M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Nous l’avons fait !
Mme Catherine Morin-Desailly. Au Sénat, le groupe centriste a adopté une position constante depuis 2002 : un service public de qualité, avant tout financé par des fonds publics, pérennes et dynamiques, seuls garants de l’indépendance, ne venant pas grever les finances de l’État, autrement dit, un service public financé par une redevance indexée et raisonnablement réévaluée.
La question de la redevance, que j’avais proposé de rebaptiser « contribution à l’audiovisuel public », a longuement occupé nos débats. Nous avions adopté plusieurs mesures à son sujet, dont la revalorisation du montant et l’indexation sur le taux d’inflation. Nous aurions voulu, à l’époque, aller plus loin.
Encore aujourd’hui, l’évolution de la contribution à l’audiovisuel public reste l’un des sujets importants, si ce n’est le plus important, pour l’avenir de l’audiovisuel public. Les incertitudes qui pèsent aujourd’hui sur le financement de France Télévisions, notamment la taxe sur les fournisseurs d’accès à internet, sur laquelle nous avions émis des réserves, voire manifesté notre hostilité, mettent une fois encore l’accent sur l’insuffisante pérennisation des ressources de l’audiovisuel public.
Une chose est sûre, la contribution à l’audiovisuel public doit être renforcée. Ce renforcement doit-il passer exclusivement par une hausse, comme cela vient d’être annoncé ? Avant même de nous prononcer sur cette hausse et son montant, nous plaidons, comme je l’ai encore fait lors de l’examen du dernier projet de loi de finances, pour un élargissement de l’assiette.
Le système proposé est simple : une taxe d’habitation, une contribution à l’audiovisuel public. Le principe d’une contribution par taxe d’habitation paraît à la fois juste et simple à appliquer, avec un rendement évalué entre 200 millions et 250 millions d’euros.
Malheureusement, cet amendement n’avait pas été adopté par l’actuelle majorité sénatoriale. Cela étant, madame la ministre, à une époque où vous étiez encore députée, vous vous déclariez favorable, me semble-t-il, à une telle extension, donc à la proposition issue de mon rapport d’information de 2010, avec une taxation équivalente à la moitié de celle qui s’applique aux résidences principales. (Mme la ministre de la culture et de la communication opine.)
Il faudra donc que cela se concrétise lors de l’examen du budget pour 2013.
Autre proposition que vous avez reprise en juillet, madame la ministre, l’application de la contribution à l’audiovisuel public aux terminaux informatiques si ceux-ci servent de récepteurs à la place d’un écran classique. Vous avez été contredite par le ministre délégué au budget ; qu’en est-il aujourd’hui ?
Si tout le monde doit participer au redressement des comptes publics, il faut aussi que l’on mesure bien l’ampleur du chantier demandé à France Télévisions et les engagements contractés, mais surtout le calendrier imposé pour réaliser les 100 millions d’euros d’économies que vous exigez.
Des économies, une rationalisation de la gestion, cela faisait partie des objectifs à atteindre avec la constitution de l’entreprise unique. Mais n’oublions pas qu’une réforme a dans un premier temps un coût et que les économies viennent après. N’oublions pas non plus que la loi garantit la compensation intégrale de la perte des ressources publicitaires après 20 heures.
Je ne dirai enfin que quelques mots de la stratégie éditoriale, compte tenu du temps qui m’est imparti.
Il est de bon ton de dire que peu de chose a changé. Indéniablement, la question de France 3 reste posée, une chaîne qui doit assumer sa vocation territoriale ; mais, depuis 2010, le bouquet des chaînes a pris de la couleur, et ce sur tous les supports – nous avions réclamé cette vraie évolution. France Télévisions s’est efforcée de maintenir ses obligations en matière de production audiovisuelle, participant à plus de 60 % à la création française. Tout un secteur, et de nombreux emplois, sont concernés.
