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Logement
Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social (projet n° 750, rapport n° 757, avis n° 758).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC.)
Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le XXIe siècle sera-t-il celui de la civilisation urbaine ? C’est avec cette interrogation que, voilà douze ans, Jean-Claude Gayssot était venu présenter le projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains devant le Parlement. Aujourd’hui, en ce 11 septembre 2012, le texte que je vous présente n’est ni pour la ville ni pour les campagnes, il n’est pas non plus pour le bâti ou pour l’urbain : c’est tout simplement un projet de loi pour l’humain.
L’esprit et la lettre de ce texte s’inscrivent dans le droit-fil de ceux qui avaient prévalu voilà maintenant douze ans et respectent la volonté de l’un des auteurs de l’époque, qui ne siège plus aujourd’hui au Parlement, Louis Besson, que je tiens à saluer ici aujourd’hui et à remercier pour son appui et ses conseils.
Depuis plusieurs années, le législateur a pris conscience du fait que le logement n’est pas un marché comme les autres. Des lois ont été élaborées pour mieux l’encadrer et le réguler. Certaines ont fait leurs preuves, de nombreux projets sont nés.
Pourtant, ces efforts n’ont pas suffi.
En 2012, ce sont 1 700 000 habitants de notre pays qui attendent un logement social. La crise du logement ne connaît pas de répit. Elle est chaque jour plus profonde et plus grave, et nous commençons seulement à ressentir les effets de la crise économique que nous traversons.
Chaque fin de mois, le premier poste de dépense des ménages pèse plus lourd dans leur budget. Sous les effets de la crise, nombreux sont les Françaises et les Français qui peinent à payer leur loyer, qui ne parviennent pas à agrandir leur logement alors que naît un nouvel enfant ou qui se voient contraints de vivre dans des habitats vétustes, parfois indignes et insalubres.
Il y a deux jours, le drame de l’incendie de Saint-Denis est venu rappeler à chacun que le mal-logement n’est pas seulement synonyme de mal-être, de mal-vivre, mais qu’il peut mener à la tragédie la plus brutale et la plus insupportable.
Je l’ai dit aux élus, nous travaillons sur un dispositif beaucoup plus contraignant pour lutter contre les « marchands de sommeil », qui prospèrent sur la crise du logement…
Face à cette réalité qui se fait chaque jour plus grave, le Gouvernement n’a qu’un seul objectif et une seule volonté : faire du logement un bien de première nécessité, dire qu’un toit c’est un droit.
Pour y parvenir, il va nous falloir reconstruire. L’action publique s’est parfois détournée, voire égarée, en pensant qu’il suffirait de redonner la main au seul marché pour que, par miracle ou par l’action d’une main invisible, celui-ci retrouve un équilibre permettant à chacun de se loger. L’État a semblé parfois aussi s’assoupir en pensant qu’il suffirait de proclamer un droit au logement ou que le temps donnerait des solutions à l’affaire.
La conviction de ce gouvernement est faite : il n’y aura pas de solution à la crise du logement sans une mobilisation générale et extraordinaire de tous les acteurs pour y parvenir. Nous devons tout d’abord mobiliser les moyens de l’État, des collectivités locales ensuite, mais aussi, bien entendu, des bailleurs sociaux et des acteurs privés.
Le sursaut que nous appelons de nos vœux n’est pas un soubresaut supplémentaire, mais la conviction que, dans une crise sans précédent, l’effort de construction se doit lui aussi d’être exceptionnel pour répondre aux besoins et aux attentes.
Lors de la campagne présidentielle, le Président de la République a fixé le cap : un objectif ambitieux de construction de 500 000 logements par an, dont 150 000 logements sociaux, tout en poursuivant un plan impératif – l’isolation thermique d’un million de logements par an – pour lutter contre le dérèglement climatique. Le Premier ministre a rappelé ces objectifs devant le Parlement lors de son discours de politique générale.
