M. Bruno Retailleau. Monsieur le ministre, vous représentez à l’occasion de ce débat M. le ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche, Frédéric Cuvillier : même si l’on ne pêche pas en mer en Savoie, j’en suis heureux, car je vous sais suffisamment tenace et combatif pour porter la parole du Sénat dans le cadre de vos attributions auprès des instances européennes ! (Sourires.)
Je tiens tout d’abord à remercier Jean-Claude Merceron et son groupe d’avoir proposé ce débat important, qui tombe à point nommé. Nous sommes en effet parvenus au terme d’un processus qui a commencé voilà presque quatre années, avec la parution du Livre vert. Depuis lors, la Commission a exprimé à deux reprises, en juillet et décembre 2011, des propositions qui sont désormais sur la table, sous la forme d’un paquet législatif en trois volets.
Le premier volet, sans doute le plus important, est le règlement de base. Le deuxième volet concerne l’organisation commune des marchés. Enfin, le troisième volet a trait au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, le FEAMP, qui remplace le FEP.
Le Sénat, pour sa part, n’est pas resté inactif depuis 2009. En effet, dès la parution du livre vert, nous avions exprimé une position commune, très consensuelle et largement partagée au-delà des clivages partisans, et plaidé pour une position beaucoup plus équilibrée.
Nous avons renouvelé ce souhait d’équilibre voilà un an, une fois connues les propositions de la Commission.
Enfin, le 3 juillet, Jean-Claude Merceron l’a rappelé, nous avons de nouveau voté à l’unanimité une proposition de résolution qui avait pour objectif de conforter la position du Gouvernement dans les négociations européennes.
Depuis lors, le processus de codécision est en route entre le Conseil et le Parlement européen. Ce dernier exprime, au travers des positions qu’il adopte, une vision et des propositions très excessives, souvent même plus radicales que celles de la Commission.
Les discussions, hélas ! traînent à ce point qu’il nous faudra sans doute attendre le mois de juillet prochain pour qu’intervienne, au sein de la Commission, le vote permettant de mettre en place le FEAMP.
Pour ce qui concerne le Conseil, les États membres avaient souhaité, dès juin 2012, atténuer la sévérité des propositions de la Commission, ce à quoi le gouvernement français avait largement contribué.
Puisque nous sommes entrés, avec ce mécanisme européen de la codécision, dans le trilogue entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission, je souhaite, pour compléter les propos de Jean-Claude Merceron, faire le point sur les sujets les plus importants.
Sur le premier volet, qui concerne le règlement de base, les points de désaccord sont nombreux.
Un consensus a cependant été trouvé sur les concessions de pêche transférables : tandis que le Parlement européen souhaitait leur suppression pure et simple, le Conseil a proposé qu’elles soient rendues facultatives à l’égard des États membres. Il semble donc que tout danger soit désormais écarté sur ce point.
Par quel mécanisme cette idée, si excessive, de concessions de pêche a-t-elle pu germer dans un cerveau technocratique ? Une telle mesure aurait en effet conduit à la privatisation de la ressource, à la concentration autour des plus gros armements et aurait eu des conséquences dramatiques sur la pêche qui a la préférence de la France : la pêche artisanale.
Restent deux dangers, l’un mineur, l’autre majeur.
Le danger mineur est lié au rendement maximum durable. L’approche du Conseil, graduelle jusqu’en 2020, nous conviendrait plutôt, alors que celle du Parlement européen est extrêmement rigide et encore plus excessive que celle de la Commission européenne.
Le Parlement propose en effet de fixer des taux de mortalité dès 2015, de dépasser le RMD en 2020 pour tous les stocks et de prendre la biomasse comme base de son raisonnement.
Sur ce sujet, les scientifiques ne sont pas tous d'accord. Se servir du concept de biomasse pour appréhender le RMD signifie que la pêche est appelée à devenir la variable d'ajustement des stocks, quand bien même il s’agirait d’un problème lié, non pas à la pêche elle-même, mais, par exemple, à la pollution ou au dérèglement climatique.
