Sommaire
Présidence de M. Jean-Pierre Bel
Secrétaires :
M. Jean Desessard, Mme Marie-Noëlle Lienemann.
2. Candidature à une commission d'enquête
3. Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
M. le président.
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre.
4. Souhaits de bienvenue à une délégation de l’assemblée constituante de Tunisie
5. Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat (suite)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Jacques Mézard, Jean-Claude Gaudin, Jean-Vincent Placé, Philippe Adnot, François Zocchetto, François Rebsamen.
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre.
6. Nomination d’un membre d’une commission d’enquête
7. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen de deux projets de loi
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Pierre Bel
Secrétaires :
M. Jean Desessard,
Mme Marie-Noëlle Lienemann.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Candidature à une commission d'enquête
M. le président. J’informe le Sénat que le groupe socialiste et apparentés a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, à la place laissée vacante par Mme Nicole Bricq, dont le mandat de sénateur a cessé.
Cette candidature a été affichée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.
3
Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution.
Au nom du Sénat, je salue la présence au banc du Gouvernement de M. le Premier ministre (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UCR.) et des très nombreux ministres et ministres délégués qui nous font l’honneur et le plaisir d’être ici aujourd’hui.
J’exprime de nouveau, comme je l’ai fait hier, une pensée particulière pour nos collègues sénatrices et sénateurs qui ont fait leur entrée au Gouvernement.
Je veux aussi saluer chaleureusement nos trois collègues Michel Mercier, Gérard Longuet et Henri de Raincourt, qui ont retrouvé leur mandat sénatorial après avoir été ministres du précédent gouvernement. (Applaudissements.) Je pense également à notre collègue Hélène Lipietz, devenue sénatrice après la nomination de Mme Nicole Bricq au Gouvernement. (Nouveaux applaudissements.)
Mes chers collègues, nous allons entendre la déclaration de M. le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Au moment où nous reprenons nos travaux, je forme le vœu que nous puissions travailler ensemble dans un souci permanent de dialogue et de concertation avec le Gouvernement, dans le respect de l’opinion de chacun, qu’il appartienne à la majorité ou à l’opposition, et avec la volonté de laisser du temps aux délibérations du Sénat.
Je puis vous assurer, monsieur le Premier ministre, que le Sénat contribuera à la qualité des textes et exercera pleinement sa fonction de contrôle, afin de jouer un rôle constructif. Nous souhaitons tenir toute notre place, car nous sommes tous attachés à un fonctionnement harmonieux de nos institutions.
Je saisis cette occasion pour dire, au nom de tous mes collègues, que le nouveau contexte politique n’entame en rien notre attachement au bicamérisme, même si celui-ci mérite d’être rénové. Le Sénat de la République est au-dessus des effets de mode et des alternances. C’est le résultat d’une longue histoire, qui fait notre originalité. Celle-ci, issue de l’expérience et de la diversité, est aussi faite d’autonomie.
Je sais que le Gouvernement prendra en considération les réflexions et analyses que nous avons exprimées au cours de la session précédente, durant laquelle le Sénat n’a pas cessé de travailler.
Alors que le temps de la législation était momentanément suspendu, nous nous sommes tournés vers celui du contrôle et de l’évaluation. Ont ainsi poursuivi leurs travaux cinq missions communes d’information et deux commissions d’enquête, sans oublier les commissions permanentes, la commission des affaires européennes, la délégation sénatoriale à l’outre-mer et la commission pour le contrôle de l’application des lois. Au total, ce sont quatre-vingt-treize actions de contrôle qui ont été menées et qui devraient aboutir dans les prochaines semaines.
Le Sénat a ainsi entendu remplir son rôle non seulement constitutionnel, mais aussi politique. Il souhaite contribuer aux débats inhérents à un changement de Président de la République et de majorité à l’Assemblée nationale.
Comme vous le savez, nous avons lancé une vaste consultation des élus locaux, car notre assemblée est au cœur du dialogue nécessaire entre l’État et les collectivités territoriales.
Après des rencontres départementales entre les élus et les acteurs du développement local au mois de septembre dernier, les États généraux de la démocratie territoriale, qui se tiendront les 4 et 5 octobre 2012, permettront aux élus d’exprimer en toute liberté leurs préoccupations et leurs aspirations.
Il est de la responsabilité du Sénat de préparer la grande réforme territoriale qui pourrait rétablir la confiance entre les acteurs locaux et l’État. Je suis sûr que le Gouvernement sera à l’écoute des attentes et des idées que la Haute Assemblée entend porter.
Dans la période importante qui s’ouvre, soyez assuré, monsieur le Premier ministre, de notre souci constant d’agir pour le bien commun et dans l’intérêt de la France, compte tenu d’une situation que nous savons tous difficile.
La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de vous saluer. Ce moment est assez impressionnant pour moi, puisque c’est la première fois que je m’exprime devant la Haute Assemblée.
Mme Dominique Gillot. Formidable !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Si j’ai décidé de venir devant vous aujourd’hui, au lendemain du vote de confiance de l’Assemblée nationale, c’est d’abord pour marquer le respect de mon gouvernement envers le Sénat et tous ses membres, qu’ils appartiennent à la majorité ou à l’opposition. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UCR et de l’UMP.)
Hier, par la voix du ministre des affaires étrangères, M. Laurent Fabius, je vous ai dit ce que seront les grandes orientations de mon gouvernement. Je vous ai exposé mes priorités, les principes qui guideront notre action, sans rien cacher des difficultés que nous aurons à affronter.
Je vous ai tenu un langage de vérité, mais je veux en même temps combattre l’esprit de résignation et appeler à la mobilisation de toutes les forces de la France.
Je suis convaincu que le Sénat est prêt à prendre toute sa part dans le redressement de notre pays.
En portant François Hollande à la présidence de la République, puis en donnant à mon gouvernement les moyens d’agir, grâce à une large majorité à l’Assemblée nationale, les Français ont fait le choix du changement.
Je n’oublie pas, mesdames, messieurs les sénateurs, que les prémices de ce changement sont venues du Sénat, en septembre 2011. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Avec tout le respect que je dois aux autres sénateurs, permettez-moi de me féliciter de l’arrivée, pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, d’une majorité de gauche au sein de votre assemblée.
Monsieur le président, je voudrais ici vous saluer tout particulièrement, vous qui avez su conduire la transition dans le respect des traditions de la Haute Assemblée, tout en donnant l’image d’un Sénat modernisé et renouvelé. Vous avez dit que le Sénat de la République continue d’exister et de travailler, au-delà des effets de mode : cela me convient tout à fait.
Une majorité de gauche à l’Assemblée nationale et au Sénat constitue une situation inédite. Surtout, elle donne à mon gouvernement une responsabilité particulière, en rendant possibles des réformes cohérentes et ambitieuses, que les Français attendent.
Elle permettra, j’en suis sûr, d’améliorer la qualité du travail parlementaire entre les deux assemblées et de trouver des solutions dans le cadre des commissions mixtes paritaires, par la recherche d’un rapprochement des points de vue des députés et des sénateurs, sans forcément aller vers la domination des uns ou des autres. Un seul objectif doit guider notre action : soumettre au vote des parlementaires des lois plus efficaces, plus applicables, plus compréhensibles, et donc plus utiles aux Françaises et aux Français. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis, comme vous, attaché au bicamérisme. Que vous apparteniez à la majorité ou à l’opposition, votre expérience et votre expertise nous aideront à produire des textes de qualité, c’est-à-dire utiles et applicables. Les travaux et les contributions du Sénat, qui, d’ailleurs, rejoignent très souvent les priorités du Gouvernement, doivent être pour notre action une source d’inspiration constante.
Je m’engage ici, aujourd’hui, à associer les représentants du Parlement le plus en amont possible pour préparer les grandes décisions du Gouvernement. C’est à mon avis la bonne manière de procéder pour renforcer le rôle et les droits du Parlement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Président de la République a fixé le cap, avec ses engagements de la campagne pour l’élection présidentielle : le redressement de notre pays dans la justice. C’est la feuille de route du Gouvernement. Avec vous, nous relèverons ce défi et nous redonnerons à des millions de Françaises et de Français des raisons de croire à nouveau dans l’action publique.
La situation de notre économie, vous la connaissez très bien. Elle oblige mon gouvernement à agir sans tarder : agir d’abord contre le chômage, qui touche aujourd’hui près de 3 millions de personnes dans notre pays ; agir contre la désindustrialisation et le recul de notre compétitivité, qui se traduisent par un déficit commercial record et la multiplication, ces dernières semaines, de plans sociaux parfois très importants ; agir aussi contre l’augmentation massive de la dette publique, dont le poids est aujourd’hui écrasant et qui absorbe une grande partie de la richesse produite par notre pays.
Je l’ai rappelé hier, mais je le redis devant vous aujourd’hui : depuis 2007, la dette de la France a augmenté de 600 milliards d’euros. C’est une somme très importante. Et les intérêts de la dette représentent 50 milliards d’euros par an, soit plus que le budget de l’éducation nationale. Je refuse de reporter un tel fardeau sur les générations futures ! C’est une responsabilité collective non seulement du Gouvernement, mais de tous ceux qui, à un titre ou à un autre, ont une responsabilité devant les Français. Et les parlementaires, députés et sénateurs, en ont une particulière puisqu’ils sont une partie de la souveraineté nationale.
Évidemment, je ne sous-estime pas l’impact de la crise financière mondiale, qui affecte fortement et durablement l’ensemble des pays occidentaux. Je sais que tous les gouvernements, quelles que soient les majorités en place, sont confrontés à de très dures réalités, et notamment ceux des pays de la zone euro. Mais je crois aussi que la situation économique dont nous héritons est le produit de choix et d’erreurs passés, de choix souvent injustes et inefficaces qu’il nous appartient de corriger. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Avec le Président de la République, nous avons proposé un autre chemin aux Françaises et aux Français.
Mlle Sophie Joissains. Pas meilleur !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Et les Français nous ont accordé leur confiance. Les engagements que nous avons pris devant eux seront tenus.
Le Président de la République avait dénoncé, pendant sa campagne, la généralisation de l’austérité en Europe. Il avait annoncé son intention de mobiliser les dirigeants européens en faveur de la croissance. Je le redis ici devant la Haute Assemblée, le vote des Français à l’élection présidentielle, conforté par le vote aux élections législatives, a fait bouger les lignes en Europe (Rires sur les travées de l'UMP.),…
Un sénateur de l’UMP. Pas assez !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. … et le Conseil européen des 28 et 29 juin a adopté un pacte de croissance. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Certains trouvent que, 120 milliards d’euros, ce n’est pas beaucoup ! Mais c’est beaucoup ! Surtout, c’est un levier de mobilisation pour tous ceux qui ont des projets. Et la France en a ! En tout cas, c’est un succès pour la France et pour tous les Européens qui croient à l’avenir de notre projet commun.
Personne n’est resté indifférent à ce qui s’est passé les 28 et 29 juin. Certains pensaient que le vote du peuple français ne servait à rien. Pour ma part, j’ai toujours dit que l’élection d’un nouveau président de la République non seulement ferait bouger les lignes, mais aussi créerait un nouvel horizon, un nouvel espoir en Europe.
M. Philippe Marini. Quelle illusion !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Eh bien nous y sommes, mesdames, messieurs les sénateurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
C’est la raison pour laquelle je demanderai au Parlement de se prononcer…
M. Jean-Claude Lenoir. Aujourd’hui !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. … sur l’ensemble des textes issus de cette renégociation européenne (Ah ! sur les travées de l'UMP.) : le pacte de croissance, la taxe sur les transactions financières. Combien de vœux exprimés et de résolutions adoptées, qui n’ont jamais débouché sur rien ? Maintenant, c’est décidé, nous allons le faire ! La taxe sur les transactions financières sera créée si le Parlement, Assemblée nationale et Sénat, le décide. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. –M. Yvon Collin applaudit également.)
C’est donc sur cet ensemble, la supervision bancaire, le rôle que jouera désormais la Banque centrale européenne avec le mécanisme européen de stabilité et le traité de stabilité budgétaire, que vous serez amenés à vous prononcer.
MM. Jean Arthuis et Michel Mercier. Ah !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. La règle d’or !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Oui, je vous appellerai à approuver cette nouvelle étape de la construction européenne, celle de l’intégration solidaire. (M. Philippe Marini s’exclame.)
Je le répète – je l’ai dit hier devant l’Assemblée nationale, mais c’est un engagement pris par le Président de la République pendant sa campagne –, la mission du Gouvernement, c’est de maîtriser les dépenses publiques. (Exclamations ironiques sur certaines travées de l'UMP.)
M. François Patriat. La droite ne l’a jamais fait !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Il ne s’agit pas de feindre ici que nous aurions découvert une situation que nous connaissions malheureusement trop bien.
Le projet de loi de finances rectificative qui a été adopté ce matin en conseil des ministres et qui sera prochainement soumis à votre délibération, après son examen par les commissions des finances des deux assemblées, permettra de tenir un engagement pris par le Président de la République au cours de la campagne électorale, à savoir une réduction du déficit public, dès 2012, à 4,5 % de la richesse nationale. Et, conformément à nos engagements, nous reviendrons à l’équilibre à la fin du quinquennat, c'est-à-dire à l’horizon 2017. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Robert Tropeano applaudit également.)
L’ambition de mon gouvernement – certains en seront peut-être étonnés, mais, en démocratie, c’est une évidence – est de gouverner dans la durée ; elle est surtout de réussir le changement en profondeur. Et sans maîtrise des comptes publics, il n’y a pas d’action possible dans la durée !
