M. Gérard Longuet. Évidemment !
Mme Marisol Touraine, ministre. Souvenons-nous de l’époque où, au nom de prescriptions morales voire naturelles, on considérait qu’il était normal qu’une femme souffre. La technicisation et la médicalisation excessive des accouchements ne doivent pas nous faire oublier les progrès réalisés.
Au fond, comme dans beaucoup de domaines, la question est celle de la liberté de choix. Il est important que nous soyons en mesure de respecter la décision des femmes. Or, je le sais, certaines d’entre elles désirent accoucher dans un environnement moins technique. C’est ce choix qu’il nous faut conforter. Pour autant, cette liberté doit être complète et ne doit pas être entravée par des considérations financières. Il ne faudrait pas que se mettent en place des filières de facto réservées à des catégories sociales favorisées, en raison de coûts plus élevés.
Au vu de la situation et des risques encourus, une surmédicalisation des accouchements n’apparaît pas nécessaire. Concrètement, comment faire pour permettre aux femmes qui le souhaitent d’accoucher dans un environnement moins médicalisé ? Il faut tout simplement que toutes les maternités soient en mesure de proposer un tel service.
Pour y parvenir, nous devons mobiliser tous les leviers à notre disposition. Je pense au rôle joué par les sages-femmes. J’attends également beaucoup des agences régionales de santé pour fixer les priorités données aux établissements : elles doivent les inciter à développer des filières d’accouchement physiologique au sein des maternités.
Je rappelle que le développement des filières d’accouchement physiologique ne relève pas de la loi, puisqu’il est d’ores et déjà possible, mais dépend tout simplement de la mise en œuvre de nouveaux services, éventuellement avec des compléments réglementaires. Je saisirai donc les agences régionales de santé pour qu’elles agissent en ce sens.
Je me suis rendue il y a quelques jours à Quimper où j’ai visité une maternité récente, regroupant deux maternités plus anciennes. Une salle d’accouchement physiologique était en construction au sein du service de maternité « classique » de l’hôpital. C’est une voie que nous devons valoriser.
Comme vous l’avez souligné, madame le rapporteur, une femme enceinte n’est pas une femme malade. Un certain nombre de femmes recherchent une naissance en maternité débarrassée de tout geste médical superflu : perfusions, anesthésies, gestes de contrôle intrusifs, positions imposées...
Ces femmes souhaitent aussi un environnement plus chaleureux qu’une salle d’accouchement traditionnelle, avec un matériel médical moins présent et une luminosité moins agressive.
Rappelons que, dans de nombreux cas, les accouchements ne nécessitent pas d’accompagnement médical particulier, et c’est heureux.
Des accouchements physiologiques se pratiquent déjà chaque jour dans certaines maternités. Il n’y a donc pas d’obstacle juridique à accoucher de cette manière aujourd’hui dans notre pays. Dans ce cas, pourquoi vouloir franchir une étape supplémentaire ? Je le répète, nous disposons en effet déjà des éléments nous permettant de développer des structures dans lesquelles des accouchements physiologiques pourraient être réalisés.
En fait, en proposant d’autoriser l’expérimentation des maisons de naissance, vous apportez une réponse complémentaire à la politique existante. C’est pourquoi je n’y suis pas opposée.
Les maisons de naissance répondent sûrement à une attente pour certaines femmes. Loin de moi l’idée de remettre en cause un choix aussi personnel. Néanmoins, j’y insiste, ce n’est pas nécessairement en créant de nouvelles structures à proximité des maternités, y compris de manière attenante, que nous pourrons garantir à chaque femme qui le désire un accouchement physiologique. Le risque, je le répète, serait que ces maisons de naissance se trouvent réservées à un trop petit nombre de femmes.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Eh oui !
Mme Marisol Touraine, ministre. Cependant, en matière de santé comme dans bien d’autres domaines, je crois aux vertus de l’expérimentation. À ce titre, je ne m’opposerai pas au fait d’expérimenter ces nouvelles structures. Les gynécologues-obstétriciens eux-mêmes sont maintenant favorables à de telles expérimentations dès lors que les enjeux de sécurité sont assurés.