Il s'agit là d'une position extrêmement brutale. Si nous devions la suivre et que, dès 2015, nous soyons contraints d'appliquer le RMD, la France devrait fermer 50 % de ses pêcheries sur son territoire métropolitain et ultramarin. Je rappelle que, au sommet mondial de Johannesburg, il a été précisé que le terme pour atteindre le RMD était non pas 2015, mais 2020. Nous sommes en quelque sorte plus royalistes que le roi !
Monsieur le ministre, certes, des compromis peuvent être trouvés, mais ce sujet reste une source d'inquiétude.
Le danger majeur concerne la question des rejets. Je partage l’analyse de notre collègue Jean-Claude Merceron. La Commission européenne continue de proposer l'obligation de débarquer toutes les captures d'ici à 2015, alors que le Parlement européen a voté une obligation stricte à partir de 2014, avec une souplesse minimale de l'ordre de 5 %. C'est d’autant plus compliqué que ce dernier souhaite appliquer cette règle à l'ensemble des espèces commercialisables et pas seulement à celles qui sont soumises aux taxes, aux quotas ou, en Méditerranée, aux mesures.
Ni nos pêcheurs ni leurs bateaux, en termes de puissance comme de place à bord, ne seront en mesure d’appliquer cette règle d'ici à douze mois ou dix-huit mois. Quant aux ports, j’imagine que ce sera encore une fois aux collectivités territoriales de payer, puisque, vous le savez bien, même s’il peut y avoir des concessions, les départements en sont propriétaires.
Surtout, cette obligation aurait des effets pervers que je souhaite souligner.
D’abord, elle serait un encouragement à la filière minotière et aux farines animales. Est-ce que nous voulons ?
Ensuite, elle favoriserait la création d’un marché parallèle sur les espèces commercialisables. Là aussi, est-ce ce que nous désirons ? Je ne le crois pas. Il faut donc veiller à ce que cela ne se produise pas.
Encore une fois, je pense que le principe du zéro rejet est en soi un bon principe, sous réserve que soient réunies trois conditions qui sont autant de nuances.
Premièrement, il faut une gradualité, c'est-à-dire une sorte de préparation. Nous devons tendre vers cet objectif pour laisser aux marins-pêcheurs le temps d'adapter les bateaux.
Deuxièmement, il faut assortir cette mesure de mesures de sélectivité des techniques de pêche. Ce qui importe, c'est que ne soit pas capturé n'importe quoi, ce dont conviennent les marins.
Troisièmement, il faudra toujours conserver une tolérance, sans doute de l’ordre de 10 %. Je pense que la règle de minimis doit être prise en compte. Puisque c’est le cas pour d'autres règlements sur d'autres sujets, comme vous le savez bien, monsieur le ministre, pourquoi ne pourrait-il pas en être de même en matière de pêche ?
Monsieur le ministre, Jean-Claude Merceron vous a posé de nombreuses questions. Je me contenterai de vous en poser une seule, qui porte sur le vote du Parlement européen et les nombreuses inquiétudes qu’il suscite.
Le Parlement européen a d'abord voté la création de zones de reconstruction de stocks, qui seraient des zones de pêche interdite. Quelle sera la position du gouvernement français sur ce point à propos duquel il ne s'est pas encore exprimé ?
Le Parlement européen souhaite ensuite gérer la capacité de la flotte, en proposant une définition de la capacité qui prendrait en compte tout ce qu'un bateau peut capturer. Ce concept est tellement subjectif que même les scientifiques ne s’y retrouvent pas !
Si cette position était validée, elle pourrait conduire à ce que la France soit condamnée et privée d'aides de façon sans doute définitive. Il s’agit donc là d’un enjeu extrêmement important.
La troisième source d'inquiétude concerne les plans de gestion des espèces, sur lequel le Parlement européen souhaite une compétence partagée, en dépit de l'article 49-3 du Traité. Or il s’agit sans conteste d’une compétence exclusive des États et du Conseil – d’ailleurs, le Conseil des ministres chargés de la pêche se réunit aux mois de juin et de décembre pour évoquer ce sujet. D’ailleurs, si une telle compétence relevait de la codécision, où irions-nous ? Très vite, la pêche pourrait disparaître en France…
S’agissant du FEAMP, on peut, certes, regretter la baisse des crédits d'environ 200 millions d'euros – sur 7,3 milliards d'euros toutefois –, mais elle est la conséquence de l'accord budgétaire pluriannuel 2014-2020, et le cadre permet encore aux pêcheurs de travailler. Un bateau de dix-huit ans peut présenter des faiblesses sur le plan de la sécurité ; il faut donc que des moyens soient alloués à la modernisation.
Par ailleurs, si l’on veut pouvoir disposer d'une enveloppe dès 2014 – et, 2014, c'est demain ! – et que des dispositions soient rapidement prises, la ligne rouge est presque atteinte. Nous sommes engagés dans une course de vitesse. Le Parlement européen doit impérativement prendre position et le trilogue arriver très vite à une conclusion pour que nous disposions d’un FEAMP opérationnel au second semestre de 2013 et que 2014 ne soit pas une année perdue pour la mise en place des dispositifs.
Certains de ces dispositifs sont d'ailleurs choquants. Je ne prendrai qu’un seul exemple. Le FEAMP prévoit de reconvertir les marins-pêcheurs, alors qu’il existe des fonds de formation professionnelle et de reconversion qui peuvent financer de telles mesures. À mes yeux, il est choquant de vouloir à tout prix proposer des formations aux marins-pêcheurs pour les pousser à quitter un métier, certes, excessivement difficile mais qu'ils aiment, après que tant de bateaux ont été « cassés » pour faire en sorte qu’ils soient de moins en moins nombreux. Or, monsieur le ministre, je peux vous citer des patrons pêcheurs qui, ne trouvant plus de main-d'œuvre française, doivent embaucher des marins étrangers ! Il faut donc au contraire offrir des perspectives à nos jeunes et aux marins-pêcheurs français.
Je conclurai mon propos en formulant deux observations.
Ma première observation porte sur le développement durable, qu’il faut bien sûr avoir en vue.
Le développement durable, c'est, certes, la protection de l'environnement : les stocks doivent être reconstitués et la surpêche est à bannir. Mais le développement durable a aussi une dimension sociale – en a-t-on parlé ? – et une dimension économique, dont nous parlons précisément maintenant. (Mme Laurence Rossignol s’exclame.)
Gardons-nous d'avoir une vision manichéenne et simpliste de la pêche, ma chère collègue, selon laquelle il faudrait, pour sauver les poissons, sacrifier les pêcheurs ! Il existe certainement une voie médiane qui doit permettre de sauver les pêcheurs et, en même temps, de préserver des stocks halieutiques.
Savez-vous, mes chers collègues, que les prises européennes constituent 5 % des prises mondiales et que nous importons désormais près de 80 % de notre consommation nationale de poissons ? Savez-vous également que, en termes d'évaluation, seulement 50 % des stocks font vraiment l'objet d'une évaluation scientifique ?
Jean-Claude Merceron a cité l'exemple du cabillaud en mer Celtique. On voit bien que, dès qu'une collaboration s'établit entre les scientifiques et les pêcheurs, les plans de pêche sont beaucoup plus faciles à mettre en œuvre ; le dialogue se crée, car les pêcheurs sont intelligents et les scientifiques ont besoin de leurs connaissances. Il faut donc avoir une vision, non pas simpliste et manichéenne, mais au contraire équilibrée de la politique de la pêche
Ma seconde observation porte sur les enjeux.
La politique de la pêche ne se réduit pas à la pêche ; elle englobe de nombreux autres sujets : le tourisme, la culture, les énergies nouvelles. La mer regorge de richesses. La France a une ambition maritime ; elle est le deuxième domaine maritime mondial. Mes chers collègues, n'imaginez pas que nous pourrons demain faire valoir toutes ces richesses et le rayonnement qu’elles nous procurent si nous sacrifions nos pêcheurs ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Mme Odette Herviaux et M. Jean-Claude Merceron applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Odette Herviaux.
Mme Odette Herviaux. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à mon tour à saluer l'initiative du groupe UC-UDI. Je remercie en particulier M. Merceron des propos très techniques et très complets qu'il a tenus, ce qui nous permet de laisser parler nos émotions et d’exprimer des réactions à chaud.
Nous sommes tous d'accord pour dire que nous avons besoin de la mobilisation des parlementaires nationaux pour défendre la pêche. Nous devons aider le Gouvernement à défendre les priorités qu’il s’est fixées, et je regrette que ce débat, qui a lieu à la veille de la suspension des travaux parlementaires, n’ait pas attiré plus de monde dans cet hémicycle.
Mes deux collègues qui sont intervenus avant moi à cette tribune ont l’un et l’autre déploré les positions dogmatiques du Parlement européen. Il est sûr que, si ce dernier avait une meilleure connaissance du monde de la pêche, du monde des pêcheurs, de la réalité de la « maritimité » sur certaines de nos façades, nous n'en serions pas là.
Je rappelle, puisque ce débat a cours aussi bien à Bruxelles qu’ici, que certains parlementaires ont rencontré la commissaire européenne Mme Damanaki ; parmi nous se trouvait l’actuel ministre chargé de la mer et de la pêche, qui était alors député. À l’issue d’un débat très vif, voire assez dur, Mme Damanaki nous a répondu qu’il serait toujours impossible de discuter avec nous, Français, puisqu'elle défendait les poissons, alors que, nous, nous défendions les pêcheurs ! C'est une vision erronée, parce que, si l’on défend les pêcheurs, on défend aussi la pêche et les poissons.
MM. Jean-Claude Merceron et Bruno Retailleau. Absolument !
Mme Odette Herviaux. Monsieur Retailleau, vous avez souligné que les pêcheurs étaient des gens intelligents.
M. Marcel-Pierre Cléach. C’est vrai !
Mme Odette Herviaux. S’il est vrai que, durant des années, ils ont exagéré, ils savent aujourd'hui que leur avenir dépend entièrement de la survie des espèces. Ils sont donc partie prenante à la recherche et aux efforts déployés en faveur d’une défense globale.
Il est toujours bon de parler de développement durable, mais, si l’on aborde ce problème, qui a aussi une dimension économique et sociale, par le petit bout de la lorgnette, c'est-à-dire du seul point de vue de la préservation de la biodiversité, nous n’irons pas vers des lendemains qui chantent !
Cette vision du développement durable comme d’un trépied indispensable – biodiversité, économie, approche sociale – nous permet de dire qu'il faut aller au-delà des positions du Parlement européen.
J'espérais beaucoup de la nouvelle façon de travailler en Europe et du nouveau positionnement du Parlement européen. Sur la politique agricole commune par exemple, j’estime que le Parlement a pris une position intelligente et un effort important a été consenti. On a avancé sur l'équilibre nécessaire entre les trois pôles du développement durable.
En revanche, sur la pêche, je fais partie de ceux qui ont été très déçus par le durcissement du Parlement européen, alors que les propositions de Mme Damanaki étaient déjà absolument intenables pour notre pays et d'autres pays européens.
M. Bruno Retailleau. Hélas !
Mme Odette Herviaux. Cette semaine a vu plusieurs réunions d’importance se tenir sur l’initiative de la présidence irlandaise : un Conseil des ministres de la pêche de l’Union européenne et un trilogue informel.
Sur les sujets cruciaux qui ont déjà été abordés – rendement maximum durable, rejets, régionalisation, modernisation de la flotte, plans pluriannuels –, notre ministre fait preuve d'une cohérence et d’une détermination qui permettront, je l’espère, d'aller vers une position plus raisonnable et plus tenable.
Le parti pris de la Commission européenne est à mon sens dogmatique. Elle a en effet jusqu'à présent superbement ignoré tous les efforts exemplaires consentis par les professionnels de la mer, en lien avec les scientifiques, certains groupes d’experts ou des ONG. Tous ces efforts montrent d'ailleurs que les pêcheurs ont pleinement conscience d’avoir destin lié avec la préservation des ressources halieutiques.
C’est pourquoi, même si ce n’est qu’un piètre pis-aller, je me félicite de la position des eurodéputés socialistes français, qui ont voté contre la réforme du règlement général de la politique commune de la pêche, estimant que le texte défendu par le Parlement européen « ne respectait pas l’équilibre entre le renouvellement de la ressource et la pérennité des activités de pêche européenne ».
