compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Pierre Bel
Secrétaires :
M. Marc Daunis,
M. Jean Desessard.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Rappel au règlement
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour un rappel au règlement.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, mon rappel au règlement est relatif à l’organisation de nos travaux.
Avant que le Sénat n’entame l’examen de cette séquence européenne, constituée par le débat sur la politique européenne du Gouvernement, la discussion du projet de loi de ratification du traité budgétaire européen et, enfin, celle du projet de loi organique qui découle de ce dernier, soit l’application de la règle d’or dans notre pays, je tiens à m’étonner de l’ordonnancement de ces débats au Parlement.
Il me semble en effet que l’Assemblée nationale, après avoir examiné dans une certaine précipitation le projet de loi de ratification du traité ait examiné dans la foulée, lundi 8 octobre, le projet de loi organique appliquant ce traité dans notre droit interne. Est-il acceptable que l’Assemblée nationale vote solennellement ce texte cet après-midi même alors que le Sénat, chambre du Parlement à part entière, n’a pas débuté à son tour l’examen du projet de loi de ratification du traité signé par Mme Merkel et M. Sarkozy, projet de loi qui, je le rappelle pour être claire, légitime l’existence même de la loi organique ?
De toute évidence, soit cet état de fait est l’aveu d’une méconnaissance du principe de la navette parlementaire, ce que, bien évidemment, nous n’osons croire, soit il indique que les débats sénatoriaux relèvent de la simple formalité.
De surcroît, nous avons appris que, lundi prochain, se tiendrait à l’Assemblée nationale un débat à caractère officiel « sur la prise en compte des orientations budgétaires européennes par le projet de loi de finances pour 2013 dans le cadre du semestre européen ». Ce débat n’aura pas lieu dans l’hémicycle du Palais-Bourbon mais salle Lamartine, en raison – et cela m’amène à soulever une autre question – de l’intervention de membres extérieurs à l’Assemblée nationale, en l’occurrence un membre de la Commission européenne et des présidents de commissions du Parlement européen.
Un tel débat, retranscrit au Journal Officiel, se déroulera pour la première fois ! Comment ne pas y voir l’anticipation de l’application de la mise sous tutelle du Parlement national par les autorités européennes alors que le Sénat n’aura pas commencé à examiner le projet de loi organique, qui, je le rappelle, introduit justement ce mécanisme de tutelle, en particulier au travers de la création du Haut conseil des finances publiques.
M. Jean Bizet. Cela fait désordre !
Mme Éliane Assassi. Aussi, monsieur le président, je crois qu’il serait bon de rappeler qu’il ne faut pas confondre vitesse et précipitation et qu’il y va du sérieux et de la dignité de nos débats d’éviter au Sénat d’être ainsi mis devant le fait accompli. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et de l'UMP.)
M. Jean-Claude Lenoir. Bravo ! Où est la majorité sénatoriale ?
M. le président. Madame Assassi, je vous donne acte de votre rappel au règlement, en soulignant que l’ordre du jour a été fixé par la conférence des présidents.
3
Nouvelles perspectives européennes
Déclaration du Gouvernement suivie d'un débat
M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur les nouvelles perspectives européennes, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution.
La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste et du RDSE.)
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a des votes qui marquent plus que d’autres notre histoire commune,…
M. Jean-Jacques Hyest. C’est bien vrai !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. … en particulier l’histoire parlementaire, et celui auquel je vous invite cet après-midi engage l’avenir de notre pays.
Ce n’est pas simplement un traité européen de plus que le Gouvernement soumet à votre approbation, c’est un choix d’avenir que je vous invite à faire, celui de garantir la zone euro, de maintenir la France dans la zone euro plutôt que, comme certains le préconisent – ou, tout en ne l’assumant pas, agissent en ce sens – de prendre le chemin inverse.
C’est aussi le choix de la confiance dans la capacité de l’Union européenne à repartir de l’avant plutôt que celui de la défiance.
Je sais que, dans votre immense majorité, vous êtes attachés à notre destin européen et vous avez conscience de la responsabilité particulière de la France, dont la voix porte haut et fort en Europe, parce qu’il n’y a pas d’Europe sans la France.