C’est pourquoi, contrairement à ce que j’ai lu ici ou là, nous ne sommes pas à un tournant ; nous sommes dans la cohérence des engagements pris devant le peuple français, et ces engagements seront respectés. Il n’y aura pas de renoncements ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
La réforme fiscale est l’une des grandes priorités du Gouvernement. Ses objectifs sont clairs : mobiliser de nouvelles recettes, mettre à contribution ceux qui ont été exonérés jusqu’à présent de l’effort collectif (Approbation sur les travées du groupe socialiste.) tout en épargnant les classes moyennes et les classes populaires. Voilà le fil conducteur de l’action gouvernementale ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Le projet de loi de finances rectificative intègre ces priorités. Le Gouvernement propose de revenir sur l’allégement de l’impôt sur la fortune, qui concerne 1 % des contribuables. On dit que les ménages sont touchés, mais de quels ménages parle-t-on ? Ceux qui peuvent contribuer à l’effort national ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
Enfin, contrairement à ce qui a été avancé, le bouclier fiscal n’a pas été supprimé ; il existe toujours. Il est proposé, dans le projet de loi de finances rectificative, de le supprimer définitivement et de mettre aussi à contribution, de façon exceptionnelle, les grandes entreprises bancaires et pétrolières.
En revanche – et là sont la cohérence et la justice –, la hausse de la TVA, votée par certains d’entre vous et programmée pour le 1er octobre prochain, sera tout simplement abrogée, parce que c’était un prélèvement sur les classes moyennes et les classes populaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Roger Karoutchi. Qu’en pense M. Migaud ?
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Quant à la TVA sur le livre et sur le spectacle vivant, elle sera ramenée à 5,5 %.
Dans le cadre du projet de loi de finances initiale pour 2013, les revenus du capital seront imposés au même titre que ceux du travail. L’impôt sur le revenu sera rendu plus progressif et plus juste. Pour les plus riches, une tranche d’imposition à 45 % sera créée et, pour les revenus annuels supérieurs à 1 million d’euros, une imposition supplémentaire à 75 % sera instaurée. (Mlle Sophie Joissains s’exclame.)
En nous donnant une majorité, les Français ont fait le choix de la justice sociale.
M. Jean-Louis Carrère. C’est vrai !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, la méthode de mon gouvernement est connue : dire la vérité, dialoguer, négocier.
M. Jean-Claude Gaudin. On verra !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Vous jugerez sur pièces, comme tous les Français ! Je ne demande pas à être jugé à l’avance ! C’est un engagement que je prends ici, au nom du Gouvernement.
M. Jean-Michel Baylet. Absolument !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Le changement ne se décrète pas ; c’est un mouvement porté par tous les corps intermédiaires, les partenaires sociaux, les élus locaux, les associations. Je sais que, toutes tendances confondues, le Sénat est attaché à cette conception de la démocratie : une démocratie apaisée, où le pouvoir d’un seul ne saurait s’imposer à la délibération collective, où l’esprit systématique de division ne saurait l’emporter sur la recherche de la cohésion sociale et nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Oui, c’est vrai, j’appelle de mes vœux une évolution de nos pratiques. Je souhaite que la culture de l’accord s’impose peu à peu. Et mon gouvernement donnera toutes ses chances au dialogue social. Tel est d’ailleurs l’objet de la grande conférence sociale qui s’ouvrira dans quelques jours, laquelle illustrera ce changement de méthode.
Dans le même esprit, d’autres actions de concertation seront organisées sur les priorités du quinquennat.
J’ouvrirai demain, avec le ministre de l’éducation nationale, une consultation sur « la refondation de l’école ». Priorité est donnée à la jeunesse. Nous ne pouvons pas accepter – et combien de missions parlementaires, notamment sénatoriales, l’ont mis en évidence – le maintien de l’échec scolaire à un tel niveau dans notre pays ni le creusement des inégalités sociales et territoriales.
Aussi, nous assumons pleinement le choix qui a été annoncé par le Président de la République de créer au cours de ce quinquennat 60 000 postes supplémentaires pour que l’école bénéficie enfin d’un soutien massif. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Exclamations sur les travées de l'UMP.)
La stratégie que nous mettons en œuvre a pour but de redresser notre système éducatif afin de lui redonner toute sa force, toute sa puissance, et, disant cela, je pense en particulier à notre école, l’école de la République, celle qui forme les futurs citoyens.
Mlle Sophie Joissains. Ce ne sont que des mots !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Le Gouvernement concentrera son action sur l’enseignement primaire.
Une voix sur les travées de l’UMP. C’est du discours !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Ce n’est pas du discours ! Vous, vous avez détruit de 60 000 à 80 000 postes dans l’éducation nationale ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. François Patriat. Et ils en sont fiers !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. C’est en début de cycle que se joue l’avenir des enfants, et vous le savez ! Le Gouvernement concentrera donc son attention sur l’enseignement primaire et les premiers cycles universitaires, où l’on compte trop d’échecs.
Un nouvel élan sera donné également à l’éducation prioritaire, là où les besoins sont les plus importants.
Nous ne pouvons nous résigner à cet incroyable niveau de chômage chez les jeunes dans un pays tel que la France. C’est un combat que nous voulons mener.
L’emploi des jeunes appelle des mesures urgentes. C’est le sens du contrat de génération, qui sera examiné lors de la conférence sociale. Ce contrat permettra, d’une part, le maintien dans l’emploi d’un senior – actuellement, on jette après cinquante ans ceux qui sont prétendument inutiles à la société, alors qu’ils ont tant à donner du fait de leur expérience – et, d’autre part, l’embauche d’un jeune en contrat à durée indéterminée, alors qu’un tel contrat est aujourd’hui difficile à obtenir, même avec un diplôme de haut niveau.
Parmi les mesures d’urgence, signalons la création de 150 000 emplois d’avenir destinés à permettre l’insertion professionnelle des jeunes,…
Mme Natacha Bouchart. Ce sont des emplois précaires ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. … en particulier là où le taux de chômage est le plus élevé dans nos quartiers et dans nos zones rurales.
Quant à l’accès au logement, il sera facilité par la caution solidaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il est un autre grand chantier auquel je vous sais attachés : celui du redressement productif. (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.)
Nous ne pouvons pas accepter le décrochage de l’industrie française – et je sais que je parle ici à des hommes et des femmes convaincus, de bonne foi, qui l’ont souvent souligné sur une grande partie des travées de cette assemblée –, la baisse continue de notre compétitivité, les difficultés de nos PME. Vous qui êtes les élus des territoires de toute la France, en contact avec les élus locaux, qui sont vos électeurs, vous savez bien que c’est une réalité et qu’il faut aussi aider nos PME, en particulier pour accéder au financement.
Le chantier du redressement productif est immense : la part de l’industrie dans la production nationale est passée de 26 % à 13 % en dix ans,…
M. Philippe Marini. Et les 35 heures ?
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. … et 750 000 emplois ont été détruits. Croyez-vous que cela soit le résultat de telle ou telle décision ? (Vives exclamations sur les travées de l'UMP.) Non, je pense que la crise est profonde et structurelle.
Je vois, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, vous êtes dans la facilité, ce qui n’arrangera pas vos affaires : cela ne vous permettra pas de retrouver la confiance de ceux qui vous ont abandonnés. (Protestations sur les mêmes travées. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur quelques travées du groupe CRC.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, il faut mettre enfin la finance au service de l’économie réelle, en mobilisant une partie de l’épargne populaire et en créant la banque publique d’investissement qui sera opérationnelle avant la fin de l’année. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Dans tous les secteurs de l’économie, dans l’industrie comme dans l’agriculture, nous viserons l’amélioration de la qualité des produits, car nous devons renforcer notre compétitivité structurelle.
Nous mettrons en place une véritable diplomatie économique – ce sujet ayant été évoqué hier, ici par la voix de M. le ministre des affaires étrangères, je n’y reviendrai que brièvement –, de manière à regagner des parts de marché et à développer nos capacités de production nationale, en nous protégeant de pratiques commerciales déloyales. C’est l’une d’entre vous, Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur, qui, avec le ministre des affaires étrangères, mènera à bien ce combat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, du groupe RDSE et du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées de l’UCR et de l’UMP.)
M. Jean-Claude Lenoir. Ah oui ! Bravo ! (Applaudissements sur les travées de l'UCR.)
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, il n’y a pas de fatalité au creusement de notre déficit commercial et aux plans de licenciements. C’est le sens du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi que je vous propose.
La transition écologique et énergétique est aussi l’une de nos priorités. Elle est au cœur du projet gouvernemental.
L’objectif de mon gouvernement est de développer une économie verte, fondée sur l’innovation technologique, qui sera créatrice d’emplois qualifiés et diminuera notre empreinte écologique.
Nous engagerons un programme massif d’économies d’énergie (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.),…
M. Ronan Dantec. Bravo !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. … qui nous permettra de mettre en œuvre un plan ambitieux de développement des énergies renouvelables. La part du nucléaire passera, dans le mix énergétique que nous voulons réaliser, de 75 % à 50 % à l’horizon de 2025. (Mêmes mouvements sur les mêmes travées. – M. Michel Delebarre applaudit également.)
M. Charles Revet. Il n’y a que les Verts qui applaudissent !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Quant à la solidarité et à la justice, le Gouvernement travaille pour mettre rapidement en place une tarification progressive du gaz et de l’électricité, qui ne peuvent être livrés à la seule loi du marché, avec un forfait de base. J’ai demandé au Gouvernement d’agir vite car, dans ce secteur, les inégalités sont criantes et deviennent insupportables. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur quelques travées du groupe CRC.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais terminer mon discours… (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)
M. Martial Bourquin. C’est pénible pour eux !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. … en adressant un message particulier au Sénat (Ah ! sur les mêmes travées.), dans son rôle constitutionnel de représentation des collectivités territoriales de la République. Je veux en effet vous parler aussi de nos territoires. (Même mouvement sur les mêmes travées.)
Moi, je pensais qu’il n’y avait que les députés qui étaient dissipés, mais je vois que les sénateurs de droite ne sont guère différents… (Rires. – Brouhaha sur les travées de l’UMP.)
Je m’adresse à toutes et à tous pour dire, comme je l’ai fait hier à l’Assemblée nationale, que je compte sur la mobilisation de tous les acteurs en faveur du redressement de notre pays. Ce redressement passe, vous le savez mieux que quiconque, par l’action des collectivités locales de la métropole et de l’outre-mer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) L’investissement public qu’elles mobilisent et la vigueur de la démocratie locale sont des atouts essentiels. Je crois, moi aussi, à l’intelligence des territoires.
Partout, les collectivités s’engagent pour soutenir des activités industrielles porteuses d’avenir : investissements dans le très haut débit, soutien aux PME innovantes et à des projets d’excellence dans le domaine du développement durable ; les exemples abondent partout en France, et c’est cela que je veux encourager.
La banque publique d’investissement que je viens d’évoquer sera créée rapidement et elle travaillera au plus près des territoires ; sinon, cet outil serait centralisé et son efficacité ne serait pas celle que les Français attendent. C’est avec vous, avec l’ensemble des territoires, et d’abord des régions, que cette banque publique d’investissement soutiendra les projets de développement économique. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur quelques travées de l’UCR.)
Pour répondre aux besoins en matière de logement, l’État mettra ses terrains vacants gratuitement à la disposition des collectivités locales – c’est un engagement auquel je tiens particulièrement, malgré tous les conservatismes existants, les bonnes raisons de ne rien faire –, afin de permettre la réalisation de programmes de construction et d’aménagement urbain respectueux de la mixité sociale. Il s’agira d’une démarche contractuelle : l’État met sur la table ce qu’il possède, et c’est ensuite aux collectivités locales d’agir. Je leur fais confiance ; je suis sûr qu’elles le feront ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Cela vaut aussi pour la construction de logements sociaux : 500 000 logements, dont 150 000 logements sociaux. De nombreuses collectivités prennent leur part pour atteindre les 20 %, mais il y a encore des résistances, toujours avec de « bonnes raisons », et, parfois, des tentations parlementaires pour limiter les obligations.
C’est pourquoi le Gouvernement formulera des propositions pour imposer une sanction plus forte, multipliée par cinq, pour ceux qui ne respectent pas la loi, afin qu’ils s’y soumettent également ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)
Je veux bâtir avec les acteurs de la démocratie territoriale une relation de confiance, car je crois profondément dans l’alliance de l’État et des collectivités locales pour mettre en mouvement l’ensemble de la société.
Les collectivités, de même que le Parlement, ne sont pas des faire-valoir. Le maire de Nantes que j’ai été jusqu’à la semaine dernière a trop souvent regretté le manque de considération de l’exécutif pour l’action des élus locaux. Ils sont des élus de proximité, dont la légitimité est entière et qui ont la confiance de leurs concitoyens. Ils connaissent mieux que quiconque les dégâts de la crise dans nos quartiers, dans nos cités comme dans les zones rurales ; ils savent l’impatience, l’exigence de justice et d’égalité. C’est avec eux que je veux réussir le redressement et le retour de la confiance dans le pays.
Voilà pourquoi je veux préparer, avec mon gouvernement, une nouvelle étape de la décentralisation et donner toute leur place aux libertés locales.
Je recevrai ce mois-ci toutes les associations d’élus et je poursuivrai les consultations à la rentrée. Je m’appuierai évidemment sur les conclusions des états généraux de la démocratie territoriale organisés sur votre initiative, monsieur le président du Sénat. Ainsi, le Gouvernement disposera de nombreuses propositions, et un projet de loi sera déposé avant la fin de l’année devant les assemblées.
Or, en vertu de la Constitution, tout projet de loi « ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales » doit vous être soumis en premier lieu. Le Sénat sera donc porteur de la réforme territoriale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Les citoyens attendent de cette nouvelle étape de la décentralisation que l’État et les collectivités locales mènent une action plus lisible, plus efficace, mais aussi moins coûteuse (Ah ! sur les travées de l'UMP.), en tout cas qui préserve l’argent public pour que celui-ci soit efficacement utilisé au service de nos concitoyens. (Bravo ! et applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste.)
