Mme Isabelle Debré, rapporteur. C’est sûr !
Mme Catherine Troendle. Tenant partiellement compte des difficultés rencontrées par les SDIS, une circulaire du 26 octobre 2009 leur a offert la faculté de déclarer dans ce cadre l’ensemble des sapeurs-pompiers professionnels bénéficiant d’une affectation non opérationnelle.
Dès lors, ne pouvaient être comptabilisés au titre des effectifs déclarés au fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, ou FIPHFP, que les sapeurs-pompiers professionnels reclassés sur un poste non opérationnel, notamment dans le cadre d’un projet de fin de carrière.
Mme Isabelle Debré, rapporteur. Exactement !
Mme Catherine Troendle. Ainsi, cet assouplissement ne permet toujours pas d’atteindre l’obligation d’emploi de 6 % et les conséquences financières qui en découlent, au travers de la contribution au FIPHFP, sont très lourdes pour les SDIS.
Si la circulaire du 26 octobre 2009 a un peu desserré la contrainte dans certains départements, elle n’a pas résolu la difficulté principale découlant de la condition d’aptitude médicale et physique pesant sur l’essentiel des effectifs des SDIS.
Aussi, l’année dernière, j’ai jugé utile d’interroger l’ensemble des SDIS sur les difficultés rencontrées pour honorer leur obligation d’emploi. Sur l’ensemble des réponses obtenues, à l’exception d’une seule, il s’avère que les SDIS ne parviennent pas à s’acquitter de cette obligation et doivent verser au FIPHFP une contribution financière qui peut dépasser, pour certains, 200 000 euros, cette somme venant alourdir un peu plus les dépenses contraintes des services départementaux.
Or, il convient de le souligner, certaines entreprises du secteur privé bénéficient d’une minoration de leur contribution lorsqu’elles emploient plus de 80 % des salariés occupant des emplois nécessitant des aptitudes physiques particulières ; je fais ici référence aux articles D5212-21 et D5212-24 du code du travail.
Dans l’article D5212-25 du code du travail, sont énumérées les catégories d’emplois exigeant des conditions d’aptitude particulières, comme les personnels navigants techniques et commerciaux de l’aviation civile ou les personnels navigants techniques de la marine marchande, les ambulanciers, les convoyeurs de fonds, les charpentiers en bois qualifiés, les conducteurs routiers, les livreurs, etc.
Or les SDIS, dont la plupart des emplois exigent aussi des conditions d’aptitude particulières, ne bénéficient pas d’une minoration analogue. Dans l’ensemble, les responsables de SDIS dénoncent l’iniquité de traitement avec le secteur privé.
Mme Isabelle Debré, rapporteur. Ils ont raison ! Il faut revoir cela !
Mme Catherine Troendle. Certains proposent, pour résoudre ces difficultés, de ne soumettre à l’obligation d’emploi de 6 % que les seuls personnels administratifs et techniques.
En conséquence, je souhaite que ce débat soit l’occasion pour le Gouvernement d’envisager de rouvrir ce dossier pour apporter aux SDIS une réponse appropriée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. René Teulade.
M. René Teulade. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, pour ma part, après tout ce qui vient d’être dit, je concentrerai mon intervention sur l’emploi des personnes handicapées depuis la promulgation de la loi de 2005 en vue de dresser un bilan, puis j’essaierai de vous faire part, de manière synthétique, de l’expérience que j’ai tirée des différentes responsabilités que j’ai pu exercer dans ce domaine.
De manière générale, la situation de l’emploi des personnes handicapées n’est pas satisfaisante. Pour preuve, leur taux d’emploi est presque deux fois moindre que celui de l’ensemble de la population en âge de travailler : 35 % contre 65 %. Certes, leur taux d’activité est plus faible – 44 % contre 71 % –, mais leur taux de chômage est le double de celui de la population active : il s’établit à 20 %.
Aussi, bien que l’effet de la crise économique sur l’emploi des personnes handicapées soit difficilement mesurable, il faut souligner qu’en 2011, le nombre de demandeurs d’emploi handicapés a augmenté de 13,9 %, tandis que cette hausse a été de 5,3 % pour l’ensemble des demandeurs d’emploi.
Comme bien souvent, ce sont les plus vulnérables qui sont les premiers affectés par les crises, que ce soient les personnes handicapées, celles qui sont en situation d’extrême précarité, les jeunes ou les seniors.
Pour autant, depuis la promulgation de la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, le tableau est moins sombre et ressemble davantage à un clair-obscur.
