M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui aborde un sujet éminemment complexe, et dans des conditions que nous pouvons toutes et tous regretter.
Nous sommes en effet appelés à débattre sous injonction du Conseil constitutionnel, dans un calendrier en quelque sorte défini par lui, puisque la loi doit impérativement modifier avant le 1er octobre prochain les dispositions relatives tant aux fameuses « unités pour malades difficiles » qu’aux « irresponsables pénaux ».
Contrairement à ma collègue, Mme Deroche, je pense quant à moi que la responsabilité de cette situation est principalement à rechercher du côté du précédent gouvernement.
M. Jean Desessard. Ah oui !
Mme Laurence Cohen. En 2011 – même si je n’étais pas encore sénatrice, je m’en souviens –, le Gouvernement, sourd aux mises en garde émanant de parlementaires de gauche, avait été contraint de revoir sa copie en cours de route,…
M. Jean Desessard. Oui !
Mme Laurence Cohen. … une autre décision du Conseil constitutionnel l’obligeant à réduire la durée pendant laquelle l’intervention du juge des libertés et de la détention n’était pas obligatoire.
M. Jean Desessard. Eh oui !
Mme Laurence Cohen. Si cette proposition de loi obéit comme la précédente à un calendrier contraint, nous ne pouvons que nous réjouir que, contrairement à la loi du 5 juillet 2011, elle tourne le dos – même si c’est de manière moins radicale que ce que le groupe CRC aurait souhaité – à l’approche sécuritaire de la psychiatrie, qui faisait d’abord et avant tout du malade un suspect en puissance.
M. Jean Desessard. Très bien !
Mme Laurence Cohen. La maladie mentale n’était abordée que sous l’aspect des troubles qu’elle générait et qu’il fallait endiguer. Souvenons-nous que la loi du 5 juillet 2011 répondait essentiellement à la volonté de Nicolas Sarkozy de faire la démonstration qu’il ne demeurait pas inactif face au crime de Grenoble.
M. Jean Desessard. Tout à fait !
Mme Laurence Cohen. Voilà comment nous nous sommes retrouvés face à une loi décriée par la quasi-unanimité des professionnels de santé, par la totalité des associations de patients, d’usagers et de proches de personnes atteintes de troubles mentaux ainsi que par les syndicats d’avocats et de magistrats.
Depuis la décision du 26 novembre 2010, nous savons aussi que cette proposition de loi n’est pas conforme à nos principes constitutionnels, et ce précisément parce que la volonté sécuritaire de Nicolas Sarkozy a conduit le gouvernement précédent à rédiger et à faire adopter une proposition de loi qui méconnaissait les principes fondamentaux et les libertés individuelles, que notre Constitution garantit.
Indiscutablement, cette nouvelle proposition de loi rompt avec cette logique, et nous ne pouvons que nous en réjouir,…
M. Jean Desessard. Oui !
Mme Laurence Cohen. … même si nous regrettons qu’elle se focalise elle aussi sur la question des soins sous contrainte, laissant les professionnels et les patients dans l’attente d’une grande loi de santé mentale.
Le fait qu’une nouvelle fois la psychiatrie ne soit abordée que sous l’angle des soins sous contrainte constitue nécessairement une approche réductrice de la psychiatrie alors que notre pays a toujours été le fer de lance d’une psychiatrie humaine et bienveillante.
Disant cela, je pense particulièrement à l’apport du docteur Lucien Bonnafé qui voulait « détruire le système asilaire et bâtir son contraire sur ses ruines », ce qui a conduit à la « psychiatrie de secteur », fondée par la circulaire du 15 mars 1960, une approche résolument moderne des soins psychiatriques dans laquelle les infirmières et infirmiers jouent un rôle central. Ces derniers ne sont plus limités à un rôle de gardiens, mais deviennent de véritables acteurs de soins, permettant enfin, et pour la première fois, aux équipes de psychiatrie de sortir des murs de l’hôpital et de travailler dans la ville, sur le terrain, avec celles et ceux qui s’y trouvent. Bonnafé avait une volonté de désaliéner la folie afin de « restaurer le potentiel soignant existant dans le peuple ».