Ce n’est pas seulement un grand défi, c’est d’abord un impératif dicté par la situation sociale. La mise en œuvre de cet engagement ne fait que commencer.
Le projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui ne prétend pas apporter une solution unique ou immédiate. Les difficultés sociales et économiques ne seront pas résolues en un texte. Je vous invite aujourd’hui à poser une nouvelle pierre à un édifice plus important que nous voulons bâtir ensemble.
Dès la nomination du Gouvernement, nous avons préparé un décret sur l’encadrement des loyers, s’inscrivant dans le cadre de la loi de 1989, afin de bloquer les hausses insupportables dans les zones tendues. Cette mesure d’urgence a été saluée comme un premier signal pour mettre fin aux spéculations répétées sur les loyers les plus élevés, mais il est certain qu’elle reste imparfaite et limitée. Dans les semaines qui viennent, nous entamerons une concertation nationale pour prolonger, améliorer et pérenniser ce dispositif.
En complément des travaux que nous menons ici, mesdames, messieurs les sénateurs, nous vous soumettrons très prochainement dans le cadre du projet de loi de finances des mesures incitatives fortes, afin de continuer à encourager le secteur de la construction, sans prolonger les erreurs du passé, c’est-à-dire en privilégiant la construction là où nous en avons besoin, avec un souci permanent de justice sociale et territoriale. Nous proposerons également de lutter fortement contre la vacance, à la fois en dissuadant les propriétaires de laisser des logements vides et en les aidant à les remettre sur le marché.
Vendredi prochain s’ouvrira au Conseil économique, social et environnemental, sous l’autorité du Président de la République, la conférence environnementale. Ce nouvel exercice institutionnel mettra en débat tous les sujets qui concernent principalement les générations futures. Il permettra de traiter du logement et du bâti, parce que le bâtiment demeure un important facteur d’émissions de gaz à effet de serre, mais aussi parce que l’habitat repose sur la mise en concordance de l’humain et de son environnement. Il nous faudra construire de manière volontaire, mais en respectant la nature et en cohérence avec nos objectifs de développement durable. C’est à cette occasion que ma collègue Delphine Batho et moi-même ébaucherons les principales mesures en faveur de la rénovation thermique des bâtiments que nous souhaitons entreprendre.
Viendra ensuite le temps des réformes d’ampleur et de profondeur. Elles devront permettre notamment d’établir des relations plus équilibrées entre les propriétaires et les locataires et de lutter contre les copropriétés dégradées et l’habitat insalubre. Elles auront vocation à mieux sécuriser les documents d’urbanisme pour permettre aux collectivités de concevoir des projets à la fois plus ambitieux et plus respectueux de l’environnement.
Mais, aujourd’hui, il y a urgence. Nous sommes dans le combat, comme l’a rappelé le Président de la République dimanche dernier, et c’est bien au nom d’une double urgence, à la fois sociale et économique, que je vous présente ce projet de loi.
Il y a une urgence sociale, je l’ai dit, pour donner un toit à chacun.
Il y a une urgence économique, celle d’un secteur, celui du bâtiment et de la construction qui, bien qu’étant au cœur de notre économie, traverse une période très dure sous les effets de la crise globale. À nous de lui redonner du souffle et de la confiance, afin de créer et de maintenir des emplois durables et non délocalisables dans notre pays.
Avec ce projet de loi, nous allons mettre en œuvre deux promesses faites par François Hollande aux Françaises et aux Français lors de la campagne présidentielle : premièrement, la cession du foncier public avec une forte décote pouvant aller jusqu’à la gratuité ; deuxièmement, le renforcement des dispositions introduites par l’article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, à travers le relèvement de 20 % à 25 % de l’objectif de logement social par commune et le quintuplement des pénalités.
Ces engagements étaient clairs, ces promesses sont tenues.
