Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’examen de ce projet de loi intervient dans un contexte de réel désamour de nos concitoyens à l’égard de l’Europe et de ses institutions, ressenties comme des instruments supplémentaires d’austérité, voire de paupérisation, et jugées impuissantes à aider les populations à améliorer leurs conditions de vie.
La discussion du présent texte constitue une belle occasion de montrer au plus grand nombre que l’Europe et la construction de son droit commun peuvent aussi contribuer à renforcer les droits fondamentaux de tous les citoyens européens, ainsi que ceux des ressortissants des pays tiers.
Les écologistes ont toujours revendiqué leur attachement sans faille à la construction européenne et à l’édification nécessaire d’un socle de droits cohérents en matière de justice, mais aussi en matière sociale et environnementale. Ainsi, l’instauration d’un délit général d’atteinte à l’environnement au sein de l’Union européenne ainsi que la création d’un crime d’« écocide » permettraient d’aller vers une Union européenne plus cohérente et plus forte en matière de justice et vers un monde plus solidaire et plus respectueux de l’environnement.
Ce projet de loi n’en montre pas moins une véritable volonté de l’exécutif de rattraper le retard pris par la France en termes de transposition de textes européens. Européenne convaincue, je me réjouis que le texte et les travaux des commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat aient pour objet de mettre le droit français en conformité avec la jurisprudence des juridictions européennes.
En janvier 2012, la Cour européenne des droits de l’homme, dans un arrêt Popov contre France, condamnait notre pays pour avoir permis le placement d’enfants en centre de rétention administrative. Interdiction des traitements inhumains et dégradants, droit à la liberté et à la sûreté, droit au respect de la vie familiale : voilà autant de droits fondamentaux que la juridiction européenne considérait comme bafoués par le placement en rétention d’une fillette de 3 ans et d’un bébé. Malheureusement, cette décision n’a pas eu les effets escomptés, et les placements d’enfants en rétention, si leur nombre a diminué, n’ont pas totalement disparu.
Revenons-en au contenu de ce projet de loi, qui, pour adapter notre droit à de nombreux instruments européens et internationaux, aborde plusieurs sujets. Je ne dresserai pas ici un catalogue de toutes les mesures qu’il comporte, même si chacune d’entre elles mériterait d’être évoquée longuement.
Je m’attacherai à aborder certains sujets qui me tiennent particulièrement à cœur, en premier lieu les dispositions relatives à la prévention de la traite des êtres humains, à la lutte contre ce phénomène et à la protection des victimes.
Le présent texte, amélioré par la commission des lois de l’Assemblée nationale, modifie le code pénal afin de donner une véritable définition de ce qu’est la traite des êtres humains.
Il est certain que la traite des êtres humains constitue une violation grave des droits de l’homme, ce principe ayant été maintes fois réaffirmé au travers de différents instruments internationaux spécifiques.
Toutefois, le droit pénal français, et particulièrement la rédaction actuelle de l’article 225-4-1 du code pénal, ne permet pas, en l’état, de punir ce crime de manière satisfaisante. La traite des êtres humains mérite d’être une incrimination claire et précise et, pour que notre droit soit conforme aux engagements internationaux de la France, il doit punir toutes les formes de traite, qu’un profit soit recherché ou non et quelles que soient les formes d’exploitation. La réécriture de l’article 225-4-1 du code pénal telle qu’elle est prévue dans le projet de loi constitue sans aucun doute une avancée considérable pour les droits des victimes de la traite.
De même, on ne peut que se réjouir que l’échelle des peines encourues ait été modifiée de telle sorte qu’une sanction sévère soit appliquée à la traite des personnes les plus vulnérables et que le champ d’application de l’infraction soit étendu à la traite des mineurs.
Cependant, lutter contre la traite, c’est aussi élaborer une véritable politique de coopération avec les pays d’émigration et réformer en profondeur des organes tels que Frontex.
