M. Jean-Claude Lenoir. Elle n’est pas nouvelle, permettez-moi de vous le dire, mais l’important n’est pas seulement d’avoir l’idée, c’est de la transformer en projet. Pour cela, il faut des moyens. J’ai cru lire, madame la ministre, que vous étiez prête à mobiliser des moyens équivalents à 50 % des frais de fonctionnement de ces maisons de service public.
Bien sûr, il faudra convaincre lesdites administrations de l’État ainsi que d’autres services ou organismes publics de travailler ensemble, mais, honnêtement, je pense qu’ils y sont tout à fait prêts. Le fait de mettre à leur disposition des locaux adaptés avec un parking subséquent me paraît aller dans le bon sens.
Pour m’en tenir au temps qui m’est imparti, madame la ministre, je conclurai en vous disant la chose suivante : si je ne crois pas à l’égalité, je crois à l’équité ! Or l’égalité n’est pas assurée. Je vous demande donc d’être équitables avec les territoires dont les besoins sont importants. (M. Fauconnier s’exclame.) C’est le cas des zones urbaines, et je le comprends, eu égard aux problématiques qui s’y posent. Je comprends surtout que le monde rural a besoin de moyens plus modestes pour réussir au moins aussi bien, et parfois mieux, car il apporte quelque chose d’essentiel : la qualité de vie.
M. Jean-Louis Carrère. Vous avez raison, il faut préserver la qualité de vie. C’est une bonne ambition : la chasse aux pinsons, etc.
M. Jean-Claude Lenoir. Ainsi, les Français qui, pour beaucoup d’entre eux, ont une origine rurale, peuvent retrouver ce lien très fort avec le territoire où ils sont nés.
En définitive, derrière tout cela, c’est d’une politique visant à renforcer le lien social, ce lien aujourd’hui si distendu, que nous avons tant besoin ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC et du RDSE.)
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Delphine Bataille.
Mme Delphine Bataille. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, si de nombreux territoires subissent de plein fouet une crise économique qui perdure, ce sont les espaces à dominante rurale qui sont les plus touchés. Ces ensembles, qui comprennent les petites unités urbaines, représentent les deux tiers du territoire métropolitain.
Ce sont les campagnes, les communes rurales et les petites villes qui paient tout particulièrement aujourd’hui le prix de plusieurs années de politiques publiques désastreuses.
La réalité que nous vivons sur le terrain, nous, élus, avec la population, c’est une attente insatisfaite de solidarité nationale et un fort sentiment d’abandon.
La situation du département du Nord est emblématique des difficultés que rencontrent nombre de territoires, dans leurs espaces ruraux en particulier. Le Nord a connu une recomposition sociale importante au cours des dernières années. Ce département, extrêmement jeune dans ses zones urbaines à forte densité de population, voit néanmoins les trois quarts de sa surface désertés de manière croissante par les actifs, laissant place à une population vieillissante, disséminée dans la campagne.
De manière logique, le renforcement du poids des villes entraîne le déclin de l’activité en milieu rural. Les décisions nouvelles relatives à la décentralisation, qui renforcent le poids des entités urbaines, risquent de vider un peu plus les campagnes de leur substance et d’affaiblir les départements, pourtant vecteurs naturels de l’égalité des territoires.
Territoire de tradition ouvrière historique, le Nord est aujourd’hui marqué par une importante artificialisation de ses terres, un habitat individuel très étendu, un vieillissement de la population et, dans le même temps, un renouvellement dû à une arrivée massive de foyers à faibles revenus.
Toutefois, la tendance actuelle des propriétaires en milieu rural est d’aligner les loyers sur les pratiques urbaines et, donc, de réduire la part des loyers accessibles et supportables, notamment pour les familles modestes.
La réponse évidente serait un effort des offices d’HLM en direction des petites communes.
La population rurale est aussi caractérisée, d’une part, par une surreprésentation des sans-emploi et des ouvriers aux modestes revenus, et, d’autre part, par une sous-représentation des cadres, ce qui diminue évidemment l’employabilité des actifs.
Surtout, des pans entiers du territoire constitués de très petits villages sont parmi les moins bien équipés, de sorte que leurs habitants connaissent des difficultés en matière d’accès aux services publics, lesquels ont été progressivement rayés de la carte.
