M. Vincent Peillon, ministre. Certains, dont le sénateur Carle, nous disent – et ils ont raison – qu’il faut accorder aux apprentissages précoces toute leur importance. Certainement ! L’accueil des moins de trois ans était de plus de 30 % en 2002, mais de 10 % lorsque j’ai pris mes fonctions. Il fait partie de nos priorités.
Lorsque nous sommes face à notre conscience, face aux raisons profondes de notre engagement dans la vie politique, considérant ce bien commun qu’est l’école de la République depuis deux siècles, nous devons dépasser les positionnements, les petitesses, les rancœurs, les habiletés, parce que la priorité au primaire est bonne pour le pays.
C’est simple, mais ce sont les fondements. Vous voulez construire du solide pour le collège et le lycée ? Construisez d’abord les fondements du primaire ! En 2002, sous la présidence de Jacques Chirac, certains ont tenté, je m’en souviens, de diviser par deux les effectifs des cours préparatoires, puis l’idée s’est égarée en route ; c’est dommage.
Nous devons à la fois accorder les moyens et changer les pédagogies là où les besoins sont les plus grands. C’est ce que nous faisons, et c’est essentiel.
Le deuxième axe – et il est lié – est celui de la formation des enseignants. Depuis la loi Guizot et le début de la IIIe République, chacun sait que l’école de la République, l’école qui a créé la République, qui en est comme le cœur battant, s’est construite d’abord autour de la formation des maîtres, dans des conditions très difficiles, des querelles ayant divisé durement le pays jusqu’en 1905. Les instituteurs furent souvent mal traités, vous le savez, par rapport aux professeurs du secondaire ou du supérieur. Cependant, la formation telle qu’elle était prodiguée dans les écoles normales a permis à des générations entières de « hussards noirs » d’assurer au pays une espérance par la promotion républicaine. C’est que, mesdames, messieurs les sénateurs, ces instituteurs ressemblaient à leurs élèves, ils étaient comme eux immigrés polonais installés dans les corons du Nord, dans les zones rurales en Bretagne ou ailleurs. La nation leur avait permis de s’intégrer et d’aimer la France, et de reproduire ainsi le modèle adopté.
Cela s’est tari avec la mastérisation : cinq ans d’études supérieures sans aucun moyen pour les conduire. Comment, lorsqu’on est enfant d’un milieu populaire, peut-on suivre ces études ? La sociologie de nos professeurs, aujourd'hui, n’est plus la même. Les emplois d’avenir professeur commencent à y remédier. Ils le feront davantage dans les années qui viennent, en assumant à nouveau ce mouvement de justice et d’espérance qui fait, je crois, l’essentiel des valeurs que nous partageons, à un moment où notre pays et notre jeunesse, dont 25 % est au chômage, souffrent d’un accroissement des inégalités et ont besoin de cet engagement de toute la nation.
La création des écoles supérieures du professorat et de l’éducation a certes un coût. Sur la programmation des 54 000 postes que je vous propose, 27 000 postes sont destinés à permettre aux jeunes gens qui se destinent à ce métier de bénéficier, comme nous-mêmes auparavant, d’une année de stage, de la professionnalisation et de l’entrée progressive dans le métier afin de l’apprendre et de le vivre au mieux.
Quand nous débattons de l’école, nous sommes capables de parler de tout ce qui est accessoire, mais très peu de ce qui est essentiel, ce mouvement d’élévation qui va contre le mouvement d’abaissement, parce que l’élève devient capable, comme ceux qui, par le passé, et nous en sommes, ont reçu de bons enseignements, de clarté, de distinction, de simplicité.
On évoquera sans doute une foule de sujets, puisque l’on demande tout à l’école, mais l’essentiel, c'est-à-dire la capacité pour les élèves d’apprendre à lire, à écrire, à compter, à se cultiver, « l’éducation libérale » dont parlait Jules Ferry, ce droit de se perfectionner qui est au cœur de la nature humaine et que l’État doit considérer comme son devoir dans une République qui a conjugué République sociale et République libérale depuis un siècle, de cela, nous ne parlons pas !
L’essentiel, c’est la priorité donnée au primaire, c’est la formation des enseignants, avec la création, par une loi de programmation, chose rare dans des circonstances budgétaires aussi difficiles, de 27 000 postes dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation.