C’est pourquoi je suis convaincue que nous avons besoin d’une grande loi de santé mentale et qu’un tel débat nous aurait permis – et j’espère qu’il nous permettra –, ensemble, de renoncer à la notion même de soins ambulatoires sans consentement, rebaptisés ici « programmes de soins », qui reposent de mon point de vue sur une confusion entre soins et « prise de médicament » ; la contrainte continue à s’étendre dans la cité alors qu’elle était auparavant circonscrite à l’hôpital.
Pour nous, il est au contraire urgent de desserrer l’étau de la contrainte. Je dois d’ailleurs dire que nous nous réjouissons de l’amendement, présenté par notre collègue Jacky Le Menn, tendant à préciser que les programmes de soins ne peuvent en aucun cas être mis en œuvre sous la contrainte. Cela constitue une première étape, même si nous savons pertinemment qu’une contrainte indirecte existe, puisque le non-respect du programme de soins peut entraîner le retour à une hospitalisation complète.
Comme vous le savez, la décision du Conseil constitutionnel ne rendait pas obligatoire, d’un point de vue juridique, l’intervention du législateur sur cette question. Il nous aurait été possible de rester inactifs dans l’attente de la date butoir du 1er octobre 2013 pour que les dispositions concernant les UMD, déclarées non conformes à la constitution, tombent d’elles-mêmes.
Le député Denys Robiliard a fait le choix de légiférer ; cela n’est pas anodin, puisque cela a pour effet de repositionner les UMD, qui ne sont après tout que des services particuliers – notre collègue les a qualifiés d’ « intensifs » –, qui apportent une réponse particulière à l’état d’un patient à un moment donné. En effet, rien ne justifiait, outre la volonté de certains de stigmatiser les patients en UMD, de confier à ces services une dimension législative, quand les autres services hospitaliers ne font eux, généralement, que l’objet d’un traitement réglementaire. Aussi, en replaçant les UMD dans le droit commun de l’hospitalisation complète, la présente proposition de loi rompt avec l’amalgame, voulu par le précédent gouvernement, entre les malades difficiles, présentant des besoins particuliers auxquels il faut répondre, et les malades dangereux.
Il est un autre apport significatif de cette proposition de loi : les dispositions relatives aux personnes déclarées pénalement irresponsables. L’auteur de la proposition de loi a souhaité maintenir un régime juridique qui leur soit spécifique. Toutefois, il sera désormais limité aux seules personnes ayant commis des actes d’une particulière gravité, c’est-à-dire ceux pour lesquels les peines encourues sont d’au moins cinq ans d’emprisonnement s’agissant des atteintes à la personne et de dix ans d’emprisonnement s’agissant des atteintes aux biens.
Afin de mettre notre droit en conformité avec la Constitution, sur la base de la décision rendue le 20 avril dernier, ce texte modifie, comme pour les patients en UMD, le régime d’entrée et de sortie d’hospitalisation sans consentement. Cette mesure est positive. Elle a même été considérablement améliorée depuis que notre commission a adopté, sur l’initiative de M. le rapporteur, un amendement supprimant l’obligation d’une double expertise psychiatrique en complément de l’avis du collège prévu par la loi pour que le juge se prononce sur la mainlevée des soins sans consentement. Ce traitement discriminatoire nous paraissait injustifié et aurait fait courir le risque d’une nouvelle sanction du Conseil constitutionnel. Avec l’adoption de cet amendement, le texte est plus juste et écarte, sur ce point du moins, un tel risque.
