M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous abordons un sujet qui intéresse tous nos concitoyens. Cette proposition de loi traite en effet du permis de conduire, et plus particulièrement des conditions de renouvellement du titre permettant la conduite des véhicules par les personnes âgées.
Je souhaite tout d’abord profiter de cette tribune pour adresser un message de vigilance et de prudence. La tendance baissière, constatée depuis le début de l’année en matière de mortalité routière, s’est accentuée au mois de mai dernier, avec une diminution de près de 30 % du nombre de tués sur nos routes. Ce sont 95 vies qui ont ainsi été épargnées en mai 2013. Ce fut, de tous les mois de mai, le moins meurtrier sur nos routes. Sur les cinq premiers mois de 2013, la mortalité routière a baissé de 16 % par rapport à la même période de l’année précédente, ce qui représente 222 vies sauvées.
Ces résultats encourageants ne doivent en aucun cas faire oublier que la sécurité routière se joue au quotidien, et que près de dix personnes décèdent encore chaque jour dans un accident de la circulation. L’entrée dans la période des beaux jours, qui offrent traditionnellement l’occasion de sorties, notamment pour les deux-roues, doit inciter chaque usager de la route à redoubler de prudence.
Ces quelques éléments rappelés, j’en reviens au cœur de la proposition de loi soumise à votre examen.
Contrairement à une idée reçue, les personnes âgées n’ont pas plus d’accidents que les autres. De manière générale, elles sont même sous-représentées dans les statistiques des accidents de la route : elles sont ainsi cinq fois moins victimes que les jeunes d’accidents de la circulation routière. En effet, bien souvent conscientes de leurs limites, elles privilégient fréquemment des modes de déplacement alternatifs à l’automobile ou aux deux-roues et, lorsqu’elles conduisent un véhicule motorisé, adoptent un comportement éminemment prudent, qui se traduit notamment par une vitesse peu élevée, une vigilance accrue et des trajets courts.
Ce constat a conforté le Gouvernement dans son souci de donner aux personnes âgées la possibilité de se déplacer le plus longtemps possible, car leur autonomie en dépend. À ce titre, la conduite automobile et la possession d’une voiture sont essentielles pour les personnes âgées.
La tentation d’instaurer une visite médicale obligatoire pour les conducteurs âgés est grande : plusieurs pays ont déjà mis en place une telle mesure. Pour autant, l’obligation de se soumettre à un examen en fonction de l’âge n’a jamais fait la preuve de son efficacité, comme l’atteste le rapport de l’OCDE sur le vieillissement et les transports publié en 2001.
En France, l’incitation au dialogue avec son médecin, voire avec des spécialistes pour faire vérifier sa vue ou son audition, a été privilégiée afin de définir les restrictions auxquelles la personne âgée doit se conformer. Une brochure a été réalisée par l’ordre des médecins et la délégation interministérielle à la sécurité routière à destination des médecins généralistes pour leur rappeler leur rôle de conseil auprès de leurs patients en fonction des pathologies. Une brochure équivalente à destination des conducteurs est en cours de réalisation avec l’ordre des pharmaciens et sera diffusée dès juillet.
Le faible taux d’accidents de la route impliquant des personnes âgées tend à montrer que cette stratégie fonctionne bien.
Fortement complémentaire de celui du médecin, le rôle de la famille est, nous le savons, important, car cette dernière peut entamer le dialogue avec la personne âgée, même si cela est bien souvent délicat. En dernier recours, elle peut faire appel, comme tout autre citoyen d’ailleurs, au préfet, qui pourra enjoindre au titulaire du permis de conduire de se soumettre à un contrôle médical. Cet examen sera réalisé par un médecin agréé consultant hors commission médicale.