Chacun en est conscient dans cet hémicycle, pour construire, il faut avant tout du foncier. Nous mobiliserons donc tous les terrains disponibles, et, en premier lieu, ceux des particuliers, en les incitant à placer sur le marché leurs terrains à bâtir via une fiscalité bien plus adaptée à la situation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous aurez prochainement l’occasion d’examiner des mesures permettant de mettre fin au dispositif mis en place par l’ancienne majorité, qui consistait à exonérer d’impôt sur les plus-values immobilières les propriétaires qui parvenaient à garder leur terrain constructible pendant trente ans. Ainsi, le législateur avait jugé plus utile de valoriser la rétention des terrains que d’encourager leur mise à disposition, alors que le foncier se faisait de plus en plus rare.
M. François Patriat. C’est incroyable !
Mme Cécile Duflot, ministre. Nous allons donc réviser ce régime fiscal pour inciter les propriétaires concernés à mettre très vite leurs terrains à bâtir sur le marché.
Le projet de loi qui vous est aujourd’hui soumis vise, quant à lui, à favoriser la mise à disposition du foncier de l’État et de ses établissements publics en faveur du logement, en permettant une cession gratuite de terrains au profit d’opérations de logement social. Jusqu’alors, ce n’était pas le cas.
Pour permettre la mobilisation du foncier public, ce projet de loi tend à modifier le code général de la propriété des personnes publiques, afin d’y introduire la possibilité d’appliquer une décote pouvant atteindre 100 % du prix du terrain cédé, notamment, aux collectivités territoriales et aux établissements publics de coopération intercommunale, pour favoriser la construction de logements sociaux.
Afin que cet effort serve réellement un motif d’intérêt général, cet avantage est conditionné au respect par l’acquéreur d’un certain nombre d’engagements pris au moment de la cession.
D’une part, la décote sera obligatoire lorsque la cession sera consentie au profit de certains bénéficiaires et à la condition que le terrain concerné soit inscrit sur une liste dressée par le préfet à partir de données fiables partagées entre tous les services chargés d’inventorier et d’évaluer les propriétés de l’État.
D’autre part, ce dispositif s’appliquera aux établissements publics de l’État, dans des conditions qui devront être fixées par décret en Conseil d’État, en tenant compte de la situation de chaque établissement public et des volumes de cessions envisagés.
J’ai bien conscience que c’est là un effort très important demandé non seulement aux administrations mais aussi aux établissements publics de l’État qui tiraient de ces terrains des ressources supplémentaires à leur actif.
J’ai bien conscience également que c’est là une rupture avec les pratiques et les méthodes de négociation antérieures.
Mais il est urgent d’accomplir cet effort pour le logement social en particulier, et pour le logement en général. C’est un effort indispensable pour que l’offre foncière augmente significativement dans notre pays, tout particulièrement dans les zones tendues. C’est un effort nécessaire pour que les organismes constructeurs de logement social et les collectivités parviennent à produire plus. C’est un effort utile pour que, demain, nous disposions de logements accessibles pour le plus grand nombre.
C’est cet effort de l’État et de ses établissements publics qui va permettre à un certain nombre d’opérations d’atteindre leur équilibre financier.
Il s’agit également d’un acte symbolique majeur : dans cette période de crise et de difficultés, c’est d’abord à l’État et à la puissance publique qu’il revient de faire les efforts nécessaires.
Pour répondre à l’urgence, l’État doit mobiliser le foncier, et les collectivités territoriales devront produire plus de logement social, car l’enjeu de ce projet de loi, c’est la cohésion nationale.
À l’heure actuelle, trop de communes persistent dans une logique de séparatisme social, en revendiquant leur refus de construire des logements sociaux.
M. Philippe Dallier. Combien de communes ?
Mme Cécile Duflot, ministre. C’est une logique scandaleuse, qui consiste à dire : « Les ménages modestes n’ont pas leur place dans ma commune. » Les maires concernés encouragent la discrimination territoriale. Ils aggravent la pénurie de logements, et ils entravent le droit au logement ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. Claude Bérit-Débat, rapporteur. Très bien !