Nous proposerons la création du Haut Conseil des territoires (Exclamations sur les travées de l'UMP.), instance de concertation et de proposition qui permettra aux représentants des élus de se réunir et de débattre régulièrement avec les représentants de l’État, et qui s’appuiera évidemment sur le Sénat, comme l’actuel Président de la République l’avait précisément annoncé, lors de la campagne, dans son discours de Dijon, le 3 mars dernier.
M. Daniel Raoul. Ah, le discours de Dijon !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Quant au conseiller territorial, la loi qui l’a créé sera abrogée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UCR. – M. Philippe Adnot applaudit également.)
En conséquence, nous procéderons à la modification du mode d’élection des conseillers généraux (Ah ! sur les travées de l'UMP.), pour permettre une meilleure représentativité des assemblées départementales et davantage de parité. C’est la loi de la République ! (Nouveaux applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UCR. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
Dans le respect du rôle de chaque assemblée, la modification du mode de scrutin et l’adoption du futur calendrier des élections cantonales et régionales…
M. Philippe Bas. Il existe déjà !
Un sénateur de l’UMP. Il est à côté de la plaque !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Je pensais que vous saviez que l’abrogation du conseiller territorial impliquait une modification évidente, logique. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Louis Carrère. Ils le savent !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Vous en reparlerez, mais vous verrez que je ne suis pas « à côté de la plaque » et que le calendrier des élections cantonales et régionales sera élaboré de manière transparente, dans la concertation, contrairement aux habitudes (Protestations sur les mêmes travées.), et particulièrement avec le Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Philippe Adnot applaudit également.)
J’en viens aux structures intercommunales.
Sans entrer dans le détail, je dirai qu’il existe une exigence citoyenne de légitimité démocratique. Mais, là encore, il faut accepter la diversité des territoires en France : il n’y a pas de modèle unique. Certaines associations, certains mouvements, des citoyens demandent l’introduction du suffrage direct pour les agglomérations les plus importantes. En tout cas, cette question est ouverte et sera inscrite à l’ordre du jour du débat que nous aurons avec vous, les associations d’élus et les citoyens.
Quoi qu'il en soit, je m’engage à ce que le Parlement soit associé étroitement à la réflexion préalable à toutes les modifications importantes, notamment celle-ci.
M. Didier Boulaud. Ça va nous changer !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Pour permettre aux parlementaires de se consacrer pleinement à l’exercice de leur mandat (Rires et exclamations.), et conformément aux engagements du Président de la République, il sera mis fin au cumul entre un mandat de parlementaire et l’exercice de fonctions exécutives locales.
Mme Natacha Bouchart. C’est scandaleux ! C’est une honte !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Cette réforme sera applicable avant 2014. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et de l’UCR. – Les sénateurs de l’UMP encouragent de façon plaisante l’ensemble de leurs collègues du groupe socialiste à applaudir à l’unisson.)
Rien ne justifie que les parlementaires ne suivent pas ce que le Gouvernement applique à tous ses membres : il n’y a plus de cumul entre un mandat exécutif local et l’exercice d’une fonction gouvernementale, contrairement à ce qui avait cours voilà encore quelques semaines ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC.)
Rassurez-vous : je me soucie là des conditions de travail des parlementaires, et dans un sens conforme à ce qu’attendent les Français. Le Gouvernement est prêt à faire en sorte de confier de nouvelles responsabilités aux élus des collectivités territoriales. C’est cela la décentralisation : de nouvelles compétences ou délégations, mais toujours avec le même souci de la transparence…
M. Jean Bizet. Et de la justice !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Et de la justice. (Ah ! sur les travées de l'UMP.) Vous voyez que j’écoute même l’opposition !
Avec le même souci de coordonner l’action des collectivités locales entre elles et avec l’État, sans doublon, sans dépense supplémentaire, et avec un seul objectif : l’efficacité de l’action publique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Je sais que c’est difficile, qu’il n’y a pas de recette miracle et toute faite émanant d’une initiative technocratique. La solution doit être démocratique.
Nous sommes donc prêts à procéder aussi par expérimentation, pour ceux et celles qui le souhaiteront, pour éprouver une nouvelle compétence avant d’en prendre éventuellement la responsabilité. Nous pouvons tous citer des exemples. C’est vrai pour les compétences comme pour les délégations : combien ai-je entendu de protestations à propos de l’exercice de la délégation à la pierre ? Certains disaient qu’ils ne se saisiraient pas de cette compétence parce que c’était tel gouvernement qui en avait pris l’initiative. Eh bien, moi, je l’ai expérimentée.
M. François Rebsamen. Moi aussi !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Et je vous dis que ça marche : pour la construction de logements sociaux supplémentaires, les résultats sont là ! Alors, n’ayons pas peur de l’innovation et du changement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mais, au préalable, expérimentons, testons, vérifions !
L’année 2013 sera donc celle de la concertation et de la discussion sur tous ces sujets.
Je sais que les collectivités territoriales et leurs élus sont prêts à prendre toute leur part à l’effort national de redressement des comptes publics : cela a été affirmé par les grandes associations d’élus, et encore rappelé ces derniers jours par la plus importante d’entre elles, l’Association des maires de France. En contrepartie, les collectivités locales bénéficieront d’une plus grande visibilité, gagneront en autonomie et en responsabilité.
Tel est l’objet du pacte de confiance que je souhaite négocier et établir entre l’État et les collectivités locales pour inscrire durablement le rôle et l’effort de chacun. Il n’est pas possible d’avancer sans dire les choses clairement. S’agissant des concours financiers de l’État, j’affirme donc en toute clarté que, oui, ils seront maintenus en valeur pour la période 2013-2015, mais ils ne pourront pas être mis en œuvre sans une répartition plus juste, sans la péréquation !
M. Jean Arthuis. Très bien !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Ce constat vaut également pour la fiscalité locale car, partout, l’objectif, c’est la justice. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Sur toutes ces questions, rien n’est pire que d’annoncer sans cesse le Grand Soir de la décentralisation et de la réforme de l’État sans jamais rien faire, que ce soit par frilosité ou par conservatisme. Or je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, que votre assemblée est prête à faire preuve d’audace et d’innovation, parce que vous sentez la France et que vous la connaissez. Vous constatez bien que nous sommes à un tournant, face à une attente exceptionnelle du pays.
Je sais que les collectivités territoriales sont également confrontées à des problèmes comme celui du financement. C’est vrai cette année ; c’était déjà vrai il y a quelque temps.
M. François Patriat. La droite veut tuer les régions !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Bien entendu, le Gouvernement suit cette question au jour le jour.
La commission des finances du Sénat a examiné hier le dossier très difficile de Dexia. Pour faire face à cette situation, l’État a mis en place un dispositif exceptionnel, avec le déblocage d’une nouvelle enveloppe de financements au titre du fonds d’épargne de la Caisse des dépôts. Le ministre de l’économie et des finances fera le point avec chacune des banques. Oui, les banques ! Car, jusqu’à présent, à l’exception de la Caisse des dépôts et de la Banque postale, peu d’entre elles veulent s’engager en faveur des collectivités locales. (Murmures sur les travées de l'UMP et de l'UCR.) Pourquoi ? Est-ce acceptable ? Nous demandons à chacune d’elles de respecter son engagement de maintenir voire d’accroître son offre de crédit.
Quant à la Banque postale, elle vient de lancer sa première offre de crédit à court terme, qui devrait compléter le partenariat avec la Caisse des dépôts, pour contribuer durablement au financement du secteur public local.
Je le souligne en cet instant, je tiens à ce que cette nouvelle étape de la décentralisation marque un progrès supplémentaire vers l’égalité entre les territoires, notamment dans l’accès aux services publics ; je pense en particulier à nos concitoyens des quartiers populaires et des zones rurales.
M. François Patriat. Ils ont été abandonnés !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Je le répète, nous sommes tous conscients de la nécessité de renforcer la péréquation entre collectivités. Ce n’est pas un exercice facile : de fait, il y a toujours une « bonne raison » de refuser d’accomplir un effort pour les autres.
Mais, là aussi, il faut faire évoluer les esprits. Il s’agit de faire preuve de pédagogie, d’écoute, de persuasion, non d’imposer des dispositifs, mais de convaincre chacun que la justice est conforme à l’intérêt du pays, nécessaire à sa cohésion.
Aujourd’hui, une partie du peuple se sent abandonnée, notamment celle qui habite dans des cités, des banlieues ou des régions rurales très éloignées des centres urbains,…
Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. … ou même dans ce que l’on appelle le « périurbain », souvent peu accessible parce que très mal desservi par des transports publics de mauvaise qualité. Alors, certains Français décrochent, pour lesquels les mots de liberté, d’égalité, de fraternité et de République ne peuvent plus rien vouloir dire !
C’est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, je revendique avec vous, avec le Sénat, la belle idée de la République, mais à condition de la rendre concrète pour l’ensemble de nos concitoyens, et pas seulement pour une partie de la France ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Dans le même esprit, celui de l’égalité entre tous les territoires qui font la France, je salue particulièrement les sénateurs des outre-mer, où, je l’ai dit hier, l’État entend adopter de nouvelles orientations.
Enfin, je souhaite que la décentralisation et la réforme de l’État marchent au même rythme. De fait, je ne crois pas en un État qui s’occupe de tout, de tous les détails ou qui, affaibli, ne sait plus que produire des normes et des règlements supplémentaires pour prétendre affirmer son autorité.
Moi, je veux un État stratège, garant de la cohérence des politiques publiques et de la solidarité entre les citoyens et les territoires. Restaurer la puissance publique, je viens de le souligner, c’est un impératif non seulement pour nos concitoyens mais aussi pour les fonctionnaires et les agents de toutes les fonctions publiques – de l’État, des hôpitaux et des collectivités territoriales. C’est un moyen de restaurer la confiance, si abîmée ces dernières années. Nous avons besoin d’une fonction publique considérée et respectée, et je l’affirme devant les sénateurs : j’ai confiance dans la qualité et l’engagement des fonctionnaires de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Si l’État doit se réformer, se concentrer sur ses missions essentielles, et celles-ci sont nombreuses – je songe, bien sûr, à la justice, à la sécurité, mais aussi aux missions stratégiques, que l’État a tenu à assurer, même si ce fut au prix de son affaiblissement financier –, je souhaite que les services déconcentrés puissent être utiles à la mise en mouvement de toute la société : ils ne sont pas seulement là pour contrôler ; ils doivent également aider et accompagner.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, avec le ministre du redressement productif (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.), nous sommes d’ores et déjà mobilisés face à la situation d’urgence que connaissent certains territoires.
M. Christian Cointat. Et où est-il, ce ministre ?
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Au passage, mesdames, messieurs les sénateurs, il me revient d’excuser, ainsi qu’ils me l’ont demandé, les membres du Gouvernement qui ne sont pas dans cet hémicycle parce qu’ils assistent en ce moment même aux obsèques d’Olivier Ferrand, jeune député décédé il y a quelques jours. Je suis certain que vous comprendrez leur absence.
M. Jean-Claude Gaudin. Bien sûr !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Je tiens à illustrer notre méthode par un exemple. Avant même la mise en œuvre de la banque publique d’investissement, de nombreux plans sociaux se dessinent ; peut-être certains sont-ils déjà validés.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Eh bien, plusieurs d’entre eux exigent un suivi et des décisions gérés à l’échelle nationale, compte tenu de leur importance et de leur gravité. Je songe aux dossiers de l’automobile et de l’agroalimentaire, notamment au groupe Doux et à plusieurs grandes entreprises. Mais il en est d’autres qu’on oublie ou qu’on connaît moins, qui concernent des petites et moyennes entreprises représentant, ici, cinquante emplois, là, cent, mais qui méritent tout autant d’attention !
C’est pourquoi des commissaires à la réindustrialisation ont été nommés auprès des préfets.
M. Yves Détraigne. Ils existaient déjà sous le précédent gouvernement ! (Mme Nathalie Goulet acquiesce.)
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. J’ai demandé aux préfets de désigner des personnes compétentes, connaissant la réalité des entreprises, les questions économiques, sociales, financières, et sachant dialoguer avec les collectivités territoriales.
En outre, avant même que soit engagée la nouvelle étape de la décentralisation, j’ai souhaité que les collectivités territoriales concernées par tel ou tel sujet – notamment les régions, mais pas exclusivement – soient associées dès à présent au suivi et au traitement de ces dossiers difficiles. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, si je vous dis tout cela, c’est parce que j’ai confiance dans nos atouts. J’ai confiance dans la vitalité de nos territoires. J’ai confiance dans la capacité de notre peuple à se rassembler, à mobiliser ses talents et à repartir de l’avant.
Je sais que mon gouvernement pourra compter sur la représentation nationale pour soutenir les efforts que nous avons engagés, parce qu’ils sont marqués du sceau de la justice. Et c’est dans les valeurs de la République que, constamment, nous irons puiser notre énergie, car ces valeurs ont inspiré le rêve français, auquel nous voulons croire encore et toujours ! C’est l’espoir que nous voulons donner au peuple car, même si les temps sont difficiles, nous ne renonçons pas !
Voilà l’étape que nous souhaitons accomplir dès maintenant : franchir tous les obstacles pour réussir, avec vous, le redressement de la France. Je vous remercie dès à présent de votre aide et de votre contribution à cette tâche. (Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que la plupart de ceux du RDSE se lèvent et applaudissent longuement.)
4
Souhaits de bienvenue à une délégation de l’assemblée constituante de Tunisie
M. le président. Mes chers collègues, je tiens à saluer en votre nom la présence, dans notre tribune d’honneur, d’une délégation de l’Assemblée constituante de Tunisie. (Mmes et MM. les sénateurs, M. le Premier ministre ainsi que Mmes et MM. les ministres se lèvent et applaudissent.)
