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Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat (suite)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons entendre à présent les orateurs des groupes.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC ainsi que sur plusieurs travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, chers collègues, le Gouvernement hérite d’une situation difficile. En effet, si notre pays a quelque peu résisté aux pires effets de la crise financière, grâce à son modèle social, que la droite n’a d’ailleurs eu de cesse de casser (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.), il n’en est pas moins en grande souffrance.
Monsieur le Premier ministre, vous avez vous-même dressé le tableau de la situation que nous ont léguée dix ans de politique de la droite (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.) : chômage massif, emploi industriel en chute libre, pouvoir d’achat en recul, dette publique abyssale, des riches toujours plus riches et des pauvres de plus en plus nombreux. (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.)
Mme Isabelle Debré. Bien sûr ! C’est aussi simple que cela !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour certains, la crise serait tombée du ciel. Eh bien non, la crise n’est pas tombée du ciel : elle résulte de la financiarisation continue de l’économie à l’échelle mondiale, financiarisation mise en place ou soutenue par les États eux-mêmes.
Nous avons combattu sans concession la politique de la droite et nous avons contribué à ce que celle-ci soit battue. Les 4 millions de voix qui se sont portées sur le Front de gauche et Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle ont été décisives pour la victoire de la gauche le 6 mai et lors des élections législatives.
Aussi notre position est-elle claire : nous voulons tout faire pour que cette victoire réponde aux espoirs qu’elle a suscités.
M. Philippe Dallier. Dans ce cas, il fallait voter la confiance !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le Premier ministre, vous n’avez pas souhaité prendre en compte la diversité de la gauche qui a permis l’élection de François Hollande et avez considéré que le projet présidentiel de ce dernier était votre seule feuille de route. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas souhaité participer à votre gouvernement. (Rires et exclamations sur les travées de l'UMP.)
Toutefois, partie prenante de la majorité de gauche et souhaitant que celle-ci réussisse, nous ferons en sorte d’être utiles à nos concitoyens pour permettre que les changements attendus aboutissent.
Lors de votre nomination, vous avez déclaré que la page du sarkozysme était tournée. Nous apprécions les symboles, comme celui d’une présidence et d’un Gouvernement « modestes », tant la droite sarkozyenne a donné à voir au cours de ces dernières années l’insolence des riches et le mépris envers les plus humbles (Protestations sur les travées de l'UMP et de l'UCR.), agitant les peurs et la haine, faisant prospérer le Front national en légitimant ses idées.
M. Christian Cointat. N’importe quoi !
M. Alain Dufaut. Caricature !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous apprécions que vous ayez décidé la parité au sein du Gouvernement et créé un ministère des droits des femmes. En outre, nous partageons votre engagement en faveur du droit au mariage et à l’adoption pour les couples homosexuels. (M. André Trillard manifeste sa désapprobation.)
Le collectif budgétaire que vous avez présenté ce matin en conseil des ministres reviendra, si j’ai bien lu ce que la presse a écrit à ce sujet, sur des mesures iniques prises par la droite, comme le cumul, cette année, de l’allégement de l’ISF et du bouclier fiscal, la TVA « antisociale » ou encore l’exonération des heures supplémentaires pour les entreprises de plus de vingt salariés, et il mettra à contribution les dividendes. Ce n’est que justice, et je citerai aussi à cet égard votre engagement à ce que la loi SRU soit enfin respectée.
Nous avons entendu avec satisfaction Mme la garde des sceaux défendre la justice des mineurs et se démarquer des lois sécuritaires et de l’aggravation pénale à l’œuvre depuis dix ans.
A contrario, nous nous inquiétons de la poursuite du traitement de l’immigration par le ministère de l’intérieur, ce que la gauche a toujours critiqué. Nous souhaitons une réflexion sur une politique globale qui rompe avec la façon dont les étrangers sont traités dans ce pays depuis dix ans.
