Mme la présidente. La parole est à M. Michel Billout, pour le groupe CRC.
M. Michel Billout. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, en écoutant le Premier ministre nous exposer les conclusions du dernier Conseil des chefs d’État et de Gouvernement européens, j’avoue avoir éprouvé des sentiments quelque peu mitigés.
Je comprends tout à fait que le Premier ministre insiste sur l’importance des décisions qui ont été prises lors de ce sommet et qu’il souligne le rôle décisif du Président de la République pour aboutir à ces résultats. Mais je ne partage pas la même satisfaction et l’optimisme dont il a fait preuve en nous présentant ces résultats comme étant un tournant très positif de la construction européenne, qui se donnerait enfin les moyens de lutter contre la crise et d’ouvrir la voie à une intégration comprenant plus de solidarité entre les États membres.
De la même façon, l’adjonction d’un pacte de croissance au néfaste traité budgétaire a été présentée comme étant l’un des instruments pouvant favoriser le redressement et la relance économique dans notre pays. Pour ma part, je n’ai pas la même lecture de ce qui s’est passé.
Une nouvelle fois, dans les semaines qui l’ont précédée, la réunion du Conseil a été mise en scène et dramatisée dans tous les pays, y compris dans le nôtre.
Après les dix-huit qui l’ont précédé, ce Conseil devait être un sommet crucial pour sauver l’Europe et l’occasion, d’une part, de trouver les moyens permettant à cette dernière de sortir de la plus grave crise financière et économique de son histoire et, d’autre part, de repenser en profondeur son fonctionnement mis à mal par les attaques spéculatives des marchés contre sa monnaie et contre les économies de ses pays.
Bien sûr, cette façon de procéder permet de valoriser certains résultats auprès des opinions publiques, mais elle constitue aussi une méthode dangereuse qui peut servir à masquer des aspects importants de la réalité.
En effet, je ne pense pas que le Président de la République ait vraiment atteint les objectifs qu’il s’était fixés et qu’il avait annoncés quelques mois plus tôt.
Il s’agissait alors de renégocier – le mot a été prononcé – le traité de discipline budgétaire signé par son prédécesseur et la Chancelière allemande, et de le compléter par des mesures sur la croissance. Or tel n’a pas été le cas.
Je sais bien que les sommets européens ne se déroulent jamais comme on s’y attendait, et celui qui vient de se tenir n’a pas échappé à la règle ; les péripéties y ont été nombreuses.
Certes, avec l’adoption du pacte de croissance, le Président de la République a peut-être obtenu une victoire politique et symbolique en faisant partiellement partager ses conceptions par l’ensemble des États membres. Mais, en acceptant en échange que le pacte budgétaire signé par son prédécesseur sorte intact de ce sommet, il a aussi largement renoncé à faire valoir certains de ses engagements de campagne.
Il est en effet paradoxal d’avoir battu la droite, et Nicolas Sarkozy, et d’être obligé de gouverner maintenant avec toutes les contraintes qu’implique sur nos finances publiques et sur l’économie du pays le traité que le précédent Président de la République a signé. On peut ainsi considérer que la réorientation de l’Europe promise par François Hollande ne s’est pas traduite en actes, en tout cas pour le moment.
En réalité, sous prétexte de l’accord des autres États membres sur un pacte de croissance, que, soit dit en passant, rien n’oblige à appliquer puisqu’il n’est qu’une annexe à des conclusions n’ayant pas la même forme juridique que le traité proprement dit, rien n’a été renégocié du traité budgétaire lui-même.
Le traité budgétaire et le pacte de croissance qui lui est adjoint permettront encore d’appliquer partout des politiques d’austérité conjuguées à de trop faibles compensations en matière de développement économique.
Certes, je ne sous-estime pas les 120 milliards d’euros consacrés à de nouveaux investissements. Ils joueront certainement un rôle bénéfique dans la relance économique, mais, comme cela a déjà été dit, il faut les replacer à leur juste valeur, soit 1 % du PIB de l’Union européenne !