Cette délégation, conduite par M. Imed Hammami, président de la commission des collectivités locales et régionales de cette assemblée, a été accueillie au Sénat par M. Jean-Pierre Sueur, président du groupe d’amitié France-Tunisie.
Comme vous le savez, la Tunisie s’est engagée l’an dernier dans un processus de réforme constitutionnelle. La délégation ici présente porte une attention toute particulière aux dispositions relatives aux collectivités territoriales. Nous formons le vœu que cette visite lui permette de mûrir sa réflexion sur la réforme engagée. Nous suivrons tous ici avec une amicale attention les travaux de l’Assemblée constituante tunisienne et, aux membres de sa délégation, nous souhaitons la plus cordiale bienvenue au Sénat français. (Applaudissements.)
5
Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat (suite)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons entendre à présent les orateurs des groupes.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC ainsi que sur plusieurs travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, chers collègues, le Gouvernement hérite d’une situation difficile. En effet, si notre pays a quelque peu résisté aux pires effets de la crise financière, grâce à son modèle social, que la droite n’a d’ailleurs eu de cesse de casser (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.), il n’en est pas moins en grande souffrance.
Monsieur le Premier ministre, vous avez vous-même dressé le tableau de la situation que nous ont léguée dix ans de politique de la droite (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.) : chômage massif, emploi industriel en chute libre, pouvoir d’achat en recul, dette publique abyssale, des riches toujours plus riches et des pauvres de plus en plus nombreux. (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.)
Mme Isabelle Debré. Bien sûr ! C’est aussi simple que cela !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour certains, la crise serait tombée du ciel. Eh bien non, la crise n’est pas tombée du ciel : elle résulte de la financiarisation continue de l’économie à l’échelle mondiale, financiarisation mise en place ou soutenue par les États eux-mêmes.
Nous avons combattu sans concession la politique de la droite et nous avons contribué à ce que celle-ci soit battue. Les 4 millions de voix qui se sont portées sur le Front de gauche et Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle ont été décisives pour la victoire de la gauche le 6 mai et lors des élections législatives.
Aussi notre position est-elle claire : nous voulons tout faire pour que cette victoire réponde aux espoirs qu’elle a suscités.
M. Philippe Dallier. Dans ce cas, il fallait voter la confiance !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le Premier ministre, vous n’avez pas souhaité prendre en compte la diversité de la gauche qui a permis l’élection de François Hollande et avez considéré que le projet présidentiel de ce dernier était votre seule feuille de route. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas souhaité participer à votre gouvernement. (Rires et exclamations sur les travées de l'UMP.)
Toutefois, partie prenante de la majorité de gauche et souhaitant que celle-ci réussisse, nous ferons en sorte d’être utiles à nos concitoyens pour permettre que les changements attendus aboutissent.
Lors de votre nomination, vous avez déclaré que la page du sarkozysme était tournée. Nous apprécions les symboles, comme celui d’une présidence et d’un Gouvernement « modestes », tant la droite sarkozyenne a donné à voir au cours de ces dernières années l’insolence des riches et le mépris envers les plus humbles (Protestations sur les travées de l'UMP et de l'UCR.), agitant les peurs et la haine, faisant prospérer le Front national en légitimant ses idées.
M. Christian Cointat. N’importe quoi !
M. Alain Dufaut. Caricature !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous apprécions que vous ayez décidé la parité au sein du Gouvernement et créé un ministère des droits des femmes. En outre, nous partageons votre engagement en faveur du droit au mariage et à l’adoption pour les couples homosexuels. (M. André Trillard manifeste sa désapprobation.)
Le collectif budgétaire que vous avez présenté ce matin en conseil des ministres reviendra, si j’ai bien lu ce que la presse a écrit à ce sujet, sur des mesures iniques prises par la droite, comme le cumul, cette année, de l’allégement de l’ISF et du bouclier fiscal, la TVA « antisociale » ou encore l’exonération des heures supplémentaires pour les entreprises de plus de vingt salariés, et il mettra à contribution les dividendes. Ce n’est que justice, et je citerai aussi à cet égard votre engagement à ce que la loi SRU soit enfin respectée.
Nous avons entendu avec satisfaction Mme la garde des sceaux défendre la justice des mineurs et se démarquer des lois sécuritaires et de l’aggravation pénale à l’œuvre depuis dix ans.
A contrario, nous nous inquiétons de la poursuite du traitement de l’immigration par le ministère de l’intérieur, ce que la gauche a toujours critiqué. Nous souhaitons une réflexion sur une politique globale qui rompe avec la façon dont les étrangers sont traités dans ce pays depuis dix ans.
La déclaration de politique générale que vous avez prononcée hier, et dont vous avez aujourd’hui repris des éléments devant nous, engage votre gouvernement dans la durée.
Vous avez évoqué l’exigence de vérité, de sauvegarde de notre modèle républicain et social, de redressement de notre pays, de respect des citoyens et des partenaires sociaux, de justice. Vous avez insisté sur vos priorités : la jeunesse et l’éducation. Aujourd’hui, vous insistez plus particulièrement sur les collectivités territoriales.
Permettez-moi de donner le point de vue de mon groupe sur quelques points.
La justice, elle concerne d’abord ceux qui ont le plus souffert des politiques libérales. Elle implique de réduire le chômage. Les élections passées, les entreprises ont sorti leurs plans de licenciements, qu’elles avaient cachés : 70 000 emplois seraient concernés, et sans doute bien plus avec les emplois induits ; ainsi, à Aulnay, ce ne sont pas seulement les 3 500 salariés de PSA qui sont touchés, mais en réalité 10 000 personnes qui sont concernées.
Vous avez annoncé un plan de soutien au secteur automobile. Rappelez-vous : l’État a octroyé, voilà quatre ans, 4 milliards d’euros de prêts publics aux deux constructeurs français, sans conditions en termes d’emploi. On voit le résultat ! Allez-vous faire autrement ?
La justice, c’est une exigence pour les familles, mais aussi pour les territoires. Écoutez les salariés de PSA-Aulnay ou Rennes qui alertent sur le désastre annoncé pour leur département. Ai-je besoin de rappeler que notre capital industriel a perdu plus de 750 000 emplois en dix ans ? On peut donc se poser la question du redressement économique du pays, dans une situation très préoccupante pour nos territoires, avec une croissance qui, apparemment, serait de 0,3 %.
Nous attendons des mesures immédiates.
Je vous ai proposé de décider d’un moratoire et de l’inscription à l’ordre du jour du Parlement de notre proposition de loi interdisant les licenciements boursiers, votée par les sénateurs socialistes et communistes.
Il y a urgence à montrer que les politiques peuvent quelque chose.
La priorité, ce sont aussi les salaires et le pouvoir d’achat. Aujourd’hui, le coup de pouce de 0,6 % du pouvoir d’achat du SMIC ne nous paraît correspondre ni aux besoins des deux millions et demi de personnes qui essayent d’en vivre, ni aux nécessités de la relance économique.
Mettre en balance hausse des salaires et emplois n’est pas de mise aujourd’hui. Ce qui est certain, c’est que la baisse des salaires n’a sauvé ni l’emploi ni les petites entreprises. L’argument des PME, qui était déjà celui du patronat en 1968, ne tient pas plus. La plupart des PME qui travaillent pour la demande interne souffrent surtout de la baisse du pouvoir d’achat de nos concitoyens, d’un crédit trop cher et d’une fiscalité défavorable par rapport aux grandes entreprises.
En ce qui concerne les services publics, nous souscrivons bien sûr à votre priorité accordée à l’enseignement, à la justice et à la sécurité. Nous n’avons cessé, ces dernières années, de combattre les suppressions de postes et de dénoncer la dégradation de ces secteurs.
Cependant, pour tenir votre objectif de réduction des dépenses publiques, vous demandez à tous les services publics de participer à l’effort de rigueur.
J’ai noté que Mme la ministre de la santé insistait, à juste titre, sur le rôle central de l’hôpital public. Mais, vous le savez, 43 % des hôpitaux sont en déficit et leurs agents, en nombre insuffisant, sont largement précarisés et méprisés.
Notre modèle social, c’est une protection sociale de haut niveau pour tous. Or nombre de nos concitoyens ne peuvent plus se soigner. Quant aux retraites, si votre première décision n’était que justice, nous pensons qu’il faut revenir à une vraie retraite à soixante ans.
Plusieurs sénateurs de l’UMP. Ben voyons !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous craignons que la baisse de l’emploi public, conjuguée à l’état désastreux de l’emploi privé, ne soit un handicap de taille pour amorcer une relance économique pourtant urgente, et même urgentissime.
Cette urgence économique et sociale nous oblige. Nous ne pouvons pas décevoir les attentes de nos concitoyens. La Conférence sociale va se tenir dans les prochains jours. Vous voulez tout mettre « sur la table » avec les partenaires sociaux. Vous ne pouvez pas les décevoir !
Vous demandez également des efforts aux collectivités territoriales. Or, depuis dix ans, elles ont largement pallié les carences de l’État par des interventions dans tous les domaines, sans lesquelles la souffrance et l’exclusion sociale seraient encore plus importantes. D’ailleurs, l’État est débiteur à l’égard de nombreux départements dont les dépenses sociales ont explosé, notamment avec le RMI, puis le RSA, dont le financement lui incombe.
Les collectivités ont pâti de la suppression de la taxe professionnelle, qui n’a pas été compensée par la contribution économique territoriale, il s’en faut, comme elles ont pâti du gel des dotations. Allez-vous maintenir cette situation ?
Avec Mme Lebranchu, vous avez fort justement confirmé l’abrogation du conseiller territorial, votée au Sénat sur notre initiative. Mais la réforme de 2010, à laquelle toute la gauche s’était opposée, demeure. Nombre d’élus de toutes sensibilités ont été meurtris par cette réforme. Aujourd’hui, il faut les respecter, comme il faut respecter les libertés locales, les ressources des collectivités et leurs missions de service public.
En ce qui nous concerne, nous voulons une intercommunalité de coopération, à l’inverse de l’intégration forcée ; nous voulons le respect des identités locales, le maintien de la compétence générale des départements et des régions, indispensable à l’autonomie locale.
C’est ce qui nous fait estimer que la loi de 2010 doit être abrogée.
J’ajoute que nous ne pourrons accepter des mesures qui ne garantiraient pas l’égalité des citoyens, comme de nouveaux transferts ayant pour seul objet de faire faire des économies à l’État ou donnant des pouvoirs réglementaires aux régions.
Vous annoncez, monsieur le Premier ministre, une réforme de la fiscalité dans la loi de finances pour 2013. Selon nous, il est évident que, pour répondre aux besoins sociaux, il faut augmenter les recettes.
Nous sommes favorables au retour d’une progressivité réelle de l’impôt. Nous voulons restaurer pleinement l’ISF et imposer les revenus du capital au même niveau que les salaires.
Nous voulons une remise en cause réelle des exonérations ou défiscalisations. Elles n’ont en aucun cas fait la preuve qu’elles favorisaient la création d’emplois.
Nous voulons une lutte déterminée contre l’évasion fiscale, dont la commission d’enquête créée sur notre initiative au Sénat va décrire les mécanismes et confirmer l’ampleur : environ 50 milliards d’euros par an !
Au cœur de toute la politique que vous allez mener se trouve l’Europe. Vous connaissez notre position. Nous aurons l’occasion de parler, demain, du Conseil européen des 28 et 29 juin.
Le Président de la République s’était engagé à renégocier le traité de Nicolas Sarkozy et Angela Merkel. Aujourd’hui, il est assorti d’un volet « croissance », modeste, de 120 milliards d’euros. Mais le traité demeure. Or celui-ci prévoit des mécanismes de contrôle poussés des budgets nationaux – États, collectivités, administrations publiques, protection sociale.
Rien n’est prévu pour changer le fonctionnement de la BCE ni pour assurer le contrôle démocratique de cette dernière. Nous marchons sur la tête : la BCE prête aux banques, qui prêtent aux États à des taux d’autant plus élevés qu’ils sont en difficulté.
Les grandes questions de l’avenir de l’Europe restent posées : va-t-elle continuer à être mue par la finance, la concurrence et le dumping social, ou bien la France va-t-elle contribuer, sur la durée, avec une politique nouvelle, à une Europe de progrès pour les peuples ?
Le Président de la République veut faire ratifier le traité rapidement. Vous avez plusieurs fois évoqué les citoyens : nous voulons qu’ils soient consultés par référendum sur un traité qui met en cause la souveraineté nationale.
La démocratie, monsieur le Premier ministre, a aussi ses exigences sur le plan institutionnel.
Vous avez renouvelé votre engagement pour le droit de vote des étrangers aux élections locales, que la gauche a voté au Sénat. Nous en sommes évidemment satisfaits, même si le chemin semble encore long.
Vous avez annoncé une dose de proportionnelle et une limitation du cumul des mandats. Nous pensons qu’il nous faut aussi montrer de façon claire que nous voulons sortir du présidentialisme et donner plus de pouvoirs aux citoyens et aux salariés. Nous souhaitons que le débat institutionnel pose ces questions, tant notre démocratie représentative est à bout de souffle.
Monsieur le Premier ministre, vous avez obtenu un vote de confiance à l’Assemblée nationale. Les sénateurs de notre groupe, qui se sont réunis hier, approuvent le choix de l’abstention des députés du Front de gauche.
J’ai entendu votre ministre du travail, M. Michel Sapin, dire que le Front de gauche se mettait « en marge du changement ». Je pourrais citer Jean-Luc Godard : « C’est la marge qui tient la page. »
Mais je veux surtout réaffirmer que nous voulons vraiment le changement. Nous voulons que la justice sociale et le redressement économique s’engagent dès maintenant. Nous saurons soutenir toutes les mesures qui iront dans le bon sens, comme nous le faisons depuis le 25 septembre, en travaillant ici dans la majorité.