De plus, l’intervention du juge des libertés et de la détention, dont je souhaite rappeler qu’il a pour mission de veiller à ce qu’aucune mesure privative de liberté ne soit décidée de manière arbitraire, est portée de quinze à douze jours. Cette réduction est bienvenue, même si, comme M. Robillard, nous aurions préféré que le JLD intervienne dans un délai n’excédant pas dix jours. Notre groupe a d’ailleurs déposé un amendement en ce sens.
Enfin, je voudrais une nouvelle fois saluer l’apport significatif de M. le rapporteur, Jacky Le Menn, qui, par voie d’amendement en commission, a supprimé les dispositions relatives à la visioconférence ; à cet égard, je suis particulièrement satisfaite des propos tenus par Mme la ministre.
Vous l’aurez compris, d’une manière générale, l’analyse que mes collègues du groupe CRC et moi-même portons sur cette proposition de loi, notamment modifiée par M. le rapporteur en commission, est positive. J’espère d’ailleurs que ce texte sera enrichi par nos débats et par l’adoption d’un certain nombre de nos amendements.
En effet, à l’image de ma collègue Jacqueline Fraysse, députée, je regrette profondément que cette proposition de loi n’ait pas réduit, pour ne pas dire supprimer, le rôle du représentant de l’État dans le processus d’hospitalisation sans consentement.
Naturellement, les décisions prises par le préfet, singulièrement en matière d’hospitalisation sans consentement, sont encadrées. Il n’en demeure pas moins que nous sommes réticents à l’idée qu’il puisse, afin d’éviter un trouble à l’ordre public, décider de l’hospitalisation de l’un de nos concitoyens ou de nos concitoyennes. Nous avons déposé à ce sujet plusieurs amendements qui nous donneront l’occasion d’en débattre, même si je prends note de l’adoption de certains autres, présentés par M. le rapporteur, qui tendent, là encore, à réduire les prérogatives du représentant de l’État.
Pour notre part, nous plaidons pour la suppression de l’hospitalisation sans consentement en cas de troubles à l’ordre public et souhaitons qu’à terme, afin d’éviter les risques d’hospitalisations arbitraires, celle-ci ne soit possible que si la personne présente des troubles mentaux dont la nature même empêche son consentement et qui compromettent la sûreté d’autrui ou de la personne elle-même.
Conformément à ce que nous avions défendu en 2011, nous sommes favorables, comme bon nombre de professionnels et comme le propose le Syndicat de la magistrature, à une suppression de la dualité entre la procédure d’admission à la demande d’un tiers et la procédure d’admission à la demande du représentant de l’État, précisément dans le but de réduire les possibilités d’intervention de ce dernier.
Je regrette également que cette proposition de loi ait maintenu ce que toutes et tous à gauche, au Sénat, avions dénoncé comme étant une forme de garde à vue psychiatrique de soixante-douze heures, imposant aux personnes atteintes de troubles mentaux des mesures privatives de liberté particulièrement dérogatoires au droit commun.
De la même manière, la proposition de loi ne remet nullement en cause la possibilité offerte aux procureurs de la République de supprimer l’effet suspensif d’une délibération du juge des libertés et de la détention visant à procéder à la mainlevée de la mesure d’hospitalisation, contraignant ainsi le patient à rester hospitalisé sans son consentement, alors même qu’un juge des libertés et de la détention avait prononcé une décision de remise en liberté. Généralement, en droit commun, les mesures libératoires sont exécutoires. Pour nous, rien ne doit s’opposer à ce que ce principe s’applique aux personnes hospitalisées sans leur consentement.
Enfin, si nous saluons la réintroduction dans la loi d’un mécanisme de sortie d’essai, qui reposerait sur un principe d’autorisation sauf opposition, nous considérons que les durées demeurent trop courtes et qu’il aurait fallu dissocier le cas des sorties réalisées avec un proche de celles réalisées avec un membre de la communauté médicale.
