M. Roland Courteau. Il est bien de le rappeler !
M. François Marc, rapporteur pour avis. Nous n’en avons sans doute pas fini avec le développement de notre arsenal législatif pour lutter contre l’évasion et la fraude fiscales, car il faut sans cesse adapter nos moyens à une délinquance très organisée et mobile. Le Parlement dans son ensemble, mais tout particulièrement la commission des finances du Sénat, entend prendre toute sa place dans ce travail. Je veux souligner aussi toute l’utilité des travaux de nos commissions d’enquête, celle sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France, emmenée par nos collègues Éric Bocquet et Philippe Dominati, ayant inspiré plusieurs dispositions du texte qui nous est soumis.
Notre législation sera également influencée par les développements de la coopération européenne et internationale, qui a fait des progrès considérables en quelques mois, et dans laquelle le Gouvernement a joué un rôle moteur. Chacun le constate : la lutte contre la fraude n’est pas un sujet propre à la France et ne sera pleinement efficace que lorsque nous aurons installé un système d’échange automatique d’informations permettant de mettre fin aux zones d’ombres qui permettent aux fraudeurs d’être à l’abri.
Le secret bancaire a d’ores et déjà été considérablement fragilisé au cours des dernières semaines, mais il reste des étapes importantes à concrétiser pour qu’il ne couvre plus des agissements frauduleux.
Je souhaite donc que le Gouvernement continue de peser en faveur d’un aboutissement rapide des différentes initiatives internationales et européennes, que ce soit dans le cadre de la révision des directives relatives à la fiscalité de l’épargne et à l’assistance administrative, ou dans celui du développement d’un système généralisé d’échange automatique d’informations. Les amendements concernant la liste des États et territoires non coopératifs ainsi que la mise en place d’un système comparable au FATCA américain, seront probablement l’occasion de faire un point sur ces sujets dans la suite du débat.
Sans entrer dans le détail du projet de loi, je veux simplement évoquer ici deux questions importantes.
La première concerne le monopole de l’administration pour les poursuites pénales en matière de fraude fiscale. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de la discussion de l’article 2 ter. J’estime, pour ma part, que la réparation de la fraude fiscale doit d’abord porter sur le préjudice commis à l’égard des finances publiques. La lutte contre la fraude a des visées dissuasives et répressives, mais toujours avec pour but premier de faire revenir dans les caisses de l’État l’argent qui aurait dû y entrer. À cette aune, une intervention plus systématisée de la justice ne me paraît pas la solution idéale pour préserver le rendement du contrôle fiscal.
L’enjeu, on le sait, est considérable, puisque le montant total des droits rappelés et des pénalités s’est élevé pour l’année 2012 à plus de 18 milliards d’euros, en très sensible augmentation – de près de 2 milliards – sur ce qui avait été collecté en 2011, comme nous l’indiquait à l’instant M. le ministre.
Certes, les procédures doivent préserver les libertés publiques ainsi que l’équité de traitement des contribuables, mais il me semble que, sur ce point, le texte comporte un certain nombre d’avancées. Je pense notamment au rapport annuel de la commission des infractions fiscales et à celui portant sur la politique de remises et de transactions, qui pourront faire l’objet d’un débat devant les commissions des finances.
Mme Nathalie Goulet. C’est exact.
M. François Marc, rapporteur pour avis. Ils constituent un progrès important en termes de transparence.
La commission des finances était attachée à cet équilibre initial du texte, qu’elle n’avait pas modifié. J’ai déposé, à titre personnel – mais je crois pouvoir dire que cela reflète une opinion largement partagée au sein de la commission des finances –, un amendement visant à la suppression de l’article 2 ter, introduit par la commission des lois.
La seconde question concerne la recevabilité des preuves. C’est un sujet sensible, sur lequel les opinions peuvent diverger. Le problème peut être posé en termes simples : l’administration fiscale doit-elle être mise en capacité d’exploiter tous les renseignements dont elle dispose, y Ce point est important.
Bien sûr, il ne s’agit pas de donner du crédit à toutes les informations, dont certaines seraient nécessairement fausses, voire malveillantes, ni de les acheter, ce qui poserait alors d’autres types de questions.
