Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous parlez pour votre ancienne majorité ?
M. François Pillet. Le combat contre la fraude fiscale ne date pas d’hier. Au tournant des années 2000, l’administration fiscale récupérait chaque année environ 13 milliards d’euros grâce aux contrôles dans les entreprises et chez les particuliers.
Dix ans plus tard, en 2011, ce sont 16,5 milliards d’euros qui ont été récupérés en une année.
Le travail effectué et les grandes innovations réalisées en matière de lutte contre la fraude fiscale lors de la précédente législature doivent être rappelés.
En effet, entre 2007 et 2012, ce sont plus de soixante mesures d’intensité différente qui ont été prises pour lutter contre les fraudes, que ce soit dans le domaine fiscal, social ou douanier ; vingt-trois mesures concernaient tout particulièrement la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
D’abord, en ce qui concerne la régulation des flux financiers internationaux, et notamment des activités bancaires suspicieuses, 776 conventions fiscales nouvelles ont été signées entre 2008 et mars 2009, sans oublier trente-six conventions d’assistance administrative permettant d’échanger des renseignements. À cela doit être ajouté le travail du précédent exécutif à l’occasion des réunions du G20, qui ont permis de prendre de nombreuses mesures de rétorsions applicables aux opérations économiques avec des États et territoires non coopératifs.
Dans une démarche similaire, signalons que la fraude fiscale a été incluse dans le champ des infractions prises en compte par le groupe d’action financière, plus connu sous le nom de GAFI, qui, comme chacun sait, est un organisme international chargé de promouvoir des politiques de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Toujours dans l’objectif de détecter l’évasion fiscale, rappelons la création, par un arrêté du 25 novembre 2009, d’EVAFISC, qui recueille les informations laissant présumer la détention de comptes bancaires hors de France par des particuliers ou des entreprises. On peut également évoquer EUROFISC pour lutter contre les fraudes internationales à la TVA. Concrètement, cette politique a très rapidement porté ses fruits. En effet, alors que seulement 25 000 comptes détenus par des Français à l’étranger avaient été déclarés en 2007, près de 80 000 l’ont été pour l’année 2012. Ces nouveaux instruments sont donc à l’origine de grands progrès.
Faut-il également rappeler l’instauration de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, créée par un décret du 4 novembre 2010 ? Cette brigade, plus connue sous le nom de « police fiscale », permet à l’administration fiscale de déposer plainte avant même que le délit fiscal soit caractérisé. Elle intervient notamment dans le cas des fraudes fiscales sophistiquées impliquant des montages fiscaux dans des États « à fiscalité privilégiée ». Grâce à des agents bénéficiant d’une formation croisée et dont les pouvoirs comparables à ceux de la police judiciaire, cette brigade mixte, composée de policiers et d’inspecteurs des impôts, a su trouver sa place dans la lutte contre la délinquance fiscale.
Il faut enfin évoquer le droit de communication, qui permet à l’administration fiscale d’obtenir de toutes les banques installées en France des informations sur les opérations de transferts de fonds réalisées à l’étranger. Le dispositif a concerné plus de 500 banques pour plus de 40 000 virements détectés, et ce uniquement pour la période 2006-2008.
Ces mesures de détection ont bien sûr été accompagnées d’un renforcement des sanctions et d’un allongement du délai de prescription pour les avoirs détenus à l’étranger et non déclarés, de trois à dix ans pour tous les pays sans distinction.
Une telle liste de nouvelles dispositions n’est évidemment pas exhaustive, et toutes les principales données statistiques ne peuvent pas être présentées.
Cependant, la progression des résultats, s’agissant aussi bien de la détection de l’évasion fiscale, de la réussite de la cellule de régularisation ou du nombre de plaintes déposées pour fraude fiscale, montre que le dispositif actuel de lutte contre la fraude fiscale a fait ses preuves.
À cette réussite comptable, il faut ajouter le respect d’un équilibre précaire entre, d’une part, l’octroi de davantage de moyens pour l’administration fiscale et la justice et, d’autre part, la protection des libertés fondamentales.
Les textes qui sont aujourd’hui soumis à notre examen doivent, en harmonie avec les règles existantes, être conçus comme une phase complémentaire d’adaptation de notre droit à de nouvelles formes de fraudes et de criminalité financière, qui ont été décrites par le rapporteur.
Veillons à ce que nos initiatives et nos innovations atteignent leurs objectifs : mieux cerner les terrains propices à la fraude, quantifier l’étendue de cette dernière et améliorer les outils qui permettent de la combattre, voire de la prévenir, tout en restant dans notre culture sociale et juridique, empreinte d’un souci profond du respect des libertés individuelles fondamentales.
Je tiens à saluer les travaux du rapporteur, qui ont été d’une grande qualité ; nous en soutenons les principales avancées. Mais, tout comme mon groupe, je persiste à craindre – j’y reviendrai dans mon propos de conclusion – que le projet du Gouvernement de créer un procureur financier de la République ou procureur de la République pour les affaires financières ne rompe avec l’équilibre existant.
J’émets cette remarque avec d’autant plus de bienveillance que j’ai un profond regret.
La commission d’enquête sur l’évasion des capitaux est en train de réaliser un véritable travail de fond pour diagnostiquer les dysfonctionnements et proposer des solutions. Il eût sans doute été plus pertinent d’en attendre les conclusions, annoncées au début du mois d’octobre, pour légiférer en la matière. Au demeurant, une loi pénale plus sévère ne peut pas s’appliquer aux situations en cours. Nous pouvions donc très bien patienter jusqu’à la fin des travaux de la commission, dont je suis le président et dont M. Bocquet est le rapporteur documenté et enthousiaste, un enthousiasme qui ne m'effraie pas. (Sourires.)
Disposant de pouvoirs d’investigation plus larges, nous recueillons chaque semaine des témoignages et des explications sur la fraude fiscale, les infractions économiques et les montages nouveaux qui apparaissent quotidiennement. La précédente commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion fiscale avait émis soixante et une propositions, qui ont été adoptées à l’unanimité ; l’actuelle parviendra, je n’en doute pas, à des conclusions tout aussi consensuelles.
Je crois, semble-t-il avec raison, que sur des enjeux aussi importants que la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, un travail de concertation, de recherche et d’audition comme celui que nous réalisons aurait permis d’appréhender plus largement cette vaste question, d’autant plus que certaines dispositions contenues dans le texte semblent intéressantes.
Nous aurions pu les enrichir, les renforcer et leur donner un champ d’influence sans doute plus large. Au nom de mon groupe, je le redis avec force et conviction : oui au renforcement de l'arsenal juridique contre la fraude fiscale, mais veillons à ce que le texte s'y emploie véritablement !
Nous devrions parvenir à un accord sur plusieurs points évoqués par le rapporteur et discutés en commission des lois.
Je pense ainsi à la prescription. Faire courir le délai à compter de la connaissance des faits revient à rendre le délit imprescriptible ; je ne suis pas le seul à refuser de m’y résoudre. Il serait d’ailleurs peu aisé de justifier un régime de prescription plus sévère pour les infractions financières que pour les atteintes aux personnes. Les travaux de la commission – je pense notamment, il faut bien le dire, à l'amendement du Gouvernement qu’elle a adopté sur le sujet – peuvent être salués.
De surcroît, si la fraude fiscale n’apparaît pas suffisamment réprimée et sanctionnée à l’heure actuelle, je suis au regret de constater, avec courtoisie, que l’administration fiscale en est en grande partie responsable.
Comme cela a été rappelé, ne viennent devant le tribunal correctionnel que les dossiers envoyés par l’administration pour examen à la Commission des infractions fiscales. De ce fait, l’administration, avec le ministère dont elle dépend, est juge de l’opportunité des poursuites. Depuis sa création, la commission est dénoncée de manière quasi unanime par la doctrine, les praticiens et les magistrats.
Le ministère des finances, qui semble moins attaché à la transparence en ce domaine qu’en d’autres, s’oppose à sa suppression, mais pour des raisons qui n’ont convaincu personne, pas même, je crois, notre rapporteur.
Certes, ce dernier a proposé une solution, inévitablement temporaire, mais qui, articulée avec les dispositions, assez souvent oubliées, de l’article 40 du code procédure pénale, devrait permettre aux magistrats du ministère public d’exercer leur mission dans le sens de la poursuite d’une plus large part des infractions de natures fiscales. Nous rejoindrons cette position par pragmatisme, espérant ainsi qu’elle pourra être tenue !
Par ailleurs, nous persistons à nous interroger sur le dispositif des lanceurs d’alerte, dont la portée a, certes, été limitée par les travaux de la commission. Le sujet est délicat. Si nous admettons un traitement particulier pour le repenti, la dénonciation doit être encadrée. La culture française n’apprécie guère les dénonciateurs, quel que soit le drapeau civique dont on les pare ! Les libertés individuelles, au premier rang desquelles figure le respect de la vie privée, en sont souvent les premières victimes.
M. René Garrec. Très bien !
M. François Pillet. Néanmoins, grâce aux limites posées par notre rapporteur, nous devrions pouvoir dégager un consensus sur le sujet après avoir nettement encadré cette inquiétante innovation et nous avoir, en tout cas, réservé l’examen de sa pérennité au retour de l’expérience.
Il y a peut-être un oubli ou, du moins, une insuffisance, dont nous avons d’ailleurs discuté en commission : l'absence de réflexions sur le développement des mesures techniques propres à mieux lutter contre la fraude à la TVA, pourtant importante dans notre pays, avec un manque à gagner annoncé de 30 milliards d’euros pour l’État.
Le problème est seulement abordé à l’article 3 bis A pour les cas suspects de demande d’un numéro de TVA. C'est, me semble-t-il, une bonne mesure. Mais cette disposition risque d’avoir peu d’effets, le centre de formalités des entreprises qui recevra les justificatifs ne disposant apparemment pas des moyens humains et techniques pour identifier en amont les fraudes.
Voilà donc un ensemble de points où les travaux du rapporteur, ceux de la commission des lois et les amendements proposés permettront de mieux atteindre, via le futur texte législatif, des objectifs constants visés depuis plusieurs mandatures.
Reste le projet de loi organique sur la création du procureur de la République financier, dont l’annonce vise peut-être à combler l’imaginaire populaire, mais certainement pas à compenser une lacune de notre organisation judiciaire !
Une telle mesure ne sera pas difficile à vendre chez les éditorialistes, peu enclins à se plonger dans les méandres des procédures pénale et fiscale ou dans les fondements muris des institutions judiciaires. En revanche, et je suis au regret de devoir le dire, c’est un désordre annoncé, anticipé en particulier par l’ensemble des praticiens, procureurs et magistrats du siège en tête. Le procureur de la République financier ne résoudra rien. Pire encore, il entraînera confusion et inefficacité !
C’est tout d’abord un insidieux bouleversement de l’organisation judiciaire qui introduirait le développement d’une spécialisation hiérarchique ; je ne suis pas le premier à le souligner à cette tribune. Une telle évolution commanderait tout aussi légitimement la création d’un procureur de la République à l’environnement, d'un procureur de la République pour la lutte contre la toxicomanie, d’un procureur de la République pour la lutte contre la pédophilie...
Au demeurant, le dispositif actuel ne fait pas obstacle à la résolution du problème de la fraude fiscale. L’organisation de la justice financière répond parfaitement aux défis posés par les auteurs d’infractions en matière économique et financière.
Il y a d’abord le tribunal de grande instance de Paris, qui se voit attribuer une compétence exclusive en matière économique et financière sur l’ensemble du territoire national pour la poursuite des délits d’initié, de manipulation de cours et de diffusion d’informations fausses ou trompeuses par l’article 704-1 du code de procédure pénale. Il y a ensuite le procureur de la République de Paris, qui se voit attribuer une compétence concurrente aux autres tribunaux pour les délits de corruption et de trafic d’influence internationaux.
Le projet de loi constitue une remise en question du travail des juridictions de droit commun, des juridictions spécialisées, ainsi que des JIRS.
À ce titre, quelle sera la nouvelle répartition des compétences entre les juridictions de droit commun, les juridictions spécialisées et l'éventuel procureur de la République financier ?
Ne nous faisons pas d’illusions, nous allons droit vers des conflits de compétences entre procureur et procureur financier. D’ailleurs, ces conflits ont été fort bien identifiés par M. le rapporteur, qui tente, probablement sans trop y croire, d’apporter une solution législative. La Chancellerie en sera inévitablement l’ultime arbitre, au risque, d'ailleurs involontaire, de contredire son aspiration affichée au refus d’instructions individuelles.
Concrètement, en instituant ce procureur de la République financier, nous créerons une division des autorités chargées des enquêtes et des poursuites qui entraînera une déperdition de l'information, mais également une certaine rivalité entre les parquets.
De fait, comme je l’ai déjà indiqué, le texte entraîne une spécialisation des magistrats et une verticalité dans l'architecture judiciaire qui seront manifestement inadaptées à la prise en charge d'affaires complexes, aux multiples ramifications.
Si vous souhaitiez absolument procéder à une réforme de notre ordre judiciaire, il eût été préférable d'étendre les compétences des juridictions interrégionales spécialisées, de leur associer un procureur adjoint spécialisé et de réserver à la JIRS de Paris l'examen des dossiers relevant de plusieurs juridictions spécialisées du territoire national. Nous vous proposerons un certain nombre d’amendements tendant à dessiner une telle organisation parallèle au cas où la création du procureur financier serait repoussée.
Mes chers collègues, notre ordre judiciaire, notre procédure pénale ne sont pas inadaptées à la lutte contre la fraude fiscale. Certes, des ajustements sont envisageables, ce que nous ne manquerons pas de souligner. Mais, avec une telle réforme, le Gouvernement prend le risque de désorganiser, partiellement mais de manière importante, l’appareil judiciaire.
Le problème n’est pas là ; vous le savez très bien. La fraude fiscale visée par le texte n’est pas celle des maçons portugais ; c’est celle des gros fraudeurs, c’est-à-dire la fraude internationale, assise sur des montages qui nous dépassent. La lutte contre cette fraude se joue hors de nos frontières, loin de notre assemblée, dans les rendez-vous internationaux. Elle dépend également des moyens que les Gouvernements donnent à leurs administrations, ainsi que de leur organisation.
En résumé, comme je l’ai indiqué en commission, nous aurions dû attendre la fin des travaux de la commission d’enquête en cours. Mais nous pouvons trouver des points de consensus sur des évolutions nécessaires. Nous en avons d’ailleurs discuté de manière très positive et substantielle en commission avec M. le rapporteur.
En revanche, vous aurez parfaitement compris que nous sommes fermement opposés à la création d’un procureur financier de la République. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. François Rebsamen.
M. François Rebsamen. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la droite ligne d'un texte que nous avons examiné dernièrement, le présent projet de loi s’inscrit dans un objectif de transparence et d'efficacité dans la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique ou financière. N’en disconvenons pas, il répond à des préoccupations financières immédiates. C’est d’ailleurs ce qui a conduit la commission des finances à s’associer au travail de la commission des lois.
Je voudrais féliciter la commission des lois et les rapporteurs de leur travail, à une exception près ; j’y reviendrai tout à l'heure. Leur action montre bien qu’une approche éthique est compatible avec le souci d'efficacité porté par la commission des finances.
Je souhaite également féliciter le Gouvernement, qui propose un tel renforcement des moyens d’action contre la fraude fiscale. La lutte contre ce fléau est à la fois un impératif de justice et une nécessité budgétaire. Dans un contexte d’effort partagé par tous les contribuables et toutes les administrations publiques, les dizaines de milliards d'euros de recettes perdues chaque année ne sont pas supportables.
Intensifier la lutte, cela signifie faire l’inverse – j’ai entendu des propos intéressants à cet égard – de ce que proposaient encore récemment certains membres de l’opposition à l’Assemblée nationale pour favoriser le retour des exilés fiscaux : selon eux, l'amnistie serait la meilleure réponse à la fraude. Nous pensons exactement le contraire, et nous sommes nombreux, semble-t-il, sur ces travées. Il faut raréfier l’espace des fraudeurs, au sein de l'espace tant national qu’européen. Il faut également limiter les échappatoires et intensifier les actions et les sanctions, afin de permettre à l’administration fiscale d’agir vite.
En effet, seules des procédures diligentes permettent d’assurer le recouvrement rapide des montants dissimulés et l’application de pénalités dissuasives.
C’est pourquoi le projet de loi accroît les moyens de l’administration fiscale pour mieux détecter la fraude, grâce à un contrôle fiscal plus efficace, et augmente la sanction en renforçant les peines. C’est, du moins, une conviction que je partage avec plusieurs collègues.
Toutes ces mesures s’inscrivent d’ailleurs dans le prolongement du renforcement opéré l’an dernier en loi de finances rectificative, texte qui avait déjà conforté les moyens humains et juridiques de l’administration, intensifié la lutte contre le transfert à l’international des bénéfices réalisés par les entreprises et rapatrié en France les charges venant diminuer le bénéfice taxable à des fins d’optimisation fiscale, voire de fraude.
Le rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur l’optimisation fiscale des entreprises, qui a été publié la semaine dernière, souligne la nécessité d'une action internationale repose à la fois sur la réduction des disparités de taux d’imposition – rappelons d’ailleurs que j’avais déposé une proposition de loi en ce sens avec François Marc voilà quelques années – et sur un échange d’informations renforcé.
Le travail doit être poursuivi. L’ensemble des parlementaires socialistes s’associent ici aux positions du Gouvernement. J’ai cru comprendre qu’ils n’étaient pas les seuls, ce dont je me félicite.
Mais, pour imposer notre voix dans les négociations internationales, nous devons faire la preuve de notre volonté au niveau national, notamment en améliorant la coopération entre services administratifs et judiciaires. Les propos que Mme la garde des sceaux et M. le ministre ont tenus en ce sens tout à l’heure sont d’ailleurs tout à fait intéressants.
À ce stade de mon intervention, j’indique, au nom du groupe socialiste, que nous nous opposons au nouvel article 2 ter, introduit par la commission des lois. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.) Nous soutenons le texte présenté par le Gouvernement dans sa formule initiale.
J’ai noté la position de M. le rapporteur ; elle est tout à fait estimable, mais ce n’est pas celle du groupe socialiste. Le renforcement de l’arsenal judiciaire, auquel il est sans doute nécessaire de procéder, ne doit pas conduire à affaiblir l’administration fiscale.
Nous ne voulons pas démobiliser les centaines de fonctionnaires de l’administration fiscale qui font aujourd'hui leur travail avec compétence et sérieux, cette administration ayant fait la preuve de son efficacité, grâce à un système de majoration pouvant aller jusqu’à 100 % ; vous l’avez rappelé, monsieur le ministre. C’est l’arme la plus opérationnelle et la plus dissuasive contre les fraudeurs.
En outre, les pénalités ont permis de rapporter 2,5 milliards d’euros de recettes supplémentaires en 2012. (M. Jacques Mézard acquiesce.) Elles n’empêchent pas, après l’achèvement de la phase administrative, l’engagement des poursuites pénales sur l’initiative de l’administration, après avis de la Commission des infractions fiscales, qui rend un avis conforme dans près de 95 % des cas.
Le monopole de l’administration sur l’engagement des poursuites permet d’aller au bout de la procédure administrative avant d’ouvrir une autre procédure, judiciaire celle-là, c’est-à-dire soumise à d’autres règles et à un autre rythme. Il est parfois perçu comme une mesure de défiance à l’égard des magistrats ou comme un instrument de secret. Point du tout ! C’est au contraire un gage d’efficacité au regard des spécificités de la matière fiscale : la complexité des infractions, la nécessité de maintenir des possibilités de régularisation, et les effets différents des poursuites pénales et administratives légitiment, je le crois, ce filtre préalable.
En premier lieu, l’examen préalable des dossiers de fraude par l’administration fiscale se justifie souvent par la complexité des mécanismes mis en œuvre pour échapper à l’impôt. Or les services fiscaux sont actuellement en mesure d’expertiser des fraudes complexes, leurs ressorts financiers et les dispositions applicables.
Donner au parquet la possibilité d’instruire directement impliquerait quasiment de dupliquer les services compétents, entraînant assurément un risque d’aléa juridique entre les dossiers selon le service saisi. Cela ne me paraît donc nécessaire.
En second lieu, le traitement préalable par l’administration fiscale avant l’ouverture de poursuites permet, le cas échéant, d’accélérer la procédure en permettant au contribuable de régulariser sa situation. La circulaire récemment publiée apporte d’ailleurs des garanties de transparence – nous en sommes tous très heureux – dans la procédure de régularisation des contribuables détenant des avoirs antérieurement non déclarés à l’étranger.
Enfin – faut-il le rappeler ? –, pour près de 1 000 plaintes déposées annuellement par l’administration, près des deux tiers des condamnations prononcées ne comprennent aucune peine d’amende ou d’emprisonnement ; il semble que, à ce jour, seule une personne soit incarcérée pour fraude fiscale. Il ne s’agit nullement de considérer que la justice ne ferait pas son travail ou que l’administration fiscale y parviendrait mieux ; il faut conserver les deux temps, les deux rythmes, et avoir le souci de l’efficacité.
Il paraît essentiel de maintenir la phase préalable de sanction administrative, au dénouement plus rapide et aux conséquences financières plus tangibles. Face à la seule menace pénale, essayez de négocier le paiement d’une amende !
Je comprends bien sûr dans quel esprit la commission des lois et son rapporteur, Alain Anziani, ont cherché à introduire une dérogation au monopole de l’administration fiscale. Je constate l’opposition entre la commission des lois, même si j’ai cru comprendre que celle-ci était très partagée,…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Oui !
M. François Rebsamen. … et la commission des finances, pour sa part unanime sur le sujet.
Au demeurant, la remise en cause de l’organisation actuelle aboutirait à réduire le contrôle démocratique. Le Parlement exerce un contrôle beaucoup plus restreint sur l’action judiciaire, au titre de la séparation des pouvoirs, que celui qu’il peut exercer sur l’administration fiscale, à travers les pouvoirs de contrôle sur place et sur pièces qu’il détient ; je sais que le président comme le rapporteur général de la commission des finances ne se privent pas de recourir à cette faculté. Le fait de retirer un tel pouvoir à nos représentants aboutirait, me semble-t-il, à une forme de dessaisissement du contrôle démocratique.
La possibilité pour le parquet d’engager des poursuites de son seul fait soulèverait d’ailleurs des questions délicates quant au traitement des contribuables désireux de régulariser spontanément – ils ne sont pas nombreux, mais ils existent ! – leur situation fiscale. À cet égard, la circulaire qui vient d’être publiée permet de préciser les conditions de rectification ; cela va dans le sens de la transparence que, les uns et les autres, nous appelons de nos vœux.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues – je m’exprime non pas en tant que membre de la commission des finances, dont je partage l’avis unanime, mais en tant que président du groupe socialiste –, je vous indique que nous défendrons l’amendement déposé par le rapporteur général du budget, François Marc, visant à ne pas permettre l’introduction d’une dérogation partielle au monopole de l’administration fiscale dans certaines affaires.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. François Rebsamen. Comme cela figure dans l’exposé des motifs, il s’agit finalement, dans ce projet de loi, d’un enjeu de souveraineté, de redressement des comptes publics et d’une condition essentielle pour faire respecter le principe d’égalité devant l’impôt.
Mettre en œuvre une nouvelle architecture pour le traitement de la délinquance économique et financière dans un souci d’efficacité, accroître la pression sur les fraudeurs et lutter plus efficacement contre la grande délinquance, tels sont les objectifs que vous vous êtes fixés, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre du budget. Le groupe socialiste vous en félicite et soutiendra pleinement les deux textes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ce stade du débat, tout a déjà été dit ou presque. Aussi vais-je essayer de m’y retrouver dans les notes que j’ai complétées au fur et à mesure de la discussion… (Sourires.)
La première question est de savoir à quoi servent nos commissions d’enquête. La saison 1 du travail de la commission d’enquête du Sénat, marquée par soixante et une propositions, n’a guère connu jusqu’à aujourd’hui de transcription dans notre droit positif ; je le regrette évidemment.
Votre texte, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, marque une volonté réelle et un affichage, mais il nous laisse quelque peu sur notre faim. Il est vrai que vous faites face à trop de fraude, trop d’évasion fiscale, trop de réglementation et, partant, trop de failles bien exploitées par trop de limiers trop bien formés, trop de carences en moyens humains et en formation, trop peu de moyens pour les parquets, trop peu de coopération internationale, trop d’insuffisances dans les échanges d’informations, trop d’organismes trop étanches aux missions trop séquencées…
J’hésite assez rarement, mais, très franchement, ce fut le cas s’agissant des axes de cette intervention. Je me contenterai à ce stade de vous citer deux auditions de notre précédente commission d’enquête et de vous inviter à réfléchir sur l’inversion de la charge de la preuve.
Lors de son audition, retranscrite aux pages 142 et suivantes du rapport de la commission d’enquête, M. Jérôme Fournel, ancien directeur général des douanes et des droits indirects, nous a déclaré avoir été récemment confronté au cas d’une personne circulant sur le périphérique avec 800 000 euros cachés dans la roue de secours de son véhicule. (Exclamations amusées.)