En conclusion, la trajectoire budgétaire prévue dans le plan d’affaires a été respectée, avec la priorité donnée aux programmes, comme l’exigeait la réforme. Beaucoup de chemin reste à parcourir, bien sûr, mais nous aurons d’autres rendez-vous pour en parler. (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)
M. Michel Mercier. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2013, examiné en conseil des ministres, prévoit une baisse de 85 millions d’euros des ressources de France Télévisions, soit une diminution de 3,4 %. Comme l’a souligné à juste titre M. Assouline, cette mesure avait été annoncée depuis plusieurs années.
Le débat qui nous réunit aujourd’hui nous permet de revenir sur cette loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, donc également sur son financement, qui reste son point faible.
J’en profite pour dire que j’ai lu avec beaucoup d’attention le rapport d’information de MM. Assouline et Legendre, qui est très intéressant et de grande qualité, même si nos appréciations divergent parfois. Ce travail nous permet aujourd’hui de porter un regard, certes un peu rapide – comme l’a dit M. Legendre –, sur cette question, mais nous avons tout de même pratiquement quatre ans de recul.
En 2009, on nous disait qu’il fallait réformer la gouvernance de France Télévisions, l’entreprise unique et le média global permettant de créer un modèle économique viable... J’étais et reste d’accord avec la démarche.
On nous a dit qu’on allait supprimer la publicité à partir de 20 heures, pour se soustraire au « diktat de l’audimat » et favoriser ainsi des émissions culturelles et créatives. Nous restons aussi d’accord sur ce point ; d’ailleurs, revenir sur cette mesure serait un recul. La recette publicitaire sera remplacée par une subvention de l’État… C’est là, de notre point de vue, que commence le désaccord, comme je l’avais dit à l’époque.
Qu’en est-il de tout cela ? Une télévision qui ne trouve toujours pas son modèle économique, et pour cause... Le nouveau modèle culturel qui devait s’ensuivre n’est pas au rendez-vous et, même si, je le reconnais, cette demi-mesure constitue un progrès - je suis favorable à la suppression totale de la publicité à la télévision - elle a cependant un effet pervers sur la jeunesse qui, elle, continue à recevoir les messages publicitaires des annonceurs.
En toute franchise, quand on feuillette les programmes, France Télévisions ne se distingue parfois que très marginalement des chaînes privées.
Madame la ministre, quand va-t-on se décider, dans ce pays, à créer un service public audiovisuel de qualité, autonome et pérenne ? Tout le débat est là... On peut créer des taxes et autres dispositifs « bouts de ficelles » – le mot est un peu excessif –, cela ne fonctionnera pas.
J’en veux pour preuve les deux taxes créées par la loi de 2009, l’une sur la publicité à la télévision, l’autre sur les services de télécommunications. Les produits attendus pour la première étaient de 94 millions d’euros, alors qu’ils n’ont été en réalité que de 28 millions en 2009 et de 17 millions en 2011. Quant à l’autre taxe, elle n’a même pas été évaluée et son sort est, par ailleurs, soumis à une décision de la Cour de justice de l’Union européenne ; si nous étions condamnés, cela pourrait coûter très cher au budget de l’État, qui n’en a pas vraiment besoin en ce moment.
Aujourd’hui, France Télévisions, baisse budgétaire oblige, sera conduite à poursuivre son plan de départs volontaires, qui devait s’arrêter en 2012. À lire la presse, il semblerait également que ce plan prévoie d’aller au-delà des 5 % de baisse d’effectifs prévue d’ici à 2015.
Peut-être faudrait-il envisager de maîtriser davantage les dépenses et les coûts. Quand on sait que la redevance rapporte 3,5 milliards d’euros, ce qui représente 50 % du budget de votre ministère, madame la ministre, on se demande parfois où passe l’argent !
Peut-être faudrait-il également envisager que le service public dispose de droits plus étendus sur des programmes dont, en définitive, il assure lui-même le financement.