Si nous approuvons le principe du rendement maximum durable en tant qu’indicateur rationnel pour la préservation de la ressource, le RMD ne sera légitime et accepté que s’il repose sur une appréciation objective, fiable et, surtout, débattue avec les professionnels. Dans cette perspective, nous rejoignons nos collègues députés européens et les ministres des États membres pour souhaiter la mise en œuvre régionalisée de la gestion des pêches.
Enfin, sur le problème des prises accessoires, je réitère notre ferme opposition à l’interdiction totale des rejets à court terme, car il ne fera, au mieux, que déstabiliser la chaîne alimentaire marine naturelle et déplacer le problème à quai, avec la création d’une filière parallèle de farines animales – je redis tout le mal que je pense, non seulement de cette filière, mais aussi des pêcheries qui s’engagent dans cette voie.
Alors que 65 % des produits de la mer consommés en Europe sont importés, l’Union européenne devrait être en première ligne pour mettre un coup d’arrêt à la délocalisation de son appareil productif. Or le débarquement obligatoire de tous les rejets va détruire nos entreprises de pêche et tous les emplois directs ou induits, particulièrement dans les pêcheries multi-spécifiques, bien connues en Bretagne.
Que se passera-t-il lorsque nous devrons importer, non plus 65 %, mais 90 % ou plus de notre consommation de produits de la mer, alors que nous savons très bien que les aliments qui arriveront en Europe ne répondront aucunement aux normes sociales et écologiques que la Commission prétend défendre ?
Comment en outre concilier l’interdiction pure et simple des rejets avec la sécurité et l’aménagement de navires souvent anciens, et avec la sécurité du travail de nos marins à bord ?
Tant pour le RMD que pour la limitation des rejets, au nom d’un développement durable réel, nous réclamons avec M. le ministre chargé de la pêche une mise en œuvre progressive, qui associe pleinement les professionnels de la mer.
Basées sur des calendriers réalistes et respectueux des pêcheries, les propositions du Conseil en la matière vont dans le bon sens et nous satisfont davantage que celles du Parlement.
Nous restons aussi attentifs à la proposition de la Commission européenne visant à supprimer en deux ans les engins considérés comme les plus nocifs pour l’écosystème d’eau profonde, à savoir les chaluts et les filets maillants de fond. Cela s’apparente à un coup de massue supplémentaire contre la filière et contre une pratique qui, chez nous tout du moins, est extrêmement encadrée. Les acteurs de la pêche en eaux profondes ont ainsi engagé une réduction de plus de 50 % de l’effort de pêche qui a permis la reconstitution de trois principaux stocks – la lingue bleue, le sabre noir et le grenadier.
La demande adressée par le président de la commission de la pêche du Parlement européen à la commissaire européenne de procéder à des études d’impact complémentaires apparaît donc comme un moindre mal.
Monsieur le ministre, vous voyez que nous réaffirmons avec conviction notre soutien plein et entier à notre ministre chargé de la pêche pour l’élaboration et la mise en application d’une réforme réellement durable de la politique commune de la pêche, adossée aux trois piliers que sont l’écologie, l’économie et le social.
M. Cuvillier aura notamment l’occasion de défendre cette réforme durable, qui nécessite l’adhésion et la reconnaissance des pêcheurs, lors du prochain Conseil des ministres chargés de la pêche des 14 et 15 mai ; vous pouvez lui transmettre l’assurance de notre soutien, monsieur le ministre !
M. Bruno Retailleau. Du nôtre aussi !
Mme Odette Herviaux. Le montagnard que vous êtes n’ignore pas la signification de la défense équilibrée d’un développement durable ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en juillet 2011, la Commission européenne a engagé le processus de réforme de la politique européenne de la pêche.
Elle a établi, à cette occasion, un bilan sévère mais juste de la politique menée par l’Europe, qui n’a pas su répondre aux enjeux sociaux, environnementaux et économiques du secteur.
La surpêche, la surcapacité, la mauvaise situation économique de nombreuses entreprises du secteur, les problèmes sociaux imputables au déclin des pêcheries dans de nombreuses régions côtières, les conditions de travail dégradées, le vieillissement de la flotte : tout pousse en effet à construire une autre politique.
Cette construction impose selon nous, au-delà de l’approche purement économique d’hier et de son « verdissement » aujourd’hui, une prise en compte des enjeux sociaux.