Nous ne manquerons pas de faire valoir l’urgence des attentes sociales, des réformes en profondeur nécessaires au redressement de notre pays, et l’exigence d’une Europe solidaire pour les peuples. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis 120 ans, le groupe que j’ai aujourd’hui l’honneur de présider tient une place particulière au sein de la Haute Assemblée : après avoir participé à la fondation de la République, il en a toujours défendu les valeurs essentielles, celles-là mêmes qu’a su en son temps si bien illustrer le radical Gaston Monnerville, symbole de la diversité et premier président de gauche du Sénat de la Ve République. Ces valeurs sont inhérentes à la République et encore plus essentielles aujourd’hui, dans les mutations sociétales auxquelles nous sommes chaque jour confrontés.
Notre groupe réunit des personnalités diverses autour des radicaux de gauche, du MRC, de figures socialistes et d’élus de la nouvelle opposition, dans le respect de la liberté d’expression et de vote de chacun, laquelle nous permet d’être soudés autour d’une vision humaniste et laïque de la société.
Monsieur le Premier ministre, une grande majorité de notre groupe soutiendra votre gouvernement, votera les lois de finances, les projets de loi de financement de la sécurité sociale et ce qui figure au cœur de votre programme.
Mais à vous qui placez votre action sous le signe de la vérité nous vous dirons la nôtre, sans rechercher les effets à usage médiatique, sans marchandage d’aucune sorte, et en vous expliquant loyalement, en amont, les points sur lesquels nous pourrions ne pas partager vos choix.
Une majorité aux ordres devient vite une future minorité, et le dernier quinquennat en a fourni une parfaite illustration. Ici même, le débat sur la réforme des collectivités territoriales fut, à cet égard, une caricature.
La situation de crise vous fait échapper au traditionnel état de grâce, mais c’est peut-être une chance, parce que le pays attend surtout l’état de raison, qui conjugue votre expérience personnelle, vos convictions propres et votre souci du respect de la diversité de la majorité.
Nous sortons d’un quinquennat qui mit beaucoup trop la rupture au cœur de sa pratique, aggravant de facto les conflits entre les citoyens, les corps intermédiaires, le public et le privé, les travailleurs et les chômeurs, entre les territoires, creusant ainsi un fossé entre la chose publique et les citoyens.
La Nation a un besoin impérieux d’être de nouveau apaisée, rassemblée, de restaurer le dialogue en son sein, de reprendre confiance en elle-même et en ceux qui la représentent. C’est possible : le Président de la République et votre gouvernement ont commencé à le faire. Le changement, c’est d’abord et avant tout cela.
Monsieur le Premier ministre, en venant devant la Haute Assemblée nous adresser un message que je qualifierai de « personnalisé », vous confortez le bicamérisme, pourtant souvent mal aimé des exécutifs de la Ve République, en même temps que le rôle constitutionnel du Sénat comme représentant des collectivités territoriales.
Nous ne pouvons voter la confiance puisque vous ne nous la demandez pas. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.) Mais cette confiance sera aussi fonction de la manière dont votre gouvernement travaillera avec le Sénat, sans inflation législative, sans multiplication des procédures accélérées, sans recours abusif au vote conforme, sans passage en force à l’Assemblée nationale, et en saisissant le Sénat en amont sur des projets d’importance. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
Dans la configuration inédite que nous connaissons, où les forces de gauche sont majoritaires dans les deux assemblées, il est important que ce gouvernement respecte le travail du Sénat et l’expression des sénateurs. Vous avez, de ce point de vue, une responsabilité historique car, non, le Sénat n’est pas une anomalie sous la Ve République, et il l’a démontré depuis maintenant neuf mois ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l’UCR et de l’UMP.)
MM. Christian Cointat et Alain Dufaut. Très bien !
M. Jacques Mézard. Vous avez déclaré hier, monsieur le Premier ministre : « Je connais ce temps que l’on perd à force de vouloir en gagner. » Vous ferez donc confiance au Sénat et à sa grande sagesse, celle d’une assemblée politique, mais aussi celle d’une chambre de réflexion et d’expertise de haut niveau, ce qui ne veut pas dire chambre d’inertie, il s’en faut !
Vous connaissez notre attention particulière à toutes les questions concernant les collectivités territoriales, qu’il s’agisse de leur organisation ou de leur financement. Dire que nous avons, sénateurs de toutes sensibilités, mal vécu la dernière réforme des collectivités territoriales est un euphémisme. encore que cela ait favorisé, il faut bien le reconnaître, le changement et l’alternance au sein de cet hémicycle. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. Yvon Collin. C’est vrai !
M. Jacques Mézard. Vous nous annoncez un nouveau mode d’élection des conseillers généraux, un nouveau calendrier des élections régionales et cantonales, une part de proportionnelle aux élections législatives. Mais quelle sera la marge de concertation avec le Parlement, et en premier lieu avec le Sénat, quand de telles annonces sont, en elles-mêmes, une préfiguration de la décision ?
Vous voulez que nos collectivités mènent une action plus lisible, plus efficace et moins coûteuse, vous voulez en finir avec les doublons administratifs : nous partageons ces objectifs.
Cela veut-il dire davantage de spécialisation de compétences, voire de transferts de compétences ?
Vous annoncez un pacte financier avec l’État. C’est indispensable et c’est raisonnable. Mais quelles sont vos intentions quant aux recettes fiscales des collectivités : révision des bases, valeurs déclaratives ?
Sur la question du non-cumul des mandats (Ah ! sur les travées de l'UMP.), il est toujours facile de surfer sur la vague de l’opinion publique.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Bien sûr, il faut une limitation des cumuls. Mais comment imaginer que le Sénat de la République, « Grand conseil des communes de France », auquel la Constitution confère, en son article 39, une responsabilité spécifique concernant le vote des lois relatives aux collectivités locales, pourrait n’être composé que d’élus « hors-sol », coupés de la gestion quotidienne des collectivités… (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP, de l’UCR et du RDSE.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Très bien !
M. Jacques Mézard. … et purs produits des appareils des partis ?
Sachez en tout cas que les radicaux ne vous suivront pas sur ce terrain. (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.)
En revanche, comme nous l’avons déjà indiqué, une limitation dans le temps du nombre de renouvellements du même mandat serait un meilleur moyen de faire de la place aux jeunes, et de vraies sanctions financières sur l’absentéisme chronique, qui nuit au travail parlementaire, mériteraient d’être étudiées. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
Le redressement économique et la réindustrialisation sont au cœur de votre projet, de notre projet. Le constat de la perte de 750 000 emplois de 2007 à 2011, le gouffre du déficit commercial ne souffrent aucune discussion.
La croissance est d’autant plus indispensable qu’il est utopique de vouloir résorber les déficits et redresser notre économie sans elle. Le succès de votre plan de reconquête industrielle est un enjeu prioritaire, axé sur l’innovation, la recherche et la valorisation des produits de qualité.
Monsieur le Premier ministre, pour produire il faut de l’énergie, pour assurer de la croissance il faut de l’énergie à prix compétitif et il faut donc dépendre le moins possible des importations.
M. Aymeri de Montesquiou. Très bien !
M. Jacques Mézard. L’indépendance énergétique de la France, de l’Europe, est un objectif incontournable, bien sûr avec le développement fort des énergies renouvelables, bien sûr avec un programme d’économies d’énergie, en particulier dans le logement et les transports, mais aussi par la recherche et le développement de technologies d’avenir y compris dans la filière nucléaire, à laquelle notre groupe, dans sa totalité, est très attaché (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.) et saura manifester, par ses votes, son opposition à tout démembrement d’inspiration dogmatique.(Mêmes mouvements sur les mêmes travées.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il fallait le dire !
M. Jacques Mézard. Oui, il convient de poursuivre le programme ASTRID. Oui, la recherche autour d’ITER doit continuer.
M. Charles Revet. Il faut un peu de sérieux !
M. Jacques Mézard. Les apôtres de la décroissance sont les prêtres d’une idéologie réactionnaire au sens premier du terme,…
M. Christian Cointat. Bravo !
M. Jacques Mézard. … et ce alors que la démographie de la planète explose, que croissance et production sont vitales pour atténuer conflits et drames humains. Il est de notre responsabilité collective de ne pas céder aux chants des sirènes et aux cris alarmistes de quelques-uns.
Monsieur le Premier ministre, nous considérons avec vous que, dans cette reconstruction de l’appareil de production nationale, les PME devront faire l’objet d’un soutien déterminé et bénéficier de dispositifs fiscaux avantageux. Il en est de même pour l’ensemble des secteurs de l’artisanat, du commerce et du tourisme.
Vous avez la mission de réparer et de construire.
D’abord, il convient de rétablir les finances publiques, parce que sans finances saines aucune politique n’est saine. Nous connaissons l’importance du déficit public, et celle aussi du déficit du commerce extérieur.
L’audit de la Cour des comptes est une photographie de la situation. Ses préconisations nécessiteront des arbitrages difficiles, mais inéluctables, du gel en valeur absolue de la masse salariale des administrations publiques à l’élagage des 1 300 dispositifs des dépenses d’intervention.
Mais la rigueur n’est pas l’austérité. C’est simplement de la bonne gestion, seul vrai moyen de relancer l’économie et, précisément, d’éviter l’austérité.
Pour rétablir les finances publiques, le langage de la vérité oblige à dire que vous mettrez en place de nouveaux prélèvements fiscaux. Il est juste – et vous avez raison de le dire – que soient mis à contribution ceux qui ont le plus de moyens d’y faire face. C’est un devoir de justice. Le lien social, le tissu républicain ne peuvent supporter plus longtemps l’élargissement du fossé des inégalités entre les hommes, entre les territoires, les boucliers à usage des « surarmés », les rémunérations indécentes, l’arrogance de l’affairisme et des corporatismes, qu’ont illustré les errements sur la TVA. Oui, il faudra donner une nouvelle orientation à la CSG. Oui, la lutte contre la précarité est essentielle.
Comment pourrait-on imaginer que cette politique alliant gestion saine et croissance aurait un sens et les moyens de prospérer sans s’insérer dans la relance de la construction européenne ? Comment imaginer avoir un impact sur la croissance sans concertation et coordination des politiques européennes ?
M. Aymeri de Montesquiou. Très bien !
M. Jacques Mézard. Comment imaginer maîtriser les marchés financiers sans consensus européen ?
À l’heure où dans le monde de grands empires se forment ou se reconstituent, seule l’échelle de l’Europe est pertinente, y compris jusqu’à Ankara. (Bravo ! et applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)
Pour les radicaux, la construction européenne demeure l’avenir dans une vision fédéraliste respectant l’identité nationale. Je n’ignore pas la sensibilité particulière de mon collègue Jean-Pierre Chevènement sur ce point et son analyse sur la crise de la monnaie unique.
Il n’en reste pas moins que le sommet européen des 28 et 29 juin ainsi que la volonté et la juste conviction du Président Hollande constituent un tournant positif que nous saluons, l’objectif étant de remettre la croissance et la décision politique au cœur du projet européen, de briser le cercle vicieux existant entre les banques et les États, le mécanisme de surveillance unique associant la BCE. Pourvu que cela dure ! Pourvu que cette nouvelle dynamique impulsée par la France l’emporte sur les vieux schémas technocratiques !
Les questions de société sont forcément au cœur de tout projet politique : pour nous, le principe constitutionnel qui symbolise les combats et les traditions de notre groupe, c’est la laïcité. C’est encore plus qu’hier un principe d’avenir, le moyen d’écarter la montée des communautarismes, de garantir la paix civile, le respect de toutes les opinions et de toutes les croyances. La République est laïque et aucune concession sur ce principe ne saurait être acceptée.
C’est aussi le moyen de faciliter la prise en compte législative des mutations sociales, du droit au mariage pour tous, de la politique d’immigration.
Parmi ces questions de société, celles qui concernent la justice et la sécurité sont préoccupantes. Nous avons combattu l’accumulation des lois sécuritaires ; nous comptons sur vous pour stopper cette inflation législative : moins il y a de lois, plus elles sont appliquées.
Monsieur le Premier ministre, merci d’avoir dit hier que l’ordre public n’est pas compatible avec la culture de l’instant. Pour nous, le laxisme n’est pas une solution, pas plus que la politique du chiffre.
Pour terminer, je voudrais simplement vous dire combien nous partageons la volonté du Président de la République et de votre gouvernement de faire de la jeunesse et de l’éducation la priorité du quinquennat. L’école de la République, c’est le fil rouge de la République. Rien de durable ne se fera sans reconstruire le socle de l’enseignement primaire. Savoir lire, écrire, compter, apprendre à respecter les autres, c’est la base de tout !
Faire que chaque enfant, quelle que soit son origine, quel que soit son lieu de résidence – je pense à nos banlieues, à nos départements ruraux – dispose des mêmes chances au sein de l’école publique : c’est le combat qui fut toujours le nôtre. Il marquera aussi, je l’espère, le succès de votre gouvernement.
Nous connaissons la difficulté et la grandeur de la mission qui vous est confiée.
Monsieur le Premier ministre, Sir Robert Walpole, l’un des fondateurs de la démocratie anglaise, disait : « Peu d’hommes doivent devenir Premier ministre, car il ne convient pas qu’un trop grand nombre sache combien les hommes sont méchants. » (M. le Premier ministre sourit.) Ce ne sera pas votre cas : nous pensons très majoritairement que vous avez la volonté, la capacité, le jour où vous cesserez vos fonctions, de laisser la Nation dans un meilleur état que celui dans lequel vous l’avez trouvée.