Toutefois, malgré toutes ces réserves, vous l’aurez compris, le groupe CRC votera cette proposition de loi. Il s’agit d’une étape positive avant une loi globale concernant la santé mentale qui, je l’espère, ne devrait plus tarder à nous être soumise. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini. (Mme Catherine Deroche applaudit.)
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans un premier temps, je voudrais m’élever avec force contre les conditions dans lesquelles notre commission a été amenée à examiner ce texte.
La décision du Conseil constitutionnel datant du 20 avril 2012, le Gouvernement se devait de réagir plus rapidement. Cette manière de procéder n’est pas acceptable, car la question des soins psychiatriques est un sujet trop important pour le traiter à la légère, ce que nous ne ferons pas.
Nous avons tous longuement débattu de cette question en 2011, lors de l’examen au Sénat de la loi du 5 juillet 2011. Vous vous souvenez certainement, mes chers collègues, des incidents qui avaient émaillé cette discussion.
En tant que rapporteur de ce texte de loi, j’étais totalement hostile aux « soins sans consentement en ambulatoire », ce qui m’avait finalement amenée à démissionner de mon poste de rapporteur et à m’abstenir sur le texte. Je n’avais pas voulu voter contre, car j’approuvais toute la partie de la loi concernant le respect des libertés individuelles.
Je ne suis donc pas étonnée de la décision du Conseil constitutionnel. Il affirme en effet qu’« aucune mesure de contrainte à l’égard d’une personne prise en charge en soins ambulatoires ne peut être mise en œuvre pour imposer des soins ou des séjours en établissement sans que la prise en charge du patient ait été préalablement transformée en hospitalisation complète ».
Je ne suis pas non plus étonnée de la demande du Conseil constitutionnel de remettre les unités pour malades difficiles dans le droit commun des services hospitaliers. Il s’agit d’une unité de soins, d’un service spécifique, certes, mais au même titre qu’un service de soins de réanimation dans un autre hôpital.
Malgré tout, on ne peut pousser la comparaison plus loin. En effet, dans une UMD sont admis certains malades momentanément très agités et qui retourneront dans leur service initial, une fois la crise passée. Mais ces UMD accueillent aussi des malades déclarés irresponsables pénalement. Or ces malades ont quand même commis des infractions pénales.
C’est sur ce point que naît mon inquiétude. Comment se prémunir de la récidive d’une personne jugée pénalement irresponsable retrouvant la liberté comme tout autre malade ? On ne peut d’ailleurs pas parler de récidive, puisque cette personne n’a pas été jugée.
Je note que la proposition de loi que nous étudions aujourd’hui tente de concilier la liberté individuelle et la prévention des atteintes à l’ordre public. Je sais combien tout ce qui touche aux soins psychiatriques est sensible et je comprends l’embarras du rédacteur de cette proposition de loi.
Cependant, vous comprendrez notre inquiétude de savoir qu’un patient ayant commis des faits pour lesquels les peines encourues sont d’au moins cinq ans d’emprisonnement, s’agissant des atteintes à la personne, et d’au moins dix ans d’emprisonnement, s’agissant des atteintes aux biens, se retrouve à l’extérieur, sans garantie de la poursuite de ses soins.
La première partie de mon intervention a concerné spécifiquement les articles qui répondent à la décision du Conseil constitutionnel et qui doivent être adoptés avant le 1er octobre.
Je vais maintenant parcourir l’ensemble du texte et formuler certaines observations.
Je note que l’article 1er vise à préciser que les soins ambulatoires sans consentement ne peuvent entraîner de mesures de contrainte. Je me suis tellement battue pour faire comprendre cette évidence en 2011 que je n’en reviens pas qu’on y arrive deux ans après. C’est un bel exemple du bon sens des parlementaires de terrain confrontés aux rigidités des ministères !
J’approuve également le contenu de l’article 2 tendant à encadrer précisément les sorties d’essai.
Concernant l’article 5, je voudrais attirer votre attention sur le fait que le raccourcissement du délai entre l’hospitalisation et la décision du juge va augmenter fortement la charge des juges des libertés et de la détention.
