Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la disparition de la taxe professionnelle, qui avait remplacé en 1976 la vieille patente, a été l’une des mesures emblématiques du quinquennat Sarkozy.
La suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par la contribution économique territoriale, la CET, ont constitué une bonne nouvelle pour la plus grande partie des entreprises, puisque leur contribution fiscale s’est trouvée réduite pour 60 % d’entre elles et stabilisée pour 20 % Les entreprises des 20 % restants ont vu leur contribution légèrement s’accroître.
Nous avons beaucoup entendu parler de cette dernière catégorie, composées notamment d’artisans ou de commerçants, employant peu de salariés ou sans salariés. Une mesure temporaire a dû être prise dans le cadre de la loi de finances pour 2013, visant à compenser les effets pervers d’une nouvelle fixation des bases. La cotisation minimale de CFE a été modifiée par les élus locaux, qui n’ont pas été en mesure d’estimer au préalable l’impact que leur décision pouvait avoir, confirmant ainsi la fragilité de dispositions prises sans les estimations nécessaires.
La nouvelle assiette de la CET nous était d’emblée apparue comme peu opératoire et peu pertinente. De fait, elle garde, de notre point de vue, ces défauts.
La cotisation foncière ressemble fortement à la patente et la taxation sur la valeur ajoutée, compte tenu de son assiette, n’est plus qu’un complément de TVA, dont le rendement est soumis aux choix de gestion, et parfois de domiciliation, des entreprises, qui peuvent fort bien s’exonérer de tout ou partie de cet impôt, grâce à quelques montages financiers subtils.
La plupart des entreprises ont donc constaté une baisse de la pression fiscale locale pesant sur leurs comptes, conduisant par là même à la progression relative de leur contribution au titre de l’impôt sur le revenu, pour les exploitants individuels, et de l’impôt sur les sociétés, pour les sociétés de capitaux.
Le deuxième effet de la réforme de la taxe professionnelle est également connu : je veux bien sûr parler de l’amoindrissement du pouvoir fiscal local.
De fait, il se limite à la variation des taux d’imposition sur la cotisation foncière, dont les bases, peu dynamiques, ne permettent pas de dégager des recettes susceptibles de répondre aux besoins des habitants de nos communes.
Évidemment, cette perte d’autonomie financière des collectivités territoriales est encore plus manifeste pour les régions et les départements qui ne disposent plus que de dotations, quand ces collectivités jouissaient, jadis, de ressources fiscales librement fixées, même en respectant l’encadrement de taux défini par le code général des impôts.
M. Jean-Jacques Mirassou. Exact !
Mme Marie-France Beaufils. La progression limitée des bases d’imposition n’est pas sans conséquence pour les élus désireux de mener des politiques de développement économique. Une assemblée locale qui mène cette politique travaille, généralement, à améliorer la recette de CVAE des autres collectivités. De plus, les créations d’emplois ne bénéficient pas nécessairement à ses propres administrés.
La réalité montre que les bases d’imposition de la cotisation foncière, mis à part le cas spécifique des petites entreprises soumises à la cotisation minimale, n’ont pas le même dynamisme que les anciennes recettes de taxe professionnelle.
Par ailleurs, le faible produit de la CFE – 6,6 milliards d’euros en 2012 – augure pour les budgets locaux de difficultés durables. La taxe d’habitation rapporte aujourd’hui 19,4 milliards d’euros et la taxe foncière sur les propriétés bâties, 27,3 milliards d’euros. Dès lors, le produit de la CFE est juste un peu plus faible que celui de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères et de la redevance d’enlèvement réunies, qui rapportent aujourd’hui 6,7 milliards d’euros.
Il conviendra sans doute, le moment venu, de regarder à quoi ont conduit les dispositions de la loi de finances rectificative de 2012 sur la cotisation minimale pour mesurer avec encore plus de netteté les limites de la cotisation foncière.
Tout cela ne doit cependant pas nous faire oublier l’essentiel.