Dans ce contexte, en dépit des politiques d’aménagement conduites par les collectivités locales, pour beaucoup de manière volontariste, on assiste à une fuite des entreprises, accélérée par des infrastructures de transports et de communications insuffisantes ou mal entretenues, au détriment de la création d’emplois, bien sûr.
L’État n’a pas su, au cours des dernières années, répondre aux défis spécifiques auxquels doivent faire face nos territoires. Au contraire, il a fortement nourri à l’égard des politiques nationales, notamment chez les plus fragilisés, un climat de défiance, souvent à l’origine d’attitudes de rejet de la République.
Les milieux ruraux ont été les plus touchés par la réforme générale des politiques publiques, cette RGPP si contestée en son temps, qui a ravagé certains territoires ; Ils ont également subi le désengagement de l’État en matière d’éducation, de santé publique, de mobilité, de sécurité, de logement, de précarité énergétique. On pourrait ainsi multiplier les exemples !
Dans le même temps, avec le retrait des soutiens publics et l’appauvrissement des ménages, les services à la personne se sont effondrés.
Un tel environnement ne peut qu’alimenter l’inquiétude, la peur du lendemain, l’exaspération et la colère dans ces territoires, sentiments renforcés en ce moment par une hausse de la ponction fiscale décidée en 2011. Ces augmentations ont des effets néfastes, notamment pour les plus modestes, qui accusent à tort le gouvernement actuel de ces décisions pourtant antérieures à sa prise de fonctions.
Néanmoins, les attentes restent fortes aujourd’hui et l’impatience continue à gagner du terrain. Nos concitoyens, qui sont confrontés à la disparition de la présence publique de l’État, veulent plus de considération, plus d’égalité et plus de solidarité.
Conscient de la situation dramatique dans laquelle se trouvent la plupart de ces populations, le Président de la République a souhaité, dès son arrivée, repenser l’aménagement des territoires pour lutter contre les inégalités qui se sont aggravées ces dernières années.
Dans ce sens, le choix de placer sous la responsabilité de votre ministère, madame la ministre, l’ensemble des territoires urbains et ruraux constituait une novation pour assurer un développement plus équilibré et plus solidaire entre les villes et les campagnes.
Je salue ce changement d’optique vers plus d’égalité, qui s’oppose à la mise en concurrence des territoires jusqu’ici encouragée.
Vous avez annoncé deux priorités, tout d’abord, la nécessité d’assurer la continuité territoriale permettant, notamment, plus d’accessibilité aux services publics sur tout le territoire, ensuite, votre volonté de donner les moyens à chaque territoire de développer son potentiel.
Je souscris, bien sûr, à ces deux objectifs, dont la réalisation devra contribuer à enrayer les déséquilibres actuels ; toutefois, dans un contexte de crise économique où l’endettement de notre pays augmente, les marges de manœuvre sont considérablement réduites.
Arrivée au deuxième temps de mon propos, je veux vous faire part des attentes ressenties sur le terrain. Je connais vos priorités, madame la ministre. Cependant, face à l’impatience et aux souffrances des populations que je côtoie au quotidien, avec d’autres, je souhaite vous faire partager quelques préoccupations auxquelles il convient que le Gouvernement apporte des réponses appropriées.
Les questions posées par la qualité et l’accessibilité des services au public, absolument vitales pour les habitants des zones rurales, ont des conséquences directes sur l’attractivité des territoires.
Ainsi, face aux carences de l’offre de soins en milieu rural, accentuées dans les petites bourgades par le départ à la retraite de médecins généralistes non remplacés, l’état sanitaire de nos populations, tout comme l’accès aux services d’urgences, tend à se dégrader.
Nos concitoyens attendent toujours la traduction concrète des moyens accordés pour améliorer l’offre de soins disponible dans le Nord, notamment à travers le pacte territoire santé.
Par ailleurs, malgré le vieillissement de la population, de vastes zones restent sans réponse face aux besoins d’hébergement et de prise en charge des personnes âgées.
Les missions de service public de l’éducation sont un autre enjeu important de l’aménagement du territoire. Aujourd’hui, le gouvernement actuel a rendu sa priorité à la politique de l’éducation ; c’est un point qui ne me paraît pas suffisamment souligné.