La déclaration de politique générale que vous avez prononcée hier, et dont vous avez aujourd’hui repris des éléments devant nous, engage votre gouvernement dans la durée.
Vous avez évoqué l’exigence de vérité, de sauvegarde de notre modèle républicain et social, de redressement de notre pays, de respect des citoyens et des partenaires sociaux, de justice. Vous avez insisté sur vos priorités : la jeunesse et l’éducation. Aujourd’hui, vous insistez plus particulièrement sur les collectivités territoriales.
Permettez-moi de donner le point de vue de mon groupe sur quelques points.
La justice, elle concerne d’abord ceux qui ont le plus souffert des politiques libérales. Elle implique de réduire le chômage. Les élections passées, les entreprises ont sorti leurs plans de licenciements, qu’elles avaient cachés : 70 000 emplois seraient concernés, et sans doute bien plus avec les emplois induits ; ainsi, à Aulnay, ce ne sont pas seulement les 3 500 salariés de PSA qui sont touchés, mais en réalité 10 000 personnes qui sont concernées.
Vous avez annoncé un plan de soutien au secteur automobile. Rappelez-vous : l’État a octroyé, voilà quatre ans, 4 milliards d’euros de prêts publics aux deux constructeurs français, sans conditions en termes d’emploi. On voit le résultat ! Allez-vous faire autrement ?
La justice, c’est une exigence pour les familles, mais aussi pour les territoires. Écoutez les salariés de PSA-Aulnay ou Rennes qui alertent sur le désastre annoncé pour leur département. Ai-je besoin de rappeler que notre capital industriel a perdu plus de 750 000 emplois en dix ans ? On peut donc se poser la question du redressement économique du pays, dans une situation très préoccupante pour nos territoires, avec une croissance qui, apparemment, serait de 0,3 %.
Nous attendons des mesures immédiates.
Je vous ai proposé de décider d’un moratoire et de l’inscription à l’ordre du jour du Parlement de notre proposition de loi interdisant les licenciements boursiers, votée par les sénateurs socialistes et communistes.
Il y a urgence à montrer que les politiques peuvent quelque chose.
La priorité, ce sont aussi les salaires et le pouvoir d’achat. Aujourd’hui, le coup de pouce de 0,6 % du pouvoir d’achat du SMIC ne nous paraît correspondre ni aux besoins des deux millions et demi de personnes qui essayent d’en vivre, ni aux nécessités de la relance économique.
Mettre en balance hausse des salaires et emplois n’est pas de mise aujourd’hui. Ce qui est certain, c’est que la baisse des salaires n’a sauvé ni l’emploi ni les petites entreprises. L’argument des PME, qui était déjà celui du patronat en 1968, ne tient pas plus. La plupart des PME qui travaillent pour la demande interne souffrent surtout de la baisse du pouvoir d’achat de nos concitoyens, d’un crédit trop cher et d’une fiscalité défavorable par rapport aux grandes entreprises.
En ce qui concerne les services publics, nous souscrivons bien sûr à votre priorité accordée à l’enseignement, à la justice et à la sécurité. Nous n’avons cessé, ces dernières années, de combattre les suppressions de postes et de dénoncer la dégradation de ces secteurs.
Cependant, pour tenir votre objectif de réduction des dépenses publiques, vous demandez à tous les services publics de participer à l’effort de rigueur.
J’ai noté que Mme la ministre de la santé insistait, à juste titre, sur le rôle central de l’hôpital public. Mais, vous le savez, 43 % des hôpitaux sont en déficit et leurs agents, en nombre insuffisant, sont largement précarisés et méprisés.
Notre modèle social, c’est une protection sociale de haut niveau pour tous. Or nombre de nos concitoyens ne peuvent plus se soigner. Quant aux retraites, si votre première décision n’était que justice, nous pensons qu’il faut revenir à une vraie retraite à soixante ans.
Plusieurs sénateurs de l’UMP. Ben voyons !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous craignons que la baisse de l’emploi public, conjuguée à l’état désastreux de l’emploi privé, ne soit un handicap de taille pour amorcer une relance économique pourtant urgente, et même urgentissime.