Le secteur de la pêche, comme bien d’autres secteurs d’activité, montre à quel point il est urgent d’harmoniser par le haut la protection sociale, le statut et la rémunération des travailleurs.
En ce qui concerne la politique européenne de la pêche, telle qu’elle nous est imposée ou proposée – à chacun de trancher selon ses convictions –, on peut constater que, si un consensus se dégage sur l’objectif d’une pêche durable, des divergences se sont cristallisées au fil des mois sur la méthode.
Les analyses divergent, d’une part, sur l’ampleur des problèmes – je pense ici à la question du rendement maximum durable, et c’est dans ce sens que le Sénat avait insisté sur l’importance d’améliorer la connaissance de l’état des stocks halieutiques – et, d’autre part, sur le calendrier et le champ d’application des mesures avancées. Il en va ainsi de nos engagements pris aux sommets de Johannesburg et de Nagoya comme sur la question des rejets ou encore sur l’instauration des zones d’interdiction de pêche.
Dès juillet 2012, le Sénat a adopté à l’unanimité une proposition de résolution exposant la position des sénateurs sur le contenu du projet de la Commission européenne. Nous nous félicitons que notre assemblée ait, en temps et en heure, porté ses remarques.
La procédure de codécision a avancé. Le Parlement a émis ses propositions de modifications du texte de la Commission. Face aux désaccords persistants entre les institutions européennes, le comité de conciliation a été chargé d’aboutir à un accord sur un projet commun.
C’est dans ce contexte que M. Cuvillier a participé, voilà trois jours, au Conseil des ministres de la pêche de l’Union européenne, dont l’objet principal était d’organiser un nouveau tour de table sur la réforme de la politique commune de la pêche.
Au regard du calendrier, le débat que nous avons aujourd’hui, à la demande du groupe centriste, prend donc tout son intérêt pour notre information en temps réel sur la réforme européenne. Nous ne manquerons donc pas de vous poser quelques questions, monsieur le ministre. En revanche, nous sommes conscients que les négociations à huis clos qui vont s’engager ne laisseront que peu de place aux positions de principe que nous allons maintenant réaffirmer ici.
Comme nous avons déjà eu l’occasion de le signaler, y compris en votant, la réforme de la politique de la pêche suscite plusieurs inquiétudes.
D’une part, nous sommes farouchement opposés, et en cela nous suivons la position du Parlement européen, à la proposition de la Commission, qui préconisait de mettre en œuvre, au plus tard le 31 décembre 2013, pour la majorité des stocks gérés dans le cadre de la politique commune de la pêche, un système de concessions de pêche transférables applicable à tous les navires d’une longueur de douze mètres ou plus et à tous les autres navires utilisant des engins remorqués.
À travers cette mesure, c’est l’appropriation privée de ressources collectives qui est actée.
De plus, ce système présente le risque d’encourager la concentration du secteur de la pêche. Nous pensons qu’il faut donc soutenir l’interdiction totale de cette marchandisation des capacités de pêche et ne pas la soumettre à la volonté de chaque État.
D’autre part, l’approche de la Commission européenne et du Parlement consistant à exiger que le RMD soit atteint en 2015 pour tous les stocks est trop brutale. Elle pourrait conduire la France à fermer 50 % de ses pêcheries, avec des conséquences économiques et sociales irréversibles. Pour notre part, nous soutenons l’orientation générale dégagée par le Conseil Agriculture et Pêche, qui prévoyait un report en 2020 et qui distinguait selon les stocks.
Ensuite, nous estimons que le principe du « zéro rejet », qui n’a pas fait l’objet d’évaluations quantitatives ou qualitatives sur la viabilité des entreprises et l’emploi salarié et non salarié, fait courir un risque considérable à la filière en France. Il paraît injustifié de voir l’interdiction s’appliquer aux espèces qui ne sont pas sous quotas.
Lors de l’adoption de la proposition de résolution sur la réforme de la politique européenne de la pêche par l’Assemblée nationale, en janvier dernier, les députés ont à juste titre souligné les problèmes que poserait de surcroît le contrôle de l’application de cette mesure en termes de libertés publiques. Ils ont également dénoncé le coût des équipements de vidéosurveillance qui devraient être installés sur les bateaux.
Au regard des méthodes de pêche que nous utilisons en France, il est vital d’obtenir une phase de transition afin de réduire les volumes de captures non désirées et d’éliminer graduellement les rejets. Il faut également réfléchir aux exemptions sanitaires à l’obligation de débarquement et procéder à un état des lieux, flotte par flotte.
Il nous semble plus pertinent d’aider la filière à mettre en place des instruments de pêche plus sélectifs et à valoriser les rejets. C’est dans ce sens que notre collègue Gérard Le Cam avait déposé un amendement, adopté par la commission, visant à proposer que « l’organisation commune des marchés permette de mieux réguler les prix au débarquement en criée, et offre des débouchés à l’ensemble des produits pêchés, le cas échéant, par l’activation d’un mécanisme d’intervention et de stockage ».
En ce qui concerne la valorisation des produits non rejetés, un amendement du Parlement européen prévoit que « chaque État membre devrait pouvoir décider d’autoriser ou non la distribution gratuite des poissons débarqués à des œuvres de bienfaisance ou caritatives ». Il nous semble que c’est un minimum et que, là encore, un soutien financier devrait être accordé aux associations concernées.
Enfin, je regrette que la réforme de la PCP ne comporte pas de volet social. La pêche est un secteur qui présente un nombre très élevé d’accidents du travail, par exemple. Il est urgent de procéder à une harmonisation et à une amélioration des règles de travail, de protection sociale et de sécurité à bord. Il est essentiel que cesse la concurrence déloyale qui se fait au détriment des marins-pêcheurs.
Les syndicats de pêcheurs avancent des propositions simples, comme la redéfinition des critères de calcul des jauges pour améliorer la sécurité et préserver l’espace de vie des marins, l’instauration de règles d’hygiène et de sécurité pour la pêche artisanale, ou encore la conditionnalité de l’accès aux soutiens publics à l’application des réglementations.
Pour conclure, je voudrais aborder la question du financement de la politique européenne de la pêche.
Cette question est très importante alors que le nombre de pêcheurs a été divisé par deux en France en trente ans et que plus de 40 % de la disparition des emplois concerne la pêche artisanale côtière. Si l’Europe impose des contraintes aux pêcheurs pour remplir l’objectif, par ailleurs louable, de préservation des ressources halieutiques, elle ne peut pas faire porter sa politique par la filière. Il est absolument nécessaire d’apporter un soutien financier à l’installation des jeunes, à la modernisation des navires et aux plans de sortie de flotte.
Les moyens alloués au Fonds européen pour les affaires maritimes devraient ainsi être renforcés et la France devrait en recevoir une part plus importante en raison de son poids réel dans la pêche européenne.
Nous aimerions en outre savoir quelles vont être les conséquences sur cet instrument financier des décisions prises à l’aune de l’austérité dans le cadre financier de l’Union européenne.
Nous aimerions également avoir des indications sur la part du Fonds européen pour les affaires maritimes qui sera attribuée à la France.
En effet, si les discussions sur le sujet interviennent en juillet prochain, il nous semble difficile, aujourd’hui, d’acter une réforme de la politique européenne de la pêche dès 2014, alors même que le financement ne sera pas déterminé ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez à un élu des terres d’intervenir dans ce débat qui intéresse au premier chef les élus du littoral. Mais, comme dirait la chanson, « tous les ruisseaux vont à la mer »… Quand on ferme les paupières, ils deviennent rivières et quand on s’endort en y pensant, on entend gronder l’océan ! (Bravo ! et applaudissements.)
Revenons aux réalités : ce débat a pour objet de faire le point sur les orientations de la future politique commune de la pêche et des négociations en cours.
Considéré à l’échelle nationale, le poids économique de la pêche est peut-être relativement modeste. Cependant, quand on réfléchit à l’avenir du secteur, il faut penser non pas seulement à la production et aux hommes qui partent pêcher en mer, mais aussi à toute l’économie liée à leur activité. Pour le littoral, il est déterminant en termes d’emplois directs et indirects, notamment dans la transformation du poisson. La pêche a également des retombées pour l’économie touristique ; elle amène la vie dans nos ports, de Saint-Jean-de-Luz au Croisic et de Boulogne-sur-Mer à Sète. Elle fait donc partie de nos traditions.
