M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Et sur la chasse aux petits oiseaux ! (Sourires.)
M. Jean-Claude Requier. L'accord qui sera conclu ultérieurement afin d'autoriser véritablement l'engagement des travaux, pourra tenir compte de cette participation qui devrait être confirmée à l'issue de l'appel d'offres dont le lancement est prévu pour 2014 et de l'adoption du cadre pluriannuel financier pour 2014-2020.
Nous pouvons nous montrer optimistes sur les probabilités d'obtenir ces financements puisque la nouvelle ligne ferroviaire participe au déploiement de l'Europe du Rail.
Mais je conclus, car il me semble que mon temps de parole est presque épuisé.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, pour toutes les raisons évoquées, le groupe du RDSE apportera, dans sa grande majorité, son soutien au présent projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et l'Italie pour la réalisation et l'exploitation d'une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin.
Pour nous, cette nouvelle infrastructure est un projet d'aménagement du territoire et de développement économique à l'échelle européenne – il donnera ainsi un peu l’accent du Sud à l’Europe –, à l'échelle binationale, mais aussi à l'échelle régionale du massif alpin. Un seul de nos collègues, le sénateur francilien Philippe Esnol, se prononcera contre ce projet de loi. Son vote n'est pas motivé par une quelconque opposition à la réalisation de la LGV entre Lyon et Turin,…
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Ah ?
M. Jean-Claude Requier. … mais c'est pour lui une façon de rappeler que d'autres projets d'infrastructure sont moins coûteux et toujours au point mort : il pense notamment au bouclage de l'A104, devenu indispensable face à l'état de saturation de la RN184, ou encore à l'absence d'engagement sur le canal Seine-Nord-Europe. Comme quoi, monsieur le ministre, vous le voyez, un train peut toujours cacher une route ou un canal ! (Sourires et applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, de l'UDI-UC et de l'UMP).
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, l’accord qui est soumis ce soir à notre approbation porte sur le projet de liaison ferroviaire nouvelle Lyon-Turin, projet majeur d’infrastructure de transport qui a pu faire débat, qui fait toujours quelquefois débat – on l’a entendu – et qui trouve dans le présent texte un nouvel élan.
Le Gouvernement souhaite que nous adoptions ce projet de loi dans la perspective du sommet bilatéral franco-italien qui aura lieu dans deux jours seulement.
Ce projet de ligne Lyon-Turin remonte au début des années quatre-vingt-dix et répond à un triple objectif. Il s’agit d’abord de développer un réseau ferroviaire transeuropéen par connexion des réseaux nationaux et de sécuriser les échanges entre la France et l’Italie à travers les Alpes. Ce projet répond également à un objectif de protection du massif alpin par le report sur le rail d’une large part du transport routier des marchandises. Je reviendrai sur ce point et sur l’aspect écologique du projet.
En premier lieu, la ligne Lyon-Turin fait partie des axes prioritaires du réseau transeuropéen de transport, lequel doit permettre l’harmonisation, la jonction et le développement à l’échelle du continent européen des infrastructures indispensables pour permettre la circulation des marchandises et des personnes.
Je ne reviendrai pas sur le détail des dispositions de l’accord signé le 30 janvier 2012 dont nous devons autoriser l’approbation ce soir, car nos rapporteurs l’ont fait avec une précision et une exhaustivité que je salue. Je rappellerai seulement que ce nouvel accord, après ceux conclus en 1996 et en 2001, a pour objectif principal d’avancer significativement vers la réalisation de la section internationale du projet. Il porte en particulier sur la section transfrontalière, c’est-à-dire le tunnel de cinquante-sept kilomètres et ses abords immédiats. C’est la partie du projet qui est la plus délicate.
Il s’agit donc d’une étape intermédiaire : ce projet a été décidé dès 1994 dans le cadre de l’Union européenne, puis lancé par les gouvernements français et italien. L’accord constitue la troisième étape du processus. Le lancement des travaux définitifs de construction devra, quant à lui, faire ultérieurement l’objet d’un nouvel accord bilatéral. Il s’agit donc ce soir non d’autoriser le premier coup de pelle, mais de permettre la poursuite du projet.