À titre liminaire, rappelons, d’une part, que la loi de 2005 a maintenu l’obligation d’employer 6 % de travailleurs handicapés pour toute entreprise dont l’effectif atteint ou dépasse vingt salariés et, d’autre part, que, tout en préconisant des mesures incitatives, elle a étendu à la fonction publique le dispositif coercitif de contribution annuelle afin de compenser le non-respect de cette obligation en créant le fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique.
Toutefois, si secteur public et secteur privé sont soumis depuis 2005 à un mécanisme de sanction identique dans l’hypothèse où ils ne respecteraient pas l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés – ou OETH –, de fortes disparités subsistent.
En effet, dans le privé, le taux d’emploi des personnes en situation de handicap a augmenté de 0,4 point entre 2006 et 2009. Cependant, d’après l’analyse effectuée par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, cette évolution positive résulte principalement d’un changement des modalités de décompte des bénéficiaires de l’OETH. À périmètre constant, sur la même période, leur taux d’emploi n’aurait progressé que de 0,1 point !
Néanmoins, les établissements privés ont effectué de réels progrès. À titre d’exemple, la proportion d’entreprises à quota zéro, c’est-à-dire n’employant aucune personne handicapée soit directement ou indirectement et n’ayant pas signé d’accord exonératoire, est passée de 35 % en 2006 à 11 % en 2009.
L’application, pour la première fois en 2009, de la pénalité financière prévue par la loi de 2005 a donc eu l’impact escompté, dissuadant les entreprises de ne pas se conformer aux dispositions en faveur de l’emploi des personnes handicapées.
À cet égard, on peut considérer que la mise en œuvre de mesures coercitives, par leur caractère dissuasif, a eu un effet bénéfique. Lors de l’examen de la proposition de loi relative à l’égalité salariale entre les hommes et les femmes, discutée dans cet hémicycle l’hiver dernier, mes collègues de la majorité et moi-même avions d’ailleurs défendu des dispositifs analogues en vue de contraindre les employeurs à appliquer le principe d’égalité salariale sous peine de sanctions financières.
Quand une inégalité de traitement injustifiée perdure, que l’incitation et la pédagogie ne parviennent malheureusement pas à remédier à l’injustice, il convient d’agir différemment ; il ne s’agit aucunement de punir, il s’agit au contraire d’éduquer.
Cette parenthèse étant refermée, focalisons-nous sur l’emploi des personnes handicapées dans le secteur public. Entre 2006 et 2009, leur taux d’emploi y a grimpé de 0,5 point pour s’établir à 4,2 %. Par conséquent, ce dernier apparaît plus élevé que dans le privé.
Pour autant, il est nécessaire d’étudier ces chiffres avec précaution. En effet, dans une communication en date du 29 février 2012, la Cour des comptes a alerté les pouvoirs publics sur la différence de traitement entre secteur public et secteur privé en matière d’insertion professionnelle des personnes handicapées.
Tout d’abord, le mode de calcul des bénéficiaires de l’OETH favorise la majoration du taux d’emploi des personnes handicapées dans la fonction publique. Sont ainsi comptabilisés au titre de l’OETH les titulaires d’un emploi réservé, les agents bénéficiant d’une allocation temporaire d’invalidité et les agents reclassés.
Ce phénomène a pour conséquence de gonfler un peu artificiellement les statistiques en matière d’emploi des personnes handicapées, et donc de masquer la réalité de la situation.
En outre, certaines administrations sont d’office exemptées de l’OETH sur le seul fondement de leur statut juridique. C’est notamment le cas des autorités administratives indépendantes, des diverses juridictions, des institutions étatiques telles que la présidence de la République ou même des assemblées parlementaires.
La Cour conclut ainsi : « Ce constat appelle une clarification indispensable du champ d’application de l’obligation d’emploi au sein du secteur public, qu’il s’agisse d’institutions de l’État ou de certains organismes sui generis. »
Il semble d’autant plus impérieux d’appeler à cette clarification que la fonction publique a un devoir d’exemplarité en matière d’emploi des personnes en situation de handicap. Il serait incompréhensible et même intolérable que les autorités publiques prônent, à juste raison, une meilleure insertion professionnelle des personnes handicapées, tout en affranchissant certaines institutions et administrations de l’OETH. À l’avenir, il est donc impératif que le champ d’application de celle-ci soit le plus large possible et englobe l’ensemble des entités qui constituent le secteur public.