La réalité, c’est que l’Union européenne est la première puissance économique et commerciale du monde. C’est grâce à elle que nous avons les moyens de peser dans les instances internationales pour défendre notre économie, promouvoir nos standards sociaux et environnementaux. C’est grâce à l’euro que nous n’avons plus à subir des dévaluations dévastatrices pour le pouvoir d’achat des plus modestes.
Ma conviction, qui est aussi celle, je le crois sans préjuger de votre vote, de la majorité de cette assemblée, c’est que la France ne se relèvera pas durablement et efficacement sans l’Europe. Mais, en même temps, elle ne le fera et ne pourra le faire que si l’Europe change.
Car l’Europe est en crise et l’urgence est là. Nous ne votons pas dans la précipitation, cet après-midi. Reporter les décisions serait commettre une faute et prendre une lourde responsabilité. La croissance est au plus bas dans la zone euro ; le chômage et la pauvreté progressent. Même nos partenaires de l’Europe du Nord ne sont plus à l’abri du ralentissement et, malgré les efforts accomplis, nos partenaires du Sud continuent de subir les effets de la récession.
Partout, au sein de l’Union, la crise économique frappe durement les peuples, qui perdent peu à peu confiance dans la construction de l’Europe. Celle-ci n’est plus perçue par un grand nombre de nos concitoyens, en France et en Europe, comme le projet partagé et mobilisateur que nous avons connu il y a quelques années.
Sur l’ensemble du continent, le populisme prospère, les égoïsmes nationaux, le refus de la solidarité gagnent peu à peu du terrain. Si nous refusons toute avancée au motif que nous la trouvons insuffisante, ce sont ces forces-là, celles du repli, celles du renoncement, qui finiront par l’emporter.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ma volonté, la volonté du Gouvernement, c’est de réorienter la construction européenne, conformément aux engagements que le Président de la République a pris devant le pays en mai dernier.
Nous sommes des Européens convaincus, mais nous sommes aussi en désaccord avec le chemin qui a été suivi depuis dix ans. (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.) Pour faire face à la crise et à ses conséquences désastreuses, les sommets – de la dernière chance, comme on les appelait, les uns après les autres – se sont succédé, sans apporter de réponses de fond satisfaisantes. Les gouvernements européens se sont contentés d’appliquer des politiques de rigueur budgétaire. Mais, sans le soutien à la croissance – et l’actualité nous le rappelle –, la réduction des déficits, seule, ne peut que conduire à la récession.
Voilà pourquoi il est indispensable de faire bouger les lignes en Europe. C’est le mandat que les Français ont confié au Président de la République, et ce mandat, à ce stade, a été respecté.
Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, la réorientation de l’Europe est en cours et c’est cette réorientation décisive pour l’avenir de notre maison commune que je suis venu vous demander de soutenir aujourd’hui, pour qu’elle en soit consolidée et surtout amplifiée.
Vous allez voter pour ou contre la ratification du traité. Mais, à travers votre vote, c’est sur la réorientation de l’Europe que vous vous prononcerez. La première des exigences démocratiques, c’est de se prononcer sur le traité en toute connaissance de cause. II m’appartient donc d’écarter certaines interprétations volontairement erronées.
Certains parlementaires parmi les mieux disposés ont pu ainsi s’inquiéter à un moment de l’introduction d’un carcan constitutionnel bridant nos finances publiques. Le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur ce sujet. J’entendais d'ailleurs hier un député, qui a voté contre l’introduction de cette règle, dire que cette décision était politique : pour certains, quand une décision du Conseil constitutionnel va dans leur sens, elle est due à la sagesse de l’institution, mais quand la décision ne leur convient pas, ils en stigmatisent le caractère politique… Quoi qu’il en soit, le Conseil constitutionnel s’est prononcé et nulle « règle d’or » ne sera inscrite dans notre loi fondamentale. Le Conseil n’a pas jugé qu’il était nécessaire de modifier la Constitution et, de ce point de vue, il n’y a pas de transfert de souveraineté, ce qui est très important pour une assemblée parlementaire, que ce soit l’Assemblée nationale ou le Sénat.
