M. Jean-Pierre Vial. Très bien !
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur. Il s’agit d’un projet présidentiel à portée internationale. Nous comptons beaucoup sur vous, monsieur le ministre, sur le chef du Gouvernement et, surtout, sur le Président de la République.
Ce projet est porteur de perspectives.
Les relations franco-italiennes sont riches, vous l’avez dit, monsieur le ministre, les deux pays étant, l’un pour l’autre, le deuxième partenaire commercial, avec des échanges à hauteur de 70 milliards d’euros en 2012, légèrement bénéficiaires pour nos voisins transalpins. L’Italie représente le premier marché pour les ventes de produits agroalimentaires français et constitue l’un des débouchés privilégiés pour les exportations françaises d’automobiles et de produits métallurgiques. L’essentiel de l’économie italienne se concentre dans le nord-ouest du pays, autour de Milan, véritable capitale économique, de Turin et de Gênes, et se caractérise par une forte présence industrielle. Avec la Ruhr, ce sont les deux grandes zones industrielles de l’Europe.
Plus qu’une liaison Lyon-Turin, ce sont aussi les relations entre Paris et Milan qui bénéficieront de cette nouvelle ligne ferroviaire. Mettre ces deux villes à quatre heures de train l’une de l’autre contribue au rapprochement de deux aires économiques fortes : le Grand Paris et la région milanaise. Les chiffres du PIB de ces deux régions sont éloquents : en 2010, le PIB s’élevait à 588 942 millions d’euros en Île-de-France, soit 29 % du PIB national – 22 % seulement étaient utilisés par les Franciliens, et 7 % étaient redistribués à l’ensemble des autres régions – et à 501 862 millions d’euros dans le nord-ouest italien. Il s’agit donc de réunir deux grands pôles économiques, deux « capitales-monde ».
Permettez-moi d’ouvrir une parenthèse à cet égard. D’aucuns peuvent se demander pourquoi un sénateur de Paris défend ce projet de loi, qui est plutôt rhônalpin ? Tout simplement parce qu’il s’agit aussi d’un projet…
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur. … Grand Paris- Grand Turin-Grand Milan ! (Sourires.)
MM. Jean-Pierre Vial et Jean-Claude Carle. Très bien !
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur. C’est également la sécurisation des voies de communication entre la France et l’Italie qui est en jeu.
Les économies française et italienne sont fortement intégrées, mais elles dépendent, je le répète, de trois passages routiers et d’une ligne ferroviaire inadaptée. Or ces axes de communication sont fragiles. À la suite d’incendies, je tiens à le redire, le tunnel du Mont-Blanc a été fermé pendant trois ans et celui du Fréjus deux mois. Un trafic ferroviaire plus intense permettra de réduire la fragilité des axes et de sécuriser les échanges entre les deux États. En outre, dans la mesure où les pays alpins développent des infrastructures de transport de ce type, les flux avec la France risquent d’être très fortement marginalisés si nous restons à l’écart des grands axes de communication modernes.
L’Autriche et l’Italie ont mis en place le chantier du tunnel du Brenner, tandis que la Suisse a mis en service le nouveau tunnel du Lötschberg et s’apprête à mettre en fonctionnement le nouveau tunnel du Saint-Gothard. Au final, ces projets et ces infrastructures renforcent le partenariat économique entre l’Italie et l’Allemagne. Veillons à ce que la France ne s’en exclut pas.
À cet égard, je veux dire à nos collègues qui portent un intérêt à l’Europe que les lignes ferroviaires nord-sud sont très développées. La construction de cette ligne permettra d’avoir, pour la première fois, une ligne est-ouest.
M. Jean Besson. Exact !
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur. En outre, rappelons que la liaison Lyon-Turin est un maillon d’une chaîne beaucoup plus longue, allant du sud de l’Espagne à la frontière orientale de l’Union européenne.
M. Jean-Claude Carle. Eh oui !
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur. De fait, nos échanges avec les pays européens hors de l’Union européenne, comme l’Ukraine, dont les exportations représentent tout de même aujourd’hui 1 milliard d’euros, pourront vraisemblablement en profiter.