Ainsi, l’effort en direction des écoles a été bien ressenti à la rentrée scolaire 2013, qui n’a pas été vécue dans l’angoisse des fermetures de classe injustifiées ou des difficultés à ouvrir des classes devenues nécessaires.
Mme Hélène Lipietz. Tout à fait !
M. Roland Courteau. Très bien ! Il fallait le souligner !
Mme Delphine Bataille. Par cet effort, on a pu maintenir des petites écoles qui étaient menacées alors qu’elles constituaient la dernière source de vie dans les villages. C’est le service public qui était en péril, la commune qui se désintégrait, et la République qui aurait été atteinte dans ses fondements !
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Delphine Bataille. Après des décennies de reniement de l’idéal républicain, on développe à nouveau dans nos campagnes une politique active en matière d’éducation.
Je vais maintenant évoquer à mon tour la fracture numérique, qu’il n’est pas acceptable de laisser s’accentuer. Le déploiement de réseaux numériques à très haut débit, qui contribue à réduire le handicap de la distance, est essentiel pour favoriser la compétitivité et l’attractivité de ces territoires.
L’un des tout premiers chantiers du Président de la République a été de définir un objectif de couverture de l’ensemble du territoire national d’ici à 2022.
Je vous remercie par avance, madame la ministre, de nous informer de l’état d’avancement de ce projet, car les opérateurs semblent rester particulièrement timides à l’égard des parties défavorisées de notre territoire.
D’une façon globale, la réduction de la fracture territoriale passe aussi par l’amélioration de l’accessibilité des territoires en favorisant le développement de moyens de communication comme le très haut débit, mais aussi celui des infrastructures de transports.
Les difficultés d’accès par la route ou par les transports en commun constituent souvent de lourds handicaps pour de nombreux territoires ruraux.
Le discours tenu par les élus urbains qui bénéficient de services publics denses et bien adaptés ne s’applique absolument pas aux populations des espaces ruraux dont l’habitat est bien trop dispersé et qui sont donc particulièrement concernés par l’inégalité des dessertes de leur territoire.
Vous en conviendrez, les besoins d’un véhicule individuel ne sont pas les mêmes en milieu rural et en milieu urbain ! D’un côté, ils sont impératifs, de l’autre, ils ne sont que facultatifs puisque les déplacements peuvent être effectués en métro, en bus ou en tramway.
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Delphine Bataille. Il est donc prioritaire de désenclaver les zones rurales déjà fragiles en modernisant les réseaux de transports qui ont fait l’objet de sous-investissements chroniques ces dernières années.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Delphine Bataille. Je pense, avant tout, aux liaisons ferroviaires dont l’état catastrophique s’accentue malheureusement au lieu de s’améliorer.
Je dois, à ce moment de mon propos, vous exprimer l’inquiétude de la population et des élus du Cambrésis sur deux dossiers particuliers, qui appellent des réponses concrètes en matière d’aménagement du territoire.
La décision prise par le gouvernement précédent de fermer la base aérienne 103 de Cambrai-Épinoy a déséquilibré tout un territoire. Dans cet arrondissement, ce sont 1 500 emplois civils et militaires qui ont été perdus pour une population de 160 000 habitants.
M. Jean-Louis Carrère. Et ce n’est pas fini !
Mme Delphine Bataille. Les conséquences de cette décision sont encore aggravées par des incertitudes quant aux mesures de développement économique attendues et à l’avenir des 350 hectares de terrains libérés.
Autour d’une gouvernance organisée par les collectivités locales, M. le préfet a confirmé, voilà quelques jours, devant l’assemblée départementale, la signature imminente de la création d’un syndicat mixte ouvert avec la région, les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais. Cet organisme inclura les communautés de communes et permettra d’échanger avec les porteurs de projets qui jusqu’alors manquaient d’interlocuteur pour répondre à leurs perspectives d’implantation et de développement.
Par ailleurs, dans un secteur géographique où la situation économique s’est encore récemment fortement dégradée, le projet de canal Seine-Nord Europe, qui fédère l’ensemble des élus concernés, constitue, au-delà des perspectives qu’il dégage pour la nation tout entière, une condition de survie pour la population de ce territoire.
Ce canal de grand gabarit et sa plateforme logistique joueront un rôle important dans l’aménagement des territoires touchés en favorisant notamment la création de 4 500 emplois directs et au moins autant d’emplois induits.
Son coût ayant été largement sous-estimé par le gouvernement précédent, il a, bien entendu, fallu remettre à plat le dossier. Dans les territoires concernés, les parlementaires, toutes tendances confondues, attendent l’aboutissement de ce dossier. Le ministre des transports a signé un accord sur la réalisation de grandes infrastructures avec un financement européen qui pourrait atteindre 40 % du coût du projet. Ce sera l’objet du débat de ce soir.
Les quatre départements concernés, dont le Nord, sont également prêts à engager des crédits à hauteur de 500 millions d’euros, qui viendraient s’ajouter aux 500 millions déjà mobilisés par les régions. La part de l ’État se trouvant ainsi allégée, personne ne comprendrait que ce dossier ne se concrétise pas rapidement.
Porteur d’avenir et mobilisateur, ce projet fera jouer la solidarité en faveur des régions situées au nord de Paris et de la Wallonie, marquées par une forte désindustrialisation pendant la dernière décennie.
Pour conclure, les défis auxquels doivent faire face ces territoires sont nombreux, mais ils possèdent souvent des atouts qui peuvent leur permettre d’y répondre.
Le Nord, par sa situation géographique, peut se prévaloir de quelques belles réussites comme l’entreprise Amazon, qui pèse 2 500 emplois dans le Douaisis, le terminal méthanier de Dunkerque, IBM Euratechnologie à Lille, et l’institut Railcom, avec la boucle d’essais ferroviaires dans l’Avesnois, au sud du département.
En tout cas, aujourd’hui, les populations demandent plus de solidarité nationale et, donc, plus d’État. La politique d’aménagement du territoire doit conduire non à détricoter ce qui a fait la France depuis plusieurs siècles, mais à construire une complémentarité entre un État fort et des collectivités décentralisées.
L’intervention de l’État reste fondamentale, notamment dans son rôle de régulateur, pour permettre un rééquilibrage et éviter les disparités et inégalités entre territoires riches et territoires pauvres.
Les territoires défavorisés ne méritent pas le sort d’abandon qui leur semble réservé au regard des contraintes budgétaires et de l’orientation de certaines politiques publiques.
Si les politiques volontaristes développées par les collectivités, notamment par les départements en matière de solidarité, à travers les contrats de territoires par exemple, ont permis de freiner certains effets dévastateurs, ces territoires ont, plus que jamais, besoin d’accompagnement et de soutien de la part de l’ État face aux conséquences désastreuses de la crise et des mutations économiques et sociales.
Les réponses du Gouvernement – et nous savons pouvoir compter sur vous, madame la ministre – doivent traduire une volonté forte de l’État de combattre les inégalités et de rendre un second souffle à ces territoires et de l’espoir à leurs habitants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Hélène Lipietz applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai été très attentive, comme chaque fois qu’un débat relatif à l’égalité des territoires se déroule au Sénat, à vos interventions sur ce dossier essentiel pour la cohésion nationale, mais aussi complexe, et sur lequel il conviendra de travailler à long terme.
Il est évidemment logique et nécessaire, monsieur Maurey, que le Gouvernement rende compte de l’exercice de ses missions ; c’est d’ailleurs tout l’objet des débats parlementaires de contrôle. Pour autant, les politiques d’aménagement du territoire sont de très long terme : il s’agit de prendre des initiatives et de maintenir ces impulsions afin d’en voir les résultats.
L’année 2013 aura néanmoins été une année charnière, car bien des projets ont été mis en place. Selon vous, monsieur Maurey, le Gouvernement n’a rien fait en matière de zones blanches, de haut débit, de santé, d’infrastructures et, pire, il a réformé les rythmes scolaires… Convenez que de telles affirmations sont quelque peu caricaturales ! (M. Jean-Louis Carrère opine.)
M. Roland Courteau. C’est très caricatural !
Mme Cécile Duflot, ministre. Vous affirmez m’avoir envoyé des courriers qui seraient restés sans réponse. Or je vous ai répondu personnellement à cinq reprises ; en outre, vos questions écrites ont fait l’objet de sept réponses.
M. Hervé Maurey. Il n’y a pas de réponses concrètes !
Mme Cécile Duflot, ministre. On peut toujours regretter certaines insuffisances. Cependant, en matière tant de haut débit, de santé, d’infrastructures que de rythmes scolaires, le Gouvernement a apporté des réponses concrètes. Vous pouvez ne pas les approuver, mais ne dites pas que rien n’a été fait.
M. Hervé Maurey. Accuser réception, ce n’est pas apporter une réponse !
Mme Cécile Duflot, ministre. Pour ce qui concerne les infrastructures, je ferai écho aux propos de Mme Bataille.
Le schéma national des infrastructures de transports, le SNIT, a peut-être été largement accepté, mais il n’était absolument pas financé, chacun en est convenu. Nous étions donc face à une situation particulièrement difficile.
Les choix opérés par le Gouvernement procèdent d’une logique que vous contestez, madame Masson-Maret. Ils ont cependant pour objectif de soutenir les territoires qui ont bénéficié, ces dernières années, de trop faibles investissements et qui sont dépendants d’un réseau ferré secondaire largement détérioré, faute d’entretien.
À la suite du rapport Duron, nous avons donc fait le choix important et naturel, même s’il n’était pas simple, de privilégier la desserte, notamment ferroviaire, des zones les plus fragiles qui ont besoin de cette solidarité dans un contexte budgétaire difficile. (M. Jean-Louis Carrère s’exclame.)
Vous avez également déclaré, monsieur Maurey, que la création du Commissariat général à l’égalité des territoires, le CGET, issue des travaux de différents rapports que vous avez cités, était inutile.
Or, ce n’est pas un secret, d’aucuns considéraient depuis quelques années que la DATAR avait joué son rôle dans les années soixante, soixante-dix, voire au tout début des années quatre-vingt, mais qu’un pilotage national – presque parisien ! – et peu décentralisé n’était absolument plus adapté à la politique actuelle d’aménagement du territoire. Résultat des courses, et vous l’avez dit vous-même, depuis dix ans, il n’y avait plus de pilote dans l’avion !
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Aymeri de Montesquiou. Et M. Guigou ?
Mme Cécile Duflot, ministre. L’État refusait désormais toute appropriation de la politique d’aménagement du territoire.
La création du CGET marque le retour à une véritable politique d’aménagement du territoire, mais celle-ci prend acte de trente ans de décentralisation et tisse – nous le verrons lors la négociation du volet territorial des prochains contrats de plan État-région – une nouvelle relation avec les collectivités locales dans laquelle l’État, comme l’a dit Mme Bataille, assume son rôle de solidarité.
Monsieur Lenoir, je reviendrai à la fin de mon intervention sur le débat philosophique relatif à l’équité et à l’égalité. Il s’agit d’organiser sur un plan stratégique les responsabilités des uns et des autres, de mettre en cohérence les politiques menées et d’accorder une attention particulière – c’est bien normal ! – aux territoires les plus meurtris.
Je l’ai dit en prenant mes fonctions, puis à plusieurs reprises devant vous, il est de la responsabilité de l’État de donner davantage de moyens et d’être plus attentif aux territoires meurtris du fait de certaines décisions ou d’une situation économique particulière.
Monsieur Bertrand, vous avez parlé de régions que je connais bien, et évoqué, au-delà de la ruralité, l’hyper-ruralité de territoires qui connaissent une situation particulière en raison des conditions géographiques ou de la faible densité de leur population.
J’y insiste, la politique d’égalité des territoires que mène ce gouvernement vise à prendre en compte l’ensemble des spécificités territoriales.
L’égalité n’est pas l’uniformité. Il existe ainsi, dans les territoires hyper-ruraux, des problématiques très spécifiques.
Pour autant, ces territoires ont également des atouts. Même si ce sujet peut faire débat, il convient de considérer aujourd’hui, à la suite des travaux ayant abouti à la remise du rapport intitulé « Vers l’égalité des territoires », que le dynamisme n’est pas l’apanage des seules métropoles, et que les territoires ruraux ou hyper-ruraux n’ont pas vocation à se transformer en espaces récréatifs ou décoratifs incapables de prendre en main leur avenir. Au contraire !
C’est pourquoi la question du haut débit est essentielle. Du fait des nouvelles technologies et de l’évolution des modes de vie, l’avenir des territoires ruraux et hyper-ruraux peut être positif. Ceux-ci seront aussi utiles à notre pays que le développement des métropoles, y compris celles dont la dimension est internationale. Nous avons besoin que l’ensemble de notre pays soit robuste !
Comme l’ont dit plusieurs d’entre vous à raison, nous ne pouvons pas nous résigner à un arasement des inégalités entre les régions, qui s’accompagnera d’une aggravation des inégalités infrarégionales.
Par conséquent, nous devons travailler à l’échelle infrarégionale pour restaurer l’égalité entre les populations et limiter les risques de décrochage ou un sentiment de relégation susceptibles d’entraîner la dislocation du pacte républicain. Voilà pourquoi la politique d’égalité des territoires est une nécessité.
Cette politique, il faut la porter de manière durable et constante, car ces efforts ne permettront pas de réparer, d’un seul coup, les dégâts provoqués par la mise en concurrence des territoires.
Madame Didier, il ne faut pas opposer les services publics et les services au public, pas plus que de noyer la question des services publics dans celle des services au public.
La présence des services publics en matière d’emploi, de santé et de sécurité est nécessaire et évidente. Mais pour bien vivre sur l’ensemble de notre territoire, nos concitoyens ont aussi besoin d’avoir accès à la culture, à l’essence à la pompe et à des commerces. Autrement dit, nos territoires ont besoin de l’ensemble de ces services pour bien vivre !
Nous pouvons décider pour 2013, 2014 et 2015 le retour des services publics et inventer une histoire différente de celle que nous vivons actuellement, laquelle ne pouvait pas fonctionner.
Cette histoire ne sera pas celle d’un départ, d’une déprise et d’une réflexion « en silo », service public par service public, opérateur par opérateur, lesquels n’ont pas pu anticiper les dégâts occasionnés par des décisions qui, pour rationnelles qu’elles soient du strict point de vue de l’opérateur, pouvaient, du fait de leur addition, entraîner sur certains territoires des conséquences tout à fait néfastes. Les disparitions simultanées d’une maternité, d’un tribunal d’instance et d’une gendarmerie ont ainsi pu provoquer des situations extrêmement tendues. (Bravo ! et applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Cécile Duflot, ministre. J’ai donc souhaité réunir au ministère de l’égalité des territoires et du logement l’ensemble des opérateurs concernés pour les faire travailler de concert. M. Maurey a d’ailleurs souligné que le ministère chargé de l’aménagement du territoire devait être un ministère transversal de plein exercice. Honnêtement, j’ai pu constater que mes prédécesseurs n’avaient aucun pouvoir à ce sujet…
Je suis donc heureuse que le Président de la République ait la volonté, dans le cadre de la politique d’égalité des territoires, de permettre à l’ensemble des opérateurs de franchir une étape supplémentaire dans l’exécution du dispositif expérimental des services au public. Sur ce point, je partage votre point de vue, monsieur Lenoir.
En la matière, je ne prétends pas à l’invention ; je veux développer ce qui fonctionne et remettre en cause, sans fragiliser les territoires, les dispositifs qui n’ont pas permis d’améliorer leur situation de manière globale. C’est le cas des pôles d’excellence rurale.
Sous le gouvernement précédent, quand on ne savait que faire, on créait des pôles. En fonction des appels à projet, on pouvait ainsi investir quelques dizaines ou centaines de milliers d’euros dans certains territoires sans apporter de réponse globale à l’ensemble des territoires.
M. Alain Fauconnier. Eh oui !
Mme Cécile Duflot, ministre. Nous adoptons la démarche inverse avec les maisons des services publics.
Notre objectif est de mettre en place un dispositif pérenne, alimenté à parts égales par les collectivités territoriales et par le Fonds national d’aménagement et de développement du territoire, le FNADT. Comme certains d’entre vous l’ont indiqué à juste titre, les collectivités financent actuellement à plus de 70 % ce type d’installations.
Ces maisons des services publics auront vocation à accueillir l’ensemble des opérateurs, à apporter une réponse de proximité et une présence humaine, mais aussi à permettre l’accès à un service public de haut niveau, notamment grâce aux visio-guichets, dispositif efficace qui maintient un contact de proximité en évitant les déplacements.
On a souvent opposé le haut débit, les nouvelles technologies et l’isolement des personnes. Ce faisant, on sous-entendait l’accès direct aux services publics par le biais d’Internet.
La présence humaine et la médiation par un interlocuteur, même s’il n’est pas spécialiste du service public concerné, sont à mon sens décisives, comme cela a été indiqué dans un rapport du Conseil économique, social et environnemental voilà deux ou trois ans.
Le maintien d’une présence dans les maisons de services publics permettra d’orienter les usagers vers la délivrance d’un service de bonne qualité. Cet interlocuteur humain, et non pas seulement un répondeur ou un service sur Internet, sera aussi le garant d’une forme de bien-être collectif.
Afin que leur mode de financement soit stable dans la durée, les maisons des services publics seront financées à parité entre l’État et les opérateurs, d’un côté, et les collectivités, de l’autre. Le fonds abondé par les opérateurs garantira leur engagement.
Madame Lipietz, vous avez soulevé la question du haut débit, étroitement liée à la précédente.
Vous le savez, ma collègue Fleur Pellerin est chargée du déploiement d’un plan sur les dix prochaines années. Il est toujours possible de formuler des critiques, mais on ne saurait reprocher au Gouvernement de ne pas favoriser les collectivités les plus rurales, celles dont la situation géographique ou la faible densité nécessitent un investissement public plus important.
Ce plan en trois tiers, dont l’un vise le déploiement dans les zones les plus fragiles, apporte des réponses. Les collectivités locales qui se sont engagées dans cette voie constatent que le dispositif fonctionne. Nous poursuivrons nos efforts à cet égard.
Toutefois, il nous faut, parallèlement, travailler sur la question des usages. C’est le sens du rapport que m’a remis Claudie Lebreton voilà quelques jours.
Il ne s’agit pas seulement de « fibrer » le territoire. La question des usages doit être posée s’agissant des services publics, mais aussi de l’accès à la culture et des nombreuses pratiques que permet la présence du très haut débit, notamment en termes d’évolution des modes de travail.
Travailler en amont sur les usages permettra aux collectivités locales et aux opérateurs de s’approprier immédiatement l’accès au très haut débit, avec toutes les évolutions positives que cela suppose.
Madame Masson-Maret, je crains que vous ne vous soyez trompée en évoquant mon budget. Vous avez en effet fait référence au titre 2 relatif aux salaires et aux traitements des personnels et non au budget de fonctionnement. Or l’évolution des chiffres indiqués dans ce titre résulte de la hausse mécanique du montant des pensions, tandis que le schéma d’emploi est négatif puisqu’il baisse d’un équivalent temps plein.
Quant au budget de fonctionnement, qui fait l’objet du titre 3, il passe de 16,27 millions d’euros en 2013 à 15,75 millions en 2014. Contrairement à ce que vous avez indiqué, madame la sénatrice – peut-être était-ce une erreur de lecture ? –, l’effort en termes de finances publiques pèse sur l’ensemble des budgets. Ce principe s’applique aussi à la création du CGET.
Mme Bataille l’a bien relevé, il s’agit à la fois d’associer territoires ruraux et territoires urbains et d’inscrire les quartiers et la politique de la ville dans le cadre général de l’égalité des territoires.
Dans les territoires relégués des grandes agglomérations comme dans les territoires hyper-ruraux, les questions d’accès aux services publics se posent de façon identique non pas sur le plan technique, mais sur le plan politique. Là aussi, cela suppose une vision politique de ce qu’est notre territoire national, à savoir un territoire dans lequel tous nos citoyens ont les mêmes droits et doivent avoir accès aux mêmes services, non de manière uniforme, mais grâce à une réponse adaptée en fonction des situations.
Madame Didier, vous avez parlé de la question des dotations, mais aussi des services publics plutôt que des services au public. J’espère vous avoir répondu et convaincue. Pour avoir multiplié les déplacements dans le cadre d’un « tour de France des territoires », notamment avec certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai pu constater que la question de l’accès à l’ensemble de la palette des services publics était essentielle pour le maintien et le développement des territoires.
M. de Montesquiou a parlé des financements du déploiement de la fibre. Je l’ai souligné, nous avons fait non seulement le choix d’assurer la continuité de certains dispositifs existants et d’apporter un appui aux collectivités locales très innovantes, mais aussi celui de porter une attention particulière aux territoires les plus enclavés, dont les spécificités géographiques nécessitent des réponses différenciées, par exemple par le biais de la 4G ou du satellite. Je rappelle que le déploiement dans dix ans du très haut débit sur l’ensemble des territoires, quelles que soient leurs particularités, répond à un engagement du Président de la République.
Monsieur Camani, je vous remercie d’avoir évoqué le climat de confiance, propice à un changement de paradigme. En effet, nous ne réussirons ce chantier de l’égalité des territoires que si nous osons rompre avec la politique d’aménagement des territoires en vigueur depuis les années soixante et soixante-dix. M. Maurey a raison, celle-ci avait un sens à une époque où l’État concentrait beaucoup de responsabilités ; elle a notamment permis l’installation de certains grands établissements publics comme l’École nationale d’administration pénitentiaire, l’ENAP, à Agen.
Nous sommes en 2013. Désormais, et c’est une bonne chose, les collectivités locales ont leur destin en main. Les relations qu’elles entretiennent avec l’État doivent être réinventées et prendre la forme d’un véritable partenariat où chacun assume ses responsabilités. En effet, du fait de la perte d’un certain nombre de compétences, l’État s’est longtemps désengagé de certains territoires – d’une certaine façon, il s’en est lavé les mains –, alors qu’il a une responsabilité à l’égard de chacun d’entre eux : c’est toute la logique de l’articulation des différents niveaux d’intervention.
Là encore, il nous faut réfléchir à d’autres solidarités. Je pense aux appuis en matière d’ingénierie, notamment dans l’aménagement ou sur les questions de droit des sols, que peuvent apporter certaines métropoles ou certains départements ayant développé une véritable compétence. Il n’est donc pas illogique d’envisager le partage de cette compétence, qui est la conséquence de la décentralisation, avec les territoires qui disposent de moins de moyens. Nous travaillons à élargir et à repenser ces modes de relation, notamment avec les agences d’urbanisme qui restent encore aujourd’hui financées par l’État, même si elles sont pleinement dans les mains des collectivités locales.
Monsieur Camani, vous avez également évoqué la question des centres-bourgs. Sans déflorer ce que dira le Premier ministre demain au congrès des maires de France, je souhaiterais rappeler ce que j’avais indiqué à ce sujet dès ma première intervention : l’État avait eu par le passé à assumer ses responsabilités face à la situation des quartiers les plus dégradés – c’est d’ailleurs pour cela que l’ANRU a été créée –, il doit aujourd'hui se pencher de la même manière sur la dévitalisation, voire la nécrose de certains centres-bourgs. C’est le cas de La Réole où je me suis rendue voilà quelques jours, magnifique bourg à l’histoire magistrale situé à quarante kilomètres de Bordeaux. Ici, comme ailleurs, le bâti en centre ancien est d’une extrême fragilité, ce qui pèse sur les élus.
C'est la raison pour laquelle, comme je m’y étais engagée, nous travaillons avec ces communes – bourgs ruraux ou villes moyennes – afin de les aider à faire face à ces situations qui nécessitent une ingénierie complexe pour redéfinir non seulement l’aménagement, mais aussi le bâti lui-même. En effet, dans un certain nombre de cas, les logements des bâtis de ces centres-bourgs ne correspondant plus aux règles et aux modes de vie actuels, il faut repenser leur évolution.
Monsieur Collin, vous avez évoqué la question du service public de la gendarmerie. Le dialogue avec les gendarmeries est très intéressant, à l’instar de celui que nous avons ouvert avec l’ensemble des opérateurs. Dans le cadre de la réflexion que nous menons sur la localisation des maisons de service public afin de maintenir la présence des services publics existants qui pourraient être fragilisés par l’évolution de la carte, l’ouverture à d’autres missions de service public des locaux dont dispose aujourd’hui la gendarmerie sur nombre de territoires est une orientation qui intéresse fortement les instances dirigeantes de la gendarmerie nationale.
Nous souhaitons travailler avec l’ensemble des opérateurs de manière très ouverte pour répondre à certaines difficultés très concrètes. Je pense notamment à la rénovation de certaines implantations ou au logement des gendarmes et de leurs familles, auxquelles, je le sais, nombre d’entre vous sont sensibilisés.