Comme je l’ai dit devant l’Assemblée nationale, le traité lui-même ne comporte aucune contrainte sur le niveau de la dépense publique, il n’impose pas davantage de contrainte sur sa répartition, il ne dicte pas la méthode à employer pour rééquilibrer les comptes. Quelques heures après, à la radio, un ancien Premier ministre, mon prédécesseur, m’a qualifié d’irresponsable. Pourtant, je ne faisais qu’affirmer que la souveraineté du Parlement sur le vote du budget était préservée.
Il s’est trouvé qu’au même moment je rencontrais le ministre des affaires étrangères de la République fédérale d’Allemagne à l’occasion de la fête de l’unité allemande, qui m’a félicité. Je n’attendais pas de félicitations pour mes discours, mais il m’a félicité d’avoir affirmé devant l’Assemblée nationale que la souveraineté parlementaire sur le budget était préservée. « Nous, Allemands, m’a-t-il dit, nous revendiquons aussi la souveraineté budgétaire. »
Ce n’est pas parce que nous avançons dans la direction d’une discipline collective assumée sur les déficits et les grands équilibres, ce n’est pas parce que nous avançons vers une plus grande coordination de nos politiques économiques, de nos politiques budgétaires et fiscales que, pour autant, nous devons abandonner notre souveraineté. Comme l’a exprimé le Conseil constitutionnel, c’est vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qui continuerez à voter le budget de la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Encore heureux !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. D’ailleurs, le traité qui vous est soumis est plus souple que le traité de Maastricht, que beaucoup avaient voté mais que d’autres avaient contesté. Et, nous le savons, la contestation de la construction européenne depuis le début, celle de la création d’une monnaie unique, et certains points de vue qui perdurent étaient déjà présents dans l’opposition à Maastricht. Mais justement, avec ce nouveau traité, le principe de l’équilibre du solde structurel des dépenses publiques autorise les États à prendre des mesures adaptées pour faire face aux situations de crise économique.
J’ajoute qu’il est un peu facile, devant les difficultés particulièrement graves que connaît notre pays, de se défausser sur l’Europe et de prétendre que ce que le Gouvernement entreprend pour redresser les finances publiques, pour améliorer la compétitivité de notre pays, pour redonner à la France des marges de manœuvre afin de revendiquer sa pleine souveraineté ne serait qu’une exigence de l’Union européenne, voire du traité que vous allez ratifier.
Eh bien non, ce n’est pas cela ! C’est notre libre arbitre, notre décision souveraine qui nous fait dire : stop, cela suffit, on ne peut pas continuer avec de telles situations de déficit, de dettes, qui plombent notre pays, qui l’affaiblissent et qui conduisent à son déclin, ce que nous refusons.
La loi de finances pour 2013, je le revendique ici au nom du Gouvernement, n'est que la reconquête de nos marges de manœuvre et de notre autonomie. Le premier budget de la France ne doit plus être celui du remboursement des intérêts de la dette ; le premier budget de la France doit être celui de l'investissement dans l'industrie et dans les priorités qui sont à privilégiées pour le redressement du pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Ces priorités, vous les connaissez, mesdames, messieurs les sénateurs : il s’agit de l'éducation – le Président de la République l'a rappelé encore hier –, de l'emploi, de la sécurité, de la justice, du logement et du financement de notre protection sociale.
À ceux qui nous disent que rien n'a changé depuis le mois de juin,…
Plusieurs sénateurs de l’UMP. Ce qui est vrai !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. … je réponds que, si la lettre du traité reste bien sûr la même, l'esprit dans lequel il sera mis en œuvre est profondément différent ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Rires et exclamations sur les travées de l'UMP.)
Mesdames et messieurs les sénateurs, grâce au paquet européen que nous avons obtenu, nous aurons désormais les moyens d'affronter la crise avec plus d'efficacité.
M. Jean Bizet. Chiche !
M. Charles Revet. Il était bien négocié !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Le vote auquel je vous invite est donc aussi un vote de confiance dans la politique européenne engagée depuis quatre mois.