Une autre disposition importante, notamment au regard de la protection des droits des étrangers, figure à l’article 3 du projet de loi, qui tend à insérer dans le code de procédure pénale un article relatif au droit à la traduction des pièces essentielles à la défense de la personne concernée et à la garantie du caractère équitable du procès.
L’article 4 du projet de loi vise à mettre le droit français en conformité avec le droit européen en matière de lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi que contre la pédopornographie. Il convient de noter ici que, si des améliorations sont toujours possibles, notre droit était, en la matière comme en d’autres, largement conforme aux prescriptions européennes.
Cependant, pour garantir la protection des droits des enfants, il convenait de créer certaines incriminations aujourd’hui inexistantes dans notre droit, comme le fait de contraindre ou de forcer une personne à subir des atteintes sexuelles de la part d’un tiers. C’est chose faite avec ce texte, qui va même au-delà des obligations qui s’imposent à notre pays en étendant la compétence des juridictions françaises aux crimes de proxénétisme commis à l’étranger à l’encontre d’un mineur par un étranger résidant habituellement sur le territoire français.
Il s’agit donc non pas seulement de rendre le droit français conforme au droit européen ou de respecter nos engagements internationaux, mais bien d’améliorer notre droit, de le rendre plus effectif, qu’il concerne nos concitoyens ou les ressortissants des pays tiers.
D’ailleurs, l’article 15 constitue un bel exemple de la volonté marquée de protéger de la même manière les droits des nationaux et ceux des autres.
En effet, dans un arrêt de grande chambre du 5 septembre 2012, la Cour de justice de l’Union européenne avait jugé l’article 695-24, 2°, du code de procédure pénale contraire au principe de non-discrimination fondée sur la nationalité, car il réservait aux seuls ressortissants français le bénéfice de la non-exécution d’un mandat d’arrêt européen en vue de procéder à l’exécution sur le territoire français d’une peine d’emprisonnement prononcée dans un autre État membre.
Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale seront donc modifiées, afin de mettre notre législation en conformité avec la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Le bénéfice desdites dispositions ne se limitera plus aux seuls ressortissants français ; il sera étendu aux personnes résidant légalement de façon continue depuis au moins cinq ans sur le territoire national.
J’ai eu l’occasion de l’évoquer, et Mme la rapporteur de la délégation aux droits des femmes en a longuement parlé, les droits des femmes seront particulièrement renforcés par le texte que nous examinons aujourd’hui, notamment par les articles 16 et 17, qui tendent à adapter notre droit pénal aux dispositions de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, signée à Istanbul le 11 mai 2011.
En effet, ce sont trois nouvelles incriminations qui seront créées dans le code pénal.
Il s’agit, tout d’abord, de l’incrimination du fait de tromper un adulte ou un enfant – souvent une jeune fille –, afin de l’emmener dans un autre pays que celui où il réside en vue de l’y forcer à se marier. La loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants envisageait le mariage forcé comme une circonstance aggravante de faits de violence ou de coercition. Grâce à cette disposition, l’usage de la violence ne sera plus requis pour prononcer une condamnation : le seul fait d’user de subterfuges pour emmener une jeune fille à l’étranger afin de l’y marier sera répréhensible.
Il s’agit, ensuite, de l’incrimination de l’incitation d’une mineure à subir des mutilations génitales, même si cette incitation n’est pas suivie d’effet.
Enfin, l’article 17 vise à modifier le code de procédure pénale, en supprimant les conditions liées à la nationalité ou à la régularité du séjour auxquelles l’indemnisation par la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions est conditionnée.
Vous le voyez, mes chers collègues, le chemin à parcourir est encore long pour que les droits des femmes soient mieux protégés. Cependant, ce texte témoigne de la volonté d’avancer en ce sens et apportera un progrès en matière de justice. Pour cette raison et pour toutes celles que j’ai eu l’occasion d’évoquer précédemment, le groupe écologiste le votera sans réserve. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui a pour objet de transposer plusieurs directives et décisions de l’Union européenne et d’adapter la législation française à diverses conventions ou résolutions de l’ONU.