Dans ce domaine, je tiens à préciser que le décret du 17 juillet 2012 a introduit deux mesures qui participent à la prévention des risques du conducteur. La première tient à l’extension du champ du contrôle, qui porte non seulement sur l’aptitude physique, comme c’était le cas auparavant, mais aussi sur l’aptitude cognitive et sensorielle du patient. La seconde permet aux médecins qui examinent l’usager de lui prescrire des examens complémentaires, notamment des tests psychotechniques d’aptitude à la conduite. Au vu de l’avis médical émis, le préfet pourra alors prononcer, s’il y a lieu, la restriction de validité, la suspension ou l’annulation du permis de conduire.
Par ailleurs, les assureurs, les collectivités locales, les caisses de retraites et les caisses d’assurance maladie organisent déjà, avec le soutien de l’État et le concours de bénévoles, des stages destinés aux conducteurs seniors, qui sont très positifs.
J’aimerais à ce titre saluer le travail de l’Association prévention routière qui permet annuellement à 30 000 personnes de suivre ce type de stage. Certes basés sur le volontariat, ils permettent aux personnes âgées de réactualiser leurs connaissances tant théoriques que pratiques et de prendre mieux conscience de leurs limites. La CARSAT, la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail, la MSA, la Mutualité sociale agricole, et l’Association Générations mouvement ont également monté un partenariat sur le territoire amiénois, que je crois exemplaire en la matière. Je souhaite que ce type de partenariats se développe sur l’ensemble du territoire. C’est l’un des objectifs que j’ai fixés à la mobilisation nationale contre l’isolement social des personnes âgées, lancée en décembre dernier, et dont le groupe de travail proposera le 12 juillet prochain une phase de déploiement.
Enfin – et je crois qu’il s’agit là d’un point majeur dont chacun de nous doit prendre conscience –, la conduite étant aussi une forme importante de prévention de la perte d’autonomie, il convient de favoriser l’accès aux technologies d’aide à la conduite, qui ne cessent de se développer et qui sont encore trop peu connues des personnes âgées et de leurs familles.
Un centre d’expertise national de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, le CEREMH, le Centre de ressources et d’innovation mobilité handicap, spécialisé dans les questions de mobilité, travaille à recenser et à faire connaître les innovations en matière d’aménagement et de nouveaux véhicules, pour garantir une conduite sécurisée et pallier efficacement les premières faiblesses que peut parfois engendrer l’âge.
En lien avec le pôle de compétitivité Mov’eo, avec les constructeurs automobiles, les prestataires de transport et divers laboratoires de recherche, la recherche s’amplifie ; ses développements sont prometteurs pour la silver economy, l’économie liée à l’âge, et donc pour la création d’emplois.
L’étape future est le développement territorial de ce type de centre.
C’est maintenant à chaque intervenant du domaine des transports, de la formation à l’utilisation, en passant par le conseil, le contrôle et la distribution, de s’en saisir pour que les technologies permettent de garantir une mobilité sûre des personnes âgées le plus longtemps possible, comme cela est le cas pour les personnes handicapées.
La concertation menée jusqu’à présent avec les professionnels nous a montré que l’inaptitude médicale dépend davantage de l’état de santé du conducteur et des médicaments qu’il prend que de son âge. L’évaluation médicale figurant dans la proposition de loi comporte donc un caractère discriminatoire d’autant plus injuste qu’il est infondé au regard des données d’accidentalité dont nous disposons. Elle comporte surtout le risque d’aboutir à une perte brutale d’autonomie et d’indépendance des personnes âgées.
Vous l’aurez donc compris, le Gouvernement n’est pas favorable à l’instauration d’une évaluation médicale à la conduite systématique pour tous les conducteurs âgés de 70 ans et plus. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens avant tout à remercier notre collègue Yves Détraigne de nous donner l’occasion de débattre d’un sujet particulièrement important : la sécurité routière.
Jusque dans les années soixante-dix, le nombre de tués sur les routes n’a cessé d’augmenter, pour atteindre un pic en 1972 avec près de 18 000 morts. Ce n’est qu’à cette époque que les pouvoirs publics se sont emparés du problème. Selon les estimations de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière, la mortalité routière serait ainsi progressivement tombée à 3 645 tués en 2012.