Enfin, le gain est également assuré en termes écologiques.
Dès 1991, en signant la Convention alpine, la France s’est engagée, avec ses partenaires européens, à prendre des mesures dans le domaine des transports, « en vue de réduire les nuisances et les risques dans le secteur du transport interalpin et transalpin ».
En encourageant le report modal, cet accord permettra aussi de réduire les émissions de gaz à effet de serre, puisque le fret ferroviaire possède une plus grande efficacité énergétique que le transport routier.
M. Roland Courteau. C’est certain !
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur. L’objectif recherché est de passer d’une répartition 85/15 en faveur du routier à une répartition 55/45. La Suisse, qui a déjà fait le choix du ferroviaire par référendum, a mis sur les rails 80 % de son trafic de marchandises.
L’autoroute ferroviaire alpine, qui ne peut transporter, en 2013, que 30 000 poids lourds par an, en moyenne, verra ainsi sa capacité augmenter significativement, pour atteindre – il s’agit d’une estimation – 700 000 poids lourds transportés par an à l’horizon 2035 ! Les promoteurs parlent de 1 million de poids lourds. Mais, quel que soit le chiffre, l’augmentation est importante.
Rappelons que les études menées par « Lyon-Turin ferroviaire » ont montré que, sur une liaison de 350 kilomètres, un poids lourd rejetait une tonne de CO2 dans la vallée alpine. Avec le report modal, c’est autant de gaz à effet de serre épargné à l’environnement et de glaciers qui fondent en moins !
M. Roland Courteau. C’est évident !
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur. Bien sûr, comme tout projet d’envergure, celui-ci n’est pas exempt d’oppositions. À ce propos, la commission a auditionné de nombreuses personnalités, même si nous avons travaillé en urgence.
Tout d’abord, les oppositions portent sur le coût.
Un rapport de la Cour des comptes a estimé le coût total du projet à 26 milliards d’euros ! Sur ce point, M. le Premier ministre a répondu que cette estimation était largement surestimée, car elle englobe des coûts qui n’ont pas à être pris en compte par la France, telle la modification du tracé en val de Suse, intégralement pris en charge par l’Italie.
Par ailleurs, le financement du projet se fera à très long terme, sur plusieurs décennies, ce qui permettra de ne pas grever les finances publiques dans une période budgétaire déjà contrainte.
Par ailleurs, ce projet sera l’occasion d’envisager la mise en place de financements innovants ou différents. Il y a là, monsieur le ministre, une réflexion à mener et, vous le savez très bien, la Banque européenne d’investissement a déjà commencé à examiner ce projet.
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur. Ensuite, les oppositions portent sur le phasage.
Les détracteurs du chantier soulignent que le tunnel débouchera sur la ligne existante, vétuste et inadaptée ! Mais c’est oublier que la construction du tunnel provoquera de fait – en témoigne le rapport Duron – l’accélération de l’ouverture des travaux pour ce qui concerne les accès ! Cet argument n’a donc pas de sens!
Enfin, les opposants pointent la sous-utilisation de la ligne actuelle, qui ne serait empruntée qu’à seulement 17 % de ses capacités, et serait apte au report modal.
La sous-utilisation est certes une réalité, mais les caractéristiques mêmes de la ligne historique sont telles que l’on ne peut en attendre davantage : chaque jour, passent cinq trains, avec simplement dix wagons, tirés par trois locomotives, et qui ne transportent que deux camions°! Or il est techniquement impossible de faire plus. Je comprends d’autant moins que l’on nous oppose cet argument quand on se rend compte, sur place, qu’il faut pousser les locomotives pour qu’elles avancent ! (M. Jean-Claude Carle rit.)
Le présent accord est un texte technique de gouvernance du projet, qui n’engage pas l’ouverture des travaux. Cela nécessitera la signature d’un nouvel accord. J’y insiste, monsieur le ministre, il importe que celui-ci intervienne rapidement, afin que nous soyons en mesure d’enclencher véritablement le projet. Le sommet franco-italien du 20 novembre 2013, qui traitera en particulier du présent projet, doit être l’occasion d’engager la prochaine phase. J’espère qu’il n’y aura pas de communiqué dilatoire et que nos amis de Bercy sauront y voir l’intérêt du pays et de l’Europe.
