Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, d’emblée, je dois saluer Jacky Le Menn : il a le mérite d’avoir déposé cette proposition de loi qui vise à mettre un terme à une situation confuse et à un fiasco législatif suscitant l’amertume de toute la profession.
En proposant la ratification de l’ordonnance du 13 janvier 2010, il a aussi apporté des modifications substantielles, qui, je l’espère, subsisteront, pour « remédicaliser » une frange importante du parcours de soins laissée à la merci de puissants groupes financiers ayant trouvé là matière à profit.
Cependant, je regrette une certaine retenue sur des points essentiels, retenue qui risque d’empêcher le texte d’atteindre complètement son objectif, lequel est, à mon sens, de rendre à la profession de biologiste médical la maîtrise de sa pratique dans l’intérêt du patient, et de lui seul.
Depuis le rapport Ballereau de 2008, qui préconisait une réforme de la biologie médicale, cette question est revenue pas moins de cinq fois dans les débats législatifs. Elle a en effet été abordée lors de l’examen de la loi HPST ; de la loi relative à la bioéthique, à l’occasion de laquelle certains ont tenté d’abroger l’ordonnance prise par le gouvernement d’alors ; de la loi relative aux activités immobilières des établissements d’enseignement supérieur, lorsqu’il a été question de permettre aux personnels enseignants et hospitaliers des CHU non titulaires de la formation qualifiante d’exercer dans ces centres comme biologistes médicaux et d’assumer la responsabilité des pôles de laboratoires ; de la loi Fourcade, partiellement annulée par le Conseil constitutionnel ; enfin, de la loi Boyer, adoptée à l’Assemblée nationale en janvier 2012.
Il n’est pas superflu de mettre un terme à ces tribulations, car il y a urgence ! Trente-huit ans après la réforme de la loi du 11 juillet 1975 et près de vingt ans après l’instauration des sociétés d’exercice libéral, la biologie médicale a, en effet, considérablement évolué, en ce qui concerne tant son rôle dans le parcours de soins que sa pratique, transformée par l’automatisation et l’informatisation.
Malheureusement, ces changements ayant nécessité de gros investissements de la part des laboratoires, elle a aussi vu l’arrivée de groupes financiers, plus intéressés par la rentabilité d’une nomenclature des actes peu évolutive.
L’enjeu de ce texte devrait être la réaffirmation de l’indépendance des professionnels par rapport aux pratiques, la préservation d’un maillage territorial qui s’est considérablement restreint depuis quelques années, du fait de regroupements sous la mainmise de groupes financiers opérant à coup d’offres de rachat à des biologistes en fin de carrière désirant, très légitimement, rentabiliser leurs investissements.
Sur ce point, je dois dire que les craintes que l’on peut avoir pour l’avenir ne concernent pas les seuls laboratoires de biologie, mais l’ensemble du secteur de la santé. Il n’est qu’à voir ce qui se passe pour les cliniques, les maisons de retraite, les maisons de santé, les cabinets dentaires, les officines, détenus par des puissances financières, qu’elles soient privées, spéculatives ou non, ou mutualistes.
Pour les uns et les autres, les soucis de rentabilité ou, simplement, d’équilibre budgétaire conduisent à des mesures qui ne prennent pas toujours en considération l’intérêt du patient. Dans le domaine de la biologie médicale, cela se traduit par des fermetures le week-end, des résultats d’examens différés, le regroupement des prélèvements, etc.
Les professionnels de santé ayant fait le choix consenti de l’exercice libéral – avec ses obligations, ses contraintes, ses emplois du temps surchargés, mais aussi ses satisfactions résultant du contrat singulier entre le malade et le soignant, qui fait la grandeur et la qualité de la médecine française – se voient dépouillés de ce que certains ont appelé leur toute-puissance et se trouvent aujourd’hui soumis à des contraintes qui ne riment pas forcément avec qualité et écoute du malade. C’est en particulier le cas pour les jeunes biologistes sous contrat précaire et licenciables à merci.
Je crains que notre texte ne puisse empêcher cette évolution, qui, si l’on n’y prend garde, conduira à la disparition des laboratoires indépendants et de proximité – là où ils existent encore… –, au profit d’une concentration de l’activité sur des plateaux techniques éloignés des territoires ruraux.
La proposition de loi vise à remédier au problème des biologistes médicaux en situation ultra-minoritaire dans les sociétés d’exercice libéral, mais je doute, au vu du dernier amendement déposé par Mme la ministre, voilà quelques heures, qu’elle y parvienne…
Il s’agirait pourtant d’une importante avancée, même si le texte présentait quelques failles, notamment pour assurer la transmission intergénérationnelle, très aléatoire en l’état.
S’agissant de l’accréditation, à laquelle je suis bien évidemment favorable, il faut, à mon sens, éviter une marche forcée, coûteuse, qui risque de placer les laboratoires indépendants dans l’obligation de renoncer. Nombreux sont les cas qui nous sont signalés de biologistes qui, à l’évidence, vont baisser les bras !
De même, vouloir à tout prix une accréditation à 100 % est bien irréaliste face à l’évolution perpétuelle des techniques. Comment cet organisme qu’est le COFRAC, le Comité français d’accréditation, pourra-t-il, à une date donnée, délivrer une telle accréditation à l’ensemble des laboratoires français ?
Cette proposition de loi a pourtant le mérite, même si elle est encore perfectible, d’avoir pour objet de redonner à la profession de biologiste médical ses prérogatives et la maîtrise de ses actes, de donner aussi un peu d’espoir aux jeunes générations, ce qui pourrait nous éviter de connaître les déboires liés au manque cruel de professionnels que nous connaissons dans d’autres secteurs de la santé. Le domaine de la santé doit absolument rester une prérogative nationale par le jeu de la subsidiarité.
Le groupe RDSE souhaite donc que la discussion qui va s’engager aboutisse à des améliorations. Sous cette réserve, il soutiendra la proposition de loi. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste, de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte sur la biologie médicale est, M. Barbier vient de le rappeler, le cinquième sur ce thème à avoir été inscrit à l’ordre du jour du Sénat en quatre ans.
Le moins que l’on puisse dire est que le sujet suscite un débat assez animé et que la réforme de la biologie médicale suit un parcours législatif plutôt tortueux, avec de multiples rebondissements.
C’est notamment pour cette raison que je souhaite tout d’abord remercier Jacky le Menn, qui n’a pas ménagé sa peine pour susciter la concertation sur cette question quelque peu épineuse.
Son travail, déterminé et minutieux, a permis l’émergence d’un juste compromis entre qualité, accessibilité, proximité et indépendance de la biologie médicale française, en lien avec les deux problématiques fondamentales que sont l’accréditation et la lutte contre la financiarisation.
Sur l’accréditation, la proposition qui nous est faite nous paraît équilibrée. Un quasi-consensus semble d’ailleurs avoir émergé.
Il faut bien l’avouer, l’accréditation est difficile à critiquer sur le fond. Elle permet en effet, si toutefois les conditions de travail sont convenables, d’assurer la permanence des procédures, d’améliorer l’information et la communication interne, donc, globalement, la qualité, la traçabilité et la transparence, évolutions que nous, écologistes, réclamons dans d’autres contextes.
Nous ne sommes pas pour autant naïfs : il ne fait aucun doute que les gros laboratoires ont valorisé au maximum l’accréditation aux yeux des pouvoirs publics, non pas seulement pour des raisons vertueuses, mais parce qu’ils savaient pouvoir l’assumer plus facilement que d’autres.
Quoi qu’il en soit, il est vrai que l’accréditation des laboratoires a, dans un premier temps, soulevé le mécontentement et l’inquiétude de certains biologistes, car elle est onéreuse, chronophage et qu’elle les éloigne de leur cœur de métier quand ils ne sont pas en situation de déléguer cette tâche à un nouveau salarié, mais force est de constater que le processus est aujourd’hui enclenché. Elle a, en effet, déjà été obtenue ou est en cours d’obtention par un grand nombre d’établissements.
Je rejoins le constat fait par M. le rapporteur : le problème est, non pas l’accréditation en elle-même, mais le rythme et les modalités de sa mise en œuvre.
Concernant le rythme de l’accréditation, d’une part, je soutiens la proposition faite à l’article 7 de la proposition de loi de mettre en place des paliers, en l’occurrence un minimum de 50 % exigé en 2016, puis de 80 % en 2018.
S’agissant des modalités de l’accréditation, d’autre part, je partage les doutes et inquiétudes dont ont fait part plusieurs de mes collègues, lors de l’examen du texte en commission, à l’égard du COFRAC, organisme chargé d’une mission de service public et disposant d’un monopole national pour son action.
Cet organisme pose en effet un problème, tant en raison de son manque d’indépendance, car les experts biologiques censés délivrer l’accréditation sont souvent issus des grands laboratoires, qu’en raison des tarifs élevés qu’il applique. Sur cette question, je soutiendrai les amendements déposés par plusieurs de nos collègues.
La financiarisation est le second enjeu important de la réforme de la biologie médicale que nous engageons aujourd’hui au Sénat avec l’examen de cette proposition de loi.
L’objectif est clairement établi par l’auteur dès les premières pages de son rapport : « limiter la possibilité pour des investisseurs légitimement motivés au premier titre par le taux de retour sur leur capital de contrôler cette activité ».
Le fait que des fonds de pension ou d’autres investisseurs spéculent ainsi sur des établissements à vocation sanitaire est en effet choquant – dans le domaine de la biologie médicale comme dans d’autres spécialités, soit dit en passant.
L’exposé des motifs de l’article 8, qui précise qu’il « vise à freiner la financiarisation du secteur, en rétablissant le principe d’une détention majoritaire du capital des sociétés d’exercice libéral par les biologistes exerçants au sein de cette société », marque donc, selon nous, une avancée substantielle.
Cependant, nous estimons qu’en l’état le dispositif prévu pourrait malheureusement ne pas suffire et être assez facilement contourné par certaines structures, notamment au moyen de clauses extrastatutaires, lesquelles ne sont actuellement visées par aucun texte.
Nous ne sommes pas les seuls à éprouver cette inquiétude : plusieurs organisations représentatives du secteur nous ont alertés à ce sujet et les débats de la commission des affaires sociales ont montré que plusieurs d’entre vous, mes chers collègues, y étaient également sensibles. Aussi, je compte sur votre soutien aux deux amendements déposés sur ce point par le groupe écologiste.
Partant du constat que l’indépendance des biologistes de laboratoire est mieux garantie par la possibilité pour eux d’acquérir une fraction, voire la totalité, du laboratoire dans lequel ils travaillent, notre premier amendement vise à faire passer de « plus de la moitié » à « plus de 60 % » la part du capital et des droits de vote d’un laboratoire de biologie médicale devant obligatoirement être détenue par des biologistes en exercice au sein de la société.
Quant au second amendement, il tend à permettre que soient rendus publics, à la demande de l’un des détenteurs de capital, l’ensemble des contrats et des conventions signées dans le cadre des sociétés d’exercice libéral.
Justifiés par des motifs de santé publique, ces deux amendements ne nous semblent pas susceptibles d’être considérés par le juge communautaire comme des entraves déguisées au droit commercial.
En conclusion, le groupe écologiste votera cette proposition de loi, parce qu’il partage l’espoir formulé par Jacky Le Menn, dans l’introduction de son rapport, de voir ce texte « apporter une solution sinon définitive, du moins durable » aux problèmes de la biologie médicale, mais aussi parce que cette spécialité est devenue un élément central du parcours de soins des patients, déterminant pour l’élaboration d’environ 60 % des diagnostics. La biologie médicale ne doit donc plus souffrir de la crispation et des turpitudes dans lesquels elle est plongée depuis maintenant plusieurs années. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon.
M. Alain Milon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, presqu’un an, jour pour jour, après l’adoption par l’Assemblée nationale, le 26 janvier 2012, de la proposition de loi de Valérie Boyer et Jean-Luc Préel portant réforme de la biologie médicale, nous sommes réunis pour examiner celle de notre collègue Jacky Le Menn, qui reprend partiellement la précédente.
La biologie médicale représente un enjeu majeur des politiques publiques en termes de santé et de maintien d’une profession de qualité sur notre territoire. Comme il est rappelé dans l’exposé des motifs de la présente proposition de loi, « la biologie médicale est un élément central du parcours de soins des patients, déterminant l’élaboration d’environ 60 % des diagnostics, en ville et à l’hôpital ».
Aussi est-ce pour réaffirmer le caractère médical de la profession de biologiste et permettre des évolutions de structure en cohérence avec l’évolution des connaissances scientifiques et technologiques que le précédent gouvernement avait souhaité entreprendre une nouvelle réforme, la première depuis la loi du 11 juillet 1975 relative aux laboratoires d’analyses de biologie médicale et à leurs directeurs et directeurs adjoints.
Il s’agissait, d’une part, de garantir la qualité des actes et la confiance des professionnels et des patients, et, d’autre part, d’assurer l’efficience des dépenses, nécessité économique et éthique, ainsi qu’une bonne adéquation entre nos exigences nationales et celles de l’Union européenne.
La réflexion sur la nécessité de réformer la biologie médicale a débuté en 2006, trente ans donc après l’entrée en vigueur de la loi de 1975, avec le rapport de l’inspection générale des affaires sociales et celui de Michel Ballereau. Ces deux rapports concluaient à l’urgence de modifier la législation.
Or cette réforme a connu un parcours parlementaire pour le moins chaotique. L’article 69 de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi HPST », a habilité le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance pour mettre en œuvre la réforme de la biologie médicale. Dans le cadre de la discussion du projet de loi relatif à la bioéthique, l’Assemblée nationale avait inopinément proposé l’abrogation de l’ordonnance du 13 janvier 2010 relative à la biologie médicale. Quelques mois plus tard, une dizaine d’articles consacrés à cette réforme étaient insérés dans la loi Fourcade, mais censurés par le Conseil constitutionnel, qui les considérait comme des cavaliers législatifs. Enfin, comme je le rappelais au début de mon intervention, la proposition de loi « Boyer-Préel », adoptée par l’Assemblée nationale, n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour du Sénat.
Nous voici donc enfin réunis pour débattre de cette nouvelle proposition de loi, après que le Gouvernement a engagé la procédure accélérée. Une fois n’est pas coutume, madame la ministre, nous considérons que le recours à cette procédure est légitime puisque, comme je viens de le rappeler, nous avons déjà débattu à maintes reprises de ce sujet. Il est en effet urgent d’en finir !
J’en viens au fond. La proposition de loi s’articule autour de quatre axes : la ratification de l’ordonnance de 2010, le renforcement de la médicalisation de la profession de biologiste médical, l’amélioration de la qualité des examens biomédicaux et, enfin, l’organisation de la biologie médicale.
Sur ces objectifs, monsieur le rapporteur, nous ne pouvons évidemment que nous entendre.
Je rappelle que l’absence de ratification de l’ordonnance crée une insécurité juridique préjudiciable, tant pour les professionnels de santé que pour les pouvoirs publics.
Avant d’évoquer les mesures contenues dans le texte de la commission, je tiens à souligner l’importance de la sauvegarde de la biologie médicale et de son maillage territorial. Quant au caractère de l’acte de biologie, il s’agit bien d’un acte médical ; il est essentiel qu’il soit de qualité et rapide.
La commission, sur proposition de son rapporteur, dont je tiens à saluer le travail, a modifié le texte initial de la proposition de loi. Certaines de ces modifications vont dans le bon sens.
Je pense notamment à la nouvelle rédaction du 2° de l’article 4 qui précise les lieux de prélèvements hors laboratoire. En effet, seuls 5 % des prélèvements sanguins seraient réalisés en dehors des laboratoires ou des établissements de santé, pour répondre à des situations spécifiques, particulièrement en zone rurale, où le patient est parfois éloigné des laboratoires.
Il est cependant important que le reste de la phase pré-analytique soit sous le contrôle du biologiste médical. C’est pourquoi notre groupe souhaite revenir sur cet article avec un amendement qui réintroduit le terme de « prélèvement » en remplacement de celui de « phase pré-analytique ».