La fiscalité locale des entreprises n’est plus un outil permettant de mettre en place une juste péréquation des ressources, alors même que l’on nous abreuve assez régulièrement de déclarations d’intention en faveur de cette péréquation, qui serait à la fois légitime et nécessaire.
La cotisation sur la valeur ajoutée n’a nullement les vertus d’une cotisation péréquatrice, d’autant que l’on constate toujours le même phénomène de concentration de bases d’imposition. Il a même eu tendance à s’accroître, du fait des effets « sièges sociaux ». C’est une situation que l’on peut observer en Île-de-France, comme l’a signalé Jacques Mézard, puisque cette région concentre 33 % des bases de la CVAE, alors qu’elle n’accueillait que 21,5 % des bases de la taxe professionnelle.
La mise en place des fonds de péréquation régionaux et départementaux, dont le rendement attendu est proche de 25 millions d’euros pour les régions et de 50 millions d’euros pour les départements via un mécanisme de péréquation horizontale, ne corrige cette situation qu’à la marge.
Même si le dispositif est appelé à croître et à embellir dans les années à venir, il ne peut constituer une réponse tout à fait adaptée face à l’inégalité des ressources entre collectivités.
En revanche, s’il est un point sur lequel cette réforme a apporté la réponse attendue par le gouvernement de l’époque, c’est bien celui de la réduction de la prise en charge de la fiscalité par le budget de l’État.
Le taux de prise en charge est passé de plus de 26 % en 2008 et en 2009 à 16,1 % en 2011.
En outre, on ne peut manquer de souligner ici que la réforme de la fiscalité locale a échoué, concernant les entreprises, au regard de ce qui était annoncé comme sa finalité principale : la création d’emplois.
Alors même que les entreprises ont bénéficié, en 2010, en 2011 et en 2012, des effets immédiats de la disparition de la taxe professionnelle, qui leur permet de disposer de 5 milliards d’euros en régime de croisière, le nombre de personnes privées d’emploi – et encore ne s’agit-il là que des statistiques officielles ! – est passé de 2 660 400 à 3 132 900, soit près de 500 000 chômeurs de plus depuis l’entrée en vigueur pleine et entière de la mesure.
Le rapport remis au Comité des finances locales le 6 novembre dernier admet cette absence d’effet sur l’emploi, mais estime qu’il devrait en aller autrement à moyen terme… Si cette affirmation était étayée par des modifications dans les choix de gestion des entreprises, nous pourrions nous en réjouir, mais ce n’est malheureusement pas le cas.
D’une certaine manière, l’aggravation du déficit public de l’État liée à la nécessité de compenser la réforme s’est donc accompagnée d’un déficit en matière d’emploi, alors même que la population active de notre pays est soumise depuis 2005 à un renouvellement relativement important.
Le dernier effet collatéral de la disparition de la taxe professionnelle est la suppression des fonds écrêtés attribués par les départements aux communes défavorisées.
Tout montre que la position de notre groupe était pleinement fondée. Nous avions, je le rappelle, combattu la réforme de la taxe professionnelle. Il est temps, nous semble-t-il, de concevoir des outils de péréquation performants, adossés à un rendement important, pour remédier à la fois aux inégalités de ressources entre territoires et aux différences de traitement fiscal entre entreprises, tout aussi persistantes.
Dans ce contexte, la proposition, maintes fois formulée par les membres de mon groupe et moi-même, d’élargir l’assiette de la fiscalité économique locale aux actifs financiers trouve sa pleine justification.
La contribution économique territoriale semble bel et bien avoir échoué à relancer l’investissement, à favoriser la création d’emplois et à donner une compétitivité nouvelle à nos entreprises. Il est donc temps de faire d’autres choix.
La financiarisation de l’activité économique, afin d’obtenir le retour sur investissement le plus important et le plus rapide possible, la multiplication des plans sociaux, la poursuite du processus de délocalisation : tout cela fait une bonne fois pour toutes litière du discours, qui nous fut servi pendant trente-trois ans, selon lequel la taxe professionnelle serait un mauvais impôt, au regard tant de l’emploi que de l’investissement.