En conclusion, je veux dire que ce chantier n’est ni démesuré ni financièrement inopportun. Il s’agit au contraire d’un projet d’aménagement du territoire cohérent, adapté, vecteur de gains économiques et écologiques. C’est un maillon essentiel de la ligne ferroviaire européenne ouest-est. Faire l’économie de cette ligne nous mettrait, de fait, je le répète, en marge des échanges avec l’Europe du sud et de l’est.
Permettez-moi, enfin, de rendre hommage à tous les acteurs qui, à leur niveau, ont porté ce projet tout au long des quinze dernières années et de leur adresser des remerciements. Je pense aux quatre Présidents de la République, aux chefs de gouvernement successifs, aux ministres qui ont suivi ce dossier, ainsi qu’aux élus locaux et aux acteurs administratifs. Au nom de toutes ces personnes qui se sont impliquées dans ce projet, je vous propose, mes chers collègues, d’adopter ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Claude Carle. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. André Vairetto, rapporteur pour avis de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire a décidé de se saisir pour avis de ce projet de loi en raison de l’importance des implications de la future ligne ferroviaire mixte entre Lyon et Turin pour la politique de report modal, pour l’aménagement du territoire et pour le développement durable.
Sans doute n’est-il pas utile de reprendre le descriptif de cette infrastructure ferroviaire majeure ou le détail de l’accord franco-italien du 30 janvier 2012, dont il nous est demandé d’autoriser l’approbation.
Concernant l’infrastructure ferroviaire, je veux rappeler que celle-ci constituera une véritable prouesse technique, en multipliant les ouvrages d’art pour accéder à un tunnel de base long de 57 kilomètres, soit 7 kilomètres de plus que le tunnel sous la Manche.
S’agissant de l’accord, je me contenterai de dire que l’équilibre global de celui-ci paraît tout à fait favorable à la France et permettra d’assurer un contrôle suffisant des deux États concernés sur la conduite du projet. Il convient aussi de souligner qu’il ne constitue encore qu’une étape intermédiaire, avant un prochain accord qui permettra l’engagement des travaux proprement dit.
Dans le souci d’apporter un éclairage complémentaire à nos délibérations, permettez-moi d’organiser mon propos en quatre séries d’observations relatives à la dimension européenne du projet Lyon-Turin, à son intérêt au regard de la protection de l’environnement et de la mobilité durable, à la logique de saut capacitaire qui le sous-tend et à la mise en perspective de ses coûts.
Premièrement, il ne faut pas se tromper d’échelle pour apprécier correctement l’utilité du projet de la ligne ferroviaire entre Lyon et Turin.
Loin d’être d’intérêt purement local, cette nouvelle liaison transalpine sera structurante pour l’ensemble des relations franco-italiennes et, au-delà, pour tout le sud de l’Europe.
Nous autres, Français, sommes naturellement très attentifs à nos relations avec l’Allemagne. Ce faisant, nous avons parfois tendance à oublier que l’Italie reste notre deuxième partenaire commercial, avec 70 milliards d’euros échangés en 2012. Chaque année, ce sont 40 millions de tonnes de marchandises qui transitent à travers les passages franco-italiens, du Léman à la Méditerranée, avec une domination écrasante du transport routier, qui véhicule plus de 90 % de ces flux.
Comme l’a excellemment indiqué M. le rapporteur, la ligne ferroviaire Lyon-Turin permettra de relier le grand bassin parisien au triangle Turin-Milan-Gênes.
Au-delà de sa dimension franco-italienne, le projet Lyon-Turin s’inscrit pleinement dans le cadre de la politique des réseaux transeuropéens de transport, les RTE-T, comme l’a rappelé M. le ministre. Il fait partie des douze premiers projets prioritaires retenus dès le Conseil européen d’Essen en 1994. Après l’élargissement à l’est de l’Europe, il a été intégré à l’axe prioritaire n° 6, qui va de Lyon à la frontière ukrainienne. Dans la nouvelle approche des RTE-T rendue publique par la Commission européenne en 2011, il fait partie du « corridor Méditerranée », qui reliera le sud de l’Espagne à l’Europe centrale. (M. Roland Courteau s’exclame.)