En outre, il faut aussi savoir que le pacte reprend en grande partie des propositions que la Commission européenne avait jusque-là du mal à imposer, et qu’il repose pour l’essentiel sur l’utilisation de fonds existants.
Pour autant, les effets de ce train de mesures, dont l’augmentation des capacités de prêt de la Banque européenne d’investissement, demeurent incertains.
Dès vendredi dernier, quelques analystes jugeaient déjà les mesures du pacte de croissance très insuffisantes au regard des besoins économiques et sociaux. Surtout, ces mesures ne contrebalanceront pas les graves effets des politiques d’austérité menées par tous les gouvernements européens ; ce sont des mesures d’accompagnement, un pansement pour atténuer les ravages de ces politiques.
En revanche, les concessions consenties à Mme Merkel s’accompagnent de dures contreparties : non seulement, la Chancelière ne cède rien dans son refus de modifier le rôle de la Banque centrale européenne, mais elle a de surcroît obtenu un accroissement de ses pouvoirs dans la supervision du secteur bancaire.
Au-delà de quelques mesures en faveur d’une certaine croissance, ce sommet a donc bien été une étape décisive dans l’approfondissement de l’union monétaire et budgétaire qui commence par se dessiner autour de l’union bancaire.
Enfin, reconnaissons avec modestie que, si la taxe sur les transactions financières a bien été adoptée par nos partenaires européens, en tout cas par une partie d’entre eux, ses contours et le délai de sa mise en œuvre restent encore très imprécis. Il est donc sans doute encore un peu tôt pour se satisfaire de son adoption.
Je suis dès lors très sceptique sur la portée réelle de ce volet sur la croissance. Ayons bien conscience en effet que le pacte budgétaire n’a pas été modifié en tant que tel : il est intact et reste aussi nocif. En imposant l’austérité, ses dispositions empêchent la croissance. Il y a là une contradiction à laquelle vous ne pouvez échapper.
Ce carcan de l’austérité est confirmé, et rien n’a changé sur les points essentiels, la mutualisation de la dette aussi bien que le rôle de la BCE.
L’union bancaire ne changera pas non plus les critères de crédits aux entreprises. Les investissements de l’État et des collectivités locales seront toujours assujettis au dogme de la réduction des dépenses publiques. La politique budgétaire sera, comme auparavant, soumise à un contrôle accru de Bruxelles, au mépris de la démocratie parlementaire et de la souveraineté populaire.
La traduction des contraintes contenues dans le traité budgétaire que le Président de la République a accepté de faire ratifier n’a d’ailleurs pas tardé : dès hier, le Premier ministre a présenté devant le conseil des ministres une orientation qu’il faut bien qualifier de « tour de vis budgétaire ».
Au total, je crois que, en arrière-plan, ce sont plutôt les marchés financiers et les banques qui sont sortis vainqueurs de ce sommet. Ce sont eux, activement soutenus par la Banque centrale, qui continueront à imposer leur loi aux gouvernements d’Europe.
Je déplore vraiment que le Président de la République n’ait pas évoqué cette question lors du Conseil européen.
Tenter de présenter comme une avancée le fait qu’Angela Merkel et d’autres dirigeants européens se soient ralliés au financement de la croissance et de grands projets européens par les project bonds me semble en effet excessif. Le volume de ces emprunts ne compensera qu’à la marge l’asphyxie de l’économie réelle que porte en lui le pacte budgétaire. Surtout, c’est ne pas voir que ce sont les marchés financiers qui fixent les conditions auxquelles peuvent être souscrits ces emprunts.
Nous touchons là la contradiction profonde entre la satisfaction donnée aux marchés et l’appel qui leur est fait pour compenser les effets de la crise dont ils portent la responsabilité.