Nous sommes nombreux sur ces bancs à éprouver le même attachement que vous aux valeurs de notre République. Nous comptons sur vous pour la faire, avec nous, plus juste et plus belle. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi que sur quelques travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Gaudin. (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l’UCR.)
M. Jean-Claude Gaudin. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nos concitoyens ont choisi un nouveau Président de la République et une nouvelle majorité.
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est bien vrai !
M. Jean-Claude Gaudin. Ce choix démocratique s’impose à tous et détermine le rôle de chacun.
À nous, l’UMP et le centre, l’opposition républicaine.
À vous, la responsabilité du gouvernement de la France, toute la responsabilité, parce que vous avez toutes les clés : la Présidence de la République, le Gouvernement, l’Assemblée nationale et le Sénat.
M. Jean-Louis Carrère. Sauf Marseille !
M. Jean-Claude Gaudin. Sans parler d’autres pouvoirs qui sont autant de leviers d’influence majeurs. Il n’y a guère que la majorité constitutionnelle qualifiée des trois cinquièmes dont vous ne disposiez pas, mais vous avez encore mieux : le référendum ! Nous espérons que vous vous en servirez. (Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Nous avons écouté le candidat socialiste pendant la campagne électorale et « tout ce qu’il avait oublié de nous dire ». Et, hier, nous avons écouté votre déclaration de politique générale, monsieur le Premier ministre. Nous regrettons de vous dire que nous en sommes toujours réduits au doute, à l’interrogation et à l’inquiétude pour les cinq années à venir.
Mais il y a aussi des certitudes. La première est que l’importance de vos pouvoirs est à la mesure des attentes et des espérances. Toute victoire électorale oblige. Mais votre victoire complète vous oblige complètement ! Les Français veulent le redressement de la France dans un monde recomposé et compétitif.
M. Roland Courteau. Ils l’auront !
M. Jean-Claude Gaudin. Ils veulent la sécurité face au risque, face à tous les risques, ceux de la délinquance, mais aussi ceux des atteintes à l’environnement et à l’avenir. Ces attentes ne sont pas nouvelles, mais elles ont été renforcées par toutes vos promesses. D’autant que vous n’avez lésiné ni sur les critiques du Président et du gouvernement précédents…
M. Martial Bourquin. Elles étaient fondées !
M. Jean-Claude Gaudin. … ni sur les affirmations, voire les rodomontades quant à votre capacité de faire beaucoup mieux.
Mais aujourd’hui, votre première responsabilité, à partir de votre déclaration de politique générale, est de refermer le temps des élections. Cela signifie d’abord qu’il faut mettre un terme à ce « concours d’inélégances » vis-à-vis de l’ancien Président de la République (Applaudissements sur les travées de l'UMP.), concours qui a marqué les premiers temps du nouveau pouvoir. (M. David Assouline s’exclame.) Il sera beaucoup plus utile pour la France que le nouveau Président de la République, qui n’a pas reconnu à son prédécesseur d’autre qualité que celle de partir, témoigne rapidement, au service des Français, d’autres mérites que celui d’être arrivé.
M. Didier Boulaud. C’est une qualité !
M. Jean-Claude Gaudin. Et vous n’y parviendrez pas si votre premier souci est de défaire, par pure idéologie, ce que la précédente majorité a construit,…
M. Jean-Louis Carrère. Ça, c’est de l’idéologie !
M. Jean-Claude Gaudin. … ou de dire, comme l’a fait récemment M. le ministre de l’économie, que « l’UMP n’a rien foutu », et de continuer à réciter par cœur les strophes du programme électoral socialiste.
M. Jean-Louis Carrère. C’est du mauvais Pagnol !
M. Jean-Claude Gaudin. Nous savons trop les règles du genre : une collection de promesses, un chapelet de poncifs, un feu d’artifice d’illusions, beaucoup d’annonces, des contresens ; mais aussi, désormais, des silences majeurs.
Dans votre déclaration de politique générale, vous n’avez pas échappé à la reprise de ces 60 propositions. C’est déjà beaucoup moins que les 110 propositions de 1981, mais, trente et un ans plus tard, j’ai un peu l’impression de me retrouver en face de Pierre Mauroy qui, à la tribune de l’Assemblée nationale, nous avait aussi annoncé qu’il allait « changer la vie ».
Monsieur le Premier ministre, personne ne souhaite que, dans deux ans, dans un an, voire plus tôt encore, vous veniez nous dire ici que vous êtes obligé de changer radicalement de politique, de refaire « le tournant de la rigueur ».
M. Didier Guillaume. Mitterrand a fait deux mandats !
M. Jean-Claude Gaudin. Cela étant, avec le recul, j’avoue que j’ai de l’estime pour Pierre Mauroy, avec qui vous avez en commun, je pense, nombre de qualités.
En 1983, s’il n’avait pas été un Premier ministre responsable, et sans Jacques Delors, la France serait sortie du système monétaire européen, et nous n’aurions pu mettre en place ni le marché unique ni l’euro.
M. David Assouline. C’est du passé !
M. Jean-Claude Gaudin. Aujourd’hui, si la France mène une politique à contresens de l’Europe, elle risque de sortir de l’euro. J’espère, monsieur le Premier ministre, que vous ne serez pas le chef d’un gouvernement qui nous placera dans cette situation.
M. Pierre Hérisson. Très bien !
M. Jean-Claude Gaudin. Monsieur le Premier ministre, je l’ai dit, votre victoire vous oblige. Votre obligation est de regarder les réalités en face et de les expliquer aux Français. La réalité, c’est la crise, une crise très grave qui vous contraint terriblement.
Face à cette crise française et européenne, une course de vitesse est engagée par notre pays contre le déclin et ses stigmates, les déficits, la dette, le chômage, les délocalisations, la récession, c'est-à-dire la spirale du déclin.
M. Roland Courteau. C’est l’héritage !
M. Jean-Claude Gaudin. La situation de la France et des Français ne peut désormais être ni appréhendée ni décidée à l’intérieur des frontières de notre « cher et vieux pays ».
M. François Rebsamen. À qui la faute ?
M. Jean-Claude Gaudin. La dimension hexagonale n’existe plus, comme en témoigne, depuis un mois et demi, l’agenda international du Président de la République. Il a en effet passé davantage de temps dans les sommets internationaux qu’à Paris,…
M. Didier Guillaume. Il a œuvré avec succès !
M. Jean-Claude Gaudin. … mais il ne viendrait à l’idée de personne de le lui reprocher.
M. David Assouline. C’est le Premier ministre qui gouverne !
M. Jean-Claude Gaudin. Ceux qui voudraient isoler la France, la conduire à se refermer sur elle-même, sur sa production, sa monnaie, ses droits de douane, ne feraient que l’enfoncer davantage.
Mais tel n’est pas votre cas, monsieur le Premier ministre. Nous partageons en commun la conscience du monde d’aujourd’hui, un monde qui doit être organisé, régulé, solidarisé.
La crise, vous avez largement fait l’impasse pendant la campagne électorale sur ce qu’il fallait en dire et surtout en déduire. (Applaudissements sur quelques travées de l'UMP.) Pourtant, vous connaissiez parfaitement la situation. Vous avez suffisamment d’experts amis dans les administrations, lesquels vous ont décrit depuis longtemps la gravité de la crise.
Je ne pense pas que l’on puisse appliquer au Premier ministre la formule que Pagnol – voilà pour vous, monsieur Carrère ! – a employée à propos de Marius et de Fanny : « Tout le monde était au courant. Mais M. Brun, lui, ne le savait pas. » Car il n’est pas lyonnais ! (Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l'UCR.)
M. Marc Daunis. « Tu me fends le cœur ! » (Sourires.)
M. Jean-Claude Gaudin. Ne dites pas non plus que cette situation est pire que prévu. C’est exactement celle qui, depuis des mois et des mois, est décrite dans tous les rapports sur les comptes publics réalisés par la Cour des comptes, l’Inspection générale des finances, les commissions des finances du Parlement et la Commission européenne, sans compter, bien sûr, le nouvel audit publié hier par la Cour des comptes. Ce dernier a le grand mérite de confirmer que « les objectifs budgétaires de 2011 ont été atteints » et qu’il faudra « procéder à un freinage sans précédent des dépenses publiques ». Ce n’est pas nous qui le disons, c’est la Cour des comptes ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. Charles Revet. Bravo ! Il fallait le rappeler !
M. Jean-Claude Gaudin. Des rapports, monsieur le Premier ministre, vous en avez sur votre bureau jusqu’au plafond. Ils font tous le même diagnostic : l’endettement français doit être maîtrisé pour éviter la banqueroute ; l’économie française perd des emplois parce qu’elle est écrasée par les charges et les prélèvements publics.
En fait, ces réalités, vous les connaissiez, mais vous n’avez pas souhaité les dire aux Français. Vous avez préféré leur promettre des dépenses nouvelles, plutôt que des économies.
D’ailleurs, lorsque le gouvernement précédent a proposé d’instaurer la règle d’or, vous l’avez refusée. Pourtant, elle vous serait bien utile aujourd’hui pour éviter les débordements de vos alliés politiques et syndicaux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Lorsque le gouvernement précédent a fait voter par le Parlement l’abaissement des charges des entreprises gagé sur la « TVA compétitivité », vous l’avez également refusé. C’était pourtant bien ce qu’il fallait faire ! Les Allemands l’ont d’ailleurs fait pour rétablir la compétitivité de leurs entreprises. Or vous vous apprêtez à revenir sur cette mesure.
Au demeurant, dès la mise en place de votre gouvernement et avant même l’audit de la Cour des comptes, vous avez remis en cause la courageuse réforme des retraites adoptée par le Parlement. Vous l’avez modifiée par décret, ce qui est une grave erreur, pour ne pas dire une faute !
M. Yves Daudigny. C’est la sagesse !
M. Jean-Claude Gaudin. Mais, surtout, la réalité, c’est que la situation économique actuelle peut encore se dégrader davantage, et ce très vite sous l’effet de vos annonces et de vos décisions.
M. Jean-Louis Carrère. On dirait que vous le souhaitez !
M. Jean-Claude Gaudin. Il ne faudra alors surtout pas venir insulter le passé et dire que les plans sociaux de la rentrée sont la faute du gouvernement précédent.
M. David Assouline. C’est la vérité ! Non seulement on le dit, mais on l’affirme !
M. Jean-Claude Gaudin. Tout dépend maintenant de vous.
Il est vrai – personne ne l’a jamais nié – qu’il faut de la croissance, et personne ne ménagera ses efforts pour la favoriser. Le grand emprunt, les pôles de compétitivité, ainsi que de nombreuses réformes engagées par le gouvernement précédent, notamment l’autonomie des universités, participent de ce grand chantier destiné à créer une nouvelle croissance française.
D’ailleurs, la croissance figure clairement dans les conclusions du Conseil européen de mars 2011. L’accord positif conclu lors du dernier Conseil européen est, d’abord, l’aboutissement d’un long processus, entamé bien avant vous.
Toutefois, la croissance n’a que faire des exhortations inénarrables, telle cette déclaration, faite dès le lendemain de la victoire de François Hollande, par l’un de vos amis : « Le vent de la croissance commence à souffler sur les steppes de l’austérité. » (Rires sur les travées de l'UMP.) Un tel lyrisme n’étonne pas de la part de l’auteur d’un pamphlet célèbre sur la démondialisation, mais il faudra que votre ministre du redressement productif déploie d’autres talents pour faire revenir la croissance.
Il lui faudra ainsi instaurer la confiance. « Pas de confiance, pas de croissance », disent les économistes. Or on n’attrape pas la confiance avec du vinaigre, autrement dit avec des potions fiscales amères pour ceux qui entreprennent et investissent.
Il ne sera plus nécessaire de stigmatiser le gouvernement britannique, qui veut « dérouler le tapis rouge » aux entrepreneurs français,…
M. Jean-Louis Carrère. Ils n’aiment pas le rouge ! (Sourires.)
M. Jean-Claude Gaudin. … si la France et son gouvernement savent mobiliser et retenir ceux-ci afin qu’ils investissent en priorité dans leur pays, la France,…
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Claude Gaudin. … et qu’ils créent en priorité des emplois pour les Français.
M. David Assouline. Qu’avez-vous fait pendant dix ans ?
M. Jean-Claude Gaudin. Face aux réalités de la crise, il n’y a pas d’échappatoire ; il n’y a que des impératifs catégoriques : celui de la maîtrise des comptes publics, celui de la compétitivité et de la croissance, celui de la cohésion européenne pour la réussite de la France.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Tout l’inverse de ce que vous avez fait !
M. Jean-Claude Gaudin. Monsieur le Premier ministre, vous êtes au pied du mur. Votre victoire vous oblige, la crise vous contraint, mais votre programme vous condamne ! (Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Tel qu’il est conçu, et tel que vous nous l’avez confirmé lors de votre déclaration de politique générale, avec ses dépenses publiques nouvelles sans réformes structurelles, dans la situation d’aujourd’hui et de demain, votre programme vous condamne à effectuer un revirement rapide, brutal et douloureux. Au total, ce seront encore les Français qui paieront l’addition, et ce dans des proportions bien plus importantes qu’en 1983. Pas seulement les riches et les classes moyennes, mais tous les Français !
Votre programme est un boulet que vous allez devoir traîner. La seule solution, votre seule chance, c’est de ne pas l’appliquer (Nouveaux rires et applaudissements sur les mêmes travées.), tout du moins les mesures les plus contraires à l’intérêt de la France. Voilà ce que vous serez obligé de faire dans quelques mois !