Mme Cécile Duflot, ministre. Oui, c’est une décision ferme. Nous n’allons pas rester les bras ballants face aux maires qui refusent de jouer le jeu de la cohésion nationale. Nous ne pouvons pas accepter cette logique antirépublicaine, avec des communes qui s’isolent.
Pour sortir de cette situation, il faut un cap et une volonté.
Le cap, c’est l’égalité des territoires.
La volonté, c’est la mobilisation des ressources disponibles en faveur du logement social.
L’outil, c’est cette loi de mobilisation nationale pour le logement social. L’État mobilise le foncier, et les maires doivent prendre leurs responsabilités.
C’est une question de justice et d’équilibre : il n’y aura pas d’égalité territoriale sans mixité sociale.
Le projet de loi vise à en finir avec les ghettos. C’est pourquoi son deuxième volet tend à modifier la loi SRU pour l’améliorer et l’amplifier.
La loi SRU est un texte fondateur et novateur qui a posé des principes essentiels au développement de nos villes. Son article 55, en particulier, traduit concrètement l’objectif essentiel de la mixité sociale. En imposant à toutes les communes l’obligation d’accueillir une part minimale de logements abordables, c’est le refus d’une société de l’entre-soi qu’il a permis d’affirmer. C’est le refus que se constituent, par le truchement des prix de l’immobilier, d’une part, des « ghettos de riches » repliés sur eux-mêmes et, de l’autre, des territoires de relégation concentrant les difficultés sociales et économiques.
Après plus de dix ans d’application, cette mesure, qui faisait la part belle à l’incitation, présente un bilan contrasté.
D’un côté, ce bilan est très positif. Dans la très grande majorité des territoires, la nécessité de produire du logement social est devenue une évidence. L’image du logement social n’est plus, sauf dans de très rares cas, celle du béton. Les élus bâtisseurs savent que ces logements sont d’une qualité, notamment environnementale ou architecturale, bien souvent supérieure à celle de la promotion privée. Le logement social est désormais perçu par beaucoup pour ce qu’il est, à savoir un atout pour une société qui veut loger ses jeunes, ses ouvriers, ses employés, ses ménages les plus modestes, ou encore ses infirmières, dont je sais qu’elles éprouvent, aujourd’hui, de grandes difficultés pour se loger dans les zones urbaines.
Et, pourtant, l’objectif de la loi SRU n’est que partiellement atteint. Un chiffre l’illustre parfaitement : en dix ans, la part de logements sociaux des communes visées par l’article 55 de la loi SRU n’a augmenté que d’un point, passant de 13 % à 14 %. Les dispositions contenues dans la loi de 2000 n’ont donc pas permis de rééquilibrer véritablement la répartition géographique du logement social.
Si certaines communes respectent les obligations que leur impose la loi, d’autres préfèrent payer plutôt que de contribuer à la solidarité territoriale. Les leçons à en tirer sont claires : il est indispensable de rénover l’article 55 de la loi SRU pour renforcer son efficacité sur plusieurs points.
Tout d’abord, nous vous proposons un dispositif plus ambitieux. Le taux minimum de logements sociaux par commune sera porté de 20 % à 25 % là où le besoin s’en fait sentir, c’est-à-dire dans les agglomérations de plus de 50 000 habitants où la pénurie justifie d’accroître l’effort de construction de logements sociaux.
Pour être pleinement efficace, cette augmentation devra être ciblée et objective, tout en tenant compte des contextes locaux. Les critères qui permettront de déterminer par décret la liste des agglomérations ne nécessitant pas d’obligation renforcée de production de logements sociaux, sont les suivants, et ils sont très simples : le taux d’effort des ménages bénéficiaires de l’allocation logement logés dans le parc privé ; le taux de vacance dans le parc public ; la pression sur le logement locatif social, mesurée à l’aune du nombre de demandeurs rapporté au nombre des nouvelles mises en location.
