce développement ?
Pour étayer mes propos, prenons quelques exemples et quelques dates. Les pôles d’excellence ruraux, dont un rapport d’information sénatorial nous informe de la réussite, ont été créés en 2005. C’est lors du Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire, le CIADT, en 2010 qu’ont été prises l’ensemble des mesures afférentes à la valorisation du potentiel des territoires ruraux, comme les maisons de santé. C’est encore le 28 septembre 2010 que l’accord « + de services au public » a été signé par neuf opérateurs nationaux et l’État.
Force est de constater que vous utilisez les outils mis en place par le gouvernement précédent. Je constate que lorsqu’il s’agit des objectifs, entre 2012 et 2014, les trois quarts des indicateurs sont restés identiques. Je ne peux que vous en féliciter, madame la ministre !
Malheureusement, les politiques des territoires du gouvernement précédent et du gouvernement actuel se distinguent lorsqu’il s’agit d’évoquer les dépenses.
C’est notamment ce qu’indique l’analyse des crédits de la mission « Politique des territoires » du projet de loi de finances pour 2014. L’examen de ce texte dans quelques jours m’oblige à m’attarder un instant sur des considérations budgétaires. Pardonnez-moi d’anticiper sur l’analyse détaillée des objectifs et des crédits afférents à cette mission, mais elle constitue, madame la ministre, le point cardinal de la politique de l’État en faveur de l’aménagement du territoire.
Première constatation : la mission « Politique des territoires » est dotée de 281 millions d’euros ; sa dotation baisse donc pour la deuxième année consécutive, puisque la loi de finances pour 2013 prévoyait 310 millions d’euros et la loi de finances pour 2012, 340 millions d’euros.
Deuxième constatation, plus grave encore : plus de la moitié des 30 millions d’euros d’économies sont réalisés sur l’action 2 du programme 112, intitulée « Développement solidaire et équilibré des territoires ». Les autorisations d’engagement passent ainsi de 133 millions d’euros pour 2013 à 110 millions d’euros pour 2014. Or, madame la ministre, c’est précisément cette action qui finance l’égalité d’accès des usagers aux services publics, notamment – mes collègues l’ont déjà souligné – dans les zones rurales, ainsi que l’amélioration de l’accès à l’offre des soins par l’achèvement du financement des 300 maisons de santé pluridisciplinaires. Où en est-on ?
À l’évidence, ces restrictions budgétaires mettent en danger la continuité des engagements pris dans le cadre de la politique d’aménagement du territoire. Aussi souhaiterais-je, madame la ministre, que vous nous éclairiez sur la façon dont vous allez pouvoir tenir ces engagements. Cela me paraît capital.
Je me suis également demandé si les baisses de crédits résultaient uniquement d’économies sur les dépenses de fonctionnement. Il n’en est rien. Malgré la création du Commissariat général à l’égalité des territoires, en remplacement – on ne sait pas très bien pourquoi – de la DATAR, du secrétariat général du comité interministériel des villes et de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, les dépenses de fonctionnement augmentent par rapport aux autorisations d’engagement ouvertes en 2013, passant de 10,3 millions d’euros à 10,4 millions d’euros. Ce sont donc les dépenses d’intervention qui vont baisser : les autorisations d’engagement passent de 235,7 millions d’euros pour 2013 à 219,6 millions d’euros pour 2014.
Afin de ne pas anticiper davantage sur l’examen du projet de loi de finances, je reviendrai maintenant sur un exemple précis, déterminant pour l’égalité des territoires. Cet exemple, qui concerne particulièrement l’aménagement de mon département, les Alpes-Maritimes, mais pas seulement, témoigne à l’évidence du désengagement de l’État. Il s’agit du rapport de la commission « Mobilité 21 » sur la mobilité durable, présenté en juin dernier ; il s’agit surtout – c’est ce point que je veux souligner – de la réaction du Gouvernement, qui a salué un rapport prônant l’arrêt des constructions de lignes à haute vitesse. Madame la ministre, je souhaiterais savoir si le Gouvernement va ainsi bloquer le progrès économique, social et environnemental, au détriment du développement durable.
Les constructions de lignes à haute vitesse sont en effet indispensables pour redynamiser une aire géographique et préserver la qualité environnementale des territoires concernés. Le rapport prône notamment le développement des transports périurbains. Bien sûr, le développement de l’offre de transports périurbains est essentiel au regard des évolutions démographiques, mais elle trouvera à s’appliquer avec une intervention moindre de l’État – c’est cela qu’il importe de souligner –, ce qui n’est pas le cas de la construction des grands axes et du désenclavement de certaines régions, où l’État est et doit être le principal acteur.
Je pose donc la question au Gouvernement : quel sort compte-t-il réserver aux lignes à grande vitesse Montpellier-Perpignan et Paris-Nice ? Madame la ministre, ces deux projets ont en commun d’être essentiels pour l’économie de régions frontalières. Je dirai rapidement quelques mots sur la ligne Montpellier-Perpignan. La construction de cette ligne a été retardée à de nombreuses reprises depuis vingt ans. La situation est telle que le président socialiste du conseil général de l’Aude, André Viola, a annoncé qu’il ne recevrait plus de ministre en visite dans son département tant que le Gouvernement resterait désespérément muet sur le sujet.
J’en viens maintenant à la ligne à grande vitesse Paris-Nice, qui est essentielle pour le développement de mon département des Alpes-Maritimes. Je rappelle pour mémoire – c’est important – les trois objectifs du grand projet ferroviaire Sud Europe Méditerranée : désenclaver l’est de la région, faciliter les déplacements à l’intérieur de la région et constituer le chaînon manquant de l’arc méditerranéen Barcelone-Marseille-Gênes. Au vu de ces trois objectifs, il est évident que la construction de la ligne Paris-Nice permettrait de rationaliser l’offre de transport pour toute la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et accentuerait l’attractivité des départements de cette région.
Soulignons également que, à l’instar de la ligne Paris-Perpignan, cette liaison est essentielle pour des raisons de souveraineté, je dis bien « pour des raisons de souveraineté ». Madame la ministre, vis-à-vis de nos voisins européens, nous devons nous occuper du désenclavement de nos périphéries.
La situation est d’autant plus gênante pour la France que ces régions frontalières luttent sur le terrain de l’attractivité économique avec des régions européennes mondialement connues ; je pense notamment à la Catalogne, côté espagnol, et à la Lombardie, côté italien.
Je demande donc au Gouvernement, en raison des inquiétudes des élus et des populations, de définir les grands axes de sa politique d’infrastructure ferroviaire dans la perspective de l’examen du projet de loi relatif au ferroviaire et de l’adoption du quatrième paquet ferroviaire européen.
En conclusion – puisqu’il est temps de conclure ce bilan alarmant –, le groupe UMP manifeste de vives inquiétudes à l’endroit de la politique d’aménagement du territoire du Gouvernement. La politique d’aménagement du territoire est en danger, et le mal est profond et insidieux.
Prenons un dernier exemple. Si nous accueillons favorablement le nouveau modèle de convention visant à faciliter le déploiement de la fibre optique en France, nous considérons que la fracture numérique ou technologique n’est en fait – je veux insister sur ce point – que le résultat malheureux d’un décrochage programmé – par le gouvernement actuel – des communes classées en zone de montagne, des communes rurales et des villes moyennes, qui ne semblent pas trouver leur place dans l’égalité des territoires ni dans la mondialisation. Or, madame la ministre, le travail de fond sur l’attractivité des territoires, indépendamment de l’offre technologique, n’a toujours pas été réalisé par le Gouvernement. Nous attendons. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Madame le ministre, vous avez pleinement raison quand vous affirmez que la politique de l’égalité des territoires a l’obligation de réussir. En effet, la disparité qui subsiste entre les territoires ruraux et les territoires urbains est contraire à l’efficacité économique dans notre pays.
Nos 30 000 communes rurales sont l’avenir de la France. Ce n’est pas un langage convenu, c’est l’affirmation que notre vaste territoire, le plus grand de l’Union européenne, doit exploiter sa taille. C’est un atout considérable. Il faut rééquilibrer notre territoire et faire en sorte que les communes rurales soient elles aussi reliées aux centres économiques mondiaux. C’est à travers la généralisation de l’accès au très haut débit que l’on parviendra à exploiter les talents, attirer les investisseurs et améliorer la qualité de vie de tous, jusque dans les zones les plus isolées.
La France se situe seulement au vingt-troisième rang européen en matière de déploiement du très haut débit, et au trente-huitième rang mondial en matière de vitesse de connexion moyenne. C’est très médiocre. La France doit produire un effort considérable de mise à niveau. La quasi-totalité des petites communes subissent la fracture numérique, du fait de débits insuffisants et même, très souvent, de l’absence totale de service ADSL. Notre taux de pénétration de la fibre optique est de 8 % seulement, contre 17,7 % en moyenne européenne.
Aujourd’hui, madame le ministre, bien que 98 % des entreprises de plus de dix salariés soient connectées à Internet, la grande majorité d’entre elles n’ont pas accès à des services de très haut débit et doivent se contenter du même niveau d’offre que les particuliers. Je rappelle que le Japon et la Corée du Sud ont fait le choix stratégique d’investir massivement dans les réseaux de fibre optique pour atteindre 1 gigabit et intensifier ainsi leur compétitivité.
Le numérique est essentiel au développement des entreprises. Il est vital pour les petites et moyennes entreprises, les PME, qui représentent 60 % des emplois de notre économie et sont très souvent implantées en zone rurale. De manière plus inquiétante, les tarifs pratiqués sont absurdes, car antiéconomiques : les PME qui disposent d’une connexion à très haut débit paient 200 euros hors taxe par mois pour 2 mégabits et 1 000 euros pour 10 mégabits. C’est contraire à tout bon sens ! C’est une entrave au développement de leur compétitivité et à leur installation en zone rurale.
Les modalités de déploiement proposées inquiètent les collectivités. Par exemple, le Schéma directeur territorial d’aménagement numérique, le SDTAN, du Gers, qui définit les actions et moyens à mettre en œuvre dans le département, prévoit que le déploiement du réseau très haut débit en fibre optique ne concernera qu’une faible partie du territoire : celle où l’habitat est le plus dense.
Certaines communes équipées d’infrastructures téléphoniques, à savoir un nœud de raccordement ou un sous-répartiteur desservant plus de quatre-vingts abonnés, bénéficieront certes d’une montée en débit, mais elles n’auront pas accès au très haut débit. Les communes qui se situent à plus de cinq kilomètres de ces installations ne bénéficieront que d’un renforcement de leur débit via des antennes paraboliques et des antennes Wifi, procédés peu fiables, limités en débit et dont la durée de vie n’excédera pas quinze ans. L’ensemble des communautés de communes devront pourtant contribuer au financement de l’aménagement numérique.
Ce recours au « mix technologique », qui doit être transitoire, creuse les inégalités d’une commune à l’autre et ne répond pas aux besoins réels de la population. Il serait plus efficace d’installer la fibre optique selon un calendrier d’échéance précis, réaliste et ambitieux. Nous devons aussi anticiper l’accroissement considérable des applications du très haut débit et avoir le courage et l’ambition de prévoir un suréquipement au départ ou de mettre en place des infrastructures évolutives.
L’objectif de couvrir la France entière en 2025 représente un investissement global important, estimé à 23,5 milliards d’euros. Il faut trouver un moyen de financement juste, pérenne, équilibré, entre toutes les collectivités. Notre collègue Hervé Maurey a proposé voilà quelques instants un financement mutualisé, au travers d’une contribution des abonnements d’accès Internet fixe, de la téléphonie mobile et d’une taxe sur les produits électroniques grand public. Il a raison : il faut mettre en place un dispositif spécifique d’alimentation durable du Fonds d’aménagement numérique du territoire. Quel sera-t-il, madame le ministre ?
Pour planifier la montée en débit dans les territoires ruraux, une action coordonnée et une mutualisation des coûts entre les opérateurs privés, les collectivités territoriales et l’État sont indispensables. Les opérateurs investissent dans les territoires les plus denses, car, pour eux, les zones rurales ne sont pas rentables. Les projets réalisés en milieu urbain devront donc, dans un souci d’équité, financer les infrastructures numériques des zones rurales.
La définition d’un programme réaliste de couverture des zones blanches est attendue des élus, qui sont exaspérés d’entendre parler de l’essor de la téléphonie mobile 4G, alors que de nombreuses communes n’ont toujours pas de couverture mobile 2G et 3G ! Il est inadmissible qu’en 2013 on ne puisse pas joindre un médecin d’urgence de n’importe quel point de notre territoire.
Je cite cet exemple du domaine médical, car l’accès au très haut débit est aussi un outil indispensable de gestion de santé publique. En effet, le numérique a le potentiel pour améliorer l’efficacité de notre système de soins et de gestion de la dépendance. L’e-santé constitue l’une des solutions aux problèmes d’organisation de la couverture médicale des communes rurales. La télésanté permettra aux médecins de surveiller leurs patients à distance et d’échanger des données médicalisées avec leurs collègues par l’Internet. Mais la télétransmission des actes de soin, la gestion du dossier médical informatisé et le suivi des patients à distance ne seront possibles que si l’accès au très haut débit est une réalité sur l’ensemble du territoire.
Par ailleurs, le télétravail est une activité en pleine croissance. Inspirons-nous des Pays-Bas, où il existe une centaine de Smart Work Centers, des télécentres comportant des espaces de travail, de réunion et des salles de téléprésence. Ces structures permettent à des territoires de moindre densité urbaine d’implanter dans les zones rurales des unités économiques très variées qui sont pour l’instant implantées dans les métropoles où se concentrent les crèches, les services publics, les banques ou les micro-entreprises. Ces télécentres peuvent devenir des bases essentielles du télétravail, lequel peut être un outil de développement des territoires ruraux. À titre d’exemple, le programme novateur Soho-Solo mis en place par la CCI du Gers s’est concrétisé par la création de huit télécentres et l’inscription de plus de 300 télétravailleurs, ce qui est appréciable à l’échelle de la population active du département.
Pourtant, malgré son potentiel, le télétravail ne concerne que 7 % de la population en France, contre en moyenne 13 % en Europe et 25 % en Amérique du Nord.
Le numérique constitue notre nouvelle frontière, qui est très attendue. Il donne un sens à l’expression « égalité des chances », qui n’est que trop souvent un simple slogan. Il est un moyen de donner une réalité au désir d’entreprendre, qui a déserté notre pays, en privant des territoires de l’économie moderne.
Francis Bacon nous exhorte à « reculer les bornes de l’Empire humain en vue de réaliser toutes les choses possibles ». Dans cet esprit, le numérique révolutionne notre société en générant de nouvelles inventions. La croissance repose aujourd’hui sur les nouvelles technologies et leurs applications. Si nous ne parvenons pas à résoudre le problème de l’accès au très haut débit dans les territoires ruraux, nous pénaliserons toute la France. En créant un écosystème favorable à la créativité et au progrès sur l’ensemble de notre territoire, nous entrerons ainsi tous ensemble dans la modernité. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, régulièrement, le Sénat débat sur le thème de l’aménagement du territoire pour dire combien il est important de permettre un aménagement équilibré de notre pays, listant tous les domaines où l’intervention publique est nécessaire pour garantir l’égalité partout sur l’ensemble du territoire.
Je dois bien avouer que plutôt que de débattre entre nous, sans que cela puisse déboucher sur une mesure concrète, nous aurions préféré examiner le projet de loi sur les territoires qui nous a été annoncé voilà maintenant plusieurs mois. Madame la ministre, vous nous direz sans doute dans votre réponse quand celui-ci nous sera enfin soumis.
Nous aurions également aimé que le Sénat adopte, le 10 octobre dernier, comme il en avait la possibilité, la proposition de loi, présentée par mon collègue Le Cam, opérant un rééquilibrage dans la répartition de la dotation globale de fonctionnement aujourd’hui trop défavorable aux petites communes.
Nous partageons, semble-t-il, sur toutes les travées, ou presque, de cet hémicycle, le diagnostic préoccupant de l’abandon progressif des territoires, du creusement des inégalités sociales et spatiales depuis de trop nombreuses années. Les sénateurs Renée Nicoux et Gérard Bailly ont d’ailleurs produit, il y a peu, un rapport dressant un constat sans appel sur le sujet.
La France a longtemps été un pays au fort pouvoir central, mais le mouvement engagé depuis les années quatre-vingt a amorcé une décentralisation donnant plus de pouvoirs aux territoires. Cette démarche a jusqu’à présent toujours été accompagnée d’une forte déconcentration permettant l’accompagnement et le soutien de l’État au plus près des territoires, ce qui a permis des avancées majeures pour la population.
Aujourd’hui, avec l’acte III de la décentralisation, le Gouvernement rompt avec cette tradition : tout en se voyant confier plus de responsabilités et de compétences, les collectivités sont privées du soutien de l’État et sont très contraintes financièrement. L’État lance même des politiques sans prévoir les ressources nécessaires pour les mener en confiant simplement leur réalisation aux collectivités selon le principe : « je décide, tu paies ! »
La réforme des rythmes scolaires constitue à ce titre un bel exemple. Ce sont les collectivités qui assument une politique décidée nationalement, sans les ressources nécessaires, créant de fortes disparités sur le territoire et une insatisfaction justifiée.
Ainsi, dans le cadre des lois de finances, non seulement les dotations des collectivités baissent de 3 milliards d’euros sur deux ans – et nous pensons que cette baisse va continuer –, mais, en plus, l’ingénierie d’État continue d’être démantelée, notamment dans le cadre du ministère de l’égalité des territoires. Comment agir dans ces conditions ? Comment œuvrer pour l’égalité des territoires lorsque la présence humaine au sein des préfectures est toujours rognée, avec des effectifs en baisse de 3 000 emplois entre 2009 et 2013 ? Ce désengagement de l’État bat en brèche, à nos yeux, la notion même d’égalité des territoires.
Alors se dessine une France à deux vitesses distinguant les territoires relevant de la métropole, qui aspirent les pouvoirs et les ressources, et les autres territoires, laissés sinon à l’abandon, du moins dans de grandes difficultés.
Une telle réorganisation de l’architecture institutionnelle porte atteinte à toute idée d’aménagement équilibré des territoires, et comporte deux écueils. Tout d’abord, elle met à mal la démocratie, parce que, nous le savons tous, la proximité des élus avec la population, et le contrôle réel que celle-ci peut opérer, est le gage d’une meilleure adéquation entre les besoins et les projets portés par et pour les territoires.
En outre, la marche forcée organisée vers l’intercommunalité, comme modèle et réponse unique aux enjeux d’aménagement du territoire, ainsi que nous l’avons vu lors du débat sur le transfert automatique de la compétence PLU, semble être une impasse ou, du moins, apparaît déconnectée des réalités locales concrètes.
Alors que l’État, depuis de nombreuses années, a laissé les territoires à l’abandon faute d’y consacrer les moyens nécessaires, ceux-ci ont dû s’organiser eux-mêmes. Aujourd’hui, les lois successives tendent vers la définition d’un cadre normatif et législatif extrêmement contraignant laissant entendre que les élus locaux, principalement les maires, seraient responsables de tous les maux, et notamment de l’étalement urbain, de l’artificialisation de sols, de la gabegie des finances. Quelle caricature !
En donnant le sentiment d’une impuissance, voire d’une incompétence des élus locaux, alors même que ce sont les collectivités qui sont à l’origine de plus de 70 % de l’investissement public, on nourrit désillusion et colère, on renforce, au fond, le sentiment de l’abandon et de la fatalité, ce qui, dans un contexte économique tendu, a des conséquences politiques graves pouvant mener à des comportements antirépublicains.
Aborder efficacement l’enjeu de l’aménagement du territoire devrait ainsi se traduire prioritairement par l’octroi de moyens financiers et humains en appui aux collectivités, car force est de constater qu’elles sont les maillons essentiels de la cohésion nationale.
L’État, par sa politique en termes de service public, a également renoncé à garantir à tous l’accès aux services principaux. Nous regrettons à cet égard que la présente majorité n’ait pas mis un point d’honneur à revenir sur les lois successives de privatisation, que ce soit de la Poste, d’EDF ou de GDF. Le démantèlement de la présence des hôpitaux publics se poursuit, au nom de la rationalisation de l’action publique. Le rail souffre toujours de sous-investissement, comme en témoigne l’accroissement de sa dette. Le fret est progressivement abandonné dans sa mission de proximité, alors que le wagon isolé est l’un des éléments déterminants de la transition écologique. Des villages continuent de dépérir, alors même que, selon des études récentes, de plus en plus de nos concitoyens aspirent à partir des zones urbaines, espérant ainsi gagner en qualité de vie. Mais ils ne le font pas, faute d’infrastructures suffisantes et de garantie d’emploi.
Car, au fond, c’est bien de cela qu’il s’agit : la redynamisation de nos territoires et la nécessaire réindustrialisation ne peuvent être réussies en dehors de la présence et du maillage fin du territoire par les services publics.
Dans ce cadre, nous regrettons que les engagements financiers pour la couverture numérique ne soient pas à la hauteur des enjeux de cette révolution, pourvoyeuse de développement et source d’emplois, notamment pour les territoires les plus enclavés. L’enjeu numérique est du même ordre que la construction du rail hier : c’est fondamental !
À ce propos, j’ai entendu avec plaisir notre collègue Hervé Maurey fustiger l’attitude du privé, qui investit seulement là où c’est rentable. Mon cher collègue, vous me voyez ravie de constater que vous rejoignez nos positions !
M. Hervé Maurey. Ma conviction ne date pas d’aujourd’hui !
Mme Évelyne Didier. Madame la ministre, vous proposez de poursuivre la voie tracée par la précédente majorité, dès 2010, avec le projet de « plus de service au public » en lieu et place de « plus de service public ». Les mots ont un sens !
Vous avez annoncé comme un engagement fort, le 4 novembre dernier, 1 000 nouvelles maisons de services au public à l’horizon 2017. L’État et les opérateurs contribueront à couvrir 50 % des besoins de fonctionnement des initiatives locales. Le reste sera, encore une fois, à la charge des collectivités locales. Une telle démarche relève pourtant, à nos yeux, de la responsabilité nationale.
Sur le fond, et plus généralement, le Gouvernement est lié par Bruxelles et sa politique de l’austérité. En adoptant le traité européen, vous avez autorisé la Commission à se prononcer sur les budgets nationaux et même à exiger des modifications si elle estime que les documents ne sont pas conformes aux objectifs.
Elle a d’ailleurs fait savoir qu’elle attendait beaucoup plus de rigueur de l’État français. Le budget dont nous débattrons bientôt, qui nous semble déjà contestable, est même jugé insuffisamment rigoureux et trop dispendieux.
Nous croyons donc, et je terminerai sur ce point, que les politiques d’aménagement du territoire ne pourront trouver de cadre d’amélioration qu’en rompant avec le carcan libéral imposé, qui conforte les inégalités territoriales et sociales. Au fond, c’est l’idée même d’une politique publique qu’il faut réhabiliter.
À défaut de remise en cause des dogmes libéraux appliqués aux territoires, l’idée même d’aménagement du territoire n’est plus opérationnelle pour assurer le développement de tous nos territoires tant elle est assimilée par certains à une véritable politique d’assistance. (Mme Hélène Lipietz applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Camani.
M. Hervé Maurey. Courage, Pierre !
M. Pierre Camani. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, vous me permettrez tout d’abord de regretter le ton outrancièrement polémique de M. Maurey, que j’ai connu, parfois, plus mesuré.
Comme toutes les politiques publiques, la politique de l’aménagement du territoire a oscillé au cours des cinquante dernières années entre une option libérale et une option plus régulatrice.
La création du ministère de l’égalité des territoires symbolise la volonté du Gouvernement de lutter contre la fracture territoriale qui s’est aggravée ces dernières années.
Laurent Davezies nous rappelle que, grâce à la décentralisation, les inégalités régionales se sont considérablement réduites. Le fameux ouvrage de Jean-François Gravier, Paris et le désert français, publié en 1947, décrivait une France déséquilibrée entre une région-capitale écrasante où tout se passait et une province endormie dont l’ennui faisait fuir les talents vers la ville lumière. Nous n’en sommes plus là, fort heureusement.
Mais en même temps que les inégalités régionales se réduisaient considérablement, les inégalités infrarégionales, elles, persistaient, voire se développaient, notamment ces dernières années.
L’égalité des territoires constitue non pas un absolu, mais un cadre pour l’action publique. À cet égard, je me félicite du changement de cap du Gouvernement dans ce domaine, et en dix-huit mois la logique de l’intervention de l’État a été inversée.
Elle a tout d’abord été inversée par l’instauration d’une nouvelle relation entre l’État et les collectivités territoriales et leurs élus. Une relation de confiance…
M. Jean-Claude Lenoir. Ça se voit dans les sondages !
M. Pierre Camani. … affichée par le Président de la République à la Sorbonne, en octobre 2012, lors des états généraux de la démocratie territoriale. Une nouvelle relation proposée par le Premier ministre dans le cadre de l’élaboration du nouveau Pacte de confiance et de responsabilité entre l’État et les collectivités territoriales.
« L’État et les collectivités territoriales doivent retrouver le chemin de la confiance. Ils doivent être des partenaires, des acteurs qui se complètent », a déclaré le Premier ministre. Je cite cette phrase car, vous le reconnaîtrez tous aisément, elle nous change des discours stigmatisant les collectivités territoriales et les élus qui avaient contribué à installer un lourd climat de défiance dans les territoires.
Ce changement de paradigme s’établit dans un contexte financier difficile et l’opposition a beau jeu de critiquer les réductions de crédits, mais le cap est le bon !
La logique d’intervention de l’État a été inversée, parce que, madame la ministre, vous avez clairement et fortement affirmé, dans votre discours de Vesoul en particulier, que l’aménagement du territoire doit redevenir une priorité !
La crise que nous traversons est violente pour tous, mais selon la place que l’on occupe désormais dans le réseau de production mondial, on est plus ou moins exposé, on résiste plus ou moins. La crise est violente, mais tous les territoires ne la subissent pas de la même manière.
Le journal Le Monde daté du 31 octobre présente une carte de l’INSEE qui dépeint, de manière impressionnante, les fractures territoriales à partir des évolutions du nombre d’emplois par bassin d’emploi entre 2008 et 2012. Celles-ci varient de moins 14 % à plus 6 %. Certains bassins d’emploi ont un taux de chômage supérieur à 13 %.
Dans mon département de Lot-et-Garonne, les trois bassins d’emploi ont tous subi une baisse du nombre d’emplois : pour deux d’entre eux, la baisse s’établit entre 0 % et 5 % et, pour le troisième, autour de 10 %. Ce département est situé, pour partie, dans la fameuse « diagonale aride » identifiée par le géographe André Brunet et vous comprendrez que je sois particulièrement sensibilisé à la question de l’aménagement du territoire.
Cette géographie du choc de la crise appelle un volontarisme de l’action publique, un partenariat étroit entre les collectivités territoriales et les acteurs économiques et sociaux. La politique d’aménagement du territoire doit viser à soutenir les territoires en difficulté, tout en encourageant la dynamique des territoires les plus compétitifs, car ceux-ci « tirent » la croissance et assurent la péréquation.