Le principe de réalité a d’ailleurs déjà commencé à descendre un peu sur vous, à l’instar d’un lundi de Pentecôte ! (Rires sur les travées de l'UMP.) Ainsi, vous ne parlez plus de certaines propositions comme le doublement du plafond du livret A ou une réforme de la fiscalité des carburants. Mais, surtout, vos lettres de cadrage budgétaire prévoient une réduction du nombre des fonctionnaires et des économies de gestion, ce que, du reste, nous ne vous reprocherons pas !
Nous vous le disons, il vous faut absolument choisir entre une politique de redressement et une politique de relâchement. Vous ne pouvez mener les deux à la fois. Or il y a encore trop de flou dans vos intentions et dans vos annonces, et, comme l’a dit Mme Aubry, « quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup ». (Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. Roland Courteau. C’est un peu facile !
M. Jean-Claude Gaudin. Il n’y aura pas de maîtrise de la dette publique sans économies importantes.
Il n’y aura pas d’économies sans réduction du nombre des fonctionnaires.
Il n’y aura pas de redressement de l’emploi sans diminution des charges des entreprises, donc des dépenses sociales.
Il n’y aura pas de solution dans une fuite en avant vers l’illusion d’une dette payée par d’autres pays.
Vous connaissez et appréciez suffisamment les Allemands pour savoir que l’appel de la Chancelière Angela Merkel à éviter « les solutions de facilité » et « la médiocrité comme recettes face à la crise » est le seul message de lucidité et de responsabilité qui vaille.
Depuis quelques semaines, l’attitude du Gouvernement à l’égard de l’Allemagne est difficilement acceptable (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.), elle est surtout inefficace et injuste. (Applaudissements sur quelques travées de l'UMP.)
M. David Assouline. Et le patriotisme ?
M. Jean-Claude Gaudin. Nous restons persuadés que le couple franco-allemand doit continuer de bien s’entendre pour rester une force de progrès de l’Europe,…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Bien sûr !
M. Jean-Claude Gaudin. … comme il l’a toujours été depuis le général de Gaulle et Konrad Adenauer.
Le problème, votre problème, n’est pas seulement celui du ministre des finances, qui doit trouver 10 milliards d’euros pour boucler le budget de 2012 et 33 milliards d’euros, nous dit-on, pour financer celui de 2013.
Le « choc fiscal » que vous programmez va affaiblir le secteur productif, détruire des centaines de milliers d’emplois, atrophier un peu plus notre capacité à l’exportation,…
M. Jean-Louis Carrère. Et vous êtes des experts !
M. Jean-Claude Gaudin. … alors même que le déficit de notre commerce extérieur s’élève déjà à 70 milliards d’euros.
Dans ce contexte, il serait irresponsable de programmer des dépenses nouvelles.
M. Jean-Louis Carrère. Et les 600 milliards d’euros ?
M. Jean-Claude Gaudin. Le Président de la République a d’ailleurs lui-même déclaré devant le Conseil économique, social et environnemental, le CESE, que « la croissance ne naîtra pas de dépenses publiques supplémentaires au moment où les États connaissent un endettement élevé ».
Monsieur le Premier ministre, il n’échappe à personne que vos dépenses nouvelles sont autant de « marqueurs idéologiques » destinés à certaines catégories d’électeurs.
M. Christian Bourquin. Vous ne manquez pas d’air !
M. David Assouline. Et les 600 milliards d’euros ?
M. Jean-Claude Gaudin. Laissez tomber ces marqueurs au nom de la raison d’État, notamment votre stupide taxation à 75 % des revenus élevés.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Elle concernera les riches !
M. Jean-Claude Gaudin. Cette mesure a déjà donné son meilleur bénéfice en réduisant le score du Front de gauche au premier tour de l’élection présidentielle !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Et à combien s’élèvent vos cadeaux fiscaux ?
M. Jean-Claude Gaudin. Elle ne produira maintenant que des pertes, en faisant fuir les talents et les capitaux !
M. Didier Boulaud. Rendez-nous Johnny Hallyday !
M. Jean-Louis Carrère. Même Zidane a dit « oui » !
M. Jean-Claude Gaudin. L’idéologie marque aussi d’autres domaines évoqués lors de votre déclaration de politique générale : l’éducation, la sécurité, la justice, le vote des étrangers notamment. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. David Assouline. Écoutez M. Borloo !
M. Jean-Claude Gaudin. Certes, des réformes sont toujours à imaginer et des progrès à réaliser, mais à condition que les propositions nouvelles soient réalistes, qu’elles soient le fruit d’une réflexion et d’une discussion.
L’enjeu de l’emploi mérite mieux que l’annonce de la création de 150 000 emplois d’avenir. On ne fera pas deux fois aux collectivités territoriales le coup des emplois jeunes de M. Jospin ! (Applaudissements sur quelques travées de l'UMP.)
Mlle Sophie Joissains. Bravo !
M. Jean-Claude Gaudin. L’enjeu de l’éducation mérite mieux que l’annonce faite un jour, puis aussitôt démentie le lendemain, du retour à la semaine de cinq jours. Si M. Peillon avait toujours été un élu local, il se serait posé un certain nombre de questions avant de faire une telle annonce et il nous les aurait posées !
Mme Christiane Demontès. Qu’a fait Xavier Darcos quand il était ministre de l’éducation nationale ?
M. Claude Bérit-Débat. Qu’avez-vous fait ?
M. Jean-Claude Gaudin. Beaucoup mieux que vous ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
L’enjeu de la sécurité et de la justice mérite mieux que les premières mesures annoncées, qui témoignent d’une vision naïve de la délinquance et d’un retour au laxisme,…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. N’importe quoi !
M. David Assouline. Vous êtes forts à Marseille !
M. Jean-Claude Gaudin. … avec la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, ceux qui savent le mieux faire fonctionner les kalachnikovs (Rires sur les travées de l'UMP.), et la suppression des peines planchers. Je ne parlerai même pas du « récépissé de contrôle d’identité », qu’on pourrait croire directement sorti de Pif Gadget (Nouveaux rires.), et dont votre ministre de l’intérieur se demande lui-même « comment ça pourrait fonctionner ».
Quant à l’enjeu de la cohésion sociale et de l’intégration, il serait desservi par votre projet d’accorder le droit de vote aux étrangers aux élections locales. Procédez par référendum, et vous ne serez pas déçu du résultat ! Vous risquez d’avoir deux gagnants, le populisme et le nationalisme, et un perdant, la France républicaine. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
Le Président de la République aime à se présenter comme un président normal,...
Un sénateur du groupe socialiste. Et populaire !
M. Jean-Claude Gaudin. ... avec un gouvernement normal. Conduisez donc une politique normale (Rires sur les travées de l’UMP.), avec une dette normale et une fiscalité normale. C’est ainsi que nous aurons une croissance normale, une économie normale et une Europe normale ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
Certes, comme vous l’avez dit, « l’œuvre qui est devant [vous] est immense, rien ne sera facile, rien ne [vous] sera donné », notamment parce qu’il vous faudra convaincre vos amis du Front de gauche et vos alliés écologistes. (Tout à fait ! sur certaines travées de l’UMP.)
À cet égard, monsieur le Premier ministre, nous regrettons que vous ayez eu recours hier à l’article 50-1 de la Constitution. Pour notre part, nous aurions préféré voter sur votre déclaration de politique générale. Notre vote à nous, vous le connaissez, il ne vous aurait pas surpris. En revanche, celui de la majorité sénatoriale, parce qu’il se joue à six voix près, aurait pu conduire à un résultat différent de celui que vous avez obtenu à l’Assemblée nationale. D’ailleurs, il ne manquera pas d’être différent à l’avenir, on vient de vous le dire ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Cela commence donc mal, monsieur le Premier ministre ! C’est pourquoi les sénatrices et les sénateurs du groupe UMP n’accorderont évidemment pas leur confiance au Gouvernement. (Les sénateurs de l’UMP se lèvent et applaudissent. –Les sénateurs de l’UCR applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.
M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres – permettes-moi de saluer tout particulièrement Cécile Duflot et Pascal Canfin –, mes chers collègues, comme nous tous, j’ai apprécié l’esprit convivial, la faconde et l’humour de Jean-Claude Gaudin.
Toutefois, même si, sur la forme, son discours était un peu amusant, j’avoue que je suis très fier et content que nous ayons enfin tourné la page de ce quinquennat de brutalité, d’injustice et de discrimination (Vives protestations sur les travées de l'UMP.), de ce quinquennat au cours duquel on a sans vergogne dressé les Français les uns contre les autres, de ce quinquennat qui s’est achevé ouvertement à l’extrême droite, par une campagne empoisonnée par la vindicte et la haine à l’égard des pauvres, des étrangers et des musulmans. Les leçons, cela suffit : ce sont plutôt des excuses que nous attendons ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. –La plupart des sénateurs de l’UMP quittent l’hémicycle.)
Si nous sommes parvenus, mes chers collègues, à nous libérer de cette violence insoutenable, c’est notamment parce que la gauche et les écologistes ont choisi, avec responsabilité, d’unir leurs forces pour l’élection présidentielle et les élections législatives, comme nous l’avions déjà fait lors des élections sénatoriales l’an dernier, ce qui nous avait permis de faire basculer la majorité d’un Sénat jusque-là promis à un éternel conservatisme. C’est grâce à ce basculement que vous êtes devenu le premier président du Sénat de gauche de la Ve République, monsieur Bel ; c’est une grande fierté pour nous. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
La situation financière de la France est problématique : la dette nous accable, sa charge nous obère. À cet égard, je tiens à saluer le discours de vérité du Président de la République. Pour nous, écologistes, qui sommes souvent accusés de catastrophisme, il est primordial de donner à nos concitoyens une vision lucide de l’avenir. Pendant sa campagne, François Hollande n’a pas cherché à dissimuler la réalité aux Français. (Protestations sur quelques travées de l'UMP.)
Lestés de cette dette héritée du passé, nous partageons avec vous, monsieur le Premier ministre, le poids de la responsabilité qui nous incombe face à la jeunesse de notre pays. C’est à notre majorité qu’il appartient désormais d’entreprendre les efforts nécessaires à l’assainissement de nos finances publiques.
Nous aurons l’occasion, lors de l’examen des projets de loi de finances, de discuter des modalités des mesures que vous proposez – augmentation des recettes fiscales et stabilisation des dépenses –, mais sachez d’ores et déjà que nous soutenons pleinement votre volonté, monsieur le Premier ministre, de réhabiliter l’assiette de l’impôt, actuellement grevée de niches, de rééquilibrer le rapport entre le travail et le capital et de réduire les inégalités de revenus. La transition écologique que nous appelons de nos vœux ne pourra se faire que dans une société équitable et apaisée, société à l’avènement de laquelle les mesures que vous proposez vont concourir.
Toutefois, en dépit de l’exigence de justice à laquelle s’astreint votre gouvernement, les efforts qui doivent être consentis pèseront sur nos concitoyens. Si, dans leur majorité, ils y sont sans doute prêts, il ne faudrait pas que, dans cinq ans, on vienne leur expliquer que leurs efforts ont été vains. Or vous avez affirmé hier, monsieur le Premier ministre, que rien ne serait possible sans le retour de la croissance. On touche là, chacun le sait, au cœur du paradigme écologiste, selon lequel la progressive raréfaction des ressources entraîne inéluctablement une augmentation des prix et un ralentissement de la croissance.
Il ne s’agit pas seulement d’une théorie : la croissance française, qui était en moyenne de 5,7 % par an dans les années soixante, n’était plus que de 3,7 % dans les années soixante-dix, de 2,4 % dans les années quatre-vingt, de 2 % dans les années quatre-vingt-dix et de 1,1 % dans les années deux mille. Dans la mesure où une part de cette croissance moribonde a en outre été artificiellement créée par la dette qui nous submerge aujourd’hui, il ne nous semble plus permis de croire – car il s’agit bien d’une croyance, monsieur le Premier ministre – au retour d’une croissance durable, au-delà des variations conjoncturelles.
M. Jean-François Husson. Apôtre de la décroissance !
M. Jean-Vincent Placé. Ainsi que l’avaient prédit en 1970 les scientifiques du Club de Rome, nous vivons en ce début de XXIe siècle les prémices des crises de rareté, avec une nette augmentation du prix des matières premières et de l’énergie – nous le voyons tous les jours –, tandis que la croissance s’évanouit inexorablement.
À cela s’ajoutent les conséquences de la course folle d’un système productiviste fondé sur la rentabilité : accéléré par la publicité et l’obsolescence programmée des objets, le cycle de consommation s’emballe jusqu’à l’absurde, causant des pollutions diverses, provoquant des crises sanitaires, malmenant la biodiversité et déréglant le climat. Il n’est donc plus possible, sauf à ne jamais sortir de ce cercle infernal, de fonder un modèle économique et social sur le seul retour hypothétique de la croissance, en se bornant à considérer les questions écologiques comme un luxe ou un supplément d’âme.
Prenons l’exemple de l’industrie automobile, si dramatiquement mise à mal ces derniers temps ; je pense en particulier aux salariés de PSA, qu’Aline Archimbaud soutient en lien avec le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg. Face à la détresse de ces centaines de salariés, dont l’État se soucie fort légitimement, il serait tentant de relancer le secteur par quelque subvention, comme une nouvelle prime à la casse.
Nous tenons toutefois à rappeler que 60 % du parc automobile français fonctionne au diesel, lequel vient d’être classé par l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, comme un cancérogène certain. Sans même évoquer les drames humains liés à la maladie, le coût de la prise en charge médicale des affections de longue durée suffirait à remettre en question, d’un strict point de vue économique, la pertinence globale de ce choix industriel.
En outre, le maintien ou le développement du parc automobile engendreraient des besoins en pétrole supplémentaires, alors même que cette énergie est non seulement dévastatrice pour le climat, mais également dépourvue d’avenir, car fossile. Ces nouveaux besoins justifieront de nouveaux forages pétroliers, comme on l’a récemment vu en Guyane, avec un très grand risque pour la biodiversité.