Les thèmes abordés relèvent tous de la mise en place du programme de Stockholm visant à créer un espace judiciaire européen en matière de lutte contre les violences et contre la criminalité organisée. Ils concernent des domaines variés, tous aussi importants les uns que les autres. La lutte contre la criminalité organisée, la lutte contre les violences faites aux femmes, la lutte contre les violences domestiques ou la lutte contre les abus sexuels, notamment ceux qui sont commis contre les enfants, sont en effet des sujets d’une haute importance.
Compte tenu du temps qui nous est imparti, je ne reviendrai pas sur les différents points de ce projet de loi que Mme et M. les rapporteurs ont déjà pris le soin d’exposer. J’évoquerai pour ma part l’article 1er, qui a pour objet de transposer la directive de 2011 relative à la lutte contre la traite des êtres humains. Cette transposition devait être effectuée avant le 6 avril 2013 : nous avons donc un mois de retard, ce qui explique l’examen de ce texte en procédure accélérée. Cependant, cela ne doit pas nous empêcher d’étudier dans le détail un sujet aussi important que la définition de l’infraction de traite des êtres humains.
La traite des êtres humains est à l’origine de violations des droits de l’homme comptant parmi les plus graves. Il faut que notre arsenal législatif permette de poursuivre et de condamner efficacement ces pratiques attentatoires aux droits les plus fondamentaux, notamment à la dignité humaine. Il convient donc, mes chers collègues, de veiller à ce que la transposition de la directive dans notre droit interne ne joue pas en défaveur des victimes, avec l’introduction d’éléments constitutifs de cette infraction qui rendrait plus difficile son établissement.
La définition de l’infraction de traite des êtres humains repose, dans le droit européen, sur un triptyque : l’action, les moyens utilisés par l’auteur et l’objectif poursuivi. Seuls les deux derniers éléments de ce triptyque font l’objet d’une modification par le projet de loi. Le champ des agissements répréhensibles – recrutement, transport, transfert, hébergement, accueil de personnes – reste inchangé.
Concernant l’objectif poursuivi, le projet de loi apporte des améliorations indiscutables via des références nouvelles au prélèvement d’organe, à l’esclavage et au travail forcé, qui viennent compléter et préciser la définition actuelle.
Nous approuvons bien entendu cette extension qui couvre les faits commis aux fins d’exploitation, que celle-ci soit liée au proxénétisme, aux agressions et atteintes sexuelles, à l’exploitation de la mendicité, aux conditions de travail ou d’hébergement contraires à la dignité humaine, à la soumission à un travail forcé, à la servitude, à l’esclavagisme ou encore au prélèvement illicite d’organes. L’introduction de ces nouveaux éléments, venant parachever la liste des objectifs poursuivis par le traitant, contribuera à rendre plus efficace la lutte contre ce fléau.
Concernant l’adjonction dans notre définition en droit interne de la traite d’une liste de moyens employés par le ou les prétendus traitants, nous sommes beaucoup plus circonspects. Cela nous a amenés à déposer un amendement sur ce sujet.
En effet, dans le droit actuel, le recours à la contrainte, aux violences ou à un abus d’autorité ou l’exploitation de la vulnérabilité de la victime sont des circonstances aggravantes, qui permettent d’alourdir la peine encourue par les traitants. Ces circonstances aggravantes n’ont pas à être réunies pour caractériser l’infraction. Or le projet de loi prévoit qu’elles deviendront des éléments constitutifs de l’infraction de traite des êtres humains, au côté de la rémunération du traitant ou de sa promesse de rémunération.
Cette modification soulève un double problème, dont il faut prendre la mesure. L’un a été résolu au travers d’un amendement adopté, en séance publique, à l’Assemblée nationale, l’autre reste en suspens.