Toutefois, mon homologue de l’Assemblée nationale, le rapporteur général Christian Eckert, a très récemment exposé, dans un rapport d’information publié voilà quelques jours, les obstacles juridiques auxquels a été confrontée l’administration fiscale pour exploiter la fameuse liste HSBC. Christian Eckert a ainsi montré que l’administration ne pouvait pas opposer ces données aux contribuables compte tenu de leur origine, alors même qu’il était avéré que 30 % de ces derniers niaient posséder des avoirs non déclarés.
Ainsi, comme indiqué dans le rapport, l’administration fiscale était « tributaire de la volonté de la personne concernée de régulariser sa situation ».
Reconnaissons qu’il y a aujourd’hui une forme de paradoxe : l’administration fiscale peut exploiter une information achetée à un individu l’ayant lui-même volée quand elle est transmise par une autorité judiciaire ou étrangère, mais pas quand elle est directement communiquée par un particulier !
Il est, me semble-t-il, utile d’avoir un débat sur la licéité de la preuve en séance publique. Nos concitoyens ont des difficultés à comprendre que l’administration puisse disposer d’une liste de noms sans être en mesure d’opérer des redressements fiscaux sur son fondement faute d’en avoir eu transmission par les fameux « canaux autorisés ».
En outre, je vous présenterai, au nom de la commission des finances, un amendement tendant à réécrire l’article 11 bis D, qui institue une obligation de transmission à l’administration, par les grandes entreprises, d’une documentation justifiant leur politique de prix de transfert.
Il s’agit d’un sujet important, les prix de transfert constituant un outil majeur pour l’évasion et la fraude fiscale des entreprises multinationales. Au-delà de la perte de ressources pour le budget de l’État, c’est un facteur de concurrence déloyale à l’égard des petites et moyennes entreprises. La question sera abordée à l’occasion de l’examen d’autres amendements, mais nous en débattrons également à l’automne, le Gouvernement ayant annoncé que des mesures nouvelles figureraient dans le projet de loi de finances pour 2014.
Je voudrais souligner un autre élément. Le déroulement de l’affaire de la « liste HSBC » montre l’utilité très concrète des évolutions de notre législation face à la fraude fiscale. Prenons toutefois garde à certains excès : il convient de rester mesuré en matière de sanction de la faute, mais aussi de prescription et, éventuellement, d’inversion de la charge de la preuve. Les dispositions doivent être dissuasives, ce qui n’a pas toujours été le cas, mais également proportionnées à la nature du délit.
La même exigence doit s’appliquer aux contraintes pouvant être imposées à tous pour améliorer l’information de l’administration fiscale et son rendement attendu. C’est d’autant plus important que nous souhaitons par ailleurs simplifier les normes et les procédures, notamment pour les entreprises.
Au regard des critères que je viens de rappeler, certains amendements me semblent aller trop loin. C’est ce qui expliquera l’avis que j’émettrai à leur sujet en qualité de rapporteur pour avis de la commission des finances.
Notre commission étant favorable aux articles dont elle s’était saisie pour avis, je vous invite à approuver l’ensemble du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale. Le dispositif permettra à l’administration d’être mieux armée pour déceler et sanctionner les fraudes, en particulier les plus complexes. C’est un message fort qui envoyé : le Gouvernement est déterminé à développer un arsenal juridique et procédural permettant à la lutte contre la fraude de contribuer pleinement au redressement de nos finances publiques ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, au risque de surprendre, j’introduirai mon propos en citant les paroles, évidemment traduites en français, d’une célèbre chanson de Bob Dylan. (Exclamations amusées.)
M. Éric Bocquet. Je fais référence à un titre de 1964, The times they are a-changin’, qui signifie dans notre langue : « Les temps sont en train de changer ».
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. Éric Bocquet. Il n’y était pas du tout question de lutte contre la grande délinquance financière et la fraude fiscale, mais les termes choisis prennent une signification très particulière dans notre débat d’aujourd’hui. Qu’on en juge :
« Allez sénateurs, membres du Congrès,
« De grâce, entendez cet appel
« Ne restez pas sur le seuil
« Ne bloquez pas l’entrée
« Car celui qui se blesse
« Sera celui qui se sera dérobé
« Il y a une bataille dehors
« Et elle fait rage
« Bientôt elle fera trembler vos fenêtres
« Et ébranlera vos murs
« Car les temps, ils sont en train de changer ! ».
Oui, mes chers collègues, les temps changent ! À l’évidence, l’évocation de la lutte contre la fraude fiscale recueille aujourd’hui un écho beaucoup plus large dans l’opinion publique, en France et ailleurs. L’évasion fiscale suscite effarement et indignation. On attend des élus de la République, garants du seul intérêt général, qu’ils s’attaquent résolument à ce que nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à percevoir comme un scandale lourd de dangers pour nos démocraties.
Nous sommes face à un chantier immense. Notre première commission d’enquête, ainsi que les travaux de nombreux journalistes, de magistrats et d’organisations non gouvernementales menés depuis plusieurs années ont pu mettre en évidence l’ampleur du phénomène. Plusieurs dizaines de milliards d’euros manquent chaque année au budget de la nation pour notre pays, le chiffre atteignant 1 000 milliards d’euros pour l’Union européenne. Non, mes chers collègues, dans cette affaire, la France n’est pas victime de sa fiscalité « délirante » ou « confiscatoire », pour reprendre les termes de certains responsables politiques ! Tous nos partenaires et voisins sont touchés par l’évasion fiscale.
Immense, le chantier l’est par la complexité des systèmes, de l’ingénierie à l’œuvre au sein des cabinets de conseils et autres avocats fiscalistes. Il l’est également par la très grande prégnance de l’industrie financière, jusqu’au cœur de nos institutions.
Et, tout comme les temps changent, la perception d’une telle réalité dans l’opinion évolue à grande vitesse depuis le début de la crise financière de 2008, qui entraîne la mise en œuvre de politiques d’austérité. La fraude fiscale pour les un signifie l’austérité pour tous les autres, par défaut de recettes. Évasion fiscale et austérité sont donc les deux faces d’une même pièce !
Par conséquent, l’enjeu de la bataille qui doit s’engager est non seulement financier et budgétaire, mais également politique, tant sont considérables les dégâts causés dans l’opinion publique après les nombreuses révélations, au cours de la dernière période, sur des responsables politiques de premier plan, certains ayant même occupé des fonctions au sein du gouvernement de la République… Chacun ici ne sait que trop qui se nourrit d’une telle situation !
Ayons ces éléments contextuels à l’esprit dans nos réflexions, nos débats à venir et lors de la présentation de nos propositions finales. C’est, je le crois, à ce prix que nous pouvons envisager de redonner à nos concitoyens la confiance indispensable dans nos institutions républicaines.
Plusieurs textes nous sont donc soumis : projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, projets de loi organique et ordinaire relatifs à la transparence de la vie publique, projet de loi relatif à la déontologie et à la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique… Tous participent de cette finalité de l’action publique que doit être la transparence.
Rappelons ici, comme l’a fait Mme la garde des sceaux, que, selon Transparency International, notre pays se classe au vingt-deuxième rang mondial des États perçus comme les moins corrompus. Notre groupe travaillera à faire en sorte que le texte aille plus loin que le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, dont le contenu ne nous paraît pas à la hauteur des enjeux.
Nous notons les avancées quant au régime des peines applicables, ainsi que le renforcement significatif des capacités de contrôle de l’administration fiscale et, plus largement, des moyens de lutte contre la fraude aux finances publiques. Toutefois, il nous faut regretter les 2 564 suppressions de postes prévues par Bercy au budget de 2014, qui viendront aggraver les chiffres de 15 % de baisse des effectifs en dix ans, au sein de la direction générale des finances publiques. Il serait très regrettable que de telles suppressions affectent les moyens dédiés à la lutte contre la fraude fiscale.
Il est grand temps de poser plus largement le débat sur les moyens dont nous voulons nous doter pour nous attaquer à la source de la gangrène financière qui ronge nos économies et nourrit la spéculation et les trafics. Investir aujourd’hui dans les moyens de la lutte contre la fraude fiscale permettra d’obtenir demain des recettes nouvelles.
L’enjeu de la France dans ce domaine dépasse largement nos propres frontières. Le sommet du G8 qui s’est tenu en Irlande du Nord les 17 et 18 juin derniers n’a débouché sur aucune échéance, aucun calendrier, se contentant une nouvelle fois d’afficher une dizaine de déclarations d’intentions ; ce n’est pas cela qui empêchera l’évasion fiscale ! L’action déterminée et audacieuse de notre pays pourrait aider à changer la donne au sein même de l’Union européenne.
Vous le savez, mes chers collègues, les paradis fiscaux prospèrent sans vergogne sur notre vieux continent, à nos portes, au cœur même de l’Union. Comment peut-on accepter plus longtemps l’attitude schizophrène de nos partenaires du Luxembourg et de l’Autriche quant à la transmission automatique des données ?
Il n’est pas possible de s’attaquer à la fraude fiscale en France sans prendre en compte le contexte international et européen qui favorise ces pratiques. Ne faut-il pas remettre à plat nos traités européens, qui sanctuarisent la libre circulation des capitaux et la concurrence libre et non faussée ? Ces règles s’appliquent bien évidemment aussi à la fiscalité…
Ne faut-il pas remettre en question la règle bloquante de l’unanimité sur toutes les décisions relatives à la fiscalité ? À l’échelon européen, d’autres thématiques se traitent bien à la majorité qualifiée.
N’est-il pas temps d’ouvrir le chantier de l’harmonisation fiscale au sein de l'Union européenne, surtout pas sous forme d’un dumping fiscal ou d’une course au moins-disant fiscal, mais en fixant l’objectif politique à terme d’une fiscalité juste et progressive – il ne suffit pas de la décréter – sachant apporter une réponse adaptée aux nouveaux géants de l’économie numérique ? Je pense à ces grands groupes tels que, entre autres, Google, Amazon, Apple, présents partout, mais taxés nulle part ! C’est un sujet sur lequel des propositions ont été formulées, notamment dans le rapport de MM. Pierre Collin et Nicolas Colin, ou ici même, au Sénat, en particulier par notre collègue Philippe Marini.
Trop de failles existent dans notre système. Elles permettent, voire facilitent la fraude et l’évasion.
Selon nous, une telle situation ne doit rien au hasard. Elle ne peut pas être considérée comme un dysfonctionnement d’un système économique par ailleurs en mesure de répondre à tous les défis humains de notre siècle… La dérive de la finance s’est considérablement accélérée au cours des années quatre-vingt. Souvenons-nous de l’arrivée sur la scène politique de Margaret Thatcher en 1979 au Royaume-Uni et de Ronald Reagan en 1980 aux États-Unis. Certains parlèrent à l’époque de « révolution conservatrice ». Ce fut le lancement d’une libéralisation généralisée de l’économie dans le monde, le recul de la sphère publique, le big-bang des bourses à Londres, à Paris, et, au fond, le début d’une certaine forme de dépérissement des États.
Tous ces débordements se sont accompagnés d’un discours néolibéral selon lequel chacun profiterait d’une telle croissance financière dérégulée, mondialisée, débridée… L’histoire montre bien aujourd’hui les limites de cette logique.
Mme Cécile Cukierman. Eh oui !
M. Éric Bocquet. Tous les États semblent vouloir faire marche arrière, et l’on reparle de la nécessaire régulation de la sphère financière. La question est de savoir si l’on s’en donne véritablement les moyens, au-delà des discours volontaristes des G20 successifs, qui n’ont jamais enrayé le système.
On ne peut plus accepter les distinctions byzantines entre « fraude fiscale » et « évasion fiscale », comme s’il existait un bon et un mauvais évitement fiscal. Pour nous, c’est clair, c’est l’évitement fiscal sous toutes ses formes qu’il faut combattre. C’est la source qu’il convient de tarir.
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. Éric Bocquet. C’est d’abord une question de justice, de respect de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui assigne à chacun l’obligation de s’acquitter de ce qu’il doit en fonction de sa capacité contributive.
Le consentement à l’impôt s’appuie sur deux piliers. Premièrement, la fiscalité doit être équitablement répartie ; il faut que le boulanger du village ne soit pas plus taxé, proportionnellement, que les grands groupes du CAC 40, contrairement à ce qui se passe aujourd'hui. Deuxièmement, une personne en capacité d’acquitter l’impôt ne peut jamais échapper à ses devoirs. C’est la condition sine qua non de la pérennité de notre pacte républicain. Cela a déjà été souligné, et je partage complètement ce point de vue.
C’est aussi, chacun le mesure, une exigence budgétaire. Les études les plus sérieuses menées dans le cadre de commissions d’enquêtes parlementaires, de plateformes associatives de lutte contre la fraude fiscale ou réalisées par des économistes reconnus font état de sommes comprises entre 50 milliards d’euros et 80 milliards d’euros de moins-values de recettes fiscales pour notre pays et, cela a été rappelé, de 1 000 milliards d’euros pour les vingt-sept pays de l’Union européenne.
Face à de tels enjeux, comment comprendre la dégradation de notre système de retraite solidaire pour économiser 7 milliards d’euros ? Geler le point d’indice des fonctionnaires, corseter les budgets des hôpitaux et des collectivités territoriales… Monsieur le ministre, nous sommes en désaccord fondamental sur ces points !
Tout montre au fil des mois qu’une telle politique mène dans une impasse. Lorsque la sphère publique réduit ses dépenses, elle réduit en même temps, mécaniquement, ses recettes. L’austérité ne peut tenir lieu de projet politique progressiste. C’est essentiellement du côté des recettes qu’il faut rechercher des pistes : la lutte contre l’évasion fiscale en est une, considérable !
Les textes qui nous sont proposés aujourd’hui concernent principalement la poursuite et la répression des fraudes avérées. C’est une étape indispensable, mais les quelque 2,5 milliards d’euros de recettes supplémentaires que le Gouvernement attend de ces mesures soulignent la nécessité d’élargir le débat à l’optimisation fiscale dans son ensemble. Par exemple, les prix de transfert constituent sans conteste la masse considérable de l’évasion fiscale.
Mme Nathalie Goulet. Ah !
M. Éric Bocquet. Nous sommes nombreux à attendre des avancées sur de tels sujets. Nos débats permettront, je n’en doute pas, de progresser en ce sens.
Certes, pour être efficaces, beaucoup de décisions ne pourront évidemment être prises qu’aux niveaux européen et international. Mais nous considérons que la France doit jouer un rôle moteur, en faisant preuve d’une très grande audace.
C’est pour cette raison que nous regrettons, comme d’autres, que le présent projet de loi n’offre pas plus de souplesse au plan procédural. Nous déplorons également que la mise en œuvre du texte ne s’accompagne pas de moyens suffisamment renouvelés en termes de personnels et, compte tenu du rôle joué par la technologie, de matériels.
Nous appelons de nos vœux, entre autres, une véritable séparation bancaire. Nous avons la volonté de doter notre pays d’un arsenal de dispositions contre les produits spéculatifs les plus toxiques, tous ces instruments qui font de l’ingénierie financière l’adversaire, et non l’alliée, de l’économie réelle.
À notre sens, la situation exige également de redonner au politique le pouvoir de création monétaire. Car si la Banque centrale européenne est indépendante des autorités politiques, donc du peuple, elle ne l’est nullement à l’égard des banques, ni des marchés financiers. Or ce n’est pas le moindre des paradoxes que de la voir contribuer désormais par l’injection massive de liquidités à la reconstitution d’une bulle spéculative risquant d’éclater un jour ou l’autre, avec les conséquences que l’on sait pour les peuples d’Europe.
C’est dans cet esprit déterminé, lucide et confiant que nous porterons des amendements tendant au renforcement des sanctions, dont nous pensons qu’elles doivent avoir un effet dissuasif fort. Nous défendrons également des dispositions marquant notre volonté de voir le Parlement associé à ce travail de reconquête et nos concitoyens mieux informés au sein des entreprises concernées. Nous considérons en effet que les questions fiscales intéressent tout le monde. Elles ne sont en aucun cas l’apanage d’experts, de spécialistes ou des seuls économistes. Enfin, nous serons vigilants à l’égard ce qu’il est convenu d’appeler le « monopole » du ministre du budget sur les poursuites consécutives à des signalements en matière de fraude fiscale.
Mes chers collègues, nous devons veiller à faire en sorte que la réforme atteigne les objectifs affichés et qu’elle ne soit pas une simple réaction à des événements survenus dans l’actualité récente, comme nous l’avons trop souvent connu au cours du quinquennat précédent. Tout doit nous conduire à traiter le problème sur le fond et dans la durée. J’ai bien entendu vos propos sur ce sujet, madame la garde des sceaux.
Les membres de l’actuelle commission d’enquête sur le rôle des banques et des acteurs financiers dans l’évasion des capitaux, dont je salue le président, François Pillet, ici présent, auraient trouvé judicieux d’attendre les conclusions de leurs travaux, qui auraient pu utilement être intégrées au projet de loi. Cela dit, nous savons qu’un tel travail s’inscrit dans la durée et qu’il nécessitera les efforts convergents de toutes les forces décidées à créer les conditions de la transparence pour la seule défense de l’intérêt général.
Le rassemblement est indispensable, au-delà de ce qui peut nous diviser. D’ailleurs, le rapport de la première commission d’enquête avait été voté à l’unanimité. Il est des sujets qui peuvent nous réunir !
À ce propos, les dizaines d’auditions menées depuis le mois d’avril 2012 par nos commissions d’enquête nous ont permis de rencontrer autant de personnalités venant de tous les horizons. Il s’agit de syndicalistes, de magistrats, de fonctionnaires, de militants associatifs, de journalistes d’investigation ou d’économistes qui, tous à la place qui est la leur, s’engagent dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
Nous pensons qu’une telle force doit s’organiser, témoigner et s’engager dans notre combat commun. Elle sera le point d’appui indispensable pour les législateurs et les gouvernants d’aujourd’hui et de demain. Le Sénat doit jouer tout son rôle, dans l’intérêt de nos concitoyens et de la justice sociale.
C’est dans cet esprit que le groupe CRC s’engage dans le débat. Nous déterminerons notre vote à l’issue de l’examen du texte, avec comme objectif suprême la reconquête par le politique du terrain qu’il n’aurait jamais dû céder à la finance ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi du Gouvernement contient un certain nombre d’avancées.
Améliorer le renforcement de la lutte contre la fraude fiscale, rationaliser les juridictions spécialisées en supprimant les juridictions spécialisées par cour d’appel ou encore créer un Office central de lutte contre la corruption et la fraude fiscale, même s’il faudra vérifier que les moyens annoncés lui seront effectivement alloués, sont des éléments positifs.
Mais la création d’un procureur de la République financier ne peut pas recueillir notre assentiment. Force est d’ailleurs de constater qu’elle ne semble pas convaincre grand monde, toutes tendances politiques confondues, sans parler des magistrats ou des enquêteurs, des juristes, voire des services de la Chancellerie eux-mêmes si l’on s’en tient à l’insuffisance de l’étude d’impact…
Pourquoi si peu d’enthousiasme ? L’idée de « sanctuariser » un procureur spécialement dédié à la lutte contre la délinquance financière peut paraître intéressante. Mais la question à se poser est plutôt celle de l’efficacité. Selon nous, la réponse est sans appel : la création d’un procureur financier sera, au mieux, inefficace, au pire, contre-productive.
On aurait pu envisager la création d’une juridiction spécialisée, sur le modèle de l’Audiencia nacional espagnole. Mais outre le fait que celle-ci est également compétente en matière de criminalité organisée, une telle évolution aurait impliqué une réforme complète de notre architecture judiciaire, ce qui dépasse largement le projet du Gouvernement.
On aurait pu envisager de confier, à l’instar de ce qui existe en matière de corruption d’agent public étranger ou de terrorisme, une compétence concurrente au tribunal de grande instance de Paris pour connaître certains délits financiers, ou encore de prévoir une compétence de la juridiction interrégionale spécialisée, ou JIRS, de Paris pour des affaires dont l’étendue nationale conduit à rendre compétentes plusieurs de ces juridictions.
Mais, assez curieusement, alors même qu’un pôle financier existe déjà à Paris et connaît une activité particulièrement riche, telle n’est pas l’option choisie par le Gouvernement, qui propose une sorte de mouton à cinq pattes en termes d’organisation judiciaire. Il instaure un parquet spécifique à compétence nationale rattaché au parquet général de Paris, comme s’il s’agissait d’une nouvelle juridiction, mais sans créer la structure qui devrait l’accompagner.
Voilà donc un parquet « hors-sol » !