De surcroît, il faut bien avoir conscience que les difficultés d’accès à l’emploi des personnes handicapées se cumulent. Le profil des demandeurs d’emploi handicapés, établi par Pôle emploi en 2011, démontre ainsi que 53 % sont des chômeurs de longue durée – 39 % pour l’ensemble des demandeurs d’emploi –, que 41 % ont cinquante ans et plus – 19 % pour l’ensemble des demandeurs d’emploi –, que 83 % sont peu ou pas qualifiés – 58 % pour l’ensemble des demandeurs d’emploi.
Au regard de ces éléments, il ressort une priorité absolue : l’accompagnement. Cet accompagnement doit débuter très en amont, dès l’enfance et l’entrée dans le parcours scolaire. Sans trop m’étendre sur ce sujet qu’ont déjà abordé mes collègues, je veux néanmoins dire qu’il paraît essentiel de donner les moyens aux auxiliaires de vie scolaire individuels d’effectuer leur travail dans les meilleures conditions et au service de l’élève handicapé. Cela requiert notamment de leur prodiguer une meilleure formation et de revoir leur statut afin de leur assurer une véritable stabilité et, par là même, mettre fin à l’extrême précarité à laquelle ils doivent faire face.
En ce sens, je ne peux que souscrire à l’une des propositions du rapport rédigé par mes deux collègues, qui vise à « définir un véritable cadre d’emploi » et à « améliorer les débouchés professionnels » des auxiliaires de vie scolaire individuels. C’est ainsi qu’ils seront en mesure d’accompagner au mieux l’élève handicapé, de prendre en compte ses besoins, de parfaire son orientation, ses compétences et, in fine, son niveau de qualification.
Parallèlement, il est fondamental de réformer l’accès à la formation professionnelle pour les travailleurs handicapés. Rendez-vous compte : ces derniers accèdent quatre fois moins à la formation professionnelle que les travailleurs valides ! À cet égard, dans son rapport de 2010, le Conseil national consultatif des personnes handicapées met en exergue que « l’accès des travailleurs handicapés à la formation ne s’est pas sensiblement amélioré au cours des vingt dernières années ». Preuve en est : la loi du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie ne contient aucune disposition portant sur l’accompagnement des travailleurs handicapés.
De plus, pour améliorer l’efficacité de l’accompagnement, il est indispensable de revoir et de simplifier le maelström administratif actuel. Entre l’AGEFIPH, les maisons départementales des personnes handicapées, les politiques régionales concertées qui font intervenir une foultitude d’acteurs, il paraît judicieux de clarifier et de rationaliser les missions de chacun, car cette trop grande dispersion, au final, risque de nuire au service offert aux personnes handicapées.
Enfin, j’aimerais aborder ce qui me paraît être l’une des barrières majeures d’accès à l’emploi des personnes handicapées. Elle est beaucoup plus insidieuse, mais elle se concrétise par des mots, des attitudes : il s’agit du regard porté sur le handicap.
Depuis la loi du 30 juin 1975, qui a créé la politique française d’insertion professionnelle des personnes handicapées, ce ne sont pas tant les mesures qui ont changé que la philosophie des textes. Ainsi, la loi de 2005 a opéré un revirement de paradigme ; alors que la question de l’emploi des personnes handicapées était auparavant appréhendée sous le seul prisme de l’incapacité de l’individu, il s’agit désormais de se concentrer sur son projet professionnel à partir d’une évaluation objective de ses capacités. En somme, il s’agit d’honorer, autant que faire se peut, son projet de vie.
En d’autres termes, nous ne partons plus du postulat, faussement généreux, selon lequel la société doit s’attacher à trouver une place à la personne handicapée, ses capacités étant jugées, par essence, résiduelles. Nous affirmons que la personne handicapée, telle qu’elle est, et indépendamment de son handicap, a pleinement sa place dans la société ; nous affirmons qu’au même titre que tout individu valide elle a des potentialités qui ne demandent qu’à être mises en valeur. Les pouvoirs publics doivent précisément avoir un rôle d’impulsion afin de favoriser les aménagements nécessaires à la mise en valeur de ces potentialités.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. René Teulade. En procédant de cette manière, et sans renier le handicap de la personne, ce qui constituerait un déni de réalité, nous garantissons sa liberté de choix et lui permettons de mener à bien les projets qu’elle entend former. Nous agissons en faveur de son épanouissement et de son bien-être personnels. Surtout, alors que le handicap naît principalement dans le regard d’autrui, nous contribuons, humblement et en notre qualité de législateur, à lutter contre l’un des fléaux de notre temps, qui prospère sur le terreau fertile de la crise : l’intolérance à la différence.