Cette urgence économique et sociale nous oblige. Nous ne pouvons pas décevoir les attentes de nos concitoyens. La Conférence sociale va se tenir dans les prochains jours. Vous voulez tout mettre « sur la table » avec les partenaires sociaux. Vous ne pouvez pas les décevoir !
Vous demandez également des efforts aux collectivités territoriales. Or, depuis dix ans, elles ont largement pallié les carences de l’État par des interventions dans tous les domaines, sans lesquelles la souffrance et l’exclusion sociale seraient encore plus importantes. D’ailleurs, l’État est débiteur à l’égard de nombreux départements dont les dépenses sociales ont explosé, notamment avec le RMI, puis le RSA, dont le financement lui incombe.
Les collectivités ont pâti de la suppression de la taxe professionnelle, qui n’a pas été compensée par la contribution économique territoriale, il s’en faut, comme elles ont pâti du gel des dotations. Allez-vous maintenir cette situation ?
Avec Mme Lebranchu, vous avez fort justement confirmé l’abrogation du conseiller territorial, votée au Sénat sur notre initiative. Mais la réforme de 2010, à laquelle toute la gauche s’était opposée, demeure. Nombre d’élus de toutes sensibilités ont été meurtris par cette réforme. Aujourd’hui, il faut les respecter, comme il faut respecter les libertés locales, les ressources des collectivités et leurs missions de service public.
En ce qui nous concerne, nous voulons une intercommunalité de coopération, à l’inverse de l’intégration forcée ; nous voulons le respect des identités locales, le maintien de la compétence générale des départements et des régions, indispensable à l’autonomie locale.
C’est ce qui nous fait estimer que la loi de 2010 doit être abrogée.
J’ajoute que nous ne pourrons accepter des mesures qui ne garantiraient pas l’égalité des citoyens, comme de nouveaux transferts ayant pour seul objet de faire faire des économies à l’État ou donnant des pouvoirs réglementaires aux régions.
Vous annoncez, monsieur le Premier ministre, une réforme de la fiscalité dans la loi de finances pour 2013. Selon nous, il est évident que, pour répondre aux besoins sociaux, il faut augmenter les recettes.
Nous sommes favorables au retour d’une progressivité réelle de l’impôt. Nous voulons restaurer pleinement l’ISF et imposer les revenus du capital au même niveau que les salaires.
Nous voulons une remise en cause réelle des exonérations ou défiscalisations. Elles n’ont en aucun cas fait la preuve qu’elles favorisaient la création d’emplois.
Nous voulons une lutte déterminée contre l’évasion fiscale, dont la commission d’enquête créée sur notre initiative au Sénat va décrire les mécanismes et confirmer l’ampleur : environ 50 milliards d’euros par an !
Au cœur de toute la politique que vous allez mener se trouve l’Europe. Vous connaissez notre position. Nous aurons l’occasion de parler, demain, du Conseil européen des 28 et 29 juin.
Le Président de la République s’était engagé à renégocier le traité de Nicolas Sarkozy et Angela Merkel. Aujourd’hui, il est assorti d’un volet « croissance », modeste, de 120 milliards d’euros. Mais le traité demeure. Or celui-ci prévoit des mécanismes de contrôle poussés des budgets nationaux – États, collectivités, administrations publiques, protection sociale.
Rien n’est prévu pour changer le fonctionnement de la BCE ni pour assurer le contrôle démocratique de cette dernière. Nous marchons sur la tête : la BCE prête aux banques, qui prêtent aux États à des taux d’autant plus élevés qu’ils sont en difficulté.
Les grandes questions de l’avenir de l’Europe restent posées : va-t-elle continuer à être mue par la finance, la concurrence et le dumping social, ou bien la France va-t-elle contribuer, sur la durée, avec une politique nouvelle, à une Europe de progrès pour les peuples ?