Enfin, cette réduction budgétaire, cette diminution des ressources, n’augure rien de bon pour la réforme de France 3. On sait que, parmi les 11 000 salariés de France Télévisions, plus de la moitié travaillent pour cette chaîne. Or il faut bien avouer que, si nous restons très attachés à la mission de service public dont la chaîne des régions est investie, le budget de 850 millions d’euros publics dont celle-ci dispose ne peut être pour autant déconnecté de toute considération d’audience, alors que le nombre des téléspectateurs de France 3 diminue régulièrement.
À ce propos, d’aucuns suggèrent que les mauvais résultats de cette chaîne ne sont peut-être pas sans lien avec des pratiques éditoriales et rédactionnelles discutables et parfois militantes.
M. Jacques Legendre, rapporteur. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Plancade. Je le dis, madame la ministre, mandaté par mon groupe, car cette analyse est unanimement partagée par les membres du RDSE, qui, vous le savez, est pourtant pluriel. De surcroît, ce cri d’alarme s’élève dans toutes les régions, sans exception.
Vous l’aurez compris, nous appelons de nos vœux la création d’un service public audiovisuel autonome et pérenne. Or, aujourd’hui, où est le souffle de l’indépendance et de la liberté, quand la France connaît un contrôle politique aussi fort en la matière ? La situation actuelle est même choquante : de fait, le président de France Télévisions est toujours nommé par le chef de l’État.
J’ai bien entendu M. le rapporteur il y a quelques instants : nul ne remet en cause la qualité des personnalités nommées depuis quelques années. Néanmoins, le simple fait que ces responsables soient directement désignés par le Président de la République jette nécessairement la suspicion sur eux, qu’on ne veuille ou non.
Certes, comme je l’ai déjà indiqué, l’ancienne procédure avait tout au moins le mérite d’être claire : on sait qui est Pierre, Paul, Jacques, ou Jacqueline.
M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Ou Rémy ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Plancade. Reste que le nouveau mode de désignation revêt malgré tout un caractère choquant. Le président de France Télévisions est nommé par le chef de l’État lui-même, tandis que le budget dudit groupe est placé sous le contrôle du Gouvernement et d’une majorité politique,…
M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Eh oui !
M. Jean-Pierre Plancade. Ce double contrôle laisse planer un doute quant à l’indépendance du service public de l’audiovisuel.
À nos yeux, le seul moyen d’assurer l’indépendance de France Télévisions réside dans la création d’un conseil d’administration représentatif, autonome et pluraliste.
Par ailleurs, la pérennité de l’audiovisuel public ne pourra passer que par la redevance. D’aucuns ont chiffré le prix de cette indépendance : moins de 30 euros par an. Ainsi, avec moins de 3 euros supplémentaires par mois pour chaque Français assujetti, le service public audiovisuel français serait financé, sans faire appel au budget de l’État.
À ce propos, il est intéressant de noter qu’en définitive le contribuable paye deux fois pour l’audiovisuel public : une première fois via la redevance, une seconde fois via la subvention directe de l’État. Avec la réforme que nous proposons, peut-être chacun y verrait-il un peu plus clair !
Voilà, madame la ministre, les observations que je souhaitais vous communiquer, en espérant que le projet de loi que vous préparez actuellement comblera les lacunes de la loi de 2009 et compensera ses effets négatifs, tout en affichant une grande ambition pour l’audiovisuel public français. (M. le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Charon.
M. Pierre Charon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme le faisait remarquer M. le rapporteur à l’occasion de l’examen du rapport sur la communication audiovisuelle et le nouveau service public de la télévision, il est difficile d’examiner un texte dont la mise en application n’est pas encore achevée. De fait, il est sans doute trop tôt pour dresser un bilan précis des différents aspects de la loi du 5 mars 2009.
Toutefois, le changement de majorité place aujourd’hui entre vos mains, madame la ministre, et sous notre vigilance, la poursuite des réformes engagées par le président Nicolas Sarkozy. Il est donc utile d’établir ce point d’étape pour soulever les différents problèmes qui se posent déjà à votre gouvernement.