Ce texte représente néanmoins une étape importante de la réalisation du Lyon-Turin dans sa partie internationale, puisqu’il précise la gouvernance du projet par les deux États, la définition du droit applicable au règlement des différends, et qu’il clarifie enfin le partage des coûts de la section internationale.
Au-delà de l’accord que je viens d’évoquer ici rapidement, nous n’ignorons pas les incertitudes que comporte ce projet et les inquiétudes qu’il peut susciter. Le rapporteur les a évoquées, notre collègue écologiste y est également revenue, chacun à sa façon.
Ainsi, le monde agricole craint que le projet de Lyon-Turin ne conduise à une consommation excessive de terres agricoles. Il faudra sans doute, monsieur le ministre, porter une attention particulière à cette question pour assurer la pérennité des exploitations agricoles. Un dispositif dédié pourrait être utile.
S’agissant des incertitudes, j’évoquerai d’abord la question du calendrier de réalisation : il est indéterminé, compte tenu du fait que le plan de financement n’est pas bouclé et de la complexité technique du projet.
Les inquiétudes financières, quant à elles, sont liées en partie au chiffre de 26 milliards d’euros avancé par la Cour des comptes pour évaluer le coût total du projet, initialement estimé à 12 milliards d’euros. Compte tenu de ce coût, certains élus s’inquiètent du financement des autres projets d’infrastructures de transport, qui risqueraient d’être sacrifiés, étant donné les contraintes de nos finances publiques. (Mme Kalliopi Ango Ela opine.)
La question se pose en effet : comment financer un tel investissement ? Notre rapporteur a donné tout à l’heure des éléments rassurants et des pistes sur ce point. Il est bien évidemment souhaitable, monsieur le ministre, que vous acheviez de nous tranquilliser.
Ces éléments financiers expliquent, avec la complexité technique de l’ouvrage, l’étalement du projet sur plusieurs décennies. On parle en effet d’une ouverture en 2030, ce qui renforce le scepticisme quant à la réalisation finale de ce projet.
C’est pourquoi, comme l’a indiqué excellemment Yves Pozzo di Borgo, la contribution du budget de l’Union européenne est décisive. En effet, l’Union s’est fermement engagée à participer au financement de la partie transfrontalière à hauteur de 40 %. Cela réduirait la participation de la France à environ 2,15 milliards d’euros sur les 8,5 milliards d’euros que représente le tunnel transfrontalier, financement échelonné évidemment sur plusieurs années, voire sur une décennie.
Enfin, précisons que les 26 milliards d’euros cités concernent l’ensemble du coût du projet pour la France et l’Italie. Le financement à la charge de notre pays serait en réalité plus proche des 10 milliards d’euros.
En outre, comme cela a été rappelé par les rapporteurs, la clé de répartition financière arrêtée dans l’accord est favorable à la France : l’Italie financera 60 % des dépenses concernant le tunnel, qui est pourtant bien plus long sur le territoire français. Ce n’est pas négligeable.
La nouvelle ligne Lyon-Turin bénéficiera aux déplacements régionaux, nationaux et européens à travers les Alpes. Ce n’est pas seulement un projet d’infrastructure de transport, mais un projet de territoire aux enjeux environnementaux, économiques et sociaux importants pour les régions concernées et bien au-delà, compte tenu de son aspect européen. La question des enjeux environnementaux est discutée – elle l’a été tout à l’heure à la tribune. Examinons les enjeux économiques et sociaux avant de revenir sur la problématique environnementale.
Cela a été rappelé par d’autres, cette ligne permettra de relier deux régions importantes du point de vue économique – l’Italie est en effet notre deuxième partenaire commercial – et de leur donner un nouvel élan. Elle est également un élément du développement économique de toute l’Europe du Sud et, au-delà, du renforcement des liens entre les régions du Grand Paris et de Milan, comme l’a rappelé le rapporteur de la commission des affaires étrangères.