Ensuite, je vous propose de renouer avec l’esprit initial du législateur en mobilisant plus vite et mieux les communes pour atteindre un objectif clair : 25 % de logements sociaux par commune en zone tendue et 20 % en zone détendue d’ici à 2025.
De fait, les dispositions actuelles fixent, par période triennale, un objectif de rattrapage de 15 % du déficit en logements sociaux. Concrètement, cela signifie qu’à chaque période triennale l’objectif des 20 % de logements sociaux est repoussé à un horizon de vingt ans. C’est la raison principale pour laquelle le taux de logements sociaux des communes relevant de l’article 55 de la loi SRU a si peu progressé en dix ans. Alors que l’esprit initial de la loi SRU était d’atteindre 20 % de logements sociaux par commune d’ici à 2020, le système de calcul des obligations triennales ne conduit, en réalité, qu’à repousser sans cesse cet objectif. Si nous conservons ce dispositif tel quel, nous n’atteindrons jamais ce résultat.
Afin d’y parvenir, le présent projet de loi prévoit une méthode en cohérence avec cet objectif : les obligations de réalisation de logements sociaux des quatre périodes triennales qui nous séparent de cette échéance seront calculées en conformité avec le but fixé. L’obligation de rattrapage de la prochaine période triennale devra donc permettre de résorber un quart du déficit de logements sociaux constaté en 2013, l’obligation de la période suivante un tiers du déficit constaté en 2016, celle de la troisième période 50 % du déficit constaté en 2019, et celle de la dernière période 100 % du déficit constaté en 2022.
Toutefois, pour atteindre un objectif aussi ambitieux, il nous faudra également, nous en sommes conscients, user de la contrainte. Les communes qui préféreront refuser d’appliquer la loi devront être lourdement sanctionnées. En effet, il est intolérable que certains territoires refusent de prendre leur part à l’effort collectif de production de logements abordables. C’est un impératif moral.
Pour les communes qui respecteront leurs obligations, le prélèvement versé chaque année restera inchangé. En revanche, les communes qui auront délibérément enfreint la loi, qui auront choisi de ne pas agir, se verront imposer par le préfet de département un quintuplement de leur prélèvement.
Pour renforcer l’effet dissuasif de cette majoration des pénalités, le plafonnement actuel des prélèvements à 5 % des dépenses de fonctionnement de la commune sera porté à 10 % pour celles dont le potentiel fiscal par habitant est supérieur à 150 % de la médiane, c’est-à-dire – les chiffres, à mes yeux, sont très clairs – pour les villes les plus aisées.
Ainsi, pour les communes carencées qui choisiront de payer plutôt que de contribuer à la mobilisation nationale, l’addition sera à la hauteur du coût que représente, pour la société, leur égoïsme local ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. Jean-Pierre Michel applaudit également.)
M. Michel Delebarre. Très bien !
Mme Cécile Duflot, ministre. Par ailleurs, les prélèvements versés par les communes déficitaires continueront à alimenter les politiques publiques des collectivités en faveur du logement social. À cette fin, ces sommes seront versées prioritairement aux EPCI, à condition que ces derniers soient délégataires des aides à la construction de logements, par souci de cohérence.
À défaut, et hors Île-de-France, le prélèvement sera attribué à un établissement public foncier local, ou, le cas échéant, à un établissement public foncier d’État compétent sur le périmètre communal.
En l’absence d’EPCI délégataire et d’établissement foncier, ce prélèvement sera versé au fonds d’aménagement urbain, le FAU, ou au fonds régional d’aménagement foncier et urbain, le FRAFU, dans les outre-mer.