Ces écoles, je l’entends aussi, seraient des IUFM revisités. Mais pas du tout ! Les ESPE, saluées aujourd'hui dans toute l’Europe et même au sein de l’OCDE – car la France est parfois regardée pour ce qu’elle fait de positif –, sont un nouveau modèle. Nous avons changé la place du concours ; nous avons réécrit entièrement toutes les maquettes de concours de recrutement. Nous avons également revu ce que l’on désigne sous le vilain vocable de « référentiel métier ».
Nous souhaitons par ailleurs que les étudiants, dès la troisième année, puissent être accompagnés par des professionnels, à la fois des universitaires pour les différentes disciplines, pour la didactique, mais aussi des praticiens exerçant dans les établissements où nos étudiants auront demain à enseigner.
J’ai réuni, la semaine dernière encore, les chefs de projets, les recteurs, la conférence des présidents d’université, afin que nous ne reproduisions pas les mêmes erreurs. Ce qui a coûté très cher au système d’éducation français et que nous essayons de dépasser ici, c’est la division permanente entre les uns et les autres : le mépris du professeur du secondaire pour le professeur du primaire, du professeur de l’université pour le professeur du secondaire, sans oublier l’incompréhension à l’égard des éducateurs, comme nous avons pu l’observer à l’occasion de la réforme des rythmes scolaires.
Les écoles supérieures du professorat et de l’éducation rassembleront tous ceux qui ont vocation à enseigner et qui doivent avoir non seulement des savoir-faire, des savoir-être, mais aussi une connaissance de l’enfant, de l’élève dans la totalité de son développement, de son parcours et de son insertion dans la société. Ils doivent aussi apprendre à se connaître.
Par ce projet de loi, nous proposons de mieux travailler la liaison entre l’école et le collège ; il faut que les enseignants partagent des moments communs.
Nos enseignants, recrutés à bac + 5 – même pour la maternelle, fierté française depuis un siècle et en faveur de laquelle nous allons remettre en place une formation spécifique –, sont des fonctionnaires non pas d’exécution mais bien de conception. Il s’agit un métier qui nécessite du tact – c’est tout un art – et donc des connaissances générales, ainsi qu’une approche précise. La recherche, comme dans certains pays, doit participer en permanence de cette interrogation qui fait à la fois la sensibilité et, bien entendu, la confiance qu’un élève peut trouver dans le regard de son professeur.
Les écoles supérieures du professorat et de l’éducation portent cette ambition, et sur tous les aspects : sur le service public du numérique, sur les enfants en situation de handicap et l’école inclusive qui, à juste titre, nous tient à cœur mais pour laquelle il convient d’être formé, ainsi que sur l’instruction morale et civique – la morale laïque -, car la République doit défendre ses valeurs et les enseigner !
M. Jean-Michel Baylet. Bien sûr !
M. Vincent Peillon, ministre. Nous avons besoin de former nos maîtres à tout cela.
Les questions de violence, nous les rencontrons tous les jours, que ce soit, comme la semaine dernière, dans une école parisienne ou aujourd’hui à Strasbourg, avec les menaces d’un internaute. Nous avons mis en place, pour la première fois, des protocoles de gestion des crises et créé le métier d’assistant de prévention et de sécurité. De même, j’ai institué, à l’intérieur du ministère, une délégation à la prévention des violences.
Nous devons être capables, dans ces écoles aussi, de former nos enseignants. Tout cela est également vrai de l’égalité entre filles et garçons – et il n’y aura pas ici, je l’espère, de faux débat sur le genre, dont j’ai déjà dit tout ce que je pensais – et de la lutte contre les discriminations, trop fortes dans notre pays. Nos enseignants doivent donc être formés à tous ces cas de figure ; il s’agit d’un effort considérable de la nation.
Si nous avons réussi autrefois pour le primaire, vous le savez, nous n’avons jamais su bien faire pour le secondaire et le supérieur. Raison pour laquelle nous connaissons aujourd’hui un tel taux d’échec chez tous ceux qui ne sont pas préparés, en particulier dans le supérieur.
C’est pourquoi nous nous devons d’avoir une immense ambition pour ces écoles supérieures. Nous y mettons les moyens. Certes, j’en suis conscient, une loi ne transformera pas d’elle-même la réalité. Certes, j’en suis également conscient, il faudra du temps, de l’obstination, de la persévérance pour faire en sorte que ce que nous allons décider ensemble se traduise réellement et que les 40 000 étudiants que nous avons recrutés cette année – comme quoi il s’agit bien d’un métier qui est encore valorisé dès lors que l’on n’en détourne pas les uns et les autres – trouvent à s’épanouir dans leur vocation.