L’enjeu économique du projet est donc réel : il favorisera les échanges européens. La ligne est l’un des chaînons du corridor transeuropéen de transport, qui va du sud de l’Espagne à la frontière orientale de l’Union européenne.
Avec la ligne ferroviaire Lyon-Turin, il s’agit bien de créer une offre de très haute qualité, performante et donc compétitive par rapport à la route, permettant un report efficient de la route vers le rail.
Selon les projections, la nouvelle ligne devrait attirer 4,7 millions de voyageurs à l’horizon 2035, dont une grande partie par transfert de la route sur le rail.
Mais le report modal pour le fret est la justification majeure du Lyon-Turin. De nos jours, 40 millions de tonnes de marchandises transitent chaque année par les Alpes franco-italiennes ; 85 % des flux de fret entre la France et l’Italie sont routiers ; près de 7 400 poids lourds circulent chaque jour dans cette zone transalpine.
En transférant sur la nouvelle ligne ferroviaire la moitié du fret circulant entre les deux pays à l’horizon 2035, on éviterait 1 million de tonnes d’émissions de gaz à effet de serre par an. Cela limiterait aussi grandement les nuisances environnementales dans les Alpes françaises et les risques dus au trafic routier. La nouvelle ligne sera, en cela aussi, un élément d’amélioration de la sécurité des passages routiers alpins.
Atteindre effectivement cet objectif environnemental doit être essentiel pour les régions alpines franco-italiennes, qui sont fragilisées sur le plan écologique par les nuisances sonores et par la pollution atmosphérique.
Nous ne pouvons que soutenir cette politique de développement du fret ferroviaire. Elle doit être accompagnée par des mesures réglementaires et tarifaires, comme l’a souligné notre collègue rapporteur pour avis de la commission du développement durable.
Même si des inquiétudes existent sur ce projet – je les ai évoquées –, il me semble qu’il n’existe pas d’alternative ferroviaire crédible au Lyon-Turin. C’est pourquoi le groupe UDI-UC autorisera l’approbation de cet accord. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe socialiste et de l'UMP, ainsi que sur les travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Chiron.
M. Jacques Chiron. Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, en novembre 2012, dans ce même hémicycle, nous avons su nous réunir et dépasser les clivages politiques pour lancer « l’appel des parlementaires » en faveur de la réalisation du Lyon-Turin. Certains de mes collègues s’en souviennent, une députée européenne espagnole était présente, un député italien, ainsi que les anciens ministres Louis Besson et Claude Gayssot, et de nombreuses autres personnalités représentant notamment le monde syndical et économique pour témoigner de leur engagement en faveur de cette réalisation.
Ce projet a été porté par tous les Présidents de la République successifs depuis François Mitterrand. Le Président François Hollande nous propose, un an après notre appel, de concrétiser ce projet européen majeur, majeur pour l’environnement, la sécurité et l’activité économique, majeur pour l’Europe et pour ses habitants.
Monsieur le ministre, merci d’avoir œuvré avec votre collègue ministre des transports, Frédéric Cuvillier, pour faire avancer ce projet résolument européen.
Comme tous les projets d’investissement structurants, il suscite des interrogations, voire des controverses, parfois légitimes, auxquelles il faut alors répondre, mais malheureusement trop souvent idéologiques.
À ceux qui jugent ce projet d’un autre temps et qui s’enferment dans des postures, je réponds en deux mots : réalisme et pragmatisme. En 2012, les échanges entre la France et l’Italie ont été 1,3 fois supérieurs aux échanges entre la France et la Chine, et 90 % de ces échanges s’effectuent par la route. Ces chiffres sont sans équivoque.
Nous connaissons tous, nous, les élus des Alpes, les conséquences de ces échanges dans nos vallées en matière de qualité de l’air et de qualité de vie. Chaque année, ce sont 2,7 ou 3 millions de poids lourds qui franchissent les passages franco-italiens. C’est dire les nuisances subies par les habitants de nos vallées alpines.