Le premier est relatif à la peine encourue. Le recours à des contraintes, les violences, l’exploitation de la vulnérabilité d’une personne, définis actuellement en tant que circonstances aggravantes, sont punis de dix ans de prison. En tant qu’éléments constitutifs de l’infraction, ils ne seront punis que de sept ans de prison. Cela aurait pu être compris comme un geste en faveur des coupables, mais l’Assemblée nationale a adopté un amendement permettant, de manière habile, de ne pas diminuer le quantum de la peine.
Le second problème a trait à l’énumération, certes alternative, mais limitative, des moyens employés par les traitants, dont l’usage devra être prouvé par la victime pour que la traite soit caractérisée. Dans la définition figurant actuellement dans notre code pénal, contrairement à ce que prévoit la définition consacrée par le protocole de Palerme et par la directive que nous tentons de transposer, il n’est pas nécessaire que la victime établisse le recours à de tels moyens pour que l’infraction puisse être caractérisée.
Aussi, en faisant de la définition internationale de la traite une infraction aggravée, le droit français ne se contente pas de respecter les engagements internationaux, il va au-delà, en étendant aux majeurs la protection réservée aux seuls mineurs dans le protocole de Palerme.
Cette définition plus large est à l’honneur de la France, car elle renforce la répression de la traite des êtres humains. La lutte contre ce fléau sera d’autant plus efficace que, dans notre pays, la tentative et la complicité de traite sont punissables, ce qui permet de remonter relativement loin la chaîne des comportements pouvant aboutir à la traite d’une personne.
Cette différence avec le protocole de Palerme est justifiée par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, que du reste le Gouvernement aurait pu saisir pour avis, car, pour une commission chargée d’éclairer le législateur sur les questions ayant trait aux droits de l’homme, quel sujet plus important que la traite des êtres humains ? Peut-être s’agit-il, là encore, d’un manque de temps.
Dans son avis du 18 décembre 2009 sur la traite et l’exploitation des êtres humains en France, cette commission rappelle que, l’exploitation étant considérée comme l’une des atteintes aux droits fondamentaux les plus graves, les moyens employés par l’auteur importent peu ; seuls comptent ses agissements et le mobile poursuivi par lui. C’est la raison pour laquelle nous présenterons un amendement tendant à maintenir la définition interne plus protectrice. En effet, si nous nous alignons complètement sur la définition européenne, plus difficile à caractériser, le nombre de condamnations pour traite d’êtres humains diminuera, alors qu’il est déjà très faible par rapport à ce qu’il devrait être.
Au demeurant, l’Union européenne n’a jamais reproché à la France d’avoir une loi plus protectrice. Nous disposons d’une marge de manœuvre délimitée par le respect des politiques pénales internes. D’ailleurs, l’article 1er de la directive du 5 avril 2011 prévoit que celle-ci n’établit que « des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans le domaine de la traite des êtres humains ». La France peut donc être plus sévère.
Permettez-moi, pour conclure, d’annoncer le second amendement que nous avons déposé, relatif au délit d’offense au chef de l’État. La commission des lois a voté la suppression de l’article 17 bis, que la commission des lois de l’Assemblée nationale avait introduit dans le projet de loi pour abroger ce délit. Loin de tout esprit de « fayotage », pour reprendre un mot utilisé en commission sur un ton humoristique, nous vous proposerons de rétablir les dispositions que l’Assemblée nationale a adoptées ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.
M. Hugues Portelli. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mon propos ne sera pas exhaustif, car nous sommes en accord complet avec le projet de loi dans la rédaction proposée par la commission des lois, qui du reste l’a adopté à l’unanimité.
Notre soutien est justifié par deux raisons : d’une part, nous sommes d’accord avec la trame générale des dispositions qu’il est question d’introduire dans notre droit ; d’autre part, nous trouvons excellent le travail qui a été accompli par notre rapporteur et nous approuvons les modifications que la commission des lois a adoptées sur son initiative.