Vous vous souvenez sûrement, comme moi, du concert d’indignations qu’avaient soulevé les débats en 2009. Nicolas Sarkozy avait alors fait le choix de la transparence, en modernisant les conditions de nomination des présidents des sociétés nationales de programmes que sont France Télévisions, Radio France, et la holding Audiovisuel extérieur de la France, AEF.
Nicolas Sarkozy proposait tout simplement que le Président de la République soumette ses candidats à l’adoubement du Conseil supérieur de l’audiovisuel et des commissions parlementaires compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat, pour mettre un terme au règne de l’hypocrisie, qui, comme M. le rapporteur vient de le rappeler, pesait encore sur ces nominations.
L’opposition avait alors sonné la charge pour dénoncer « une preuve de plus de l’hyperprésidence », « le fait du Prince » « dans une quasi-dictature ». Je vous épargne les images les plus fantaisistes !
Lors de la dernière campagne présidentielle, François Hollande, la main sur le cœur, avait promis que, lui Président de la République reviendrait sur ces pratiques indignes d’une démocratie moderne.
M. Pierre Charon. Je vous avoue avoir été quelque peu surpris en apprenant, par la presse, la nomination de Marie-Christine Saragosse par lui Président de la République, à la tête de l’AEF, après moult manœuvres dont les médias se sont fait l’écho. Il me semble que la démocratie moderne était plus honorée par la décision de Nicolas Sarkozy de soumettre son choix à l’approbation du Parlement ! (M. le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois manifeste son désaccord.)
Mes chers collègues, vous conviendrez que le nuage de fumée particulièrement épais qui entoure la nomination de Mme Saragosse, dont les mérites personnels ne sont pas en cause, à la tête de l’AEF, trahit une conception assez sommaire de la démocratie parlementaire.
Par ailleurs, la réforme engagée par le gouvernement de François Fillon, visant à restructurer France Télévisions pour en améliorer le management, semble suivre, depuis quelques mois, une trajectoire pour le moins hasardeuse.
L’entreprise unique n’est toujours pas à l’ordre du jour, tandis qu’aucune direction claire ne semble fixée en termes de gestion des effectifs.
Du reste, aujourd’hui même, les salariés du groupe France Télévisions étaient en grève : ils se plaignent du manque total de concertation. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
Nous pourrions ne pas nous soucier de cette inertie si les résultats du groupe étaient satisfaisants. Malheureusement, là encore, les chiffres sont inquiétants. Le 24 septembre dernier, France 3 a recueilli 2,7 % des parts d’audience avec son programme de soirée.
Certes, l’audimat n’est peut-être pas le seul critère permettant de juger de la réussite d’une chaîne, mais vous en conviendrez, on peut légitimement douter de la pertinence de la dépense publique dans le domaine de l’audiovisuel, quand elle concerne moins de 3 % des téléspectateurs ! (M. le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois manifeste son scepticisme.)
Bref, nous sommes placés face un management défaillant, à une audience déclinante, tandis qu’une vision stratégique pour l’avenir de notre service public de l’audiovisuel fait cruellement défaut.
Aussi, je l’avoue, je crains que le manque d’idées, mais aussi de courage, ne vous conduise à remédier à cette situation par l’augmentation de la dépense publique. À ce propos, on évoque, ici ou là, une redevance informatique ou une augmentation de la redevance audiovisuelle, dont le montant serait relevé à 140 euros.
À force de renoncements, faudra-il un jour porter la redevance à 2 000 ou 3 000 euros pour pallier le manque d’organisation et d’efficacité de l’audiovisuel public ?
Je me permets d’insister sur ce point, car c’était là un enjeu fondamental de la réforme engagée par le précédent Président de la République : pas un euro de plus de redevance !
J’espère donc, madame la ministre, que vous êtes en mesure de nous proposer d’autres pistes pour pérenniser le financement de l’audiovisuel public sans alourdir la part assumée aujourd’hui par le contribuable.