Je salue votre volontarisme, madame la ministre, dans ce contexte extrêmement difficile, je le répète.
Je me félicite de la création du Commissariat général à l’égalité des territoires, le CGET, qui regroupera les services de la DATAR, de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances et du secrétariat général du comité interministériel des villes. Le Commissariat général à l’égalité des territoires atteste la volonté d’en finir avec la dichotomie entre l’urbain et le rural, qui a marqué la conduite des politiques en faveur des territoires ces dernières années. Il devrait doter l’État d’une structure lui permettant de concevoir ces politiques de façon plus globale, et donc plus cohérente. Il devrait également lui permettre de conduire ses missions de manière plus « transversale ». Il constitue en tout cas une nouvelle et belle occasion pour revisiter notre conception de l’aménagement du territoire.
Parmi les objectifs majeurs fixés au CGET, vous insistez sur l’accessibilité des services au public. Nous le constatons tous, la disparition des services publics et des services au public en milieu rural engendre un sentiment d’abandon extrêmement fort de la part des élus et des populations locales. Il est urgent de réagir.
La création d’emplois dans l’éducation et dans les forces de sécurité constitue un geste fort à l’égard des territoires. Pour la première fois depuis sept ans, vingt et un postes d’enseignants ont été créés à la rentrée de septembre 2013 dans mon département. De tout cela, M. Maurey ne dit rien, et il ose parler d’objectivité !
Les maisons de services au public peuvent constituer une réponse pour les territoires les plus démunis et je vous demande, madame la ministre, de bien vouloir nous préciser vos ambitions en la matière.
J’attends avec impatience la mise en œuvre des schémas départementaux d’accessibilité des services au public, prévus dans le deuxième projet de loi de décentralisation. Madame la ministre, vous envisagez d’expérimenter cette mesure avant le vote de la loi, avec les départements qui le souhaitent. Je me permets donc de vous proposer la candidature du département de Lot-et-Garonne, que j’ai l’honneur de présider.
Je suis persuadé que les départements peuvent, en partenariat avec les intercommunalités et l’État, jouer un rôle de premier plan dans le maillage des services publics et des services au public ; tel est d’ailleurs le cas dans mon département.
De la même manière, ils peuvent et doivent mener des politiques partenariales avec l’État et les intercommunalités en faveur des aménagements des centres-bourgs ruraux, pour éviter leur dépérissement et accompagner leur revitalisation. Dans le secteur du logement, les partenariats entre l’État, les collectivités et les opérateurs peuvent également s’avérer féconds.
La nouvelle vision de l’aménagement du territoire que vous défendez, madame la ministre, doit trouver sa traduction dans la nouvelle phase de négociation des contrats de plan État-région qui font suite aux contrats de projet.
Ceux-ci devront, me semble-t-il, incarner une autre approche de l’aménagement du territoire pour passer d’une logique de compétition entre les territoires à une logique d’accompagnement d’une stratégie régionale de prise en compte des territoires en déshérence. Il est en effet choquant de constater, mes chers collègues, que ce sont généralement les territoires disposant de moyens importants en ingénierie qui remportent ces appels à projet, même si, je le répète, les territoires dynamiques doivent aussi être encouragés. Cependant, la logique libérale des appels à projet contribue à exclure les territoires les plus fragiles. Ces procédures peuvent donc créer des inégalités là où elles sont censées les réduire. Des mesures spécifiques doivent donc être envisagées pour les territoires les plus fragiles. De ce point de vue, les pôles territoriaux de solidarité et d’aménagement, introduits par le Sénat dans le projet de loi relatif aux métropoles, peuvent constituer des outils intéressants.
Au-delà de la problématique essentielle de la création de valeur et de la création d’emploi dans les espaces ruraux, je voudrais m’attacher à rappeler l’importance stratégique du numérique et de la démographie médicale dans l’aménagement du territoire.
Le numérique est en train de bouleverser l’économie, le rapport entre les individus, le rapport à la distance et au temps. Il constitue un vecteur et un enjeu de développement majeur pour nos sociétés. Il constitue également un vecteur de fracture territoriale, si l’on en reste à une simple logique libérale de déploiement des réseaux, comme le faisait le précédent gouvernement.
La logique engagée par le Gouvernement est tout autre : un État stratège au service de la compétitivité et des territoires.
M. Hervé Maurey. Vous avez raison !
M. Pierre Camani. La feuille de route numérique et le plan « France très haut débit » portent une nouvelle vision de l’aménagement du territoire avec, d’une part, une volonté affichée de couvrir l’ensemble du territoire en très haut débit dans les dix ans et, d’autre part, la prise en compte des spécificités territoriales dans le soutien de l’État : financement des déploiements du très haut débit dans les zones denses par les opérateurs, cofinancement par les opérateurs et les collectivités territoriales et l’État dans les zones moins denses, cofinancement par l’État et les collectivités territoriales dans les zones très peu denses, avec des soutiens financiers de l’État pouvant atteindre 62 %.
Le modèle proposé semble recueillir l’assentiment de la plupart des acteurs du numérique. Un grand pas en avant a été fait dans ce domaine par rapport à la situation antérieure (M. Hervé Maurey s’exclame.), et il ne tardera pas à produire ses effets, monsieur Maurey,…
M. Hervé Maurey. On verra !
M. Pierre Camani. … tant les projets sont nombreux sur nos territoires.
De la même manière, la démographie médicale constitue un enjeu majeur pour l’aménagement équilibré du territoire, car la désertification médicale précède la désertification tout court ! Cette réalité inquiète les Français concernés, car les inégalités de territoire sont flagrantes. Le pacte territoire-santé, présenté par Marisol Touraine, vise à mettre en place un plan global de lutte contre les déserts médicaux. Il va dans la bonne voie, mais il faudra aller plus loin pour éviter que ne s’établissent des situations irréversibles sur certains territoires.
Les territoires ruraux attendent une meilleure considération de la place qu’ils tiennent dans notre pays. La France ne peut se réduire à quelques métropoles entourées d’espaces récréatifs. Les espaces ruraux peuvent être des espaces d’innovation pour peu que les volontés locales, soutenues par un État stratège, trouvent là une expression commune.
Dans son ouvrage Du contrat social, Rousseau écrivait : « C’est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l’égalité, que la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir ». À nous, législateur de contribuer à cette entreprise au travers de la future loi pour l’égalité des territoires que vous allez bientôt nous présenter, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le Président de la République a rappelé, dès son élection, la nécessité de lutter contre la « fracture territoriale ». Comme certains d’entre nous l’ont souligné, il a créé à cet effet le bienvenu ministère de l’égalité des territoires, ce qui devrait permettre de prolonger un souci relativement constant de l’action publique, celui de l’aménagement du territoire. En effet, nous avons souvent légiféré en ce domaine, soit directement, par l’adoption de grandes lois, soit indirectement, à travers des textes ambitieux sur la politique rurale, les transports et le logement.
À l’issue de quelques décennies de pratique de la politique d’aménagement du territoire par l’État, mais aussi par les collectivités locales responsabilisées par la décentralisation, la question est de savoir si le déséquilibre entre le milieu rural et le milieu urbain apparu après la guerre s’est aggravé.
Je dirai, pour ma part, que le bilan est mitigé. Nous sommes heureusement loin, madame la ministre, du « désert français » décrit en 1947 par le fameux géographe Jean-François Gravier dénonçant la macrocéphalie parisienne.
L’espace rural a conservé un certain dynamisme, malgré la diminution de l’emploi agricole. Sans occulter les difficultés, je voudrais rappeler, comme le fait régulièrement l’Association des maires ruraux de France, qu’il faut changer de regard sur la ruralité pour lui donner sa véritable dimension, car l’espace rural représente tout de même 70 % de la superficie totale de l’Hexagone. Dans mon département de Tarn-et-Garonne, de trop nombreuses communes enregistrent plus de décès que de naissances. Pourtant, les lois de décentralisation ont donné des compétences aux collectivités locales, qui ont permis de maintenir, pour la plupart des communes, un cadre de vie et des équipements collectifs tous aussi attractifs que ceux des grandes villes.
Il est également vrai – et nous le déplorons tous, mes chers collègues – que l’on observe un retrait très progressif, mais certain, des services publics. Je pense en particulier à la poste, à la santé, à la justice et à la sécurité, avec un affaiblissement de la gendarmerie en milieu rural, qui subit pourtant de nouvelles formes de délinquance. La révision générale des politiques publiques, la RGPP, a ses limites : aujourd’hui, dans certains services de l’État, on a « atteint l’os ».
La couverture numérique, plusieurs orateurs l’ont rappelé, n’est pas non plus à la hauteur des besoins de tous les territoires. Il faut souvent plaider sa cause auprès des opérateurs pour qu’ils assurent une certaine continuité territoriale.
Je n’oublie évidemment pas l’emploi qui est une préoccupation plus aiguë lorsqu’on ne vit pas directement dans l’orbite d’une grande métropole. Quand les salariés du groupe Doux crient « Non à la misère ! », ils rappellent que le malaise de notre industrie touche en premier lieu les territoires ruraux, tandis que le milieu urbain, nous le savons, amortit mieux la crise. Pendant trente ans, grâce à un effet redistributif, la cohésion territoriale a semblé se maintenir, mais elle se fissure dangereusement aujourd’hui.
En réponse à ce constat, que pouvons-nous faire que nous n’ayons pas déjà expérimenté ? Récemment, nous avons déjà eu l’occasion de débattre de la politique d’aménagement du territoire. Je me réjouis de cette nouvelle initiative qui prolonge celle du groupe RDSE, auteur d’une proposition de résolution sur l’égalité territoriale que nous avions examinée l’année dernière. À l’époque, le président de notre groupe, Jacques Mézard, avait rappelé que la République, conformément à ses valeurs fondatrices, était garante de l’égal accès des citoyens aux services publics, mais aussi à l’emploi et au logement.
Cela suppose, mes chers collègues, de se remobiliser pour une nouvelle politique d’aménagement du territoire adaptée aux nouveaux enjeux issus de la mondialisation. Certains outils publics ont besoin d’être toilettés. L’État ne doit pas être plus présent, mais plus efficace. La DATAR doit être réformée. Nous devons mettre en place une démarche planificatrice. Bien sûr, la question des moyens financiers est prégnante. À cet égard, soyons clairs : tant qu’il n’y aura pas de véritable péréquation, les inégalités entre territoires perdureront. Notre Constitution dispose pourtant à son article 72-2 que « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales ». Cette affirmation est fondamentale, mais disons-le sans détour, mes chers collègues, elle ne crée aucune contrainte.
Les outils existent : qu’il s’agisse de la péréquation verticale ou de la péréquation horizontale, nous disposons d’une palette de dotations et de fonds. Pour autant, la conjugaison de tous ces instruments n’aboutit pas à une véritable solidarité financière qui permettrait aux communes les plus concernées de mieux lutter contre les processus de désertification.
Nous savons comment le sentiment d’abandon alimente tous les populismes. C’est pourquoi, madame la ministre, nous attendons avec beaucoup d’impatience la grande loi de modernisation que vous allez nous proposer : nous participerons très activement au débat auquel elle donnera lieu. (Mme Hélène Lipietz applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par quelques observations liminaires.
Première observation : la fracture territoriale s’est aggravée ces dernières années. Elle a toujours existé, comme en témoigne la situation de la France au lendemain de la guerre – cela a été rappelé –, et l’on pourrait remonter plus loin encore ; mais elle s’est accentuée en raison de la crise, et dans un État ne disposant pas des moyens qui lui seraient nécessaires, certains territoires souffrent plus que d’autres.
Deuxième observation : le clivage entre monde urbain et territoire rural est largement effacé au profit d’autres clivages, qui ont d’ailleurs été mis en exergue dans un rapport récent issu des travaux de la mission commune d’information créée par le Sénat et présidée par Jean-Pierre Raffarin sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République.
Ces constatations reposent sur les appréciations de Laurent Davezies qui décrit très bien la réalité de la France : sans distinguer le monde rural et le monde urbain, il identifie « quatre France » : les territoires marchands et dynamiques, constitués de grandes villes, de zones industrielles ; les territoires marchands en difficulté, rassemblant les anciens bassins industriels, sidérurgiques, miniers ; mais aussi les territoires non marchands dynamiques, notamment toute la partie ouest de la France, du Nord au Sud à partir de la Manche ; enfin, les territoires non marchands en difficulté, à savoir les zones de montagnes et les zones éloignées. Chacun s’y retrouvera !
Troisième observation : oserai-je le dire, car je ne voudrais choquer personne, je ne crois pas au principe de l’égalité en matière de politique d’aménagement du territoire. Nos territoires ne se ressemblent pas ; chacun a sa spécificité, son identité, et je revendique, d’une certaine façon, le droit à la différence et à la diversité. Vouloir appliquer les mêmes recettes, les mêmes normes, les mêmes modes d’intervention à tous nos territoires, quels qu’ils soient, me paraît complètement utopique. (Mme la ministre acquiesce.)
Je vous dirai à la fin de mon intervention vers quel concept, en revanche, je pense qu’il faut tendre. Mais ce mot d’« égalité », même s’il est prononcé avec bonheur et délectation par celles et ceux, nombreux, qui affirment que c’est le deuxième terme de la devise de la République française, n’est pas aisé à mettre en œuvre.
Devant ces « différentes France » que Laurent Davezies évoquait, madame la ministre, vous disposez de deux leviers : celui de l’efficacité pour les territoires aux industries de pointe et aux centres de recherche particulièrement performants, mais également celui de la solidarité, au profit des territoires qui connaissent aujourd’hui de grandes difficultés.
Quelles sont les politiques à mener ?
Citons tout d’abord celles que l’État doit mener : ce sont les fonctions régaliennes de l’État s’agissant de l’aménagement du territoire, au premier rang desquelles s’entendent évidemment les missions confiées, d’une part, aux forces de police et de gendarmerie, et, d’autre part, à la justice.
À ce propos, des mesures réorganisant les juridictions en France avaient été prises avant les élections, mais ce n’est pas la réintroduction du tribunal de grande instance à Tulle qui doit nous faire croire que de grands changements sont intervenus ! (Sourires.) D’autres villes sont légitimes à en attendre plus.
Il est bien sûr une autre fonction régalienne : l’école. À cet égard, et contrairement à l’appréciation portée par l’un de nos collègues qui ne comprenait pas que la question des rythmes scolaires fût évoquée par notre collègue Hervé Maurey, je dirai que cette question est extrêmement importante, car les territoires les plus éloignés, les moins peuplés, les territoires ruraux, surtout ceux en difficulté, ont bien du mal à mettre en œuvre ces mesures qui ont été décidées par le ministre.
Qu’il me soit permis d’ouvrir une petite parenthèse sur ce point, puisque c’est la première fois depuis ce week-end que j’ai l’occasion de m’exprimer à la tribune de la Haute Assemblée.
Le Premier ministre a fustigé, samedi dernier, les maires qui « refusaient », disait-il, de mettre en œuvre la réforme des rythmes scolaires à la rentrée 2014. Selon lui, ils ne pouvaient pas « aller contre la loi ».
Mes chers collègues, je me permets de rappeler que ce n’est pas la loi qui a fixé les rythmes scolaires ;…
M. Gérard César. C’est un décret !
M. Jean-Claude Lenoir. … c’est un décret du 24 janvier 2013 et une circulaire prise quelques jours auparavant.
Je ne dis pas que le sens du respect des textes ne doit pas conduire les élus, notamment, à les respecter, mais affirmer que ces textes sont du domaine de la loi, c’est responsabiliser les parlementaires. M. le Premier ministre ne peut tenir de tels propos, et je me permets de le corriger sur ce point, avec le plus grand respect pour sa fonction et sa personne !
D’autres fonctions importantes relèvent aussi de l’État : ce sont celles qui consistent à soutenir les territoires les plus dynamiques, mais aussi à apporter à ceux qui le sont moins, les moyens ou les compensations leur permettant d’affronter des difficultés, temporaires pour certains, malheureusement durables pour de nombreux autres.
Madame la ministre, ce territoire que l’on va qualifier de « rural », quelle que soit l’appréciation que j’ai portée tout à l’heure, est animé par des élus extrêmement volontaristes. La créativité y est quotidienne. Autour des élus, des citoyennes et des citoyens, particulièrement bien inspirés, souhaitent participer à l’action publique locale. Encore faut-il leur en donner les moyens.
Dans quels domaines cette intervention est-elle la plus importante ? Il suffit tout simplement, pour le savoir, de demander à un citoyen nouveau venu dans un territoire ce qu’il espère y trouver. Beaucoup parmi nous sont maires – encore que la loi risque de les en empêcher dans quelques années – ; qu’entendons-nous de la part des personnes qui viennent s’installer dans nos territoires ?
Tout d’abord, pour être certain que l’on puisse y demeurer, il faut vérifier la possibilité de s’y rendre. La question des communications, plus particulièrement routières s’agissant de mon territoire, est évidemment essentielle. L’État a réduit son réseau national, encore faut-il qu’il consacre les moyens nécessaires pour que les kilomètres demeurant à sa charge soient non seulement entretenus, mais modernisés.
Je ne peux m’empêcher à ce propos, madame la ministre, d’évoquer un sujet dont je reconnais volontiers qu’il n’est certainement pas présent dans votre esprit ce soir – mais au moins l’aurais-je évoqué – : l’aménagement de la nationale 12 qui conduit les automobilistes parisiens vers la Bretagne et vers Brest. J’insiste notamment, et je l’évoque régulièrement quand on parle d’aménagement du territoire, sur le goulet d’étranglement qui pénalise une bonne partie de l’ouest de la France, situé à Saint-Denis-sur-Sarthon, une commune de l’Orne.
Ensuite, il faut des télécommunications performantes. Beaucoup a été dit par les collègues qui m’ont précédé à cette tribune sur l’importance du très haut débit – je ne m’étendrai pas sur une telle évidence – ; c’est la chance de nos territoires. Aujourd’hui, chacun peut être relié à l’ensemble du monde de par son activité professionnelle ou du fait des liens familiaux et sociaux entretenus grâce à cette technologie.
De ce point de vue, il nous faut être bien plus ambitieux que le Gouvernement. Tout à l’heure, l’un de mes collègues affirmait savoir qui serait servi la dixième année.
M. Hervé Maurey. Oui !
M. Jean-Claude Lenoir. On peut penser, en effet, que les premiers servis seront les territoires déjà bien pourvus et plus riches que les autres. Mais on n’attendra pas dix ans pour que des territoires éloignés et dépourvus connaissent l’arrivée du très haut débit. Il faut être imaginatif, et rappeler, madame la ministre, que les collectivités territoriales sont assez désireuses de vous accompagner, au travers de procédés contractuels, afin de renforcer les moyens mis en œuvre par l’État.
Il est un autre domaine important : la culture.
Une politique culturelle ambitieuse dans un territoire est un des piliers du développement économique. Les Français ne supportent plus qu’il puisse exister un décalage, comme on l’a connu autrefois – quand j’étais jeune, je le subissais avec une grande amertume – entre les villes et nos territoires les plus éloignés. Ces territoires – et je pense plus particulièrement à celui que je représente – se sont dotés d’installations et d’équipements et ne demandent qu’à offrir à nos concitoyens des expositions, des représentations et des concerts. Aujourd’hui, le spectacle vivant a toute sa place au sein du territoire rural, d’autant que depuis longtemps, notamment après la guerre, nombre d’animateurs ont excellé pour distraire, divertir et apporter un peu d’animation dans nos campagnes les plus reculées.
Un autre domaine essentiel est la santé.
Mon appréciation diverge de celle de notre collègue Hervé Maurey, car je crois beaucoup aux pôles de santé. C’est pourquoi je demande à l’État de nous aider à en construire. Chacun a son expérience, et je peux comprendre que le département de l’Orne, proche du mien, ait pu éprouver quelques déconvenues.
Pour ce qui nous concerne, la chance nous a sans doute souri, car certaines de nos réalisations connaissent au contraire un très grand succès. Finalement, offrir aux professionnels de la santé un cadre leur permettant de travailler ensemble, de façon coordonnée et cohérence, est certainement un moyen de les attirer, si j’en juge par le nombre de jeunes médecins nouvellement arrivés. Mais ils ne sont pas les seuls : infirmiers et autres professions paramédicales peuvent aussi venir enrichir ces pôles de santé.
Lorsque des personnes s’installent dans nos communes, nous sommes interrogés sur de nombreux autres domaines ; il en est un, madame la ministre, qui vous concerne directement, puisque j’ai lu vos déclarations à cet égard : ce sont les maisons de service public.
Vraiment, je pense que c’est une bonne idée.
M. Jean-Claude Lenoir. Elle n’est pas nouvelle, permettez-moi de vous le dire, mais l’important n’est pas seulement d’avoir l’idée, c’est de la transformer en projet. Pour cela, il faut des moyens. J’ai cru lire, madame la ministre, que vous étiez prête à mobiliser des moyens équivalents à 50 % des frais de fonctionnement de ces maisons de service public.
Bien sûr, il faudra convaincre lesdites administrations de l’État ainsi que d’autres services ou organismes publics de travailler ensemble, mais, honnêtement, je pense qu’ils y sont tout à fait prêts. Le fait de mettre à leur disposition des locaux adaptés avec un parking subséquent me paraît aller dans le bon sens.
Pour m’en tenir au temps qui m’est imparti, madame la ministre, je conclurai en vous disant la chose suivante : si je ne crois pas à l’égalité, je crois à l’équité ! Or l’égalité n’est pas assurée. Je vous demande donc d’être équitables avec les territoires dont les besoins sont importants. (M. Fauconnier s’exclame.) C’est le cas des zones urbaines, et je le comprends, eu égard aux problématiques qui s’y posent. Je comprends surtout que le monde rural a besoin de moyens plus modestes pour réussir au moins aussi bien, et parfois mieux, car il apporte quelque chose d’essentiel : la qualité de vie.
M. Jean-Louis Carrère. Vous avez raison, il faut préserver la qualité de vie. C’est une bonne ambition : la chasse aux pinsons, etc.
M. Jean-Claude Lenoir. Ainsi, les Français qui, pour beaucoup d’entre eux, ont une origine rurale, peuvent retrouver ce lien très fort avec le territoire où ils sont nés.
En définitive, derrière tout cela, c’est d’une politique visant à renforcer le lien social, ce lien aujourd’hui si distendu, que nous avons tant besoin ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC et du RDSE.)
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Delphine Bataille.
Mme Delphine Bataille. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, si de nombreux territoires subissent de plein fouet une crise économique qui perdure, ce sont les espaces à dominante rurale qui sont les plus touchés. Ces ensembles, qui comprennent les petites unités urbaines, représentent les deux tiers du territoire métropolitain.
Ce sont les campagnes, les communes rurales et les petites villes qui paient tout particulièrement aujourd’hui le prix de plusieurs années de politiques publiques désastreuses.
La réalité que nous vivons sur le terrain, nous, élus, avec la population, c’est une attente insatisfaite de solidarité nationale et un fort sentiment d’abandon.
La situation du département du Nord est emblématique des difficultés que rencontrent nombre de territoires, dans leurs espaces ruraux en particulier. Le Nord a connu une recomposition sociale importante au cours des dernières années. Ce département, extrêmement jeune dans ses zones urbaines à forte densité de population, voit néanmoins les trois quarts de sa surface désertés de manière croissante par les actifs, laissant place à une population vieillissante, disséminée dans la campagne.
De manière logique, le renforcement du poids des villes entraîne le déclin de l’activité en milieu rural. Les décisions nouvelles relatives à la décentralisation, qui renforcent le poids des entités urbaines, risquent de vider un peu plus les campagnes de leur substance et d’affaiblir les départements, pourtant vecteurs naturels de l’égalité des territoires.
Territoire de tradition ouvrière historique, le Nord est aujourd’hui marqué par une importante artificialisation de ses terres, un habitat individuel très étendu, un vieillissement de la population et, dans le même temps, un renouvellement dû à une arrivée massive de foyers à faibles revenus.
Toutefois, la tendance actuelle des propriétaires en milieu rural est d’aligner les loyers sur les pratiques urbaines et, donc, de réduire la part des loyers accessibles et supportables, notamment pour les familles modestes.
La réponse évidente serait un effort des offices d’HLM en direction des petites communes.
La population rurale est aussi caractérisée, d’une part, par une surreprésentation des sans-emploi et des ouvriers aux modestes revenus, et, d’autre part, par une sous-représentation des cadres, ce qui diminue évidemment l’employabilité des actifs.
Surtout, des pans entiers du territoire constitués de très petits villages sont parmi les moins bien équipés, de sorte que leurs habitants connaissent des difficultés en matière d’accès aux services publics, lesquels ont été progressivement rayés de la carte.
Dans ce contexte, en dépit des politiques d’aménagement conduites par les collectivités locales, pour beaucoup de manière volontariste, on assiste à une fuite des entreprises, accélérée par des infrastructures de transports et de communications insuffisantes ou mal entretenues, au détriment de la création d’emplois, bien sûr.
L’État n’a pas su, au cours des dernières années, répondre aux défis spécifiques auxquels doivent faire face nos territoires. Au contraire, il a fortement nourri à l’égard des politiques nationales, notamment chez les plus fragilisés, un climat de défiance, souvent à l’origine d’attitudes de rejet de la République.
Les milieux ruraux ont été les plus touchés par la réforme générale des politiques publiques, cette RGPP si contestée en son temps, qui a ravagé certains territoires ; Ils ont également subi le désengagement de l’État en matière d’éducation, de santé publique, de mobilité, de sécurité, de logement, de précarité énergétique. On pourrait ainsi multiplier les exemples !
Dans le même temps, avec le retrait des soutiens publics et l’appauvrissement des ménages, les services à la personne se sont effondrés.
Un tel environnement ne peut qu’alimenter l’inquiétude, la peur du lendemain, l’exaspération et la colère dans ces territoires, sentiments renforcés en ce moment par une hausse de la ponction fiscale décidée en 2011. Ces augmentations ont des effets néfastes, notamment pour les plus modestes, qui accusent à tort le gouvernement actuel de ces décisions pourtant antérieures à sa prise de fonctions.
Néanmoins, les attentes restent fortes aujourd’hui et l’impatience continue à gagner du terrain. Nos concitoyens, qui sont confrontés à la disparition de la présence publique de l’État, veulent plus de considération, plus d’égalité et plus de solidarité.
Conscient de la situation dramatique dans laquelle se trouvent la plupart de ces populations, le Président de la République a souhaité, dès son arrivée, repenser l’aménagement des territoires pour lutter contre les inégalités qui se sont aggravées ces dernières années.
Dans ce sens, le choix de placer sous la responsabilité de votre ministère, madame la ministre, l’ensemble des territoires urbains et ruraux constituait une novation pour assurer un développement plus équilibré et plus solidaire entre les villes et les campagnes.
Je salue ce changement d’optique vers plus d’égalité, qui s’oppose à la mise en concurrence des territoires jusqu’ici encouragée.
Vous avez annoncé deux priorités, tout d’abord, la nécessité d’assurer la continuité territoriale permettant, notamment, plus d’accessibilité aux services publics sur tout le territoire, ensuite, votre volonté de donner les moyens à chaque territoire de développer son potentiel.
