M. Jean-Pierre Raffarin. Comme en Israël ?
Mme Odette Herviaux. Lorsque j’entends dire que l'on change d'avis selon les territoires concernés, je ne suis pas d’accord ! Ceux qui sont élus à l’assemblée départementale représentent un territoire bien caractérisé. Cependant, ici, mes chers collègues, en tant que sénateurs, nous représentons non pas le milieu rural ou le milieu urbain, mais bien – en tout cas, je l'espère ! – l'ensemble de notre département. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Raffarin. Chère madame Herviaux, vous êtes la démonstration vivante de ce que le scrutin majoritaire, qui vous a élue la dernière fois, était le bon scrutin !
Mme Odette Herviaux. Mais la première fois à la proportionnelle !
M. Jean-Pierre Raffarin. Vous avez réussi à montrer que votre implantation était durable.
Je veux simplement réagir à l'idée selon laquelle la démocratie devrait nécessairement se traduire par la proportionnelle. Ce n’est pas ma conception de la démocratie.
Regardez le monde qui nous entoure : croyez-vous qu’Israël, où s’applique la proportionnelle intégrale, est un pays ou l’on assure à la fois la représentation de la diversité et la capacité de décider ?
La proportionnelle a, selon moi, des atouts, mais, en matière électorale, il faut se méfier de la généralisation. Aucun système ne nous permet aujourd'hui de garantir que la proportionnelle, c'est la démocratie.
Je suis d'accord pour qu’il y ait une dose de proportionnelle, mais ce qui compte réellement à mes yeux pour garantir qu’un système est démocratique, c’est la capacité d'alternance. Il y a des systèmes qui permettent l’alternance sans sacrifier l’efficacité.
Je ne suis pas contre la proportionnelle en général, mais, je le redis, le bon système est celui qui permet l'alternance. Il doit, bien sûr, être représentatif. Cependant, en matière de représentativité, il y a des dizaines de modèles, et je ne suis pas sûr qu’il existe un modèle parfait. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Hervé Maurey applaudit également.)
M. Jean-Pierre Michel. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre. Monsieur Maurey, monsieur Raffarin, c’est la particularité de la France que d’avoir des systèmes électoraux différents selon les niveaux de collectivités. Et, indépendamment du débat qui nous oppose sur la question du seuil, le Sénat lui-même connaît des systèmes différents puisque certains sénateurs sont élus à la proportionnelle et d’autres au scrutin majoritaire.
La proportionnelle intégrale est appliquée aux élections européennes, tandis qu’aux élections régionales, le système proportionnel est combiné avec le principe majoritaire, la Corse ayant un régime particulier. Aux élections municipales, la part du principe majoritaire est plus importante.
Quant à la capacité d’alternance, à laquelle je suis moi aussi très attaché, elle existe très clairement à l’Assemblée nationale, même s’il faut rappeler que le scrutin proportionnel par département appliqué en 1986 n’a pas empêché le RPR et l’UDF de remporter la majorité, étant entendu que, dans les petits départements, la proportionnelle ressemblait beaucoup à un scrutin majoritaire.
Faut-il instiller une dose de proportionnelle aux élections législatives ? On verra ! C’est au Président de la République de décider. Pour ma part, j’observe simplement que les deux candidats qui se sont opposés au second tour de l’élection présidentielle avaient tous les deux avancé cette proposition.
Au fond, ces débats tournent autour d’un problème : concilier le fait majoritaire, indispensable dans le cadre de nos institutions, et la représentation de tous les courants politiques ; c’est une difficulté à laquelle nous sommes tous confrontés.
En ce qui concerne les élections sénatoriales, la majorité et l’opposition sont en désaccord au sujet du seuil à partir duquel la proportionnelle doit être appliquée. En 2000, la gauche avait décidé que ce mode de scrutin s’appliquerait dans les départements élisant trois sénateurs et plus. Après quoi, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, vous avez soutenu le retour au seuil de quatre sénateurs.
Pour notre part, nous considérons que l’application du scrutin proportionnel est possible dans un département dès que trois sièges doivent y être pourvus, en raison même du chiffre trois. Ce système favorise à la fois la parité, même si nous savons bien qu’elle peut être contournée, et la représentation de la diversité politique. C’est sur ce point que nous avons un désaccord.
De manière cohérente, le Gouvernement propose de revenir à la formule mise en place en 2000. Il est d’autant plus déterminé à le faire qu’à l’issue des dernières élections sénatoriales on a constaté un recul de la représentation des femmes au sein du Sénat. Nous suivons donc notre logique, et cela, monsieur Maurey, avec cohérence ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard, pour explication de vote sur l’amendement n° 50 rectifié.
M. Patrice Gélard. Je serai bref, car je me contenterai d’appuyer les arguments qui viennent d’être exposés par M. Raffarin.
M. Daniel Raoul. Ça commence mal ! (Sourires.)
M. Patrice Gélard. En fin de compte, il n’y a pas de bon ou de mauvais scrutin. C’est le programme de la première année des facultés de droit : on étudie pendant quelques semaines les scrutins proportionnels, majoritaires et mixtes, pour conclure qu’il est très difficile de déterminer ce qu’il y a de bon ou de mauvais dans chacun d’eux.
En réalité, il n’y a ni scrutin excellent ni scrutin profondément néfaste. C’est à la représentation nationale qu’il appartient de choisir. Généralement, du reste, elle se mord les doigts parce qu’elle s’est trompée et elle change le scrutin pour l’élection d’après ; je reconnais que cela fait partie du jeu démocratique.
Toujours est-il que la proportionnelle, pas plus que le scrutin majoritaire, ne peut être tenue pour le scrutin idéal !
M. le président. La parole est à M. Gérard Cornu, pour explication de vote sur l'amendement n° 46 rectifié.
M. Gérard Cornu. C’est en effet un peu par provocation que j’ai déposé cet amendement, monsieur le ministre. Du reste, je vais le retirer. Vous avez bien compris que mon véritable objectif était d’obtenir la suppression de l’article 2.
J’estime que, lorsque trois sièges sont à pourvoir, on ne peut pas parler de proportionnelle. Dans les faits, on obtiendra un scrutin à un tour dans lequel seules les têtes de liste seront élues, dont certaines seront évidemment des femmes. En effet, compte tenu du nombre de listes qui fleuriront, pratiquement jamais le deuxième candidat d’une liste ne pourra être élu.
Dans ces conditions, c’est un abus de langage de parler de proportionnelle !
Cette observation étant faite, je retire l’amendement n° 46 rectifié.
M. le président. L’amendement n° 46 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'article 2.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 267 :
Nombre de votants | 347 |
Nombre de suffrages exprimés | 347 |
Pour l’adoption | 176 |
Contre | 171 |
Le Sénat a adopté.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi relatif à l’élection des sénateurs.
Mise au point au sujet d’un vote
M. Gérard Cornu. Monsieur le président, je souhaite faire une mise au point au sujet du scrutin n° 265 : MM. Raffarin et Fouché ont été déclarés votant pour, alors qu’ils souhaitaient s’abstenir.
M. le président. Acte vous est donné de votre mise au point, qui sera publiée au Journal officiel et figurera à la suite de l’analyse politique du scrutin.
Dans la suite de la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l’article 3.
Article 3
Le premier alinéa de l’article L. 295 du même code est remplacé par les dispositions suivantes :
« Dans les départements où sont élus trois sénateurs ou plus, l’élection a lieu à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, sans panachage ni vote préférentiel. »
M. le président. La parole est à M. Jacques Berthou, sur l'article.
M. Jacques Berthou. L’objet de cet article est d’élargir aux départements élisant trois sénatrices ou sénateurs l’application du scrutin proportionnel.
Monsieur le ministre, en présentant ce projet de loi, la semaine dernière, vous avez dit qu’il avait le double avantage de favoriser la parité et de permettre la diversité politique.
Concernant la parité, j’aimerais partager votre optimisme, car, en fait, ce mode de scrutin va entraîner le dépôt d’un grand nombre de listes et seules des têtes de liste se trouveront élues. Or les testes de liste sont le plus souvent des hommes. Malheureusement, c’est ainsi !
Comme nous l’avons dit précédemment dans le débat, il nous revient, en tant que législateurs, de favoriser la parité, ce que nous faisons bien volontiers, mais il faut également que les mœurs et les habitudes changent. À gauche comme à droite, nous devons tous adapter nos comportements, sans que la loi nous l’impose.
S’agissant de la diversité politique, je crains également que l’apparition d’un grand nombre de listes ne favorise l’émergence de partis extrémistes, en particulier le Front national, qui pourrait voir certains de ses élus siéger un jour dans notre assemblée. Permettez-moi donc d’exprimer réserves et inquiétudes.
Par ailleurs, il est sûr et certain que ce mode d’élection va donner une prime aux partis politiques et, au sein de ceux-ci, aux militants qui, en raison de leur histoire et de leur action personnelle, seront systématiquement désignés têtes de liste.
Le scrutin uninominal majoritaire, lui, autorise la reconnaissance de candidats qui peuvent être élus d’abord sur leurs mérites ; sur leur appartenance politique aussi, bien sûr, mais sans que celle-ci soit trop marquée. Des collègues de gauche comme de droite ont reconnu qu’un tel type de scrutin permettait de dégager des candidats jouissant de la reconnaissance de leur département.
Monsieur le ministre, je tenais à vous faire part de mes interrogations et à vous interpeller par mon témoignage. À mon sens, il ne faut pas systématiquement favoriser l’élection de candidats qui n’ont d’autre légitimité que celle d’appartenir à un parti politique et ne bénéficient pas de la reconnaissance tirée du travail qu’ils ont pu effectuer dans leur département. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. François Patriat applaudit également.)
M. Hervé Maurey. Très bien !
M. Christian Namy. C’est plein de bon sens !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Monsieur Berthou, je comprends tout à fait vos interrogations. D’ailleurs, j’ai rappelé tout à l’heure, en ce qui concerne la parité, que ce système peut être contourné dans les départements élisant trois ou quatre sénateurs par les moyens que vous venez d’évoquer, notamment la multiplication des listes.
Néanmoins, j’ai envie de vous faire partager mon sentiment, enrichi par l’expérience.
La parité dans les conseils municipaux va concerner les communes de plus de 1 000 habitants, comme le Parlement en a décidé. Aussi, mécaniquement, il y aura plus de femmes grandes électrices, que ce n’était le cas jusqu’à présent.
Par ailleurs, la parité applicable au scrutin cantonal favorisera l’émergence d’hommes et de femmes ancrés dans des territoires. Même s’ils ont des étiquettes politiques, ce seront avant tout des élus de terrain, pour beaucoup nouveaux ou nouvelles. En tout cas, cela permettra aussi de changer ce que vous appelez les mœurs politiques, que je n’ignore pas.
Faisons donc le pari de l’intelligence et des évolutions.
Vous le savez, les partis concourent à notre vie démocratique. En même temps, il faut que des personnalités ayant un ancrage représentent les citoyens, tout comme les territoires.
Au sein de votre assemblée, il y a des exemples parlants. Tout à l’heure, une sénatrice de votre groupe, Mme Herviaux, a fait part de son expérience ; il a été aussi question à plusieurs reprises de celle du président Sueur. Tous deux ont été élus sous les deux modes de scrutin.
Mme Herviaux a été élue la première fois tête de liste à la proportionnelle, puis la deuxième fois au scrutin majoritaire. Était-elle prisonnière de son parti ou déconnectée de la réalité des élus de terrain ? Non !
Je vais prendre un autre exemple. Comme vous le savez, je suis un élu de l’Essonne. Michel Berson, qui siège dans cette assemblée, s’y est présenté contre sa formation politique et a été élu. Son ancrage d’ancien président de conseil général y a sans doute contribué, mais il a quand même réussi à se faire élire dans un département de la région parisienne désignant cinq sénateurs, très urbain, même s’il y a aussi une partie rurale, très politisé – Jean-Luc Mélenchon avait sans doute beaucoup bénéficié de l’appui des forces politiques pour être élu au Sénat –, notamment à cause de ces grands électeurs qu’on ajoute et qui sont a priori des militants politiques. Et ce n’est pas un cas isolé.
Je comprends vos préventions, mais, dans les départements à trois sénateurs – la question ne se pose pas pour les départements élisant quatre, cinq sénateurs ou plus, qui se voyaient déjà appliquer le scrutin proportionnel, ou pour ceux qui ont moins de trois sénateurs, qui resteront élus au scrutin majoritaire –, est-ce que l’application de la proportionnelle va donner la main aux formations politiques ? Pas plus, pas moins qu’avant !
À cet égard, un membre de l’opposition a pris tout à l’heure l’exemple du Loiret, où il y a à la fois des villes importantes et des zones rurales étendues. Les grands électeurs des territoires ruraux seront toujours là, avec la représentativité que vous connaissez. Choisiront-ils en fonction des étiquettes politiques ou des qualités propres des hommes et des femmes se présentant à leurs suffrages ? Il y aura un peu des deux, mais c’est déjà le cas avec le scrutin majoritaire : il y a parfois des personnalités, mais un lien avec une formation politique peut aider dans certains départements, quel que soit le groupe politique considéré.
Selon moi, la nouvelle règle ne changera ni l’ancrage ni la réalité du parcours, de l’expérience, des liens qu’un élu ou une personnalité doit avoir pour se présenter aux suffrages des grands électeurs, c’est-à-dire de conseillers municipaux.
Oui, la parité et la place des femmes dans la vie politique gagneront encore un peu plus de terrain. Non, le scrutin proportionnel ne remet pas en cause la représentativité des sénateurs puisque, de toute façon, l’intervention, dans le processus, des grands électeurs, lesquels sont des élus de terrain, sera toujours un gage de légitimité.
Telles sont les réponses que je voulais vous apporter, le plus sincèrement possible, monsieur le sénateur. Elles sont le fruit de mon expérience qui est, certes, moindre que la vôtre, mais qui commence malheureusement à avoir quelques années. (Sourires.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 4 est présenté par M. J.C. Gaudin et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire.
L'amendement n° 38 est présenté par M. Zocchetto et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour présenter l’amendement n° 4.
M. Jean-Jacques Hyest. Cet amendement est parallèle à celui que nous avons présenté pour supprimer l’article 2.
Je ne me lasse pas d’entendre l’argument selon lequel on impose la proportionnelle dans les départements élisant trois sénateurs pour favoriser la parité !
M. le rapporteur, puis M. le ministre nous ont pourtant dit qu’il faudrait faire avec, sous-entendant que les sortants méritants pourraient faire leur propre liste. C’est à peu près ce que vous nous avez dit, ce qui prouve bien que la parité n’était pas l’objectif principal de la réforme.
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, pour présenter l’amendement n° 38.
M. Yves Détraigne. Je vais essayer de ne pas paraphraser Jean-Jacques Hyest.
Les promoteurs de cet article, qui est le pendant de l’article 2 pour les départements élisant trois sénateurs ou plus, nous disent que l’instauration du scrutin proportionnel va notamment favoriser le pluralisme. Au contraire, je pense plutôt qu’elle va le réduire. En effet, avec le scrutin majoritaire, il est possible de panacher, de rayer un nom sur une liste ou d’ajouter un nom d’une autre liste. Il y a donc un certain choix. Avec la proportionnelle, on met en place un scrutin de liste bloquée, ce qui ne favorise pas le pluralisme, bien au contraire.
Par ailleurs, il ne sera plus nécessaire d’être issu du terrain ni d’avoir un ancrage territorial pour se faire élire. Dès lors qu’il y aura une tête de liste qui sera soit une personnalité politique connue entraînant toute la liste, soit un élu territorial ayant une certaine aura dont bénéficieront ses colistiers, il sera possible de faire figurer derrière cette tête de liste des gens qui, individuellement, seraient incapables de se faire élire par les élus territoriaux qui ne reconnaîtraient pas en eux des personnes capables de représenter leurs collectivités. En revanche, derrière une locomotive ayant une bonne assise territoriale, ils seront susceptibles d’être désignés pour représenter les territoires au Sénat.
Monsieur le ministre, je sais que vous vous élevez contre cette interprétation du dispositif, mais, à mon sens, il fait du Sénat une assemblée politique, au même titre que l’Assemblée nationale.
Or l’intérêt du bicamérisme consiste en l’existence de deux chambres différentes : une chambre évidemment politique, qui a le dernier mot – ce que personne ne viendrait contester ici – et une chambre qui représente les territoires, dont les membres débattent en fonction de leur expérience d’élus locaux, de leur connaissance du terrain, où le débat est plus serein – vous le reconnaissez souvent vous-même, monsieur le ministre –, apporte des éléments qui améliorent techniquement le texte et s’avère complémentaire du débat à l’Assemblée nationale.
Avec le mode de scrutin qui nous est proposé, nous allons gommer toutes ces spécificités ! Vous comprenez donc pourquoi nous avons déposé cet amendement de suppression de l’article 3.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. L’avis de la commission est évidemment défavorable puisque l’article 3 s’inscrit dans la suite logique du précédent. Il convient donc de respecter une certaine cohérence.
Il n’est pas vrai que, dans les départements élisant les sénateurs à la représentation proportionnelle, seuls d’affreux apparatchiks sont élus, simplement parce qu’ils ont une étiquette politique. Le département des Hauts-de-Seine élit sept sénateurs : j’ai été élu sous l’étiquette du parti socialiste, certes, mais aussi parce que je suis conseiller municipal depuis plus de vingt ans, maire depuis treize ans et président d’une agglomération depuis huit ans…
M. René-Paul Savary. Cumul ! (Sourires.)
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Dans ce même département, un candidat « dissident » de l’UMP, M. Jacques Gautier, malgré l’opposition de tout l’appareil de l’UMP, a obtenu pratiquement autant de voix que la liste officielle de son parti, conduite par Roger Karoutchi. (M. Gérard Cornu proteste.)
Indépendamment du mode de scrutin, l’élection sénatoriale conserve sa spécificité, avec un corps électoral encore composé très majoritairement de conseillers municipaux, et ce projet de loi ne va pas bouleverser la situation. Ces grands électeurs savent faire la différence entre la valeur d’un candidat et ses engagements politiques partisans.
Tout cela doit donc être apprécié à l’aune de notre expérience de ces différents modes de scrutin. Gardons-nous d’en déduire des règles absolues ! Le monde urbain n’est pas représenté que par d’affreux apparatchiks : on trouve aussi des élus de terrain présents dans les quartiers et dans les villes, qui font leur travail au quotidien. Il faut éviter les caricatures !
Notre débat est de bon niveau : essayons de faire en sorte que le Sénat soit plus légitime et plus représentatif. Les deux réformes proposées vont tout à fait dans ce sens.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre. Monsieur Hyest, je n’ai pas abordé la question des manœuvres politiques. En répondant à l’un de vos collègues, M. Berthou, j’ai simplement indiqué que nous savions que ce risque existait. Mais n’y voyez aucun encouragement de ma part !
M. Jean-Jacques Hyest. Non, non !
M. Manuel Valls, ministre. Cette réalité n’est d’ailleurs pas nouvelle, quel que soit le mode de scrutin utilisé.
Entre 2001 et 2004, le Sénat a connu cet épouvantable régime des partis. Pour autant, a-t-il changé profondément de nature ? Non !
M. Hervé Maurey. Le renouvellement de 2001 ne portait que sur un tiers des sièges !
M. Manuel Valls, ministre. Encore une fois, vous avez ici un exemple vivant en la personne de M. Sueur…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est la septième fois que vous me citez ! Trouvez d’autres exemples ! (Rires.)
M. Manuel Valls, ministre. Je pourrais citer d’autres exemples dans ces départements dont la typologie même rend nécessaire la relation entre les élus et les grands électeurs. Dans ce type de département, si une liste veut réaliser un bon score et obtenir le maximum d’élus, elle a intérêt à regrouper des femmes et des hommes qui soient solides. Ce constat est vrai partout ! Enlevez certaines caricatures de votre esprit !
Je reprends l’exemple du département de l’Essonne : Mme Campion est sénatrice depuis très longtemps, alors qu’elle est maire d’une commune située dans la partie la plus rurale du département. Car ce type de communes existe aussi en Île-de-France : dans l’Essonne, en Seine-et-Marne, dans le Val-d’Oise… Dans ces départements de la région Île-de-France,…
M. Jean-Jacques Mirassou. Et d’autres !
M. Manuel Valls, ministre. … ainsi que dans d’autres grands départements urbains, monsieur le sénateur de la Haute-Garonne, les sénateurs élus à la représentation proportionnelle sont tout autant ancrés dans la réalité que les sénateurs élus au scrutin majoritaire.
Enfin, j’ai bien entendu l’hymne à la dépolitisation. Je reconnais avec vous que les débats sont parfois plus calmes dans cet hémicycle et que les arguments sont parfois plus posés. Mais les anciens députés sont malgré tout assez nombreux parmi vous. J’ai bien compris qu’il n’y avait pas de militants politiques dans cette assemblée, mais seulement des représentants des élus et des territoires, comme MM. Karoutchi, Raffarin, Pasqua, Laurent ou Rebsamen… (Sourires.) Je crois d’ailleurs savoir qu’il existe des groupes politiques, qu’il y a une majorité et une opposition, ce qui ne vous empêche pas de dégager certains consensus – c’est aussi vrai à l’Assemblée nationale ! – et de partager une certaine vision du rôle du Sénat.
Très honnêtement, l’extension de la représentation proportionnelle aux départements élisant trois sénateurs ne changera pas profondément la nature du Sénat. Tous les sénateurs, ceux qui sont élus à la proportionnelle comme ceux qui sont élus au scrutin majoritaire, ont bien en tête de conserver la spécificité du Sénat. Je ne me fais guère d’illusions sur ce point, ou plutôt je conserve tous les espoirs !
M. le président. La parole est à M. Gérard Cornu, pour explication de vote.
M. Gérard Cornu. Le débat qui se déroule est effectivement de bon niveau et nous voyons bien que des interrogations se font jour sur toutes les travées de cet hémicycle. Je souscris aux propos de notre collègue Berthou !
Monsieur le ministre, je ne crois pas que l’abaissement du seuil de la proportionnelle aux départements élisant trois sénateurs, compte tenu de la configuration des départements concernés, qui sont globalement ruraux et comptent entre 400 000 habitants et 600 000 habitants, va favoriser la parité.
Nous avons plus encouragé la parité en adoptant de manière quasi consensuelle – contre votre avis, monsieur le ministre – un amendement relatif aux suppléants. En effet, comme l’ont très justement dit M. Berthou ainsi que nos collègues du groupe centriste, l’élection à la proportionnelle, dans les départements désignant trois sénateurs, ne permettra d’élire que les têtes de liste !
Vous citez toujours les exemples de M. Sueur et de Mme Herviaux, qui ont eu le mérite d’être élus selon les deux modes de scrutin. Très bien ! Mais pourquoi M. Sueur a-t-il été élu dans les deux cas ? Parce qu’il est un élu de terrain, parce qu’il jouit d’une notoriété certaine, parce qu’il a été maire d’Orléans et, enfin, parce qu’il a certainement fait un très bon travail – et il est heureux que les électeurs reconnaissent ce travail !
Si des femmes sont têtes de liste (Exclamations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.), elles seront élues de la même façon qu’au scrutin majoritaire. Un exemple significatif est celui de Mme Herviaux, qui a été élue à la représentation proportionnelle parce qu’elle était tête de liste, puis au scrutin majoritaire à deux tours.
Je ne vois donc pas en quoi l’adoption de cet article 3 favorisera la parité. Nous disons gentiment notre désaccord, puisque la sérénité des débats dans cet hémicycle nous permet de nous exprimer dans un respect mutuel, et je crois que mes propos peuvent être approuvés sur toutes les travées parce que l’argument de la parité est une fausse excuse.
M. le président. La parole est à M. Christian Favier, pour explication de vote.
M. Christian Favier. Il faut sortir du manichéisme consistant à opposer les élus reconnus, de terrain, aux militants politiques. Quand on utilise le mot « apparatchik », il me semble que l’on exprime un certain mépris à l’égard des militants. Or peu d’entre vous, dans cet hémicycle, seraient élus s’il n’y avait pas des militants ! En tout état de cause, je ne vois pas de honte à ce que des militants puissent devenir des élus.
L’adoption de cet article va favoriser la parité.
Dans le département du Val-de-Marne, département urbain, la représentation proportionnelle a permis à la gauche, lors des dernières élections sénatoriales, de gagner un siège. La gauche n’a pas progressé uniquement parce qu’elle avait présenté des militants, mais parce qu’elle a su présenter une liste large, regroupant des élus exerçant des responsabilités électives au niveau municipal, départemental ou régional et d’autres candidats dont l’expérience politique était moindre.
Nous avons pu ainsi élargir notre représentativité politique, ce qui a permis, par exemple, à notre collègue Esther Benbassa d’être élue au titre d’Europe-Écologie-Les Verts. Aujourd’hui, Esther Benbassa joue parfaitement son rôle de sénatrice dans notre assemblée, M. le président de la commission des lois doit pouvoir en témoigner. (M. le président de la commission des lois acquiesce.)
Les sénateurs ne sont pas plus ou moins bons en fonction de la façon dont ils ont été élus : c’est à eux de faire la preuve de leurs capacités !
Si nos collègues de l’opposition tiennent tant à la parité, pourquoi n’ont-ils pas déposé un amendement tendant à imposer que les têtes de liste soient des femmes ? (M. Jean-Jacques Hyest s’exclame.) Je n’ai pas vu de proposition en ce sens !
Pour notre part, nous nous réjouissons de cet élargissement de l’élection des sénateurs à la représentation proportionnelle et nous voterons contre les amendements de suppression de l’article 3. (Mme Laurence Cohen applaudit.)