Il est donc urgent de désengorger les Alpes, mais aussi l’autoroute du littoral entre Nice et Marseille, en proposant une solution alternative à la route. Le Lyon-Turin constitue l’une des réponses, car c’est avant tout un projet de fret ferroviaire qui va permettre le report des poids lourds vers le rail, tout en assurant une meilleure sécurité – d’autres l’ont rappelé avant moi.
Tandis que certains parlent d’écologie, nous nous proposons, bien modestement, d’agir pour l’écologie. Dès la mise en service du tunnel de base de cinquante-sept kilomètres au départ de Saint-Jean-de-Maurienne, on estime le nombre de poids lourds dont le chargement serait susceptible de se reporter vers le rail à 1 million par an. Cela permettra d’économiser entre 530 000 et 700 000 tonnes de CO2 par an, sans compter le transport des voyageurs. Cette économie est considérable et d’une importance majeure pour les habitants de nos territoires.
Ce projet est une véritable chance pour aménager plus durablement le territoire en veillant à la qualité de l’air et à l’environnement. Évidemment, nous devrons assurer – nous y sommes déjà attentifs – le maintien de la surface de nos terres agricoles cultivées. Sur ce point, je sais que le président de la région Rhône-Alpes, Jean-Jack Queyranne, est en relation permanente avec la profession agricole, dont je comprends l’inquiétude.
Certains pensent que ce projet est devenu inutile parce que l’évolution des trafics est moins rapide que prévu et que la ligne existante n’est pas saturée. Je leur réponds qu’en effet la ligne actuelle est sous-utilisée ; d’ailleurs, personne ne le conteste. Mais allons jusqu’au bout et rappelons pourquoi : si cette ligne n’est pas utilisée à plein, c’est peut-être en partie à cause de la crise économique, mais c’est surtout parce que la ligne actuelle, inaugurée en 1871, est vétuste ; elle est d’ailleurs classée monument historique… Son vieux tunnel, qui culmine à 1 300 mètres d’altitude, rend son utilisation très coûteuse et lui retire toute compétitivité, sans parler de ses accès à voie unique sur quarante-trois kilomètres et du fait qu’elle surplombe du lac du Bourget.
La ligne historique est donc loin des capacités potentielles d’une nouvelle ligne qui sera, de fait, une infrastructure performante.
Sur la période 2010-2030, la Suisse prévoit une croissance de 3 % par an du fret ferroviaire, ce qui signifie son doublement d’ici à 2035. Pour la Suisse, il s’agit non pas forcément d’augmenter le volume global des échanges qui passent par son territoire, mais de prendre des mesures autoritaires pour que tous les échanges ou presque utilisent le fret ferroviaire, alternative crédible à la route.
Si nous ne réagissons pas, si nous ne sommes ni attractifs ni compétitifs sur le fret ferroviaire, cela pourrait avoir des répercussions fortes sur l’utilisation de nos autoroutes en France. À cet égard, monsieur le ministre, il faudrait envisager, concomitamment à la mise en service du Lyon-Turin, une augmentation du coût des autoroutes pour les poids lourds qui n’emprunteraient pas, dans ce secteur, le fret ferroviaire. Notre collègue André Vairetto l’a envisagé, et je le soutiens naturellement sur ce point.
Les Suisses, eux, ont bien compris les enjeux. Ainsi, alors même que nous discutons, ils sont en train de réaliser les investissements nécessaires pour améliorer encore leurs lignes de fret ferroviaire, en creusant des tunnels de plaine comme ceux du Lötschberg et du Saint-Gothard.
Dans ce contexte, serait-il opportun de renoncer au Lyon-Turin et à son tunnel de base ?
Serait-il raisonnable de renoncer à un projet permettant de faire de la haute capacité ?
Serait-il souhaitable de renoncer à un projet rééquilibrant les échanges européens est-ouest à travers les Alpes ?
Car ce projet dépasse largement les frontières franco-italiennes ! Le Lyon-Turin est en effet le maillon central qui va parachever la liaison est-ouest européenne, permettant de relier Lisbonne à la frontière ukrainienne, en passant par l’Espagne, notamment Barcelone, et en allant vers la Slovénie.
Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, il permettra de mettre en réseau 5 000 kilomètres de lignes ferroviaires à travers l’Europe, de desservir 350 millions d’habitants et de nous relier à des pays dotés de réels potentiels économiques, dont certains frappent d’ailleurs à la porte de l’Europe. Nul doute que cette nouvelle liaison aura des retombées positives sur l’activité économique, l’emploi, mais aussi sur les échanges humains et culturels.
Dans un contexte où elle est souvent perçue comme une source de contraintes supplémentaires suscitant la défiance, le projet Lyon-Turin donne à l’Europe une dimension extrêmement concrète, au service de l’environnement et de nos populations.
Grâce à votre engagement, monsieur le ministre, la Commission européenne a d’ailleurs reconnu tout l’intérêt de ce projet, en confirmant que la réalisation du tunnel de base serait éligible à une subvention européenne à hauteur de 40 % des dépenses.
Avec l’engagement de l’Union européenne, et compte tenu de la clé de répartition des financements décidée par la France et l’Italie, la France ne paiera que 25 % de la réalisation de cette infrastructure, soit 2,2 milliards d’euros ! C’est un élément tout à fait déterminant, qui me semble en partie répondre à la Cour des comptes quand elle s’interroge sur la possibilité d’un financement européen.
Alors, nous pouvons toujours douter ; nous pouvons discuter encore, et tergiverser à l’infini. Oui, nous pouvons « regarder passer les trains », et voir ainsi les investissements, l’activité économique et les emplois qui vont avec quitter la France. Nous pouvons ne pas répondre aux populations de nos vallées alpines, dont les attentes sont fortes en termes de santé publique.
Mais nous pouvons au contraire prendre nos responsabilités en soutenant la réalisation de cet investissement résolument européen. Comme nos prédécesseurs ont su le faire avant nous, sachons préparer l’avenir. Gardons confiance dans le futur. Osons poser dès aujourd’hui les conditions qui seront nécessaires demain pour maintenir l’activité économique dans nos régions et les emplois en Europe, tout en œuvrant pour le développement durable.
Le groupe socialiste, vous l’avez compris, apportera avec détermination sa voix à ce projet ferroviaire Lyon-Turin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Besson.
M. Jean Besson. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les brillantes interventions de MM. les rapporteurs Yves Pozzo di Borgo et André Vairetto, et les présentations quasi unanimes des différents orateurs qui se sont succédé à la tribune, mon propos sera plus bref que prévu.
Comment ne pas soutenir ce grand projet européen ? Il offre une occasion d’investir, de relancer l’économie, de soutenir l’emploi, de renforcer le lien européen entre nos régions et nos pays, de favoriser le tourisme et de protéger l’environnement.
C’est pourquoi, je l’avoue, je ne comprends pas très bien la position de nos amis écologistes.
Voilà plus de soixante ans, Robert Schuman affirmait : « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble ; elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait. » Jacques Delors disait la même chose il y a dix ans. Tous deux avaient raison.
Je vois dans la construction de ce tunnel ferroviaire Lyon-Turin un acte fort, une réalisation concrète qui montre à quel point l’Europe et les échanges entre les régions de pays voisins peuvent devenir des réalités.
Enfin, à l’heure où nos pays ont tant besoin de relever leurs économies, à l’heure où l’Europe elle-même doit se renforcer, car elle a un rôle déterminant à jouer face à cette crise internationale, ce projet est l’exemple même des actions politiques concrètes que nous devons mener pour faire avancer cette Union européenne qui nous est si chère.
Notre rapporteur, Yves Pozzo di Borgo, a insisté sur la nécessité de réaliser une liaison est-ouest. Tous les membres de la commission des affaires étrangères ont défendu cette position. Il existe en effet beaucoup de liaisons nord-sud, mais un examen attentif de la carte montre que cette liaison est-ouest, de Séville à Kiev, est indispensable. J’ajoute qu’il n’est pas impératif qu’elle passe par Lyon. Elle peut aussi emprunter le sillon alpin via Chambéry, Grenoble et Valence.