Je souscris, bien sûr, à ces deux objectifs, dont la réalisation devra contribuer à enrayer les déséquilibres actuels ; toutefois, dans un contexte de crise économique où l’endettement de notre pays augmente, les marges de manœuvre sont considérablement réduites.
Arrivée au deuxième temps de mon propos, je veux vous faire part des attentes ressenties sur le terrain. Je connais vos priorités, madame la ministre. Cependant, face à l’impatience et aux souffrances des populations que je côtoie au quotidien, avec d’autres, je souhaite vous faire partager quelques préoccupations auxquelles il convient que le Gouvernement apporte des réponses appropriées.
Les questions posées par la qualité et l’accessibilité des services au public, absolument vitales pour les habitants des zones rurales, ont des conséquences directes sur l’attractivité des territoires.
Ainsi, face aux carences de l’offre de soins en milieu rural, accentuées dans les petites bourgades par le départ à la retraite de médecins généralistes non remplacés, l’état sanitaire de nos populations, tout comme l’accès aux services d’urgences, tend à se dégrader.
Nos concitoyens attendent toujours la traduction concrète des moyens accordés pour améliorer l’offre de soins disponible dans le Nord, notamment à travers le pacte territoire santé.
Par ailleurs, malgré le vieillissement de la population, de vastes zones restent sans réponse face aux besoins d’hébergement et de prise en charge des personnes âgées.
Les missions de service public de l’éducation sont un autre enjeu important de l’aménagement du territoire. Aujourd’hui, le gouvernement actuel a rendu sa priorité à la politique de l’éducation ; c’est un point qui ne me paraît pas suffisamment souligné.
Ainsi, l’effort en direction des écoles a été bien ressenti à la rentrée scolaire 2013, qui n’a pas été vécue dans l’angoisse des fermetures de classe injustifiées ou des difficultés à ouvrir des classes devenues nécessaires.
Mme Hélène Lipietz. Tout à fait !
M. Roland Courteau. Très bien ! Il fallait le souligner !
Mme Delphine Bataille. Par cet effort, on a pu maintenir des petites écoles qui étaient menacées alors qu’elles constituaient la dernière source de vie dans les villages. C’est le service public qui était en péril, la commune qui se désintégrait, et la République qui aurait été atteinte dans ses fondements !
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Delphine Bataille. Après des décennies de reniement de l’idéal républicain, on développe à nouveau dans nos campagnes une politique active en matière d’éducation.
Je vais maintenant évoquer à mon tour la fracture numérique, qu’il n’est pas acceptable de laisser s’accentuer. Le déploiement de réseaux numériques à très haut débit, qui contribue à réduire le handicap de la distance, est essentiel pour favoriser la compétitivité et l’attractivité de ces territoires.
L’un des tout premiers chantiers du Président de la République a été de définir un objectif de couverture de l’ensemble du territoire national d’ici à 2022.
Je vous remercie par avance, madame la ministre, de nous informer de l’état d’avancement de ce projet, car les opérateurs semblent rester particulièrement timides à l’égard des parties défavorisées de notre territoire.
D’une façon globale, la réduction de la fracture territoriale passe aussi par l’amélioration de l’accessibilité des territoires en favorisant le développement de moyens de communication comme le très haut débit, mais aussi celui des infrastructures de transports.
Les difficultés d’accès par la route ou par les transports en commun constituent souvent de lourds handicaps pour de nombreux territoires ruraux.
Le discours tenu par les élus urbains qui bénéficient de services publics denses et bien adaptés ne s’applique absolument pas aux populations des espaces ruraux dont l’habitat est bien trop dispersé et qui sont donc particulièrement concernés par l’inégalité des dessertes de leur territoire.
Vous en conviendrez, les besoins d’un véhicule individuel ne sont pas les mêmes en milieu rural et en milieu urbain ! D’un côté, ils sont impératifs, de l’autre, ils ne sont que facultatifs puisque les déplacements peuvent être effectués en métro, en bus ou en tramway.
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Delphine Bataille. Il est donc prioritaire de désenclaver les zones rurales déjà fragiles en modernisant les réseaux de transports qui ont fait l’objet de sous-investissements chroniques ces dernières années.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Delphine Bataille. Je pense, avant tout, aux liaisons ferroviaires dont l’état catastrophique s’accentue malheureusement au lieu de s’améliorer.
Je dois, à ce moment de mon propos, vous exprimer l’inquiétude de la population et des élus du Cambrésis sur deux dossiers particuliers, qui appellent des réponses concrètes en matière d’aménagement du territoire.
La décision prise par le gouvernement précédent de fermer la base aérienne 103 de Cambrai-Épinoy a déséquilibré tout un territoire. Dans cet arrondissement, ce sont 1 500 emplois civils et militaires qui ont été perdus pour une population de 160 000 habitants.
M. Jean-Louis Carrère. Et ce n’est pas fini !
Mme Delphine Bataille. Les conséquences de cette décision sont encore aggravées par des incertitudes quant aux mesures de développement économique attendues et à l’avenir des 350 hectares de terrains libérés.
Autour d’une gouvernance organisée par les collectivités locales, M. le préfet a confirmé, voilà quelques jours, devant l’assemblée départementale, la signature imminente de la création d’un syndicat mixte ouvert avec la région, les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais. Cet organisme inclura les communautés de communes et permettra d’échanger avec les porteurs de projets qui jusqu’alors manquaient d’interlocuteur pour répondre à leurs perspectives d’implantation et de développement.
Par ailleurs, dans un secteur géographique où la situation économique s’est encore récemment fortement dégradée, le projet de canal Seine-Nord Europe, qui fédère l’ensemble des élus concernés, constitue, au-delà des perspectives qu’il dégage pour la nation tout entière, une condition de survie pour la population de ce territoire.
Ce canal de grand gabarit et sa plateforme logistique joueront un rôle important dans l’aménagement des territoires touchés en favorisant notamment la création de 4 500 emplois directs et au moins autant d’emplois induits.
Son coût ayant été largement sous-estimé par le gouvernement précédent, il a, bien entendu, fallu remettre à plat le dossier. Dans les territoires concernés, les parlementaires, toutes tendances confondues, attendent l’aboutissement de ce dossier. Le ministre des transports a signé un accord sur la réalisation de grandes infrastructures avec un financement européen qui pourrait atteindre 40 % du coût du projet. Ce sera l’objet du débat de ce soir.
Les quatre départements concernés, dont le Nord, sont également prêts à engager des crédits à hauteur de 500 millions d’euros, qui viendraient s’ajouter aux 500 millions déjà mobilisés par les régions. La part de l ’État se trouvant ainsi allégée, personne ne comprendrait que ce dossier ne se concrétise pas rapidement.
Porteur d’avenir et mobilisateur, ce projet fera jouer la solidarité en faveur des régions situées au nord de Paris et de la Wallonie, marquées par une forte désindustrialisation pendant la dernière décennie.
Pour conclure, les défis auxquels doivent faire face ces territoires sont nombreux, mais ils possèdent souvent des atouts qui peuvent leur permettre d’y répondre.
Le Nord, par sa situation géographique, peut se prévaloir de quelques belles réussites comme l’entreprise Amazon, qui pèse 2 500 emplois dans le Douaisis, le terminal méthanier de Dunkerque, IBM Euratechnologie à Lille, et l’institut Railcom, avec la boucle d’essais ferroviaires dans l’Avesnois, au sud du département.
En tout cas, aujourd’hui, les populations demandent plus de solidarité nationale et, donc, plus d’État. La politique d’aménagement du territoire doit conduire non à détricoter ce qui a fait la France depuis plusieurs siècles, mais à construire une complémentarité entre un État fort et des collectivités décentralisées.
L’intervention de l’État reste fondamentale, notamment dans son rôle de régulateur, pour permettre un rééquilibrage et éviter les disparités et inégalités entre territoires riches et territoires pauvres.
Les territoires défavorisés ne méritent pas le sort d’abandon qui leur semble réservé au regard des contraintes budgétaires et de l’orientation de certaines politiques publiques.
Si les politiques volontaristes développées par les collectivités, notamment par les départements en matière de solidarité, à travers les contrats de territoires par exemple, ont permis de freiner certains effets dévastateurs, ces territoires ont, plus que jamais, besoin d’accompagnement et de soutien de la part de l’ État face aux conséquences désastreuses de la crise et des mutations économiques et sociales.
Les réponses du Gouvernement – et nous savons pouvoir compter sur vous, madame la ministre – doivent traduire une volonté forte de l’État de combattre les inégalités et de rendre un second souffle à ces territoires et de l’espoir à leurs habitants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Hélène Lipietz applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai été très attentive, comme chaque fois qu’un débat relatif à l’égalité des territoires se déroule au Sénat, à vos interventions sur ce dossier essentiel pour la cohésion nationale, mais aussi complexe, et sur lequel il conviendra de travailler à long terme.
Il est évidemment logique et nécessaire, monsieur Maurey, que le Gouvernement rende compte de l’exercice de ses missions ; c’est d’ailleurs tout l’objet des débats parlementaires de contrôle. Pour autant, les politiques d’aménagement du territoire sont de très long terme : il s’agit de prendre des initiatives et de maintenir ces impulsions afin d’en voir les résultats.
L’année 2013 aura néanmoins été une année charnière, car bien des projets ont été mis en place. Selon vous, monsieur Maurey, le Gouvernement n’a rien fait en matière de zones blanches, de haut débit, de santé, d’infrastructures et, pire, il a réformé les rythmes scolaires… Convenez que de telles affirmations sont quelque peu caricaturales ! (M. Jean-Louis Carrère opine.)
M. Roland Courteau. C’est très caricatural !
Mme Cécile Duflot, ministre. Vous affirmez m’avoir envoyé des courriers qui seraient restés sans réponse. Or je vous ai répondu personnellement à cinq reprises ; en outre, vos questions écrites ont fait l’objet de sept réponses.
M. Hervé Maurey. Il n’y a pas de réponses concrètes !
Mme Cécile Duflot, ministre. On peut toujours regretter certaines insuffisances. Cependant, en matière tant de haut débit, de santé, d’infrastructures que de rythmes scolaires, le Gouvernement a apporté des réponses concrètes. Vous pouvez ne pas les approuver, mais ne dites pas que rien n’a été fait.
M. Hervé Maurey. Accuser réception, ce n’est pas apporter une réponse !
Mme Cécile Duflot, ministre. Pour ce qui concerne les infrastructures, je ferai écho aux propos de Mme Bataille.
Le schéma national des infrastructures de transports, le SNIT, a peut-être été largement accepté, mais il n’était absolument pas financé, chacun en est convenu. Nous étions donc face à une situation particulièrement difficile.
Les choix opérés par le Gouvernement procèdent d’une logique que vous contestez, madame Masson-Maret. Ils ont cependant pour objectif de soutenir les territoires qui ont bénéficié, ces dernières années, de trop faibles investissements et qui sont dépendants d’un réseau ferré secondaire largement détérioré, faute d’entretien.
À la suite du rapport Duron, nous avons donc fait le choix important et naturel, même s’il n’était pas simple, de privilégier la desserte, notamment ferroviaire, des zones les plus fragiles qui ont besoin de cette solidarité dans un contexte budgétaire difficile. (M. Jean-Louis Carrère s’exclame.)
Vous avez également déclaré, monsieur Maurey, que la création du Commissariat général à l’égalité des territoires, le CGET, issue des travaux de différents rapports que vous avez cités, était inutile.
Or, ce n’est pas un secret, d’aucuns considéraient depuis quelques années que la DATAR avait joué son rôle dans les années soixante, soixante-dix, voire au tout début des années quatre-vingt, mais qu’un pilotage national – presque parisien ! – et peu décentralisé n’était absolument plus adapté à la politique actuelle d’aménagement du territoire. Résultat des courses, et vous l’avez dit vous-même, depuis dix ans, il n’y avait plus de pilote dans l’avion !
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Aymeri de Montesquiou. Et M. Guigou ?
Mme Cécile Duflot, ministre. L’État refusait désormais toute appropriation de la politique d’aménagement du territoire.
La création du CGET marque le retour à une véritable politique d’aménagement du territoire, mais celle-ci prend acte de trente ans de décentralisation et tisse – nous le verrons lors la négociation du volet territorial des prochains contrats de plan État-région – une nouvelle relation avec les collectivités locales dans laquelle l’État, comme l’a dit Mme Bataille, assume son rôle de solidarité.
Monsieur Lenoir, je reviendrai à la fin de mon intervention sur le débat philosophique relatif à l’équité et à l’égalité. Il s’agit d’organiser sur un plan stratégique les responsabilités des uns et des autres, de mettre en cohérence les politiques menées et d’accorder une attention particulière – c’est bien normal ! – aux territoires les plus meurtris.
Je l’ai dit en prenant mes fonctions, puis à plusieurs reprises devant vous, il est de la responsabilité de l’État de donner davantage de moyens et d’être plus attentif aux territoires meurtris du fait de certaines décisions ou d’une situation économique particulière.
Monsieur Bertrand, vous avez parlé de régions que je connais bien, et évoqué, au-delà de la ruralité, l’hyper-ruralité de territoires qui connaissent une situation particulière en raison des conditions géographiques ou de la faible densité de leur population.
J’y insiste, la politique d’égalité des territoires que mène ce gouvernement vise à prendre en compte l’ensemble des spécificités territoriales.
L’égalité n’est pas l’uniformité. Il existe ainsi, dans les territoires hyper-ruraux, des problématiques très spécifiques.
Pour autant, ces territoires ont également des atouts. Même si ce sujet peut faire débat, il convient de considérer aujourd’hui, à la suite des travaux ayant abouti à la remise du rapport intitulé « Vers l’égalité des territoires », que le dynamisme n’est pas l’apanage des seules métropoles, et que les territoires ruraux ou hyper-ruraux n’ont pas vocation à se transformer en espaces récréatifs ou décoratifs incapables de prendre en main leur avenir. Au contraire !
C’est pourquoi la question du haut débit est essentielle. Du fait des nouvelles technologies et de l’évolution des modes de vie, l’avenir des territoires ruraux et hyper-ruraux peut être positif. Ceux-ci seront aussi utiles à notre pays que le développement des métropoles, y compris celles dont la dimension est internationale. Nous avons besoin que l’ensemble de notre pays soit robuste !
Comme l’ont dit plusieurs d’entre vous à raison, nous ne pouvons pas nous résigner à un arasement des inégalités entre les régions, qui s’accompagnera d’une aggravation des inégalités infrarégionales.
Par conséquent, nous devons travailler à l’échelle infrarégionale pour restaurer l’égalité entre les populations et limiter les risques de décrochage ou un sentiment de relégation susceptibles d’entraîner la dislocation du pacte républicain. Voilà pourquoi la politique d’égalité des territoires est une nécessité.
Cette politique, il faut la porter de manière durable et constante, car ces efforts ne permettront pas de réparer, d’un seul coup, les dégâts provoqués par la mise en concurrence des territoires.
Madame Didier, il ne faut pas opposer les services publics et les services au public, pas plus que de noyer la question des services publics dans celle des services au public.
La présence des services publics en matière d’emploi, de santé et de sécurité est nécessaire et évidente. Mais pour bien vivre sur l’ensemble de notre territoire, nos concitoyens ont aussi besoin d’avoir accès à la culture, à l’essence à la pompe et à des commerces. Autrement dit, nos territoires ont besoin de l’ensemble de ces services pour bien vivre !
Nous pouvons décider pour 2013, 2014 et 2015 le retour des services publics et inventer une histoire différente de celle que nous vivons actuellement, laquelle ne pouvait pas fonctionner.
Cette histoire ne sera pas celle d’un départ, d’une déprise et d’une réflexion « en silo », service public par service public, opérateur par opérateur, lesquels n’ont pas pu anticiper les dégâts occasionnés par des décisions qui, pour rationnelles qu’elles soient du strict point de vue de l’opérateur, pouvaient, du fait de leur addition, entraîner sur certains territoires des conséquences tout à fait néfastes. Les disparitions simultanées d’une maternité, d’un tribunal d’instance et d’une gendarmerie ont ainsi pu provoquer des situations extrêmement tendues. (Bravo ! et applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Cécile Duflot, ministre. J’ai donc souhaité réunir au ministère de l’égalité des territoires et du logement l’ensemble des opérateurs concernés pour les faire travailler de concert. M. Maurey a d’ailleurs souligné que le ministère chargé de l’aménagement du territoire devait être un ministère transversal de plein exercice. Honnêtement, j’ai pu constater que mes prédécesseurs n’avaient aucun pouvoir à ce sujet…
Je suis donc heureuse que le Président de la République ait la volonté, dans le cadre de la politique d’égalité des territoires, de permettre à l’ensemble des opérateurs de franchir une étape supplémentaire dans l’exécution du dispositif expérimental des services au public. Sur ce point, je partage votre point de vue, monsieur Lenoir.
En la matière, je ne prétends pas à l’invention ; je veux développer ce qui fonctionne et remettre en cause, sans fragiliser les territoires, les dispositifs qui n’ont pas permis d’améliorer leur situation de manière globale. C’est le cas des pôles d’excellence rurale.
Sous le gouvernement précédent, quand on ne savait que faire, on créait des pôles. En fonction des appels à projet, on pouvait ainsi investir quelques dizaines ou centaines de milliers d’euros dans certains territoires sans apporter de réponse globale à l’ensemble des territoires.
M. Alain Fauconnier. Eh oui !
Mme Cécile Duflot, ministre. Nous adoptons la démarche inverse avec les maisons des services publics.
Notre objectif est de mettre en place un dispositif pérenne, alimenté à parts égales par les collectivités territoriales et par le Fonds national d’aménagement et de développement du territoire, le FNADT. Comme certains d’entre vous l’ont indiqué à juste titre, les collectivités financent actuellement à plus de 70 % ce type d’installations.
Ces maisons des services publics auront vocation à accueillir l’ensemble des opérateurs, à apporter une réponse de proximité et une présence humaine, mais aussi à permettre l’accès à un service public de haut niveau, notamment grâce aux visio-guichets, dispositif efficace qui maintient un contact de proximité en évitant les déplacements.
On a souvent opposé le haut débit, les nouvelles technologies et l’isolement des personnes. Ce faisant, on sous-entendait l’accès direct aux services publics par le biais d’Internet.
La présence humaine et la médiation par un interlocuteur, même s’il n’est pas spécialiste du service public concerné, sont à mon sens décisives, comme cela a été indiqué dans un rapport du Conseil économique, social et environnemental voilà deux ou trois ans.
Le maintien d’une présence dans les maisons de services publics permettra d’orienter les usagers vers la délivrance d’un service de bonne qualité. Cet interlocuteur humain, et non pas seulement un répondeur ou un service sur Internet, sera aussi le garant d’une forme de bien-être collectif.
Afin que leur mode de financement soit stable dans la durée, les maisons des services publics seront financées à parité entre l’État et les opérateurs, d’un côté, et les collectivités, de l’autre. Le fonds abondé par les opérateurs garantira leur engagement.
Madame Lipietz, vous avez soulevé la question du haut débit, étroitement liée à la précédente.
Vous le savez, ma collègue Fleur Pellerin est chargée du déploiement d’un plan sur les dix prochaines années. Il est toujours possible de formuler des critiques, mais on ne saurait reprocher au Gouvernement de ne pas favoriser les collectivités les plus rurales, celles dont la situation géographique ou la faible densité nécessitent un investissement public plus important.
Ce plan en trois tiers, dont l’un vise le déploiement dans les zones les plus fragiles, apporte des réponses. Les collectivités locales qui se sont engagées dans cette voie constatent que le dispositif fonctionne. Nous poursuivrons nos efforts à cet égard.
Toutefois, il nous faut, parallèlement, travailler sur la question des usages. C’est le sens du rapport que m’a remis Claudie Lebreton voilà quelques jours.
Il ne s’agit pas seulement de « fibrer » le territoire. La question des usages doit être posée s’agissant des services publics, mais aussi de l’accès à la culture et des nombreuses pratiques que permet la présence du très haut débit, notamment en termes d’évolution des modes de travail.
Travailler en amont sur les usages permettra aux collectivités locales et aux opérateurs de s’approprier immédiatement l’accès au très haut débit, avec toutes les évolutions positives que cela suppose.
Madame Masson-Maret, je crains que vous ne vous soyez trompée en évoquant mon budget. Vous avez en effet fait référence au titre 2 relatif aux salaires et aux traitements des personnels et non au budget de fonctionnement. Or l’évolution des chiffres indiqués dans ce titre résulte de la hausse mécanique du montant des pensions, tandis que le schéma d’emploi est négatif puisqu’il baisse d’un équivalent temps plein.
Quant au budget de fonctionnement, qui fait l’objet du titre 3, il passe de 16,27 millions d’euros en 2013 à 15,75 millions en 2014. Contrairement à ce que vous avez indiqué, madame la sénatrice – peut-être était-ce une erreur de lecture ? –, l’effort en termes de finances publiques pèse sur l’ensemble des budgets. Ce principe s’applique aussi à la création du CGET.
Mme Bataille l’a bien relevé, il s’agit à la fois d’associer territoires ruraux et territoires urbains et d’inscrire les quartiers et la politique de la ville dans le cadre général de l’égalité des territoires.
Dans les territoires relégués des grandes agglomérations comme dans les territoires hyper-ruraux, les questions d’accès aux services publics se posent de façon identique non pas sur le plan technique, mais sur le plan politique. Là aussi, cela suppose une vision politique de ce qu’est notre territoire national, à savoir un territoire dans lequel tous nos citoyens ont les mêmes droits et doivent avoir accès aux mêmes services, non de manière uniforme, mais grâce à une réponse adaptée en fonction des situations.
Madame Didier, vous avez parlé de la question des dotations, mais aussi des services publics plutôt que des services au public. J’espère vous avoir répondu et convaincue. Pour avoir multiplié les déplacements dans le cadre d’un « tour de France des territoires », notamment avec certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai pu constater que la question de l’accès à l’ensemble de la palette des services publics était essentielle pour le maintien et le développement des territoires.
M. de Montesquiou a parlé des financements du déploiement de la fibre. Je l’ai souligné, nous avons fait non seulement le choix d’assurer la continuité de certains dispositifs existants et d’apporter un appui aux collectivités locales très innovantes, mais aussi celui de porter une attention particulière aux territoires les plus enclavés, dont les spécificités géographiques nécessitent des réponses différenciées, par exemple par le biais de la 4G ou du satellite. Je rappelle que le déploiement dans dix ans du très haut débit sur l’ensemble des territoires, quelles que soient leurs particularités, répond à un engagement du Président de la République.
Monsieur Camani, je vous remercie d’avoir évoqué le climat de confiance, propice à un changement de paradigme. En effet, nous ne réussirons ce chantier de l’égalité des territoires que si nous osons rompre avec la politique d’aménagement des territoires en vigueur depuis les années soixante et soixante-dix. M. Maurey a raison, celle-ci avait un sens à une époque où l’État concentrait beaucoup de responsabilités ; elle a notamment permis l’installation de certains grands établissements publics comme l’École nationale d’administration pénitentiaire, l’ENAP, à Agen.
Nous sommes en 2013. Désormais, et c’est une bonne chose, les collectivités locales ont leur destin en main. Les relations qu’elles entretiennent avec l’État doivent être réinventées et prendre la forme d’un véritable partenariat où chacun assume ses responsabilités. En effet, du fait de la perte d’un certain nombre de compétences, l’État s’est longtemps désengagé de certains territoires – d’une certaine façon, il s’en est lavé les mains –, alors qu’il a une responsabilité à l’égard de chacun d’entre eux : c’est toute la logique de l’articulation des différents niveaux d’intervention.
Là encore, il nous faut réfléchir à d’autres solidarités. Je pense aux appuis en matière d’ingénierie, notamment dans l’aménagement ou sur les questions de droit des sols, que peuvent apporter certaines métropoles ou certains départements ayant développé une véritable compétence. Il n’est donc pas illogique d’envisager le partage de cette compétence, qui est la conséquence de la décentralisation, avec les territoires qui disposent de moins de moyens. Nous travaillons à élargir et à repenser ces modes de relation, notamment avec les agences d’urbanisme qui restent encore aujourd’hui financées par l’État, même si elles sont pleinement dans les mains des collectivités locales.
Monsieur Camani, vous avez également évoqué la question des centres-bourgs. Sans déflorer ce que dira le Premier ministre demain au congrès des maires de France, je souhaiterais rappeler ce que j’avais indiqué à ce sujet dès ma première intervention : l’État avait eu par le passé à assumer ses responsabilités face à la situation des quartiers les plus dégradés – c’est d’ailleurs pour cela que l’ANRU a été créée –, il doit aujourd'hui se pencher de la même manière sur la dévitalisation, voire la nécrose de certains centres-bourgs. C’est le cas de La Réole où je me suis rendue voilà quelques jours, magnifique bourg à l’histoire magistrale situé à quarante kilomètres de Bordeaux. Ici, comme ailleurs, le bâti en centre ancien est d’une extrême fragilité, ce qui pèse sur les élus.
C'est la raison pour laquelle, comme je m’y étais engagée, nous travaillons avec ces communes – bourgs ruraux ou villes moyennes – afin de les aider à faire face à ces situations qui nécessitent une ingénierie complexe pour redéfinir non seulement l’aménagement, mais aussi le bâti lui-même. En effet, dans un certain nombre de cas, les logements des bâtis de ces centres-bourgs ne correspondant plus aux règles et aux modes de vie actuels, il faut repenser leur évolution.
Monsieur Collin, vous avez évoqué la question du service public de la gendarmerie. Le dialogue avec les gendarmeries est très intéressant, à l’instar de celui que nous avons ouvert avec l’ensemble des opérateurs. Dans le cadre de la réflexion que nous menons sur la localisation des maisons de service public afin de maintenir la présence des services publics existants qui pourraient être fragilisés par l’évolution de la carte, l’ouverture à d’autres missions de service public des locaux dont dispose aujourd’hui la gendarmerie sur nombre de territoires est une orientation qui intéresse fortement les instances dirigeantes de la gendarmerie nationale.
Nous souhaitons travailler avec l’ensemble des opérateurs de manière très ouverte pour répondre à certaines difficultés très concrètes. Je pense notamment à la rénovation de certaines implantations ou au logement des gendarmes et de leurs familles, auxquelles, je le sais, nombre d’entre vous sont sensibilisés.
M. Yvon Collin. Pas seulement les gendarmes !
Mme Cécile Duflot, ministre. Bien sûr, mais, dans la mesure où les gendarmes doivent vivre à proximité de leur lieu de travail, cette question se pose pour eux avec une acuité particulière.
Monsieur Lenoir, je ne partage pas votre analyse selon laquelle il faudrait refuser l’égalité au profit de l’équité. Si la devise de notre République n’est pas « liberté équité fraternité », ce n’est pas un hasard !
M. Jean-Claude Lenoir. C’est une demande de justice !
Mme Cécile Duflot, ministre. Comme l’a précisé fort opportunément le Conseil constitutionnel, le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur règle différemment des situations différentes ; mais si l’ensemble des citoyens doivent avoir les mêmes droits, comme les mêmes devoirs, ils doivent être considérés comme des égaux.