À ce titre, cette liaison peut prétendre à un soutien financier renforcé de la part de l’Union européenne, un point sur lequel je reviendrai ultérieurement.
Ma deuxième observation sera relative à l’intérêt de la ligne ferroviaire Lyon-Turin au regard des questions d’environnement et de développement durable.
Les régions françaises et italiennes traversées retireront des bénéfices immédiats du transfert modal massif qu’elle rendra possible. Les gaz à effet de serre émis par les camions dans les vallées alpines pourraient être réduits chaque année d’une tonne par poids lourd de charge moyenne. Si nous étions aussi ambitieux que les Suisses, nous pourrions réduire les gaz à effet de serre dans nos vallées de deux millions de tonnes.
Faut-il rappeler le très grand intérêt du milieu naturel montagnard du point de vue de la biodiversité, qui n’a d’égal que sa très grande fragilité ?
En signant, en 1991, la convention sur la protection des Alpes, la France s’est engagée à réduire les risques dans le secteur du transport transalpin en favorisant le transfert vers la voie ferrée d’une part croissante du trafic, notamment par la création des infrastructures appropriées. Il lui reste encore à mettre ses actes en accord avec cet engagement.
Par ailleurs, comme une bonne part des poids lourds n’emprunteront plus les tunnels routiers, ceux qui continueront à les utiliser verront leur sécurité améliorée. De fait, il faut se souvenir que les accidents mortels du tunnel du Mont-Blanc, en 1999, et du tunnel du Fréjus, en 2005, responsables, pour le premier, de 39 victimes, et de 2 pour le second, ont été causés par des poids lourds.
Du côté français, le doublement des tronçons actuellement encore à voie unique par une ligne à double voie permettra, par contrecoup, d’améliorer considérablement les dessertes pour les passagers dans toute la région Rhône-Alpes.
Au total, le projet de ligne ferroviaire Lyon-Turin correspond donc parfaitement aux objectifs de mobilité durable fixés par le Grenelle de l’environnement.
Ma troisième observation porte sur la logique de « bond capacitaire » qui inspire ce projet de nouvelle infrastructure ferroviaire.
Certes, les capacités théoriques de la ligne historique, qui traverse la vallée de la Maurienne et emprunte le tunnel du Mont-Cenis, sont loin d’être saturées ; mais ses caractéristiques techniques apparaissent inadaptées aux exigences du transport moderne, au point que sa désertion est plus probable que sa saturation, ce dont nous devrons supporter les coûts pour nos échanges.
En effet, les pentes à l’approche du tunnel du Mont-Cenis sont trop fortes et une partie des accès entre Lyon et Chambéry sont à voie unique. Cette ligne pose également des problèmes de sécurité, notamment le long du lac du Bourget, où le déraillement d’un convoi de matières dangereuses aurait des conséquences environnementales catastrophiques.
Le projet de liaison Lyon-Turin, à l’étude depuis le début des années 1990, vise à changer radicalement la donne en perçant un nouveau tunnel de basse altitude, qui pourra accueillir des flux massifs dans des conditions techniques et de sécurité satisfaisantes, et surtout garantir la compétitivité de façon acceptable.
Du reste, la solution du tunnel ferroviaire de plaine a été retenue par la Suisse dans le cadre de « l’initiative des Alpes » : adoptée par référendum en 1994, celle-ci a prévu les deux nouvelles percées du Lötschberg et du Saint-Gothard. C’est aussi la solution adoptée par l’Italie et par l’Autriche pour le nouveau tunnel ferroviaire du Brenner.
Bien sûr, la création d’une infrastructure ferroviaire moderne et de grande capacité n’est que la condition préalable à un transfert massif des flux routiers. Une forte détermination politique sera nécessaire pour atteindre cet objectif. Il faudra aussi que les opérateurs ferroviaires modernisent leur matériel roulant et leurs organisations logistiques.
