M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je tiens tout d’abord à dire combien nous respectons l’amendement déposé par Mme Jouanno, car les questions qu’elle soulève sont importantes.
Nous savons la volonté du Sénat de travailler sur l’interdiction des phtalates et nous reconnaissons son implication en la matière.
Toutefois, permettez-moi de rappeler, après Mme la rapporteur, que les dispositifs médicaux sont des produits de santé pour lesquels le rapport bénéfice-risques joue un rôle central. Dès lors, le niveau de risque acceptable doit être considéré au regard du bénéfice que le malade tire du dispositif médical.
Ensuite, cet amendement présente des incertitudes quant à son champ d’application : celui qui est prévu est en effet imprécis et bien trop large, comme l’a remarqué Mme la rapporteur.
En outre, trop d’incertitudes demeurent encore sur les solutions de substitution existantes et sur l’innocuité de certaines d’entre elles.
La question des substituts se pose depuis plusieurs années, et avec elle celle de leur innocuité. À cet égard, je tiens à dire que cette proposition de loi marque une avancée supplémentaire puisqu’elle va au-delà des contenants alimentaires en interdisant le bisphénol A dans les biberons et les dispositifs médicaux, ainsi que le DEHP dans les tubulures servant notamment à l’alimentation parentérale. Voilà qui témoigne fortement de la volonté du Gouvernement d’avancer sur ce sujet.
Enfin, au-delà de la problématique des substituts éventuels, nous n’avons pas de visibilité quant aux délais de mise en œuvre. Or, vous le savez, la mise sur le marché des dispositifs médicaux répond à des obligations réglementaires.
La modification d’un dispositif médical exige des fabricants qu’ils conduisent des études pour évaluer les propriétés physico-chimiques et l’innocuité des substances, qu’ils modifient en conséquence leur procédé de fabrication et qu’ils présentent un nouveau dossier de marquage pour faire valider la conformité du dispositif médical objet de ces modifications.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement demande le retrait de cet amendement. Même si nous entendons bien la nécessité de poursuivre l’action en la matière, il n’est pas possible, en l’état actuel, de donner une suite favorable à cet amendement.
M. le président. Monsieur Capo-Canellas, l'amendement n° 7 est-il maintenu ?
M. Vincent Capo-Canellas. Si, comme l’ont souligné Mme la rapporteur et Mme la ministre déléguée, le champ de l’amendement est trop large, pourquoi ne pas nous avoir proposé de le restreindre ? Nous aurions été ouverts à toute suggestion en ce sens.
J’aurais compris que l’on me demande de limiter le champ de l’amendement, mais je ne peux pas ne pas m’interroger sur le recul opéré ici s’agissant d’une proposition de la mission commune d’information qui avait été adoptée à l’unanimité en première lecture.
J’ajoute que certains des arguments qui m’ont été avancés pour étayer la demande de retrait me paraissent curieux. En effet, on pourrait tout aussi bien les faire valoir sur d’autres volets du texte et en déduire qu’il n’y a, finalement, pas lieu d’aller si vite en la matière.
C’est pourquoi je maintiens l’amendement n° 7, monsieur le président.
M. le président. Dois-je en déduire, madame la rapporteur, que la commission est désormais défavorable à l’amendement n° 7 ?
Mme Patricia Schillinger, rapporteur. Tout à fait !
M. le président. En est-il de même pour le Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, pour explication de vote.
M. Bernard Cazeau. L’amendement de Mme Jouanno reprend les préconisations formulées par la mission commune d’information portant sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique, dont j’ai été le rapporteur. Je suis tout à fait d’accord avec les éléments d’analyse présentés par notre collègue Vincent Capo-Canellas.
Toutefois, dans ce domaine précis, mes chers collègues, il faut prendre du temps. Ainsi que l’a souligné Mme la ministre déléguée, il n’est pas possible de modifier brutalement les dispositifs médicaux. Il faut suivre toute une procédure, qui est d’ailleurs en train d’évoluer au niveau européen grâce au rapport que nous avons publié. Nous avions en effet rencontré des commissaires et des élus.
Comme je l’ai dit tout à l'heure, un débat majeur est aujourd’hui ouvert sur tous ses problèmes. Au niveau européen, rien n’est simple : il y a, d’un côté, les économistes fougueux et, de l’autre, ceux qui pensent prévention et santé des citoyens.
Aussi, je me range aujourd'hui à l’avis de l'Assemblée nationale et je partage la position défendue à la fois par Mme la rapporteur et par Mme la ministre déléguée : il est souhaitable de prendre du temps. Nous n’avons jamais pensé que les quelque trente propositions que nous avons formulées dans notre rapport seraient mises en œuvre dans les six mois !
Mme Nathalie Goulet. Ah !
M. Bernard Cazeau. Il faudra plusieurs années pour qu’elles trouvent leur concrétisation, au niveau européen comme au niveau national.
Le législateur français, me direz-vous, a bien le droit d’établir ses propres lois et de fixer ses propres interdits, mais il me semble aujourd'hui souhaitable d’attendre les conclusions des études à venir, car tout cela n’est pas encore scientifiquement complètement établi.
Sur la méthode, je souhaite personnellement que toutes les propositions concernant les dispositifs médicaux fassent l’objet d’une approche globale : on ne peut pas se contenter d’adopter un jour telle mesure et, le lendemain, telle autre.
M. Gilbert Barbier. Alors, on ne fera jamais rien !
M. Bernard Cazeau. À mon avis – chacun le sien ! –, il est nécessaire de traiter la question de manière plus globale.
Pour aujourd'hui, ne retardons pas le processus et acceptons le consensus que nous proposent l'Assemblée nationale et le Gouvernement en adoptant les dispositions visées, car il importe d’aller vite. Mais prenons le temps d’examiner, dans leur ensemble, toutes les préconisations que nous avons formulées dans le rapport de la mission commune d’information.
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour explication de vote.
M. Gilbert Barbier. J’admire les contorsions verbales de Mme la rapporteur et de Mme la ministre déléguée !
Je comprends bien que ce problème les gêne, mais on ne peut pas, d’un côté, dire qu’il faut prendre le temps de la réflexion et, de l’autre, refuser de repousser de six mois, pour des raisons techniques, la date de l’interdiction du bisphénol A dans les contenants alimentaires. C’est pourtant ce à quoi on nous invitait il y a quelques minutes !
On va donc laisser les femmes enceintes et les prématurés subir des traitements impliquant des produits dont la nocivité est avérée… La nocivité des trois catégories de phtalates visés est établie ; point n’est besoin d’attendre de nouvelles études. On ne veut pas appliquer ici le principe de précaution que l’on défend par ailleurs.
Quant aux substances de remplacement, elles existent, notamment pour les tubulures, dans lesquelles on vient d’interdire la présence de phtalates. De même pour les contenants : ainsi que je l’ai dit tout à l'heure, on peut trouver des solutions, par exemple le verre.
Certes, je comprends bien la démarche qui consiste à vouloir un vote conforme pour obtenir un texte le plus rapidement possible. Toutefois, les principaux problèmes ne sont pas réglés pour autant.
Concernant le traitement des prématurés, la concentration sanguine de bisphénol A et de phtalates est de cent à cinq cents fois supérieure – cela a été démontré scientifiquement – à ce qu’elle peut être pour un adulte. Et on nous dit que nous devons prendre notre temps !
Monsieur Cazeau, vouloir concrétiser les trente propositions contenues dans votre rapport en une seule fois relève de la pure utopie !
La mission commune d’information que Chantal Jouanno a présidée a beaucoup travaillé sur tous les produits dont nous parlons. Monsieur Cazeau, un certain nombre des mesures que vous avez proposées dans votre excellent rapport, dont celle-ci, pourraient trouver rapidement leur application dans le cadre de la présente proposition de loi.
Si la Haute Assemblée devait repousser cet amendement, je le regretterais.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. En tant que vice-présidente de la mission commune d’information, je vous ai connu plus audacieux, monsieur Cazeau, notamment pour ce qui concerne les cabines de bronzage, une question qui nous a valu de partager des moments particulièrement intéressants (Sourires.),…
M. Ladislas Poniatowski. Dans les cabines de bronzage ?... (Nouveaux sourires.)
Mme Nathalie Goulet. … en commission, bien sûr. (Rires.)
Pour ce qui concerne l’amendement n° 7, présenté à titre principal par Mme Jouanno, j’observe que l’interdiction prévue doit s’appliquer à compter du 1er juillet 2015, ce qui n’est tout de même pas précisément demain ! Un délai est donc ménagé qui permettra d’organiser le retrait des dispositifs concernés et leur remplacement par de nouveaux produits.
En outre, je considère, comme Gilbert Barbier, que la nécessité d’un vote conforme ne justifie pas que nous renoncions à régler un vrai problème. Au contraire, je trouve que le Sénat enverrait un très bon signal en adoptant cet amendement. Certes, une commission mixte paritaire devrait être réunie. Certes, une nouvelle lecture serait nécessaire. Certes, l’entrée en vigueur de la proposition de loi serait un tout petit peu retardée. Mais, franchement, je ne crois pas que la sécurité sanitaire en pâtirait !
Madame la ministre, nous sommes prêts à accepter un sous-amendement portant sur la date d’entrée en vigueur ou sur le champ d’application de la mesure que nous proposons. Mais votre opposition à cet amendement, si elle devait être confirmée par le Sénat, serait un très mauvais signal pour la sécurité sanitaire que nous nous efforçons par ailleurs de promouvoir !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne suis pas médecin, mais j’attire votre attention sur la nécessité, tout en respectant le principe de précaution, de bien apprécier les risques en présence.
En particulier, il faut tenir compte du fait que tous les actes médicaux et chirurgicaux n’ont pas le même degré de gravité. Les interventions chirurgicales pour lesquelles sont utilisés les instruments visés par l’amendement n° 7 étant très lourdes, il faut être certain que le produit de remplacement n’aura pas d’effets plus néfastes que ceux du produit actuellement en usage !
Si les défenseurs de cet amendement sont en mesure d’apporter la démonstration que des produits de substitution existent et que leur innocuité est établie, l’interdiction doit être décidée. Mais, en l’état actuel des études, je ne crois pas que nous puissions avoir cette certitude.
La position du Gouvernement n’est donc pas un recul : nous sommes déterminés à aller vers la suppression de tous les phtalates et nous avons donné un signe fort de notre volonté à propos du DEHP.
Si le principe de précaution doit être appliqué avec détermination lorsque des produits de substitution existent dont l’innocuité a été prouvée, nous n’avons pas la certitude qu’en adoptant l’amendement n° 7 au nom de ce même principe de précaution, on ne ferait pas courir des risques nouveaux, qui plus est pour des actes chirurgicaux lourds.
Mme Nathalie Goulet. C’est en 2015 que l’interdiction entrerait en vigueur !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Madame Goulet, le problème n’est pas aussi simple que cela. Ce serait beau si la recherche pouvait, en quelques mois, obtenir les résultats que l’on attend d’elle !
Mme Nathalie Goulet. Elle aura deux ans !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Nous voulons à la fois appliquer le principe de précaution et nous assurer que les éventuels risques nouveaux sont bien appréciés, notamment lorsqu’il s’agit d’actes médicaux lourds.
Le fait que le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ne signifie pas qu’il manque de détermination. Je pense véritablement que, en l’état actuel des choses, les auteurs de l’amendement n° 7 feraient preuve de responsabilité en ne le maintenant pas.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Patricia Schillinger, rapporteur. Je suis tout à fait d’accord avec Mme la ministre déléguée.
Monsieur Barbier, j’ai du mal à comprendre votre position. Pour avoir été chirurgien, vous devez savoir que la notion de dispositif médical est très large et s’étend bien au-delà des dispositifs médicaux implantables. Par exemple, l’amendement n° 7 ne visant pas spécifiquement les dispositifs en contact avec les patients, les dispositifs électroniques de surveillance entrent aussi dans son champ d’application.
Au surplus, comment contrôler le respect d’une interdiction portant sur plusieurs milliers de substances ?
Mes chers collègues, vous devez mesurer le risque réel que l’adoption de l’amendement n° 7 entraînerait !
M. le président. Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 est adopté.)
Article 4
(Non modifié)
Le Gouvernement présente au Parlement, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport relatif aux perturbateurs endocriniens. Ce rapport précise les conséquences sanitaires et environnementales de la présence croissante de perturbateurs endocriniens dans l’alimentation, dans l’environnement direct, dans les dispositifs médicaux et dans l’organisme humain. Il étudie, en particulier, l’opportunité d’interdire l’usage du di (2-éthylhexyl) phtalate, du dibutyl phtalate et du butyl benzyl phtalate dans l’ensemble des dispositifs médicaux au regard des matériaux de substitution disponibles et de leur innocuité – (Adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est définitivement adoptée.)-(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
3
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la création de la Banque public d’investissement est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures, pour des questions cribles thématiques consacrées à l’hébergement d’urgence.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures cinquante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
M. le président. La séance est reprise.
4
Questions cribles thématiques
hébergement d'urgence
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur l’hébergement d’urgence.
L’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.
Je vous rappelle que ce débat est retransmis en direct par Public Sénat, ainsi que par France 3, et qu’il importe que chacun des orateurs respecte son temps de parole.
La parole est à M. Alain Bertrand.
M. Alain Bertrand. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, selon le dernier baromètre du 115, dévoilé mercredi 5 décembre, la prise en charge des sans-abri s’est encore détériorée depuis un an. Dans les trente-sept départements étudiés, les demandes d’hébergement ont augmenté de 37 % par rapport au mois de novembre 2011. Le dispositif ne parvient plus à répondre aux besoins : le taux de réponses négatives, extrêmement élevées, atteint 78%. Cette tension affecte des territoires jusque-là épargnés. Fait plus frappant encore, on observe l’augmentation du nombre de familles appelantes et de jeunes. Parmi les demandes, 53 % sont désormais formulées par des familles ; en un an, elles sont en hausse de 60 %.
Mardi dernier, lors de la clôture de la conférence nationale de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, M. le Premier ministre a annoncé la création de 8 000 nouvelles places d’hébergement, qui s’ajoutent aux moyens supplémentaires accordés pour 2012, lesquels seront consolidés en 2013.
Point positif, le plan hivernal a été mis en œuvre de manière anticipée et accélérée. Madame la ministre, vous avez aussi évoqué la possibilité de réquisitionner un certain nombre de bâtiments. La réquisition fait certes partie de la panoplie légale, mais ne nous trompons pas de cible : la responsabilité de l’hébergement d’urgence incombe avant tout, quelles que soient les conditions, à l’État.
Je vous poserai une question qui pourrait paraître décalée en ce début de grand froid, mais qui ne l’est pas ; elle a trait à l’absence de réponse annuelle au problème de l’hébergement d’urgence, celle-ci étant limitée à l’hiver. Or cet hébergement n’est pas une affaire de saison. Nous sommes aujourd'hui face à une gestion au thermomètre, en stop and go, qui conduit à remettre les personnes à la rue dès que les températures sont plus clémentes.
Pourtant, au mois de juillet, les demandes reçues par le 115 ont été aussi importantes qu’entre les mois de décembre et de mars, mais elles ont moins souvent abouti, en raison, notamment, de la fermeture des places d’hébergement hivernales.
La question du groupe du RDSE est donc la suivante : que comptez-vous faire en matière de gestion annuelle de l’hébergement d’urgence ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement. Vous soulevez dans votre question, monsieur le sénateur, deux points essentiels. Le premier, c’est que l’aggravation de la crise rend encore plus difficile la situation du mal-logement et a même jeté à la rue, ces derniers mois, des familles. Le second, c’est que le plan hivernal n’est pas satisfaisant parce que l’on meurt plus dans la rue en été qu’en hiver et que les besoins sont tout aussi criants en période estivale.
Voilà pourquoi le Gouvernement a décidé – vous avez mentionné les annonces du Premier ministre – de sortir de la logique du thermomètre, de mettre en place un dispositif d’hébergement pérenne comprenant l’ouverture de centres parfaitement adaptés et celle de 9 000 places de logement accompagné – soit 8 000 places supplémentaires par rapport au budget pour 2013 –, afin de favoriser l’accession au logement traditionnel.
Par ailleurs, j’espère que nous mettons en œuvre pour la dernière fois le plan grand froid, qui prévoit l’ouverture de gymnases, de lieux pas vraiment adaptés. J’espère aussi que nous aurons les moyens de répondre aux besoins des familles. Il est parfois difficile d’identifier ces dernières, car les parents à la rue se cachent pour maintenir le contact avec leurs enfants. Il nous incombe d’engager une telle politique.
Monsieur le sénateur, vous avez indiqué, avec raison, que ces questions relevaient de la responsabilité de l’État. C’est pourquoi dans certaines agglomérations – je pense en particulier aux régions Île-de-France, Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur – le Gouvernement a justement décidé de réquisitionner le cas échéant des bâtiments vides pour assumer sa responsabilité qui est de trouver des lieux d’accueil pour des gens qui sont aujourd’hui à la rue.
Nous aurons l’occasion d’en débattre, mais je tiens à vous informer que, sur les deux points que vous avez soulevés, le Gouvernement a pris la décision de mettre en œuvre une politique d’hébergement différente, qui s’appuie sur un principe fondamental : le droit à un toit.
M. le président. La parole est à M. Alain Bertrand, pour la réplique.
M. Alain Bertrand. Madame la ministre, nous demandons une action à la fois annualisée et plus forte, manifestement conforme à la stratégie que vous venez de nous présenter. Votre réponse convient donc parfaitement au groupe du RDSE.
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure.
Mme Élisabeth Lamure. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous avions tous constaté, avant même l’arrivée des grands froids, que trop de personnes relevant du 115 restaient à la rue chaque soir.
Au mois de novembre, lors d’une réunion de la commission des affaires économiques, j’avais d’ailleurs indiqué que plus de 700 personnes n’avaient pu trouver d’hébergement à Lyon et passaient la nuit dehors, alors que l’hiver n’était pas encore installé.
Cette situation dramatique est due certes à l’insuffisance du nombre de places disponibles au regard de la demande, mais également à l’incohérence de la réglementation actuelle, qui pourtant partait d’intentions louables.
Ainsi, la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable, le DALO, a introduit le principe de continuité de prise en charge entre l’urgence et l’insertion. La loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion a prévu un droit à l’accompagnement personnalisé pour les personnes. Or ces dispositifs ont montré leurs limites.
Les contrats d’insertion, par lesquels les personnes accueillies s’engageaient dans la voie de l’insertion sociale, sont devenus sans effet, du fait de l’absence de sanction qui se limite à une exclusion très temporaire.
Cette réforme a ensuite eu pour conséquence de maintenir dans les centres d’hébergement, pour une longue durée, des personnes pour lesquelles aucune solution pérenne et adaptée n’existe. Celles-ci occupent alors les places d’urgence, aux dépens de personnes à la rue, en plus grande difficulté humanitaire.
Par ailleurs, le principe de continuité de l’hébergement crée une regrettable confusion entre la notion d’hébergement, qui correspond à un court séjour répondant à des objectifs humanitaires, et celle de logement qui, elle, s’inscrit dans la durée.
Enfin, cette confusion s’étend aux normes de réhabilitation et de construction des centres d’hébergement d’urgence.
Madame la ministre, dans votre plan de lutte contre l’exclusion, prévoyez-vous de réformer cette réglementation adoptée un peu trop rapidement, dans un contexte tendu lié à l’occupation du canal Saint-Martin à Paris ? De plus, êtes-vous prête à revoir les normes de construction et de réhabilitation, afin de différencier le logement de l’hébergement d’urgence, par définition temporaire ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Cécile Duflot, ministre. Madame la sénatrice, vous évoquez plusieurs questions : celle de l’insertion, celle de l’amélioration de l’offre d’hébergement résultant notamment de la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, dite « loi Boutin », qui porte à la fois sur l’obligation des collectivités locales de créer des places d’hébergement, sur la continuité de l’hébergement, sur l’humanisation et l’ouverture des centres vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Nous n’envisageons pas de revenir sur ces dispositions, qui ont constitué une avancée. L’ouverture des centres toute la journée, l’inconditionnalité de l’accueil, qui doit permettre d’accueillir et de mettre à l’abri, dans un premier temps, les sans-abri, sont des mesures auxquelles souscrit le Gouvernement.
Vous soulevez, madame la sénatrice, quelques difficultés, notamment celle du maintien dans des sites d’hébergement de personnes qui auraient vocation à accéder à un logement pérenne. Sur ce point, vous avez parfaitement raison. La création de 9 000 places de logement accompagné dès l’année prochaine et la construction de 150 000 nouveaux logements sociaux par an visent justement à ouvrir l’offre de logements accessibles, ce qui permettra à des personnes ou à des familles aujourd’hui hébergées, faute de mieux, d’être accueillies dans de bonnes conditions.
Nous développerons également l’accompagnement dans le logement afin de faciliter l’aide à la pratique locative en sécurisant les bailleurs parfois inquiets à l’idée de loger des personnes qui ont vécu dans la rue pendant de longues périodes.
Nous ferons donc en sorte que les places d’hébergement soient réservées aux personnes qui en ont réellement besoin. Ces places peuvent être localisées dans des centres d’hébergement et de réinsertion sociale, mais aussi, et de plus en plus, dans des maisons-relais, qui sont des lieux d’accueil intermédiaires. Ces dernières permettent à des personnes en situation de grande précarité, celles que l’on appelle les « grands cassés de la vie », de trouver un lieu d’accueil digne et sécurisé, la présence d’hôtes sur place rendant les choses plus faciles.
La politique d’hébergement du Gouvernement est une politique globale, qui a pour objectif final l’accès au logement.
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure, pour la réplique.
Mme Élisabeth Lamure. Madame la ministre, vous reconnaissez que les mesures adoptées par l’ancien gouvernement dans le domaine de l’hébergement étaient bonnes, ce que j’apprécie. Néanmoins, votre réponse ne me convainc pas tout à fait, car je constate toujours une certaine confusion entre le logement d’urgence et l’hébergement.
Vous le savez bien, les personnes qui restent pour une moyenne ou longue durée dans les centres d’hébergement d’urgence créent une sorte d’embouteillage en ne libérant pas les places pour celles qui sont à la rue et en auraient davantage besoin.
Par ailleurs, je ne suis pas sûre que vous m’ayez répondu au sujet des normes de construction, à savoir les obligations imposées en cas de réhabilitation de surfaces supérieures à neuf mètres carrés et de construction nouvelle d’une surface supérieure à douze mètres carrés. La législation prive les centres d’hébergement d’une capacité d’accueil bien meilleure qu’actuellement.
Mme Marie-France Beaufils. Ce sont les mesures que vous avez prises lorsque vous étiez au Gouvernement !
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme les orateurs précédents l’ont rappelé avant moi, cette séance de questions cribles thématiques est particulièrement d’actualité au moment où les grands froids arrivent.
Elle est également d’actualité à cause de vous ou grâce à vous, madame la ministre, car vos récentes déclarations sur l’éventualité de réquisitions de locaux appartenant à l’Église, en particulier à Paris, ont été très mal perçues dans certains milieux.
Votre côté primesautier a apporté un peu de fraîcheur à la vie politique, mais votre intervention ne cachait-elle pas un peu d’agressivité ? J’espère surtout que vous n’essayez pas de trouver un bouc émissaire pour masquer votre impuissance !
Cette séance est d’actualité, enfin, car voilà deux jours se tenait la conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale. À cette occasion, le Premier ministre n’a fait que rappeler ce qu’il avait déjà annoncé au mois de novembre sur l’hébergement d’urgence, soit 8 000 nouvelles places, dont 4 000 pour les demandeurs d’asile. Cela paraît bien faible à côté de la véritable demande.
Selon le préfet de la région d’Île-de-France, qui dépend indirectement de vos services, 40 000 nuitées sont financées chaque jour dans cette région, ce qui représente 470 millions d’euros. Cette année, si j’ai bien compris, 15 % supplémentaires financeront 6 000 places de plus.
C’est une somme extrêmement importante, madame la ministre, que je mets en regard des propos tenus hier par le directeur général de l’ADOMA dans Le Parisien : sa structure a engagé un plan de 1,3 milliard d’euros sur huit ans pour mettre à disposition 20 000 chambres d’hébergement d’urgence.
La comparaison des chiffres et des visions n’est pas positive pour l’État.
Vous avez de grandes ambitions pour le logement en général. Or j’ai l’impression que, en matière d’hébergement d’urgence, chaque gouvernement, quel qu’il soit, le vôtre comme les précédents d’ailleurs, réagit au coup pour coup, le nez dans le guidon, sans aucune vision à long terme. Avez-vous des projets réellement structurels ? Pensez-vous mettre en œuvre un véritable plan de construction et de mise à disposition progressive d’hébergement, afin de ne pas avoir à toujours intervenir dans l’urgence ?
En tant qu’élu de Paris, je sais que des délégations de compétences sont possibles au conseil général de Paris. D’autres conseils généraux sont-ils dans ce cas ?