En effet, jusqu’ici, il était courant que les patients sortent avant les quinze jours précédemment requis. De l’avis d’un syndicat de magistrats que j’ai consulté, l’augmentation de la charge pourrait aller de 20 % à 40 %, ce qui ne va pas manquer de poser des questions de moyens et de personnels, tant pour les juges que pour les greffiers.
Je souhaite saluer le brillant travail de M. le rapporteur, Jacky Le Menn – mais cela ne m’a pas étonnée. Il a amélioré ce texte de loi sur des points importants, notamment sur la localisation de l’audience dans le cadre du contrôle juridictionnel. Il est indéniable que, dans l’état actuel du droit, l’organisation des audiences reste compliquée. La visioconférence n’est vraiment pas une bonne solution. Pourquoi accorder un nouveau droit tout en retenant des modalités qui le rendent inopérant, voire néfaste pour le bien-être du patient ?
Il convient de tenir compte à ce sujet des recommandations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui, dans son avis du 14 octobre 2011, mettait en exergue le fait que le développement inconsidéré d’une telle technique comportait le risque de porter atteinte aux droits de la défense s’agissant des soins psychiatriques sans consentement. Il indiquait notamment que, dans de nombreux cas, « la visioconférence constitue un affaiblissement des droits de la défense en ce qu’elle met fin à la présence physique du comparant qui est aussi un moyen d’expression. […] Elle suppose une facilité d’expression devant une caméra ou devant un pupitre et une égalité à cet égard selon les personnes qui sont loin d’être acquises, notamment pour celles souffrant d’affections mentales ».
Ces quelques améliorations au texte de loi de 2011 ne règlent en rien, ou seulement en petite partie, les problèmes posés par la santé mentale. Depuis de nombreuses années, on nous promet une vraie loi complète pour mieux prendre en charge les malades psychiatriques. J’espère, madame la ministre, que vous pourrez rapidement soumettre un projet de loi au Parlement.
En conclusion, j’apporterai mon soutien à cette proposition de loi, dans sa version modifiée par notre commission. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Mazars.
M. Stéphane Mazars. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord, à l’instar des orateurs m’ayant précédé, à déplorer les conditions d’urgence dans lesquelles le Sénat examine ce texte qui a été ajouté tardivement à l’ordre du jour de la session extraordinaire et doit, si j’ai bien compris, être impérativement adopté avant la fin du mois. Le Gouvernement avait-il oublié ce texte ? Je n’ose le croire, compte tenu de l’importance du sujet, qui touche aux droits fondamentaux, ce qui rend d’ailleurs encore moins admissible cette précipitation.
Je ne mets bien entendu nullement en cause notre rapporteur, Jacky Le Menn, qui a effectué un travail sérieux dans un délai très contraint et dont nous partageons par ailleurs les conclusions.
La proposition de loi présentée aujourd’hui modifie la loi du 5 juillet 2011 qui a réformé de manière substantielle le régime de l’hospitalisation sous contrainte afin, notamment, de se conformer aux termes d’une décision rendue par le Conseil constitutionnel, qui a exigé un contrôle juridictionnel.
Avant même l’adoption de la loi du 5 juillet 2011, il était écrit que nous aurions à y revenir ! Les ajustements, notamment par lettre rectificative du Gouvernement, auxquels elle a donné lieu au cours même de son élaboration, montraient déjà combien la réforme était mal préparée et mal ficelée. L’imbroglio qui a suivi au Sénat, avec notamment la démission du rapporteur, ce qui vient de nous être rappelé, laissait aussi percevoir un certain malaise dans la majorité d’alors.
De fait, nous avons abouti à un texte aussi alambiqué qu’inachevé : des procédures complexes, voire contradictoires, qui accordaient la prépondérance aux décisions administratives ; une réflexion loin d’être aboutie sur l’étendue du contrôle judiciaire et la gestion de la contrainte à l’extérieur de l’hôpital psychiatrique.