À mon sens, il est juste que la majoration du prélèvement payé par les communes en carence soit, quant à elle, versée à un fonds national qui financera la réalisation de logements destinés à des ménages précaires ne parvenant pas à se loger, même dans les logements HLM très sociaux. Ces financements nouveaux, destinés au logement, viendront compléter les crédits habituels de l’État et permettront de développer une offre spécifique de logements accessibles aux plus modestes. Les collectivités locales ont aujourd’hui besoin d’un tel dispositif, qui leur fait cruellement défaut, particulièrement pour assurer la sortie de l’hébergement vers le logement.
Enfin, la disposition contenue dans l’article 57 de la loi SRU, imposant qu’une part des prélèvements dont l’EPCI a été bénéficiaire soit automatiquement reversée à la commune qui en a fait l’objet, sera supprimée. De fait, quel est le sens d’un prélèvement incitatif si on en reverse, sans contrôle, une partie à celui qui l’acquitte ?
Davantage de logements sociaux équitablement répartis sur le territoire, dans de meilleurs délais et avec des sanctions plus lourdes pour les communes qui se refusent à participer à cet effort national : voilà la réforme d’ampleur que je vous propose d’adopter. Nos concitoyennes et nos concitoyens attendent des mesures de cette portée pour que, demain, l’égalité des territoires soit une réalité et que chacun parvienne à se loger.
Le troisième volet de ce projet de loi nous conduit à réviser la loi dite du Grand Paris.
Ce texte a été adopté il y a quelques mois en se détournant, sur certains points, du nécessaire respect des collectivités. Il visait alors à remettre l’État au cœur de l’aménagement de la région capitale.
Le Gouvernement partage le souci d’un aménagement équilibré et durable du Grand Paris, mais il demeure convaincu que ce projet doit viser exclusivement l’intérêt de ses habitants, en partenariat avec les collectivités concernées.
Le Grand Paris donnera encore lieu à de nombreux débats. Toutefois, afin de faciliter l’accomplissement des objectifs de production de logement en région parisienne et, plus généralement, de consolider la démarche de mise en œuvre du projet du Grand Paris, une disposition du texte tend d’ores et déjà à modifier la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris afin de mettre en cohérence l’élaboration des contrats de développement territorial, ou CDT, avec l’approbation du schéma directeur de la région Île-de-France, le SDRIF. (M. Ronan Dantec acquiesce.)
Désormais, les procédures s’opéreront dans le bon ordre, le SDRIF définissant la stratégie de développement régional, les CDT déclinant cette dernière et s’inscrivant dans cette perspective. Ceux-ci devront désormais être compatibles avec le schéma régional. Dans ce cadre, un article tend à prolonger jusqu’au 31 décembre 2013 le délai prévu pour soumettre à enquête publique l’ensemble des CDT, y compris ceux pouvant être conclus sur le territoire de compétence de l’établissement public de Paris-Saclay.
Enfin, le présent projet de loi permet à la région d’Île-de-France et aux départements concernés d’être, à leur demande, signataires des CDT, afin que le partenariat le plus large possible puisse être bâti autour des projets de la région capitale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, telle est la première pierre que je vous propose de poser, ensemble, pour engager une mobilisation générale en faveur de la construction de logements. Elle ne sera pas la seule, vous l’avez compris. La détermination du Gouvernement à ériger le logement en priorité nationale est pleine et entière.
Le Président de la République l’a encore rappelé lui-même il y a quelques jours : c’est une bataille qui s’engage. Une bataille pour le logement, une bataille pour la solidarité et la justice. En plaçant ainsi sur le marché un certain nombre de terrains constructibles, l’État s’engage pleinement dans cette exigence de solidarité nationale, et les collectivités locales seront appelées à faire de même.