M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. En rétablissant la publicité !
M. Jean-Pierre Plancade. C’est de la démagogie !
M. Pierre Charon. Enfin, concernant la qualité des programmes, j’admettais il y a quelques instants que l’audimat n’était pas le seul outil de mesure : c’est vrai. Néanmoins, il faut observer une certaine humilité face aux choix des Français, tout en faisant confiance à leur discernement.
Le 3 juillet dernier, la très bonne émission d’histoire que Stéphane Bern a consacrée à Louis XIV sur France 2 a recueilli plus de 21 % des parts d’audience, faisant jeu égal avec Spiderman 2, sur TF1 ! Il n’y a donc aucune fatalité en matière de culture et d’audimat. (M. le rapporteur acquiesce.) C’est bien le travail et la créativité qui conduiront le service public sur le chemin de la réussite, grâce au talent de nos auteurs et de nos producteurs.
Aussi attendons-nous, madame la ministre, les éléments concrets permettant de clarifier votre politique et de placer la structure de l’audiovisuel public au service de ce talent. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Chiron.
M. Jacques Chiron. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision a profondément bouleversé tant le financement que l’organisation de la télévision publique.
Cette réforme, ouvrant notamment la première étape de disparition de la publicité sur les chaînes publiques, entre 20 heures et 6 heures, a été engagée dans un contexte difficile, marqué par une audience en repli et par une situation financière déjà préoccupante.
Or cette loi n’a fait qu’aggraver et fragiliser le modèle économique de l’audiovisuel public. Alors que la période qui s’ouvrait exigeait des investissements pour maîtriser l’ensemble des nouveaux canaux de diffusion, ce texte a fortement pénalisé France Télévisions en réduisant sa capacité à innover et à répondre aux évolutions des technologies numériques.
Déjà, lors des débats de 2009, les sénateurs du groupe socialiste avaient alerté la précédente majorité sur ce sujet, en soulignant avec force l’impossibilité de supprimer totalement la publicité dans l’audiovisuel public sans garantir de manière pérenne le financement et le développement de ce dernier.
Chacun sait que ni les compensations instituées en vertu de ce texte, ni l’indexation de la redevance audiovisuelle sur l’inflation, ni les nouvelles taxes sur le chiffre d’affaires des opérateurs de télécommunications et sur les recettes publicitaires des chaînes de télévision privées – pour un montant total de 300 millions d’euros en 2011 – n’ont permis de renouer avec l’équilibre.
Au demeurant, sur ce sujet, les conclusions du rapport rédigé en 2009 par nos collègues David Assouline et Jacques Legendre font l’objet d’un consensus : « Le produit de cette nouvelle taxe n’a pas été correctement évalué, notamment à cause du manque de transparence sur les éléments de l’assiette de cette recette fiscale fournis par le précédent gouvernement lors du débat parlementaire. »
De nombreux sénateurs proches du précédent gouvernement ont également affirmé au cours des débats que le financement du groupe France Télévisions restait aléatoire. (M. le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois acquiesce.)
Le Conseil constitutionnel, quant à lui, a considéré que la suppression de la publicité sur France Télévisions avait « pour effet de priver cette société nationale de programmes d’une part de ressources significative, qui constitue un élément de son indépendance ».
Enfin, la Cour des comptes a ajouté que le montant des compensations résultait « in fine d’un arbitrage budgétaire, et non d’une évaluation précise fondée sur les performances publicitaires virtuelles de France Télévisions. »
Ainsi, chacun admet que l’équation telle qu’elle est posée n’est pas viable à long terme, et que de nouveaux moyens devront être recherchés.
Par ailleurs, outre un produit insuffisant, le fondement juridique de la « taxe télécoms » compensatoire est fortement contesté par la Commission européenne, qui pourrait contraindre l’État à rembourser plus de 1 milliard d’euros aux opérateurs, somme qu’il conviendrait de porter au déficit de la précédente majorité et qui, du reste, a d’ores et déjà dû être provisionnée au titre du projet de loi de finances pour 2013.