C’est bien tout le cœur de cette politique d’égalité des territoires. Il ne faut pas croire que l’on puisse opposer les territoires les uns aux autres et qu’il existe des territoires privilégiés et d’autres, comparables à des territoires de relégation, délaissés ; au contraire, chacun a les moyens de son propre développement, même dans des situations différentes.
L’égalité, ce n’est pas l’uniformité, c’est vouloir que l’ensemble du territoire français mérite la même attention. Cet idéal fonde le pacte républicain, à savoir la décision implicite de s’engager à faire partie d’un même pays. C’est donc le cœur de la mission de la ministre de l’égalité des territoires. C’est dans cette optique que je souhaite travailler avec l’ensemble de mes collègues – même si les questions transversales sont complexes –, mais aussi avec tous les élus. C’est dans la réinvention d’une relation entre l’État, garant de l’égalité, et les territoires que nous y parviendrons. Cet objectif noble…
M. Jean-Louis Carrère. Comme la qualité de vie !
Mme Cécile Duflot, ministre. … mérite non la caricature, mais beaucoup de pragmatisme et, surtout, une détermination dans la durée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Hélène Lipietz applaudit également.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur la politique d’aménagement du territoire.
6
Démission de membres de commissions et candidatures
Mme la présidente. J’ai reçu avis de la démission de M. Claude Domeizel, comme membre de la commission des affaires sociales, et de Mme Samia Ghali, comme membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
J’informe le Sénat que le groupe socialiste et apparentés a fait connaître à la présidence le nom des candidats qu’il propose pour siéger à la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Claude Domeizel, démissionnaire, à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, en remplacement de Mme Samia Ghali, démissionnaire.
Ces candidatures vont être affichées et les nominations auront lieu conformément à l’article 8 du règlement.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
7
Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire qui s’est réunie sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
8
Organismes extraparlementaires
Mme la présidente. J’informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de plusieurs sénateurs appelés à siéger au sein de différents organismes extraparlementaires.
Conformément à l’article 9 du règlement, la commission des finances a été invitée à présenter des candidatures pour siéger, d’une part, au conseil d’administration de l’établissement public Autoroutes de France, et, d’autre part, au conseil d’administration du Fonds pour le développement de l’intermodalité dans les transports.
La commission de la culture est, quant à elle, invitée à présenter un candidat destiné à siéger au conseil d’administration de l’Institut des hautes études pour la science et la technologie.
Enfin, la commission des lois est invitée à présenter un candidat destiné à siéger au sein du Conseil national de la sécurité routière.
Les nominations au sein de ces organismes extraparlementaires auront lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.
9
Nomination de membres de commissions
Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que le groupe socialiste et apparentés a présenté une candidature pour la commission des affaires sociales et une candidature pour la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame Mme Samia Ghali membre de la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Claude Domeizel, démissionnaire, et M. Claude Domeizel membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, en remplacement de Mme Samia Ghali, démissionnaire.
10
Accord avec l’Italie pour la réalisation et l’exploitation d’une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin
Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne pour la réalisation et l’exploitation d’une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin (projet n° 115, texte de la commission n°140, rapport n° 139, avis n° 147.)
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un beau rendez-vous qui me permet de vous retrouver aujourd’hui, au Sénat, pour débattre de la nécessité de ratifier l’accord conclu le 30 janvier 2012 entre les gouvernements français et italien, en vue de la réalisation et l’exploitation d’une nouvelle ligne à grande vitesse pour le fret et les voyageurs dite « Lyon-Turin ».
La ratification de cet accord a une résonance particulière dans cet hémicycle. De fait, vous connaissez mieux que quiconque l’importance de tels projets en termes de développement et d’attractivité des territoires, dont les membres de la Haute Assemblée sont précisément les représentants.
Cette ratification est donc, je le répète, un beau rendez-vous parlementaire. Elle permet au Sénat de concourir à la construction européenne à travers une avancée importante, sur un projet de très grande envergure à l’échelle, avant tout, du continent européen.
Ne nous y trompons pas : il est bel et bien essentiel de mesurer la pertinence de cette nouvelle ligne ferroviaire au-delà de son seul impact régional. Pour être important, ce dernier ne suffirait pas à légitimer les efforts financiers considérables qui seront consentis au cours des décennies à venir.
Certes, pour les régions concernées en France et en Italie, une nouvelle infrastructure de cette qualité reliant des pôles économiques stratégiques et améliorant la mobilité des citoyens européens revêt un formidable intérêt. Toutefois, ce qui est en jeu aujourd’hui va bien au-delà.
Ce projet, pour lequel vous connaissez mon attachement, comme celui du ministre des transports et du Gouvernement tout entier, mérite d’être envisagé avec un peu de distance. Il convient en particulier d’examiner ses implications au regard de la structuration des échanges, à l’échelle du continent européen tout entier.
Observons la carte de l’Europe en considérant l’ensemble des réseaux européens qui se développent actuellement et, au cœur de ces réseaux, la place occupée par notre pays.
Aujourd’hui, une part de l’avenir de l’Europe se joue dans le développement des échanges transfrontaliers, comme l’illustre le tunnel du Lötschberg, reliant la Suisse et l’Italie, ou encore le tunnel du Brenner, qui entrera en service en 2025 entre l’Italie et l’Autriche. Ces proches pays investissent dans de grands chantiers, qui leur permettent d’ouvrir de nouveaux horizons pour leurs citoyens comme pour leurs entreprises, cependant qu’ils renforcent l’armature des échanges entre le nord et le sud de l’Europe.
À cet égard, le projet Lyon-Turin ne revient pas simplement à relier la France et l’Italie. Il permet également de relier la péninsule ibérique au sud-est de l’Europe, aux Balkans et aux pays dits du « partenariat oriental » jusqu’à Kiev. En pratique, cela signifie replacer la France au centre de gravité de l’Europe et des réseaux transeuropéens en abolissant cette frontière naturelle qu’est la chaîne des Alpes.
Nous devons faire preuve d’ambition pour l’avenir de notre pays et de nos concitoyens, pour la compétitivité de nos entreprises et pour la préservation de notre environnement naturel.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en ratifiant cet accord, nous avons la possibilité de franchir une étape et d’accomplir une avancée pour l’avenir géographique, stratégique et économique de la France, au cœur du projet européen. Ce pas présente une importance toute particulière alors que nous sommes, comme vous le savez, engagés depuis maintenant dix-huit mois avec le Président de la République, dans une réorientation de l’action européenne.
Quel est le rapport, me direz-vous ? Il est on ne peut plus clair, et ce au regard d’au moins trois des objectifs que nous nous sommes fixés.
Le premier objectif, c’est la construction d’une France forte entretenant de solides relations avec ses plus proches partenaires européens.
Lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, notre but était clair. Il s’agissait de tout mettre en œuvre pour que la France soit à l’origine de la réorientation de l’Europe, qui n’avait jusqu’alors pour perspective que l’austérité à perte de vue. Il nous fallait donner une impulsion dans le sens d’une politique plus équilibrée, tournée vers la croissance et l’emploi.
Pour y parvenir, pour dessiner ce nouvel horizon, notre pays devait retrouver sa place au cœur de la construction européenne en lien, naturellement, avec l’Allemagne. Nous l’avons fait avec succès.
Parallèlement, il fallait rendre de leur vigueur aux relations privilégiées qui nous unissent à d’autres partenaires européens. L’Italie occupe, à cet égard, une place singulière. Elle est ainsi redevenue, depuis mai 2012 et encore davantage depuis l’arrivée d’Enrico Letta, un partenaire prioritaire et privilégié de la France. Sur de très nombreux sujets européens ou internationaux comme la réorientation en faveur de la croissance, le soutien aux initiatives accompagnant la jeunesse vers l’emploi, la construction d’une politique de voisinage Sud, la politique de sécurité et de défense commune, ou PSDC, nos deux pays ont des intérêts et des approches très similaires.
Notre partenariat avec Rome s’est donc renforcé, pour constituer un moyen de mieux défendre nos intérêts communs à l’échelle européenne.
Après une période durant laquelle nos deux pays ont connu des relations que je qualifierai diplomatiquement de « mouvementées », la France et l’Italie se sont retrouvées. Les changements politiques dans nos deux pays y ont fortement contribué. Ce rapprochement était une nécessité. Nous ne devons pas perdre de vue notre histoire commune : rares sont les pays qui, de par le monde, peuvent affirmer que leur amitié repose sur plus de deux millénaires d’échanges, d’apports mutuels, de destins communs et de croisements culturels aussi étroits et intenses que ceux qui existent entre nous.
Ce rapprochement s’explique par notre convergence sur de nombreux dossiers européens et par notre volonté de travailler ensemble. Il s’illustre au quotidien par les importants échanges commerciaux entre nos deux pays. N’oublions jamais que l’Italie est notre deuxième client et notre troisième fournisseur !
C’est dans ce contexte que s’ouvrira, après-demain à Rome, notre prochain sommet bilatéral. Le projet de liaison ferroviaire entre Lyon et Turin sera bien sûr présent à ce rendez-vous.
De son côté, l’Italie a déjà bien engagé le processus de ratification à la Chambre des députés. Il lui restera ensuite à obtenir l’accord du Sénat. Je peux témoigner de la motivation de nos voisins transalpins qui, à chacune de nos rencontres, me font part de leur volonté d’aboutir rapidement. Nous devons, de notre côté, prouver à l’Italie que la France s’investit et croit en notre avenir commun. Nous l’avons d’ailleurs déjà montré en août dernier, par la publication au Journal officiel de la déclaration d’utilité publique relative à cette future infrastructure ferroviaire, pour une partie de son tracé.
Les relations entre nos deux pays n’ont que rarement – peut-être même jamais – été aussi étroites et productives. La ratification de cet accord que vous allez décider, j’en suis sûr, constitue une pierre supplémentaire à l’édifice du partenariat franco-italien, traduisant notre vision commune de l’avenir de notre continent : celle d’une Europe ambitieuse, qui se projette vers le futur et qui se bâtit à travers de grands projets d’envergure transfrontalière.
Le deuxième objectif visé à travers cet accord, c’est notre investissement pour la croissance durable et pour l’emploi. À ce titre, cet accord pose un cadre : celui de la construction d’une liaison ferroviaire non seulement entre les agglomérations de Lyon et de Turin mais aussi entre celles de Paris et de Milan.
Ce projet recèle un fort potentiel en matière de développement économique, de croissance et d’emploi, lequel repose sur deux finalités : d’une part, basculer de la route vers le fret le trafic de marchandises traversant les Alpes franco-italiennes ; d’autre part, améliorer, pour les usagers de cette future ligne à grande vitesse, la liaison en termes d’accès comme de rapidité. L’une et l’autre de ces finalités méritent notre soutien, et aucune ne doit être minorée.
Dans les deux cas, ce projet présente un intérêt économique indéniable. Les régions Rhône-Alpes, Île-de-France, Piémont et Lombardie constituent des pôles économiques importants qui bénéficieront de l’effacement de la barrière des Alpes.
Le chantier lui-même offre déjà un potentiel important en termes de créations d’emplois, dont plus de la moitié seront créés en France.
Par ailleurs, nous savons tous ici que la mobilité est une des clefs de l’accès à l’emploi et à de nouveaux marchés. Ainsi, alors que l’on met sept heures pour rejoindre Paris depuis Milan, ce trajet sera ramené à près de quatre heures. Voilà une belle occasion de soutenir le train, plutôt que l’avion, pour les transports internationaux de voyageurs !
Nous savons tous aussi à quel point il est important pour les entreprises, dans nos territoires, d’acheminer leurs marchandises ou de recevoir leurs livraisons rapidement. Il s’agit également d’une donnée déterminante de la compétitivité de notre économie, à laquelle répond la création de ce corridor ambitieux prioritairement destiné au fret. Belle occasion, là aussi, de soutenir le train plutôt que les files de camions !
Ajoutons que ce projet aura également des effets en termes de développement durable. La France et les États de l’arc alpin se sont tous engagés, de manière concertée, dans une politique volontariste de report modal, visant à réduire la part de fret routier à longue distance et à favoriser les modes alternatifs. Si l’on en croit son promoteur, la réalisation de cette infrastructure permettra, à terme, d’augmenter sur ce corridor la part modale du transport ferroviaire de 20 % à 55 % et de reporter plus d’un million de poids lourds par an de la route vers le rail.
Combien d’entre nous ne se sont pas dit, en doublant des files entières de camions, qu’il suffirait d’un train pour éviter ces embouteillages, ces risques et cette pollution inutilement générés ainsi ?
M. Jacques Chiron. Exactement !
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Il faut en finir avec le mur de camions qui traverse les Alpes, ses agglomérations, ses vallées, les rivages des grands lacs alpins...
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
M. Thierry Repentin, ministre délégué. C’est une dimension très importante du projet Lyon-Turin, qui permettra ainsi de réduire les nuisances et la production des gaz à effet de serre subies par les vallées alpines du fait de leur forte fréquentation par les poids lourds. La pollution ne connaît pas de frontière !
La multimodalité, c’est l’avenir de notre économie comme de notre planète !
Le troisième objectif de ce projet, c’est de valoriser une France ambitieuse, qui se saisit de l’espace européen pour bâtir son avenir et celui de ses concitoyens. Investir les espaces transfrontaliers, c’est investir pour l’avenir.
Ce n’est pas un hasard si, de François Mitterrand à François Hollande, en passant par Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, tous les Présidents de la République qui se sont succédé ont été convaincus par ce projet et se sont engagés pour sa réalisation, comme leurs gouvernements, dont tous – je dis bien tous ! – les ministres des transports et de l’écologie successifs.
M. Jacques Chiron. Tout à fait !
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Bâtir l’avenir de nos concitoyens, c’est saisir toutes les opportunités de faire avancer les politiques et les chantiers qui produiront des bénéfices directs pour leur quotidien.
Bâtir leur avenir, c’est aussi leur proposer de nouveaux challenges, de nouvelles ambitions, de nouveaux projets, positifs, concrets, dont ils pourront être fiers.
Tel est précisément l’objet de cet accord, en permettant de poursuivre notre investissement dans les espaces transfrontaliers, en redessinant les cartes, en repensant un aménagement du territoire qui offrira à la France comme à l’Europe de nouvelles perspectives d’avenir.
J’étais à Grenoble voilà un mois – j’y ai d’ailleurs rencontré le sénateur Jacques Chiron (M. Jacques Chiron acquiesce.) –, où j’ai eu la chance de réunir des représentants de sept gouvernements européens, dont l’Italie, la Slovénie, l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse, le Liechtenstein, pour le lancement de la stratégie macro-régionale alpine.
Ce nom qualifie un projet ambitieux qui sera porté par l’Union européenne afin de créer un espace transfrontalier autour des Alpes en vue de fédérer nos idées et nos moyens au service des territoires concernés par le massif alpin.
À mon sens, la ratification de cet accord vient s’ajouter à cette dynamique transfrontalière que nous sommes en train de créer entre pays européens.
Au-delà de la liaison entre la France et l’Italie, la réalisation de ce projet permettra de relier l’Espagne à la Slovénie et à la Hongrie. Elle créera un arc qui rapprochera 350 millions de citoyens européens ; Barcelone sera ainsi à cinq heures de Turin…
Ce tunnel, à lui seul, devrait permettre la mise en réseau de 5 000 kilomètres de lignes existantes dans l’arc est-ouest.
À l’image de ce que l’axe Rhin-Danube représente aujourd’hui pour l’Europe et pour notre pays, le projet Lyon-Turin s’inscrit dans un corridor méditerranéen s’étendant du sud de l’Espagne à la frontière ukrainienne.
Quel est le sens de notre action commune pour l’avenir de notre pays en Europe ? Nous nous sommes battus à partir de mai 2012 pour préserver les moyens budgétaires de la politique de cohésion, et afin que l’Europe relance ses investissements d’avenir, parmi lesquels les infrastructures de transport au cœur des territoires.
Dans le prochain cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020, qui devrait être approuvé demain, mardi 19 novembre, par le Parlement européen, près de 15 milliards d’euros seront ainsi mis à disposition pour créer de nouvelles infrastructures de transport, via le mécanisme d’interconnexion pour l’Europe. Il nous faut saisir cette opportunité.
Le projet Lyon-Turin est, tout comme le canal Seine-Nord, éligible aux financements de l’Union européenne à hauteur de 40 %. Cela a été confirmé le 17 octobre dernier à Tallin par le commissaire Kallas à mon collègue et ami Frédéric Cuvillier, très impliqué dans ce dossier.
Il resterait donc 35 % à la charge de l’Italie, et seulement 25 % à la charge de la France.
Ne nous y trompons pas, la ratification de cet accord n’engage pas nos finances publiques, cela donnera lieu à un autre débat, mais amorce un projet qui inscrit la France au cœur des enjeux du XXIe siècle : une France qui sait se saisir des opportunités pour l’avenir de son pays et de ses concitoyens, une France intégrée et « motrice » aux côtés de ses partenaires.
Je ne peux conclure sans vous dire un dernier mot sur ce que représente également la ratification de cet accord à l’heure où l’euroscepticisme monte, où les Français doutent de notre capacité à répondre à leurs attentes et à leurs besoins, ou à relever de grands défis. La seule réponse possible, comme le dit le Président de la République, c’est la réponse par les actes. Ceux-ci sont autant de symboles manifestes de notre volonté de prendre la morosité ambiante à revers.
Renouer avec les grands projets européens est une réponse, un symbole sans faille : ce sont ceux-là qui, demain, rendront les Français fiers d’être des Européens !
C’est avec tous ces éléments en tête, et notamment au regard de l’importance que revêt l’approfondissement de nos relations avec notre partenaire italien, que le Gouvernement vous demande, mesdames, messieurs les sénatrices et les sénateurs, de bien vouloir ratifier cet accord franco-italien. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’accord que je vais vous présenter représente un chantier ambitieux ; il marque une étape décisive pour un projet d’infrastructure majeur mis à l’étude depuis plus d’une quinzaine d’années par les gouvernements français et italien : la construction d’une liaison ferroviaire nouvelle entre Lyon et Turin.
Une large partie de cet itinéraire sera vouée non seulement aux trains de voyageurs, mais également au trafic de marchandises, notamment par ferroutage.
Vous connaissez comme moi la situation actuelle du trafic transalpin : il est principalement routier. En termes de fret, les chiffres sont particulièrement éloquents : 85 % des tonnes de marchandises qui traversent les Alpes sont acheminées par transport routier et seulement un peu moins de 15 % – les résultats varient selon les stations de comptages – par le fret ferroviaire.
La ligne ferroviaire du Mont-Cenis est ancienne, elle date de 1871, et inadaptée à nos systèmes de transport actuels : située à l’altitude très élevée de 1 300 mètres avec des rampes d’accès en pente forte, jusqu’à 33 ‰. Les convois de fret ne peuvent les franchir sans ajouter deux ou trois locomotives supplémentaires, voire plus. En termes de trafic routier de marchandises, Vintimille est le point de passage le plus important en France, et le deuxième passage alpin. Le trafic s’élève à 1,3 million de poids lourds en 2011. On ne peut passer sous silence les nuisances qu’il provoque !
Entre 1980 et 2005, le volume total de transport de transit a plus que doublé. En 2011, comme en 2010, 2,7 millions de poids lourds ont franchi les passages franco-italiens, soit une moyenne de 7 400 camions par jour. Même si le nombre de poids lourds traversant les Alpes est resté constant ces dernières années, les conséquences sont ressenties, particulièrement en termes de nuisances sonores et de pollution. Il est urgent de désengorger les Alpes, d’autant que la pollution stagne dans ces vallées.
À cela s’ajoute le risque sécuritaire. Nous avons tous en mémoire les tragiques accidents qui se sont produits dans les tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus, ainsi que dans celui du Gothard, en Suisse.
Le projet dont nous parlons aujourd’hui n’est pas nouveau, et il a déjà été entériné par deux accords, l’un en 1996 et l’autre en 2001. Ceux-ci, tout comme le présent accord, n’enclenchent pas les travaux, ainsi que le rappelait M. le ministre. Ce sont des étapes préparatoires formalisant en particulier les études et la gouvernance et mettant en place des outils adaptés pour une meilleure réalisation du projet.
Cette nouvelle ligne ferroviaire s’inscrit pleinement dans l’objectif de création d’un réseau européen de transport, voulu par la Commission européenne, et constitue un maillon du corridor méditerranéen allant d’Algésiras à la frontière orientale de l’Union. Il s’agira d’une ligne mixte destinée aux passagers et au fret, d’une longueur de 269 kilomètres dont 193 kilomètres en tunnels et 76 kilomètres à l’air libre.
Cette ligne sera divisée en trois tronçons : un accès français entre Lyon et Saint-Jean-de-Maurienne, d’une longueur de 140 kilomètres, une section transfrontalière entre Saint-Jean-de-Maurienne et Suse-Bussoleno, de 64 kilomètres, et un accès italien entre Suse-Bussoleno et Turin, long de 65 kilomètres.
Plusieurs types de trains circuleront : des trains de voyageurs, trains à grande vitesse et trains express régionaux, pourront circuler jusqu’à une vitesse de 220 kilomètres-heure, et les trains de fret et d’autoroute ferroviaire jusqu’à une vitesse de 120 kilomètres-heure. À terme, vous l’avez dit, monsieur le ministre, les temps de transport seront donc considérablement réduits : il faudra quatre heures pour relier Paris à Milan, contre près de sept heures aujourd’hui. C’est exceptionnel !
L’accord qui nous est soumis aujourd’hui crée un promoteur public chargé de la conduite stratégique et opérationnelle de la partie transfrontalière du projet. Sera également créée, au sein de ce promoteur public, une commission des contrats chargée de contrôler la régularité et la transparence des procédures d’attribution des contrats et marchés. Enfin, sera instauré un service permanent de contrôle, dont la mission sera de veiller à l’emploi approprié des fonds publics et au bon fonctionnement du promoteur.
Sont également définies les clés de financement du projet. Pour la seule partie transfrontalière, le coût s’élève à 8,5 milliards d’euros, à répartir entre l’Union européenne, qui devrait en prendre 40 % à sa charge, et les deux parties : la France paiera 42,1 % du reliquat, soit 2,15 milliards d’euros, sur plusieurs années, et l’Italie, 57,9 %.
En effet, afin d’atteindre l’objectif d’un réseau européen de transport moderne et interconnecté, l’Union européenne a décidé d’y consacrer, dans le cadre de son programme Trans-European Transport Networks, ou TEN-T, 26 milliards d’euros sur la période 2014-2020, c’est-à-dire trois fois plus que sur la période précédente.
Le 17 octobre dernier, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, le commissaire européen chargé des transports, M. Siim Kallas, a rappelé l’importance de ce dossier, le soutien plein et entier de la Commission européenne à la nouvelle ligne ferroviaire et la nécessité, pour les États, de mettre en œuvre concrètement ce projet.
Bien sûr, ce cofinancement suppose aussi le respect de certaines conditions, au premier rang desquelles la présentation d’un plan d’investissement par les deux États, mais également la mise en place d’une procédure d’appel d’offres et d’une évaluation externe et interne pour la sélection du projet proposé.
Les deux États doivent aussi ratifier l’accord aujourd’hui soumis à l’approbation du Sénat et installer le nouveau promoteur. Cela nécessite, en premier lieu, un soutien politique infaillible ! Je sais que tel est votre cas, monsieur le ministre. (M. le ministre délégué acquiesce.)
Comme vous l’avez souligné, ce projet a été porté au fil des années par quatre Présidents de la République successifs, François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande. Il doit continuer à être soutenu par le Gouvernement, par nous, les représentants de la nation – le vote final de la Haute Assemblée en témoignera peut-être ! –, quelle que soit notre couleur politique.
Monsieur le ministre, pouvez-vous d’ores et déjà nous assurer du soutien du Gouvernement à ce chantier ? Pouvez-vous nous garantir que le dossier sera déposé auprès de l’Union européenne en temps et en heure, c'est-à-dire au plus tard au printemps 2014, et qu’il ne fera pas l’objet d’arbitrages budgétaires défavorables ou dilatoires ?
M. Jean-Pierre Vial. Très bien !
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur. Il s’agit d’un projet présidentiel à portée internationale. Nous comptons beaucoup sur vous, monsieur le ministre, sur le chef du Gouvernement et, surtout, sur le Président de la République.
Ce projet est porteur de perspectives.
Les relations franco-italiennes sont riches, vous l’avez dit, monsieur le ministre, les deux pays étant, l’un pour l’autre, le deuxième partenaire commercial, avec des échanges à hauteur de 70 milliards d’euros en 2012, légèrement bénéficiaires pour nos voisins transalpins. L’Italie représente le premier marché pour les ventes de produits agroalimentaires français et constitue l’un des débouchés privilégiés pour les exportations françaises d’automobiles et de produits métallurgiques. L’essentiel de l’économie italienne se concentre dans le nord-ouest du pays, autour de Milan, véritable capitale économique, de Turin et de Gênes, et se caractérise par une forte présence industrielle. Avec la Ruhr, ce sont les deux grandes zones industrielles de l’Europe.
Plus qu’une liaison Lyon-Turin, ce sont aussi les relations entre Paris et Milan qui bénéficieront de cette nouvelle ligne ferroviaire. Mettre ces deux villes à quatre heures de train l’une de l’autre contribue au rapprochement de deux aires économiques fortes : le Grand Paris et la région milanaise. Les chiffres du PIB de ces deux régions sont éloquents : en 2010, le PIB s’élevait à 588 942 millions d’euros en Île-de-France, soit 29 % du PIB national – 22 % seulement étaient utilisés par les Franciliens, et 7 % étaient redistribués à l’ensemble des autres régions – et à 501 862 millions d’euros dans le nord-ouest italien. Il s’agit donc de réunir deux grands pôles économiques, deux « capitales-monde ».
Permettez-moi d’ouvrir une parenthèse à cet égard. D’aucuns peuvent se demander pourquoi un sénateur de Paris défend ce projet de loi, qui est plutôt rhônalpin ? Tout simplement parce qu’il s’agit aussi d’un projet…
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur. … Grand Paris- Grand Turin-Grand Milan ! (Sourires.)
MM. Jean-Pierre Vial et Jean-Claude Carle. Très bien !
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur. C’est également la sécurisation des voies de communication entre la France et l’Italie qui est en jeu.
Les économies française et italienne sont fortement intégrées, mais elles dépendent, je le répète, de trois passages routiers et d’une ligne ferroviaire inadaptée. Or ces axes de communication sont fragiles. À la suite d’incendies, je tiens à le redire, le tunnel du Mont-Blanc a été fermé pendant trois ans et celui du Fréjus deux mois. Un trafic ferroviaire plus intense permettra de réduire la fragilité des axes et de sécuriser les échanges entre les deux États. En outre, dans la mesure où les pays alpins développent des infrastructures de transport de ce type, les flux avec la France risquent d’être très fortement marginalisés si nous restons à l’écart des grands axes de communication modernes.