Nous devons plus que jamais tout faire pour parvenir à ce que nous avions essayé de faire dans un film que peu de personnes connaissent, Le regard des autres : modifier ce regard sur le handicap.
Bien que la loi de 2005 ait contribué à faire évoluer les mentalités, parfois par la menace et la crainte de la sanction financière, nous devons poursuivre implacablement nos efforts en vue d’améliorer l’emploi et, plus généralement, la vie des personnes handicapées. Car, si le destin a fait de la vie de ces personnes un parcours qui peut se révéler accidenté, les pouvoirs publics et la société doivent tout faire pour que, elles aussi puissent essayer de vivre ensemble, avec nous, cette belle aventure qui s’appelle la vie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, trop longtemps, les personnes en situation de handicap ou à mobilité réduite ont été oubliées. Certes la loi de 1975 avait été un progrès, mais la loi du 11 février 2005 était très attendue par nos concitoyens handicapés et leur famille.
Cette loi pose le principe de l’accessibilité à tous. Elle rénove ainsi la notion d’accessibilité, l’étendant non seulement à tous les types de handicap, qu’il soit mental, sensoriel ou psychique, mais aussi à tous les domaines de la vie en société, qu’il s’agisse du cadre bâti, de la voirie, des espaces publics ou des transports.
L’accessibilité pour tous et à tout – à l’école, aux lieux publics, à l’emploi, à la culture, aux loisirs –, c’est l’accessibilité universelle.
Cela a été dit, la loi Handicap a apporté des avancées considérables en termes de compensation, de scolarisation et de formation. Des avancées significatives ont également été obtenues concernant l’accessibilité à la cité.
Je centrerai mon propos sur ce dernier point, plus particulièrement sur les obligations à la charge des collectivités locales, que nous représentons.
La loi affiche une ambition forte : non seulement elle prévoit que toutes les nouvelles constructions destinées à accueillir du public doivent être accessibles – ce n’est pas le plus difficile –, mais elle impose également que soient rendus accessibles l’ensemble des établissements recevant du public, les ERP, ce qui comprend bien entendu les établissements déjà existants, et ce d’ici au 1er janvier 2015.
Cette loi ambitieuse est malheureusement confrontée à certaines réalités. En effet, si son ambition est légitime, elle n’en pose pas moins de réelles difficultés dans de nombreux cas, compte tenu de la structure des bâtiments existants, souvent non modifiables ou difficilement aménageables, des monuments ou sites historiques, mais aussi de la configuration ou de la topographie locale.
De plus, les normes techniques sont particulièrement exigeantes et rigides pour les établissements existants, car elles s’avèrent le plus souvent identiques à celles qui sont établies pour des constructions nouvelles. Certes, des dérogations restent possibles, mais elles sont qualifiées d’« exceptionnelles » par la loi.
Par ailleurs, c’est l’ensemble du parc existant d’établissements recevant du public des collectivités locales qui est concerné, et leurs bâtiments sont très nombreux : mairies, écoles, collèges et lycées, sans parler des gymnases, salles polyvalentes, médiathèques ou piscines. Et n’oublions pas que, dans le cadre de la loi, s’ajoutent les coûts de mise en accessibilité de la voirie et des transports collectifs. Le chantier à réaliser d’ici à 2015 est donc immense.
Selon une étude réalisée par Dexia, l’accessibilité des établissements recevant du public nécessiterait 20 milliards d’euros d’investissement, dont 17 milliards d’euros incomberaient aux collectivités territoriales et 3 milliards à l’État.
En raison des difficultés que je viens d’évoquer, de nombreux retards sont à déplorer, même si le chantier a avancé.
Tout d’abord, l’ensemble des établissements recevant du public, les ERP, étaient tenus de réaliser un diagnostic de leurs conditions d’accessibilité au plus tard au 1er janvier 2010 ou 2011.
Si une démarche de diagnostic est souvent engagée, seule une commune sur cinq a achevé le processus à la date prévue par la loi. Seulement 60 % des plans d’accessibilité de la voirie et des aménagements publics sont en cours d’élaboration ou achevés, et 5 % de ces plans ont été adoptés par délibération.
Par ailleurs, en ce qui concerne la réalisation de l’accessibilité, seuls 15 % des ERP seraient actuellement accessibles.