De surcroît, le travail dont ce projet de loi est issu n’a pas commencé en juin 2012 ; il a été amorcé sous la précédente législature par les services de la Chancellerie. Nous avons donc un bel exemple de ce que nous aimons appeler la continuité de l’État : le gouvernement, quel qu’il soit, respecte les engagements internationaux pris par la France, que ce soit dans le cadre de l’Union européenne, dans l’espace du Conseil de l’Europe ou dans celui des Nations unies.
Permettez-moi de mettre brièvement en relief trois aspects du projet de loi.
Premièrement, les différents textes que nous nous apprêtons à transposer dans notre droit montrent que nous sommes aujourd’hui entrés dans l’ère d’un droit pénal international. Autrement dit, nous sommes sortis de la vieille conception régalienne du droit pénal, suivant laquelle celui-ci est l’un des attributs de la souveraineté de l’État. Si ce droit évolue aujourd’hui, c’est pour deux raisons.
D’abord, supérieure à la répression, il y a la protection des droits de l’homme. Or, à propos de la définition des droits de l’homme, un consensus existe qui se manifeste dans les textes très parallèles que sont la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et les différents textes signés dans le cadre des Nations unies.
Comme le Conseil constitutionnel l’a rappelé à plusieurs reprises, il n’y a pas de spécificité française en matière de droits de l’homme, excepté quelques aspects que, les uns et les autres, nous connaissons bien. En définitive, il y a une base commune en ce qui concerne les droits fondamentaux, qui surplombent le droit régalien visant à réprimer tel ou tel type d’infraction.
Ensuite, comme M. le rapporteur l’a signalé à juste titre en commission, nous assistons à une internationalisation de la criminalité organisée qui rend nécessaire l’adoption de normes internationales, ou en tout cas de normes qui vaillent sur le plan international. Ce résultat peut être obtenu soit en enjambant les frontières, soit en permettant aux États de reconnaître les sanctions prononcées dans les États voisins, notamment ceux qui appartiennent au même espace juridique et judiciaire. Il y a là un impératif absolu, surtout pour les crimes les plus graves : ceux qui portent atteinte aux droits des personnes, notamment de la femme ou de l’enfant. C’est pourquoi il est nécessaire d’introduire dans le droit français ces textes adoptés à l’échelon européen ou à l’échelle mondiale.
Deuxièmement, comme M. le rapporteur l’a également souligné en commission, nous devons faire preuve à la fois d’une grande loyauté dans la manière d’intégrer ces normes internationales dans l’ordre juridique français et d’une grande clarté – je ne dirai pas d’une grande prudence –, pour la raison qu’en matière de droit pénal la plupart des normes n’ont pas de définition internationale ; elles sont le fruit des traditions nationales. C’est ainsi qu’on essaie, notamment dans le cadre de l’Union européenne, de trouver des éléments communs à des traditions juridiques souvent extrêmement différentes, non pas tant sur le plan du droit pénal proprement dit que sur le plan de la procédure pénale. De fait, on sait très bien que le droit anglo-saxon et le droit continental présentent des différences considérables : on n’emploie pas les mêmes concepts, on n’utilise pas les mêmes procédures et, du coup, on ne tombe pas d’accord.
En ce qui concerne le parquet européen, je me souviens que, lors des auditions organisées par la commission des affaires européennes sur le programme de Stockholm il n’y a pas si longtemps, on nous a très bien expliqué que le problème essentiel résidait dans l’impossibilité d’un accord entre les Britanniques et les continentaux, sans compter que, même au sein de l’espace judiciaire continental, il y avait des différences non négligeables, par exemple sur le rôle du parquet et la place de la procédure accusatoire.
De la même façon, dans la préparation des directives prévues par le programme de Stockholm – seule une sur trois a déjà été rédigée –, le fait qu’un avocat puisse assister les personnes dès le début des poursuites semble faire consensus ; de ce point de vue, d’ailleurs, les Allemands sont en avance sur nous. Cependant, quand on demande aux Allemands ce qu’ils ont prévu en matière d’aide judiciaire, on réalise qu’ils n’ont quasiment rien prévu. Ainsi, par rapport à l’Allemagne, nous sommes en retard sur le plan de la procédure, mais nous sommes en avance sur le plan de la couverture sociale des personnes. Le problème n’est pas seulement de reconnaître des droits, mais aussi de s’assurer qu’ils peuvent être appliqués, ce qui est loin d’être le cas en Allemagne.
Madame la garde des sceaux, je pense donc qu’il y a du travail à faire pour que les différents États parlent des mêmes notions et pour que les procédures dans leurs détails soient mises en œuvre concrètement, non seulement sur le plan juridique mais aussi sur le plan administratif et même social.
Troisièmement, en ce qui concerne l’article 17 bis du projet de loi, que la commission des lois n’a pas cru devoir maintenir, je tiens à répondre à ceux qui demandent la suppression du délit d’offense au chef de l’État.
Je rappelle, notamment à nos collègues du RDSE, que ce délit appartient à la tradition républicaine. Lorsqu’il a été instauré, en 1881, cela faisait moins d’un an que les républicains avaient remporté la majorité ici même et qu’un républicain avait été élu à la présidence de la République, ce qui est la moindre des choses. Aussi bien, ce délit n’a pas du tout été créé sur l’initiative de Mac Mahon et des défenseurs de la monarchie : il visait à protéger un président de la République républicain ! On a profité que la loi sur la liberté de la presse était en cours de préparation pour l’y introduire.
Bien sûr, autres temps, autres mœurs ; je comprends parfaitement qu’on veuille ne plus maintenir une disposition, certes républicaine et vénérable, mais qui n’est peut-être plus dans l’air du temps. Reste que, comme nous l’avons rappelé en commission des lois, étant donné que l’article 68 de la Constitution doit théoriquement être modifié, ce qui nous permettrait d’examiner le statut du chef de l’État, notamment son statut pénal, il serait préférable d’attendre ce débat pour envisager l’intégralité des dispositions relatives à ce statut. Peut-être alors fera-t-on un sort au délit d’offense au chef de l’État.
À ce propos, madame la garde des sceaux, je vous rappelle que nous tenons beaucoup à l’adoption de la loi organique qui permettrait une entrée en application complète des dispositions votées lors de la révision constitutionnelle du 23 février 2007, dont certaines ne sont toujours pas mises en œuvre, notamment en ce qui concerne la mise en accusation du Président de la République. À cet égard, je crois que la droite peut battre sa coulpe ! La procédure est toujours en cours et sénateurs et députés ont voté des textes différents. Il faudra bien un jour se mettre d’accord pour que ces dispositions entrent en vigueur ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. En effet !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, il se trouve que, vendredi dernier, j’ai assisté, avec de nombreuses personnalités, à un colloque organisé pour les vingt ans de l’université ouverte de Franche-Comté. Le thème en était : l’avenir de l’Europe.
Évidemment, tout le monde a parlé de l’Union européenne et de ses difficultés. On s’est demandé où elle allait, si c’était nulle part ou peut-être dans un mur, et si les propositions de tel ou tel étaient de nature à nous sortir de l’ornière. Seulement, personne n’a parlé du Conseil de l’Europe, ni de l’Europe du droit ! Lorsque j’ai formulé cette remarque, les sommités présentes, qui étaient nombreuses, passé le premier étonnement, se sont rappelé qu’il existait bien un Conseil de l’Europe et une Cour européenne des droits de l’homme.
En vérité, mes chers collègues, je pense que, si l’Europe peut se réaliser plus concrètement, c’est bien par les progrès du droit, des droits de l’homme et de la démocratie. Ce n’est pas par la finance, ni par une monnaie unique, qui, sans Europe politique, ne peut absolument pas être un facteur d’intégration. L’histoire nous éclaire à satiété à cet égard : il suffit de considérer ce qui s’est passé, par exemple, en Yougoslavie. Ce n’est pas non plus par les politiques d’austérité et antisociales mises en place par les chefs d’État et de gouvernement lorsqu’ils se réunissent à Bruxelles ou ailleurs.
Souvenons-nous tout de même que, parmi les quarante-sept pays très différents qui composent le Conseil de l’Europe, où certes il y a encore beaucoup à faire, la peine de mort a été partout abolie. Il ne reste que les États-Unis, la Chine et quelques autres pays qui la pratiquent encore. Elle n’existe plus ni en Russie, ni en Turquie, ni en Ouzbékistan, ni même en Ukraine et en Géorgie. Bien sûr, tout n’est pas parfait ; mais il y a des progrès !
Mme Maryvonne Blondin, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Elle existe malheureusement encore en Biélorussie !
M. Jean-Pierre Michel. Aujourd’hui, Mmes les ministres nous demandent au nom du Gouvernement d’inscrire dans notre droit positif toute une série de dispositions pénales issues notamment de directives européennes, de conventions des Nations unies et d’arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Ce projet de loi va évidemment dans le bon sens. Du reste, je vous rappelle que l’Union européenne elle-même va signer la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – les négociations à cet égard vont vraisemblablement aboutir –, se soumettant ainsi à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Par ailleurs, en ce qui concerne la traite des êtres humains et la torture, l’amorce d’une juridiction pénale internationale existe sous la forme d’une compétence internationale. C’est au nom de celle-ci qu’un juge espagnol a récemment inculpé, certes en son absence, un général irakien convaincu de torture et d’assassinat dans le camp d’Achraf, où se trouvent des réfugiés iraniens en Irak.
Nous progressons donc – il n’y a pas que des points négatifs –, d’autant qu’avec les traités d’Amsterdam et de Lisbonne le droit pénal et la procédure pénale ont commencé à être harmonisés dans les vingt-sept pays de l’Union européenne.
Sur ce texte, le rapporteur Alain Richard a fait un travail très intéressant. Au demeurant, nos collègues qui se sont exprimés avant moi ont dit ce qu’il y avait à dire. Je souhaite simplement commenter les trois points qui ont provoqué des discussions au sein de la commission des lois.
Concernant les articles 1 et 2, je retiens que les associations œuvrant contre la traite des êtres humains et l’esclavage auront désormais la possibilité de se constituer partie civile. Tel n’était pas le cas jusqu’à maintenant. En de telles matières, les victimes ne portent pas plainte. Il faut qu’elles aient derrière elles des associations qui les soutiennent pour aller devant les tribunaux et faire reconnaître leurs droits.
Sur l’article 2 bis, la commission a choisi de ne pas suivre la position adoptée par l’Assemblée nationale, ce qui me paraît sage. Les termes retenus soulevaient en effet certaines difficultés. Les incriminations étaient-elles vraiment clairement définies par rapport à ce qui existe déjà dans notre droit pénal ? Je n’en suis pas persuadé.
Le fait de transformer ces infractions en crimes était une erreur. Lorsque les juridictions européennes ou le Conseil de l’Europe se prononcent en faveur de la criminalisation d’un acte, cela ne veut pas dire qu’il faut en faire un crime au sens de notre droit procédural, mais qu’il convient simplement de le pénaliser. Selon moi, une telle disposition aurait été totalement contre-productive, parce que la procédure criminelle est très lourde et très longue à aboutir. En outre, je m’interroge sur la réaction des jurés lors de tels procès. Laissons donc ce genre d’infractions aux magistrats professionnels, qui, bien que souvent décriés, sont tout de même plus à même de se prononcer.
Nous approuvons également la proposition du rapporteur de limiter les pouvoirs du procureur national chargé d’Eurojust. On a dit beaucoup de bien et beaucoup de mal de cette institution. À mon avis, les progrès qu’elle permet sont encore à démontrer par rapport aux dépenses budgétaires qu’elle provoque. Quoi qu’il en soit, les magistrats appartenant à cet aréopage ne font en aucun cas partie de notre parquet. Pour le moment, celui-ci est organisé, même si le Sénat et l’Assemblée nationale examineront bientôt certaines procédures que vous vous apprêtez à nous soumettre, madame la garde des sceaux, et qui le désorganiseront peut-être, ce que je ne souhaite pas. Il convient donc de limiter, comme l’a fait le rapporteur, la portée des requêtes formulées par Eurojust aux parquets de France en matière de renseignement. Ce que fait Eurojust est très bien, mais prévoir que cette institution puisse donner des injonctions ou même ouvrir des informations judiciaires me paraît totalement aberrant.
Pour ce qui concerne le délit d’offense au chef de l’État, on a entendu tout et son contraire sur le sujet. À titre personnel, je rejoins l’opinion de mon collègue Hugues Portelli : il faut distinguer la personne et la fonction. La personne du chef de l’État peut être normale, anormale, ordinaire, extraordinaire ou intelligente, peu importe ! La fonction, c’est autre chose. Avec la Ve République, la France connaît un régime semi-présidentiel : le président de la République est élu au suffrage universel direct, il a des pouvoirs propres, il est l’élu de la nation et le socle de tout notre système institutionnel, sans lequel il n’y a rien. Nous l’avons bien vu lors des différentes réformes constitutionnelles destinées, paraît-il, à accroître les libertés du Parlement. Tant qu’il y aura un fait majoritaire et un président de la République élu au suffrage universel, ces réformes n’auront pas de sens, nous le savons bien.
Par conséquent, la fonction présidentielle doit être protégée en tant que telle. Certes, il faut que le titulaire de cette fonction n’en fasse pas un usage immodéré, comme cela a été peut-être le cas dans des années récentes, mais notre droit doit continuer de prévoir une protection du chef de l’État. Maintenir la disposition en question revient donc à lancer un appel : le Parlement doit se saisir calmement, presque unanimement, de la question relative au statut juridique du président de la République, que ce soit en matière pénale, civile ou administrative. La solution qui prévaut actuellement, on le voit bien, n’est guère satisfaisante. Pourtant, une proposition de loi déposée par MM. Badinter et Patriat avait été examinée par le Sénat. Dans le même temps, le gouvernement déposait à l’Assemblée nationale un projet de loi présentant certaines plages de convergence. Depuis, tout a été abandonné…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est dommage ! Les deux assemblées ont pourtant voté un texte…
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président de la commission, je vous laisserai le soin de parler abondamment de ces questions, comme vous savez d’ailleurs le faire, d’un point de vue aussi bien philosophique que juridique.
En faisant aujourd’hui le choix d’un dédit, nous appelons le Gouvernement et le Président de la République à proposer une réforme du statut juridictionnel du chef de l’État, ce qui nous permettrait d’évoquer calmement cette question en distinguant la personne et la fonction, qui sont intimement liées. En effet, lorsqu’on nous dit que le chef de l’État ne peut pas faire l’objet d’une procédure de divorce, il s’agit de sa personne, et cela soulève certaines questions.
Telles sont les quelques observations que je souhaitais formuler. Bien entendu, le groupe socialiste se félicite, madame la garde des sceaux, que la Chancellerie ait repris un texte déjà déposé auparavant, en l’enrichissant et en évitant un certain nombre de difficultés inhérentes à ce genre d’exercice. Nous le voterons, tel qu’il est issu des travaux de la commission des lois, qui l’a encore enrichi en adoptant des amendements de précision de notre rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.