M. Jean Bizet. Il ne s’est rien passé !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Si nous avons réussi à atteindre un certain nombre d'objectifs, c’est bien parce qu’il y a eu une négociation. Mesdames et messieurs les sénateurs de l'UMP, dès le lendemain de sa prise de fonctions, le Président de la République a demandé un rééquilibrage à nos partenaires…
M. Jean Bizet. Mais non !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. … avec l'appui de plusieurs pays européens, y compris de gouvernements conservateurs.
Je reviens du sommet franco-espagnol. Que je sache, le président Rajoy n'est pas socialiste ; et pourtant, il a, les 28 et 29 juin dernier, soutenu les efforts de la France pour une réorientation de l'Europe en faveur de la croissance. Et il n'était pas le seul ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Didier Guillaume. Eh oui !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Au mois de juin a été obtenu le pacte pour la croissance et l'emploi, qui donne une nouvelle chance à l'Europe. Je rappelle que la Banque européenne d'investissement a reçu l'accord pour une recapitalisation dès le premier trimestre de 2013. On me dit que c’était déjà acquis ; mais c'est faire preuve de légèreté que de dire cela !
En effet, il fallait l'accord des 27 États membres. Avant l’élection présidentielle, lorsque nous proposions d’augmenter le capital de la BEI afin de financer les projets structurants, c’était « non ». C'est bien parce que les Français ont signifié par leur vote, le 6 mai dernier, qu’un tournant était nécessaire que les choses ont bougé. Au total, ce sont donc 120 milliards d'euros qui seront financés, soit – je le signale pour ceux qui disent que c’est peu – l'équivalent d'une année du budget communautaire.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Combien pour la France ?
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Quant à l’union bancaire, elle est également en marche. D’ici à la fin de l’année 2012, il est indispensable que les décisions prises soient mises en œuvre, c'est-à-dire la supervision intégrée des systèmes bancaires pour toutes les banques de la zone euro, adossée à la Banque centrale européenne, qui sera le superviseur.
À ce propos, que n'a-t-on entendu ces dernières années sur le rôle que la BCE aurait dû jouer ! Je fais d'ailleurs partie, avec d’autres, de ceux qui estimaient qu’elle devait pouvoir intervenir pour que les marchés ne pénalisent pas les États, en particulier ceux qui font des efforts en vue du redressement de leur économie. Lorsqu’ils sont obligés d'emprunter à 5 % ou 6 %, ce sont leurs politiques qui sont mises en cause, leurs efforts qui sont pénalisés et leur peuple qui souffre toujours plus.
Nous avons demandé une intervention de la Banque centrale européenne. Croyez-vous que, s'il n'y avait pas eu cette décision politique, si le contexte n'avait pas changé, elle aurait pu intervenir comme elle le fait ? Voilà un changement dont il faut se féliciter ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Quant à la taxe européenne sur les transactions financières, là aussi, on nous dit qu’elle était acquise. Mais vous savez bien que ce n'est pas vrai ! Cela fait des années que nous nous battons pour qu’elle soit instaurée. Même un pays réticent comme l'Espagne – le président Rajoy l'a confirmé il y a quelques instants au Président de la République – rejoint les dix autres États qui ont décidé d’une coopération renforcée pour mettre en place cette taxe. Voilà encore un résultat à notre actif ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Oui, nous en avons fait la preuve, la France n'est pas isolée en Europe, elle a réussi à créer un mouvement, qu’il faut s’attacher à renforcer. De ce point de vue, la ratification du traité est non pas la fin ultime, mais un moyen, une étape nécessaire, pour que des solutions durables et plus volontaires encore puissent permettre un redémarrage de la croissance dans la zone euro et dans toute l'Europe. Je le redis, il y a urgence à amplifier ce mouvement.
Les programmes de stabilité financière n'ont pas suffi. Tant que l’hypothèse d’une sortie de certains États de la zone euro, en particulier de la Grèce, ne sera pas définitivement écartée, les marchés continueront d'imposer à certains pays parmi les plus vulnérables des primes de risque qui asphyxient leur économie et ruinent leurs efforts.