Cette proposition de loi contient les dispositions nécessaires pour assurer un niveau de sécurité satisfaisant : seuls les accouchements présentant un faible niveau de risque pourront être réalisés dans les maisons de naissance et celles-ci devront être attenantes à une maternité. Je tiens à préciser que c’est une disposition incontournable afin de garantir la sécurité en cas de complications.
La Haute Autorité de santé rédigera également un cahier des charges sur les conditions de l’expérimentation.
Enfin, je signerai moi-même l’arrêté qui désignera les lieux d’expérimentation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, pour toutes ces raisons, le Gouvernement souhaite donc laisser le débat parlementaire s’exprimer librement : il s’en remettra à votre sagesse sur le texte en général, ce qui ne préjuge pas, bien entendu, de l’avis que je pourrai émettre sur les amendements.
Comme je l’ai expliqué, développer des filières d’accouchement physiologique au sein des maternités n’est pas pour le Gouvernement une priorité. Néanmoins, nous ne souhaitons pas nous opposer à des expérimentations qui semblent répondre aux attentes d’une partie de nos concitoyennes, sous réserve que ces expérimentations ne viennent pas rompre l’équilibre d’ensemble de l’offre de soins. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le serpent de mer de la politique de périnatalité refait donc surface !
Voilà près de quinze ans que nous réfléchissons à l’expérimentation des maisons de naissance. Évoquée dès 1998, proposée dans le plan périnatalité 2005-2007, adoptée lors du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, leur expérimentation n’a jamais été mise en œuvre. Certes, la dernière fois, le Conseil constitutionnel était passé par là, mais la vérité est aussi que cette idée ne faisait pas vraiment consensus.
Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français y était fortement opposé à l’époque ; il aurait changé d’avis. Ici même, je ne me souviens pas d’un enthousiasme débordant. Nous avions d’abord rejeté cette expérimentation à une très large majorité, avant que certains, dont vous étiez, je crois, madame la ministre, ne changent d’avis en commission mixte paritaire au vu des garanties apportées.
Pour ma part, je reste réservé, même si j’admets volontiers que la demande de certaines femmes en vue d’une approche plus physiologique de la naissance est à prendre en considération et que notre modèle de prise en charge de l’accouchement peut paraître trop sophistiqué.
Je vais, bien sûr, m’expliquer, mais permettez-moi auparavant de saluer la ténacité de notre rapporteur, Muguette Dini, qui est à l’initiative de la proposition de loi et qui, déjà en 2010, avait soutenu avec une belle ardeur la proposition de Roselyne Bachelot-Narquin.
Hier comme aujourd’hui, j’ai entendu vos arguments, madame le rapporteur. Je peux tout à fait comprendre la frustration de certaines parturientes ou de certains couples face à une hyper-technicité de l’accouchement, acte de vie se déroulant sans complication, il est vrai, dans la très grande majorité des cas.
Faut-il néanmoins rappeler que, si la mortalité infantile a été divisée par six au cours des quarante dernières années, c’est précisément parce que le suivi de la grossesse, le déroulement de l’accouchement et le suivi post-natal ont été médicalisés ? Qui peut raisonnablement songer à revenir en arrière ?
Certes, j’en conviens, il est probable que cette évolution se soit faite aux dépens d’une écoute suffisante des femmes et que la surmédicalisation comporte aussi un risque iatrogène, comme l’a souligné Mme le rapporteur.
Cependant, n’oublions pas que les grossesses « à bas risque » sont susceptibles de se terminer par un accouchement « à haut risque », avec une hémorragie de la délivrance, une procidence ou une circulaire du cordon. Ce sont autant de complications qui, en l’absence de personnels et d’équipements médicaux adéquats, peuvent se révéler dramatiques, voire létales.
Vous apportez une réponse à ces inquiétudes en exigeant que les maisons de naissance soient attenantes à une « structure de gynécologie-obstétrique » – terminologie d’ailleurs un peu particulière : pourquoi ne pas parler d’une maternité ou d’un service hospitalier ? – et qu’une convention soit passée.
Cependant, des questions demeurent. Je n’en citerai qu’une, mais elle est essentielle. Qui assumera l’investissement lié à la création de ces structures ? L’État, l’assurance maladie ? Des associations, mais de quels statuts ? Des groupes financiers ?
Au vu de l’état des finances publiques, répondre à une demande, certes compréhensible, mais, reconnaissons-le, minoritaire, ne me paraît pas une priorité. On parle de quelques milliers de femmes sur plus de 800 000 qui accouchent chaque année !
Comme Mme la ministre vient de le souligner, je préfère que l’on consacre les moyens disponibles, s’il y en a, à améliorer les effectifs dans les maternités publiques et à créer de nouvelles places dans les services de néonatalité.
Certains me rétorqueront qu’il y a justement un potentiel d’économies dans les maisons de naissance et que la captation d’une partie des grossesses non pathologiques par les gynécologues-obstétriciens a pour effet de priver les unités qui gèrent les grossesses à haut risque des spécialistes nécessaires, mais ce point reste à démontrer.
Cela étant, je voudrais mieux comprendre comment tout cela va fonctionner et s’articuler. Sous quelle responsabilité médicale les maisons de naissance seront-elles placées ?
Nous avons eu l’occasion de nous pencher à de nombreuses reprises sur la responsabilité civile des professionnels de santé.
Si les maisons de naissance sont des structures autonomes, je présume que les sages-femmes devront contracter une assurance, qui risque d’ailleurs de coûter fort cher. Mais en cas de problème après un transfert dans un service d’obstétrique, qui sera responsable ? Le gynécologue-obstétricien ou la sage-femme qui aura, le cas échéant, décidé du transfert de la parturiente trop tardivement ?
Par ailleurs, les maisons de naissance « subtiliseront » un certain nombre d’actes entrant dans le cadre de la T2A des services auxquels elles seront adossées. Comment croire que cela n’aura pas d’incidence sur l’équilibre financier de ces derniers ? Vous le savez bien, les dépenses de structure et d’équipements seront les mêmes.
Les services de gynécologie-obstétrique doivent également organiser une permanence des soins par du personnel médical et paramédical. La proposition de loi prévoit que l’activité de la maison de naissance est comptabilisée avec celle de la maternité. Est-ce pour éviter un effet de seuil qui entraînerait une fermeture éventuelle ou cela aura-t-il une incidence sur la tarification ?
Pour l’instant, aucune réponse n’est apportée à ces questions.
Enfin, prenons garde de ne pas mettre le doigt dans un engrenage en quelque sorte idéologique. Il faut le dire, certaines communautés refusent, on le sait, que les femmes soient examinées par des médecins de sexe masculin.
M. André Gattolin. Ce n’est pas de l’idéologie !
M. Gilbert Barbier. Il faudra donc être vigilants sur les associations qui porteront un tel projet et s’assurer que les femmes sont bien volontaires.
Mme Catherine Procaccia. Tout à fait !
M. Gilbert Barbier. Pour conclure, je dirai que ce débat révèle des positions assez paradoxales ; certains réclament des services de proximité mais, dans le fond, ne sont pas prêts à accepter le risque inhérent au manque de spécialisation ou d’équipements ; d’autres ferment des maternités de proximité sous le prétexte qu’elles sont dangereuses et, dans le même temps, proposent de démédicaliser l’accouchement pour répondre aux femmes qui souhaitent se réapproprier ce moment.
Hier, j’ai soutenu – et je l’assume – la fermeture des petites maternités ; aujourd’hui, je m’abstiendrai sur cette proposition de loi, comme un certain nombre de mes collègues. Si, comme le texte l’indique, les maisons de naissance doivent être installées à l’intérieur des maternités, puisque, selon le dictionnaire, « attenantes » veut dire « contiguës » ou « accolées », pourquoi ne pas encourager plutôt des « espaces physiologiques » ou « salles nature » au sein de celles-ci, avec des sages-femmes dédiées ? (M. René-Paul Savary applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la médicalisation des accouchements s’est renforcée au rythme des avancées de la recherche, et le monitoring, la perfusion, la péridurale ou encore les injections d’ocytocines sont devenues la norme.