Nous devons aller vers une réforme réelle de la fiscalité locale, pleinement intégrée à la réforme plus générale de la fiscalité. Cela passe par une taxation des actifs financiers pénalisant la préemption financière dont souffre notre économie. Cette ressource dédiée au financement des collectivités locales serait d’un niveau permettant véritablement d’accompagner les collectivités en fonction de leurs ressources, aujourd'hui insuffisantes, et de leurs besoins. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Jarlier.
M. Pierre Jarlier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer la qualité du travail approfondi mené par la mission d’information sur un sujet aussi sensible et complexe, qui touche non seulement à la compétitivité des entreprises, mais aussi à l’attractivité des territoires et aux capacités financières de nos collectivités.
Je me bornerai d’ailleurs à évoquer ici les effets de la réforme sur les collectivités, et plus particulièrement sur le bloc communal.
J’aborderai deux sujets : la modification du panier de ressources des communes et des EPCI à l’issue de la réforme ; les conséquences de la nouvelle fiscalité locale sur l’attractivité des territoires.
Quelques citations importantes tirées de notre rapport résument assez bien la situation : on constate une « compensation à l’euro près effective » qui « masque un fort accroissement pour l’avenir des inégalités territoriales » et « rend nécessaires de nouveaux mécanismes de péréquation ». Pourquoi cette dernière affirmation ?
En ce qui concerne la modification des recettes fiscales résultant de la réforme, force est de constater que si la compensation à l’euro près par l’État a été effective, la fiscalité locale économique, qui constituait près de 19 % des recettes de fonctionnement du bloc communal, s’est trouvée considérablement affaiblie. À titre d’exemple, la contribution économique territoriale ne représente plus que 33 % des ressources des EPCI à CET unique, contre 94 % avant la réforme.
Le transfert de la fiscalité locale économique vers la fiscalité des ménages est donc bien une réalité, et les marges de manœuvre de la plupart des intercommunalités dépendent désormais essentiellement de la capacité contributive des ménages, notamment dans les territoires où l’activité économique est faible. Il y a donc là un vrai problème d’équité territoriale ; j’y reviendrai.
Certes, des mécanismes de compensation et de péréquation ont été créés pour remédier à ces inégalités territoriales, mais le rapport montre très bien que ce sont les territoires les plus dynamiques qui tirent le mieux leur épingle du jeu : ils sont les grands gagnants du nouveau système fiscal. En effet, d’une part, ils bénéficient d’un dynamisme fort de leur CET, et, d’autre part, leurs versements au titre du Fonds national de garantie individuelle des ressources et de la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle viennent en déduction de leurs potentiels financiers.
Une telle situation est, à mon sens, choquante, car ces déductions reposent sur des sommes virtuelles qui ne sont jamais rentrées dans les caisses des collectivités concernées. Par ailleurs, leur montant, qui peut être très important, provoque une baisse du potentiel financier de ces dernières, qui peuvent ainsi devenir éligibles au nouveau fonds de péréquation intercommunal et communal. Voilà donc un excellent moyen de reprendre d’une main ce qui a été donné de l’autre !
À l’inverse, les collectivités qui perçoivent des dotations de compensation au titre de la réforme – c’est le cas des territoires industrialisés et des zones rurales fragiles – sont pénalisées par un gel de ces compensations, qui peuvent représenter jusqu’à 30 % de leurs ressources propres. Le montant de ces dotations vient s’ajouter à leur potentiel financier, ce qui a parfois pour conséquence de les rendre contributrices au titre de la péréquation horizontale… Le potentiel financier entrant à hauteur de 80 % dans le calcul du prélèvement, la collectivité peut se retrouver prélevée au titre du FPIC, voire privée du bénéfice des fonds de péréquation de l’État ; le cas existe ! Où est donc l’équité territoriale de la réforme dans une telle situation ? Une double peine est de fait infligée aux territoires les plus fragiles : moins de dynamisme des bases et moins de péréquation !