Au cours de ces sommets, plutôt que de se satisfaire de sauvetages temporaires de l’euro et de mesures pour atténuer les effets négatifs des politiques d’austérité, le Président de la République devrait désormais s’employer à convaincre nos partenaires de la nécessité d’emprunter une autre voie pour surmonter durablement la crise, car cette contradiction ne sera pas résolue sans la volonté de changer le rôle de la Banque centrale pour s’opposer aux attaques spéculatives des marchés contre certaines économies de l’Union européenne.
Pourquoi parler de gouvernance économique européenne avec une banque centrale européenne toujours plus indépendante ? Il faut retourner la puissance de la BCE contre les marchés. Il faut qu’elle puisse racheter massivement les dettes des États membres et les financer à des taux faibles.
Elle pourrait ainsi racheter des titres publics déjà en circulation pour empêcher les spéculateurs de jouer à la baisse sur les cours de ces titres. Elle l’a déjà fait l’année dernière, de manière exceptionnelle il est vrai, mais elle pourrait le faire à nouveau.
Elle devrait également racheter des titres publics dès leur émission par les États. Il faudrait pour cela aussi changer les critères d’emploi de ces titres et ne financer désormais que des dépenses qui soutiennent des politiques publiques contribuant à un nouveau mode de développement économique, social et environnemental. En fait, tout le contraire du pacte budgétaire et de la règle d’or qu’il veut imposer aux finances publiques !
Enfin, sur le fond, un aspect du sommet, peu visible et peu compréhensible par les opinions publiques, a été la mise en place d’un engrenage vers l’Union fédérale.
Pour sauver une certaine conception de l’euro et, il faut le dire, céder aux exigences des marchés, tous les dirigeants européens ont accepté cette nouvelle étape de l’intégration européenne, qui implique toujours plus de transferts de compétences et toujours moins de souveraineté nationale.
Très concrètement, c’est la « feuille de route » dont a été chargé le président Van Rompuy qui doit compléter les mécanismes d’austérité existants en accordant un plus grand poids aux institutions communautaires en matière de régulation bancaire, d’émission de dette, de surveillance de l’élaboration des budgets nationaux, de convergence des politiques économiques et de réformes structurelles.
Le Président de la République s’est satisfait de quelques compensations à la dureté du pacte budgétaire pour accepter de le faire rapidement ratifier par la voie parlementaire.
Nous pensons pour notre part que, devant l’importance de questions qui auront des répercussions considérables sur la vie quotidienne de nos concitoyens, les décisions prises lors de ce sommet doivent faire l’objet d’un débat public national ; elles dépassent le seul débat au Parlement et c’est la raison pour laquelle nous demandons qu’elles soient soumises à nos concitoyens par référendum.
Telles sont, monsieur le ministre, les appréciations sur les résultats de ce Conseil européen dont les sénatrices et sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen souhaitaient vous faire part. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour le groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Richard Yung. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, M. le Premier ministre a dû quitter notre hémicycle, mais je veux saluer sa participation à notre débat : elle montre l’importance qu’il accorde tout à la fois au Sénat et aux questions européennes.
Le Conseil européen des 28 et 29 juin est une réussite. Les chefs d’État et de gouvernement sont parvenus à un accord qui va au-delà des attentes et dont l’Union européenne sort grande gagnante. Une étape importante a été franchie dans la gestion de la crise et, plus largement, dans la construction européenne.
Ce résultat, je le rappelle tout de même, n’était pas donné d’avance. Que n’a-t-on pas entendu pendant la campagne présidentielle quand le candidat François Hollande développait ses arguments sur la nécessité de redonner de la croissance à l’Europe ! Je ne citerai qu’un exemple. M. Leonetti, homme pourtant modéré, disait ainsi : « M. Hollande se targue d’être habile ; en matière européenne, il est surtout arrogant et manipulateur. »
Ce succès est donc en grande partie celui du Président de la République. Son élection a permis de faire bouger les lignes. Il est fini le temps où deux pays, l’Allemagne et la France, arrivaient au Conseil européen avec un projet de traité ficelé à l’avance.
Certes, la relation franco-allemande reste le socle de la construction européenne, mais nous allons vers une véritable Union pluraliste, où des pays aussi importants que l’Italie de Mario Monti ou l’Espagne se font entendre et considérer.
Le dernier Conseil européen a sonné le glas de cette ère que l’on a appelée, à tort sans doute, « l’ère Merkozy ». Il faut s’en réjouir.
Je tiens à redire par ailleurs qu’il n’y a eu ni gagnants ni perdants. À cet égard, la une de Libération du 30 juin – Hollande 1, Merkel 0 – était à mon avis une erreur politique manifeste. Il y a une gagnante : l’Europe. L’heure est désormais à l’« intégration solidaire » promue par le chef de l’État : « À chaque étape de l’intégration doit correspondre un instrument de solidarité. »
Je souligne cependant un point difficile : l’empilement des textes. Nous sommes confrontés à un nombre croissant de textes complexes pris sur des bases juridiques différentes, selon des règles de majorité différentes. Bref, on ne s’y retrouve pas : le two pack, le six pack, le semestre européen, le mécanisme européen de stabilité et, à l’avenir sans doute, le traité…
Je sais que c’est plus facile à dire qu’à faire, mais un travail de recensement et d’unification de tous ces textes devrait être mené, si c’est possible – je ne dis pas qu’il faut renégocier les traités… (M. Jean Bizet sourit.)
Mme Éliane Assassi. Ah bon ?….
M. Richard Yung. Les appels à l’aide de l’Espagne et de l’Italie ont été entendus. En décidant de soutenir les pays de la zone euro qui ont effectué des réformes importantes et qui redressent leurs comptes publics, les Vingt-sept leur ont apporté une aide durable. L’Espagne a ainsi pu bénéficier d’une baisse importante de ses taux d’emprunt à dix ans.
La création, d’ici à quelques mois, d’un mécanisme de surveillance unique pour les banques de la zone euro ouvre la voie à la mise en place d’une « vraie » union bancaire.
Les scandales en série dans le monde bancaire, en Espagne, en Allemagne, en Italie, un peu en France aussi, montrent la nécessité d’élargir ce mécanisme à l’ensemble des banques européennes, comme a d’ailleurs proposé de le faire le Président de la République. Plusieurs scénarios existent.
Se pose en particulier le problème de la place financière de Londres, qui ne fait pas partie de la zone euro mais où les scandales financiers et bancaires sont encore plus incroyables qu’ailleurs. On a ainsi récemment vu la Barclays, la plus grande institution bancaire britannique, jouer de façon illégale avec le Libor, le London Interbank Offered Rate, qui permet de fixer les taux d’emprunt entre banques, tout cela pour pouvoir verser un bonus de 17 millions de livres à M. Diamond… Soit dit en passant, celui-ci a ensuite demandé au conseil d’administration de voter la prise en charge de ses impôts sur ces 17 millions, ce qui ne l’a pas empêché de faire des tournées de conférences sur les valeurs éthiques du système bancaire britannique…
Plusieurs autres questions, que nous aborderons peut-être au cours du débat interactif, restent en suspens. Ainsi, quel rôle la BCE jouera-t-elle précisément à l’égard du mécanisme de surveillance unique ? Quelle sera l’articulation entre la BCE et l’Autorité bancaire européenne ?
Quant à la levée du statut de créancier privilégié du MES, elle contribuera à rassurer les investisseurs privés.
L’assouplissement des conditions d’achat de titres de dette d’un État membre par le MES permettra également une baisse de la pression des marchés. M. Mario Monti a ainsi obtenu – à mon sens, de façon juste – ce qu’il demandait, c’est-à-dire la mise en place d’un « bouclier anti-spread », permettant de lutter contre les écarts existant entre les taux d’intérêt des différents pays.
La réorientation de la stratégie de sortie de crise est nécessaire.
Outre les mesures d’urgence que je viens d’évoquer, le Conseil européen a permis un rééquilibrage de la stratégie de sortie de crise en faveur de la croissance.
Le pacte pour la croissance et l’emploi constitue sans nul doute l’une des avancées majeures – sinon l’avancée majeure – du Conseil européen. Il reprend en grande partie le contenu du document de travail que le Président de la République a adressé à ses partenaires européens le 14 juin dernier. La croissance et l’emploi sont désormais au cœur de l’agenda européen. L’Europe n’a plus l’austérité pour seul horizon. Le Président de la République a en effet su donner l’impulsion nécessaire pour bâtir un plan d’investissement et de dépenses qui a déjà été évoqué et sur lequel je ne reviens pas.
Le pacte pour la croissance et l’emploi n’a certes pas la même forme juridique que le pacte budgétaire, le TSCG. Cependant, il s’agit d’une décision qui a une portée politique importante. Monsieur Billout, des décisions unanimes du Conseil des chefs d’État et des chefs de gouvernement de l’Union européenne, ce n’est tout de même pas rien ! Je rappelle que, par le passé, d’autres décisions du Conseil européen ont eu un impact aussi contraignant qu’un acte juridique ; je pense notamment au changement de nom de la monnaie unique, d’écu en euro.
Comme tout le monde, je me félicite de la décision des Vingt-sept d’autoriser le lancement d’une coopération renforcée afin de créer une taxe sur les transactions financières. Le Président de la République a joué un rôle important en la matière. Beaucoup a été dit, je ne m’y attarde pas, nous aurons certainement l’occasion d’y revenir lors du débat.
Monsieur Marini, vous vous inquiétez à juste titre des états d’âme de M. Cameron. Nous les partageons, même s’il n’a que la moitié d’un pied en Europe ! Et encore…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Oui, mais il se trouve que l’Union européenne compte vingt-sept États membres, vous n’y pouvez rien !
M. Richard Yung. Oui, mais nous parlons là d’une coopération renforcée.
Je rappelle, même si vous le savez parfaitement, que les Britanniques ont instauré une taxe sur les opérations d’action de la City. Peut-on pour autant parler de taxe sur les transactions financières ? Je n’en sais rien. Toujours est-il qu’elle est très élevée – 0,5 % – et rapporte énormément d’argent au gouvernement britannique.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. En tout cas, la place de Londres vous dira merci !
M. Richard Yung. Par conséquent, M. Cameron ne peut que sauter de joie et de plaisir et se jeter dans nos bras… (Sourires.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Sans aucun doute. Il le fera très volontiers ! (Nouveaux sourires.)
M. Richard Yung. Oui. Nous lui déroulerons le tapis rouge, ce qu’il a d’ailleurs évoqué en d’autres occasions.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il finance même des pages de publicité !
M. Richard Yung. En effet…
J’en viens aux prochaines étapes de l’intégration solidaire. À présent que la spirale de l’austérité est en passe d’être brisée, ce que nous souhaitons tous, il faut régler les autres problèmes auxquels l’Union européenne reste confrontée, en particulier la préparation de la feuille de route pour la réalisation d’une véritable « union économique et monétaire ». Permettez-moi à l’occasion de regretter que le Parlement européen ne soit pas associé à cette mission.
Au cours des derniers mois, les efforts du Conseil européen ont essentiellement porté sur la résolution de la crise des dettes souveraines. La situation des banques espagnoles souligne l’impérieuse nécessité de mettre en place cette union bancaire. Nous pensons que cela passera par un système de garantie des dépôts des épargnants et par la création d’un fonds européen de résolution des crises bancaires. Il faudra en débattre.
Le Président de la République a manifesté sa volonté d’intégrer les euro-obligations « dans les solidarités à venir ». Comme vous le savez, plusieurs options existent, je ne les rappelle pas toutes. Celle qui a ma préférence et en faveur de laquelle je milite, c’est la création d’un marché unifié des dettes souveraines inférieures ou égales à 60 % du PIB. Il s’agit des dettes bleues, par opposition aux dettes rouges. C’est d’ailleurs un groupe d’éminents économistes et d’éminents députés allemands qui a formulé cette proposition, conforme aux critères de Maastricht. Les dettes supérieures à 60 % du PIB font partie de la dette rouge : elles restent à l’échelon national et doivent être gérées avec les taux d’intérêt afférents.
Dans tous les cas, la mutualisation des dettes supposera la création d’un ministère européen des finances et d’un Trésor européen.
Enfin, j’attire votre attention sur la nécessité d’aller au-delà de la surveillance des politiques budgétaires nationales pour faire émerger une union économique plus positive et plus forte, fondée, d’une part, sur une meilleure coordination des politiques fiscales – ce point a déjà été largement évoqué, mais il faut avancer –, d’autre part, sur une meilleure coordination des politiques salariales. À terme, il nous faut trouver une façon de faire converger nos modèles de croissance. On ne peut pas continuer à vivre avec – je schématise – l’Allemagne qui a pour moteur l’investissement, la France qui fonctionne avec la consommation des ménages et le Royaume-Uni qui fonctionne – quand il fonctionne – avec l’import-export et la City. Tous les trois ensemble, cela ne marche pas !
M. Jean Bizet. Tout à fait d’accord !
M. Richard Yung. Évidemment, il s’agit d’une ambition forte qui ne se réalisera pas rapidement, mais je crois que nous devons l’avoir en tête.
Cette dernière étape de l’intégration européenne nécessitera le renforcement des pouvoirs du Parlement européen et des parlements nationaux.
Le sommet de la semaine dernière et l’action du Président de la République nous mettent certainement sur la bonne voie. Messieurs les ministres, vous pouvez compter sur le soutien de notre groupe pour poursuivre cette politique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Marini, pour le groupe UMP.
M. Philippe Marini. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, pardonnez-moi de ne pas me joindre au concert de louanges que je viens d’entendre. La diversité, au demeurant, est utile à notre assemblée…
Je formulerai quelques considérations sur le pacte de croissance, sur les mesures de solidarité financière au sein de la zone euro et sur la gouvernance institutionnelle.
De mon point de vue, ce sommet n’échappe pas à la pratique habituelle : des tensions savamment mises en scène à la veille de la rencontre ; un accord obtenu au petit matin par des délégations épuisées ; enfin, la lecture des conclusions avec les précisions qu’il convient d’apporter.
Bien entendu, nous comprenons tous pour quelles raisons le pacte de croissance a été magnifié : vous avez recherché un équilibre politique.
Monsieur le ministre délégué aux affaires européennes, je souhaite vous interroger sur ce que représentent réellement, en termes de capacité de croissance, les 55 milliards d’euros, sur 120 milliards d’euros, relatifs aux dégagements de fonds structurels non consommés. Plus précisément, j’aimerais savoir si ces crédits demeurent affectés aux États auxquels ils devaient bénéficier ou s’ils deviennent fongibles.
Certes, on peut insister, à grand renfort de locutions laudatives, sur la nouveauté que représente ce pacte de croissance. Il n’en reste pas moins que 55 milliards d’euros sur 120 milliards d’euros, ce n’est pas négligeable. Déjà, ces 120 milliards d’euros ne représentent que 1 % du PIB de l’Union européenne…
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. C’est mieux que rien !
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Avant, c’était zéro !
M. Philippe Marini. Par ailleurs, les projets d’investissement que l’on financerait par les nouveaux instruments devront sans doute obéir à une procédure de sélection. Il faudra faire émerger ces projets, respecter l’équité communautaire. Tout cela ne pourra pas aller très vite.
Par conséquent, présenter ces 120 milliards d’euros comme un outil de politique conjoncturelle pour renforcer la croissance dans les différents États de la zone euro – et seulement de la zone euro –, et en particulier chez nous, me semble, pardonnez-moi de le dire, un peu forcer la réalité.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il y aura un effet de levier considérable !
M. Philippe Marini. Certes, mais c’est un effet de levier pour la Banque européenne d’investissement qui prêtera aux conditions du marché. Je n’ai d’ailleurs toujours pas compris comment fonctionnait cet effet de levier assez miraculeux : cela fait partie des précisions qui s’imposent.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est un précédent !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. C’est cela, un miracle ! (Sourires.)
M. Philippe Marini. J’en viens à la sauvegarde de l’euro. Des avancées importantes ont été réalisées ; je pense notamment aux dispositifs de solidarité.
À ce sujet, monsieur le ministre, si l’on songe au système bancaire espagnol, comment procédera-t-on jusqu’à ce que le mécanisme européen de stabilité soit mis en place ? Des éclaircissements paraissent bienvenus. En effet, sur ce point comme sur les autres, l’Eurogroupe de lundi fournira les interprétations opérationnelles utiles.
J’en viens aux interventions sur les marchés de la dette souveraine. Oui, je me réjouis de la solution qui a été trouvée : issue du travail des excellentes équipes de la Banque centrale italienne et du Trésor italien, elle est tout à fait innovante et imaginative. Les dispositions qui ont été adoptées ne vont pas jusqu’au bout des propositions formulées, mais sans doute est-ce la règle dans tout compromis…
La proposition de l’Italie qui, je le répète, est très innovante consistait à faire en sorte que les outils de solidarité financière de la zone euro puissent intervenir sur le marché de la dette souveraine d’un État de manière à réguler l’écart de taux d’intérêt, en d’autres termes le spread, par rapport à celui qui est proposé à l’État dont la dette souveraine est la mieux appréciée par les marchés.
La question de la mise en œuvre de ce dispositif se pose. L’intervention dont il s’agit est-elle limitée ou illimitée ? La Banque centrale européenne se voit-elle reconnaître un rôle de prêteur en dernier ressort ou faut-il accepter la transformation du Mécanisme européen de stabilité en Fonds monétaire européen ? S’agit-il d’aboutir à terme à ce que ce Mécanisme européen de stabilité soit lui-même doté d’un statut bancaire, c’est-à-dire soit adossé à la Banque centrale européenne et ait réellement accès à une ressource elle-même illimitée ?
Messieurs les ministres, ces points restent sans doute encore en débat et feront l’objet de délibérations. Toutefois, il serait utile que vous nous informiez sur la possibilité d’envisager des solutions plus structurelles et pérennes.
Enfin, je souhaite aborder la question des réformes structurelles.
Lorsqu’il est dit que l’Italie pourra avoir accès au nouveau régime d’intervention parce qu’elle est vertueuse, cela signifie non seulement qu’elle ne fait pas l’objet d’une procédure en raison d’un déficit excessif, mais aussi qu’elle se conforme aux orientations de l’Union européenne en matière de politique structurelle, notamment en apportant plus de flexibilité au marché du travail.
Je conclurai mon propos en exprimant une inquiétude.
Je constate tout d’abord qu’un certain nombre de remarques qui ont été formulées avant l’élection présidentielle ont été opportunément corrigées depuis.
La mutualisation des dettes était une idée abstraite, à laquelle il a fallu renoncer. La ratification du TSCG est une nécessité, alors qu’on nous disait pouvoir le renégocier avant les élections. De la même façon, le Mécanisme européen de stabilité est indispensable : c’est un pivot dans le cadre des solutions à apporter. Pourtant, votre groupe, mes chers collègues, s’était abstenu lors de son adoption, en février dernier, je me permets de le rappeler. Heureusement, nos votes ont permis sa création !
Comment peut-on s’inscrire dans une dynamique européenne tout en prônant sur le plan interne, en matière de fiscalité et de législation du travail, des positions profondément contraires aux orientations des instances de l’Union européenne dans le domaine des politiques structurelles ? Une telle question reste, me semble-t-il, encore ouverte. Je vous propose, mes chers collègues, d’en apprécier la réponse au fil du temps, en fonction de la réalité des résultats obtenus et de l’évolution de l’opinion publique. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)