L’évolution de la réglementation et de la répression, l’amélioration des infrastructures et des véhicules, le changement de comportement de certains conducteurs expliquent pour beaucoup cette évolution.
Renforcer la prévention et la sécurité routière est un enjeu majeur pour nous tous. Pour autant, la proposition de loi de nos collègues constitue-t-elle une solution efficace pour diminuer le nombre de morts sur les routes ? Sincèrement, je ne le crois pas.
Chaque accident provoqué par une personne âgée relance le débat sur l’aptitude à conduire de cette catégorie de la population. Toutefois, cela a été dit, les conducteurs âgés n’ont pas, contrairement aux idées reçues, plus d’accidents que les autres et ne conduisent pas plus dangereusement, mais ils sont sans doute plus vulnérables et peuvent parfois être troublés par les nouvelles infrastructures ou l’évolution de la signalétique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, comme l’a souligné Mme la ministre, la prévention routière organise, depuis quelques années déjà, des stages de remise à niveau à l’attention de cette catégorie de conducteurs.
Alors pourquoi stigmatiser cette catégorie de conducteurs, pourtant plus responsable et plus prudente que les autres ? Pourquoi l’âge des conducteurs devrait-il être un critère, quand près d’un accident mortel sur quatre est dû à la consommation excessive d’alcool, et un tiers des accidents causé par la fatigue ou la somnolence, sans parler de la vitesse excessive, qui n’est pas l’apanage des personnes âgées ?
L’âge ne doit pas être un facteur discriminant, d’autant que la voiture constitue pour les personnes âgées, comme l’a souligné Mme la ministre, un symbole fort d’indépendance. À la campagne ou dans les périphéries des centres-villes, la voiture est souvent le seul moyen pour faire ses courses, se rendre chez le médecin, ou tout simplement maintenir un lien social avec la famille. Restreindre la conduite sur le seul critère de l’âge accélérerait le processus d’isolement, précipitant ces personnes vers la dépendance d’un tiers. Accessoirement, cela donnerait aussi un coup d’accélérateur aux ventes de voitures sans permis, lesquelles ne sont pas sans danger.
En réalité, la question de l’aptitude à conduire dépend plus de l’état de santé des conducteurs que de leur âge.
Certaines addictions, certaines pathologies ou certains traitements médicamenteux présentent en effet des risques, parfois très élevés, pour la conduite. De nombreux patients ignorent encore que certaines pathologies nécessitent un avis de la commission médicale des permis de conduire et qu’en prenant le volant, ils sont un danger potentiel pour eux-mêmes et pour les autres. De la même façon, ils n’ont pas toujours conscience des risques qu’ils encourent en absorbant certains médicaments utilisés couramment dans le traitement de la douleur ou de la toux, lesquels peuvent altérer leurs capacités.
Dans ces conditions, le médecin joue un rôle particulièrement important pour l’estimation du risque. Il doit informer son patient des conséquences de sa pathologie, des risques de l’alcool, des stupéfiants ou de certains médicaments sur la conduite. Il doit par ailleurs l’inciter à s’adresser à un médecin agréé ou à la commission médicale départementale du permis de conduire. Le médecin n’a cependant qu’une obligation de moyens et il ne peut en aucun cas contraindre son patient à arrêter de conduire.
Tenu au secret médical, il ne peut pas non plus signaler son patient à l’autorité préfectorale. Cela est plutôt étonnant quand on sait qu’il doit, en revanche, signaler aux autorités administratives tout sportif soupçonné de consommer des substances dopantes. Pourquoi ne pas l’envisager pour un conducteur souffrant d’une pathologie ou d’une addiction comportant des risques pour lui-même et les autres usagers de la route ? J’ai déposé, avec plusieurs de mes collègues, deux amendements en ce sens.
Aussi, madame la ministre, mes chers collègues, aucun des membres du RDSE n’apportera son soutien à la présente proposition de loi, qui nous semble inutilement discriminatoire.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à instituer une évaluation médicale à la conduite pour les conducteurs âgés de 70 ans et plus, voire même de 75 ans si l’un des amendements du rapporteur était adopté.
À première vue, l’objectif semble utile puisque l’adoption de ce texte permettrait, selon nos collègues de l’UDI-UC, « de contribuer à l’abaissement de la mortalité routière ».
La mortalité sur les routes reste un fléau dans notre pays. Toute mesure permettant d’éviter des accidents et des morts inutiles doit donc être votée sans considération partisane.
Chacun a un parent, un ascendant, un oncle ou une tante qui continue de conduire alors qu’il est devenu, avec le temps, ce qu’il est convenu d’appeler « un véritable danger public ». Pourtant, ni les émotions ni les images sensationnelles des accidents commis par des personnes âgées ne doivent guider le législateur. La gauche, pendant la précédente mandature, s’est fréquemment élevée contre le mécanisme consistant à élaborer une loi à chaque fait divers, aussi terrible soit-il.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Esther Benbassa. La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui n’est pas anodine et doit être envisagée sous tous ses aspects.
On ne peut le nier, certaines personnes continuent de conduire, alors qu’elles devraient s’arrêter parce que leur vue et leur ouïe baissent, parce que leurs réflexes diminuent.
Toutefois, si elles continuent à conduire, c’est bien souvent par nécessité. La voiture reste, en dehors des grandes villes, un moyen indispensable pour aller faire ses courses, se rendre chez le médecin ou, tout simplement, avoir une vie sociale.
Imposer un contrôle médical aux conducteurs vieillissants, pourquoi pas ? Encore faut-il faire remarquer que cela n’a pas de sens s’ils ne sont pas pris en charge pour leurs déplacements quotidiens !
On le sait, la population française vieillit. Cela rend la question de l’autonomie et de la mobilité cruciale dans une société qui manque cruellement d’infrastructures pour accueillir les plus âgés. De surcroît, rien ne permet de dire aujourd’hui, faute de disposer de travaux en nombre significatif sur la question, que les conducteurs âgés de plus de 70 ans seraient à l’origine d’un plus grand nombre d’accidents que les autres. Au contraire !
Comme l’a dit Mme la ministre, les seniors n’ont pas tendance à conduire ivres ou sous l’emprise de drogues. D’ailleurs, nombreux sont ceux qui, sentant leurs capacités diminuer, modifient leurs habitudes, arrêtent de conduire la nuit ou d’emprunter l’autoroute.
Les accidents graves impliquant des personnes âgées ne sont pas toujours liés à l’âge du conducteur. Ainsi, comme le relèvent les députés Armand Jung et Philippe Houillon dans un rapport d’information remis en 2012, « ce n’est pas un quelconque malaise du conducteur octogénaire qui est à l’origine du drame de Loriol qui a coûté la vie, le 29 novembre 2002, à cinq pompiers drômois, mais le très grand excès de vitesse dont il s’est rendu coupable au volant d’un véhicule très puissant, aux abords d’un accident signalé ».
Si la question de l’aptitude à conduire est légitime, elle doit se poser à tous et à tous âges. Il semble au groupe écologiste que la sanction, comme la stigmatisation du vieillissement, ne peuvent être des solutions. Selon nous, c’est l’entourage et, surtout, le médecin traitant qui sont les plus à même d’alerter une personne sur la diminution de ses capacités.
Aux termes du texte que nous examinons, un médecin agréé de la préfecture rédigerait le certificat médical d’aptitude. Celui-ci n’est toutefois pas forcément le mieux placé pour évaluer la capacité à conduire. En effet, il n’a jamais rencontré la personne auparavant. De surcroît, tout le monde n’habite pas dans une ville où se trouve une préfecture. Dans bien des territoires, il faudra donc s’y rendre en voiture.
C’est la raison pour laquelle le groupe écologiste a déposé un amendement tendant à proposer que le médecin traitant se charge de déterminer l’aptitude à conduire.
Parallèlement, et parce que nous croyons que c’est la prévention qui peut durablement changer les comportements, nous avons déposé un amendement pour que des campagnes de sensibilisation aux risques routiers liés au vieillissement soient menées par divers canaux.
Bien que la présente proposition de loi ait le mérite de susciter un débat de société utile et une réflexion salutaire, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, et notamment afin d’éviter d’inscrire dans la loi une discrimination liée à l’âge, le groupe écologiste ne votera pas ce texte. (Mme Virginie Klès applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte déposé par notre collègue Yves Détraigne a pour objectif de rapprocher notre législation de celle qui est applicable dans d’autres pays de l’Union européenne s’agissant des contrôles d’aptitude à la conduite, notamment pour les personnes les plus âgées.
La conséquence serait, en fait, d’élargir les motifs et les contrôles pouvant aboutir au retrait du permis de conduire ou à sa suspension temporaire.
Cette proposition de réforme s’inscrit dans la continuité de ce qui avait été proposé, en décembre 2002, par le comité interministériel de sécurité routière. Je veux parler de l’instauration d’une évaluation médicale de l’aptitude à la conduite pour les personnes âgées de plus de 70 ans par un médecin de ville, avec possibilité d’appel devant la commission médicale départementale du permis de conduire.
Au terme de cet examen, il aurait alors été possible de restreindre à des horaires ou à des espaces donnés la conduite d’une personne devenue déficiente physiquement, mais apte à la conduite.
Pour mettre en place un meilleur contrôle de l’aptitude à conduire des personnes les plus âgées, il est envisagé que tout détenteur du permis de conduire de catégories A et B, âgé de 70 ans ou plus, ait en sa possession un certificat médical délivré par un médecin agréé auprès de la préfecture du département et attestant de sa capacité à conduire. Tous les cinq ans, il serait alors procédé à un nouveau contrôle médical d’aptitude à la conduite, accompagné d’un stage de remise à niveau. Puis, la commission médicale départementale du permis de conduire, chargée de vérifier l’aptitude à la conduite, pourrait prononcer une interdiction totale ou partielle.
Mes chers collègues, cette proposition de loi a l’intérêt d’avoir de nouveau suscité au sein de la commission des lois un débat dont j’ai su qu’il n’avait pas été inintéressant, chacun ayant pu faire valoir son opinion sur ce sujet.
Pour autant, force est de constater que la commission des lois n’a pas, dans sa grande sagesse, élaboré de texte de commission. C’est dire s’il existe des arguments contradictoires ! D’ailleurs, nous en avons déjà entendus.
Sur la forme, d’abord, je crois que le dispositif est mal calibré avec les réalités pratiques de la sécurité routière.
En effet, à l’instar de l’examen ophtalmologique, on imagine mal comment les médecins pourront faire face à un accroissement aussi important de visites médicales. Ce sujet n’est pas anodin, alors que l’on connaît tous la tendance au vieillissement de notre population. Imaginez le nombre des conducteurs de 70 ans qui se verraient dans l’obligation de procéder aux examens que vous proposez d’instaurer !
Mon sentiment se trouve renforcé, au surplus, par le fait que la plupart de personnes âgées qui conduisent se trouvent installées dans des zones rurales où les alternatives de transport ne sont que trop limitées. De fait, le présent texte aurait pour effet d’augmenter la dépendance des personnes âgées.
Il existe un autre exemple visant à dénoncer les conséquences pratiques d’un tel dispositif : en cas d’infraction, un excès de vitesse, par exemple, le préfet peut exiger que l’auteur passe une visite médicale. Dans ce cas, on fait venir la personne mise en cause au chef-lieu du département, l’obligeant ainsi, alors qu’on vient de suspendre son permis de conduire, à parcourir plus de 80 kilomètres ! Par ailleurs, le médecin de la préfecture rend seul sa décision, et il en résulte des aberrations…
Je conclurai mon propos en faisant remarquer qu’un certain nombre de questions pratiques restent sans réponse.
Les examens médicaux pourront-ils se faire à l’occasion d’une visite médicale de routine, alors que cela alourdira encore la charge de la consultation médicale ? Qu’en sera-t-il de la responsabilité des médecins qui n’auront pas détecté une incapacité à la conduite ? Quels seront les critères pris en compte par les médecins pour prononcer « à coup sûr » l’incapacité de conduire de la personne, alors même que l’examen n’aurait pas fait suite à un accident de la route ?
La périodicité des contrôles est-elle réellement pertinente au regard de l’évolution des maladies qui peuvent actuellement compromettre la bonne conduite de nos concitoyens ? Est-il, d’ailleurs, pertinent d’établir un lien entre les troubles visés précédemment et l’âge du conducteur ? Cette question ressort de la santé. Ce n’est pas l’âge qui est en cause !
Vous me permettrez d’ouvrir une parenthèse. La plupart des experts médicaux s’accordent à dire qu’il existe une baisse des capacités physiologiques et cognitives après 45 ans. Les rhumatismes, la baisse des réflexes qui peuvent survenir dés cet âge sont susceptibles d’avoir des effets sur la bonne conduite ! Sans parler des effets néfastes de certains médicaments prescrits à des personnes qui peuvent être très jeunes … Chateaubriand ne disait-il pas qu’ « il n’y a point d’âge légal pour le malheur » ? (Sourires.)
J’en viens désormais au fond du sujet. Comme l’ont fait remarquer plusieurs de mes collègues, de droite ou de gauche, les faits d’accident de la route ne concernent pas seulement les personnes âgées. Ils sont au contraire, la plupart du temps, le fait de jeunes conducteurs peu habitués à la conduite, alcoolisés, drogués, ou inconscients.
Encore faut-il admettre que de nombreux accidents résultent réellement d’un événement fortuit dont les effets sont plus ou moins dommageables pour les personnes ou pour les choses. Ils constituent alors des événements inattendus, non conformes à ce qu’on pouvait raisonnablement prévoir. Telle est, d’ailleurs, la définition du dictionnaire Larousse. Je la trouve importante !
Aussi malheureux que cela soit, on ne peut pas tout anticiper, tout prévoir, tout prévenir sans porter trop largement atteinte aux droits et libertés individuelles de chacun. Et c’est là tout le problème de la prévention. Or, si l’on veut prévoir ou essayer d’encadrer l’imprévisible, cela nous oblige à encadrer toujours plus les faits et les actions de nos concitoyens.
En effet, si l’on voulait parvenir à un tel but, vous imaginez bien qu’il faudrait alors imposer des contrôles d’alcoolémie à la sortie de toutes les boîtes de nuits de France ! Il nous faudrait mettre en place un contrôle médical régulier pour tous les jeunes déjà interpellés parce qu’ils sont en possession de substances hallucinogènes, parce qu’ils sont en état d’ivresse sur la voie publique ou parce qu’ils ont commis d’autres faits encore…
Si je force bien évidemment le trait de ma démonstration, je maintiens qu’une question mérite d’être posée : devrions-nous traiter avec autant de différence de tels facteurs d’insécurité routière ? Ou devrait-on en traiter un seul avec moins de force, alors même qu’il nous paraîtrait plus grave, sous prétexte que le contrôle des uns est plus facile à mettre en place que le contrôle des autres ? Eh bien, non !
Le caractère fortuit de l’accident est l’élément fondamental de la réflexion que nous devons poursuivre en la matière.
Je parlais tout à l’heure des contrôles d’aptitude à la conduite qui seraient consécutifs à un accident de la route. Bien qu’il existe, je le disais, des faiblesses inhérentes à ce dispositif, il paraît plus aisé à mettre en place.
En effet, à l’occasion d’un accident de la route, il est toujours complexe de savoir si cet événement résulte d’une pure imprudence de la part du conducteur ou d’un événement fortuit. Le contrôle qui fait suite à l’accident permet de répondre pour partie à cette question. Or, dans ce contexte, l’âge, les années d’expérience, sont des critères qui ont peu d’importance pour déterminer l’issue du contrôle a posteriori. Ce qui compte, c’est la capacité de chacun à prendre de nouveau le volant.
En revanche, si l’on mettait en place le dispositif que vous nous proposez, nous risquerions de stigmatiser a priori systématiquement les personnes les plus âgées qui ne sont pas forcément les plus inaptes à conduire. Il est évident qu’à la moindre inattention, au moindre accident, au moindre contrôle, l’attention de chacun se portera sur l’âge des conducteurs mis en cause. Or ce qui est en cause, je le répète, ce n’est pas l’âge mais la santé, au sens large, du conducteur.
Doit-on donc réellement instaurer une obligation perpétuelle de bonne conduite ?
Doit-on instaurer une obligation de conduite parfaite, sans droit à l’erreur pour les personnes les plus âgées ?
Pourtant, les accidents de la route sont pour l’essentiel le fait des 18-24 ans, et non pas des personnes de plus de 70 ans, qui conduisent peu ou sur de courtes distances ! Je rappelle les propos teintés d’humour d’un auteur américain : les personnes âgées sont les seules à avoir le temps de respecter les limitations de vitesse... (Sourires.)
Les statistiques qui nous sont donc trop souvent présentées, à tort, ne sont pas exploitables en tant que telles, car elles mélangent des catégories d’accidents dont les causes sont bien différentes. Dès lors, si l’on veut instaurer une visite médicale obligatoire à intervalles réguliers, il faudrait peut-être plutôt réfléchir à la prévoir pour l’ensemble des usagers de la route ! L’interdiction de conduire, quant à elle, doit être limitée à toutes les personnes qui, du fait d’une maladie ou de la consommation de certaines substances médicamenteuses ou hallucinogènes, sont inaptes à la conduite.
Pour autant, comme je le disais au début de mon intervention, j’ai la conviction que notre collègue Détraigne soulève une question très importante. Pour cette raison, nous ne devons pas nous en désintéresser.
Ainsi, le problème de la sécurité routière, en ce qu’il concerne plus particulièrement les personnes les plus âgées, pourrait nous inciter à approfondir la question, en privilégiant les campagnes de prévention. L’objectif de ces dernières serait double : d’une part, accroître la vigilance de chacun sur la capacité de conduire de notre entourage, d’autre part, inciter les médecins, dits « de famille », à rappeler à leurs patients la nécessité d’une plus grande vigilance, quand il est question de leur santé, de leur sécurité et de celle d’autrui.
Sans mettre en place un système trop rigide, le développement d’une telle vigilance des médecins permettrait de renforcer la détection de ces incapacités. J’utilise le terme « renforcer », car, heureusement, beaucoup de médecins se préoccupent déjà de ce type de diagnostic.
En définitive, je crois que ce texte n’est pas adapté au problème qu’il entend traiter. Néanmoins, je tiens à remercier notre collègue Yves Détraigne de nous alerter sur la nécessité de prendre en considération le phénomène toujours aussi préoccupant qu’est l’insécurité routière pour l’ensemble de la population.
La France a fait de grands progrès en matière de sécurité routière. Il est de notre responsabilité collective de poursuivre nos efforts et d’encourager toute démarche allant dans ce sens, ce qui nous permettrait également de nous rapprocher de nos voisins européens.
C’est pourquoi j’estime, avec l’ensemble du groupe UMP, qu’il faut renvoyer le texte en commission afin d’approfondir dans un cadre plus vaste ce sujet important. Nous soutiendrons donc la motion tendant au renvoi en commission qui nous sera présentée ultérieurement. (Mme Virginie Klès applaudit.)