M. Jacques-Bernard Magner. Eh oui !
M. Jacques Chiron. Madame la ministre, en juillet dernier, lors de votre audition devant notre commission de la culture, de l’éducation et de la communication, vous avez précisé que toutes les pistes restaient ouvertes pour assurer un financement durable de l’audiovisuel public.
Ainsi, la question du retour éventuel de la publicité en soirée sur les chaînes publiques doit être posée, même si cela pourrait être assimilé à un recul.
Par ailleurs, un possible élargissement de l’assiette de la contribution à l’audiovisuel public mérite d’être étudié.
La question de la modernisation des services de France Télévisions ne doit pas plus être éludée, de même que celle de la mutualisation de certains moyens techniques et humains, notamment entre les différentes chaînes du groupe, lorsque celles-ci traitent d’un même sujet d’actualité.
Mme Catherine Tasca. C’est indispensable !
M. Jacques Chiron. Cette synergie est indispensable pour dégager des économies de fonctionnement.
S’ajoute à cela l’amélioration des recettes publicitaires liées à internet, et non concernées par la loi.
Toutes ces décisions qu’il vous reviendra de prendre, madame la ministre, sont précisément celles qui n’ont pas été prises depuis dix ans.
M. Jacques-Bernard Magner. Bien sûr !
M. Jacques Chiron. Dans un contexte où chacun sait que nous devons consentir un effort collectif historique sur les dépenses pour redresser la situation de nos comptes publics, le Gouvernement demanderait une participation budgétaire à France Télévisions en 2013, et c’est normal. Cependant, la contribution à l’audiovisuel public serait, en contrepartie, revalorisée, afin d’augmenter des recettes qui ont subi une dégradation sensible. (Mme la ministre de la culture et de la communication acquiesce.)
J’insisterai quelque peu sur la contribution à l’audiovisuel, qui reste le cœur du financement de France Télévisions.
Force est de le constater, cette contribution est relativement faible en France, si on la compare aux prélèvements en vigueur dans les autres pays européens. En 2012, son montant s’élève, dans notre pays, à 125 euros, contre 216 euros en Allemagne, 180 euros en Grande-Bretagne, 365 euros en Suisse, 317 euros en Norvège et 309 euros au Danemark. La contribution à l’audiovisuel public moyenne dans la totalité des États européens dépasse 160 euros.
Précisons également que l’assiette de cotisation prise en compte dans l’Hexagone est moins large que chez nos voisins. En effet, contrairement à certains pays étrangers, la France ne soumet pas la détention d’un ordinateur à la redevance. Quant aux résidences secondaires, elles ne sont plus concernées par cette taxe depuis 2005, en vertu de la mesure dite « Copé ».
Au demeurant, si toutes les pistes de financement doivent être explorées, certaines sont, à mon sens, plus justes que d’autres.
M. Jacques-Bernard Magner. Voilà !
M. Jacques Chiron. À ce titre, le rétablissement d’une taxe adaptée sur les résidences secondaires me semble plus juste qu’une augmentation trop brutale de la contribution, taxe non progressive qui toucherait tous les Français sans distinction.
Puisqu’il est aujourd’hui question de vérifier l’application de la loi du 5 mars 2009, je ferai ce constat, à l’instar de plusieurs de nos collègues : trois ans après l’adoption de ce texte, n’ont été mis en place ni le comité de suivi de la loi, prévu à l’article 75, ni un quelconque financement compensant la suppression totale de la publicité initialement prévue en 2012 et très rapidement reportée au 1er janvier 2016, avant les élections...
Ce délai montre bien l’incapacité de l’État, reconnue par tous, à financer cette réforme dans les années à venir, incapacité confirmée par la Cour des Comptes dans son dernier rapport de 2012.