Cette médicalisation croissante est l’un des vecteurs de la recherche permanente d’une sécurité périnatale aussi élevée que possible, recherche qui, bien sûr, doit être constante et prioritaire, pour la mère comme pour l’enfant.
Cependant, certains protocoles, y compris dans les maternités de type I s’adressant à des parturientes à bas risque, paraissent trop médicalisés pour les femmes souhaitant accoucher de manière plus « physiologique », plus naturelle.
Ces femmes sont ainsi soucieuses d’éviter le monitoring et la perfusion, qui entravent leur liberté de mouvement, d’éviter la médicamentation, qui entraîne des effets secondaires parfois lourds et, enfin, d’éviter l’environnement hospitalier et l’arsenal technologique, qui peuvent être stressants et, en conséquence, augmenter les douleurs ressenties.
L’objectif n’est pas ici de débattre du niveau de médicalisation optimal d’un accouchement. L’idée est plutôt d’entendre la forte demande qu’expriment les femmes en faveur de la liberté de choix, sans juger leur décision : liberté de choix de recourir à la médicalisation pour celles que cela rassure ; liberté de choix de ne pas accoucher dans un milieu hyper-médicalisé pour celles que cela dérange.
Leur décision doit par ailleurs pouvoir être prise de la manière la plus éclairée sur les avantages et les inconvénients de chaque option, et en fonction du degré de risque de leur grossesse.
Dans tous les cas, leur choix doit être très encadré sur le plan de la sécurité. Cette nécessité a été longuement, et à juste titre, soulignée lors des réunions de la commission des affaires sociales.
Ainsi pourrait être posée une exigence non négociable : la durée du passage de la maison de naissance à une structure hospitalière devrait, par exemple, être équivalente au temps de déplacement habituel d’une chambre d’hospitalisation à la salle de naissance dans une même maternité.
Mes chers collègues, nous pourrions débattre à l’infini des modalités, de financement notamment, de cette expérimentation, qui effectivement mériteraient d’être affinées, même si Mme Dini a déjà mené un large travail de concertation, ce dont il faut la remercier.
La question de l’égalité géographique et sociale d’accès à ce type de dispositif reste en effet parfois posée. Aussi, je plaide et plaiderai pour que, lors de l’expérimentation, les dépassements d’honoraires soient, dans la mesure du possible, évités.
Lorsque les sages-femmes seront salariées par l’hôpital, comme c’est le cas actuellement à Pontoise, le problème ne se posera pas. Lorsque les sages-femmes exerceront en libéral, la tarification actuellement en vigueur n’étant pas adaptée, nous savons qu’elle engendrera automatiquement dépassements d’honoraires, restes à charge importants et donc inégalité d’accès au dispositif en fonction des revenus.
Cependant, il me semble que l’assurance maladie devrait pouvoir reconfigurer sa tarification dans le cas précis des accouchements en maison de naissance sans pour autant creuser son déficit, car, on le sait mais ce n’est pas suffisamment souligné, un accouchement en maison de naissance, en évitant la médicalisation, entraîne une économie assez substantielle pour la sécurité sociale. On estime, par exemple, que l’accouchement coûte 750 euros en moyenne en maison de naissance, contre 2 900 euros en unité obstétrique.
En définitive, nous sommes favorables à cette expérimentation parce que nous en partageons l’esprit général et parce que nous sommes convaincus que c’est en encourageant des espaces alternatifs, expérimentaux mais très encadrés sur le plan de la sécurité, que l’on pourra avancer dans plusieurs domaines.
J’ajoute que l’expérimentation permettra, pendant cinq ans, de tester le dispositif des maisons de naissance, d’évaluer précisément les coûts et les économies induits, de mesurer les bienfaits et peut-être aussi les imperfections du dispositif, et donc de travailler à la résolution des éventuels problèmes avant d’envisager toute généralisation. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « vivre la naissance d’un enfant est notre chance la plus accessible de saisir le sens du mot miracle », selon l’écrivain Paul Carvel.
Ce « miracle », de très nombreuses femmes le connaissent chaque année dans notre pays. La France possède en effet, après l’Irlande, le taux de natalité le plus élevé d’Europe : 2,01 enfants par femme en moyenne contre 1,06 pour la moyenne européenne.
Pour autant, nous ne pouvons pleinement nous réjouir de cette forte natalité puisque la mortalité infantile – comme la mortalité maternelle – est malheureusement une réalité sur notre territoire. Certes, la mortalité infantile stagne depuis 2005 avec un taux de mortalité d’environ 3,8 pour mille. Mais cette stagnation ne saurait cacher une forte régression puisque la France est passée du septième rang européen en 1999 au vingtième, sur trente pays, en 2009.
Il existe par ailleurs de fortes disparités démographiques à l’intérieur même de notre pays. Le rapport de la Cour des comptes de février 2012 indique qu’en lissant les données sur cinq ans les écarts métropolitains vont de 1 à 3 : 5,5 en Ariège contre 1,9 dans les Hautes-Alpes pour un nombre équivalent de naissances. Cependant, ces écarts restent inexpliqués, « ne faisant pas d’avantage l’objet d’analyses approfondies alors même que de mauvais résultats peuvent résulter de causes différentes ». Il conviendrait donc d’analyser les causes de la mortalité infantile conformément aux recommandations des magistrats de la rue Cambon.
S’agissant de la mortalité maternelle, le même rapport est assez consternant : sur la période 2000-2006, 46 % des décès maternels ont été considérés comme « évitables ».
Toujours selon ce rapport, la problématique de la sécurité pendant l’accouchement n’est ni réglée partout, ni abordée de façon identique.
Pour autant, l’expérimentation des maisons de naissance ne doit pas être écartée.
Le précédent gouvernement avait souhaité expérimenter les maisons de naissance afin de répondre au désir de certaines femmes d’avoir un accouchement moins médicalisé, comme cela se pratique dans différents pays. Après tout, la grossesse est un état physiologique, et non pas pathologique, mais il peut le devenir.
Le Sénat avait rejeté cette proposition dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, un certain nombre de sénateurs s’y étant opposés en raison de l’absence de garanties de nature à préserver le haut niveau de sécurité des soins prodigués aux parturientes.
La proposition de loi de notre collègue Muguette Dini reprend l’essentiel du texte débattu à l’époque.
Il s’agit toujours d’une expérimentation. Les maisons de naissance fonctionneront pour une durée de cinq ans au maximum. À l’issue de la période d’expérimentation, il sera possible, si les résultats ne sont pas concluants, de mettre fin à leur existence. Moins de dix structures seront ouvertes sur l’ensemble de notre territoire.
Le point le plus important est que ces maisons seront attenantes à une structure comportant un service de gynécologie-obstétrique et seront obligatoirement liées à ces structures par une convention.
L’exigence de sécurité est donc remplie, ce qui évitera que ne se reproduisent certaines situations que l’on constate à l’étranger. Aux Pays-Bas, par exemple, la maison de naissance peut se trouver jusqu’à vingt minutes d’une maternité.
Dans d’autres pays, la maison de naissance doit obligatoirement se trouver dans l’enceinte de l’hôpital.
Cette condition géographique est fondamentale en termes de sécurité sanitaire et de liberté de choix de la femme : elle peut aller à la maternité attenante ou à la maison de naissance, et une équipe médicale peut intervenir rapidement en cas de problème durant l’accouchement.
Je souhaite par ailleurs à ce sujet insister sur deux points qui ont déjà été évoqués, notamment en commission.
À l’échelle départementale, si une maternité ferme ses portes, il sera effectivement difficile d’envisager parallèlement l’ouverture d’une maison de naissance, en tout cas, de l’expliquer à la population !
Par ailleurs, on peut s’interroger sur la manière dont la responsabilité des professionnels de santé se déclinera. Mais, là aussi, la solution de la convention paraît adaptée.