Avec le conseil régional de Rhône-Alpes et les conseils généraux de la Drôme – n’est-ce pas, cher président Didier Guillaume ? – et de l’Isère, nous avons déjà investi 70 millions d’euros pour nous engager dans ce projet d’avenir et réaliser des travaux, puisque cette ligne du sillon alpin sera mise en service dès le 15 décembre.
Comme l’a souligné notre collègue député Étienne Blanc, 81 des 83 parlementaires de la région Rhône-Alpes se sont prononcés en faveur du projet, dont bien entendu Bernard Piras, Didier Guillaume et moi-même, les opposants à ce projet étant, on le voit, marginaux. Ce projet est aussi unanimement soutenu par le monde de l’entreprise, les collectivités, l’État et l’Union européenne, qui consent un apport financier exceptionnel à hauteur de 40 %.
Monsieur le ministre, pour ce bel accord européen, vous pouvez compter sur le soutien unanime du groupe socialiste, mais aussi – je n’en doute pas, compte tenu des interventions de nos collègues – sur un « oui » franc et massif de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur. Je remercie l’ensemble des intervenants et souhaite répondre à une remarque formulée par l’un de nos collègues.
Ce projet de loi est examiné selon la procédure accélérée. À l’Assemblée nationale, la commission des affaires étrangères n’a procédé à aucune audition ; la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire n’en a organisé qu’une seule et la commission des affaires européennes a réuni une sorte de table ronde avec cinq intervenants extérieurs.
La commission des affaires étrangères du Sénat a souhaité aller beaucoup plus loin, en procédant à l’audition de douze personnes, dont des opposants au projet, en particulier leur porte-parole, qui est aussi parlementaire, dans l’intention d’entendre leurs arguments et de mieux pouvoir les contrer.
Je trouve donc quelque peu inélégant de la part de l’une de nos collègues de se faire l’écho d’une campagne sur Internet et les réseaux sociaux actuellement dirigée contre les travaux de la commission sans s’être préalablement renseignée sur ce qui a été notre méthode de travail.
La commission des affaires étrangères a beaucoup travaillé sur ce sujet et a proposé un projet.
Je remercie également la commission du développement durable de s’être saisie de ce texte pour avis, et j’aurais aimé que la commission des affaires économiques et la commission des affaires européennes en fassent de même, car ce projet est d’une très grande importance, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur les travées de l'UMP et du RDSE.)
Mme la présidente. Je vous remercie de ces précisions, monsieur le rapporteur.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Madame la présidente, après avoir écouté l’ensemble des sénatrices et sénateurs inscrits dans la discussion générale, je souhaiterais verser aux débats quelques compléments d’information.
Je remercie tout d’abord ceux d’entre eux – la plupart ! - qui ont exprimé, avec conviction et responsabilité, leur soutien à ce grand projet.
Il est vrai que de grands chantiers de cette nature peuvent parfois causer d’importants bouleversements sur le terrain, notamment pour le monde agricole, les habitants et quelques entreprises, qui se verront sans doute expropriées ou déplacées. Mais n’est-ce pas le lot des grands chantiers qui ont modelé notre pays ?
À celles et ceux qui ne sont pas convaincus, comme Mme Ango Ela, je voudrais dire qu’ils peuvent encore changer d’avis.
Les caractéristiques de l’infrastructure existante, qui passe effectivement par Modane, à la frontière franco-italienne, et emprunte le tunnel historique du Fréjus, inauguré en 1871, ne sont plus adaptées aux nouveaux enjeux du développement du fret en France.
Ainsi, alors que le futur tunnel passera à une altitude comprise entre 450 et 500 mètres, la ligne historique culmine à 1 300 mètres d’altitude. Son dénivelé est tel qu’il rend très difficile le passage des trains de fret, qui doivent être tractés ou poussés par deux ou trois locomotives diesel pour atteindre cette altitude. Évidemment, la nature même du service proposé n’est pas compétitive au regard des tunnels voisins du Fréjus et du Mont-Blanc, deux accès routiers de très grande qualité qui voient passer 1,3 million de véhicules chaque année.