À l’article 7, la suppression de la possibilité donnée à l’Ordre des pharmaciens de prononcer une interdiction définitive de pratiquer la biologie médicale permet d’éviter une inégalité entre les professionnels inscrits à cet ordre et ceux qui le sont à l’Ordre des médecins.
L’accréditation à 100 % au 1er novembre 2020 avait été insérée par la commission. En tant que rapporteur de la loi Fourcade, j’avais considéré que limiter à 80 % les accréditations ne satisfaisait pas les objectifs majeurs de la loi HPST et de la réforme de la biologie médicale, à savoir « la qualité prouvée par l’accréditation ». Rendre obligatoire l’accréditation des laboratoires est la seule modalité envisageable pour prouver la qualité des examens de biologie médicale. Cette discipline médicale sera ainsi la seule soumise à une accréditation.
En revanche, certaines dispositions du texte de la commission ne nous satisfont pas. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de la défense de nos amendements, mais je souhaite d’ores et déjà évoquer certains points.
Nous parlons souvent de l’importance du maillage territorial, mais certains départements ne disposent pas de laboratoire public de biologie médicale et leurs hôpitaux sont trop éloignés d’autres établissements équipés d’un laboratoire. Or il pourrait être envisagé de mettre en place une dérogation permettant aux hôpitaux de continuer à bénéficier de « ristournes », comme le propose notre collègue Jean-François Mayet.
Cela étant, sur le fond, nous soutenons l’objectif de l’article 5, à savoir la suppression de ces « ristournes » qui dévalorisent le travail des biologistes médicaux.
L’article 6 tend à permettre le recrutement, par les centres hospitaliers universitaires et les établissements qui leur sont liés par convention, soit de professeurs des universités-praticiens hospitalier, soit de maîtres de conférences des universités-praticiens hospitaliers non titulaires du diplôme d’études spécialisées de biologie médicale, diplôme créé en 1984.
Il ne s’agit pas là de trouver une solution pour quelques cas exceptionnels pendant une période transitoire. En réalité, cet article tend à organiser une filière parallèle et pérenne de recrutement de responsables hospitaliers auxquels il serait seulement demandé de justifier d’un service de trois ans dans un laboratoire de biologie.
En même temps qu’elle décourage les étudiants en biologie médicale d’envisager une carrière hospitalière, cette perspective crée un sentiment d’injustice et de dévalorisation de leur formation. Le Sénat a déjà rejeté, en 2011, une disposition analogue, à laquelle s’opposaient l’ensemble de la profession et les ordres concernés ; ils s’y opposent toujours et il n’y a pas plus de raisons d’accepter cette dérogation aujourd’hui qu’il n’y en avait en 2011.
L’article 7 ter, qui prévoit la suppression de l’article L. 6211-9 du code de la santé publique, ne nous paraît pas justifié. En effet, un des objets de la réforme de la biologie médicale est de permettre au biologiste médical de participer à la prescription des examens, de proposer les plus utiles pour éclairer le médecin et de rendre la prescription la plus efficace et la plus pertinente possible. Il sera ainsi possible d’éviter des examens inutiles ou redondants, mais l’objectif principal est d’obtenir la réponse la plus claire aux questions que l’on se pose et qui justifient le recours à l’examen de biologie médicale. Il s’agit donc de tirer le meilleur parti des compétences du biologiste médical.
Enfin, l’organisation de la biologie médicale, visée aux articles 8 et 9, est au cœur de l’inquiétude des jeunes biologistes, mais aussi de ceux qui veulent préserver une biologie médicale de proximité et non financiarisée.
Avec la législation actuelle, cet objectif est hors de portée : les jeunes sont de fait interdits d’accès à la profession. Il est donc nécessaire de les associer au capital des sociétés et de prévoir des dispositions qui empêchent la financiarisation de cette filière.
Le renforcement du rôle des agences régionales de santé, à l’article 9, leur permettra de réguler l’offre de biologie médicale sur les territoires. Il s’agit de garantir le maintien d’une biologie médicale de proximité, puisque le directeur d’une ARS peut s’opposer à une fusion ou acquisition de laboratoire si la part d’activité réalisée par l’entité issue de l’opération dépasse le seuil de 25 % du total des examens sur le territoire.
Cet article 9 va donc dans le sens du rapport Ballereau, puisque ce dernier préconisait de conserver le principe de liberté d’installation, tout en mettant en place une régulation. Celle-ci doit permettre à la fois de protéger la proximité territoriale et de favoriser les restructurations nécessaires aux laboratoires pour qu’ils atteignent une taille critique et puissent ainsi faire face aux enjeux économiques et techniques de l’avenir.
Madame la ministre, monsieur le rapporteur, comme les autres groupes, celui de l’UMP est particulièrement attaché à la préservation et au renforcement d’une médecine de qualité sur l’ensemble du territoire.
C’est pourquoi, tout en soutenant ce texte dans ses finalités, nous présenterons différents amendements afin de l’améliorer en espérant aboutir à l’adoption rapide d’une loi satisfaisante.
Mes chers collègues, je souhaite que nous arrivions à trouver un compromis. Nous sommes, en effet, convaincus que l’absence de loi produirait des effets pervers, notamment sur l’étendue de la financiarisation de la biologie médicale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par notre collègue Jacky Le Menn est d’une grande importance puisqu’elle a l’ambition de freiner la financiarisation du secteur libéral de la biologie médicale et de renforcer la sécurité des examens pratiqués.
Il s’agit d’un sujet techniquement complexe dont les enjeux sont essentiels non seulement en termes de santé publique, d’accès aux soins au sens large, de vie et de dynamisme de nos territoires, mais aussi pour tout ce qui touche au cadre même de l’exercice de la profession.
Cette pluralité d’enjeux explique sans doute le cheminement particulier, commencé par la voie d’une ordonnance et déjà passé par quatre textes, de la réforme de la biologie médicale. C’est ainsi que la présente proposition de loi est la cinquième occasion récente pour notre assemblée de se pencher sur ce sujet.
J’y vois, mes chers collègues, la validation du bien-fondé de notre opposition à l’utilisation de l’article 38 de la Constitution, qui, au lieu de permettre une application rapide de l’ordonnance du 13 janvier 2010, aura surtout permis de créer une instabilité juridique dont personne ne peut se réjouir.
Pour notre part, cette ordonnance n’est pas sans nous inquiéter ou, pour le moins, nous interroger. Notre groupe l’avait d’ailleurs explicitement dit en 2009, par la voix de notre ancien collègue François Autain, lors de la présentation du projet de loi de ratification par la ministre de l’époque, Mme Roselyne Bachelot-Narquin.
Nous avions accueilli avec satisfaction la disposition portant création d’un article 6213-2 au sein du code de la santé publique, article qui prévoyait que seul un titulaire du diplôme d’études spécialisées de biologie médicale pourrait exercer la responsabilité de biologiste médical.
Nous avons pris acte des modifications proposées à cet égard dans la présente proposition de loi. Notre groupe défendra un amendement identique à celui qui a été déposé par nos collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste de l’Assemblée nationale lors de l’examen de la proposition de loi présentée par Mme Valérie Boyer.
En revanche, nous avions été et nous demeurerons particulièrement vigilants sur le fait qu’en application de l’ordonnance, que l’article 1er de la proposition de loi vise donc à ratifier, un laboratoire médical pourra demain être considéré comme une structure constituée d’un ou plusieurs sites où pourront être effectués les examens de biologie médicale.
Nous y voyons deux risques, qui inquiètent également de nombreux professionnels et patients.
Le premier de ces risques est la transformation de certains laboratoires médicaux existants en de simples structures de prélèvements dont les analyses seraient effectuées au sein d’une structure mère regroupant des machines particulièrement performantes, hautement techniques et coûteuses.
Cet éloignement entre le lieu de prélèvement et celui dans lequel est réalisé l’examen biologique à proprement parler peut engendrer certaines difficultés inhérentes à un traitement à grande échelle. Le transfert des prélèvements vers le centre d’analyse n’est pas sans supposer également quelques risques. Notre rapporteur partage en partie nos craintes puisqu’il a pris soin, en commission des affaires sociales, de présenter un amendement précisant que « les examens de biologie médicale sont pratiqués dans des conditions permettant le traitement des situations d’urgence ».
Chacun mesure, en effet, combien les analyses biologiques peuvent jouer un rôle majeur, voire vital, dans la détermination de la pathologie. Cette précision, utile face aux éventuels dangers, nous semble, certes, protectrice, mais assez faiblement, raison pour laquelle nous avons déposé de nouveaux amendements.
Le second risque est la financiarisation du secteur de la biologie médicale. Personne ne l’ignore, certains groupes financiers sont aux aguets et tentent, depuis plusieurs années, de conquérir la biologie médicale, comme ils l’ont déjà fait dans d’autres pays ou dans d’autres secteurs économiques. Pour eux, la santé n’est qu’un marché dont les différents acteurs ne sont que des opérateurs.
Disant cela, je pense particulièrement à l’action en justice introduite par la Commission européenne contre la France à la suite de la plainte de l’un de ces grands groupes financiers nous reprochant, ni plus ni moins, d’avoir une législation nationale incompatible avec la directive dite « services », qui exige la libre concurrence.
L’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes, devenue, depuis, la Cour de justice de l’Union européenne, a conforté notre droit interne. L’alinéa 89 de cet arrêt, qui ne souffre aucune interprétation, autorise en effet clairement la France à prendre les mesures qu’elle estime nécessaires, y compris en réduisant l’applicabilité des principes de libre concurrence et de liberté d’installation, dès lors que ces restrictions sont justifiées par un objectif de santé publique.
C’est la pleine reconnaissance par la Cour européenne de l’application du principe de subsidiarité en matière de santé. C’est dire que nous n’avons pas à craindre qu’une éventuelle législation nationale limitant l’accès des groupes financiers au capital des laboratoires de biologie médicale ne soit sanctionnée.
Nous proposerons donc une série d’amendements à l’article 8 dont l’esprit est de réduire clairement, dans les laboratoires existants comme dans ceux qui se créeraient demain, soit ex nihilo, soit du fait d’une fusion ou d’un regroupement, la part totale de capital social et de droit de vote détenu par les groupes financiers.
Nous ne pouvons pas accepter que, par le biais de holdings et de sociétés en cascade, la quasi-totalité des parts de certains laboratoires de biologie médicale soit détenue par des personnes morales exerçant la biologie médicale, c’est-à-dire par des groupes financiers qui n’ont qu’un objectif, accroître leurs dividendes en « cannibalisant » le monde de la santé.
Enfin, je dois vous dire que les dispositions relatives à l’accréditation suscitent notre inquiétude. Bien entendu, comme notre rapporteur et comme le Gouvernement, comme d’ailleurs l’ensemble de nos concitoyennes et concitoyens, nous sommes vigilants en matière de sécurité sanitaire. Il n’y a pas, d’un côté, celles et ceux qui voudraient garantir la sécurité des patients et, de l’autre, ceux qui pourraient l’ignorer.
Pour autant, nous ne sommes pas dupes et savons pertinemment que, malgré les amendements présentés par notre rapporteur et adoptés par la commission des affaires sociales, un grand nombre d’établissements de proximité ne pourront pas entreprendre les travaux et mises aux normes exigées pour pouvoir être accrédités. Ces derniers n’auront alors plus que deux choix : fermer, en agrandissant encore un peu plus ces déserts sanitaires que nous combattons, ou bien vendre aux groupes financiers, au risque de voir l’activité des centres se réduire aux seuls prélèvements.
Fondé sur un principe de sécurité sanitaire, sans accompagnement particulier, notamment financier, le passage des normes existantes à l’accréditation pourrait ainsi participer, au final, à ce mouvement de financiarisation que la présente proposition de loi entend pourtant freiner. Je pense en particulier aux centres de santé.
Vous le voyez, mes chers collègues, nos inquiétudes sont grandes et les réponses apportées par cette proposition de loi n’y répondent pas totalement. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé plusieurs amendements, et c’est au regard du traitement qui leur sera réservé ainsi que de la nature de nos échanges que notre groupe se déterminera quant à son vote sur l’ensemble de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)