Expérimentation et proximité sont donc prévues par le texte, qui impose en outre le strict respect d’un cahier des charges, défini par la Haute Autorité de santé, puisqu’il y aura l’établissement d’une liste.
L’inscription sur la liste ne signifiera pas pour autant que la maison de naissance pourra fonctionner durant cinq années, puisque le directeur de l’agence régionale de santé sera habilité à suspendre l’expérimentation « en cas de manquement grave et immédiat à la sécurité ou lorsqu’il n’a pas été remédié aux manquements ayant motivé la suspension ».
Madame la ministre, vous aviez dit, en 2010, alors que vous étiez député, que votre groupe pourrait accepter les maisons de naissance à deux conditions.
D’une part, leur activité doit être comptabilisée au titre de celles de la maternité, ce que prévoit le présent texte, afin que les maternités de proximité ne ferment pas.
D’autre part, leur adossement aux maternités est impératif pour éviter de faire une distinction a priori entre les grossesses à risque et les autres, une équipe médicale pouvant intervenir en urgence si besoin est.
À cet égard, la proposition de loi précise que les sages-femmes réalisent l’accouchement des femmes enceintes dont elles ont assuré le suivi de grossesse, disposition particulièrement intéressante.
Madame la ministre, vos suggestions de l’époque ont donc bien été prises en compte.
Notons qu’en France neuf enfants sur dix viennent au monde sous assistance médicale et que 30 % d’entre eux naissent par césarienne. De plus en plus de nouveau-nés ont besoin de soins médicaux à la naissance. Aussi, moins de 10 % des naissances seraient concernées par l’expérimentation.
En Allemagne, les sages-femmes des maisons de naissance pratiquent en plus des accouchements à domicile, et assurent la prévention et les examens de suivi. Elles n’utilisent des appareillages médicaux qu’en cas de véritable nécessité. Pour l’accouchement, elles s’attachent à rendre l’atmosphère détendue et sereine. Auparavant, elles auront appris aux femmes enceintes à développer leur perception d’elles-mêmes et à ressentir ce qui se passe dans leur ventre.
L’obstétrique française mise quant à elle avant tout sur la technicité et la sécurité. Aujourd’hui, les femmes n’ont pas vraiment de choix : elles accouchent dans un département d’obstétrique.
Dans un reportage diffusé sur Arte le 19 février 2013 et intitulé Grossesse high-tech ou accouchement naturel, quel choix ?, le professeur Cabrol disait qu’il était capital d’être attentif à la prise en charge humaine et psychologique des parturientes si l’on ne voulait pas médicaliser outre mesure la surveillance de la grossesse et l’accouchement, mais qu’il fallait dans le même temps être capable d’assurer la sécurité.
Il faut donc faire attention à ne pas trop privilégier l’environnement au détriment de la sécurité, mais, du fait de la condition de proximité entre la maison de naissance et la maternité qu’elle impose, la proposition de loi ne me semble pas aller dans ce sens.
Le cas évoqué dans le reportage d’une femme qui avait commencé son travail dans l’eau et qui avait dû finalement, à la suite d’un problème, être accouchée par césarienne démontre d’ailleurs qu’il s’agit d’une nécessité : le transfert avait ainsi pu être effectué en quelques secondes, et tout s’était bien passé.
Pour accoucher dans une maison de naissance, la mère doit avoir eu une grossesse sans risque et donc ne pas être une primipare ; le bébé doit également être bien portant. L’objectif est donc de détecter les risques de plus en plus tôt ; sur ce point, la recherche avance.
Accoucher n’est pas une mince affaire. De moins en moins de femmes osent affronter cette performance physique sans assistance médicale. Aujourd’hui, 20 % des accouchements sont déclenchés artificiellement, ce qui est stressant pour l’enfant et souvent plus douloureux pour la femme. De plus en plus de femmes demandent une péridurale en cours de travail.
Le processus naturel ou physiologique de l’accouchement ne semble plus avoir sa place dans notre monde moderne, car de nombreuses femmes ne voient plus l’intérêt de s’imposer ces souffrances. On peut légitimement les comprendre !
Selon le professeur Cabrol, il y a, « phénomène relativement nouveau », « une demande des femmes qui redoutent l’accouchement par les voies naturelles, et c’est parfois très difficile de les convaincre que l’accouchement par les voies naturelles, a priori, est beaucoup mieux pour elles, en termes de mortalité ou de morbidité, que la césarienne ».
Lors d’un accouchement naturel et serein, le corps libère de grandes quantités d’ocytocine. Cette hormone favoriserait l’attachement de la mère au bébé ; elle serait une barrière contre la dépression post-partum et un atout pour faire ses premiers pas dans la vie dans de bonnes conditions. Lors d’une césarienne, ce processus ne serait pas aussi systématique.
Quant au docteur Michel Odent, il précise qu’il n’est pas utopique qu’au XXIe siècle on puisse redécouvrir les besoins de base de la femme qui accouche, et donc réduire le besoin d’assistance médicale. L’expérimentation qui nous est proposée est donc tout à fait dans l’air du temps.
La proposition de loi qui nous est soumise a le mérite de nous rappeler que l’accouchement est avant tout un acte naturel, nécessitant un accueil professionnalisé pour être réalisé dans des conditions sereines, mais qu’il doit être rapidement médicalisé s’il devient pathologique.
C'est pourquoi mon groupe la soutiendra. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Génisson.
Mme Catherine Génisson. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour débattre de l’expérimentation des maisons de naissance, à l’initiative de Mme Dini, dont je veux saluer la force de conviction. Je tiens également à souligner la qualité de son rapport, qui est très documenté.
Il semble légitime que les femmes qui le souhaitent puissent bénéficier d’un suivi de grossesse et de conditions d’accouchement raisonnablement médicalisés lorsque la grossesse se déroule normalement et que l’accouchement est physiologique, c'est-à-dire sans complication.
Je ne rappellerai ni le contexte national et international dans lequel se situent ces propositions, ni les péripéties qui ont précédé leur présentation aujourd'hui, Mme la ministre comme Mme le rapporteur l’ayant fait.
Je veux néanmoins souligner que ces propositions interviennent alors que le réseau des maternités s’est profondément transformé, en particulier depuis 1998 et leur classement en trois catégories, et qu’il a connu une profonde restructuration. Durant les quarante dernières années, 61 % des maternités ont été supprimées ; quant à celles qui ont été restructurées, elles ont globalement vu leur volume d’accueil augmenter.
Rien n’est plus naturel que de bénéficier d’un suivi personnalisé pendant la grossesse et de vivre son accouchement, quand celui-ci est physiologique, dans un environnement chaleureux. La grossesse et l’accouchement ne sont pas des maladies !
L’organisation de la maison de naissance doit relever de la responsabilité des sages-femmes et des maïeuticiens, qui ont compétence pour pratiquer des actes médicaux. À cet égard, je souligne que le Collège des gynécologues et obstétriciens français soutient ce projet.
Je me permettrai néanmoins quelques commentaires, assortis d’un rappel des obligations devant être respectées dans le cadre de l’expérimentation.
Il est légitime de ne pas surmédicaliser la prise en charge d’une grossesse et d’un accouchement, mais il faut reconnaître que les progrès médicaux ont été déterminants pour le suivi des grossesses pathologiques et pour faire baisser de façon très significative les taux de mortalité, même si l’on ne peut se satisfaire des taux actuels, en particulier dans les départements d’outre-mer et notamment en Guyane.
Sans oublier l’importance de la qualité de la relation humaine, nous devons nous poser la question du bon niveau, de la juste place que doivent avoir la technique et la médicalisation. Cette observation vaut d’ailleurs non seulement pour le suivi de la maternité, mais pour toute prise en charge médicale. Si nous devons rester conscients des risques d’une possible surmédicalisation, nous devons aussi être fiers de nos progrès médicaux !
Je souhaite redire ensuite à quel point il sera important, quel que soit le périmètre de l’expérimentation, de ne pas faire de discrimination en matière d’accueil des femmes dans les maisons de naissance, point sur lequel vous avez d’ailleurs insisté, madame la ministre. L’égalité d’accueil dans le secteur public comme dans le secteur privé doit être totalement respectée.
Je veux aussi souligner que le débat que nous engageons intervient dans un contexte où nos concitoyens s’inquiètent de la réduction de l’offre de proximité en matière de maternité. Loin de moi toute idée de ne pas défendre l’exigence de sécurité – je serais mal placée pour le faire ! – mais il faut clairement expliquer à nos concitoyens que l’expérimentation des maisons de naissance et la fermeture des maternités sont des sujets qui ne se recouvrent pas, et je vous remercie, madame la ministre, de l’avoir fait.
Madame le rapporteur, vous avez également insisté sur le fait que les maisons de naissance seraient attenantes à des maternités, pour garantir la sécurité, et qu’elles ne pourront donc en aucun cas se substituer à des maternités qui ferment.
Pour autant, l’aménagement de notre territoire en matière d’offre de soins est un sujet prégnant. Il est important d’affirmer avec force, comme vous l’avez fait, madame la ministre, que les fermetures de maternité ne répondent qu’à une exigence de sécurité.
Ces lieux de soins ne doivent être fermés qu’avec parcimonie. Dès lors qu’il n’y a plus d’accouchements, ils doivent pouvoir être maintenus pour le suivi des femmes tant en prénatal qu’en post-natal, suivi qui doit pouvoir être assuré par des professionnels de santé issus de maternités en activité.
Le sujet est très sensible. Dans ces conditions, il serait plus que maladroit de permettre l’implantation de maisons de naissance dans des territoires où l’on ferme des maternités.
Enfin, dans le registre des commentaires, il me semble important que soient précisées les conditions d’examen du nouveau-né au moment de sa sortie de la maison de naissance.
J’en viens maintenant aux obligations qui devront être respectées dans le cadre de l’expérimentation des maisons de naissance.
Vous l’avez rappelé, madame le rapporteur, les autorisations d’expérimentation relèveront de la décision du Gouvernement après avis de la Haute Autorité de santé, qui déterminera le cahier des charges. En outre, les autorisations d’expérimentation pourront être immédiatement interrompues si nécessaire.
Cette exigence qualitative est fondamentale, de même que le respect de la sécurité des femmes lors de leur prise en charge est incontournable. Le sujet a largement alimenté nos débats en commission, et la proposition à laquelle nous sommes parvenus me semble satisfaisante.
Deuxième obligation à laquelle nous devons souscrire, l’expérimentation ne doit ni peser sur le fonctionnement de nos hôpitaux, ni obérer leur budget, en particulier dans le contexte très contraint que nous connaissons tous.
Sur ce sujet, l’expérimentation peut être instructive. Elle doit d’abord acter la sanctuarisation de la prise en charge à 100 % de la grossesse, de l’accouchement et des soins de suite de couches, ce que souligne le rapport.
Puis elle doit permettre de définir les procédures qui ne pénaliseront pas financièrement nos hôpitaux. À ce titre, notre groupe souhaite que les MIGAC, les missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation, qui peuvent être sollicitées pour la réalisation de ces projets, restent dans le service public.
L’expérimentation doit enfin nous conduire à travailler sur les modalités de financement permettant la reconnaissance de l’intervention libérale des sages-femmes et des maïeuticiens qui animeront les maisons de naissance lorsqu’ils en revendiqueront l’autonomie de fonctionnement.
Au risque de me répéter, je dirai donc que cette proposition de loi est intéressante : la question de l’aménagement égalitaire du territoire en matière d’offre de maternités est traitée, le service public est respecté et la sécurité de la prise en charge est au cœur des préoccupations.
En conséquence, mon groupe accepte que les maisons de naissance expérimentales voient le jour, étant précisé que, comme vous l’avez vous-même indiqué, madame la ministre, des salles de naissance physiologiques peuvent également être mises en place au sein même des services de maternité. Mais attendons maintenant les résultats de l’expérimentation ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.)