Disons-le clairement : le tunnel historique ne sera jamais utilisé à 100 % de ses capacités, quels que soient les travaux de modernisation que nous pourrons engager. Au cours des dernières années, des efforts importants ont été consentis par notre pays : la fréquentation de la ligne a certes augmenté, mais nous n’atteindrons jamais sa pleine capacité.
En revanche, lorsqu’une nouvelle infrastructure performante est proposée, on constate une augmentation du trafic de fret. Car si le fret marchandises a globalement diminué dans les Alpes au cours des dernières années, il n’a pas baissé partout. Il a même augmenté là où des tunnels ferroviaires performants ont été construits.
M. Louis Nègre. Il n’y a que chez nous que cela baisse !
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Le tunnel du Lötschberg, ouvert il y a quatre ans par nos amis suisses, atteint près de 100 % de sa capacité.
Dès lors que nous sommes en mesure d’offrir aux acteurs économiques, notamment aux transporteurs routiers, une infrastructure plus rapide que les tunnels routiers, ils s’en saisissent et utilisent le rail, y compris pour se déplacer.
C’est l’ambition des travaux du Lyon-Turin que de faire du rail un concurrent redoutable de la route, pour la protection du massif des Alpes. Et cela passe par la réalisation que nous vous proposons d’approuver.
Par ailleurs, madame Ango Ela, la commission Mobilité 21, chargée d’établir les priorités entre les différents projets inscrits dans le schéma national des infrastructures de transport a, par principe, exclu du périmètre de son analyse les projets ayant déjà fait l’objet d’un engagement international, comme c’est le cas du Lyon-Turin.
En outre, cette commission confirme l’intérêt, à terme, de réaliser les accès français prévus, donc sur le territoire national, en relation avec le projet de liaison binationale. Ayant fort logiquement classé ce projet d’accès en priorité de second rang, la commission a proposé que ces travaux soient réalisés à partir de 2030 ; c’est le temps qu’elle a estimé nécessaire pour la construction du tunnel dont nous parlons aujourd’hui.
Toutefois, cette même commission indique dans son rapport que la planification peut faire l’objet de révisions tous les cinq ans. Ainsi, si le tunnel Lyon-Turin est percé plus rapidement que prévu, les conclusions du rapport Mobilité 21 seront révisées.
Je souhaite en outre revenir sur la présentation qui a pu être faite du financement du projet, laissant penser que les financements par l’Europe du projet Lyon-Turin viendraient en concurrence de la modernisation du réseau actuel. Ce ne sera pas le cas. La modernisation du réseau et la construction du tunnel sont totalement déconnectées.
Il faut d’ailleurs se défaire de l’idée que les milliards d’euros apportés par l’Union européenne pourraient financer la modernisation du réseau ferroviaire actuel. Celui-ci a certes besoin d’investissements nouveaux. Toutefois, les fonds dédiés au mécanisme d’interconnexion européenne, selon la terminologie exacte, ne concernent que les projets reliant au moins deux pays de l’Union européenne. Si ces fonds ne sont pas utilisés, ils seront affectés à d’autres projets d’interconnexion, dans d’autres pays, mais pas en France, du moins pas à ce titre.
En effet, pour la France, la Commission européenne n’a acté que deux projets au titre du mécanisme d’interconnexion européenne : la ligne ferroviaire Lyon-Turin et le projet fluvial du canal Seine-Nord, porté par Frédéric Cuvillier. Pour répondre au sénateur Esnol, ces projets bénéficieront d’un taux de financement européen à hauteur de 40 % pour les travaux et de 50 % pour les études. Cela nous a été confirmé le 17 octobre dernier, à Tallinn, par le commissaire Siim Kallas.
Si ces sommes ne sont pas utilisées pour ces deux projets, elles seront redistribuées à d’autres pays, et non pas affectées à la modernisation du réseau français.
Pouvons-nous nous priver d’une telle manne financière pour la relance de l’activité économique ? (Non ! sur un grand nombre de travées.)