En dépit de la prise de conscience des collectivités et de leur volonté, à trois ans de l’échéance, et dans le contexte budgétaire actuel, la mise en accessibilité de l’ensemble du cadre bâti, de la voirie et des transports ne sera sans doute pas achevée à l’échéance 2015.
Dès le 1er janvier 2015, des contentieux seront ouverts à l’encontre de l’État et des collectivités locales.
Vous l’avez dit, repousser l’échéance de 2015 serait un très mauvais signal, qui ne manquerait pas d’être interprété comme une forme de renoncement. Mais on ne peut nier la situation dans laquelle se trouvent les collectivités. Il faut donc, selon moi, trouver des solutions.
L’an dernier, Mmes les ministres Roselyne Bachelot-Narquin et Nathalie Kosciusko-Morizet ont demandé à une mission conjointe de l’Inspection générale des affaires sociales et du Conseil général de l’environnement et du développement durable un rapport sur les difficultés rencontrées dans l’application des dispositions de la loi de 2005 et sur les mesures de substitution envisageables.
Il est ainsi préconisé de reconnaître accessibles les équipements conformes aux règles d’accessibilité en vigueur avant la loi de 2005, au moins pour dix années supplémentaires ; c’est une piste à explorer.
Par ailleurs, dans son excellent rapport, notre collègue Éric Doligé recommande, entre autres propositions, de substituer à la définition réglementaire de l’accessibilité une approche fonctionnelle. On passerait ainsi de la notion de « personne handicapée qui doit pouvoir occuper un bâtiment exactement comme un valide » à la définition suivante : « La personne handicapée doit avoir accès à toutes les fonctions du bâtiment. »
L’échéance de 2015 est maintenant très proche, et une augmentation des demandes de dérogation est à prévoir.
Éric Doligé a également proposé une procédure permettant au représentant de l’État d’apporter ponctuellement des assouplissements au vu des circonstances locales.
Notons enfin, mes chers collègues, l’inquiétude des élus face aux sanctions et à leur responsabilité pénale.
Toutes ces propositions méritent, à mon sens, d’être prises en considération.
Les lois relatives au handicap font toujours naître d’immenses espoirs. Il n’en reste pas moins que ce délai de trois ans est très court.
Il est important, à ce stade de la mise en application de la loi de 2005, de trouver des solutions, mais surtout d’établir des priorités, voire des échéanciers, lesquels, sans remettre en cause l’objet du texte et l’échéance du 1er janvier 2015, permettent de garantir un avancement réel de l’accessibilité, dans une optique plus réaliste au regard des possibilités de nos collectivités locales. Il convient d’agir en concertation avec tous les acteurs concernés. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Gillot.
Mme Dominique Gillot. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, je tiens à vous rappeler que la loi de 2005 dite « loi Handicap » entend couvrir tous les aspects de la vie des personnes handicapées. Ce texte est l’aboutissement du long chemin parcouru par les représentants des personnes handicapées, leurs familles et leurs amis, qui avaient déjà obtenu la reconnaissance par la nation de l’indispensable solidarité collective due à ceux d’entre nous qui présentent des particularités de nature à les priver de leurs droits fondamentaux.
En effet, les lois de 1975 ont été une étape essentielle pour sortir cette prise en charge du huis clos familial ou associatif et introduire une obligation nationale de prise en charge par l’ensemble de la société, en vue d’assurer aux personnes en situation de handicap l’autonomie à laquelle elles aspirent.
La mise en chantier de cette réflexion, qui a abouti à la loi de 2005, reposait sur l’exigence d’une reconnaissance de la citoyenneté des personnes à besoins spécifiques, quelle que soit leur singularité. « Citoyen à part entière, parmi les autres » était un slogan de rassemblement puissant au tournant des années deux mille.
S’il exalte effectivement cette aspiration forte à la participation citoyenne des personnes en situation de handicap, le texte de 2005 introduit surtout un nouveau droit imprescriptible, celui de la compensation du handicap.
De l’excellent rapport de nos collègues, il ressort clairement que la politique volontariste d’intégration a permis de réelles avancées, exigeant une mobilisation de moyens financiers d’autant plus importants que l’approche privilégiée est celle des normes, des contraintes et des sanctions, notamment à l’échéance de 2015. C’est donc un texte à la fois incitatif et coercitif. Il est ainsi source d’inégalités, de rigidités et, malheureusement, de résistances à satisfaire.
Qu’en est-il de l’approche culturelle, sociale, humaniste ?