Enfin, comment ne pas relever l’inspiration sécuritaire de cette loi ? Personne, dans cet hémicycle, ne peut avoir oublié qu’elle fut décidée dans l’urgence et en réaction à une série de faits divers dramatiques largement médiatisés.
Déjà, en 2008, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, avait déploré que la question de la maladie mentale ait été évoquée dans le débat public à l’occasion de la discussion de textes dont la nature alimentait une confusion avec la délinquance, la violence et la dangerosité. Je pense notamment au projet de loi relatif à la prévention de la délinquance ou au projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour trouble mental.
En instaurant une sorte de « garde à vue psychiatrique », période de soixante-douze heures au cours de laquelle les patients sont privés de tous droits, et un « casier psychiatrique » pour certains d’entre eux, la loi de 2011 confirmait tristement cette dérive populiste et sécuritaire.
Les troubles psychiques recouvrent certes des réalités complexes et diverses. Ceux qui en souffrent doivent avant tout être considérés comme des personnes malades : notre devoir est donc de prendre en compte leur vulnérabilité et de les accompagner.
Cependant, le malade peut représenter un danger, pour lui-même bien sûr, mais aussi pour les autres. Nous avons donc la responsabilité de trouver un juste équilibre entre les libertés individuelles, les soins et l’ordre public.
À la suite de l’adoption de cette loi de 2011, il a fallu la mobilisation exceptionnelle, au cœur de l’été, des juridictions comme des établissements psychiatriques pour éviter ce qui apparaissait alors comme une « catastrophe annoncée », selon les propres mots des députés Guy Lefrand et Serge Blisko, dans leur rapport de suivi rendu en février 2012.
À moyens constants, le monde médical et le monde judiciaire, alors qu’ils n’avaient pas l’habitude de travailler ensemble, ont appliqué dès le 1er août 2011 des textes sur lesquels ils avaient de sérieuses réserves, dont ils ne voulaient pas et avec lesquels ils ont dû se familiariser en urgence.
Néanmoins, le rapport de nos collègues députés, de même que le rapport d’étape rendu en mai dernier par la mission d’information « Santé mentale et avenir de la psychiatrie » de l’Assemblée nationale, ont révélé des difficultés importantes dans la mise en œuvre de cette loi.
Ces difficultés ont été en partie rappelées au début de notre discussion d’aujourd’hui : lourdeur des procédures, notamment le nombre de certificats médicaux à produire, ce qui constitue une activité administrative chronophage pour les psychiatres et se heurte au faible nombre de médecins disponibles pour effectuer ces tâches ; inadaptation des conditions d’accueil des patients au tribunal et en même temps réticence de la hiérarchie judiciaire au principe même de la tenue d’audiences foraines ; conséquences mal anticipées de la suppression du dispositif de sortie de courte durée non accompagnée qui nécessite, à la fin de chaque sortie, de réinitialiser une procédure d’admission en soins.
Il est clair que le concept de « soins sans consentement hors de l’hôpital » portait en lui-même un risque sérieux de dérives et d’échecs : dérives, parce que l’on peut, par exemple, placer un malade sous ce régime pour échapper aux garanties prévues en cas d’hospitalisation complète, tout en organisant la plus grande part de sa prise en charge au sein de l’hôpital ; échecs, parce que l’offre de soins en ambulatoire n’est pas à même de répondre aux besoins réels et parce que les lourdeurs du passage d’une prise en charge à l’autre ne militent pas vraiment en faveur des soins hors les murs.
Indépendamment de ces difficultés, une réponse était attendue du législateur à la suite de la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 20 avril 2012.