Voilà maintenant six ans, un projet de loi qui portait aussi sur le logement avait été débattu par le Parlement. Les discussions furent nourries et houleuses. Mais, à la surprise de nombreux parlementaires, un très vieux monsieur, âgé de 93 ans, s’invita dans les débats. Après une vie consacrée à lutter contre le mal-logement, il fit de cette visite à l’Assemblée nationale son dernier combat. Permettez-moi de reprendre ici les mots prononcés par l’abbé Pierre à cette occasion. En parlant de la loi SRU, il avait appelé à « faire pression sur les élus pour qu’aucun ne s’abaisse à cette indignité de ne pas respecter la loi ». Il avait également déclaré : « Si je suis ici, c’est uniquement pour cela, pour parler de l’honneur de la France. L’honneur, c’est quand le fort s’applique à aider le moins fort, à aider le faible. »
L’abbé Pierre n’est plus parmi nous pour tenir ce langage, et je pense aujourd’hui à toutes celles et tous ceux qui, après lui, jour après jour, œuvrent pour le droit au logement.
Au nom de cet engagement, c’est aussi à nous, à vous, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, de ne pas reculer dans l’effort qui vient d’être lancé ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Claude Bérit-Débat, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le logement constitue, nous le savons tous, l’une des principales préoccupations de nos concitoyens.
Dans un sondage publié en mai 2011, à l’occasion des États généraux du logement, 76 % des Français estimaient qu’ils consacraient une part importante de leurs revenus aux dépenses de logement, 33 % considéraient même que cette part était trop importante, et 82 % d’entre eux jugeaient qu’il était difficile de trouver un logement.
Ce sondage révèle les symptômes de la crise du logement que notre pays traverse depuis plusieurs années, à savoir le coût et le manque de logements. Cette crise explique que le droit au logement, pourtant consacré à plusieurs reprises par le législateur, demeure assez largement illusoire.
Le premier symptôme de cette crise du logement est la forte augmentation des prix du logement, lesquels ont plus que doublé depuis l’an 2000. Entre 2000 et 2010, les prix des logements anciens, par exemple, ont augmenté de 110 %, cette augmentation atteignant même 135 % en Île-de-France ou 140 % dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Certains choix opérés au cours des dernières années, notamment en matière fiscale – je pense, par exemple, au dispositif de réduction d’impôt sur les intérêts d’emprunt issu de la loi TEPA ou au dispositif Scellier –, ont d’ailleurs alimenté l’inflation des prix des logements.
Cette augmentation des prix concerne également les loyers : ces derniers ont progressé de 3,4 % par an en moyenne depuis 1984. Les chiffres sont encore plus impressionnants si l’on s’intéresse à l’évolution des loyers à la relocation : en dix ans, ces derniers ont augmenté de près de 50 % à Paris et de 43 % dans la petite couronne.
Ces chiffres donnent donc le vertige, mais ils reflètent surtout une réalité douloureuse pour nombre de nos concitoyens. Comme l’indique la Fondation Abbé Pierre, « le logement contribue à la dégradation du pouvoir d’achat » des ménages modestes. Le taux d’effort des ménages a ainsi augmenté depuis dix ans, pour atteindre 21 % du revenu disponible en 2011. Mais ce taux d’effort dépasse 30 % pour un ménage sur cinq, et 40 % pour 8 % des ménages.
Concrètement, l’augmentation des dépenses de logement conduit les ménages modestes à réduire certains postes budgétaires : 44 % des foyers ayant de lourdes charges de logement déclarent ainsi devoir se restreindre en matière d’alimentation, un taux en augmentation de 23 points par rapport à 1980. Ce chiffre est alarmant et démontre qu’il est urgent d’apporter des réponses à l’inflation des prix du logement.
Le deuxième symptôme de cette crise du logement est le manque structurel de logements, notamment sociaux.
Les besoins de construction sont estimés dans notre pays à quelque 400 000 à 500 000 logements par an pendant dix ans. Or, depuis 1997, le nombre moyen de logements construits annuellement est de 370 000 environ. Le déficit structurel est le même en matière de logement social : on compte ainsi plus de 1,7 million de demandeurs de logements sociaux.
Certains orateurs souligneront très certainement dans la suite de la discussion générale qu’on n’a jamais construit autant de logements sociaux qu’au cours des cinq dernières années.