Le Président de la République veut faire ratifier le traité rapidement. Vous avez plusieurs fois évoqué les citoyens : nous voulons qu’ils soient consultés par référendum sur un traité qui met en cause la souveraineté nationale.
La démocratie, monsieur le Premier ministre, a aussi ses exigences sur le plan institutionnel.
Vous avez renouvelé votre engagement pour le droit de vote des étrangers aux élections locales, que la gauche a voté au Sénat. Nous en sommes évidemment satisfaits, même si le chemin semble encore long.
Vous avez annoncé une dose de proportionnelle et une limitation du cumul des mandats. Nous pensons qu’il nous faut aussi montrer de façon claire que nous voulons sortir du présidentialisme et donner plus de pouvoirs aux citoyens et aux salariés. Nous souhaitons que le débat institutionnel pose ces questions, tant notre démocratie représentative est à bout de souffle.
Monsieur le Premier ministre, vous avez obtenu un vote de confiance à l’Assemblée nationale. Les sénateurs de notre groupe, qui se sont réunis hier, approuvent le choix de l’abstention des députés du Front de gauche.
J’ai entendu votre ministre du travail, M. Michel Sapin, dire que le Front de gauche se mettait « en marge du changement ». Je pourrais citer Jean-Luc Godard : « C’est la marge qui tient la page. »
Mais je veux surtout réaffirmer que nous voulons vraiment le changement. Nous voulons que la justice sociale et le redressement économique s’engagent dès maintenant. Nous saurons soutenir toutes les mesures qui iront dans le bon sens, comme nous le faisons depuis le 25 septembre, en travaillant ici dans la majorité.
Nous ne manquerons pas de faire valoir l’urgence des attentes sociales, des réformes en profondeur nécessaires au redressement de notre pays, et l’exigence d’une Europe solidaire pour les peuples. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis 120 ans, le groupe que j’ai aujourd’hui l’honneur de présider tient une place particulière au sein de la Haute Assemblée : après avoir participé à la fondation de la République, il en a toujours défendu les valeurs essentielles, celles-là mêmes qu’a su en son temps si bien illustrer le radical Gaston Monnerville, symbole de la diversité et premier président de gauche du Sénat de la Ve République. Ces valeurs sont inhérentes à la République et encore plus essentielles aujourd’hui, dans les mutations sociétales auxquelles nous sommes chaque jour confrontés.
Notre groupe réunit des personnalités diverses autour des radicaux de gauche, du MRC, de figures socialistes et d’élus de la nouvelle opposition, dans le respect de la liberté d’expression et de vote de chacun, laquelle nous permet d’être soudés autour d’une vision humaniste et laïque de la société.
Monsieur le Premier ministre, une grande majorité de notre groupe soutiendra votre gouvernement, votera les lois de finances, les projets de loi de financement de la sécurité sociale et ce qui figure au cœur de votre programme.
Mais à vous qui placez votre action sous le signe de la vérité nous vous dirons la nôtre, sans rechercher les effets à usage médiatique, sans marchandage d’aucune sorte, et en vous expliquant loyalement, en amont, les points sur lesquels nous pourrions ne pas partager vos choix.
Une majorité aux ordres devient vite une future minorité, et le dernier quinquennat en a fourni une parfaite illustration. Ici même, le débat sur la réforme des collectivités territoriales fut, à cet égard, une caricature.
La situation de crise vous fait échapper au traditionnel état de grâce, mais c’est peut-être une chance, parce que le pays attend surtout l’état de raison, qui conjugue votre expérience personnelle, vos convictions propres et votre souci du respect de la diversité de la majorité.
Nous sortons d’un quinquennat qui mit beaucoup trop la rupture au cœur de sa pratique, aggravant de facto les conflits entre les citoyens, les corps intermédiaires, le public et le privé, les travailleurs et les chômeurs, entre les territoires, creusant ainsi un fossé entre la chose publique et les citoyens.
La Nation a un besoin impérieux d’être de nouveau apaisée, rassemblée, de restaurer le dialogue en son sein, de reprendre confiance en elle-même et en ceux qui la représentent. C’est possible : le Président de la République et votre gouvernement ont commencé à le faire. Le changement, c’est d’abord et avant tout cela.
Monsieur le Premier ministre, en venant devant la Haute Assemblée nous adresser un message que je qualifierai de « personnalisé », vous confortez le bicamérisme, pourtant souvent mal aimé des exécutifs de la Ve République, en même temps que le rôle constitutionnel du Sénat comme représentant des collectivités territoriales.
Nous ne pouvons voter la confiance puisque vous ne nous la demandez pas. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.) Mais cette confiance sera aussi fonction de la manière dont votre gouvernement travaillera avec le Sénat, sans inflation législative, sans multiplication des procédures accélérées, sans recours abusif au vote conforme, sans passage en force à l’Assemblée nationale, et en saisissant le Sénat en amont sur des projets d’importance. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
Dans la configuration inédite que nous connaissons, où les forces de gauche sont majoritaires dans les deux assemblées, il est important que ce gouvernement respecte le travail du Sénat et l’expression des sénateurs. Vous avez, de ce point de vue, une responsabilité historique car, non, le Sénat n’est pas une anomalie sous la Ve République, et il l’a démontré depuis maintenant neuf mois ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l’UCR et de l’UMP.)
MM. Christian Cointat et Alain Dufaut. Très bien !
M. Jacques Mézard. Vous avez déclaré hier, monsieur le Premier ministre : « Je connais ce temps que l’on perd à force de vouloir en gagner. » Vous ferez donc confiance au Sénat et à sa grande sagesse, celle d’une assemblée politique, mais aussi celle d’une chambre de réflexion et d’expertise de haut niveau, ce qui ne veut pas dire chambre d’inertie, il s’en faut !
Vous connaissez notre attention particulière à toutes les questions concernant les collectivités territoriales, qu’il s’agisse de leur organisation ou de leur financement. Dire que nous avons, sénateurs de toutes sensibilités, mal vécu la dernière réforme des collectivités territoriales est un euphémisme. encore que cela ait favorisé, il faut bien le reconnaître, le changement et l’alternance au sein de cet hémicycle. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. Yvon Collin. C’est vrai !
M. Jacques Mézard. Vous nous annoncez un nouveau mode d’élection des conseillers généraux, un nouveau calendrier des élections régionales et cantonales, une part de proportionnelle aux élections législatives. Mais quelle sera la marge de concertation avec le Parlement, et en premier lieu avec le Sénat, quand de telles annonces sont, en elles-mêmes, une préfiguration de la décision ?
Vous voulez que nos collectivités mènent une action plus lisible, plus efficace et moins coûteuse, vous voulez en finir avec les doublons administratifs : nous partageons ces objectifs.
Cela veut-il dire davantage de spécialisation de compétences, voire de transferts de compétences ?
Vous annoncez un pacte financier avec l’État. C’est indispensable et c’est raisonnable. Mais quelles sont vos intentions quant aux recettes fiscales des collectivités : révision des bases, valeurs déclaratives ?
Sur la question du non-cumul des mandats (Ah ! sur les travées de l'UMP.), il est toujours facile de surfer sur la vague de l’opinion publique.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Bien sûr, il faut une limitation des cumuls. Mais comment imaginer que le Sénat de la République, « Grand conseil des communes de France », auquel la Constitution confère, en son article 39, une responsabilité spécifique concernant le vote des lois relatives aux collectivités locales, pourrait n’être composé que d’élus « hors-sol », coupés de la gestion quotidienne des collectivités… (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP, de l’UCR et du RDSE.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Très bien !
M. Jacques Mézard. … et purs produits des appareils des partis ?
Sachez en tout cas que les radicaux ne vous suivront pas sur ce terrain. (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.)
En revanche, comme nous l’avons déjà indiqué, une limitation dans le temps du nombre de renouvellements du même mandat serait un meilleur moyen de faire de la place aux jeunes, et de vraies sanctions financières sur l’absentéisme chronique, qui nuit au travail parlementaire, mériteraient d’être étudiées. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
Le redressement économique et la réindustrialisation sont au cœur de votre projet, de notre projet. Le constat de la perte de 750 000 emplois de 2007 à 2011, le gouffre du déficit commercial ne souffrent aucune discussion.
La croissance est d’autant plus indispensable qu’il est utopique de vouloir résorber les déficits et redresser notre économie sans elle. Le succès de votre plan de reconquête industrielle est un enjeu prioritaire, axé sur l’innovation, la recherche et la valorisation des produits de qualité.
Monsieur le Premier ministre, pour produire il faut de l’énergie, pour assurer de la croissance il faut de l’énergie à prix compétitif et il faut donc dépendre le moins possible des importations.
M. Aymeri de Montesquiou. Très bien !
M. Jacques Mézard. L’indépendance énergétique de la France, de l’Europe, est un objectif incontournable, bien sûr avec le développement fort des énergies renouvelables, bien sûr avec un programme d’économies d’énergie, en particulier dans le logement et les transports, mais aussi par la recherche et le développement de technologies d’avenir y compris dans la filière nucléaire, à laquelle notre groupe, dans sa totalité, est très attaché (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.) et saura manifester, par ses votes, son opposition à tout démembrement d’inspiration dogmatique.(Mêmes mouvements sur les mêmes travées.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il fallait le dire !
M. Jacques Mézard. Oui, il convient de poursuivre le programme ASTRID. Oui, la recherche autour d’ITER doit continuer.
M. Charles Revet. Il faut un peu de sérieux !
M. Jacques Mézard. Les apôtres de la décroissance sont les prêtres d’une idéologie réactionnaire au sens premier du terme,…
M. Christian Cointat. Bravo !
M. Jacques Mézard. … et ce alors que la démographie de la planète explose, que croissance et production sont vitales pour atténuer conflits et drames humains. Il est de notre responsabilité collective de ne pas céder aux chants des sirènes et aux cris alarmistes de quelques-uns.
Monsieur le Premier ministre, nous considérons avec vous que, dans cette reconstruction de l’appareil de production nationale, les PME devront faire l’objet d’un soutien déterminé et bénéficier de dispositifs fiscaux avantageux. Il en est de même pour l’ensemble des secteurs de l’artisanat, du commerce et du tourisme.
Vous avez la mission de réparer et de construire.
D’abord, il convient de rétablir les finances publiques, parce que sans finances saines aucune politique n’est saine. Nous connaissons l’importance du déficit public, et celle aussi du déficit du commerce extérieur.
L’audit de la Cour des comptes est une photographie de la situation. Ses préconisations nécessiteront des arbitrages difficiles, mais inéluctables, du gel en valeur absolue de la masse salariale des administrations publiques à l’élagage des 1 300 dispositifs des dépenses d’intervention.
Mais la rigueur n’est pas l’austérité. C’est simplement de la bonne gestion, seul vrai moyen de relancer l’économie et, précisément, d’éviter l’austérité.
Pour rétablir les finances publiques, le langage de la vérité oblige à dire que vous mettrez en place de nouveaux prélèvements fiscaux. Il est juste – et vous avez raison de le dire – que soient mis à contribution ceux qui ont le plus de moyens d’y faire face. C’est un devoir de justice. Le lien social, le tissu républicain ne peuvent supporter plus longtemps l’élargissement du fossé des inégalités entre les hommes, entre les territoires, les boucliers à usage des « surarmés », les rémunérations indécentes, l’arrogance de l’affairisme et des corporatismes, qu’ont illustré les errements sur la TVA. Oui, il faudra donner une nouvelle orientation à la CSG. Oui, la lutte contre la précarité est essentielle.
Comment pourrait-on imaginer que cette politique alliant gestion saine et croissance aurait un sens et les moyens de prospérer sans s’insérer dans la relance de la construction européenne ? Comment imaginer avoir un impact sur la croissance sans concertation et coordination des politiques européennes ?
M. Aymeri de Montesquiou. Très bien !
M. Jacques Mézard. Comment imaginer maîtriser les marchés financiers sans consensus européen ?
À l’heure où dans le monde de grands empires se forment ou se reconstituent, seule l’échelle de l’Europe est pertinente, y compris jusqu’à Ankara. (Bravo ! et applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)
Pour les radicaux, la construction européenne demeure l’avenir dans une vision fédéraliste respectant l’identité nationale. Je n’ignore pas la sensibilité particulière de mon collègue Jean-Pierre Chevènement sur ce point et son analyse sur la crise de la monnaie unique.
Il n’en reste pas moins que le sommet européen des 28 et 29 juin ainsi que la volonté et la juste conviction du Président Hollande constituent un tournant positif que nous saluons, l’objectif étant de remettre la croissance et la décision politique au cœur du projet européen, de briser le cercle vicieux existant entre les banques et les États, le mécanisme de surveillance unique associant la BCE. Pourvu que cela dure ! Pourvu que cette nouvelle dynamique impulsée par la France l’emporte sur les vieux schémas technocratiques !
Les questions de société sont forcément au cœur de tout projet politique : pour nous, le principe constitutionnel qui symbolise les combats et les traditions de notre groupe, c’est la laïcité. C’est encore plus qu’hier un principe d’avenir, le moyen d’écarter la montée des communautarismes, de garantir la paix civile, le respect de toutes les opinions et de toutes les croyances. La République est laïque et aucune concession sur ce principe ne saurait être acceptée.
C’est aussi le moyen de faciliter la prise en compte législative des mutations sociales, du droit au mariage pour tous, de la politique d’immigration.
Parmi ces questions de société, celles qui concernent la justice et la sécurité sont préoccupantes. Nous avons combattu l’accumulation des lois sécuritaires ; nous comptons sur vous pour stopper cette inflation législative : moins il y a de lois, plus elles sont appliquées.
Monsieur le Premier ministre, merci d’avoir dit hier que l’ordre public n’est pas compatible avec la culture de l’instant. Pour nous, le laxisme n’est pas une solution, pas plus que la politique du chiffre.
Pour terminer, je voudrais simplement vous dire combien nous partageons la volonté du Président de la République et de votre gouvernement de faire de la jeunesse et de l’éducation la priorité du quinquennat. L’école de la République, c’est le fil rouge de la République. Rien de durable ne se fera sans reconstruire le socle de l’enseignement primaire. Savoir lire, écrire, compter, apprendre à respecter les autres, c’est la base de tout !
Faire que chaque enfant, quelle que soit son origine, quel que soit son lieu de résidence – je pense à nos banlieues, à nos départements ruraux – dispose des mêmes chances au sein de l’école publique : c’est le combat qui fut toujours le nôtre. Il marquera aussi, je l’espère, le succès de votre gouvernement.
Nous connaissons la difficulté et la grandeur de la mission qui vous est confiée.
Monsieur le Premier ministre, Sir Robert Walpole, l’un des fondateurs de la démocratie anglaise, disait : « Peu d’hommes doivent devenir Premier ministre, car il ne convient pas qu’un trop grand nombre sache combien les hommes sont méchants. » (M. le Premier ministre sourit.) Ce ne sera pas votre cas : nous pensons très majoritairement que vous avez la volonté, la capacité, le jour où vous cesserez vos fonctions, de laisser la Nation dans un meilleur état que celui dans lequel vous l’avez trouvée.
Nous sommes nombreux sur ces bancs à éprouver le même attachement que vous aux valeurs de notre République. Nous comptons sur vous pour la faire, avec nous, plus juste et plus belle. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi que sur quelques travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)