M. le rapporteur a mentionné l’autoroute ferroviaire mise en service en 2003 sur la ligne historique, entre les terminaux d’Aiton et d’Orbassano. Le succès de cette expérimentation prouve que, lorsque des services performants sont offerts aux transporteurs, ceux-ci n’hésitent pas à charger sur les wagons leurs camions, puis, dans une forte proportion, leurs seules remorques. Le report vers le mode ferroviaire est facilité par la possibilité réglementaire de compter la traversée en ferroutage comme un temps de repos pour les chauffeurs.
Ce transfert modal massif devra être accompagné par une politique tarifaire adaptée, réintégrant les externalités négatives du mode routier ; ce sera enfin possible grâce à l’existence d’une alternative ferroviaire.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. André Vairetto, rapporteur pour avis. Ma quatrième observation porte sur les coûts et les modalités de financement du projet de ligne ferroviaire Lyon-Turin.
Les coûts des travaux sont importants, et je ne chercherai pas à les minimiser. Reste que, pour les apprécier de manière pertinente, il convient de les mettre en perspective.
Le référé de la Cour des comptes du mois d’août 2012, qui signale une augmentation des coûts prévisionnels depuis les premières estimations, a fait grand bruit. Le coût du projet y est évalué à 24 milliards d’euros ; l’estimation est réaliste, mais que faut-il en déduire ?
D’abord, je vous fais observer qu’il s’agit d’un coût calculé sur le périmètre le plus large du projet, puisqu’il intègre le coût du tronçon italien, pourtant intégralement financé par l’Italie.
Le coût prévisionnel de la seule section transfrontalière, qui fait l’objet de l’accord bilatéral, s’élève à 8,5 milliards d’euros ; son financement sera assuré – cela a été rappelé – à 40 % par l’Union européenne, à 35 % par l’Italie et à 25 % par la France.
Le coût prévisionnel des accès du côté français est estimé à 7,8 milliards d’euros, dont 400 millions d’euros pour le contournement nord de l’agglomération lyonnaise, 4,4 milliards d’euros pour les aménagements entre Lyon et Chambéry, et 3 milliards d’euros pour la première phase des tunnels sous Chartreuse et sous Belledonne. Toutefois, mes chers collègues, n’oublions pas que le financement de ces travaux sera étalé sur au moins deux décennies, et que les infrastructures réalisées pourront être exploitées pendant deux, voire trois siècles !
C’est la raison pour laquelle la commission Mobilité 21, présidée par Philippe Duron, a classé ces travaux en deuxième priorité. Ce n’est pas qu’elle les ait jugés d’intérêt secondaire : elle a simplement estimé qu’il était inutile de les programmer à une échéance plus proche que celle de la mise en service de la section transfrontalière.
J’ajoute que les ouvrages d’accès seront éligibles aux aides de l’Union européenne : si les participations européennes seront sans doute inférieures au taux de 40 % prévu pour la section internationale, elles seront néanmoins importantes.
Mes chers collègues, lorsque l’on considère les coûts du projet de ligne ferroviaire Lyon-Turin, la seule question pertinente est de déterminer si l’utilité de cette infrastructure ferroviaire sera suffisante, dans la durée, pour les justifier.
Pour s’en convaincre, il convient de mettre en balance le coût de ce projet avec celui de sa non-réalisation, en prenant en compte l’insécurité des longs tunnels routiers, qui comportent un risque de fermeture en cas d’accident grave, ainsi que les atteintes à la qualité de l’air et à la biodiversité alpine.
M. Roland Courteau. Exact !
M. André Vairetto, rapporteur pour avis. Et je ne parle pas du manque de compétitivité que subirait notre commerce extérieur avec l’Italie, si ce pays ne devait disposer d’infrastructures ferroviaires performantes que pour ses liaisons nord-sud avec l’Allemagne.
En définitive, mes chers collègues, la future liaison ferroviaire entre Lyon et Turin est un projet visionnaire, dans le sens fort du terme. La France et l’Italie du XXIe siècle, qui bénéficient du soutien financier de l’Union européenne, ne peuvent pas se montrer plus timorées que le petit État de Piémont-Sardaigne qui, au XIXe siècle, a engagé seul la percée du tunnel ferroviaire historique du Mont-Cenis, ni même que la Confédération helvétique, qui finance seule, en taxant les camions qui traversent son territoire, les deux nouveaux tunnels ferroviaires du Lötschberg et du Saint-Gothard !
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Là-bas, il n’y a pas de bonnets rouges ! (Sourires.)
M. Jean-Claude Carle. Il y a des croix blanches ! (Nouveaux sourires.)
M. André Vairetto, rapporteur pour avis. Aujourd’hui, la France confie presque exclusivement aux routes la sécurité de ses échanges avec le nord de l’Italie, l’une des régions les plus développées et les plus riches du continent européen. Les nouvelles liaisons ferroviaires à grand gabarit à travers les Alpes suisses et autrichiennes sont toutes orientées nord-sud et relient le cœur économique de l’Italie au cœur économique de l’Allemagne. En réalisant un saut qualitatif majeur dans sa liaison ferroviaire est-ouest avec l’Italie, la France évitera de se trouver marginalisée dans la recomposition industrielle actuellement en cours en l’Europe. (M. Jacques Chiron acquiesce.)
Cette liaison constitue une infrastructure hors normes, dont la rentabilité économique doit être calculée à une échelle séculaire, même si je sais que cet horizon est difficile à concevoir à notre époque pressée et obsédée par le rendement de court terme.
M. Roland Courteau. En effet !
M. André Vairetto, rapporteur pour avis. Mais je ne doute pas que nos petits-enfants nous remercieront d’avoir eu le courage de réaliser cette ligne ferroviaire : elle apparaîtra comme une évidence dans un futur pas si lointain, lorsque non seulement on s’apercevra de ses bénéfices environnementaux, mais que l’augmentation inéluctable des prix du carburant augmentera encore son intérêt.
M. Jean Besson. Très bien !
M. André Vairetto, rapporteur pour avis. Sous le bénéfice de ces observations, la commission du développement durable a donné, à l’unanimité, un avis favorable à l’adoption de l’article unique constituant le projet de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, de l'UDI-UC et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Kalliopi Ango Ela.
Mme Kalliopi Ango Ela. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, les écologistes sont attachés à la promotion du transport ferroviaire, outil indispensable pour lutter contre la production de gaz à effet de serre et contre la pollution de l’air.
De ce point de vue, nous regrettons évidemment que le fret ferroviaire soit en déclin, car il est l’une des voies de la transition écologique.
M. Jean-Pierre Vial. Très bien !
M. Jean-Vincent Placé. C’est vrai !
Mme Kalliopi Ango Ela. De fait, notre réseau ferroviaire souffre de réelles faiblesses et doit être modernisé. Dans cette perspective, la commission Mobilité 21, créée en octobre 2012 par le ministère des transports, de la mer et de la pêche pour préciser les conditions de mise en œuvre du schéma national des infrastructures de transport, le SNIT, a publié, le 27 juin dernier, un rapport intitulé : « Pour un schéma de mobilité durable ».
Dans la synthèse de ce rapport, on peut lire ceci : « Le modèle de développement ferroviaire est à revisiter. Ses déséquilibres financiers, la faiblesse du fret ferroviaire, l’absence de réflexions sur les alternatives possibles à la grande vitesse ou encore l’insuffisante prise en compte des problèmes auxquels sont confrontés les principaux nœuds du réseau alors que ceux-ci affectent d’ores et déjà le fonctionnement d’ensemble du système sont autant de problématiques qui invitent de fait à sa rénovation ».
Toutes ces observations s’appliquent fort justement au système ferroviaire du sillon alpin, dont nous débattons ce soir. Pour les écologistes, en effet, il y a urgence à rénover et à reconstruire les lignes vers les Alpes du nord, dont nombre ont plus de cent cinquante ans.
Selon M. le ministre, M. le rapporteur et M. le rapporteur pour avis, ce projet de loi est inspiré par de louables intentions. On nous dit que la construction de cette ligne ferroviaire mixte marchandises-voyageurs réduirait la durée du trajet Paris-Milan de sept à quatre heures, et surtout qu’elle favoriserait le basculement de la route vers le fer du trafic de marchandises à travers les Alpes franco-italiennes.
Pour notre part, nous regrettons que la commission du développement durable n’ait pas jugé utile d’auditionner les membres de la coordination des opposants au projet de ligne ferroviaire Lyon-Turin. Alors qu’ils remettent en cause les études et les argumentations constituant le fondement du projet de second tunnel, ils n’ont pas été entendus ! Les écologistes, quant à eux, ont été sensibles à leurs contre-arguments. (M. Jean Besson soupire.)
M. Jean-Vincent Placé. Très bien !
Mme Kalliopi Ango Ela. D’une part, la voie du Mont-Cenis n’est utilisée qu’à 17 % de ses capacités, qui sont de l’ordre de 19 millions de tonnes de marchandises par an, comme le confirme l’expertise réalisée en avril 2006 par COWI, sur la demande de la Commission européenne.
M. Jean Besson. Cette voie est trop pentue !
Mme Kalliopi Ango Ela. Le seuil de saturation ne sera pas atteint avant une trentaine d’années, tandis que la stagnation du fret ferroviaire et poids lourds franco-italien est une réalité.
De plus, cette ligne a bénéficié de travaux de modernisation, achevés en 2012 ; elle a été mise au gabarit GB1, qui nécessite simplement l’utilisation de wagons surbaissés.
Quant aux problèmes techniques mentionnés dans le rapport, notamment ceux qui tiennent à l’inclinaison de la pente, ils sont sujets à discussion. À cet égard, je vous signale que le tunnel susceptible d’être réalisé en 2025 entre l’Espagne et le Maroc, sous le détroit de Gibraltar, dit aussi « Afrotunnel », comporterait une pente comparable, de 25 ‰ à 30 ‰, sur une longueur de 40 kilomètres. De fait, le défi technique ne semble pas insurmontable !
La voie historique du Mont-Cenis n’étant pas saturée, la construction d’un nouveau tunnel de base ne répond, selon nous, à aucun besoin. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.) Ce constat a été affirmé avec force, en octobre 2012, dans la position commune finale élaborée à l’occasion de la convention des écologistes sur les traversées alpines, qui a réuni les partis écologistes italien, français et suisse. Le prétendu « gain écologique » annoncé dans le rapport ne les a pas du tout convaincus, bien au contraire !
D’autre part, pour différentes raisons, la construction d’un second tunnel de base s’avère injustifiée.
En premier lieu, le coût financier faramineux du nouveau tunnel, estimé entre 12 milliards et 26 milliards d’euros, captera une grande partie des ressources budgétaires, au détriment du reste du réseau ferroviaire français, national et régional.
C’est ainsi que, dans son référé du 1er août 2012 adressé au Premier ministre, la Cour des comptes estime que ce projet revêt « une faible rentabilité socio-économique » et que « la mobilisation d’une part élevée de financements publics se révèle très difficile à mettre en œuvre dans le contexte actuel ».
De plus, en classant le projet parmi les secondes priorités, la commission Mobilité 21 l’a renvoyé après 2030.
En second lieu, nous ne pouvons tolérer le coût environnemental d’un tel projet. À cet égard, il convient de rappeler que le nouveau tunnel de base serait long de 57 kilomètres, alors que le tunnel sous la Manche n’en compte que 50.
Une liaison de cette ampleur peut affecter de manière significative différents éléments du cycle hydrologique dans les zones traversées ; en particulier, elle risque de tarir les principales sources hydriques de certaines communes. Environ 300 millions de mètres cubes d’eau risquent ainsi d’être perdus chaque année dans les Alpes !
En outre, la concrétisation de ce projet entraînerait une augmentation de plus de 720 000 poids lourds par an dans les Alpes, avec 1 million de camions sur le rail.
Ce projet de ligne nouvelle, qui se veut prestigieux, est donc inutile, onéreux et nocif pour l’environnement.
Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste du Sénat se prononce contre la ratification de cet accord, comme l’ont fait nos collègues députés écologistes. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)