En ce qui concerne maintenant les conséquences de la nouvelle fiscalité locale sur l’attractivité des territoires, la remarquable étude réalisée par l’Assemblée des communautés de France, l’AdCF, est particulièrement révélatrice. Elle montre clairement que les incidences de la réforme fiscale pour le bloc communal sont très inégales et qu’elles induisent des « devenirs territoriaux très contrastés » : cela rejoint exactement les conclusions de notre rapport.
Au-delà du cas de la région parisienne, les grands ensembles métropolitains et les territoires à la fois résidentiels et productifs, comme le Grand Ouest ou la région Rhône-Alpes, par exemple, peuvent miser sur des valeurs locatives attractives et sur un dynamisme économique fort. Ils tirent donc leur épingle du jeu de la réforme.
Mais, en dehors des régions littorales, tel n’est pas le cas pour les ensembles intercommunaux plutôt ruraux et éloignés des grands centres urbains, qui bénéficient certes de bases d’imposition élargies, mais reposant essentiellement sur les valeurs locatives des logements. Ils sont donc pénalisés par le manque de dynamisme du marché immobilier, conjugué à la faiblesse de l’activité économique.
Or on observe également que, sur ces mêmes espaces intercommunaux, le poids des dotations de l’État hors péréquation est considérable dans les ressources locales ; c’est un vrai sujet. Leur baisse programmée risque donc de faire subir une autre double peine aux territoires concernés : d’une part, la réforme fiscale leur est très défavorable ; d’autre part, il y a un risque de déstabilisation de leur budget.
Nous devons donc être particulièrement attentifs à la situation de ces territoires en perte de dynamisme socioéconomique, qui sont malheureusement très nombreux. En effet, dans le nouveau contexte, les mécanismes actuels de péréquation ne permettront pas d’empêcher l’accroissement des inégalités territoriales. Il faut bien le reconnaître, le nouveau fonds de péréquation intercommunal et communal n’y suffira pas, même au terme de sa montée en puissance jusqu’à 1 milliard d’euros, si du moins nous parvenons à atteindre ce montant !
C’est donc dans le cadre d’une réforme globale de la DGF et de l’ensemble des mécanismes de péréquation de l’État que les effets de cette réforme pourraient être corrigés et la fragilité de ces territoires mieux prise en compte.
C’est aussi à cette condition que le principe d’égalité des territoires pourra enfin réellement prévaloir et que nous serons en mesure de réduire véritablement les écarts de richesse entre les collectivités. Que comptez-vous faire en ce sens, monsieur le ministre ?
Mme la présidente. Monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’évidence, nous ne pourrons pas achever ce débat dans les temps impartis dans le cadre de l’ordre du jour réservé.
Afin de ne pas créer un précédent auquel certains pourraient se référer par la suite, ce qui nous serait collectivement préjudiciable, il me semble plus sage de reporter la suite de ce débat à une date que je laisse à la conférence des présidents et au groupe du RDSE le soin de fixer.
La suite du débat est renvoyée à une prochaine séance.
6
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 31 janvier 2013 :
De neuf heures à treize heures :
1. Suite de la proposition de loi visant à autoriser le cumul de l’allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels (n° 555, 2011-2012) ;
Rapport de Mme Isabelle Debré, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 181, 2012-2013) ;
Texte de la commission (n° 182, 2012-2013).
2. Proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable (n° 682 rectifié, 2011-2012) ;
Rapport de M. Yvon Collin, fait au nom de la commission des finances (n° 287, 2012-2013) ;
Résultat des travaux de la commission (n° 288, 2012-2013) ;
Avis de M. Claude Domeizel, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 291, 2012-2013) ;
Avis de M. Bruno Retailleau, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 298, 2012-2013) ;
Avis de M. Yves Rome, fait au nom de la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire (n° 299, 2012-2013).
À quinze heures :
3. Questions cribles thématiques sur le commerce extérieur
De seize heures à vingt heures :
4. Proposition de loi portant réforme de la biologie médicale (n° 243, 2012-2013) ;
Rapport de M. Jacky Le Menn, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 277, 2012-2013) ;
Texte de la commission (n° 278, 2012-2013).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures quarante.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART