M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat de ce jour est un débat rituel. Il clôt la première partie du projet de loi de finances et marque l’interpénétration budgétaire entre la France et l’Union européenne. Je me dois de le rappeler, il s’agit d’une initiative prise par le président Poncelet en 1989.
Ce débat intervient cette année dans un contexte de grande négociation budgétaire. Je soulignerai quelques données avant d’évoquer mes espoirs et mes appréhensions.
Le premier élément de contexte est bien sûr la crise économique et budgétaire des États membres. L’Europe peut-elle se dispenser des efforts réalisés par les États eux-mêmes en matière budgétaire ? Deux logiques s’affrontent. Il est clair que la relance sera européenne ou ne sera pas. Par conséquent, il faut des moyens budgétaires à l’Union. Mais il est tout aussi évident que cet argent, si nécessaire, est prélevé pour l’essentiel sur les recettes fiscales des États membres.
Ainsi, 85 % de la participation française est issue de ces prélèvements nationaux, qui atteignent cette année 19 milliards d’euros, soit 300 euros par habitant et par an. Il s’agit de l’une des plus fortes participations par habitant de l’Union. Une part importante du financement d’autres États provient en effet des droits de douane aux frontières de l’Union, ce qui fausse un peu les comparaisons.
Une telle situation résulte d’une décision sur les ressources propres datant de 2007. À cette époque, nous avions sauvé la PAC dans le cadre financier pluriannuel 2007-2013, mais cette victoire avait été payée par une décision qui augmentait grandement notre contribution, laquelle est passée de 15,4 milliards d’euros en 2007 à 19,5 milliards d’euros cette année.
L’évolution est plus spectaculaire encore si l’on considère notre contribution nette, puisque notre solde est passé de moins 3 milliards d’euros en 2007 à moins 6,4 milliards d’euros en 2011. Je connais et partage les arguments opposables à ce décompte, mais lorsqu’il s’agit de débattre du budget européen, il n’est pas déplacé de rappeler ces chiffres.
Le contexte budgétaire est donc celui d’une participation accrue, en brut et en net, au budget européen. Une telle situation explique que se soit exprimée une demande de rigueur dans les affaires de l’Union. Dans une négociation budgétaire, les États comptent, trop, sans doute, mais c’est la règle du jeu suivie par tous.
D’ailleurs, la négociation, qui peut être très dure – on l’a vu la semaine dernière –, s’accompagne de quelques lueurs d’espoir.
L’avancée à mon sens la plus prometteuse concerne le financement du budget. En 2005, le Conseil européen s’était engagé à évoquer ce sujet. En 2011, le Parlement européen avait fait monter la pression pour débattre du financement. La Commission a fait ses propositions. Toutes ne seront pas retenues, mais ce qui restera me paraît fondamental. Je veux parler, bien sûr, de la taxe sur les transactions financières défendue par la France depuis longtemps. En effet quelques États s’engagent dans une coopération renforcée, c’est-à-dire autour d’un noyau dur d’États membres qui veulent aller plus loin dans l’intégration européenne. C’est un pas considérable, qui ouvre la voie à d’autres coopérations en matière fiscale, voire budgétaire, puisque le président Van Rompuy a même évoqué un budget spécifique pour la zone euro. Si cette coopération renforcée avance – je souhaite que tel soit le cas –, ce sera sans nul doute une étape importante pour la construction européenne.
Mais tout ne prête pas à satisfaction. Je pense même que la France ne s’engage pas dans la négociation budgétaire européenne avec les meilleurs atouts.
Pour notre pays, tout commence en décembre 2010, lorsque le Président de la République cosigne une sorte de lettre de cadrage demandant à la Commission une stabilisation du budget sans indexation sur l’inflation. La procédure suit son cours avec la présentation, en juin 2011, de la proposition de la Commission, révisée en juillet 2012. Une première proposition de conciliation de la présidence chypriote intervient en octobre 2012, et une seconde, du président Van Rompuy, en novembre 2012.
Parallèlement, les États se sont positionnés. Deux camps s’opposent : celui des amis du better spending, ou « dépenser mieux », mené par l’Allemagne, et celui des amis de la cohésion, mené cette fois par la Pologne, qui veulent surtout garder les fonds structurels. La paix budgétaire issue du cadre financier qui sera adopté est préparée par une série de crispations, voire une quasi-guerre budgétaire, que se livrent entre eux les États membres. C’est assez classique : chaque État défend ses positions et, en réalité, défend surtout ce qu’il a. Tous les États sont d’accord pour couper dans les crédits, mais surtout dans les crédits des autres. Il s’agit d’une procédure habituelle, toutes les négociations se déroulant de la même façon.
Je suis globalement confiant dans l’avenir, puisque j’ai la quasi-certitude que le Conseil parviendra à un accord à l’unanimité, soit dans les semaines qui viennent, c’est-à-dire en décembre, soit début 2013, vraisemblablement en janvier. Il est très probable que, comme à l’accoutumée, l’accord final se fera sur une base très proche de la position initiale des contributeurs nets. Il comprendra, hélas ! quelques dérogations, qui permettront aux États les plus réticents de signer l’accord.
Si je suis confiant sur l’accord global, je suis en revanche plus inquiet en ce qui concerne la position française. Dans une négociation budgétaire, l’avantage est toujours à celui qui a une stratégie, un objectif. Les Anglais veulent garder leur rabais, ils l’auront. Les Allemands veulent un budget correspondant à 1 % du revenu national brut, leur position est claire. Il faut admettre que la France a toujours eu une position plus ambiguë.
Voilà un an, notre pays s’était fixé deux objectifs : ne pas augmenter le budget global et maintenir le budget de la PAC. La nouvelle majorité a fixé des objectifs légèrement différents puisque l’on continue à privilégier un budget restrictif, tandis que les déclarations officielles clament aussi la nécessité de maintenir la part de la PAC dans le budget, de soutenir les fonds structurels – en particulier en France, bien sûr –, et de renforcer les politiques de compétitivité.
Nous avions hier deux objectifs, ce qui n’était déjà pas simple. Maintenant, nous en avons quatre, ce qui complique singulièrement les choses. C’est même la quadrature du cercle ! La lisibilité des revendications de la France en est très lourdement entachée.
On ne peut pas demander plus d’argent pour la PAC, la cohésion et la compétitivité, et, en sous-main, se ranger derrière l’Allemagne pour obtenir une baisse du budget. C’est la première faiblesse. Nous faisons preuve d’une sorte d’hypocrisie budgétaire, qui n’est pas à notre honneur.
Notre seconde faiblesse concerne le budget de la PAC. L’ancien Président de la République s’était prononcé pour le maintien du budget « à l’euro près » ; le nouveau Président s’est engagé à maintenir la part de la PAC dans le budget, ce qui n’est pas tout à fait la même chose, car lorsque le budget d’ensemble diminue, le montant qui revient à la PAC diminue également. C’est très probablement ce qui va se passer. La Commission avait fait une proposition sérieuse prévoyant 386 milliards d’euros sur sept ans sur la rubrique 2, ce qui revenait à reconduire le budget de la PAC à son niveau de 2013 sans l’indexer sur l’inflation. Ainsi, l’engagement de l’ancienne majorité était satisfait. Mais, dans la proposition de conciliation du président Van Rompuy, le budget de la PAC perd 22 milliards d’euros. Ce serait autant de moins pour nos agriculteurs. L’engagement de maintenir la part de la PAC dans le budget global sera respecté, mais – l’artifice est là – le volume diminuera. C’est une vérité que l’on doit aux Français. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Jean Arthuis, rapporteur spécial, applaudit également.)
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Simon Sutour.
M. Simon Sutour. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au préalable, je tiens à exprimer mon regret que, dans ce débat, la commission des affaires européennes ne dispose pas d’un temps de parole spécifique. Il me semble qu’il ne serait pas inutile de l’entendre en tant que telle lorsque le Sénat délibère sur le prélèvement au profit du budget européen. De fait, j’interviens au nom de mon groupe.
Le contexte de ce débat est difficile, pour ne pas dire empoisonné. Nous l’avons senti dans certaines interventions. Il l’est, d’abord, parce que la signification du vote que nous émettons n’est pas claire. Nous autorisons un prélèvement qui, en réalité, est une obligation découlant à la fois des traités et des décisions sur les ressources propres du budget européen. Nous avons approuvé, en leur temps, ces traités et ces décisions. Nous serions donc incohérents en refusant de remplir cette obligation.
À cet égard, je suis triste et déçu de la position qu’a adoptée l’un des deux rapporteurs spéciaux, notre collègue Jean Arthuis, qui appelle à voter contre cet article, tout en nous expliquant que, de toute façon, ce vote sera inopérant. Pour quelqu’un qui a toujours défendu des positions favorables à l’Europe dans cette enceinte, c’est quelque peu décevant.
M. Jean Arthuis, rapporteur spécial. J’ai le droit de pousser un coup de gueule !
M. Philippe Marini. Et cela fait du bien ! (Sourires.)
M. Simon Sutour. Mon cher collègue, vous exprimez votre point de vue, nous exprimons le nôtre ; nous respectons votre position, respectez la nôtre !
Mais ce qui empoisonne surtout le débat budgétaire européen, qu’il s’agisse du budget annuel ou du cadre financier pluriannuel, c’est la controverse permanente sur le solde net de chaque État.
M. Jean Arthuis, rapporteur spécial. Eh oui !
M. Simon Sutour. Cette controverse dure depuis près de trente ans. Il y a eu le rabais britannique, puis le « rabais sur le rabais » accordé à quatre pays, puis le plafonnement du rabais pour tenir compte de l’élargissement de l’Union.
À force de ravaudage, nous sommes arrivés à un système aussi complexe qu’injuste : le Royaume-Uni bénéficie désormais d’un traitement de faveur puisque sa contribution nette au budget européen est inférieure à celle de la France ou de l’Italie, ce dernier pays étant pourtant moins prospère. On ne peut pas continuer ainsi. Raisonner en termes de solde net, monsieur Arthuis, c’est nier tout ce que la construction européenne apporte ou pourrait apporter à chacun des pays membres. Les négociations budgétaires apparaissent comme un jeu à somme nulle où chaque gouvernement veut apparaître plus habile que les autres pour défendre des intérêts nationaux entendus dans le sens le plus étroit. (M. François Marc s’exclame.)
Imaginons ce que serait la discussion budgétaire dans notre pays si le sujet principal était ce que chaque région donne au budget de l’État et ce qu’elle en reçoit ! (M. André Gattolin applaudit.) Or tout se conjugue actuellement pour encourager cette vision restrictive du budget de l’Union. Les États membres, qui doivent réduire leurs déficits, cherchent naturellement à maîtriser leur contribution au budget européen.
La négociation du budget pour 2013 est empêtrée dans un conflit entre le Conseil et le Parlement européens. Celle qui porte sur le cadre financier pluriannuel n’a pas abouti lors du Conseil européen extraordinaire qui vient de se tenir.
Parallèlement, la situation de la Grèce appelle des décisions qui vont peser, d’une manière ou d’une autre, sur l’endettement des pays de la zone euro.
M. Jean Arthuis, rapporteur spécial. Et celle de Chypre aussi !
M. Simon Sutour. Tout est là pour que nous perdions de vue ce qui nous réunit et ce que nous récoltons en agissant ensemble.
On ne peut pas quantifier en termes budgétaires ce qu’a apporté la construction progressive du marché unique européen. Mais qui peut penser que, sans lui, les entreprises européennes auraient su s’adapter à la mondialisation ? Qui peut penser, en particulier, que la Grande-Bretagne aurait pu réussir son redressement sans sa participation au marché unique ?
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. C’est vrai !
M. Simon Sutour. Souvenons-nous de l’état de l’économie britannique à l’époque où elle restait en dehors de l’Union européenne !
On ne peut résumer l’Europe à une contribution et à un « retour » budgétaire. J’ai déjà eu l’occasion de le dire à cette tribune : la politique de cohésion coûte certes cher à la France. Toutefois, m’exprimant devant une assemblée qui compte en son sein de nombreux élus locaux et qui représente les collectivités locales de notre pays, je pose la question suivante : sans cette politique, que resterait-il de la politique d’aménagement du territoire ? Et quelle serait aujourd’hui la situation de nos départements d’outre-mer ?
À cet égard, nous avons voté à l’unanimité, ce qui ne leur en a donné que plus de force, deux propositions de résolution européenne, voilà une dizaine de jours. Je crois savoir que, lors du dernier Conseil européen, des avancées se sont fait jour en la matière, ce qui est positif.
C’est pourquoi, pour ma part, contrairement à notre collègue Jean Bizet, je suis reconnaissant au Gouvernement d’avoir rééquilibré la position française en cessant de considérer la politique de cohésion comme une variable d’ajustement. C’était d’autant plus nécessaire au vu de la proposition du commissaire Johannes Hahn de créer la catégorie des « régions en transition », création que le Sénat a soutenue par le vote, là encore unanime, d’une proposition de résolution européenne. La création de cette catégorie permettrait aux régions métropolitaines les moins développées de recevoir des moyens accrus, sans que cela diminue, j’y insiste, l’enveloppe des autres régions françaises.
De même, où en serait aujourd’hui l’agriculture européenne sans la politique agricole commune ? Je n’ignore pas les injustices et les carences de cette politique commune, qui privilégie à l’excès les grandes cultures au détriment des autres productions, notamment les productions méditerranéennes – la vigne, les fruits et légumes –, et ce alors même que les cours mondiaux sont élevés, mais reconnaissons aussi ce que cette politique représente pour la sécurité alimentaire de l’Europe et l’entretien de son territoire.
Si nous avions fait confiance aux marchés internationaux pour notre approvisionnement, comme le voulaient les Britanniques, que se serait-il passé lors de la crise de 2007 ? L’Europe n’aurait pu s’approvisionner, à grands frais, qu’au détriment des pays d’Afrique et d’Asie les plus pauvres. Est-ce vraiment le rôle que nous voulons lui voir jouer ? Je pourrais continuer cet exercice d’« Europe fiction ».
À cet égard, je veux dire que j’ai beaucoup apprécié l’intervention de notre collègue Pierre Bernard-Reymond, que j’ai trouvée juste. Je ne doute pas que, un jour, ses propos se traduiront dans la réalité.
Il est de bon ton aujourd’hui de s’interroger sur la monnaie unique, mais imaginons l’Europe avec des monnaies nationales lors de la crise de 2008-2009 ! Nous aurions vu certaines d’entre elles s’effondrer tandis que d’autres se seraient trouvées complètement surévaluées ; le marché unique serait alors devenu une fiction.
Il faut donc arrêter de ramener l’Europe à une bonne – ou mauvaise – opération comptable et plutôt se demander ce que nous attendons d’elle, quelles orientations nous voulons retenir pour la construction commune et définir ensuite quels sont les moyens nécessaires pour les traduire.
Je ne surprendrai personne en disant que je soutiens les deux grandes orientations défendues par le Président de la République, « l’intégration solidaire » et le soutien à la croissance. Mais je crois – en tout cas, je l’espère – que ce n’est pas par esprit partisan, car il me semble que ces orientations doivent pouvoir recueillir une large adhésion, au-delà des clivages politique nationaux. Lorsqu’il s’agit de l’Europe, ces clivages ne sont pas l’alpha et l’oméga et nous devons être capables de les dépasser.
Nous avons besoin de plus d’intégration. Nous savons désormais que la zone euro ne pourra fonctionner dans la durée sans une coordination bien plus étroite des politiques économiques et budgétaires.
Nous savons qu’il est indispensable de réaliser l’union bancaire pour ne pas retomber dans une crise analogue à celle dont nous subissons aujourd’hui les séquelles.
Et, sans relancer les controverses idéologiques, il faudra bien tirer les conséquences institutionnelles de cette exigence d’intégration renforcée.
Je voudrais à cet égard rappeler que, pour nous, tant le Parlement européen que les parlements nationaux doivent pouvoir jouer pleinement leur fonction de contrôle, y compris par des dispositifs interparlementaires appropriés.
M. Jean Arthuis, rapporteur spécial. Bien !
M. Simon Sutour. Nous sommes tous d’accord sur ce point.
Plus d’intégration doit aller de pair avec plus de solidarité.
M. Jean Arthuis, rapporteur spécial. Très bien !
M. Simon Sutour. Dès lors que nous partageons de plus en plus nos souverainetés, les uns ne peuvent réussir au détriment des autres. Cela suppose que nous avancions dans la mutualisation de la dette ainsi que dans l’harmonisation fiscale et sociale.
M. Jean Arthuis, rapporteur spécial. Il faut un gouvernement européen !
M. Simon Sutour. Avec le Fonds européen de stabilité financière et le Mécanisme européen de stabilité, nous avons déjà fait un pas considérable en termes de solidarité au sein de la zone euro, mais cette solidarité ne doit pas seulement se manifester pour les sauvetages : elle doit être la reconnaissance par les pays membres qu’ils réussiront ensemble ou qu’ils échoueront ensemble.
Enfin, nous attendons de l’Union qu’elle ouvre des perspectives de croissance à une Europe en stagnation. La nécessaire rigueur doit être contrebalancée par un soutien européen à l’activité. Cela peut passer dans certains cas par l’approfondissement du marché unique – je pense par exemple au brevet communautaire, cher à notre collègue Richard Yung, ou à la sécurisation du commerce électronique. Cela passe aussi – et surtout – par le soutien à l’investissement prévu dans le pacte de croissance, qu’il faut concrétiser plus rapidement.
Bon gré mal gré, la crise financière nous a fait entrer dans une nouvelle phase de la construction européenne. L’intégration solidaire et le retour à la croissance lui donneront un sens aux yeux des citoyens, parfois tentés d’en revenir aux égoïsmes nationaux. C’est dans cet esprit que, avec mon groupe, je voterai le prélèvement au profit du budget de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise des dettes souveraines que nous traversons nous rappelle chaque jour à quel point l’Europe est le meilleur bouclier de notre prospérité et du développement de notre continent. Il n’y a pas d’Europe forte sans un budget européen solide ; pour autant, un budget européen ne se mesure pas tant à l’évolution des crédits qui y sont alloués qu’à celle des dépenses qui y sont inscrites.
Avec nombre de nos collègues ici présents, je ne peux que m’insurger contre les dérives et les cafouillages qui entachent les négociations relatives au prochain budget pluriannuel de l’Union.
Le mal dont souffre l’Union européenne est propre à celui des grandes organisations. Nous privilégions trop, au niveau européen, les dépenses de fonctionnement et insuffisamment les investissements stratégiques.
J’évoquerai un investissement stratégique : Erasmus. En tant que vice-président de la commission des affaires étrangères et membre suppléant de la délégation française à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ainsi que membre de la délégation française à l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’OSCE, je voyage fréquemment et rencontre beaucoup de monde. Chaque fois que je m’entretiens avec des spécialistes des affaires internationales, qui portent un regard acéré sur le monde, je leur demande quel est le problème du monde aujourd’hui. Et chaque fois, à ma grande surprise, leur réponse est la même : ce n’est ni le problème israélo-palestinien, ni la mondialisation, ni la montée en puissance de la Chine, de l’Inde et du Brésil, c’est le manque d’éducation, c’est la rupture entre ceux qui sont formés et ceux qui ne le sont pas.
Pendant des décennies, le programme d’échanges Erasmus a permis à des centaines de milliers d’étudiants européens de voyager et de découvrir différents pays membres de l’Union. Le pilier de ce programme volontariste, ce sont les bourses d’études. Or ces dernières sont de plus en plus difficiles à financer et leur tarissement menace à moyen terme la survie du programme.
On pourrait se dire tout simplement que, si ce programme disparaît, c’est que la demande n’était plus au rendez-vous. Après tout, pourquoi voyager si l’on a Internet ? Pardonnez-moi ce trait d’ironie, mes chers collègues. Le tableau est bien différent. En France, le fossé se creuse de plus en plus entre ceux qui ont la possibilité de voyager et les autres.
Mes collègues de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, dont j’ai été membre, n’ont produit aucun rapport sur ce sujet, mais, chaque fois que je les interroge, ils me disent que là est le fossé, entre ceux qui peuvent voyager, qui maîtrisent les langues étrangères, et les autres.
Ce fossé existe dans tous les milieux sociaux et s’observe ensuite à tous les échelons du marché du travail, que ce soit au sein des entreprises, qui recrutent de plus en plus de membres de leur personnel dirigeant à l’étranger, ou dans l’administration – d’où mon intervention destinée à contester l’article 8 du présent projet de loi de finances –, où il est impensable de présenter un concours de catégorie A sans une solide formation et une riche expérience d’une langue étrangère.
Depuis son lancement opérationnel en 1993, Erasmus a contribué à tisser des liens d’amitié entre des millions de citoyens européens, entre des millions de familles. Un an après l’adoption par la France du traité de Maastricht, une véritable révolution était en marche, peut-être plus profonde et plus déterminante encore que la création de l’euro : je songe évidemment à la naissance d’une citoyenneté européenne qui soit véritablement vécue, ressentie et revendiquée comme telle, au-delà d’une simple mention sur un passeport.
À ce titre, je rappelle le constat que je viens de dresser : en France, ce fossé est profond, et Erasmus le comble en partie. Il faut le savoir, 100 % des étudiants qui passent par les grandes écoles se rendent à l’étranger et y suivent des stages, tandis que seul 1 % des étudiants de l’université bénéficient du programme Erasmus. C’est, avec la politique agricole commune, un des enjeux fondamentaux du budget européen !
Parallèlement, Vitor Caldeira, le président de la Cour des comptes européenne, dénonce les gabegies gestionnaires des institutions de l’Union, au premier rang desquelles le Parlement européen.
Mes chers collègues, vous connaissez les budgets du Sénat et de l’Assemblée nationale. Le budget du Parlement européen, c’est 1,2 milliard d’euros de frais de fonctionnement ! Cette assemblée croule sous l’argent et ne fait aucun effort de gestion. Je l’ai déjà dit bien des fois, et je le répète.
Construire le fédéralisme européen, ce n’est pas abandonner toutes les responsabilités à Bruxelles en se contentant de geindre et de se plaindre face aux décisions européennes ! Le fédéralisme européen, au sens où l’entendent les sénateurs du groupe UDI-UC, c’est laisser à chacun la juste place qui lui revient et sa juste compétence.
Le fédéralisme est donc à la fois un outil de simplification et de responsabilisation. Dans un système fédéraliste, chacun trouve sa juste place en accomplissant ce que lui seul peut faire.
Je vous parle du fédéralisme parce que je considère que ces dysfonctionnements, que trahit le budget européen, ont une seule et unique cause : en dépit de nos vœux pieux, nous freinons des quatre fers dès lors que l’on aborde la logique fédéraliste.
La politique de basse cuisine qui se joue parfois entre les États au niveau du Conseil ou de la Commission, par commissaires interposés, peut aboutir à des aberrations gestionnaires en termes de politiques publiques.
À ce titre, je ne citerai qu’un seul exemple. Depuis le 1er janvier 2009 et l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l’Union européenne a adhéré formellement à la Convention européenne des droits de l’homme qui, en un demi-siècle, est parvenue à créer le plus fantastique espace de protection des droits et des libertés fondamentales que l’histoire ait sans doute jamais connu.
Or, dans le même temps, et du fait du Conseil de l’Europe, il aura suffi que l’Autriche réclame une action spécifique de l’Union sur la question des droits de l’homme pour qu’apparaisse une agence des droits de l’homme – dont le siège est à Vienne – et un nouveau commissaire européen, le tout pour un coût de presque 100 millions d’euros, si mes chiffres sont exacts.
Évidemment, ce volume budgétaire semble négligeable au regard de la masse financière globale, mais toutes ces vétilles mises bout à bout nous renvoient aux insuffisances propres au pilotage stratégique du budget de l’Union européenne. L’Europe a besoin d’un budget plus solide, mieux construit et mieux employé. Le chantage auquel nous contraint David Cameron au nom du sacro-saint rabais britannique est un scandale politique.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes à la croisée des chemins. L’Europe est au bord du saut fédéral que, sur les travées centristes, nous appelons de nos vœux depuis des décennies.
Jusqu’à présent, les institutions fédérales de l’Union ont été le meilleur pare-feu à la crise. La Banque centrale européenne – celle-ci nous a peut-être sauvés ; Mario Draghi nous a peut-être sauvés – a joué son rôle en matière de politique monétaire fédérale. C’est désormais au Conseil, à la Commission et au Parlement européen d’assumer leurs responsabilités en matière budgétaire.
Le budget fédéral optimal pour l’Union européenne est évalué, par de nombreux économistes, à 5 % du PIB continental : or, le budget stagne actuellement à 1 % du PIB européen. Nous ne pourrons parvenir à cette masse critique qu’en apurant les pratiques budgétaires de l’Union des kystes gaspilleurs qui ne font qu’alimenter l’euroscepticisme de nos concitoyens.
À long terme, nous devons mener une réflexion plus large quant aux ressources de l’Europe. Il est normal que les États participent au budget communautaire, mais cet étrange système de « retour sur investissement » via les fonds structurels et les subventions accordées doit être repensé.
À ce titre, je m’adresse au gouvernement socialiste, qui adore créer de nouveaux impôts : à court terme, il faudra bien que nous instaurions un impôt européen. Sur ce dossier, les centristes vous soutiendront ! Vous pourrez créer toutes les nouvelles taxes possibles et imaginables, quoi qu’il en soit, l’impôt européen apparaîtra, en définitive, comme une nécessité.
Mes chers collègues, nous ne pouvons plus nous comporter en contempteurs et en débiteurs de la politique budgétaire européenne. Cette dernière doit être responsabilisée, avant de pouvoir être véritablement fédéralisée et de devenir un levier du développement économique de notre continent.
Tous les trois ans, la branche publique de la CIA, le National Intelligence Council, ou NIC, publie un rapport intitulé Global Trends, consacré aux perspectives stratégiques du monde à vingt ans d’échéance.
Ce rapport, dans lequel les États-Unis évoquent l’Europe, constate les difficultés qu’éprouve l’Union à devenir une entité fédérale, non pour les déplorer mais bien pour s’en réjouir ! De fait, les Américains considèrent que l’incapacité des Européens à s’unifier n’est certainement pas une catastrophe pour eux.
Lisez ce document – ce rapport n’est pas encore traduit en français, il est simplement cité dans un article de la revue France Forum, écrit par M. Adler –, qui est très intéressant.
À mon sens, nous, Français, devons prouver que l’Europe peut se construire. Ainsi, nous ferons mentir les Américains, qui considèrent qu’elle ne doit pas advenir, dans la mesure où elle contrarierait leur système de déstabilisation de l’ensemble du monde. (Mme Sylvie Goy-Chavent et M. Vincent Delahaye applaudissent.)
(M. Thierry Foucaud remplace M. Jean-Claude Carle au fauteuil de la présidence.)