C'est pour cela que nous avons aussi confirmé aujourd’hui que l’Espagne et la France ne voulaient pas – nous ne sommes pas les seuls, l'Allemagne l'a confirmé également lors du déplacement de Mme Merkel à Athènes – laisser tomber la Grèce. Nous devons non seulement aider la Grèce et consolider sa situation, mais faire de même pour la zone euro tout entière. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Plancade. Très bien !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, notre réponse doit aussi passer par l'approfondissement de l'union économique et monétaire, qui sera une nouvelle étape de notre histoire commune. C'est ce que le Président de la République a appelé l'intégration solidaire. Il faut, pour cela, réformer le fonctionnement même de l’Union économique et monétaire afin qu’il réponde à trois exigences.
La première, c’est de mettre en place une coordination des politiques économiques, ce que nous avons appelé depuis des années le gouvernement économique de la zone euro.
La deuxième exigence, c’est l’équilibre qui doit être trouvé entre le développement de mécanismes financiers de solidarité et la vigilance budgétaire. La zone euro doit disposer d’instruments budgétaires et financiers communs pour permettre aux pays qui rencontrent des difficultés de les surmonter et de retrouver le chemin de la croissance. Il ne peut pas y avoir d’Europe sans solidarité. Les pays qui en ont besoin doivent pouvoir désormais bénéficier du mécanisme européen de stabilité puisqu'il a été officiellement mis en place.
Agissons sans attendre et ne cherchons pas toujours un prétexte pour retarder les décisions !
La France est favorable à ce que l’on aille même plus loin, vers une mutualisation d’une partie de la dette par l’émission d’eurobonds. Elle est aussi favorable à une nouvelle législation bancaire qui sépare la gestion des dépôts des activités à risque. Nous voulons que la finance, en France comme en Europe, soit exclusivement mise au service de l’économie, et non de la spéculation. Cette réforme bancaire, à la suite du rapport Liikanen, nous la ferons, mais nous souhaitons qu'elle soit également réalisée à l'échelle de l’Europe tout entière.
La troisième exigence, c’est la légitimité démocratique. Il n’y aura pas d'étape supplémentaire dans l'approfondissement de l'Europe et dans son intégration solidaire sans adhésion des peuples. Dans le processus de décision, l’articulation entre le niveau européen et le niveau national doit faire l’objet d’une attention particulière, et cela doit passer autant par une reconnaissance accrue du Parlement européen que par la place consacrée aux parlements nationaux.
Aller plus loin, c’est aussi relever le défi de l’Europe sociale, qui n’a jamais bénéficié du même niveau de priorité que la mise en œuvre du marché unique et de l’intégration monétaire. Il faut que l’Europe sociale arrête d’être un slogan pour devenir une réalité. Je pense à la lutte contre le chômage de masse, les exclusions et les discriminations sociales. En favorisant la convergence sociale et fiscale sur notre continent, nous réconcilierons l’Europe et les citoyens.
Œuvrer pour la convergence fiscale, cela signifie concrètement que la concurrence fiscale déloyale doit être combattue. La France mènera cette bataille au niveau européen. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Quant à l'éducation et la formation tout au long de la vie, vous le savez, c'est une priorité nationale. La France plaidera pour que tous les Européens, quel que soit leur niveau de qualification, aient la possibilité de se former dans un autre pays de l’Union européenne. Elle veillera au respect du principe de subsidiarité, parce qu'il faut tourner la page des dérives et en finir avec l’Europe des pratiques tatillonnes et des règlementations inutiles. Vous en connaissez tous des exemples, aussi ne m'étendrai-je pas sur ce point. L’Europe doit se concentrer sur ses missions essentielles.
Nous, Français, sommes particulièrement attachés à la question des services publics, même si nous ne sommes pas les seuls en Europe. La France travaillera donc à l’élaboration d’une directive-cadre sur les services d’intérêt économique général pour préserver la conception des services publics qui est la nôtre.
L’Europe doit se doter, enfin, d’une grande politique industrielle, qui ne peut se réduire aux règles de la concurrence. Nous avons souvent le sentiment que la politique économique et industrielle de l'Europe repose sur la seule loi de la concurrence. Nous savons bien que cela ne peut pas marcher ! Cette politique doit passer par l’engagement de deux grands chantiers, celui de l’innovation et celui de la réindustrialisation. La recherche européenne est performante, mais elle ne se traduit pas suffisamment en projets innovants. Nous devons maintenant inventer les « Airbus » de demain, éliminer les freins à l’innovation et relever le défi de la compétitivité.
Le Président de la République s’est aussi prononcé pour une communauté européenne de l’énergie et pour une politique environnementale à l’échelle du continent. Voilà un formidable défi pour l’avenir ! Si nous savons y consacrer les moyens nécessaires, la transition énergétique sera au cœur du processus de croissance verte et permettra la création de millions d’emplois en Europe.
Pour améliorer notre compétitivité, nous avons besoin d’une Europe qui sache défendre ses intérêts à l'échelle du commerce mondial. Cette politique doit être fondée sur le juste échange et la réciprocité et elle doit être mise en œuvre au niveau européen. Si nous voulons préserver nos intérêts, ceux de notre pays, mais aussi ceux de l'Europe, à l'échelle du commerce mondial, il nous faut promouvoir, affirmer et imposer des règles du jeu qui prennent en compte notamment les normes sociales et environnementales, auxquelles nous, Européens, sommes particulièrement attachés.
Très souvent, l’Europe fait preuve de naïveté même vis-à-vis de partenaires parmi les plus avancés et les mieux intentionnés, qui savent aussi préserver leurs intérêts. Elle doit être capable de faire face – nous y veillerons – à des concurrents qui n’hésitent pas à défendre pied à pied leurs positions.
C'est l'une des conditions de la confiance des Européens dans l'Europe. C’est aussi ce qui permettra à l’Europe de continuer d'exister avec force sur le plan économique et commercial ; sinon, nous amorcerons, non seulement à l'échelle de la France, mais aussi à celle de toute l'Europe un déclin dont nous ne voulons pas.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les dirigeants européens auront aussi à se prononcer sur les perspectives financières et budgétaires de l'Europe. La majorité précédente avait fait de la baisse de la contribution française sa seule priorité. Telle n'est pas la volonté de mon Gouvernement. Nous sommes favorables à son maintien à un niveau élevé, en tenant bien évidemment compte des contraintes budgétaires de chacun, y compris des nôtres.
En effet, si l’on s’inscrit dans une logique de pure baisse, rien ne sert de faire des discours sur la défense de la politique agricole commune, sur la cohésion, sur les fonds structurels ou encore sur le Fonds social européen ! Le niveau du budget doit être suffisant.
Sur ce plan, un accord doit être trouvé, en particulier avec l’Allemagne. Il y va de la défense des intérêts de l’Europe, comme de ceux de la France !
Mesdames, messieurs les sénateurs, soyons cohérents ! Je vous appelle à être vigilants sur ce point ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Hier, à l’Assemblée nationale, les députés ont ouvert la voie à la ratification du traité. Avec 477 voix contre 70, une très large majorité s’est exprimée en sa faveur.
Plusieurs sénateurs de l’UMP. Avec les voix de droite !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Certes, les députés de gauche n’ont pas été les seuls à voter pour ce traité, et c’est tant mieux ! (Rires sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. François Zocchetto. Merci qui ? (Sourires sur les mêmes travées.)
M. Philippe Marini. Vous acceptez nos voix ? (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Si tel n’avait pas été le cas, cela aurait signifié que la tactique l’aurait emporté sur l’intérêt national !
Soyez assurés que, pour ma part, je n’ai qu’une préoccupation : l’intérêt de la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
De ce point de vue, le vote du Sénat sera, lui aussi, décisif. Plus le vote sera large, plus l’élan que vous donnerez sera vaste, plus vous donnerez de chances à la réorientation de l’Europe, qui doit absolument se poursuivre, dans l’intérêt des Européens. Cette réorientation est en marche ; elle doit être confortée. Telle est la volonté que les Français ont manifestée par leur vote, et c’est le vote du Parlement qui en garantira la mise en œuvre.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie à l’avance du soutien que vous nous apporterez. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste et du RDSE.)