À nous, à vous, madame la ministre, de trouver des solutions pour garantir un modèle de financement stable et pérenne qui garantisse enfin l’indépendance des groupes publics dans un contexte particulièrement concurrentiel.
Car c’est aussi l’indépendance de notre audiovisuel public qui pourrait, à terme, être remis en cause. Sans insister sur les nouveaux modes de désignation des dirigeants prévus par la loi de 2009, mais sur lesquels il faudra revenir – le Président de la République l’a dit –, le mode de financement de l’audiovisuel public constitue également un moteur de son indépendance. Or chacun s’accordera sur le fait que la contribution à l’audiovisuel public et la publicité représentent des ressources beaucoup plus favorables à l’indépendance du groupe qu’une dotation budgétaire négociée avec l’État.
Quant aux objectifs de ce texte, qui étaient, d’une part, de « faciliter le virage éditorial du groupe en faveur du renforcement de ses missions de service public et, d’autre part, de créer une spécificité du service public en termes d’horaires », nous sommes contraints de constater qu’ils ne sont pas atteints.
Nous avons observé une baisse du nombre des programmes culturels diffusés en première partie de soirée, alors qu’il s’agissait du premier engagement du cahier des charges.
Le nombre de soirées consacrées aux spectacles vivants et aux fictions patrimoniales historiques a peu évolué, même si l’on note un engagement plus important du service public en faveur de la création.
La loi n’a donc pas réussi à réellement donner un nouveau visage éditorial à France Télévisions.
Au-delà de ces objectifs non atteints, le principal enjeu de la suppression de la publicité était la disparition de la « tyrannie de l’audimat ». Or c’est l’argument souvent invoqué par les dirigeants du groupe pour justifier le non-respect des objectifs du texte, notamment sur les horaires de programmation. C’est aussi le discours tenu par la plupart des interlocuteurs auditionnés dans le cadre du rapport de nos collègues, qui considèrent que l’audience restait un impératif majeur pour France Télévisions.
Enfin, la question de l’audimat se trouvait au cœur de l’intervention, en mars dernier, du précédent ministre de la culture, qui, répondant à une question écrite d’un député, précisait que l’État fixait des objectifs d’audience à la Société.
À ce sujet, même s’il faut substituer au diktat de l’audience l’utilisation progressive d’outils qualitatifs, il serait aussi difficile d’accepter que l’État investisse dans des programmes peu regardés par les Français. L’audience doit rester l’un des objectifs guidant la télévision publique, mais cela ne doit pas nous conduire à reproduire des programmes des chaînes commerciales. Il faut continuer d’inciter le groupe à répondre aux attentes des téléspectateurs et à diffuser sur les chaînes du service public des émissions de qualité, différentes de celles qui sont produites par les chaînes commerciales.
Je pense notamment aux émissions scientifiques ou technologiques, attractives, bien documentées, à l’instar de ce que sont certaines émissions diffusées sur des radios publiques comme France Inter ou France Culture.
In fine, le texte de 2009 a soulevé plus de questions qu’il n’a apporté de réponses.
Le général de Gaulle a créé en 1964 l’ORTF ; François Mitterrand a, tout au long de son mandat, libéré la communication audiovisuelle et renforcé l’indépendance du CSA, indépendance que le Président de la République sortant aura rapidement remise en cause. L’histoire retiendra que, partisan d’un audiovisuel déréglementé, il aura largement pénalisé France Télévisions par rapport aux grands groupes industriels détenant les chaînes privées.
À vous, madame la ministre, de relever le défi et de mettre en œuvre une réforme qui permettra à l’audiovisuel public de jouer à nouveau pleinement son rôle fédérateur de la société française, et d’en discuter sans tabou ni préjugé.
À France Télévisions, aussi, d’inventer une nouvelle télévision publique qui participe à la diversité culturelle et au pluralisme de l’information, inlassablement battus en brèche par la concentration des médias privés au bénéfice des grands groupes industriels et financiers. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)