L’Autriche et l’Italie ont mis en place le chantier du tunnel du Brenner, tandis que la Suisse a mis en service le nouveau tunnel du Lötschberg et s’apprête à mettre en fonctionnement le nouveau tunnel du Saint-Gothard. Au final, ces projets et ces infrastructures renforcent le partenariat économique entre l’Italie et l’Allemagne. Veillons à ce que la France ne s’en exclut pas.
À cet égard, je veux dire à nos collègues qui portent un intérêt à l’Europe que les lignes ferroviaires nord-sud sont très développées. La construction de cette ligne permettra d’avoir, pour la première fois, une ligne est-ouest.
M. Jean Besson. Exact !
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur. En outre, rappelons que la liaison Lyon-Turin est un maillon d’une chaîne beaucoup plus longue, allant du sud de l’Espagne à la frontière orientale de l’Union européenne.
M. Jean-Claude Carle. Eh oui !
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur. De fait, nos échanges avec les pays européens hors de l’Union européenne, comme l’Ukraine, dont les exportations représentent tout de même aujourd’hui 1 milliard d’euros, pourront vraisemblablement en profiter.
Enfin, le gain est également assuré en termes écologiques.
Dès 1991, en signant la Convention alpine, la France s’est engagée, avec ses partenaires européens, à prendre des mesures dans le domaine des transports, « en vue de réduire les nuisances et les risques dans le secteur du transport interalpin et transalpin ».
En encourageant le report modal, cet accord permettra aussi de réduire les émissions de gaz à effet de serre, puisque le fret ferroviaire possède une plus grande efficacité énergétique que le transport routier.
M. Roland Courteau. C’est certain !
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur. L’objectif recherché est de passer d’une répartition 85/15 en faveur du routier à une répartition 55/45. La Suisse, qui a déjà fait le choix du ferroviaire par référendum, a mis sur les rails 80 % de son trafic de marchandises.
L’autoroute ferroviaire alpine, qui ne peut transporter, en 2013, que 30 000 poids lourds par an, en moyenne, verra ainsi sa capacité augmenter significativement, pour atteindre – il s’agit d’une estimation – 700 000 poids lourds transportés par an à l’horizon 2035 ! Les promoteurs parlent de 1 million de poids lourds. Mais, quel que soit le chiffre, l’augmentation est importante.
Rappelons que les études menées par « Lyon-Turin ferroviaire » ont montré que, sur une liaison de 350 kilomètres, un poids lourd rejetait une tonne de CO2 dans la vallée alpine. Avec le report modal, c’est autant de gaz à effet de serre épargné à l’environnement et de glaciers qui fondent en moins !
M. Roland Courteau. C’est évident !
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur. Bien sûr, comme tout projet d’envergure, celui-ci n’est pas exempt d’oppositions. À ce propos, la commission a auditionné de nombreuses personnalités, même si nous avons travaillé en urgence.
Tout d’abord, les oppositions portent sur le coût.
Un rapport de la Cour des comptes a estimé le coût total du projet à 26 milliards d’euros ! Sur ce point, M. le Premier ministre a répondu que cette estimation était largement surestimée, car elle englobe des coûts qui n’ont pas à être pris en compte par la France, telle la modification du tracé en val de Suse, intégralement pris en charge par l’Italie.
Par ailleurs, le financement du projet se fera à très long terme, sur plusieurs décennies, ce qui permettra de ne pas grever les finances publiques dans une période budgétaire déjà contrainte.
Par ailleurs, ce projet sera l’occasion d’envisager la mise en place de financements innovants ou différents. Il y a là, monsieur le ministre, une réflexion à mener et, vous le savez très bien, la Banque européenne d’investissement a déjà commencé à examiner ce projet.
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur. Ensuite, les oppositions portent sur le phasage.
Les détracteurs du chantier soulignent que le tunnel débouchera sur la ligne existante, vétuste et inadaptée ! Mais c’est oublier que la construction du tunnel provoquera de fait – en témoigne le rapport Duron – l’accélération de l’ouverture des travaux pour ce qui concerne les accès ! Cet argument n’a donc pas de sens!
Enfin, les opposants pointent la sous-utilisation de la ligne actuelle, qui ne serait empruntée qu’à seulement 17 % de ses capacités, et serait apte au report modal.
La sous-utilisation est certes une réalité, mais les caractéristiques mêmes de la ligne historique sont telles que l’on ne peut en attendre davantage : chaque jour, passent cinq trains, avec simplement dix wagons, tirés par trois locomotives, et qui ne transportent que deux camions°! Or il est techniquement impossible de faire plus. Je comprends d’autant moins que l’on nous oppose cet argument quand on se rend compte, sur place, qu’il faut pousser les locomotives pour qu’elles avancent ! (M. Jean-Claude Carle rit.)
Le présent accord est un texte technique de gouvernance du projet, qui n’engage pas l’ouverture des travaux. Cela nécessitera la signature d’un nouvel accord. J’y insiste, monsieur le ministre, il importe que celui-ci intervienne rapidement, afin que nous soyons en mesure d’enclencher véritablement le projet. Le sommet franco-italien du 20 novembre 2013, qui traitera en particulier du présent projet, doit être l’occasion d’engager la prochaine phase. J’espère qu’il n’y aura pas de communiqué dilatoire et que nos amis de Bercy sauront y voir l’intérêt du pays et de l’Europe.
En conclusion, je veux dire que ce chantier n’est ni démesuré ni financièrement inopportun. Il s’agit au contraire d’un projet d’aménagement du territoire cohérent, adapté, vecteur de gains économiques et écologiques. C’est un maillon essentiel de la ligne ferroviaire européenne ouest-est. Faire l’économie de cette ligne nous mettrait, de fait, je le répète, en marge des échanges avec l’Europe du sud et de l’est.
Permettez-moi, enfin, de rendre hommage à tous les acteurs qui, à leur niveau, ont porté ce projet tout au long des quinze dernières années et de leur adresser des remerciements. Je pense aux quatre Présidents de la République, aux chefs de gouvernement successifs, aux ministres qui ont suivi ce dossier, ainsi qu’aux élus locaux et aux acteurs administratifs. Au nom de toutes ces personnes qui se sont impliquées dans ce projet, je vous propose, mes chers collègues, d’adopter ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Claude Carle. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. André Vairetto, rapporteur pour avis de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire a décidé de se saisir pour avis de ce projet de loi en raison de l’importance des implications de la future ligne ferroviaire mixte entre Lyon et Turin pour la politique de report modal, pour l’aménagement du territoire et pour le développement durable.
Sans doute n’est-il pas utile de reprendre le descriptif de cette infrastructure ferroviaire majeure ou le détail de l’accord franco-italien du 30 janvier 2012, dont il nous est demandé d’autoriser l’approbation.
Concernant l’infrastructure ferroviaire, je veux rappeler que celle-ci constituera une véritable prouesse technique, en multipliant les ouvrages d’art pour accéder à un tunnel de base long de 57 kilomètres, soit 7 kilomètres de plus que le tunnel sous la Manche.
S’agissant de l’accord, je me contenterai de dire que l’équilibre global de celui-ci paraît tout à fait favorable à la France et permettra d’assurer un contrôle suffisant des deux États concernés sur la conduite du projet. Il convient aussi de souligner qu’il ne constitue encore qu’une étape intermédiaire, avant un prochain accord qui permettra l’engagement des travaux proprement dit.
Dans le souci d’apporter un éclairage complémentaire à nos délibérations, permettez-moi d’organiser mon propos en quatre séries d’observations relatives à la dimension européenne du projet Lyon-Turin, à son intérêt au regard de la protection de l’environnement et de la mobilité durable, à la logique de saut capacitaire qui le sous-tend et à la mise en perspective de ses coûts.
Premièrement, il ne faut pas se tromper d’échelle pour apprécier correctement l’utilité du projet de la ligne ferroviaire entre Lyon et Turin.
Loin d’être d’intérêt purement local, cette nouvelle liaison transalpine sera structurante pour l’ensemble des relations franco-italiennes et, au-delà, pour tout le sud de l’Europe.
Nous autres, Français, sommes naturellement très attentifs à nos relations avec l’Allemagne. Ce faisant, nous avons parfois tendance à oublier que l’Italie reste notre deuxième partenaire commercial, avec 70 milliards d’euros échangés en 2012. Chaque année, ce sont 40 millions de tonnes de marchandises qui transitent à travers les passages franco-italiens, du Léman à la Méditerranée, avec une domination écrasante du transport routier, qui véhicule plus de 90 % de ces flux.
Comme l’a excellemment indiqué M. le rapporteur, la ligne ferroviaire Lyon-Turin permettra de relier le grand bassin parisien au triangle Turin-Milan-Gênes.
Au-delà de sa dimension franco-italienne, le projet Lyon-Turin s’inscrit pleinement dans le cadre de la politique des réseaux transeuropéens de transport, les RTE-T, comme l’a rappelé M. le ministre. Il fait partie des douze premiers projets prioritaires retenus dès le Conseil européen d’Essen en 1994. Après l’élargissement à l’est de l’Europe, il a été intégré à l’axe prioritaire n° 6, qui va de Lyon à la frontière ukrainienne. Dans la nouvelle approche des RTE-T rendue publique par la Commission européenne en 2011, il fait partie du « corridor Méditerranée », qui reliera le sud de l’Espagne à l’Europe centrale. (M. Roland Courteau s’exclame.)
À ce titre, cette liaison peut prétendre à un soutien financier renforcé de la part de l’Union européenne, un point sur lequel je reviendrai ultérieurement.
Ma deuxième observation sera relative à l’intérêt de la ligne ferroviaire Lyon-Turin au regard des questions d’environnement et de développement durable.
Les régions françaises et italiennes traversées retireront des bénéfices immédiats du transfert modal massif qu’elle rendra possible. Les gaz à effet de serre émis par les camions dans les vallées alpines pourraient être réduits chaque année d’une tonne par poids lourd de charge moyenne. Si nous étions aussi ambitieux que les Suisses, nous pourrions réduire les gaz à effet de serre dans nos vallées de deux millions de tonnes.
Faut-il rappeler le très grand intérêt du milieu naturel montagnard du point de vue de la biodiversité, qui n’a d’égal que sa très grande fragilité ?
En signant, en 1991, la convention sur la protection des Alpes, la France s’est engagée à réduire les risques dans le secteur du transport transalpin en favorisant le transfert vers la voie ferrée d’une part croissante du trafic, notamment par la création des infrastructures appropriées. Il lui reste encore à mettre ses actes en accord avec cet engagement.
Par ailleurs, comme une bonne part des poids lourds n’emprunteront plus les tunnels routiers, ceux qui continueront à les utiliser verront leur sécurité améliorée. De fait, il faut se souvenir que les accidents mortels du tunnel du Mont-Blanc, en 1999, et du tunnel du Fréjus, en 2005, responsables, pour le premier, de 39 victimes, et de 2 pour le second, ont été causés par des poids lourds.
Du côté français, le doublement des tronçons actuellement encore à voie unique par une ligne à double voie permettra, par contrecoup, d’améliorer considérablement les dessertes pour les passagers dans toute la région Rhône-Alpes.
Au total, le projet de ligne ferroviaire Lyon-Turin correspond donc parfaitement aux objectifs de mobilité durable fixés par le Grenelle de l’environnement.
Ma troisième observation porte sur la logique de « bond capacitaire » qui inspire ce projet de nouvelle infrastructure ferroviaire.
Certes, les capacités théoriques de la ligne historique, qui traverse la vallée de la Maurienne et emprunte le tunnel du Mont-Cenis, sont loin d’être saturées ; mais ses caractéristiques techniques apparaissent inadaptées aux exigences du transport moderne, au point que sa désertion est plus probable que sa saturation, ce dont nous devrons supporter les coûts pour nos échanges.
En effet, les pentes à l’approche du tunnel du Mont-Cenis sont trop fortes et une partie des accès entre Lyon et Chambéry sont à voie unique. Cette ligne pose également des problèmes de sécurité, notamment le long du lac du Bourget, où le déraillement d’un convoi de matières dangereuses aurait des conséquences environnementales catastrophiques.
Le projet de liaison Lyon-Turin, à l’étude depuis le début des années 1990, vise à changer radicalement la donne en perçant un nouveau tunnel de basse altitude, qui pourra accueillir des flux massifs dans des conditions techniques et de sécurité satisfaisantes, et surtout garantir la compétitivité de façon acceptable.
Du reste, la solution du tunnel ferroviaire de plaine a été retenue par la Suisse dans le cadre de « l’initiative des Alpes » : adoptée par référendum en 1994, celle-ci a prévu les deux nouvelles percées du Lötschberg et du Saint-Gothard. C’est aussi la solution adoptée par l’Italie et par l’Autriche pour le nouveau tunnel ferroviaire du Brenner.
Bien sûr, la création d’une infrastructure ferroviaire moderne et de grande capacité n’est que la condition préalable à un transfert massif des flux routiers. Une forte détermination politique sera nécessaire pour atteindre cet objectif. Il faudra aussi que les opérateurs ferroviaires modernisent leur matériel roulant et leurs organisations logistiques.
M. le rapporteur a mentionné l’autoroute ferroviaire mise en service en 2003 sur la ligne historique, entre les terminaux d’Aiton et d’Orbassano. Le succès de cette expérimentation prouve que, lorsque des services performants sont offerts aux transporteurs, ceux-ci n’hésitent pas à charger sur les wagons leurs camions, puis, dans une forte proportion, leurs seules remorques. Le report vers le mode ferroviaire est facilité par la possibilité réglementaire de compter la traversée en ferroutage comme un temps de repos pour les chauffeurs.
Ce transfert modal massif devra être accompagné par une politique tarifaire adaptée, réintégrant les externalités négatives du mode routier ; ce sera enfin possible grâce à l’existence d’une alternative ferroviaire.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. André Vairetto, rapporteur pour avis. Ma quatrième observation porte sur les coûts et les modalités de financement du projet de ligne ferroviaire Lyon-Turin.
Les coûts des travaux sont importants, et je ne chercherai pas à les minimiser. Reste que, pour les apprécier de manière pertinente, il convient de les mettre en perspective.
Le référé de la Cour des comptes du mois d’août 2012, qui signale une augmentation des coûts prévisionnels depuis les premières estimations, a fait grand bruit. Le coût du projet y est évalué à 24 milliards d’euros ; l’estimation est réaliste, mais que faut-il en déduire ?
D’abord, je vous fais observer qu’il s’agit d’un coût calculé sur le périmètre le plus large du projet, puisqu’il intègre le coût du tronçon italien, pourtant intégralement financé par l’Italie.
Le coût prévisionnel de la seule section transfrontalière, qui fait l’objet de l’accord bilatéral, s’élève à 8,5 milliards d’euros ; son financement sera assuré – cela a été rappelé – à 40 % par l’Union européenne, à 35 % par l’Italie et à 25 % par la France.
Le coût prévisionnel des accès du côté français est estimé à 7,8 milliards d’euros, dont 400 millions d’euros pour le contournement nord de l’agglomération lyonnaise, 4,4 milliards d’euros pour les aménagements entre Lyon et Chambéry, et 3 milliards d’euros pour la première phase des tunnels sous Chartreuse et sous Belledonne. Toutefois, mes chers collègues, n’oublions pas que le financement de ces travaux sera étalé sur au moins deux décennies, et que les infrastructures réalisées pourront être exploitées pendant deux, voire trois siècles !
C’est la raison pour laquelle la commission Mobilité 21, présidée par Philippe Duron, a classé ces travaux en deuxième priorité. Ce n’est pas qu’elle les ait jugés d’intérêt secondaire : elle a simplement estimé qu’il était inutile de les programmer à une échéance plus proche que celle de la mise en service de la section transfrontalière.
J’ajoute que les ouvrages d’accès seront éligibles aux aides de l’Union européenne : si les participations européennes seront sans doute inférieures au taux de 40 % prévu pour la section internationale, elles seront néanmoins importantes.
Mes chers collègues, lorsque l’on considère les coûts du projet de ligne ferroviaire Lyon-Turin, la seule question pertinente est de déterminer si l’utilité de cette infrastructure ferroviaire sera suffisante, dans la durée, pour les justifier.
Pour s’en convaincre, il convient de mettre en balance le coût de ce projet avec celui de sa non-réalisation, en prenant en compte l’insécurité des longs tunnels routiers, qui comportent un risque de fermeture en cas d’accident grave, ainsi que les atteintes à la qualité de l’air et à la biodiversité alpine.
M. Roland Courteau. Exact !
M. André Vairetto, rapporteur pour avis. Et je ne parle pas du manque de compétitivité que subirait notre commerce extérieur avec l’Italie, si ce pays ne devait disposer d’infrastructures ferroviaires performantes que pour ses liaisons nord-sud avec l’Allemagne.
En définitive, mes chers collègues, la future liaison ferroviaire entre Lyon et Turin est un projet visionnaire, dans le sens fort du terme. La France et l’Italie du XXIe siècle, qui bénéficient du soutien financier de l’Union européenne, ne peuvent pas se montrer plus timorées que le petit État de Piémont-Sardaigne qui, au XIXe siècle, a engagé seul la percée du tunnel ferroviaire historique du Mont-Cenis, ni même que la Confédération helvétique, qui finance seule, en taxant les camions qui traversent son territoire, les deux nouveaux tunnels ferroviaires du Lötschberg et du Saint-Gothard !
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Là-bas, il n’y a pas de bonnets rouges ! (Sourires.)
M. Jean-Claude Carle. Il y a des croix blanches ! (Nouveaux sourires.)
M. André Vairetto, rapporteur pour avis. Aujourd’hui, la France confie presque exclusivement aux routes la sécurité de ses échanges avec le nord de l’Italie, l’une des régions les plus développées et les plus riches du continent européen. Les nouvelles liaisons ferroviaires à grand gabarit à travers les Alpes suisses et autrichiennes sont toutes orientées nord-sud et relient le cœur économique de l’Italie au cœur économique de l’Allemagne. En réalisant un saut qualitatif majeur dans sa liaison ferroviaire est-ouest avec l’Italie, la France évitera de se trouver marginalisée dans la recomposition industrielle actuellement en cours en l’Europe. (M. Jacques Chiron acquiesce.)
Cette liaison constitue une infrastructure hors normes, dont la rentabilité économique doit être calculée à une échelle séculaire, même si je sais que cet horizon est difficile à concevoir à notre époque pressée et obsédée par le rendement de court terme.
M. Roland Courteau. En effet !
M. André Vairetto, rapporteur pour avis. Mais je ne doute pas que nos petits-enfants nous remercieront d’avoir eu le courage de réaliser cette ligne ferroviaire : elle apparaîtra comme une évidence dans un futur pas si lointain, lorsque non seulement on s’apercevra de ses bénéfices environnementaux, mais que l’augmentation inéluctable des prix du carburant augmentera encore son intérêt.
M. Jean Besson. Très bien !
M. André Vairetto, rapporteur pour avis. Sous le bénéfice de ces observations, la commission du développement durable a donné, à l’unanimité, un avis favorable à l’adoption de l’article unique constituant le projet de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, de l'UDI-UC et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Kalliopi Ango Ela.
Mme Kalliopi Ango Ela. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, les écologistes sont attachés à la promotion du transport ferroviaire, outil indispensable pour lutter contre la production de gaz à effet de serre et contre la pollution de l’air.
De ce point de vue, nous regrettons évidemment que le fret ferroviaire soit en déclin, car il est l’une des voies de la transition écologique.
M. Jean-Pierre Vial. Très bien !
M. Jean-Vincent Placé. C’est vrai !
Mme Kalliopi Ango Ela. De fait, notre réseau ferroviaire souffre de réelles faiblesses et doit être modernisé. Dans cette perspective, la commission Mobilité 21, créée en octobre 2012 par le ministère des transports, de la mer et de la pêche pour préciser les conditions de mise en œuvre du schéma national des infrastructures de transport, le SNIT, a publié, le 27 juin dernier, un rapport intitulé : « Pour un schéma de mobilité durable ».
Dans la synthèse de ce rapport, on peut lire ceci : « Le modèle de développement ferroviaire est à revisiter. Ses déséquilibres financiers, la faiblesse du fret ferroviaire, l’absence de réflexions sur les alternatives possibles à la grande vitesse ou encore l’insuffisante prise en compte des problèmes auxquels sont confrontés les principaux nœuds du réseau alors que ceux-ci affectent d’ores et déjà le fonctionnement d’ensemble du système sont autant de problématiques qui invitent de fait à sa rénovation ».
Toutes ces observations s’appliquent fort justement au système ferroviaire du sillon alpin, dont nous débattons ce soir. Pour les écologistes, en effet, il y a urgence à rénover et à reconstruire les lignes vers les Alpes du nord, dont nombre ont plus de cent cinquante ans.
Selon M. le ministre, M. le rapporteur et M. le rapporteur pour avis, ce projet de loi est inspiré par de louables intentions. On nous dit que la construction de cette ligne ferroviaire mixte marchandises-voyageurs réduirait la durée du trajet Paris-Milan de sept à quatre heures, et surtout qu’elle favoriserait le basculement de la route vers le fer du trafic de marchandises à travers les Alpes franco-italiennes.
Pour notre part, nous regrettons que la commission du développement durable n’ait pas jugé utile d’auditionner les membres de la coordination des opposants au projet de ligne ferroviaire Lyon-Turin. Alors qu’ils remettent en cause les études et les argumentations constituant le fondement du projet de second tunnel, ils n’ont pas été entendus ! Les écologistes, quant à eux, ont été sensibles à leurs contre-arguments. (M. Jean Besson soupire.)
M. Jean-Vincent Placé. Très bien !
Mme Kalliopi Ango Ela. D’une part, la voie du Mont-Cenis n’est utilisée qu’à 17 % de ses capacités, qui sont de l’ordre de 19 millions de tonnes de marchandises par an, comme le confirme l’expertise réalisée en avril 2006 par COWI, sur la demande de la Commission européenne.
M. Jean Besson. Cette voie est trop pentue !
Mme Kalliopi Ango Ela. Le seuil de saturation ne sera pas atteint avant une trentaine d’années, tandis que la stagnation du fret ferroviaire et poids lourds franco-italien est une réalité.
De plus, cette ligne a bénéficié de travaux de modernisation, achevés en 2012 ; elle a été mise au gabarit GB1, qui nécessite simplement l’utilisation de wagons surbaissés.
Quant aux problèmes techniques mentionnés dans le rapport, notamment ceux qui tiennent à l’inclinaison de la pente, ils sont sujets à discussion. À cet égard, je vous signale que le tunnel susceptible d’être réalisé en 2025 entre l’Espagne et le Maroc, sous le détroit de Gibraltar, dit aussi « Afrotunnel », comporterait une pente comparable, de 25 ‰ à 30 ‰, sur une longueur de 40 kilomètres. De fait, le défi technique ne semble pas insurmontable !
La voie historique du Mont-Cenis n’étant pas saturée, la construction d’un nouveau tunnel de base ne répond, selon nous, à aucun besoin. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.) Ce constat a été affirmé avec force, en octobre 2012, dans la position commune finale élaborée à l’occasion de la convention des écologistes sur les traversées alpines, qui a réuni les partis écologistes italien, français et suisse. Le prétendu « gain écologique » annoncé dans le rapport ne les a pas du tout convaincus, bien au contraire !
D’autre part, pour différentes raisons, la construction d’un second tunnel de base s’avère injustifiée.
En premier lieu, le coût financier faramineux du nouveau tunnel, estimé entre 12 milliards et 26 milliards d’euros, captera une grande partie des ressources budgétaires, au détriment du reste du réseau ferroviaire français, national et régional.
C’est ainsi que, dans son référé du 1er août 2012 adressé au Premier ministre, la Cour des comptes estime que ce projet revêt « une faible rentabilité socio-économique » et que « la mobilisation d’une part élevée de financements publics se révèle très difficile à mettre en œuvre dans le contexte actuel ».
De plus, en classant le projet parmi les secondes priorités, la commission Mobilité 21 l’a renvoyé après 2030.
En second lieu, nous ne pouvons tolérer le coût environnemental d’un tel projet. À cet égard, il convient de rappeler que le nouveau tunnel de base serait long de 57 kilomètres, alors que le tunnel sous la Manche n’en compte que 50.
Une liaison de cette ampleur peut affecter de manière significative différents éléments du cycle hydrologique dans les zones traversées ; en particulier, elle risque de tarir les principales sources hydriques de certaines communes. Environ 300 millions de mètres cubes d’eau risquent ainsi d’être perdus chaque année dans les Alpes !
En outre, la concrétisation de ce projet entraînerait une augmentation de plus de 720 000 poids lourds par an dans les Alpes, avec 1 million de camions sur le rail.
Ce projet de ligne nouvelle, qui se veut prestigieux, est donc inutile, onéreux et nocif pour l’environnement.
Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste du Sénat se prononce contre la ratification de cet accord, comme l’ont fait nos collègues députés écologistes. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ma qualité de Rhônalpin et, plus précisément, de Savoyard, c’est un honneur et un réel plaisir d’intervenir au nom de mon groupe en faveur du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord franco-italien du 30 janvier 2012.
C’est un projet majeur. En effet, depuis la réalisation du tunnel sous la Manche reliant la France et la Grande-Bretagne, il s’agit du projet d’infrastructure de transport le plus important pour notre pays.
C’est aussi un projet structurant, car, bien au-delà de l’enjeu franco-italien, qui aurait suffi à lui seul à justifier sa réalisation, il s’agit d’une ambition européenne qui nécessite d’être soulignée et développée.
Force est de le constater, les débats qui ont pu naître ici et là méritent que l’on rappelle les principales étapes de ce projet, pour conforter, s’il en était besoin, le choix de nos deux pays soutenus par l’Europe, même si les craintes, voire les critiques exprimées – on vient d’en avoir un exemple –, nécessitent une réponse.
Dès le 17 janvier 1989, le conseil général de la Savoie, prenant acte de la mise en place d’un réseau ferroviaire européen, demande « une priorité pour l’étude et la réalisation de la liaison Lyon-Turin-Milan ».
Le 23 novembre 1992, le même conseil général délibère longuement sur la réalisation de cette liaison, en soulignant, « face aux perspectives de saturation des axes routiers et ferroviaires […], la nécessité de promouvoir des techniques intermodales de transport ».
Est-il besoin de rappeler la Convention alpine sur la protection des Alpes, signée en 1991 par huit États, dont la France, l’Italie, la Suisse et l’Autriche, ainsi que par l’Europe ? Il est précisé à son article 2-10, au titre des transports, que « les parties contractantes prennent des mesures appropriées, notamment dans les transports :
« - En vue de réduire les nuisances et les risques dans le secteur du transport interalpin et transalpin, de telle sorte qu’ils soient supportables pour les hommes, pour leur cadre de vie et leurs habitats, notamment par un transfert sur la voie ferrée d’une partie croissante du trafic, en particulier du trafic de marchandises, notamment par la création des infrastructures appropriées. »
Nous sommes alors en 1991…
Il est bon quelquefois de rappeler l’histoire à ceux qui se targuent d’être les visionnaires du monde de demain. Oui, l’esprit du Grenelle inspirait déjà le Lyon-Turin, avec vingt ans d’avance !
Ainsi, dès 1994, au sommet d’Essen, l’Europe retenait dix projets prioritaires, parmi lesquels l’axe sud européen, dont la section Lyon-Turin, qui allait devenir le corridor méditerranéen n°3, Algésiras-Budapest.
Les catastrophes des tunnels du Mont-Blanc, en 1999, du Saint-Gothard, en 2001, et du Fréjus, en 2005, allaient accélérer la prise de conscience de la réalité des transports dans les Alpes, au regard de la sécurité, de l’environnement, de l’économie et de son enjeu géostratégique.
Sur le plan de la sécurité, il est difficile d’imaginer qu’un ouvrage monotube de plus de treize kilomètres de long, chers collègues écologistes, datant du XIXe siècle – Cavour en avait lancé la réalisation avant le rattachement de la Savoie à la France –, puisse être prolongé indéfiniment, au moment même où tous les autres ouvrages de l’arc alpin entre la Suisse, l’Autriche et l’Italie ont été modernisés ou sont en cours de l’être, qu’il s’agisse du Lötschberg, du Saint-Gothard ou du Brenner.
L’histoire récente des grands ouvrages tant ferroviaires que routiers, ponctuée de multiples drames, nous apprend que nous ne pouvons nous appuyer sur des infrastructures fragiles pour franchir l’arc alpin. L’itinéraire ferroviaire par la Maurienne et le val de Suse, en Italie, a vocation à rester la colonne vertébrale de nos échanges franco-italiens, d’autant que l’axe par Vintimille ne peut assurer qu’un trafic modeste.
Bien qu’intéressantes, les autres solutions souvent évoquées, telles que le merroutage, ne peuvent être que partielles.
C’est ainsi que les trois principaux ouvrages de franchissement des Alpes entre la Suisse, l’Autriche et l’Italie, dont les altitudes respectives s’échelonnaient de 1 100 à 1 300 mètres, auront été ramenés à une altitude de 500 à 600 mètres, pour accroître la sécurité, la qualité et la capacité d’un meilleur service ferroviaire.
Il en est de même sur le plan de la protection de l’environnement, quand on sait les nuisances qui résultent des transports par poids lourds, des millions de camions traversant chaque année nos agglomérations et nos vallées alpines de Chamonix et de Maurienne ou suivant l’itinéraire côtier par Nice et Vintimille. La seule réponse à apporter ne peut relever que d’une ambition : transférer un million de camions de la route sur le rail, ce qui équivaut de surcroît à un gain annuel équivalent à 700 000 tonnes de CO2.
Sur le plan économique, pour échapper à toute interprétation fantaisiste, il est utile de rappeler l’importance des relations de la France et de l’Italie dans les échanges plus larges au cœur de l’Europe de l’arc alpin. L’Europe l’a bien compris, et son soutien financier, d’une hauteur exceptionnelle, témoigne de la prise de conscience du caractère majeur de ce verrou du franchissement des Alpes ; j’y reviendrai.
Depuis trente ans, oui, mes chers collègues, depuis trente ans, le trafic de marchandises par la route et le rail n’a cessé de progresser à travers l’arc alpin. Il a plus que doublé, passant de 68 millions de tonnes à 150 millions de tonnes, un tiers de ce trafic s’effectuant par les Alpes franco-italiennes.
Certes, ce trafic a été considérablement diminué par la crise économique, dans les années 2008-2010, mais il est de nouveau reparti à la hausse, l’Europe tablant, pour le seul mode routier, sur une progression de 60 % d’ici à 2030.
Même le mode ferroviaire, longtemps en recul, a repris le chemin de la croissance, puisque, avant la crise, la progression du transport de marchandises des neuf pays de l’Union européenne les plus proches a été, en cinq ans, de 32 %, dont 47 % pour la seule Allemagne.
Il est vrai qu’en France l’évolution pendant la même période aura été négative, enregistrant une baisse de 13 %, ce qui témoigne du défi à relever.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jean-Pierre Vial. Non, la baisse du transport du fret par le rail ne doit pas être une fatalité dont la France et elle seule cultiverait l’idée ! Les prétendus mauvais chiffres du trafic ferroviaire entre la France et l’Italie, qui s’expliqueraient par des travaux et des marchés captés par nos voisins, doivent nous imposer plus de lucidité.
Se trouverait-il quelqu’un, mes chers collègues, pour condamner la pertinence du transport maritime au motif que certains ports français ont perdu pied face au succès de bien d’autres ports européens ? Non ! Là encore, nous savons la part de reconquête qui s’offre à notre pays, à condition de le vouloir. Certains résultats ne constituent-ils pas déjà un encouragement ?
Oui, le rail transfrontalier a de fortes marges de progression, dès que les infrastructures adaptées sont mises en place et que la qualité du service est assurée.
Mes chers collègues, nous en avons un début de démonstration, grâce à des chiffres vérifiables ne pouvant être discutés par une opposition qui avance pour sa part des données ne reposant sur rien.
Ainsi, l’autoroute ferroviaire alpine Aiton-Orbassano, installée à titre expérimental en 2003 à l’entrée de la vallée de la Maurienne, vient de connaître ses progressions les plus spectaculaires, avec l’amélioration, qui vient d’être rappelée, du gabarit du tunnel historique du Mont-Cenis depuis la mi-2012 : de plus de 17 % au deuxième semestre 2012, et de plus de 25 % sur les dix premiers mois de 2013, ce qui aboutira prochainement à la saturation des capacités existantes et nécessitera l’ouverture de la plateforme opérationnelle de Grenay, au sud de Lyon, pour accroître les capacités et, surtout, créer une section de transfert modal suffisante en distance.
Oui, mes chers collègues, tels sont les chiffres !
Mais le Lyon-Turin est aussi un enjeu géostratégique. En effet, les échanges, pour intéressants et importants qu’ils soient entre la France et l’Italie, respectivement deuxième et troisième exportateur l’un envers l’autre avec plus de 77 milliards d’euros par an, ne doivent pas masquer la vocation géostratégique de cette infrastructure au cœur de l’économie européenne.
Certes, l’Italie, parmi nos voisins européens, est le seul pays avec lequel nous ne disposons pas d’une infrastructure ferrée moderne, adaptée aux transports et aux échanges du XXIe siècle : le passage actuel entre Modane et Bardonecchia, à une altitude rédhibitoire pour des transports efficaces, reste un ouvrage de cent cinquante ans, inadapté aux transports du futur.
Ainsi, par la route comme par le rail, la France a aujourd'hui le coût d’accès à l’Italie le plus élevé d’Europe.
Mais il nous faut avoir un regard encore plus large. Oui, les grands courants mondiaux d’échanges ont placé le transport maritime au cœur du commerce mondial.
Face à la position jusqu’alors prédominante des ports du Nord, avec Anvers, Rotterdam, Amsterdam et Hambourg, l’Union européenne a souhaité renforcer le rôle méditerranéen du fuseau Algésiras-Barcelone-Marseille-Trieste-Koper.
Le Lyon-Turin s’inscrit dans cette stratégie du sud de l’Europe. Mais, pour l’Europe, il s’agit également d’un repositionnement à quinze ans du rail dans les rapports avec l’Asie, l’ancienne « route de la soie » permettant de replacer le trafic intérieur de marchandises en concurrence avec le fret maritime.
Puis-je citer, à titre d’exemple, la Deutsche Bahn Schenker, qui opère un service quotidien à destination de la Chine via la Russie, ou Hupac, qui réalise chaque semaine, depuis Barcelone, des convois sur Shanghai, en utilisant déjà l’axe du Mont-Cenis, que nous évoquons ce soir ?
Oui, mes chers collègues, en retenant, en 1994, au sommet d’Essen, le Lyon-Turin parmi les projets prioritaires, l’Europe avait une vraie vision des enjeux stratégiques de l’économie de notre continent. En décidant de contribuer de façon exceptionnelle à hauteur de 40 % du financement de ce maillon central, l’Europe confirme son ambition et l’importance de la réalisation de cette section ferroviaire.
Cette ambition, nos amis italiens la confortent également en décidant un effort financier plus important, pour tenir compte de la difficulté des accès français, plus compliqués.
Ainsi, en prenant en compte l’aide européenne, à hauteur de 40 %, et la contribution italienne, à hauteur de 35 %, la quote-part de la France sera limitée à 25 % d’un ouvrage estimé à 8,5 milliards d’euros, et ce alors que la majeure partie du tunnel transfrontalier se trouve en territoire national, soit 45 kilomètres sur un total de 57 kilomètres à réaliser. Et je ne parle pas des emplois que cette réalisation suscitera sur notre territoire, qu’il s’agisse du chantier lui-même ou de la maintenance.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. On est bien d’accord !
M. Jean-Pierre Vial. Nous parlons donc d’un ouvrage de 8,5 milliards d’euros et d’une contribution de la France de 2,2 milliards d’euros. Pour vous donner une idée des ordres de grandeur, mes chers collègues, sachez que nous avons, depuis dix ans, réalisé des descenderies dont le coût atteint aujourd'hui presque 1 milliard d’euros, ce qui signifie que la France aura à payer, pour la réalisation du tunnel de base, un peu plus du double d’une somme qui a été dépensée mais qui n’a jamais suscité, dans cet hémicycle, la moindre question… De temps en temps, certains chiffres valent la peine d’être cités !
M. Jean-Claude Carle. Absolument !
M. Jean-Pierre Vial. Faut-il rappeler que le financement de l’ouvrage du Saint-Gothard aura été supporté intégralement par la Suisse ?
Ce sujet n’était-il pas, monsieur le ministre, au cœur des débats entre chefs d’État, voilà quelque mois ? Il s’agissait de convaincre l’Europe de financer de grands projets structurants, préparant l’économie de demain tout en créant les emplois d’aujourd’hui, avec le souhait que ces grands chantiers ne rentrent pas dans le ratio d’endettement de 3 %.
Parmi les grands projets européens et français, je ne pense pas qu’il y en ait beaucoup qui, comme le Lyon-Turin, soient prêts à démarrer immédiatement et donc à jouer l’effet de levier souhaité et attendu. Le lancement, voilà quelques jours, côté italien, des travaux du tunnelier en est une illustration.
Oui, monsieur le rapporteur, vous avez eu raison de souligner, et je vous en remercie, la dimension européenne du Lyon-Turin, même si l’appellation retenue, parce qu’elle identifie la ligne aux deux capitales régionales frontalières, a pu, je dois l’avouer, avoir un effet réducteur sur la véritable dimension de cette infrastructure de transport.
Est-ce un hasard, si, à côté de l’appel de quatre-vingt-onze parlementaires au Président de la République, en vue du sommet franco-italien du 20 novembre prochain, rappelant ainsi l’engagement des Présidents de la République successifs, plus de cinq cents chefs d’entreprises italiens et mille entrepreneurs français ont répondu à l’appel lancé par Jean-Paul Mauduy, président de la chambre de commerce et d’industrie Rhône-Alpes ?
Certes, les mobilisations côté Italie ne doivent pas masquer les risques de récupération politique, de la même façon que les critiques exprimées côté français ne doivent pas masquer davantage les craintes ou appréhensions, notamment celles qui sont exprimées par la profession agricole.
Mais si ces inquiétudes ne concernent pas l’objet traité, qui est le tunnel international, elles méritent en revanche d’être prises en compte le moment venu, lorsqu’il s’agira d’aborder la phase des accès, dont l’impact foncier ne saurait être ni marginalisé ni minimisé.
Oui, monsieur le ministre, vous avez raison, au moment où l’Europe interroge, interpelle, voire inquiète nos concitoyens, alors qu’elle a été une part de rêve de l’après-guerre, cette Europe qui a su montrer avec Jean Monnet des projets structurants, comme ce fut le cas avec l’Europe de l’acier et du charbon, cette Europe qui a réussi le défi de la monnaie unique avec l’euro, n’est-ce pas une chance pour elle de se repositionner au cœur de l’économie réelle, créatrice de richesses et d’emplois, à travers une infrastructure qui favorisera l’échange des biens et des personnes mettant la France et l’Italie au cœur des relations sociales, culturelles et économiques du sud de notre continent ?
Hasard du calendrier, le Parlement européen adoptera demain un budget pour la période 2014–2020 dont la partie consacrée aux transports et aux infrastructures atteindra le niveau exceptionnel de 13 milliards d’euros, une enveloppe financière supérieure à celle du dernier budget, qui n’était que de 8 milliards d’euros.
Dès lors que le Parlement, avec le vote du Sénat, aura ratifié ce soir le traité de 2012 et que l’Europe aura adopté demain son budget, il reviendra aux chefs d’État français et italien, lors du sommet du 20 novembre prochain, d’engager leurs gouvernements respectifs à répondre à l’appel à projets qui sera lancé par l’Europe afin de satisfaire aux exigences de l’article 4 du traité du 29 janvier 2001, ratifié en 2002.
Oui, monsieur le ministre, le vote de ce soir est pour le Sénat l’occasion d’autoriser la ratification du traité qu’il lui est soumis, mais il marque en même temps, pour le Gouvernement, ainsi que le rappelait récemment Laurens Jan Brinkhorst, le coordinateur européen, l’exigence de s’engager à mener à bien la réalisation de la liaison Lyon-Turin, conformément aux moyens que l’Europe a décidé de mobiliser pour ce projet du XXIe siècle. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du groupe socialiste.)
M. Jean-Claude Carle. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, l’accord sur lequel nous sommes amenés à nous prononcer ce soir fait partie de ces grands projets dont les enjeux sont tout à la fois économiques, environnementaux et sociaux, des projets qui préparent l’avenir et structurent le territoire.
Cet accord entre l’Italie et notre pays sur la réalisation et l’exploitation d’une nouvelle ligne ferroviaire entre Lyon et Turin est la phase décisive qui permettra enfin la concrétisation d’une idée maintenant vieille d’une quinzaine d’années.
En effet, nos deux pays ont déjà signé deux traités sur cette question, en 1996, puis, sous le gouvernement de Lionel Jospin, en 2001, avec Jean-Claude Gayssot comme ministre des transports.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Exact !
Mme Évelyne Didier. Depuis lors, les atermoiements des différents gouvernements ont entraîné des retards dommageables à ce grand projet d’infrastructure.
M. Roland Courteau. Ce n’est pas le seul !
Mme Évelyne Didier. Cet accord, sous forme de traité, a été signé à Rome au mois de janvier de l’année dernière. Il serait donc heureux et de bon augure que nous lui donnions notre approbation parlementaire, à la veille de la rencontre entre nos deux chefs d’État lors du prochain sommet franco-italien. Ce serait montrer la détermination de la représentation nationale à soutenir et à contrôler une réalisation qui va dans le sens de l’intérêt général.
Cela étant, pour se prononcer en toute connaissance de cause, il faut aussi avoir conscience des enjeux élevés et de toute la complexité de ce projet.
Tout d’abord un constat : aujourd’hui, l’essentiel du trafic transalpin passe par la route, que ce soit par les tunnels du Mont-Blanc ou du Fréjus ou bien par l’autoroute A8, qui longe la côte. Ces axes causent d’importantes nuisances à l’environnement et posent de réels problèmes de sécurité. Chacun se souvient des terribles accidents dans les deux tunnels, en 1999 et en 2005.
Ce constat parle de lui-même : les principaux axes qui relient notre pays à l’Italie sont saturés, obsolètes et dangereux. Près de 2,7 millions de poids lourds franchissent annuellement les passages franco-italiens, soit 7 400 camions par jour environ.
En permettant de basculer de la route vers le fer le trafic de marchandises traversant les Alpes franco-italiennes, cette nouvelle liaison ferroviaire entre Lyon et Turin vise à résoudre ces difficultés. Par ailleurs, d’après les prévisions, vers 2035, la nouvelle ligne pourrait drainer 4,5 millions de voyageurs par an, dont 1,1 million transférés de l’avion vers le rail, avec un bénéfice environnemental évident.
Elle aurait également pour avantage non négligeable de réduire la durée des liaisons entre Lyon et Turin, bien sûr, mais aussi entre Paris et Milan, ce qui rapprocherait les deux régions.
L’accord comporte en outre un aspect financier considérable, puisque le coût total du percement du tunnel et de la construction de ses accès français et italiens, dans son évaluation actuelle, s’élèverait à 26 milliards d’euros.
Il faut également souligner la dimension européenne de cette initiative, qui a été très tôt inscrite parmi les dix-huit projets ferroviaires du réseau transeuropéen de transports.
Cette inscription dans le réseau est un atout déterminant. Il permet de prévoir dans le prochain cadre financier pluriannuel 2014–2020 de l’Union européenne une enveloppe importante pour les projets de transport, avec plus de 23 milliards d’euros qui devraient être alloués au mécanisme européen d’interconnexions.
C’est ainsi que l’Union européenne financera à hauteur de 40 % du coût les travaux du tunnel transfrontalier. Grâce à cet apport significatif, ainsi qu’à la clef de répartition du financement retenue par la France et l’Italie, notre pays ne paierait, au total, « que » 25 % du coût du tunnel transfrontalier, ainsi que le financement des infrastructures d’accès de notre côté et le contournement de Lyon.
Enfin, ce gigantesque ouvrage aurait un impact très positif en matière d’emplois dans la région. Dans sa phase « chantier », il pourrait induire environ 3 000 emplois directs dans la vallée de la Maurienne, dont plus de 2 000 sur les cinq années les plus importantes. Quant aux emplois pérennes liés à l’exploitation du tunnel de base, ils sont estimés à près de 300.
Tous ces aspects positifs font que ce projet a une cohérence globale qui paraît constituer une alternative crédible, pertinente et nécessaire pour réduire le trafic routier et ses nuisances, tout en renforçant la sécurité.
Pourtant, si la théorie paraît solide et logique, la mise en œuvre pratique se révèle complexe et peut-être incertaine.
Il faut mesurer que ce projet est aussi fortement contesté, des deux côtés des Alpes, par une partie des populations, diverses associations et quelques élus. Nous en avons eu l’illustration tout à l’heure.
Certains s’interrogent en effet sur l’utilité de cette nouvelle liaison, alors que le fret routier entre la France et l’Italie stagne voire diminue régulièrement depuis quinze ans. D’autres ont relevé le référé d’août 2012, par lequel la Cour des comptes avait signalé des coûts prévisionnels en forte augmentation ainsi que la faible rentabilité par rapport aux investissements consentis, et avait regretté « que d’autres solutions alternatives moins coûteuses aient été écartées sans avoir été explorées de façon approfondie ».
Il y a également ceux qui craignent un « désastre environnemental » faisant notamment disparaître des terres agricoles.
On le voit, ce projet comporte des avantages et des inconvénients sur le plan environnemental, mais, pour nous, le transfert modal est très important.
Reste que notre soutien raisonné à cette nouvelle liaison ferroviaire s’accompagne de quelques inquiétudes, sur les financements en particulier.
L’Union européenne parviendra-t-elle à financer ce projet comme prévu ? Nous en doutons. (M. Alain Néri s’exclame.) Nous avons vu récemment que les autorisations d’engagement européennes…
M. Jean Besson. Il faut croire en l’Europe !
Mme Évelyne Didier. … pour la période 2014–2020 étaient en baisse, en particulier concernant les transports : 23 milliards d’euros sont consacrés aux infrastructures, dont 10 milliards d’euros pour des projets de cohésion. Seuls 13 milliards d’euros seront disponibles pour les grandes infrastructures.
Par ailleurs, compte tenu de nos propres difficultés nationales, nous pouvons aussi concevoir quelques inquiétudes sur les capacités de l’État et des collectivités territoriales concernées.
Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous nous assuriez que cette liaison fait bien partie des priorités du Gouvernement en matière de report modal et qu’elle marque de sa part une réelle volonté de relancer le fret ferroviaire.
Notre discussion de ce soir prend un relief particulier avec l’actualité récente et les débats polémiques autour de l’écotaxe. Les violentes manifestations d’opposition à cette taxe qui devait être prélevée sur la circulation routière des poids lourds ne peuvent qu’aggraver nos inquiétudes quant au financement. Malgré nos critiques sur les conditions peut-être maladroites de sa mise en œuvre, et bien que l’écotaxe ne soit, nous l’espérons, que provisoirement suspendue, nous redoutons que la situation actuelle ne prive, pendant quelque temps, ce projet des financements qui lui sont indispensables.
En dépit de ces inquiétudes, nous réitérons notre souhait de voir ce projet aboutir. En tout cas, le groupe CRC votera ce projet de loi, en rappelant que les élus communistes de la région Rhône-Alpes ont toujours soutenu cette opération. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste, de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la France et l’Italie, deux grands pays aux origines de la construction européenne, prolongent régulièrement leur coopération de manière bilatérale sur les questions de défense, de sécurité intérieure, d’enseignement supérieur ou encore de recherche. Les liens qui nous unissent sont particulièrement étroits en matière économique : la France est le premier partenaire commercial de l’Italie, et l’Italie, le deuxième partenaire de la France. Les échanges commerciaux entre les deux partenaires atteignent 70 milliards d’euros par an.
Les grands projets bilatéraux d’infrastructures de transport entre nos deux pays apportent donc une plus-value indéniable à ces coopérations et à ces échanges. Ainsi, la construction de la ligne à grande vitesse entre Lyon et Turin est un grand pas de plus qui rapprochera les deux États, leurs économies et leurs peuples. Il s’agit d’un projet ambitieux et réfléchi, conforté par les accords de 1996, de 2001 et par celui que nous examinons ce soir, signé à Rome le 30 janvier 2012.
Un tel projet n’a pas que des enjeux économiques : il est aussi une source de soulagement pour les habitants des zones alpines concernées. Aujourd’hui 7 400 camions traversent chaque jour le massif alpin, affectant durablement la qualité de l’air et impactant négativement le paysage. Cette situation est devenue insoutenable pour les 14 millions d’habitants de l’arc alpin, qui espèrent avec impatience le report modal de la route vers le transport ferroviaire.
Contrairement aux critiques que l’on a pu lire ou entendre, ce projet comporte donc bien une réelle dimension écologique. Il participe à la mise en œuvre de la Convention alpine signée en 1991 par huit pays, en plus de la Communauté européenne, dont l’un des objectifs est « la réduction drastique des émissions de polluants et de leurs nuisances dans l’espace alpin ainsi que des apports externes de polluants de manière à parvenir à un taux non nuisible aux hommes, à la faune et à la flore ».
La nouvelle ligne Lyon-Turin est aussi un outil de lutte contre les pollutions, un outil qui doit participer aux objectifs et à la stratégie de la France et de l’Union européenne en matière de réduction de gaz à effet de serre.
La baisse de la fréquentation de la ligne historique figure parmi les arguments en défaveur de la nouvelle ligne. Un tel argument ignore que le trafic de marchandises transalpin a connu une croissance de 22,7 % entre 1999 et 2011. Certes, un ralentissement consécutif à la crise de 2008 a pu être constaté, touchant particulièrement le transport ferroviaire. Ce ralentissement ne représente cependant pas la tendance d’ensemble, puisque ce sont 2,7 millions de camions qui traversaient la frontière en 2011.
Cette nouvelle infrastructure se justifie plus que jamais, car elle permettra le report chaque année de 1,7 million de poids lourds sur le ferroviaire, comme le prévoit le dossier d’enquête d’utilité publique. Elle aura la capacité de transporter 40 millions de tonnes de marchandises, soit l’équivalent de ce qui est réalisé aujourd’hui tous modes confondus, alors que 85 % de ces échanges reposent sur le mode routier.
Enfin, les enjeux en question ne revêtent pas un caractère uniquement international : le projet améliore avant tout la desserte des territoires situés sur la section française de la ligne ferroviaire. Ainsi, Chambéry, Grenoble et Annecy seront respectivement à deux heures vingt-cinq, deux heures trente-cinq et trois heures de Paris.
Au-delà de ces avantages indéniables, nous sommes conscients que les enjeux financiers soulèvent des interrogations. N’oublions pas que l’accord qui est soumis à ratification ne signifiera pas engagement des travaux. Il ne procède qu’à une simple préparation en fixant les modalités de réalisation, le droit applicable ou encore de nouvelles règles de gouvernance.
À ce titre, il convient de saluer le renforcement du contrôle par les deux États, indispensable au regard des sommes en jeu. La mise en place d’un tiers certificateur sera essentielle pour obtenir une vision claire des coûts. Et, en ce qui concerne ces derniers, il est utile de rappeler que la France ne financera pas les 26,1 milliards d’euros : sur 8,5 milliards d’euros de la section transfrontalière couverte par le présent accord, la France n’apportera plus que 2,2 milliards d’euros si l’Union européenne confirme sa participation au projet à hauteur de 40 %.
Élu du Lot, département de Maurice Faure, qui a signé le traité de Rome, je préfère voir l’Europe investir dans les grands équipements et dans les grands chantiers plutôt que de se focaliser sur les normes, les règlements et l’interdiction des fromages à pâte molle ! (Rires et applaudissements.)
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Et sur la chasse aux petits oiseaux ! (Sourires.)
M. Jean-Claude Requier. L'accord qui sera conclu ultérieurement afin d'autoriser véritablement l'engagement des travaux, pourra tenir compte de cette participation qui devrait être confirmée à l'issue de l'appel d'offres dont le lancement est prévu pour 2014 et de l'adoption du cadre pluriannuel financier pour 2014-2020.
Nous pouvons nous montrer optimistes sur les probabilités d'obtenir ces financements puisque la nouvelle ligne ferroviaire participe au déploiement de l'Europe du Rail.
Mais je conclus, car il me semble que mon temps de parole est presque épuisé.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, pour toutes les raisons évoquées, le groupe du RDSE apportera, dans sa grande majorité, son soutien au présent projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et l'Italie pour la réalisation et l'exploitation d'une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin.
Pour nous, cette nouvelle infrastructure est un projet d'aménagement du territoire et de développement économique à l'échelle européenne – il donnera ainsi un peu l’accent du Sud à l’Europe –, à l'échelle binationale, mais aussi à l'échelle régionale du massif alpin. Un seul de nos collègues, le sénateur francilien Philippe Esnol, se prononcera contre ce projet de loi. Son vote n'est pas motivé par une quelconque opposition à la réalisation de la LGV entre Lyon et Turin,…
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Ah ?
M. Jean-Claude Requier. … mais c'est pour lui une façon de rappeler que d'autres projets d'infrastructure sont moins coûteux et toujours au point mort : il pense notamment au bouclage de l'A104, devenu indispensable face à l'état de saturation de la RN184, ou encore à l'absence d'engagement sur le canal Seine-Nord-Europe. Comme quoi, monsieur le ministre, vous le voyez, un train peut toujours cacher une route ou un canal ! (Sourires et applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, de l'UDI-UC et de l'UMP).
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, l’accord qui est soumis ce soir à notre approbation porte sur le projet de liaison ferroviaire nouvelle Lyon-Turin, projet majeur d’infrastructure de transport qui a pu faire débat, qui fait toujours quelquefois débat – on l’a entendu – et qui trouve dans le présent texte un nouvel élan.
Le Gouvernement souhaite que nous adoptions ce projet de loi dans la perspective du sommet bilatéral franco-italien qui aura lieu dans deux jours seulement.
Ce projet de ligne Lyon-Turin remonte au début des années quatre-vingt-dix et répond à un triple objectif. Il s’agit d’abord de développer un réseau ferroviaire transeuropéen par connexion des réseaux nationaux et de sécuriser les échanges entre la France et l’Italie à travers les Alpes. Ce projet répond également à un objectif de protection du massif alpin par le report sur le rail d’une large part du transport routier des marchandises. Je reviendrai sur ce point et sur l’aspect écologique du projet.
En premier lieu, la ligne Lyon-Turin fait partie des axes prioritaires du réseau transeuropéen de transport, lequel doit permettre l’harmonisation, la jonction et le développement à l’échelle du continent européen des infrastructures indispensables pour permettre la circulation des marchandises et des personnes.
Je ne reviendrai pas sur le détail des dispositions de l’accord signé le 30 janvier 2012 dont nous devons autoriser l’approbation ce soir, car nos rapporteurs l’ont fait avec une précision et une exhaustivité que je salue. Je rappellerai seulement que ce nouvel accord, après ceux conclus en 1996 et en 2001, a pour objectif principal d’avancer significativement vers la réalisation de la section internationale du projet. Il porte en particulier sur la section transfrontalière, c’est-à-dire le tunnel de cinquante-sept kilomètres et ses abords immédiats. C’est la partie du projet qui est la plus délicate.
Il s’agit donc d’une étape intermédiaire : ce projet a été décidé dès 1994 dans le cadre de l’Union européenne, puis lancé par les gouvernements français et italien. L’accord constitue la troisième étape du processus. Le lancement des travaux définitifs de construction devra, quant à lui, faire ultérieurement l’objet d’un nouvel accord bilatéral. Il s’agit donc ce soir non d’autoriser le premier coup de pelle, mais de permettre la poursuite du projet.
Ce texte représente néanmoins une étape importante de la réalisation du Lyon-Turin dans sa partie internationale, puisqu’il précise la gouvernance du projet par les deux États, la définition du droit applicable au règlement des différends, et qu’il clarifie enfin le partage des coûts de la section internationale.
Au-delà de l’accord que je viens d’évoquer ici rapidement, nous n’ignorons pas les incertitudes que comporte ce projet et les inquiétudes qu’il peut susciter. Le rapporteur les a évoquées, notre collègue écologiste y est également revenue, chacun à sa façon.
Ainsi, le monde agricole craint que le projet de Lyon-Turin ne conduise à une consommation excessive de terres agricoles. Il faudra sans doute, monsieur le ministre, porter une attention particulière à cette question pour assurer la pérennité des exploitations agricoles. Un dispositif dédié pourrait être utile.
S’agissant des incertitudes, j’évoquerai d’abord la question du calendrier de réalisation : il est indéterminé, compte tenu du fait que le plan de financement n’est pas bouclé et de la complexité technique du projet.
Les inquiétudes financières, quant à elles, sont liées en partie au chiffre de 26 milliards d’euros avancé par la Cour des comptes pour évaluer le coût total du projet, initialement estimé à 12 milliards d’euros. Compte tenu de ce coût, certains élus s’inquiètent du financement des autres projets d’infrastructures de transport, qui risqueraient d’être sacrifiés, étant donné les contraintes de nos finances publiques. (Mme Kalliopi Ango Ela opine.)
La question se pose en effet : comment financer un tel investissement ? Notre rapporteur a donné tout à l’heure des éléments rassurants et des pistes sur ce point. Il est bien évidemment souhaitable, monsieur le ministre, que vous acheviez de nous tranquilliser.
Ces éléments financiers expliquent, avec la complexité technique de l’ouvrage, l’étalement du projet sur plusieurs décennies. On parle en effet d’une ouverture en 2030, ce qui renforce le scepticisme quant à la réalisation finale de ce projet.
C’est pourquoi, comme l’a indiqué excellemment Yves Pozzo di Borgo, la contribution du budget de l’Union européenne est décisive. En effet, l’Union s’est fermement engagée à participer au financement de la partie transfrontalière à hauteur de 40 %. Cela réduirait la participation de la France à environ 2,15 milliards d’euros sur les 8,5 milliards d’euros que représente le tunnel transfrontalier, financement échelonné évidemment sur plusieurs années, voire sur une décennie.
Enfin, précisons que les 26 milliards d’euros cités concernent l’ensemble du coût du projet pour la France et l’Italie. Le financement à la charge de notre pays serait en réalité plus proche des 10 milliards d’euros.
En outre, comme cela a été rappelé par les rapporteurs, la clé de répartition financière arrêtée dans l’accord est favorable à la France : l’Italie financera 60 % des dépenses concernant le tunnel, qui est pourtant bien plus long sur le territoire français. Ce n’est pas négligeable.
La nouvelle ligne Lyon-Turin bénéficiera aux déplacements régionaux, nationaux et européens à travers les Alpes. Ce n’est pas seulement un projet d’infrastructure de transport, mais un projet de territoire aux enjeux environnementaux, économiques et sociaux importants pour les régions concernées et bien au-delà, compte tenu de son aspect européen. La question des enjeux environnementaux est discutée – elle l’a été tout à l’heure à la tribune. Examinons les enjeux économiques et sociaux avant de revenir sur la problématique environnementale.
Cela a été rappelé par d’autres, cette ligne permettra de relier deux régions importantes du point de vue économique – l’Italie est en effet notre deuxième partenaire commercial – et de leur donner un nouvel élan. Elle est également un élément du développement économique de toute l’Europe du Sud et, au-delà, du renforcement des liens entre les régions du Grand Paris et de Milan, comme l’a rappelé le rapporteur de la commission des affaires étrangères.
L’enjeu économique du projet est donc réel : il favorisera les échanges européens. La ligne est l’un des chaînons du corridor transeuropéen de transport, qui va du sud de l’Espagne à la frontière orientale de l’Union européenne.
Avec la ligne ferroviaire Lyon-Turin, il s’agit bien de créer une offre de très haute qualité, performante et donc compétitive par rapport à la route, permettant un report efficient de la route vers le rail.
Selon les projections, la nouvelle ligne devrait attirer 4,7 millions de voyageurs à l’horizon 2035, dont une grande partie par transfert de la route sur le rail.
Mais le report modal pour le fret est la justification majeure du Lyon-Turin. De nos jours, 40 millions de tonnes de marchandises transitent chaque année par les Alpes franco-italiennes ; 85 % des flux de fret entre la France et l’Italie sont routiers ; près de 7 400 poids lourds circulent chaque jour dans cette zone transalpine.
En transférant sur la nouvelle ligne ferroviaire la moitié du fret circulant entre les deux pays à l’horizon 2035, on éviterait 1 million de tonnes d’émissions de gaz à effet de serre par an. Cela limiterait aussi grandement les nuisances environnementales dans les Alpes françaises et les risques dus au trafic routier. La nouvelle ligne sera, en cela aussi, un élément d’amélioration de la sécurité des passages routiers alpins.
Atteindre effectivement cet objectif environnemental doit être essentiel pour les régions alpines franco-italiennes, qui sont fragilisées sur le plan écologique par les nuisances sonores et par la pollution atmosphérique.
Nous ne pouvons que soutenir cette politique de développement du fret ferroviaire. Elle doit être accompagnée par des mesures réglementaires et tarifaires, comme l’a souligné notre collègue rapporteur pour avis de la commission du développement durable.
Même si des inquiétudes existent sur ce projet – je les ai évoquées –, il me semble qu’il n’existe pas d’alternative ferroviaire crédible au Lyon-Turin. C’est pourquoi le groupe UDI-UC autorisera l’approbation de cet accord. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe socialiste et de l'UMP, ainsi que sur les travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Chiron.
M. Jacques Chiron. Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, en novembre 2012, dans ce même hémicycle, nous avons su nous réunir et dépasser les clivages politiques pour lancer « l’appel des parlementaires » en faveur de la réalisation du Lyon-Turin. Certains de mes collègues s’en souviennent, une députée européenne espagnole était présente, un député italien, ainsi que les anciens ministres Louis Besson et Claude Gayssot, et de nombreuses autres personnalités représentant notamment le monde syndical et économique pour témoigner de leur engagement en faveur de cette réalisation.
Ce projet a été porté par tous les Présidents de la République successifs depuis François Mitterrand. Le Président François Hollande nous propose, un an après notre appel, de concrétiser ce projet européen majeur, majeur pour l’environnement, la sécurité et l’activité économique, majeur pour l’Europe et pour ses habitants.
Monsieur le ministre, merci d’avoir œuvré avec votre collègue ministre des transports, Frédéric Cuvillier, pour faire avancer ce projet résolument européen.
Comme tous les projets d’investissement structurants, il suscite des interrogations, voire des controverses, parfois légitimes, auxquelles il faut alors répondre, mais malheureusement trop souvent idéologiques.
À ceux qui jugent ce projet d’un autre temps et qui s’enferment dans des postures, je réponds en deux mots : réalisme et pragmatisme. En 2012, les échanges entre la France et l’Italie ont été 1,3 fois supérieurs aux échanges entre la France et la Chine, et 90 % de ces échanges s’effectuent par la route. Ces chiffres sont sans équivoque.
Nous connaissons tous, nous, les élus des Alpes, les conséquences de ces échanges dans nos vallées en matière de qualité de l’air et de qualité de vie. Chaque année, ce sont 2,7 ou 3 millions de poids lourds qui franchissent les passages franco-italiens. C’est dire les nuisances subies par les habitants de nos vallées alpines.
Il est donc urgent de désengorger les Alpes, mais aussi l’autoroute du littoral entre Nice et Marseille, en proposant une solution alternative à la route. Le Lyon-Turin constitue l’une des réponses, car c’est avant tout un projet de fret ferroviaire qui va permettre le report des poids lourds vers le rail, tout en assurant une meilleure sécurité – d’autres l’ont rappelé avant moi.
Tandis que certains parlent d’écologie, nous nous proposons, bien modestement, d’agir pour l’écologie. Dès la mise en service du tunnel de base de cinquante-sept kilomètres au départ de Saint-Jean-de-Maurienne, on estime le nombre de poids lourds dont le chargement serait susceptible de se reporter vers le rail à 1 million par an. Cela permettra d’économiser entre 530 000 et 700 000 tonnes de CO2 par an, sans compter le transport des voyageurs. Cette économie est considérable et d’une importance majeure pour les habitants de nos territoires.
Ce projet est une véritable chance pour aménager plus durablement le territoire en veillant à la qualité de l’air et à l’environnement. Évidemment, nous devrons assurer – nous y sommes déjà attentifs – le maintien de la surface de nos terres agricoles cultivées. Sur ce point, je sais que le président de la région Rhône-Alpes, Jean-Jack Queyranne, est en relation permanente avec la profession agricole, dont je comprends l’inquiétude.
Certains pensent que ce projet est devenu inutile parce que l’évolution des trafics est moins rapide que prévu et que la ligne existante n’est pas saturée. Je leur réponds qu’en effet la ligne actuelle est sous-utilisée ; d’ailleurs, personne ne le conteste. Mais allons jusqu’au bout et rappelons pourquoi : si cette ligne n’est pas utilisée à plein, c’est peut-être en partie à cause de la crise économique, mais c’est surtout parce que la ligne actuelle, inaugurée en 1871, est vétuste ; elle est d’ailleurs classée monument historique… Son vieux tunnel, qui culmine à 1 300 mètres d’altitude, rend son utilisation très coûteuse et lui retire toute compétitivité, sans parler de ses accès à voie unique sur quarante-trois kilomètres et du fait qu’elle surplombe du lac du Bourget.
La ligne historique est donc loin des capacités potentielles d’une nouvelle ligne qui sera, de fait, une infrastructure performante.
Sur la période 2010-2030, la Suisse prévoit une croissance de 3 % par an du fret ferroviaire, ce qui signifie son doublement d’ici à 2035. Pour la Suisse, il s’agit non pas forcément d’augmenter le volume global des échanges qui passent par son territoire, mais de prendre des mesures autoritaires pour que tous les échanges ou presque utilisent le fret ferroviaire, alternative crédible à la route.
Si nous ne réagissons pas, si nous ne sommes ni attractifs ni compétitifs sur le fret ferroviaire, cela pourrait avoir des répercussions fortes sur l’utilisation de nos autoroutes en France. À cet égard, monsieur le ministre, il faudrait envisager, concomitamment à la mise en service du Lyon-Turin, une augmentation du coût des autoroutes pour les poids lourds qui n’emprunteraient pas, dans ce secteur, le fret ferroviaire. Notre collègue André Vairetto l’a envisagé, et je le soutiens naturellement sur ce point.
Les Suisses, eux, ont bien compris les enjeux. Ainsi, alors même que nous discutons, ils sont en train de réaliser les investissements nécessaires pour améliorer encore leurs lignes de fret ferroviaire, en creusant des tunnels de plaine comme ceux du Lötschberg et du Saint-Gothard.
Dans ce contexte, serait-il opportun de renoncer au Lyon-Turin et à son tunnel de base ?
Serait-il raisonnable de renoncer à un projet permettant de faire de la haute capacité ?
Serait-il souhaitable de renoncer à un projet rééquilibrant les échanges européens est-ouest à travers les Alpes ?
Car ce projet dépasse largement les frontières franco-italiennes ! Le Lyon-Turin est en effet le maillon central qui va parachever la liaison est-ouest européenne, permettant de relier Lisbonne à la frontière ukrainienne, en passant par l’Espagne, notamment Barcelone, et en allant vers la Slovénie.
Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, il permettra de mettre en réseau 5 000 kilomètres de lignes ferroviaires à travers l’Europe, de desservir 350 millions d’habitants et de nous relier à des pays dotés de réels potentiels économiques, dont certains frappent d’ailleurs à la porte de l’Europe. Nul doute que cette nouvelle liaison aura des retombées positives sur l’activité économique, l’emploi, mais aussi sur les échanges humains et culturels.
Dans un contexte où elle est souvent perçue comme une source de contraintes supplémentaires suscitant la défiance, le projet Lyon-Turin donne à l’Europe une dimension extrêmement concrète, au service de l’environnement et de nos populations.
Grâce à votre engagement, monsieur le ministre, la Commission européenne a d’ailleurs reconnu tout l’intérêt de ce projet, en confirmant que la réalisation du tunnel de base serait éligible à une subvention européenne à hauteur de 40 % des dépenses.
Avec l’engagement de l’Union européenne, et compte tenu de la clé de répartition des financements décidée par la France et l’Italie, la France ne paiera que 25 % de la réalisation de cette infrastructure, soit 2,2 milliards d’euros ! C’est un élément tout à fait déterminant, qui me semble en partie répondre à la Cour des comptes quand elle s’interroge sur la possibilité d’un financement européen.
Alors, nous pouvons toujours douter ; nous pouvons discuter encore, et tergiverser à l’infini. Oui, nous pouvons « regarder passer les trains », et voir ainsi les investissements, l’activité économique et les emplois qui vont avec quitter la France. Nous pouvons ne pas répondre aux populations de nos vallées alpines, dont les attentes sont fortes en termes de santé publique.
Mais nous pouvons au contraire prendre nos responsabilités en soutenant la réalisation de cet investissement résolument européen. Comme nos prédécesseurs ont su le faire avant nous, sachons préparer l’avenir. Gardons confiance dans le futur. Osons poser dès aujourd’hui les conditions qui seront nécessaires demain pour maintenir l’activité économique dans nos régions et les emplois en Europe, tout en œuvrant pour le développement durable.
Le groupe socialiste, vous l’avez compris, apportera avec détermination sa voix à ce projet ferroviaire Lyon-Turin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Besson.
M. Jean Besson. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les brillantes interventions de MM. les rapporteurs Yves Pozzo di Borgo et André Vairetto, et les présentations quasi unanimes des différents orateurs qui se sont succédé à la tribune, mon propos sera plus bref que prévu.
Comment ne pas soutenir ce grand projet européen ? Il offre une occasion d’investir, de relancer l’économie, de soutenir l’emploi, de renforcer le lien européen entre nos régions et nos pays, de favoriser le tourisme et de protéger l’environnement.
C’est pourquoi, je l’avoue, je ne comprends pas très bien la position de nos amis écologistes.
Voilà plus de soixante ans, Robert Schuman affirmait : « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble ; elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait. » Jacques Delors disait la même chose il y a dix ans. Tous deux avaient raison.
Je vois dans la construction de ce tunnel ferroviaire Lyon-Turin un acte fort, une réalisation concrète qui montre à quel point l’Europe et les échanges entre les régions de pays voisins peuvent devenir des réalités.
Enfin, à l’heure où nos pays ont tant besoin de relever leurs économies, à l’heure où l’Europe elle-même doit se renforcer, car elle a un rôle déterminant à jouer face à cette crise internationale, ce projet est l’exemple même des actions politiques concrètes que nous devons mener pour faire avancer cette Union européenne qui nous est si chère.
Notre rapporteur, Yves Pozzo di Borgo, a insisté sur la nécessité de réaliser une liaison est-ouest. Tous les membres de la commission des affaires étrangères ont défendu cette position. Il existe en effet beaucoup de liaisons nord-sud, mais un examen attentif de la carte montre que cette liaison est-ouest, de Séville à Kiev, est indispensable. J’ajoute qu’il n’est pas impératif qu’elle passe par Lyon. Elle peut aussi emprunter le sillon alpin via Chambéry, Grenoble et Valence.
Avec le conseil régional de Rhône-Alpes et les conseils généraux de la Drôme – n’est-ce pas, cher président Didier Guillaume ? – et de l’Isère, nous avons déjà investi 70 millions d’euros pour nous engager dans ce projet d’avenir et réaliser des travaux, puisque cette ligne du sillon alpin sera mise en service dès le 15 décembre.
Comme l’a souligné notre collègue député Étienne Blanc, 81 des 83 parlementaires de la région Rhône-Alpes se sont prononcés en faveur du projet, dont bien entendu Bernard Piras, Didier Guillaume et moi-même, les opposants à ce projet étant, on le voit, marginaux. Ce projet est aussi unanimement soutenu par le monde de l’entreprise, les collectivités, l’État et l’Union européenne, qui consent un apport financier exceptionnel à hauteur de 40 %.
Monsieur le ministre, pour ce bel accord européen, vous pouvez compter sur le soutien unanime du groupe socialiste, mais aussi – je n’en doute pas, compte tenu des interventions de nos collègues – sur un « oui » franc et massif de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur. Je remercie l’ensemble des intervenants et souhaite répondre à une remarque formulée par l’un de nos collègues.
Ce projet de loi est examiné selon la procédure accélérée. À l’Assemblée nationale, la commission des affaires étrangères n’a procédé à aucune audition ; la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire n’en a organisé qu’une seule et la commission des affaires européennes a réuni une sorte de table ronde avec cinq intervenants extérieurs.
La commission des affaires étrangères du Sénat a souhaité aller beaucoup plus loin, en procédant à l’audition de douze personnes, dont des opposants au projet, en particulier leur porte-parole, qui est aussi parlementaire, dans l’intention d’entendre leurs arguments et de mieux pouvoir les contrer.
Je trouve donc quelque peu inélégant de la part de l’une de nos collègues de se faire l’écho d’une campagne sur Internet et les réseaux sociaux actuellement dirigée contre les travaux de la commission sans s’être préalablement renseignée sur ce qui a été notre méthode de travail.
La commission des affaires étrangères a beaucoup travaillé sur ce sujet et a proposé un projet.
Je remercie également la commission du développement durable de s’être saisie de ce texte pour avis, et j’aurais aimé que la commission des affaires économiques et la commission des affaires européennes en fassent de même, car ce projet est d’une très grande importance, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur les travées de l'UMP et du RDSE.)
Mme la présidente. Je vous remercie de ces précisions, monsieur le rapporteur.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Madame la présidente, après avoir écouté l’ensemble des sénatrices et sénateurs inscrits dans la discussion générale, je souhaiterais verser aux débats quelques compléments d’information.
Je remercie tout d’abord ceux d’entre eux – la plupart ! - qui ont exprimé, avec conviction et responsabilité, leur soutien à ce grand projet.
Il est vrai que de grands chantiers de cette nature peuvent parfois causer d’importants bouleversements sur le terrain, notamment pour le monde agricole, les habitants et quelques entreprises, qui se verront sans doute expropriées ou déplacées. Mais n’est-ce pas le lot des grands chantiers qui ont modelé notre pays ?
À celles et ceux qui ne sont pas convaincus, comme Mme Ango Ela, je voudrais dire qu’ils peuvent encore changer d’avis.
Les caractéristiques de l’infrastructure existante, qui passe effectivement par Modane, à la frontière franco-italienne, et emprunte le tunnel historique du Fréjus, inauguré en 1871, ne sont plus adaptées aux nouveaux enjeux du développement du fret en France.
Ainsi, alors que le futur tunnel passera à une altitude comprise entre 450 et 500 mètres, la ligne historique culmine à 1 300 mètres d’altitude. Son dénivelé est tel qu’il rend très difficile le passage des trains de fret, qui doivent être tractés ou poussés par deux ou trois locomotives diesel pour atteindre cette altitude. Évidemment, la nature même du service proposé n’est pas compétitive au regard des tunnels voisins du Fréjus et du Mont-Blanc, deux accès routiers de très grande qualité qui voient passer 1,3 million de véhicules chaque année.
Disons-le clairement : le tunnel historique ne sera jamais utilisé à 100 % de ses capacités, quels que soient les travaux de modernisation que nous pourrons engager. Au cours des dernières années, des efforts importants ont été consentis par notre pays : la fréquentation de la ligne a certes augmenté, mais nous n’atteindrons jamais sa pleine capacité.
En revanche, lorsqu’une nouvelle infrastructure performante est proposée, on constate une augmentation du trafic de fret. Car si le fret marchandises a globalement diminué dans les Alpes au cours des dernières années, il n’a pas baissé partout. Il a même augmenté là où des tunnels ferroviaires performants ont été construits.
M. Louis Nègre. Il n’y a que chez nous que cela baisse !
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Le tunnel du Lötschberg, ouvert il y a quatre ans par nos amis suisses, atteint près de 100 % de sa capacité.
Dès lors que nous sommes en mesure d’offrir aux acteurs économiques, notamment aux transporteurs routiers, une infrastructure plus rapide que les tunnels routiers, ils s’en saisissent et utilisent le rail, y compris pour se déplacer.
C’est l’ambition des travaux du Lyon-Turin que de faire du rail un concurrent redoutable de la route, pour la protection du massif des Alpes. Et cela passe par la réalisation que nous vous proposons d’approuver.
Par ailleurs, madame Ango Ela, la commission Mobilité 21, chargée d’établir les priorités entre les différents projets inscrits dans le schéma national des infrastructures de transport a, par principe, exclu du périmètre de son analyse les projets ayant déjà fait l’objet d’un engagement international, comme c’est le cas du Lyon-Turin.
En outre, cette commission confirme l’intérêt, à terme, de réaliser les accès français prévus, donc sur le territoire national, en relation avec le projet de liaison binationale. Ayant fort logiquement classé ce projet d’accès en priorité de second rang, la commission a proposé que ces travaux soient réalisés à partir de 2030 ; c’est le temps qu’elle a estimé nécessaire pour la construction du tunnel dont nous parlons aujourd’hui.
Toutefois, cette même commission indique dans son rapport que la planification peut faire l’objet de révisions tous les cinq ans. Ainsi, si le tunnel Lyon-Turin est percé plus rapidement que prévu, les conclusions du rapport Mobilité 21 seront révisées.
Je souhaite en outre revenir sur la présentation qui a pu être faite du financement du projet, laissant penser que les financements par l’Europe du projet Lyon-Turin viendraient en concurrence de la modernisation du réseau actuel. Ce ne sera pas le cas. La modernisation du réseau et la construction du tunnel sont totalement déconnectées.
Il faut d’ailleurs se défaire de l’idée que les milliards d’euros apportés par l’Union européenne pourraient financer la modernisation du réseau ferroviaire actuel. Celui-ci a certes besoin d’investissements nouveaux. Toutefois, les fonds dédiés au mécanisme d’interconnexion européenne, selon la terminologie exacte, ne concernent que les projets reliant au moins deux pays de l’Union européenne. Si ces fonds ne sont pas utilisés, ils seront affectés à d’autres projets d’interconnexion, dans d’autres pays, mais pas en France, du moins pas à ce titre.
En effet, pour la France, la Commission européenne n’a acté que deux projets au titre du mécanisme d’interconnexion européenne : la ligne ferroviaire Lyon-Turin et le projet fluvial du canal Seine-Nord, porté par Frédéric Cuvillier. Pour répondre au sénateur Esnol, ces projets bénéficieront d’un taux de financement européen à hauteur de 40 % pour les travaux et de 50 % pour les études. Cela nous a été confirmé le 17 octobre dernier, à Tallinn, par le commissaire Siim Kallas.
Si ces sommes ne sont pas utilisées pour ces deux projets, elles seront redistribuées à d’autres pays, et non pas affectées à la modernisation du réseau français.
Pouvons-nous nous priver d’une telle manne financière pour la relance de l’activité économique ? (Non ! sur un grand nombre de travées.)
M. Jean Besson. C’est évident !
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Effectivement, je ne le pense pas.
Certains ont pu également laisser penser qu’en raison du report de l’application de l’écotaxe, les travaux de la ligne Lyon-Turin ne pourraient être financés. Soyons sérieux, ne confondons pas la suspension – temporaire – de l’écotaxe en France et les besoins financiers de long terme liés au projet de liaison ferroviaire franco-italienne.
De surcroît, rappelons que, parallèlement, des mesures seront prises par les futurs gouvernements pour favoriser le report modal. Dès lors que ces infrastructures existeront, les transporteurs routiers seront incités à utiliser la nouvelle infrastructure ferroviaire du Lyon-Turin pour le transport du fret. Le présent accord bilatéral franco-italien prévoit ainsi plusieurs dispositions favorables au report modal, à court, moyen ou long terme.
À l’avenir, il conviendra de définir, avec l’ensemble des pays alpins et la Commission européenne, les modalités de régulation des flux transalpins, notamment les flux de marchandises, par des dispositifs incitatifs ou coercitifs, voire tout à la fois incitatifs et coercitifs, notamment financiers.
Enfin, M. le rapporteur et d’autres de ses collègues m’ont interrogé sur la volonté de la France de s’engager en faveur d’une mobilisation rapide des financements que l’Europe est prête à mettre à notre disposition et qui, pour la période 2014-2020, seront votés demain au Parlement européen. Je vois en ce hasard du calendrier un signe positif devant vous inciter, mesdames, messieurs les sénateurs, à adopter ce projet de loi à la plus large majorité.
Sur la mobilisation des fonds, je ne peux m’exprimer qu’au nom du gouvernement français ; or, vous l’avez compris, ce dossier se porte à deux, avec l’Italie. Toutefois, je peux vous assurer que le gouvernement français s’engage, dès à présent, à prendre toutes les mesures nécessaires en vue d’obtenir, pour la période 2014-2020, le cofinancement communautaire. Dès 2014, nous présenterons à la Commission européenne une demande, que nous souhaitons conjointe avec l’Italie, pour obtenir ce soutien au taux maximum.