Qu’en est-il du changement de regard de la société sur celles et ceux qui sont porteurs de singularité au point d’avoir des besoins spécifiques, pour qu’ils contribuent à leur place, parmi les autres, à la bonne marche de la société ?
Le temps est venu, dans le cadre de ce bilan, de revoir les enjeux de ce texte.
À trois ans de l’échéance fixée, il convient, dans un contexte de contrainte économique qui restreint les capacités d’investissement des collectivités territoriales, d’analyser les retards et inerties dénoncés dans le rapport au regard des avancées significatives constatées dans tous les domaines, ainsi que l’évolution des mentalités, qu’il faut continuer d’encourager et de nourrir par des orientations susceptibles de définir un vrai projet de société participatif et inclusif qui ne devrait pas ignorer la juste place de l’entraide et de la solidarité. La compensation du handicap ne doit pas nous exonérer de l’attention qui humanise le lien.
Madame la ministre déléguée, construisons un projet de vivre ensemble où chacun contribuera, à sa place, à l’enrichissement des potentialités d’une société actuellement trop tournée vers l’individualisme et la sanction.
Il faut privilégier la « participation sociale », approche qui ouvre des possibilités en s’adaptant aux aptitudes et aux aspirations de la personne. Les façons de participer sont multiples : elles peuvent être sociales, relationnelles, culturelles, professionnelles ou affectives.
Le changement culturel vers une société « inclusive » impose que la société humaine s’adapte aux besoins spécifiques des personnes tout autant qu’à leur environnement. Il faut créer les conditions d’une véritable participation sociale en instaurant une accessibilité non seulement spatiale et physique, mais aussi professionnelle, culturelle, sociale, affective, civique et créative. L’égalité réelle est à ce prix.
La société inclusive est celle qui s’adapte aux différences de la personne, va au-devant de ses besoins et de ses aptitudes, afin de lui ouvrir toutes les chances de réussite dans la vie, sans tabou ni compassion, avec réalisme et humanité, en respectant ses désirs et sa parole pour l’accompagner, la porter au plus haut d’elle-même.
Cette inclusion est possible ; elle se développe déjà sur bien des terrains, à l’école notamment, mais elle requiert un minimum d’investissements et d’efforts de l’État pour garantir la qualité des accompagnements et des services proposés, assurer une considération et une reconnaissance à part entière de la personne handicapée.
L’inclusion doit être appréhendée comme un investissement durable, source d’humanité et de richesses pour la société tout entière : nous sommes tous appelés à y contribuer, elle ne concerne pas seulement les passeurs d’ordre ou les recruteurs.
L’inventaire de cette loi le montre, les moyens existent, les contraintes et les sanctions aussi. Ce sont l’adhésion politique, les disponibilités financières, le bon sens et le pragmatisme qui ont manqué et risquent de faire défaut de façon grandissante. La nouvelle étape doit donc être, à mon sens, plus culturelle que réglementaire, de façon à assurer une prise en charge globale et naturelle du handicap. Il faut voir les individus avant leur infirmité, et envisager leurs aptitudes avant leurs insuffisances, comme certains orateurs l’ont brillamment expliqué.
La sensibilisation à la connaissance et à l’approche du handicap doit, au-delà de la formation des enseignants précédemment évoquée, s’adresser aussi aux médecins, aux professionnels de santé, aux gestionnaires des ressources humaines, aux directeurs d’établissements culturels, à l’ensemble de la population.
Recherchons une approche globale, qui rende le handicap, la déficience, le besoin spécifique plus visibles, en considérant l’apport des personnes handicapées comme un atout dans la construction d’une société plus juste et plus égalitaire. Sachons faire preuve de pragmatisme et de bon sens dans l’application de la loi.
Des obligations normatives insupportables sont sources de clivages néfastes à la cohésion sociale, à une pensée sociale progressiste garante de cette société inclusive que nous appelons de nos vœux. La circulaire du Premier ministre du 4 septembre dernier impose que tous les actes législatifs prennent dorénavant en considération les besoins et la dignité de nos concitoyens en situation de fragilité au regard de leur autonomie et de leur autodétermination. C’est une bonne démarche.
Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, l’accomplissement du projet de vie de nos semblables ayant des besoins spécifiques leur permettra de donner le meilleur d’eux-mêmes au collectif, sans durcissement des contraintes, mais en s’appuyant sur une vraie générosité du cœur et de l’intelligence, adossée au courage et à la sincérité politiques, qui devrait nous épargner toute surenchère sur le dos des personnes handicapées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)