Nous devons la défendre contre ceux, à commencer par la Commission européenne, dont la vision semble suggérer qu’il existe une équivalence « pêcheurs-pilleurs ».
En France, la pêche côtière et artisanale représente 80 % de la flottille. Il y a là des marins-pêcheurs qui connaissent leur environnement et ont intérêt, parce qu’ils sont ancrés dans leur territoire, à préserver la ressource pour demain. Ils possèdent un savoir-faire et sont porteurs de solutions pour une pêche durable.
Il faut cependant instaurer un climat de confiance, disposer de constats scientifiques réellement partagés et mettre fin à une approche annuelle qui prive de toute visibilité.
S’agissant de la confiance – et je m’adresse ici à nos collègues du groupe écologiste –, était-il utile de multiplier les communiqués triomphants à la suite de la décision du Parlement européen d’entériner la réforme proposée par la Commission, ou encore d’accuser les eurodéputés socialistes et UMP français qui ne l’ont pas votée et le Gouvernement de mener un combat d’arrière-garde ?
Il n’y a pas d’un côté les amis des poissons et de l’autre les amis des pêcheurs ! On peut défendre une vision de la pêche qui prenne en compte à la fois l’aspect environnemental, certes fondamental, et les facteurs économiques et sociaux, tout aussi essentiels.
J’en viens au projet de réforme de la politique commune de la pêche, PCP. Un accord quasi général s’est fait en faveur de l’abandon de la généralisation des concessions de pêche transférables. Nous ne pouvons que soutenir cette position, car la généralisation des CPT favoriserait une gestion spéculative de la ressource halieutique et la concentration des entreprises, au détriment des professionnels qui pratiquent la pêche artisanale.
S’agissant de la mise en œuvre du rendement maximal durable, la position du Parlement européen paraît irréaliste et méconnaît la diversité des situations.
En Méditerranée, la collecte de données fiables, nécessaire pour la bonne mise en œuvre du RMD, semble déjà compromise : non seulement les zones de pêche internationales se superposent, mais, de surcroît, les pêcheries mixtes y constituent la règle. Les stocks ne sont bien connus que pour trois espèces – le thon rouge, le merlu et le rouget-barbet – sur plus de soixante-cinq espèces exploitées.
Monsieur le ministre, il faut des mesures d’accompagnement et des délais raisonnables.
Que dire de l’interdiction des rejets en mer et du calendrier restreint – 2014 à 2017 – de son application progressive ? Le Gouvernement s’est résolu à en accepter le principe, mais il eût été plus approprié de faire porter l’effort sur la sélectivité, quitte à prononcer une interdiction stricte si aucun progrès n’était réalisé ; les pêcheurs le comprennent bien d’ailleurs.
En outre, la profusion de petits ports dans le bassin méditerranéen rend nécessaire l’aménagement de structures de collecte. Or il semble qu’aucune aide n’ait été prévue pour leur construction.
Pis, l’objectif « zéro rejet » va pouvoir alimenter une filière de farines animales que la France rejette.
M. Bruno Retailleau. Tout à fait !
M. Jean-Claude Requier. Nous attendons donc une position ferme et des mesures d’application réalistes.
Pour terminer sur une note positive, nous sommes satisfaits du récent arbitrage du Premier ministre sur la gestion du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, FEAMP, qui va, comme nous le souhaitions, dans le sens d’une régionalisation et d’une véritable participation des régions.
Ce fonds doit accompagner les changements structurels nécessaires au développement d’une pêche plus durable ; je pense notamment à l’installation des jeunes et au renouvellement de la flotte vétuste, à bord de laquelle les conditions de vie sont indignes, ce qui contribue à expliquer le manque de vocations, par des navires pêchant moins mais mieux et de façon plus rentable.
« Homme libre, toujours tu chériras la mer ! », écrivait Baudelaire. Les marins-pêcheurs chérissent toujours la mer mais ils sont de moins en moins libres. Mettre fin à la surpêche tout en donnant un avenir aux pêcheurs, voilà un véritable défi.
Monsieur le ministre, je ne doute pas que le Gouvernement saura faire preuve de sens du dialogue et de pragmatisme pour relever ce défi. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.