Il faudra perfectionner le dispositif au fil du temps. Tout ne sera pas parfait dès la rentrée, m’objecte-t-on parfois. Mais bien évidemment ! Je ne peux que répondre, avec toute la modestie qui est la nôtre collectivement, que l’être parfait, ce n’est pas nous ! Ceux qui veulent occuper la place d’un soi-disant dieu mort ou d’un Prométhée se sont trompés et le vingtième siècle est là pour nous le rappeler.
Nous, nous tâtonnons ; nous, nous avons le droit à l’erreur, à condition que nous cheminions dans la bonne direction et la priorité au primaire, c’est la bonne direction ; personne ne peut le contester. La formation des enseignants, c’est la bonne direction ; personne ne peut le contester.
Permettre aux enfants de tous les milieux d’avoir un parcours d’éducation artistique et culturelle, c’est renouer avec notre grande tradition. Il n’y a pas d’alternative entre les apprentissages fondamentaux et l’éducation libérale, laquelle était déjà au cœur de l’aspiration des premiers républicains. C’est précisément lorsque, chez vous, vous n’avez pas accès à la culture, à la connaissance des arts, à la connaissance scientifique, que vous avez besoin de cette éducation qui est le patrimoine de ceux qui n’ont rien. C’est à l’école qu’il revient de vous permettre cet accès, et c’est bien le sens de ce que nous faisons.
Nous savons aussi, et c’est pourquoi je créerai le conseil économie-éducation avec le Premier ministre au mois de juin prochain, que l’école doit permettre l’insertion professionnelle. Comment pourrions-nous oublier un instant, dans un pays où 25 % de nos jeunes sont au chômage, que c’est de notre responsabilité ?
Oui, il est de notre responsabilité d’émanciper les individus, de leur permettre de construire leur autonomie et de se donner à eux-mêmes leurs règles. Oui, il est de notre responsabilité d’en faire des citoyens éclairés, capables de faire leur choix démocratique en toute connaissance de cause.
Mais il est aussi de notre responsabilité de leur permettre de s’insérer. Or, vous le savez, l’une des faiblesses profondes de notre système éducatif, c’est l’orientation, que l’on aborde souvent, lorsque l’on veut m’en parler, sous l’angle de l’orientation négative qui a lieu à la fin de la troisième, quand il faut choisir entre les différentes filières et les trois lycées.
Nous voulons donc mettre en place le parcours d’orientation et d’information, afin que chacun ait les mêmes droits : l’information, c’est du pouvoir ; l’information, c’est de la liberté ! Connaître les formations et les métiers qui existent, c’est le début de la construction pour soi d’un parcours autonome.
De la même façon, j’ai entendu les débats qui ont eu lieu ces derniers jours sur l’apprentissage précoce d’une langue étrangère. Il s’agit d’une question tout à fait fondamentale.
M. Jean-Michel Baylet. Bien sûr !
M. Vincent Peillon, ministre. Les défenseurs des langues régionales – ils sont nombreux ici, et nous leur donnons pleinement raison – nous disent très souvent qu’apprendre une autre langue n’empêche pas d’apprendre sa langue nationale. Au contraire, cela facilite les apprentissages (M. Jean-Michel Baylet acquiesce.), comme l’ont amplement montré les travaux du linguiste Hagège.
Il en va de même des langues étrangères, et c’est pourquoi le fait d’étendre cet apprentissage au cours préparatoire – ce que la précédente majorité avait d’ailleurs commencé à faire – est utile non seulement à l’intelligence du monde par les élèves d’aujourd’hui, mais aussi à la compétitivité de la France.
La situation de l’emploi, je le déplore, constitue notre problème premier. Elle est souvent associée à la compétitivité de notre pays, ce qui n’est pas tout à fait nouveau. Beaucoup d’entre vous font de la politique depuis un petit moment : ces discours-là, nous les entendons régulièrement. La crise, ceux qui sont nés après 1974 n’ont connu que cela ! Il n’est que de constater comment, sur des décennies, nous sommes passés à des millions de chômeurs et à une précarisation accrue.
Toutefois, si l’on veut relever les défis qui sont ceux de la France, ce serait une erreur cruelle de ne pas considérer que l’investissement dans l’éducation, dans l’intelligence, est l’investissement premier.
Les pays qui réussissent – par exemple, notre voisin allemand, auquel on nous compare souvent et qui a saisi la portée du choc provoqué par les résultats aux tests PISA – sont ceux qui ont compris que, pour s’insérer professionnellement et être, comme on le dit vilainement, compétitif, pour pouvoir réussir ensemble, il faut d’abord élever le niveau de qualification et de culture de toute sa population.
Nous sommes dans une économie de la connaissance et il nous faut donc relever les défis d’une économie de la connaissance. Pour ce faire, nous devons permettre à tous nos jeunes d’élever leur niveau de qualification et d’instruction. Mais cela va plus loin : l’initiative, la coopération – et je remercie ceux qui ont enrichi le texte autour de ce thème de la coopération – ne sont-elles pas utiles à l’esprit d’entreprise, de compétitivité, de réussite ? Tout cela doit s’apprendre à l’école.
Je relisais, il y a quelque temps, un ouvrage méconnu de Jules Michelet : Nos fils. Dans ce testament, il disait déjà de l’école, en 1869 – c’est incroyable ! –, qu’on y oblige les enfants à rester assis six heures et à répéter tous la même chose, tels des grenouilles qui coassent ! Ce faisant, on invalide l’activité, alors que l’activité est le dieu de la modernité, disait Jules Michelet ! Et après cela, nous attendons des citoyens qu’ils s’engagent, qu’ils soient actifs, qu’ils aient des jugements libres, qu’ils fassent preuve d’initiative, qu’ils soient capables de coopérer ?...
L’école doit être capable de développer ces qualités humaines, ces vertus humaines.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Vincent Peillon, ministre. Or notre école est aujourd’hui en contradiction avec les attentes qui sont les nôtres. C’est pourquoi la réforme que nous portons est aussi, bien entendu, une grande réforme pédagogique.
Dans cette loi de refondation, nous posons les fondements : priorité au primaire, formation des enseignants, programmation budgétaire. J’insiste sur ce dernier aspect car, chacun le sait, s’il n’y a pas les moyens, il n’y aura ni formation des enseignants, ni classes qui ne fermeront pas dans les zones rurales, ni possibilité de remplacement des professeurs, ni infirmières scolaires, ni adultes pour lutter contre les incivilités à l’école.
Ces moyens, il nous les faut. Ils sont nécessaires, ils ne sont pas suffisants – en tout cas, je ne le pense pas une seule seconde. Nous devons les utiliser pour réformer en profondeur et nous unir dans cette réforme.
On parle peu du service public du numérique éducatif. Il s’agit pourtant d’un aspect essentiel de ce texte. Vous le savez, si la France ne conduit pas aujourd’hui cette réforme d’ampleur, alors, et c’est déjà le cas, ce domaine sera entièrement occupé par les entreprises privées et les logiciels pédagogiques nous viendront de l’étranger.
Il s’agit d’un combat qui vaut plus que la question de l’enseignement des langues étrangères. Si l’on veut défendre patriotiquement notre nation, nous avons besoin non seulement de former par le numérique – ce procédé peut permettre à un grand nombre d’élèves de réussir, c’est pourquoi nous nous devons mettre en place ce service public, alors que des sociétés privées fournissent déjà ce genre de service aux parents qui en ont les moyens –, mais nous devons aussi former au numérique, parce qu’il comporte nombre de dangers et qu’il est de la responsabilité de l’école d’inscrire les devises de la République dans les territoires numériques du XIXe siècle.
Des organismes comme la Caisse des dépôts et consignations l’ont fait pour les écoles au XIXe siècle. Ils doivent s’impliquer fortement aujourd’hui pour rendre possible l’accès de tous les territoires au haut débit, pour nous rendre capables de former nos enseignants – et nous devons aider nos éditeurs à construire une filière du numérique pédagogique française. (M. Christian Bourquin s’exclame.)
Vous qui connaissez les collectivités locales, vous savez les efforts qu’elles ont réalisés ces dernières années – car cela relevait de votre responsabilité– pour trouver et donner aux établissements les moyens nécessaires en termes de matériels. Mais les professeurs n’étaient pas formés aux usages pédagogiques du numérique.
Nous avons donc là un projet considérable qu’il faut mener à bien rapidement et qui appellera également des réorganisations au sein du ministère de l’éducation nationale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi comporte de nombreux aspects ; c’est toujours le cas dans une loi scolaire. Je veux m’en tenir à ce qui est simple, à ce que nous pouvons partager, à ce que je viens d’indiquer.
Notre pays traverse une crise profonde qui est bien entendu une crise matérielle mais aussi une crise morale, une crise civique, une crise d’espérance. La France est le pays qui est le plus pessimiste sur son avenir. Il est vrai que beaucoup des choix faits ces dernières années ne sont pas en faveur de l’avenir. Nous avons décidé, à travers des interventions multiples, de faire en sorte que cet avenir soit ce qui peut nous rassembler : lorsqu’il s’agit de nos enfants, lorsqu’il s’agit des élèves de l’école de la République, lorsqu’il s’agit de la possibilité de leur offrir les conditions de la réussite scolaire, je crois profondément que nous pouvons nous rassembler.
Il y a longtemps de cela, au cours de débats tenus dans cet hémicycle, un grand républicain disait très simplement que les élèves, et c’est l’évidence, sont les messagers de l’avenir. Ce que nous faisons de notre école au cœur de la République, c’est ce que nous attendons de la France de demain. Il s’agit, pour chacune et chacun d’entre nous, d’une responsabilité très lourde.
J’ai été, je vous l’ai dit dès le début de mon propos, heureux du travail conduit en commission : bien des amendements adoptés permettent d’enrichir le texte, notamment son nouvel article 3 A, sur les finalités que nous poursuivons. Quelle école voulons-nous et donc quel projet de société ?
Lorsque nous parlons d’inclusion scolaire pour les enfants en situation de handicap – vous êtes revenus de façon unanime sur l’amendement qui avait provoqué, lors du débat à l’Assemblée nationale, une émotion légitime –, lorsque nous parlons de mixité sociale, lorsque nous voulons la réussite de tous – parce que son absence se traduit par un échec terrible pour des individus privés de cette capacité à s’insérer, à s’épanouir et dont l’état de santé traduit parfois cette difficulté, mais aussi parce qu’avoir 150 000 décrocheurs chaque année est pénalisant pour la France –, nous voulons aussi associer tous ceux qui contribuent à ce pacte entre la nation et l’école, en particulier les parents que vous avez, au travers de vos amendements, permis de mieux convier à notre travail.
Vous avez ajouté des éléments qui viennent clarifier un certain nombre des fondamentaux présents dans cette loi : je pense au Conseil supérieur des programmes, au Conseil national d’évaluation du système éducatif – on connaît les polémiques de ces dernières années – et, bien entendu, au socle commun de compétences, de connaissances et de culture.
Pourquoi ces fondamentaux ? Ce qui a beaucoup pénalisé l’école, ce sont des débats très théoriques, souvent au sein même de l’éducation nationale, opposant aux pédagogues les républicains autoproclamés et ignorant souvent les sources elles-mêmes. Devrions-nous en conclure que Jules Ferry, Ferdinand Buisson, Jules Steeg, Johann Heinrich Pestalozzi, Jean-Jacques Rousseau n’étaient pas des pédagogues, ni des républicains ?
Ces clivages entre instruction et éducation existaient déjà à l’époque de Condorcet. Pourtant, être capable de produire des connaissances précises, être capable d’instruire son jugement, être capable de discriminer entre ses sources, être capable de construire une argumentation, être capable de respecter sa tradition, ce n’est pas seulement s’instruire, c’est déjà s’éduquer ; Michelet disait-il autre chose ?
Si notre vision est globale, vous avez donc, de votre côté, contribué à enrichir le texte, mesdames, messieurs les sénateurs. Vous l’avez fait, également, sur les questions de santé scolaire. En la matière, je vous le dis, la situation est alarmante, à un moment où, comme dans toute période de crise, la pauvreté regagne du terrain dans notre pays.
Vous avez aussi précisé le parcours d’éducation artistique et culturelle, et indiqué la manière dont le numérique éducatif devait contribuer à l’innovation pédagogique. L’État enseignant, en effet, ce n’est pas l’État Léviathan. Pour l’État enseignant, la République se doit de toujours placer l’individu émancipé au-dessus de toute raison d’État. C’est la grande leçon de l’affaire Dreyfus, le grand moment de la réconciliation nationale. Nous ne devons jamais oublier cette leçon.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez également souhaité indiquer que cette école de la confiance – car c’est une forme de foi que de croire en l’éducabilité de chacun – appelle aujourd’hui des modes d’évaluation qui mesurent mieux la progression de l’élève, qui aident à progresser plutôt qu’ils ne sanctionnent. Nous avons, en effet, une vision très particulière de ces sujets, en France. Vous avez voulu, de la même manière, le préciser pour les redoublements.
Tout cela est dans l’esprit de ce que nous essayons de faire, et je vous en remercie.
Je souhaite profondément que ce débat soit l’occasion de dire à quel point nous sommes tous attachés à l’école de la République, à quel point nous voulons et nous portons ensemble ce projet, qui vise à faire réussir tous les élèves, quelle que soit leur origine, quel que soit leur territoire, quelle que soit leur croyance, quelles que soient leurs opinions.
Nous le savons, cela ne date pas d’hier, l’état de la France s’est beaucoup détérioré. Nous avons fait des choix, parfois budgétaires, parfois pédagogiques – ceux-là sont plus anciens – qui n’ont pas été les bons.
Nous agissons pour que l’école retrouve le bon chemin. Il faudra du temps, je le sais. Si nous en sommes capables, ce que nous faisons pour l’école vaudra, par sa capacité d’entraînement, pour toute la nation.
Il faut être capable de parler de l’école avec raison, plutôt qu’avec une certaine émotion. Il faut être capable de le faire avec le sens du temps long, aussi, et de lutter contre la dictature de l’instant, qui prend tant de place dans la vie politique et dans les politiques publiques. Il faut être capable d’amorcer ce mouvement.
Je vous l’ai dit, j’ai été surpris des débats à l’Assemblée nationale. Comme si les priorités que je propose pour l’école dans ce projet de loi, auxquelles nous avons réfléchi depuis tant d’années, devaient diviser ! Au contraire, mesdames, messieurs les sénateurs, si elles ont été choisies avant même que ne soient abordées les questions relatives au lycée professionnel ou au collège, par exemple, c’est qu’elles constituent précisément les éléments sur lesquels nous devons pouvoir nous rassembler.
J’espère que le Sénat, dans sa sagesse, sera capable d’envoyer ce signal important pour notre jeunesse, mais également pour un pays qui cherche son chemin vers l’espoir. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Christian Bourquin. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Françoise Cartron, rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’éducation nationale, madame la ministre déléguée chargée de la réussite éducative, madame la présidente de la commission, madame, monsieur les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, Pierre Mendès France affirmait : « Si notre République […] est capable de comprendre l’espérance des filles et des garçons de France, d’épouser cette espérance, de la servir dans chacune de ses décisions, alors elle n’a rien à craindre des […] extrémistes, car elle sera toujours plus forte et plus vivante, portée par sa jeunesse, ardemment défendue, et chaque jour renouvelée par elle ».
M. Roland Courteau. Bien dit !
Mme Françoise Cartron, rapporteur. Monsieur le ministre, le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République que vous portez, et que j’ai l’honneur de rapporter au Sénat, s’inscrit pleinement dans cette belle ambition.
Ce texte, issu d’un long travail de concertation, dont il faut saluer l’ampleur et la qualité, est au cœur du projet politique du Président de la République.
Aujourd’hui, notre société est traversée par des crises multiples : crise majeure du chômage, crise de l’exclusion et de la stigmatisation, crise des repères et du sens collectif.
C’est un fait, le redressement de notre pays est pleinement lié à notre capacité à redonner à notre système éducatif des orientations claires et des moyens, indispensables.
L’école française souffre de plusieurs maux. Elle ne corrige pas les inégalités sociales, elle les cristallise en inégalités scolaires. Les résultats, tous niveaux confondus, ne sont pas satisfaisants et, pis, régressent au lieu de progresser. Un nombre inacceptable de jeunes sortent du système scolaire sans qualification.
C’est un fait, également, notre école est désorientée, elle a été abîmée par les coups subis ces dernières années.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Françoise Cartron, rapporteur. Je pense notamment à la suppression massive des postes, effectuée sans discernement, à la multiplication des expérimentations en tous sens et en tous genres, faite sans évaluation, et à la dureté du quotidien scolaire vécu par nombre de jeunes et de professeurs.
Oui, c’est bien de refondation qu’a besoin notre école, de la redéfinition d’un cap et d’engagements forts sur les moyens indispensables à la réalisation de ces objectifs.
Telle a bien été la volonté de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat dans ses travaux préparatoires, au cours desquels soixante-dix auditions ont été conduites, sur plus de cent heures, et plusieurs déplacements effectués.
Par l’adoption de 138 amendements, émanant de tous les groupes politiques, nous sommes parvenus à approfondir et à enrichir le projet de loi.
En préambule de cette discussion générale, je souhaite donc revenir sur ces différents apports.
Afin de réaffirmer la démocratisation du système scolaire, condition de notre cohésion nationale, la commission a estimé qu’il était nécessaire de clarifier l’ambition que nous avons pour l’école, de préciser le sens qu’elle revêt. Cette démarche constitue, pour la commission, la première pierre de l’édifice refondé.
Ainsi, elle s’est largement employée à fixer le cap et à rappeler les valeurs fondamentales qui doivent permettre à tous les enfants de se construire. Elle tenait à les voir inscrites dans le premier article du code de l’éducation.
C’est également au regard du nouvel article 3 A du présent projet de loi, fruit de plusieurs amendements, que les autres dispositions adoptées par la commission doivent être appréhendées.
Ainsi, nous avons souhaité rompre avec l’idée selon laquelle certains élèves étaient condamnés à l’échec. Parce qu’il n’y a pas de fatalité qui inscrirait irrémédiablement des élèves dans une scolarité chaotique, nous réaffirmons le principe selon lequel tout enfant est capable d’apprendre et de progresser. L’éducation nationale doit garantir l’universalité du droit à l’éducation, par un renforcement de l’obligation d’inclusion scolaire de tous les enfants, indépendamment de leurs origines, de leur milieu ou de leur condition de santé. Elle doit aussi assumer la mission fondamentale de lutte contre les inégalités culturelles et sociales.
En portant les efforts sur le premier degré et les enfants les plus fragiles, grâce, notamment, à la création de 14 000 postes d’enseignants titulaires, le Gouvernement opère, à cet effet, une véritable révolution copernicienne, et elle était indispensable.
Face aux difficultés diverses, rencontrées dès la petite enfance, l’école primaire constitue, en effet, le lieu d’épanouissement privilégié. C’est pourquoi 3 000 postes seront destinés à l’accueil des enfants de moins trois ans, en particulier dans les zones d’éducation prioritaire, dans les territoires ruraux et en outre-mer. Cette préscolarisation, remise en cause ces dernières années, est essentielle pour un certain nombre d’enfants. Elle leur permet de développer leur langage, de s’ouvrir au monde du réel et du sensible, acquis indispensables à la réussite des apprentissages fondamentaux dispensés à l’école primaire.
En construisant des parcours pédagogiques adaptés, qui tiennent compte des différences de rythme et de maturité de chaque enfant, les difficultés scolaires, sources d’échec, seront surmontées. C’est pourquoi 7 000 postes seront affectés aux mesures de soutien dans les zones prioritaires, notamment au dispositif « plus de maîtres que de classes ».
Aujourd’hui, l’ensemble des recherches et des études sur ce sujet a conclu à l’inefficacité des systèmes scolaires qui procèdent à des orientations précoces vers l’alternance ou la formation professionnelle. Le projet de loi a donc prévu de renforcer le collège unique, qui conditionne à terme l’élévation du niveau de qualification globale.
Dans la refonte de la régulation du système éducatif au service de la démocratisation, le Conseil supérieur des programmes et le Conseil national d’évaluation du système éducatif auront un rôle clef à jouer.
Notre commission a prévu que les personnalités qualifiées nommées ne pourront pas siéger au sein des deux conseils. Par souci de transparence, elles pourraient être aussi nommées après avis des commissions chargées de l’éducation.
Dans le nouvel article 3 A, introduit par la commission, les valeurs fondamentales que sont le respect de l’égale dignité des êtres humains, la liberté de conscience et la laïcité, ont également été inscrites. Elles sont celles que le service public de l’éducation doit incarner et transmettre, en même temps que les connaissances, les compétences, et la culture.
M. Roland Courteau. Exactement !