Nous souscrivons largement à la philosophie du texte qui nous est présenté. Qu’il s’agisse de la suppression du régime dérogatoire de sortie des personnes ayant séjourné en UMD, de la définition d’un régime pour les personnes déclarées pénalement irresponsables prenant en compte le degré de gravité des faits commis, de la réduction du délai d’intervention du juge, du rétablissement des sorties d’essai, de l’assistance obligatoire d’un avocat ou encore de la réduction du nombre de certificats, de la suppression de la visioconférence : toutes ces dispositions vont dans le bon sens et correspondent, d’ailleurs, à des amendements défendus par le groupe du RDSE lors des débats sur la loi du 5 juillet 2011.
En ce qui concerne le déroulement des audiences du juge des libertés et de la détention au sein même de l’hôpital, nous avions émis des réserves à l’époque, mais j’admets volontiers que les patients gagneraient à être entendus par le juge dans un environnement qu’ils connaissent. À condition de doter les juridictions des moyens permettant aux juges de se déplacer, cette option semble justifiée : elle évite une promiscuité regrettable entre malades et délinquants dans les couloirs du palais de justice, respecte leur dignité et garantit l’effectivité du contrôle.
Par ailleurs, le rôle des avocats reste à consolider, car ils ont toute leur place dans le contrôle des conditions d’hospitalisation de la personne malade mentale ; pour autant, les questions de leur formation et de leur très faible rémunération lorsqu’ils sont commis d’office, ce qui est pratiquement toujours le cas, constituent des obstacles non négligeables qui devront être levés.
Enfin, je salue le travail de la commission des affaires sociales, qui a cherché à renforcer la dimension médicale des soins sans consentement et à mieux garantir le respect des droits fondamentaux des personnes malades.
D’autres questions auraient mérité d’être abordées dans ce débat, notamment le cadre territorial d’exercice de la psychiatrie. Nous attendons avec impatience que la santé mentale constitue un volet à part entière de notre politique nationale de santé. Dans cette attente, le groupe du RDSE votera sans hésiter cette proposition de loi qui se fonde sur une philosophie, une approche nouvelle, qui place clairement le patient au cœur de la démarche : il s’agit d’une rupture avec la loi précédente et nous nous félicitons ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur les travées de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici réunis en urgence pour examiner une proposition de loi visant à modifier certaines dispositions issues de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.
Ce texte de 2011, nous sommes nombreux, au sein de la commission des affaires sociales, à en garder un souvenir amer ! À l’occasion de son examen lors de la séance du 10 mai 2011, dans ce même hémicycle, j’avais dénoncé un texte qui privilégiait le sécuritaire au détriment du sanitaire. J’avais également reproché au gouvernement de l’époque, représenté par Nora Berra, secrétaire d’État chargée de la santé, de ne pas se soucier de la manière dont la loi serait appliquée et de chercher encore moins à améliorer la situation de ceux qui auraient à en subir les effets, tant il était flagrant que le projet de loi ne prévoyait pas de moyens adéquats.
La vraie histoire de la loi du 5 juillet 2011, nous la connaissons, et certains l’ont rappelée : c’était celle d’un projet de loi d’affichage ; celle d’un fait divers dramatique survenu à Grenoble et dont s’était emparé le chef de l’État dans son tristement célèbre discours d’Antony, en décembre 2008, pour mieux entretenir une logique sécuritaire et répressive des politiques publiques ; celle d’un texte qui se préoccupait peu des conditions d’accueil des malades, de la formation des professionnels et des moyens de la psychiatrie ; celle d’une conception étriquée de la psychiatrie qui désigne l’obligation de soins comme la seule réponse efficace et le médicament comme seul soin fiable.
L’idée, à l’époque, n’était pas de garantir la sûreté des malades, mais celle des non-malades, quitte à attiser la peur du malade et à rendre encore plus difficile le travail des équipes médicales et des magistrats.
Quelques mois plus tard, le juge constitutionnel a parlé. Saisi par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité – la quatrième en matière de soins psychiatriques sous contrainte en moins de deux ans –, il a déclaré contraires à la Constitution deux dispositions du code de la santé publique introduites par la loi du 5 juillet 2011 concernant le régime dérogatoire applicable à la sortie des personnes ayant séjourné en unité pour malades difficiles, UMD, ou déclarées pénalement irresponsables.
Soyons clairs : le Conseil constitutionnel n’a pas remis en cause le principe d’un régime plus strict de soins sans consentement pour certaines personnes, en l’occurrence celles ayant séjourné en UMD ou déclarées pénalement irresponsables, mais il a rappelé qu’il revient à la loi, et à la loi seulement, d’encadrer la mise en œuvre de ce régime particulier en prévoyant les garanties permettant de prévenir tout risque d’arbitraire. En effet, la privation de liberté est un sujet extrêmement sérieux et, en cette matière, seul le législateur est compétent pour préciser davantage les conditions de mise en œuvre de ce régime de soins sans consentement.
La proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui au Sénat est, pour toutes ces raisons, en elle-même une excellente chose. Elle permet au législateur de prendre acte de la décision du Conseil constitutionnel et de répondre aux dispositions jugées inconstitutionnelles. Elle nous fournit également l’occasion de prendre en compte un certain nombre d’imperfections que deux années d’application de la loi du 5 juillet 2011 ont pu faire apparaître.
Cependant, un point me préoccupe particulièrement : il s’agit de la précipitation dans laquelle ce texte est étudié, qui ne nous laisse finalement que très peu de temps pour débattre de la question de la privation de liberté, sur laquelle le Conseil constitutionnel juge indispensable que nous nous attardions.
La proposition de loi est inscrite tardivement à l’ordre du jour de la session extraordinaire de juillet à l’Assemblée nationale. Puis c’est une étude rapide, dans les derniers jours de la session de juillet, alors que le Conseil constitutionnel nous avait donné dix-huit mois pour réfléchir à la question, et une arrivée précipitée au Sénat, alors que le texte ne figurait même pas dans le premier décret de convocation de cette deuxième session extraordinaire de septembre.
Cette précipitation me paraît contraire à la volonté du Conseil constitutionnel. La prévention des risques d’arbitraire aurait mérité le travail parlementaire puisse s’effectuer dans une plus grande sérénité.
Les conditions d’examen de ce texte, madame la ministre, ne peuvent donc nous satisfaire.
Il n’en demeure pas moins que le groupe écologiste du Sénat se réjouit du contenu de ce texte qui donne la priorité au traitement médical sur le traitement carcéral de la psychiatrie.
En effet, la proposition de loi réintroduit notamment la possibilité de sorties de courte durée, supprimée par la loi de 2011 ; elle crée des modalités d’organisation des audiences plus adaptées aux personnes souffrant de troubles mentaux ; elle prévoit que les unités hospitalières spécialement aménagées, les UHSA, ne soient plus réservées aux détenus placés sous le régime de l’hospitalisation sous contrainte, mais qu’elles puissent également accueillir des détenus atteints de troubles psychiatriques qui consentiraient à des soins ; elle revient sur l’emploi trop fréquent de la visioconférence pour l’audience réglementaire avec le juge des libertés et de la détention.
Enfin, grâce à un amendement de mes collègues députés écologistes, ce texte permet aux députés, sénateurs et représentants français au Parlement européen de visiter tout établissement de santé habilité à recevoir des patients hospitalisés sans leur consentement, comme ils en ont d’ores et déjà la possibilité pour les établissements pénitentiaires, les locaux de garde à vue, les centres de rétention ou encore les zones d’attente. Ce droit est un moyen important d’information et de contrôle, par les parlementaires, des lieux de privation de liberté.
Mes collègues et moi-même tenons également à féliciter notre rapporteur, M. Jacky Le Menn, qui, dans des délais extrêmement brefs, n’a pas renoncé à mener une large concertation avec les acteurs concernés par ce texte.