Il me reste à espérer que nous trouverons dans quarante-huit heures un écho favorable auprès de l’Italie. Je n’ai pas de raison d’en douter, mais la réponse définitive vous sera apportée par les conclusions du sommet franco-italien de Rome, auquel participeront les deux chefs de Gouvernement, français et italien, ainsi qu’une grande majorité des deux gouvernements respectifs. Je suis plutôt optimiste sans pouvoir, ce soir, parler avec une totale certitude, car la réponse doit être apportée aussi bien par la France que par l’Italie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du RDSE, ainsi que sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique.
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne pour la réalisation et l'exploitation d'une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin (ensemble trois annexes), signé à Rome, le 30 janvier 2012, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Carle, sur l'article unique.
M. Jean-Claude Carle. Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, il est des projets de loi dont l’examen procure plus de satisfaction que d’autres. C’est le cas de celui-ci, et ce pour deux raisons déjà évoquées par beaucoup d’entre nous et en particulier par Jean-Pierre Vial.
La première raison, c’est la pertinence même de ce projet ferroviaire : pertinence économique et pertinence écologique.
La deuxième raison, c’est que ce projet s’inscrit dans la vraie mission de l’Europe. À l’heure où l’Europe est perçue par bon nombre de nos compatriotes comme un « machin » à produire des contraintes et normes en tout genre, cet accord montre qu’elle peut être le lieu d’initiatives et d’investissements structurants. Et en période de crise, chacun le sait, seuls les investissements préparent l’avenir.
Je voudrais à mon tour saluer l’action constante de la France. À tous les niveaux, tous les Présidents de la République, tous les gouvernements de droite ou de gauche qui se sont succédé, ont soutenu ce projet. Monsieur le ministre, vous en êtes ce soir l’expression. Et je suis convaincu que le Président Hollande fera du sommet franco-italien du 20 novembre l’occasion de lancer la prochaine phase, vers la réalisation et l’exploitation de cette ligne.
Permettez-moi, mes chers collègues, de saluer également l’engagement de celles et ceux qui, hier et aujourd’hui, ont permis au Parlement de débattre de ce projet. C’est une étape indispensable à la réalisation de l’infrastructure.
Je ne les citerai pas tous, mais je veux témoigner du rôle déterminant de notre ancien collègue, le regretté Pierre Dumas. Vice-président chargé des transports au conseil régional Rhône-Alpes, il est à l’origine du projet. Sa ténacité, alliée à son talent de diplomate, a permis de vaincre nombre de réticences et de convaincre les plus sceptiques.
Permettez-moi de lui associer ses deux successeurs au Sénat : Michel Barnier, aujourd’hui commissaire européen, dont la position actuelle est un atout supplémentaire pour le bon cheminement du projet, et notre collègue Jean-Pierre Vial, qui, depuis qu’il siège dans notre hémicycle, ne manque jamais une occasion de nous convaincre du bien-fondé du Lyon-Turin. Son intervention ce soir en est une illustration supplémentaire.
Je voudrais également associer Jean-Jacques Queyranne, le président du conseil régional Rhône-Alpes, qui, comme ses prédécesseurs, soutient avec la même conviction ce projet.
J’y ajoute le soutien de l’ensemble des acteurs économiques de la région. Plus de mille entreprises ont signé un communiqué en faveur du Lyon-Turin !
Oui, mes chers collègues, ce Lyon-Turin, malgré les inquiétudes légitimes qu’il suscite en termes de coût et de financement, malgré les préoccupations environnementales, est une nécessité économique, et pas seulement pour les deux régions transfrontalières, pas seulement pour la France et l’Italie, mais pour l’Europe tout entière.
Cet axe est le maillon central et incontournable des échanges entre l’Europe du Nord et celle du Sud, et ce depuis des siècles, voire des millénaires. Cette « banane bleue », comme l’appellent les spécialistes des transports, va de Rotterdam à Milan. Et Lyon est le point de bifurcation de ces flux, d’une part, vers l’Espagne et le Portugal via Montpellier, et d’autre part, vers l’Italie et l’Europe du Sud-Est via Turin par le futur tunnel sous les Alpes.
Or, aujourd’hui, nous sommes face à une réalité : 90 % des flux de marchandises se font par camion. Est-il normal qu’un camion parte de Rotterdam pour aller à Milan voire plus loin encore ? Non !
Nos infrastructures ferroviaires ne sont pas adaptées, et le parcours par le fer est dissuasif, en temps et en coût. En effet, il ne faut guère plus de vingt-quatre heures à une semi-remorque au départ du port hollandais pour rejoindre la capitale lombarde, alors que cette même remorque mettra presque une semaine sur un wagon !
Ce à quoi il convient d’ajouter la pollution générée par les mêmes camions dans la vallée de Chamonix ou celle de la Maurienne, lorsqu’ils rejoignent l’Italie via les tunnels routiers du Mont-Blanc et du Fréjus. Le préfet de Haute-Savoie vient d’ailleurs de limiter la vitesse sur les autoroutes face à la pollution suscitée par ces trafics.
Ce projet est une nécessité, et en particulier le tunnel de base qui, il est vrai, mobilisera plusieurs milliards d’euros. Il nous faudra être imaginatifs et innovants, monsieur le ministre, pour mobiliser des fonds publics et privés.
Certes, Hannibal, il y a vingt siècles, a traversé les Alpes à dos d’éléphant, une espèce aujourd’hui protégée ; mais la notion d’espace-temps n’est plus du tout la même, vous en conviendrez ! (Sourires.)
Permettez-moi enfin, mes chers collègues, d’ajouter une raison supplémentaire, plus locale, voire plus égoïste. Ce maillon Lyon-Turin permettra également de réduire le temps de parcours entre Chambéry, Annecy et Paris de vingt à trente minutes. C’est considérable. Ce projet affirmera également le rôle multimodal de l’aéroport et de la gare de Saint-Exupéry.
Autant de raisons qui me conduisent, ainsi que le groupe UMP, à voter ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Guillaume, sur l’article unique.
M. Didier Guillaume. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le vote que nous nous apprêtons à émettre est important pour l’Europe comme pour la France, son développement économique et la protection de son environnement. Je salue un engagement aujourd’hui en passe d’être tenu : jamais les circonstances n’auront été aussi favorables.
Depuis des années, beaucoup ont œuvré, notamment d’éminents élus dont certains sénateurs, pour que nous aboutissions à ce résultat. À la liste qu’a dressée Jean-Claude Carle, j’ajouterai deux noms qui ont également beaucoup compté dans ce dossier. Il s’agit, d’une part, de Jean-Claude Gayssot qui, lorsqu’il était ministre des transports, a joué un rôle déterminant. Il s’agit, d’autre part, de notre ami Louis Besson, qui s’est impliqué avec toute la rondeur qu’on lui connaît, et l’opiniâtreté, aussi. (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du RDSE, ainsi que sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
Monsieur le ministre, j’ai beaucoup apprécié vos propos et notamment l’engagement du gouvernement français. Je vous rejoins, le sommet de Rome, dans deux jours, sera déterminant. Le Président Hollande comme ses prédécesseurs, et M. Letta comme autrefois M. Monti, y sont favorables. C’est l’occasion d’y aller !
Dans le contexte économique qui est le nôtre, si nous voulons profiter de certains effets de levier, la réalisation de ce tunnel, soit une dépense de 8 à 10 milliards d’euros, sera un engagement sans précédent pour le développement économique.
Jean-Claude Requier l’a fort bien dit, les relations économiques entre la France et l’Italie, ou entre l’Italie et la France, soit environ 70 milliards d’euros, sont très fortes, notamment dans le secteur de l’agroalimentaire, qui n’a rien de mineur. Cette seule raison pourrait suffire à justifier la réalisation de ce projet.
À ce premier motif s’ajoutent également les enjeux environnementaux, bien décrits par M. le ministre. Plus il y aura de voies ferroviaires à emprunter, plus les camions se reporteront sur le rail et plus les trains seront utiles. Au contraire, moins il y a de possibilités ferroviaires, moins on utilise le train. C’est tellement évident ! Voilà pourquoi nous devons avancer.
Mais je ne saurais ignorer la motivation européenne. Songeons à ce que nos concitoyens pensent de l’Europe. Je fais partie de ceux qui craignent que les prochaines élections européennes, en France comme dans le reste de l’Europe, voient les extrémistes et les populistes européens recueillir un grand nombre de voix. L’Europe est effectivement parfois perçue comme une contrainte.
Ce projet constitue une occasion unique de faire la démonstration que l’Europe est concrète, parce qu’il y aura cet engagement de l’Union européenne de financer à hauteur de 40 % le tunnel de base.
Je ne reviens pas sur l’ensemble des relations qui peuvent avoir lieu entre l’Italie et la France. Nous avons évoqué les relations économiques, mais les relations culturelles et scientifiques seront également renforcées. Il y a ainsi beaucoup de raisons pour que cette construction soit une formidable chance à saisir.
Enfin, j’ajouterai qu’à la quasi-unanimité les élus de la région Rhône-Alpes – beaucoup sont ici présents – sont favorables au projet.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les gains attendus tant pour l’économie qu’en matière de lutte contre le réchauffement climatique, ainsi que la possibilité de mettre l’Europe au cœur de ce dispositif, font du moment une occasion unique. Ainsi, la convergence de tous les élus de ce pays, Président de la République, membres du Gouvernement, parlementaires, en faveur de ce projet serait véritablement formidable.
Notre vote, s’il était unanime ou quasi-unanime, serait une aide précieuse pour le Président de la République qui, fort du soutien des parlementaires français, porterait avec plus de vigueur encore la parole de la France au sommet de Rome.
Pour toutes ces raisons, les membres du groupe socialiste, et sans doute beaucoup d’autres, voteront cet article unique, avec l’espoir que nos enfants voient un jour la réalisation du tunnel et du tracé ferroviaire Lyon-Turin, chance unique pour la région Rhône-Alpes, pour la France, et pour l’Europe ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du RDSE, ainsi que sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Kalliopi Ango Ela, sur l’article unique.
Mme Kalliopi Ango Ela. Je suis très heureuse d’avoir entendu, ce soir, dans l’hémicycle, autant d’arguments écologistes, et d’aussi riches. (Sourires.) Certes, nous n’en tirons pas toujours les mêmes conclusions, mais je ne pouvais pas ne pas le relever.
Cela étant, je m’interroge, notamment sur le déroulement des travaux en commission. Certaines des personnes qui ont manifesté leur volonté de poser des questions sur le projet ont-elles été entendues ? Je pense à M. Essig, ancien président de la SNCF, ou à M. Duport, ancien président de RFF. Les chambres d’agriculture de Rhône-Alpes ou de Savoie, ou encore certains maires des communes rurales de la région et plus généralement le monde de l’agriculture, ont-ils été auditionnés ? Et je ne parle pas des conseillers du parti Europe Écologie-Les Verts élus en région Rhône-Alpes.
Bien entendu, les écologistes ne sont pas contre le développement économique, mais leur façon de le considérer est peut-être plus respectueuse des populations locales et de l’environnement, soucieux qu’ils sont de favoriser un développement social harmonieux.
J’ai rappelé que nous étions en faveur du transport de marchandises par voie ferroviaire et du ferroutage. Ne serait-il pas cependant plus judicieux de commencer par les régions de notre pays, les plaines en particulier, où il est plus facile de mettre en place un transport de marchandises par chemin de fer, plutôt que de commencer par une véritable prouesse technologique, un tunnel creusé en pleine montagne, et à 400 mètres de la base ?
Il faut également envisager une modernisation de l’existant, techniquement possible, et qui pourrait éventuellement créer plus d’emplois.
Il est donc possible d’avoir des visions différentes sur le projet Lyon-Turin. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Néri, sur l’article unique.
M. Alain Néri. Je ne suis pas un élu rhônalpin ; je suis un élu du Massif central, région qui a la particularité de souffrir d’un enclavement ferroviaire important. Clermont-Ferrand attend en effet avec impatience une liaison par TGV. Je crois cependant qu’il faut savoir être pragmatique, et milite donc pour l’amélioration en priorité de la ligne Clermont-Ferrand-Paris, grâce à une rénovation des trains qui circulent sur la ligne. Je pense à notre Téoz, que l’on pourrait rebaptiser « train Orangina » tellement on y est secoué. Et en hiver, c’est comme au restaurant : éclairage ou chauffage, mais jamais les deux à la fois ! (Sourires.)
Non, si l’on veut que le train retrouve grâce aux yeux de nos concitoyens, il doit être de qualité. Il doit aussi être rapide pour répondre aux besoins des populations. Si la relation entre Clermont-Ferrand et Paris pouvait ne prendre que deux heures et vingt minutes, le TGV serait moins urgent.
Je suis tout à fait favorable à la liaison Lyon-Turin, et ce d’autant plus que Clermont-Ferrand est aujourd’hui à deux heures et vingt minutes de train de Lyon. Monsieur le ministre, un effort important sur les infrastructures permettrait de gagner du temps et de réaliser une ligne Clermont-Ferrand- Lyon – Turin, et au-delà ! Ce serait un levier puissant de développement économique.
Alors que nous recevons beaucoup de critiques, et des plus acerbes, sur les normes, critiques parfois justifiées, cher collègue Requier, mais parfois beaucoup moins, la participation de l’Europe à la relance de l’économie et de l’emploi par des investissements indispensables à la modernisation de notre territoire serait une bonne chose. Nous montrerions ainsi à nos collègues issus des autres pays membres que nous sommes prêts à participer au développement européen.
Notre ami Didier Guillaume l’a dit, ce projet permettrait aussi de faire prendre conscience à nos concitoyens que l’Europe peut aider au développement social, et qu’il est possible de bâtir cette Europe sociale que nous sommes un certain nombre à appeler de nos vœux.
Pendant trop longtemps, notre pays a été jacobin et centralisateur. J’en veux pour preuve la carte ferroviaire de nos livres de géographie : toutes les voies convergeaient vers Paris, du nord au sud, sans qu’il y en ait une seule qui soit transversale.
Monsieur le ministre, le « changement maintenant », ce seraient peut-être précisément des investissements pour des équipements ferroviaires transversaux qui prennent en compte les intérêts de chaque région !
En tant qu’élu de la région Auvergne, j’apporte mon suffrage à ce texte, par solidarité avec les Rhônalpins, mais aussi pour soutenir le développement et la relance de l’économie et de l’emploi dans notre pays.
Avec ce vote, mes chers collègues, nous réhabilitons l’Europe aux yeux de nos concitoyens tout en améliorant l’aménagement de notre territoire.
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Nègre, sur l’article unique.
M. Louis Nègre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la constance de la position française depuis les années quatre-vingt-dix, avec quatre présidents de la République successifs favorables au projet, n’a d’égale que la volonté de l’État italien d’ouvrir lui aussi cette nouvelle ligne, soit une ligne par siècle !
Cette obstination de nos deux États répond d’abord à une réalité économique. En effet, l’Italie est notre deuxième client et notre troisième fournisseur, avec près de 70 milliards d’euros d’échange par an.
La ligne Lyon-Turin créera ainsi une relation directe et féconde entre la région parisienne, Rhône-Alpes et l’un des territoires les plus riches de toute l’Europe, l’Italie du Nord.
Mais, en attendant, on constate qu’en 2013 90 % des échanges s’effectuent par la route, soit près de 2,7 millions de poids lourds par an. Nous ne pouvons plus continuer de publier à son de trompe que nous sommes favorables au transport modal et, parallèlement, admettre une telle situation, surtout après le Grenelle de l’environnement, voté à l’unanimité, et les alarmes de plus en plus préoccupantes du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC.
Ces transports routiers massifs, du fait des nuisances qu’ils induisent – gaz à effet de serre, pollution, risques d’accidents, congestion – font l’objet d’un rejet de plus en plus virulent de la part des populations concernées – sauf des Verts !
Dans ces conditions, seul un report modal significatif et donc une ligne ferroviaire mixte, fret et voyageurs, en lieu et place de la ligne historique obsolète – le monotube du Mont-Cenis date de 1871 et est situé à 1 300 mètres d’altitude, avec des pentes rédhibitoires – permettra de répondre de manière qualitative et efficace aux besoins que suscitent ces échanges.
Je ne peux, par ailleurs, m’empêcher de rappeler que le tunnel du Lötschberg a été terminé par la Suisse en 2007, que le tunnel du Saint-Gothard de 57 kilomètres, toujours en Suisse, sera livré en 2016, et qu’un nouveau projet de tunnel lancé par l’Autriche est en préparation sous le Brenner.
Ces infrastructures majeures sont le fait de petits pays au plan démographique, mais animés par une vision à long terme des transports, et une forte, très forte volonté politique de bénéficier des grands flux d’échanges européens.
Il serait très étrange que deux grands pays européens comme la France et l’Italie, forts de leurs 120 millions d’habitants et plus, n’arrivent pas à dégager les financements nécessaires pour réaliser la ligne Lyon-Turin ! En tout état de cause, on pourrait toujours s’inspirer des exemples suisse ou autrichien.
Il serait tout aussi étrange que l’on ne perçoive pas l’absolue nécessité de replacer la France au centre de gravité de l’Europe, au risque, sinon, de voir notre pays rejeté en périphérie du continent européen.
Par ailleurs, en tant qu’habitant de la Côte d’Azur, je constate avec mes compatriotes, monsieur le ministre, de plus en plus inquiets, l’augmentation incessante des flux routiers en transit qui traversent la Côte d’Azur, induisant une saturation de l’autoroute A8 de plus en plus fréquente, avec son mur de camions.
Je ne peux que m’élever vigoureusement contre cet état de fait.
Chaque année, mes chers collègues, 650 000 poids lourds se présentent à la frontière de Vintimille, soit une augmentation de plus 50 % de poids lourds depuis l’an 2000. Nous ne pouvons plus continuer ainsi !
Il est donc plus que temps de réaliser cette infrastructure ferroviaire majeure, inscrite dans le réseau transeuropéen de transport. Elle permettra de transférer deux millions de camions sur le rail et d’économiser deux millions de tonnes de CO2.
Enfin, ce projet est porteur d’une vraie vision, d’une véritable ambition européenne. Cette infrastructure est stratégique ; elle donne une image positive et valorisante de l’Europe, en ce sens que l’on comprend ainsi que cette dernière participe aussi, et concrètement, à l’union de nos deux pays et de nos deux peuples et, au-delà, de trois cent cinquante millions d’Européens.
Je terminerai en évoquant la participation exceptionnelle de l’Union européenne, à hauteur de 40 %. Cet engagement, qui a été rappelé par plusieurs d’entre nous, constitue une occasion rare que la France, qui ne financera que 25 % du tunnel, ne saurait ignorer, surtout par les temps qui courent.
En conclusion, j’approuve totalement cet accord, et j’espère que la réalisation de la nouvelle ligne ferroviaire se fera dans les meilleurs délais.
Monsieur le ministre, je me félicite que le tout prochain sommet franco-italien ait inscrit à son ordre du jour, comme nous l’avions tous souhaité sur notre territoire, le dossier, beaucoup plus modeste, de la ligne ferroviaire existante, Coni-Nice-Vintimille, qui a, elle aussi, besoin du soutien déterminé de nos deux pays ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, je commencerai par souligner combien je suis fier de présider cette commission !
Chère Kalliopi Ango Ela, il est un peu regrettable que ce ne soit pas au sein de la commission, mais en séance publique, que vous nous proposiez certaines auditions auxquelles je serais tout à fait favorable, par ailleurs. Il vous a pourtant été expliqué que notre commission était la seule sur les différentes assemblées de la République à avoir organisé douze auditions. Nous avons donc traité le sujet en profondeur. Nous avons notamment auditionné le porte-parole des opposants au projet. Nous n’avons donc pas balayé l’opposition potentielle d’un revers de main.
J’ajoute que, si un membre de la commission veut rejoindre un groupe de travail, il est le bienvenu. Jamais les étiquettes politiques ne constituent un élément clivant dans la constitution des groupes de travail. Je vous inviterai donc à participer à la prochaine réunion, ma chère collègue.
Mme Kalliopi Ango Ela. Je vous en remercie.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. J’en viens au projet lui-même. Je ne reprendrai pas les excellentes interventions des différents orateurs. Je suis très sensible au rappel du travail effectué par Jean-Claude Gayssot lorsqu’il était ministre dans le gouvernement de Lionel Jospin, sous la présidence de Jacques Chirac.
Je crois d'ailleurs – mais peut-être me suis-je laissé abuser – que ce gouvernement comprenait une certaine ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement nommée… Dominique Voynet ! Il y avait donc une certaine convergence et une certaine cohérence en 2001 ; je souhaiterais qu’il en aille de même aujourd'hui.
Nous n’avons pas, chevillée au corps, la volonté d’obtenir des votes unanimes. J’aime les aspérités. J’aime même l’échange et la confrontation. C’est de là que jaillissent les bonnes idées parfois. Comme vous l’avez souligné, madame Ango Ela, c’est la première fois que nous entendons autant d’arguments écologiques dans cette assemblée. Profitez-en, soutenez-nous ! (Sourires.) Puisque vous nous avez influencés, ne vous contentez pas d’exprimer votre satisfaction d’avoir entendu des arguments écologiques !
Je ne refuse absolument pas que nous ayons des échanges ou des débats un peu vigoureux, pour peu que nous parvenions à de bonnes conclusions. Cependant, il est des grands dossiers – je pense à celui qui nous occupe, mais aussi aux questions de défense, par exemple – sur lesquels un pays doit savoir se rassembler après avoir exprimé ses différences. Un vote vraiment unanime donnerait au Gouvernement et au Président de la République une force de négociation supplémentaire au niveau européen.
Mes chers collègues, comme l’a souligné Didier Guillaume, c’est avec des projets comme celui-ci, qui servent indiscutablement l’intérêt général, que l’Europe, qui est aujourd'hui mal perçue, pourra reprendre la main. Nous en sommes tous convaincus.
Alors, aidons l’Europe à reprendre la main en étant nous-mêmes rassemblés, au lieu d’offrir le spectacle de nos « chicailles » sur des dossiers d’une telle ampleur.
Ma chère collègue, vous avez cité Philippe Essig et Jean-Pierre Duport. J’ai travaillé avec eux pendant douze ans au conseil régional d’Aquitaine. Vous les écoutez au sujet de la ligne Lyon-Turin, mais que ne les avez-vous écoutés au sujet de la ligne à grande vitesse Sud Europe Atlantique ! Leurs avis, vous les combattiez, alors. Et vous les reprendriez maintenant au sujet de la ligne Lyon-Turin, au motif qu’ils ne sont pas aussi favorables que nous l’aurions souhaité ?
Ce n’est pas de très bonne méthode ; je vous le dis avec beaucoup de gentillesse, mais aussi avec beaucoup de fermeté. Lorsque l’on veut fonder son engagement politique sur une argumentation féconde et forte, on ne fait pas une utilisation à géométrie variable des arguments.
Compte tenu des exigences de sécurité et du souci de l’attractivité économique, mais aussi de la moindre dangerosité écologique, le dossier me semble indiscutable. Il convient donc que nous lui apportions le soutien le plus massif, afin qu’il puisse prospérer d'abord au niveau bilatéral, dans deux jours, puis au niveau européen, comme le souhaitent tous nos amis rhônalpins.
Monsieur le ministre, permettez à l’Aquitain que je reste, même à la tête de cette commission, de vous dire que les flux de fret sont encore plus importants dans les Pyrénées que dans les Alpes. Je ne suis pas en train de réclamer quoi que ce soit ; la priorité, c’est la ligne Lyon-Turin, et il faut s’en occuper dès maintenant. Mais que l’on ne me parle pas d’Algésiras, de Séville ou de Lisbonne comme le cœur de l’Europe : il est nécessaire de franchir les Pyrénées pour atteindre ces villes !
Si nous en sommes à 7 400 camions par jour dans cette partie des Alpes, ce sont plus de 10 000 camions qui traversent quotidiennement les Pyrénées à chacune de leurs extrémités. La réalisation d’une ligne ferroviaire aurait donc exactement les mêmes vertus dans les Pyrénées que dans les Alpes. En outre, le projet coûterait moins cher dans les Pyrénées, car le massif à traverser, même pour un tunnel de base, est beaucoup moins important. Au moment où nous travaillons sur la LGV Sud Europe Atlantique, il faut intégrer ce paramètre dans notre vision de l’aménagement du territoire, d’autant que d’intéressants financements européens pourraient être mobilisés.
Cela étant, il s’agit aujourd'hui de la ligne Lyon-Turin. Nous soutenons ce projet. Après deux heures de débats féconds en commission – je vous en remercie, monsieur le rapporteur –, le vote de la commission a été extrêmement favorable, puisqu’il n’y a eu qu’une seule opposition. (Applaudissements sur les travées de groupe socialiste, de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur les travées du RDSE.)
M. Didier Guillaume. Bravo !
Mme la présidente. Je vais mettre aux voix l’article unique du projet de loi.
Je rappelle que le vote sur l’article unique a valeur de vote sur l’ensemble du projet de loi.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne pour la réalisation et l’exploitation d’une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin.
J'ai été saisie de quatre demandes de scrutin public émanant, la première, du groupe socialiste, la deuxième, du groupe écologiste, la troisième, du groupe UMP, et, la quatrième, du groupe de l’UDI-UC.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Je salue la présence dans nos tribunes de M. Louis Besson, ancien ministre et ancien maire de Chambéry, président de la communauté d’agglomération Chambéry Métropole et coprésident de la conférence intergouvernementale pour le projet de ligne ferroviaire Lyon-Turin, qui n’a pas été indifférent à nos débats et le sera encore moins au résultat du scrutin.
Voici donc le résultat du scrutin n° 61 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 346 |
Pour l’adoption | 333 |
Contre | 13 |
Le Sénat a adopté définitivement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du CRC, du RDSE, de l’UDI-UC et de l'UMP.)
11
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mardi 19 novembre 2013 :
À neuf heures trente :
1. Questions orales
(Le texte des questions figure en annexe.)
De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :
2. Proposition de loi visant à élargir les conditions d’attribution de la carte du combattant aux anciens combattants de l’armée française totalisant au moins quatre mois de présence en Algérie avant le 1er juillet 1964 ou en opérations extérieures (n° 669, 2011-2012) ;
Rapport de M. Marc Laménie, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 135, 2013-2014) ;
Résultat des travaux de la commission (n° 136, 2013-2014).
3. Proposition de loi visant à introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours dans la préparation du permis de conduire (n° 355, 2011-2012) ;
Rapport de Mme Catherine Troendlé, fait au nom de la commission des lois (n° 122, 2013-2014) ;
Texte de la commission (n° 123, 2013-2014).
De dix-huit heures trente à dix-neuf heures trente et de vingt et une heures trente à zéro heure trente :
4. Proposition de loi visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national (n° 40, 2013-2014) ;
Rapport de M. Ronan Dantec, fait au nom de la commission du développement durable (n° 124, 2013-2014) ;
Texte de la commission (n° 125, 2013-2014).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mardi 19 novembre 2013, à zéro heure quinze.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART