M. le président. La parole est à M. Claude Dilain.
M. Claude Dilain. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, alors que nous nous trouvons au cœur de ce débat passionné, je me permets de rappeler que la passion n’interdit pas le respect, tant des opinions exprimées que de celles et ceux qui les défendent. Nous avons tous la volonté de voir le Sénat sortir grandi de nos échanges : à cet égard, il me semble que l’issue de ce débat ne sera pas le seul élément à compter ; sa teneur et sa qualité auront aussi leur importance.
À ce stade, beaucoup de choses ont été dites. Pour ma part, je ne souhaite pas engager le débat sous l’angle des problèmes de disponibilité. Après tout, il s’agit là d’une question d’organisation personnelle. Je ne souhaite pas non plus l’aborder en évoquant les indemnités. Ces dernières font déjà l’objet d’un écrêtement et il suffit de décider qu’on ne peut avoir qu’une seule indemnité pour régler la question. Je me demande d’ailleurs pourquoi nous ne l’avons pas fait plus tôt, puisque tout le monde semble d’accord sur ce point… Enfin, je n’aborderai pas la problématique au travers des questions juridiques. Les positions avancées dans ce cadre sont nombreuses et contradictoires, et je n’ai pas l’expertise pour les arbitrer.
En revanche, je voudrais poser deux questions.
La première question porte sur la légitimité de la représentation. Dès lors que, selon la Constitution, le Sénat représente les collectivités territoriales de la République, qui a le plus de légitimité pour mener à bien cette mission ?
De toute évidence, les élus locaux, en particulier les maires, ont cette légitimité. Personne ne peut le nier ! Dans le cadre de son mandat, un maire acquiert un certain nombre de connaissances (M. Yves Détraigne opine.) qui lui permettent d’appréhender comment la loi votée par le Parlement sera appliquée sur le terrain. Or il s’agit bien de cela, d’être capable d’envisager les conséquences pratiques de l’exécution de la loi !
Mais cette légitimité vaut aussi pour les anciens maires. On ne devient pas amnésique parce qu’on a été élu sénateur ! À titre personnel, je me souviens parfaitement des seize années que j’ai passées à la mairie de Clichy-sous-Bois. Tout ne s’est pas envolé d’un seul coup ! D’ailleurs, M. Hugues Portelli a oublié un détail en évoquant le cursus honorum : en changeant de fonction, on abandonnait l’ancienne ; on n’était pas tribun et questeur en même temps.
Voilà donc un point très important. Rien n’interdit à un élu local de devenir sénateur, mais rien ne l’empêche non plus de démissionner. Son expertise et sa légitimité n’en seront pas diminuées.
Par ailleurs, il n’est pas forcément nécessaire d’être maire ou président d’un exécutif local pour acquérir cette expertise. Je ne suis pas d’accord avec les propos qui ont été tenus sur le sujet, selon lesquels un conseiller municipal n’a pas le même niveau d’expertise. Bien sûr que si ! Il connaît aussi son territoire. Je dirai même, quitte à faire un peu de provocation, qu’il a dans certains cas une meilleure connaissance de la population que le maire lui-même, plus au fait des dossiers que de la situation de ses administrés. (Protestations sur plusieurs travées.)
M. Georges Labazée. Exact !
M. Raymond Vall. C’est nul !
Mlle Sophie Joissains. C’est faux !
M. Claude Dilain. Je savais que mes propos allaient susciter des réactions.
J’ai entendu à plusieurs reprises que nous devions être enracinés dans le territoire. Mais les élus locaux sont-ils les seuls à l’être ? Ne pensez-vous pas, mes chers collègues, qu’un médecin,…
M. Éric Doligé. Il n’y en a plus !
M. Claude Dilain. … un commerçant, un éducateur, un enseignant n’a pas une connaissance aussi approfondie de son territoire ? Je vais vous faire un aveu : pendant plus de seize ans, j’ai cumulé la fonction de maire de Clichy-sous-Bois et une activité de pédiatre libéral dans cette ville, et je vous assure que j’ai appris autant de choses dans mon bureau de maire que dans mon cabinet de médecin.
M. René-Paul Savary. Très bien !
M. Michel Vergoz. Exact !
M. Claude Dilain. L’expertise dont je me sers ici, je la tire autant de la première expérience que de la seconde !
S’il est indiscutable que les élus locaux ont un point de vue sur les questions que nous traitons dans cette enceinte, ont-ils pour autant le monopole de la défense des collectivités territoriales ? Non ! Il serait donc intéressant que d’autres points de vue puissent aussi s’exprimer.
M. Gérard Longuet. Mais ils s’expriment !
M. Claude Dilain. Je dirais même qu’à travers son activité le Sénat peut permettre de rassembler ces différents points de vue.
La seconde question – je m’étonne que l’on n’en parle pas plus – est celle du conflit entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.
Vous allez me dire que le pouvoir législatif national n’a rien à voir avec un pouvoir exécutif local… Relisez les comptes rendus de nos séances ! Vous verrez combien de présidents d’exécutif local, à cette tribune, ne font que défendre les intérêts de leur collectivité territoriale.
M. Rémy Pointereau. Et alors ?
M. Claude Dilain. Je ne les blâme pas. Ils ont été élus pour cela.
M. Rémy Pointereau. Ben oui !
M. Claude Dilain. Ils doivent donc le faire. Mais si nous avons été élus à l’Assemblée nationale ou au Sénat, c’est pour élaborer la loi de tous les Français !
M. Gérard Longuet. Pas seulement !
M. Claude Dilain. Il y a là, me semble-t-il, une confusion très préjudiciable et j’en ai assez d’entendre des membres de cette assemblée, dans cet hémicycle, prétendre que ce qui est bon pour leur ville l’est aussi pour la France et que ce qui n’est pas bon pour leur ville ne l’est pas non plus pour le pays. Je vous assure que je ne suis pas caricatural…
Enfin, s’agissant de la question du contre-pouvoir, le professeur Olivier Beaud nous a expliqué lors de son audition que les « barons locaux » – il a, me semble-t-il, employé le terme – étaient nécessaires car ils constituaient un contre-pouvoir. Certes, mais avez-vous vraiment le sentiment que les citoyens aspirent à ce genre de contre-pouvoirs ? N’attendent-ils pas autre chose ? C’est un point important et je vous demande d’y réfléchir.
Pour toutes ces raisons, c’est en conscience que je voterai ce texte, et non simplement pour respecter un engagement du Président de la République ou une consigne. (Bravo ! et applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste. – Mme Hélène Lipietz applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. De nombreux arguments ont été avancés et j’imagine, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous aurons l’occasion de les reprendre dans les heures qui viennent.
Je ne m’étends pas sur l’argument, déjà entendu s’agissant d’autres textes institutionnels, selon lequel, plutôt que d’examiner ce genre de projets de loi, nous ferions mieux de concentrer le débat sur les vrais sujets intéressant les Français – la situation économique, les problèmes de sécurité, les questions internationales, etc. Fort bien ! Mais, dans ce cas, prévoyons immédiatement d’interdire à l’Assemblée nationale ou au Sénat, en temps de crise, d’aborder toute une série de questions.
M. Éric Doligé. Il y a des priorités !
M. Manuel Valls, ministre. On pourrait y inclure les questions d’actualité et les questions au Gouvernement et, ainsi, priver chacun d’entre vous d’une partie de ses prérogatives.
Par conséquent, je ne crois pas cet argument pertinent. Ce projet de loi est essentiel. Vous l’avez vous-mêmes dit, c’est un changement, une révolution. Comme je l’ai souligné dans mon intervention liminaire, ses effets sont importants et il faut donc imaginer les conséquences à terme, comme cela a été dit tant par ceux qui s’opposent à ce texte que par ceux qui le soutiennent. Je l’assume, c’est un changement, une révolution !
Certains d’entre vous – je pense notamment à M. Mézard – ont évoqué l’évolution de mes positions en ce domaine. J’observe, à cet égard, que vous êtes nombreux à défendre l’idée d’une spécificité sénatoriale, ce qui signifie que vous êtes favorables à la fin du cumul de mandats pour les députés.
Pour ma part, effectivement, j’ai évolué et cela me semble tout à fait honorable. Il ne s’agissait pas d’un diktat. Le parti socialiste est une grande formation politique et il a décidé de consulter ses militants. Le choix qui en a résulté n’est pas uniquement le choix de Mme Martine Aubry, c’est le choix des militants. François Hollande a porté ce choix dans le cadre d’une primaire où tous les candidats socialistes ont défendu cette idée parce qu’elle s’était imposée à nous.
Évidemment, il y a notre conscience – encore que, sur ce sujet, ne faisons tout de même pas trop appel à la conscience – et nos engagements politiques. Mais il y a aussi les engagements du candidat, aujourd’hui Président de la République, devant les électeurs.
Par ailleurs, même si, comme le rappelait M. Dilain, la question du temps n’est pas essentielle, je sais qu’il est particulièrement difficile d’exercer simultanément un mandat de député et une fonction de maire et de président d’une agglomération, quand bien même celle-ci n’est située qu’à trente kilomètres de Paris. Mais des arguments ont été avancés sur la question.
Ce n’est pas un problème personnel, monsieur Mézard. C’est un problème politique, lié à la conception que l’on peut avoir, aujourd’hui, et du rôle des élus locaux et du rôle du Parlement.
De ce point de vue, j’attire votre attention sur le fait que je n’ai jamais employé le terme « cumulards », étant sensible à sa très grande connotation négative. Comme je l’ai déjà mentionné, je connais l’implication des élus locaux et le rapport affectif que l’on peut entretenir avec la collectivité locale que l’on anime, tout en étant parlementaire. Je ne jette l’opprobre sur personne. Je sais ce que la rupture de cette relation peut avoir de douloureux, y compris pour celui qui est nommé ministre.
En effet, j’attire votre attention sur le fait qu’avec certaines argumentations entendues ici, on pourrait parfaitement démontrer qu’un ministre peut aussi être responsable d’un exécutif local. C’est tout de même ce qui s’est passé pendant des années, avant que l’on ne décide de mettre fin à ces pratiques. Cette décision a été prise non pas par tout le monde, mais par ce gouvernement et à la demande de l’actuel Président de la République.
Quoi qu’il en soit, étant ministre et ayant été maire d’une ville pendant onze ans, je suis conscient de ce que représente une telle rupture.
Pour autant, je maintiens qu’elle est la conséquence de trente ans de décentralisation. On ne peut à la fois évoquer les grandes heures de la IIIe République et ignorer les compétences des élus locaux dans une France décentralisée.
Je n’ai pas parlé de « cumulards » ni d’« apparatchiks » selon l’expression employée par certains. Je le dis avec tranquillité une nouvelle fois, ces termes sont déplacés et aucun sénateur, quelles que soient les travées sur lesquelles il siège, ne mérite le mépris.
De toute façon, celui qui est candidat, qu’il soit maire ou président d’une assemblée délibérante, peut ensuite abandonner ce mandat en étant au clair avec les électeurs, donc le corps des élus. Le candidat se fait élire par les élus, qui le choisissent. Tous les conseillers municipaux ne sont pas des « apparatchiks » ! Par conséquent, ce procès est tout à fait insupportable.
Par ailleurs, monsieur Mézard, il se trouve que je connais Simon Sutour depuis bien plus longtemps que vous.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Oui !
M. Manuel Valls, ministre. Les propos que vous avez tenus à son égard – j’entre là dans un débat entre parlementaires, et je vous prie de m’en excuser – ne correspondent pas du tout à la réalité de ce département. S’il a été élu, c’est parce qu’il a été candidat, et s’il a été candidat, c’est parce qu’il avait suffisamment d’expérience et de connaissance sur ce département. En outre, il a participé à régénérer la vie politique dans le département du Gard. Tous ceux qui sont élus ont une légitimité, qu’il nous faut accepter, au lieu de la qualifier avec des mots qui se veulent blessants. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Hélène Lipietz applaudit également.)
Certains d’entre vous ont mis en cause l’usage de la procédure accélérée. Or, je veux le redire, c’est, au nom de la clarté démocratique, au moment où les formations politiques, auxquelles nombre d’entre vous appartiennent, désignent leurs candidats aux élections municipales qu’il est nécessaire que la règle soit connue, pour éviter toute incertitude.
Cette loi sera, en tout état de cause, promulguée avant les élections municipales de 2014, et plus tôt elle le sera, plus le choix de nos concitoyens pourra avoir lieu dans la clarté. Elle ne pouvait pas s’appliquer à partir de 2014 pour des raisons que j’ai indiquées, de nature constitutionnelle et politique.
Si vous êtes tous indépendants, la plupart d’entre vous militent dans des formations politiques de longue date.
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. Manuel Valls, ministre. Il faut respecter ces partis politiques. Vous demandez le respect du Sénat eu égard au rôle qui lui est dévolu dans la Constitution, mais les partis politiques participent aussi – c’est inscrit dans la Constitution – à la vie démocratique de notre pays.
Heureusement qu’il y a des formations politiques. Que veut dire cette mise en cause de ces formations politiques, si ce n’est pas du populisme ? Cela ne signifie pas pour autant qu’il ne peut y avoir de liberté de candidature. C’est aux électeurs ou aux élus de choisir.
Enfin, j’ai entendu l’argument selon lequel la Constitution exige un traitement spécifique du Sénat. Pourtant, je le répète, rien dans la Constitution ne permet de justifier une telle position.
Tout d’abord, il faut rappeler que les sénateurs font déjà, en droit actuel, l’objet des mêmes inéligibilités et incompatibilités que les députés, et ce depuis très longtemps, comme certains d’entre vous ont eu l’honnêteté de le rappeler. Ainsi, les mêmes règles de cumul entre mandats locaux sont applicables aux sénateurs et aux députés.
L’article 24 de la Constitution – nous l’avons tous cité – qui a trait au rôle spécifique du Sénat ne justifie d’ailleurs en rien un traitement différencié des sénateurs. Cet article prévoit en effet que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République. Le Conseil constitutionnel a eu à plusieurs reprises l’occasion de préciser les conséquences de cet article. Ce dernier considère, depuis sa décision du 6 juillet 2000, que le Sénat doit, dans la mesure où il assure la représentation des collectivités territoriales de la République, être élu par un corps électoral qui est lui-même l’émanation des collectivités, et que par suite ce corps doit être essentiellement composé de membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales. Il n’existe donc aucune raison constitutionnelle de faire bénéficier les sénateurs d’un régime différent de celui qui s’appliquerait aux députés.
Après analyse, rien ne justifie donc juridiquement un tel traitement.
Par ailleurs, distinguer les députés et les sénateurs ne serait ni pertinent ni opportun. Il s’agit là d’un débat non plus juridique, mais politique. Par exemple, les contraintes de disponibilité – cela reste, pour moi, un argument, monsieur Dilain – inhérentes à l’exercice du mandat de député et de sénateur sont identiques : le Sénat et l’Assemblée nationale assurent tous deux la fonction législative. En outre, la revalorisation de la fonction parlementaire a concerné les deux chambres à l’identique. Sénateurs comme députés votent la loi, contrôlent l’action du Gouvernement, évaluent les politiques publiques, conformément aux articles de notre Constitution.
Tout traitement différencié entre les sénateurs et les députés, au regard du régime de cumul avec les responsabilités locales risquerait de donner à croire que les sénateurs ont une importance moindre par rapport aux députés, alors que vous revendiquez les mêmes droits dans la procédure législative. C’est là où je ne vous suis pas sur ce sujet. Nous avons un désaccord de fond, tout à fait respectable. D’ailleurs, de ce point de vue, cet argument n’est pas seulement d’autorité ; c’est aussi évidemment le sentiment de l’Assemblée nationale. C’est pourquoi, dans le respect de la Constitution, le Gouvernement a choisi d’appliquer ce régime uniforme aux députés et aux sénateurs.
Enfin, je souhaite dissiper toute ambiguïté quant aux rôles respectifs de l’Assemblée nationale et du Sénat dans l’adoption du texte tels que le Gouvernement les envisage.
Certains d’entre vous, implicitement ou de manière plus directe, ont évoqué le pouvoir de veto qui serait accordé au Sénat sur cette réforme au cas où la solution législative adoptée définitivement ne serait pas votée par votre chambre dans des termes identiques à ceux de l’Assemblée nationale. Ce serait faire fi, de mon point de vue, des évolutions importantes dans l’interprétation que nous pouvons donner à l’article 46 de notre Constitution en matière de lois relatives au Sénat.
Comme vous vous en souvenez sûrement, l’interdiction du cumul, cela a été souligné, entre un mandat parlementaire et l’exercice de fonctions exécutives locales prévue par le projet de loi organique présenté par le gouvernement de Lionel Jospin en 1998 avait achoppé en raison du refus du Sénat.
En effet, la jurisprudence d’alors du Conseil constitutionnel sur la notion de lois organiques relatives au Sénat avait conduit le Gouvernement à rechercher un vote conforme, comme le prévoit le quatrième alinéa de l’article 46 de la Constitution, qui détermine la procédure d’adoption des lois organiques relatives au Sénat. Ce faisant, l’Assemblée nationale avait donc dû entériner le recul du Sénat par rapport aux dispositions ambitieuses qui étaient proposées par le Gouvernement.
Depuis 2009, le Conseil constitutionnel a fait évoluer sa jurisprudence sur la définition des lois organiques relatives au Sénat. Le commentaire de la décision du 12 avril 2011 est très éclairant, indiquant à ce sujet que le Conseil constitutionnel juge désormais constamment qu’est une loi relative au Sénat une loi qui lui est propre. Tel n’est pas le cas d’une loi dont les mêmes dispositions concernent les deux assemblées.
Ce commentaire est l’aboutissement d’une série de décisions débutée avec la décision du 3 mars 2009. Ne tordez pas les propos que j’ai tenus en commission des lois ; ils font clairement référence à ce que je viens de vous dire : nous ne sommes plus dans la situation qui était la nôtre en 2000. Même si je souhaite que vous puissiez épouser cette réforme indispensable de nos institutions et accompagner le mouvement de modernisation, de transformation de la vie publique, le vote du Sénat n’est donc pas aujourd’hui nécessaire, précisément parce que le texte de loi ne distingue pas un régime distinct pour les sénateurs par rapport aux députés. (M. Philippe Bas s’exclame.) Le Gouvernement souhaite qu’il en demeure ainsi jusqu’à son adoption définitive, y compris dans le cas où votre chambre en adopterait une version différente sur ce point essentiel.
Mesdames, messieurs, je respecte le Sénat et je suis ici au banc des ministres, comme mes prédécesseurs ou comme mes successeurs, pour écouter attentivement votre expression. Ce débat est tout à fait noble, mais j’ai invité le Sénat à épouser ce mouvement de l’Histoire, cette réforme, au nom du respect que j’ai pour votre assemblée. En effet, je vois bien le risque que vous courez, mesdames, messieurs les sénateurs. En vous opposant à un texte, alors que vous savez quel sera le vote final de l’Assemblée nationale, vous risquez, par ce vote, de prêter le flanc à la critique et à la caricature,…
M. Rémy Pointereau. Et alors ?
M. Jean-François Husson. Passage en force !
M. Manuel Valls, ministre. … mais c’est votre liberté. Écoutez-moi jusqu’au bout, s’il vous plaît.
Je connais la qualité du travail du Sénat, je l’ai constaté sur la loi antiterroriste ou sur les questions d’immigration que j’ai eu à présenter devant vous. Je sais la qualité de vos rapports parlementaires, la qualité de chacun d’entre vous dans son lien avec le territoire, mais je connais aussi l’histoire du Sénat.
Le Sénat peut être rebelle…
M. Jean-François Husson. Résistant !
M. Manuel Valls, ministre. … – vous y faisiez allusion. Il peut aussi empêcher des évolutions, comme il l’a fait plus récemment pour le cumul des mandats – j’ai évoqué ce point voilà un instant. Il a connu des moments moins glorieux, dans les années vingt et trente, quand, à plusieurs reprises, alors que l’Assemblée nationale avait avancé sur le droit de vote des femmes, non seulement il n’a pas accepté ce principe, mais il a même refusé d’examiner le sujet. (M. Philippe Bas s’exclame.)
M. Jean-Claude Frécon. Oui !
M. Manuel Valls, ministre. Faisons attention, monsieur Bas : au-delà de tous les arguments, et nous les échangeons, l’enjeu est aussi, pour le Sénat, son rapport à l’opinion et pas seulement aux élus. D’ailleurs, certains d’entre vous l’ont compris.
Je vois bien l’argument : il faudrait une réforme institutionnelle, un nouvel acte de la décentralisation, de vrais pouvoirs pour les collectivités territoriales, un statut de l’élu pour évoluer, certains prévoyant un dispositif qui s’appliquerait non pas aux maires des grandes villes, aux présidents de conseil général ou régional, mais avec un seuil. Cela veut bien dire qu’une prise de conscience s’est faite concernant la nécessité de limiter le cumul des mandats.
Nous vous proposons d’aller plus loin, c’est-à-dire d’aller vers cette interdiction. Pour ma part, sans être naïf, car je suis lucide, j’ai un peu d’expérience et j’entends ce qui est dit comme ce qui ne l’est pas, et, même si, je le sais, ce sera difficile, je souhaiterais, pour le Sénat et pour notre démocratie, que nous allions ensemble jusqu’au bout. Vous connaissez par ailleurs la détermination du Gouvernement.
En tout cas, je vous remercie tous, mesdames, messieurs les sénateurs, de la qualité de vos arguments et de l’exposé de vos convictions respectives. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste. – Mmes Hélène Lipietz et Jacqueline Gourault ainsi que M. Michel Mercier applaudissent également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?…
La discussion générale commune est close.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. M. Mézard et les membres du groupe RDSE ont déposé une motion tendant au renvoi à la commission du projet de loi organique. La commission des lois, ainsi que je l’ai dit tout à l’heure, va se réunir immédiatement, et, comme il convient qu’elle donne un avis sur cette motion, j’informe les membres de la commission que cet avis sera ajouté à l’ordre du jour de sa réunion.
Conformément au règlement du Sénat, la motion devrait être discutée à la reprise de nos travaux et, si elle était adoptée, la commission des lois se réunirait de nouveau.