La transition écologique consisterait à favoriser la reconversion partielle et progressive de l’industrie automobile avant que son déclin ne soit imposé par les contraintes extérieures. Ainsi, à Vénissieux, un équipementier automobile s’est reconverti avec succès dans l’assemblage de panneaux photovoltaïques. Des emplois seraient ainsi pérennisés tandis que la réduction du parc automobile améliorerait la situation sanitaire. Cela permettrait également de réduire les extractions de pétrole préjudiciables tant à la biodiversité qu’au climat et de favoriser l’évolution vers une société de l’après-pétrole.
On voit bien que même la question de l’emploi ne peut suffire à elle seule à appréhender les choix politiques qui s’offrent à nous : les dimensions écologique, économique et sociale sont inextricablement liées. C’est pourquoi les écologistes seraient particulièrement favorables, monsieur le Premier ministre, à ce que, sur le modèle de ce qui se passe au conseil économique, social et environnemental, les associations environnementales que vous avez conviées à une grande conférence en septembre puissent également être associées dès ce mois de juillet au sommet social.
Sur ce sujet majeur qu’est la transition écologique, nous avons, monsieur le Premier ministre, des cultures et des sensibilités différentes.
M. Jean-Claude Gaudin. Cela ne nous a pas échappé !
M. Jean-Vincent Placé. Nos opinions peuvent diverger sur certains choix industriels, énergétiques, agricoles ou en matière d’équipements. Je viens d’évoquer l’automobile et les forages pétroliers, mais on pourrait y ajouter l’EPR et le surgénérateur ASTRID, ou encore l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. (Exclamations sur certaines travées de l'UMP.)
Pour autant, alors que le précédent gouvernement avait tergiversé, vous avez déjà pris des mesures : je pense notamment à l’interdiction du Cruiser, cet insecticide si néfaste pour les abeilles. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
Cela peut vous paraître secondaire, chers collègues de l’UMP, mais, étant donné le nombre de maladies que provoque ce produit, vous feriez mieux d’être plus discrets... On sait de quel côté vous êtes : du côté des lobbies économiques et financiers ! Voilà la réalité ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Protestations sur les travées de l'UMP.)
Alors que le précédent gouvernement n’avait affiché que mépris pour l’environnement – « l’environnement, ça commence à bien faire ! », avait même dit le président Sarkozy –, nous avons entendu vos mots, monsieur le Premier ministre. Hier, vous nous avez parlé de transition énergétique, de sobriété et d’efficacité, de développement des énergies renouvelables, de biodiversité, du code minier – nous y serons très attentifs –, mais aussi de créations d’emplois dans l’économie verte. Sans doute n’attribuons-nous pas encore exactement le même sens à toutes ces expressions, mais nous croyons profondément à la possibilité d’un dialogue constructif avec vous. De même, nous souhaitons que la voix écologiste porte et compte au sein de votre – de notre – majorité comme auprès de votre – de notre – gouvernement.
Mme Bricq avait très rapidement gagné notre confiance,...
M. Bruno Sido. Trop rapidement !
M. Jean-Vincent Placé. ... et nous ne doutons pas que tel sera également le cas de Mme Batho.
Monsieur le Premier ministre, vous avez vous-même fixé le cadre institutionnel – il nous satisfait pleinement – dans lequel se déroulera ce dialogue démocratique et républicain : une vie politique moralisée et apaisée, autour des valeurs d’exemplarité, de sobriété, de parité, de diversité et de non-cumul des mandats, en somme une vie politique à l’image, moderne, de votre gouvernement.
Le Parlement, valorisé dans son rôle d’initiative et de contrôle, intégrera une dose de proportionnelle pour permettre une plus juste représentation des électeurs. Vous avez également annoncé que vous prendriez le temps nécessaire à un travail législatif serein, loin de la frénésie du président sortant, qui avait cru bon d’utiliser la loi comme un instrument médiatique.
Enfin, vous avez indiqué que vous comptiez privilégier la concertation et que vous souhaitiez la mobilisation de tous les citoyens pour le redressement du pays.
Très attachés à l’autonomie et à la responsabilité individuelle, les écologistes seraient tentés de considérer un nouvel acte de décentralisation comme une occasion concrète d’impliquer davantage les Françaises et les Français dans notre démocratie, en les rapprochant de leurs institutions. Régie par les principes de subsidiarité, de péréquation et de régionalisme, l’organisation que nous appelons de nos vœux s’articulerait au plus près des citoyens, autour de trois échelons – les communes, les communautés et les régions –, ancrés dans une Europe fédérale, démocratique et solidaire.
En conclusion, monsieur le Premier ministre, je crois que nous partageons un même sentiment de responsabilité face à l’urgence des réformes que commande l’état de notre pays, dans lequel l’extrême droite et son idéologie sont de plus en plus prégnantes.
En matière de transition écologique, ne pas agir c’est faire un choix, celui du statu quo, qui s’avérera toujours le plus coûteux, notamment pour les plus fragiles, lesquels sont à chaque fois les premiers à pâtir des situations difficiles.
Notre responsabilité d’écologistes consiste donc à réussir, en pesant sur les politiques publiques, à piloter la transition pour éviter que nos concitoyens ne la subissent. En conséquence, monsieur le Premier ministre, nous sommes convaincus que, malgré certaines différences d’analyse, notre place est à vos côtés : au Gouvernement, avec Cécile Duflot et Pascal Canfin, et au Parlement, avec, dans chaque assemblée, un groupe autonome, libre de sa parole et de ses votes.
Tel est le défi, monsieur le Premier ministre, que le groupe écologiste du Sénat souhaite relever avec vous. Vous imaginez bien – nous nous connaissons – que nous agirons sans révérence ni déférence, contrairement à ce qu’aimait manifestement le président sortant, jamais avec méfiance et défiance, toujours avec vigilance et exigence.
S’il fallait résumer cet après-midi, en cette belle journée, le sentiment qu’éprouvent tout à la fois par raison et par cœur les sénatrices et les sénateurs écologistes, j’emploierais un mot, qui est peut-être l’un des plus beaux de la langue française,...
M. Henri de Raincourt. Espérance !
M. Jean-Vincent Placé. ... celui de confiance ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je ne vous félicite pas, cher Vincent Placé, car vous avez réussi à vider l’hémicycle avec votre intervention. (Rires sur les travées du groupe écologiste.) Mais tant pis !
M. Jean-Vincent Placé. Vous cherchez un prétexte ! (Sourires.)
M. Philippe Adnot. Monsieur le Premier ministre, les élections sont terminées, vous les avez gagnées, félicitations !
M. Philippe Adnot. Nous souhaitons sincèrement que vous réussissiez, car notre pays ne supporterait pas une aggravation de sa situation, laquelle n’est pas bonne, comme chacun d’entre nous peut le mesurer tous les jours.
Pour autant, sommes-nous certains d’avoir identifié tous les mécanismes qui ont conduit notre pays où il en est ? Je ne le pense pas, malheureusement.
À droite, saurons-nous regarder le bilan en face sans chercher à nous cacher derrière la grande excuse : la crise ? Il n’y a pas de rebond possible sans examen lucide des erreurs commises par excès de prudence ou, parfois, du fait de réformes inutiles.
À gauche, le bilan viendra rapidement, et il ne sera pas toujours possible d’invoquer la grande excuse : les prédécesseurs !
La vérité, c’est que, depuis longtemps, à gauche comme à droite, nous refusons de voir que la France vit au-dessus de ses moyens, que le coût de fonctionnement de la société française tue la compétitivité de nos entreprises. Prenons un exemple : il faudra bien, un jour, revoir les effets de seuil qui bloquent l’embauche dans de nombreuses PME. En effet, sans compétitivité, il n’y a pas de gain de parts de marché, pas d’emplois.
La vérité, c’est que notre modèle social, dont nous sommes fiers, et à juste titre, est équilibré, chaque année, grâce à des emprunts supplémentaires, destinés à financer des dépenses de fonctionnement.
La vérité, c’est que nous ne sommes pas assez attentifs à la qualité de la dépense publique, que nous nous attachons à des critères de déficit qui ne signifient rien. En ce moment, tout le monde réfléchit sur la base du pourcentage du PIB – 3,5 %, 4,5 %, 5 % ? – que représente la dette, mais cela ne veut rien dire !
Ce n’est pas grave d’être endetté parce qu’on a construit sa maison ; en revanche, c’est grave de l’être si c’est pour financer des déficits de fonctionnement.
Je me souviens encore des représentants de l’industrie automobile venant nous expliquer que, si nous ne supprimions pas la taxe professionnelle, ils allaient être obligés de délocaliser. La taxe professionnelle a été supprimée par emprunt...
Mme Jacqueline Gourault. Absolument !
M. Philippe Adnot. ... et génère aujourd’hui 5 milliards d’euros d’endettement supplémentaire chaque année ! Or que nous dit aujourd’hui l’industrie automobile ?
Monsieur le Premier ministre, aujourd’hui, vous avez le pouvoir. Nous serons attentifs à vos actes, sans a priori, sans pratiquer d’obstruction systématique, en ayant à l’esprit non seulement les résultats immédiats, mais aussi les conséquences à long terme de vos décisions. Si vos propositions nous paraissent bonnes, nous les voterons en totale liberté de pensée et en toute responsabilité. Si elles nous paraissent dangereuses, nous les combattrons avec conviction et sans complaisance.
Vous allez appeler à l’effort toutes les parties prenantes de notre société ; c’est nécessaire. Il faudra cependant veiller à ne pas décourager l’esprit de responsabilité, l’initiative, la prise de risques, sans lesquels il n’y a pas de création de richesses.
Il faudra veiller à ne pas conduire des politiques contradictoires. Je m’entretenais à l’instant avec les responsables des syndicats d’électrification. Vous savez que nous ne pourrons plus produire d’énergie hydraulique, tant les nouvelles normes environnementales applicables aux barrages – je pense aux passes à poissons, par exemple – sont insupportables. Ce n’est là qu’un petit exemple de ce que sont des politiques contradictoires !
Monsieur le Premier ministre, les collectivités locales sont prêtes à faire des efforts, mais là encore, il vous faudra veiller à ce que, chaque jour, des obligations nouvelles ne viennent pas peser sur nos finances et réduire à néant nos efforts de maîtrise de la dépense publique.
À titre d’exemple, monsieur le Premier ministre, nous avons écouté M. Didier Migaud nous expliquer ce matin, lors de son audition par la commission des finances, que l’un des leviers d’action aurait éventuellement été le gel du point d’indice de la fonction publique, alors que nous avons examiné hier un décret que vous avez signé et qui entraînera une dépense publique supplémentaire de 600 millions d’euros du fait du relèvement du point !
Je vous apporte la preuve que nous pouvons avoir une attitude équilibrée et ne pas être des opposants systématiques. Pour que notre avenir commun soit une réussite, il vous faut des parlementaires – ici des sénateurs – non pas complaisants, mais corrects !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Mais il faut les respecter !
M. Philippe Adnot. Monsieur le Premier ministre, dans ce cadre, vous serez jugé sur vos actes. En attendant, je vous souhaite bon courage ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto. (Applaudissements sur les travées de l'UCR et sur certaines travées de l'UMP.)
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, « Le changement, c’est maintenant ! » C’est vrai que, depuis que vous êtes aux affaires, les choses ont changé. La nouveauté, c’est que, maintenant, la majorité affiche sa désunion. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Désunion, oui, pas seulement différence !
M. Yves Daudigny. Ce n’est pas vous qui allez nous donner des leçons !
M. François Zocchetto. Inutile d’épiloguer ; la manière dont le parti socialiste traite ses alliés Verts, radicaux et communistes se passe presque de commentaires !
Monsieur le Premier ministre, nous vivons très mal votre refus de faire voter le Sénat sur votre déclaration de politique générale. (Vifs applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP.) Le choix que vous avez fait en dit long sur la solidité de votre coalition !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est sûr !
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. On verra !
M. François Zocchetto. Qu’un gouvernement manifeste sa défiance à l’égard de ses alliés en écartant le vote de confiance, c’est vraiment original. C’est même, pour tout dire, du jamais vu au Sénat ! (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)
Depuis 1958, aucun chef de Gouvernement disposant d’une majorité dans les deux chambres ne s’est refusé à prononcer devant le Sénat une véritable déclaration de politique générale, conformément à l’article 49, quatrième alinéa, de la Constitution, suivie d’un vote, ce fameux vote que nous avons réclamé hier après-midi en écoutant votre déclaration.
Aujourd’hui, nous mesurons le courage qui a été celui de Michel Rocard lorsqu’il est venu faire devant la Haute Assemblée une déclaration de politique générale suivie, comme le prévoit la Constitution, d’un vote, alors que le Sénat était à l’époque à droite. Il l’a fait, vous non. Votre attitude à l’égard du Sénat traduit une conception de la démocratie qui n’est pas la nôtre !
Même si je ne me fais aucune illusion, monsieur le Premier ministre, permettez-moi néanmoins de vous rappeler qu’il est encore temps de demander un vote sur le fondement de l’article 50-1 de la Constitution, afin de laisser à la majorité sénatoriale la possibilité d’exprimer son soutien ou sa différence. C’est possible !
Je pense que le choix de cette procédure révèle un malaise bien plus profond. Vous avez tout gagné : vous dirigez la très grande majorité des régions, des départements, des grandes villes. Vous voici donc aux manettes !
M. François Rebsamen. À qui la faute ?
M. François Zocchetto. Autrement dit, vous voici confrontés à la réalité des choses !
Monsieur le Premier ministre, votre opposition, ce ne sera pas nous. En effet, tout en étant dans un groupe minoritaire ou d’opposition, nous n’excluons pas de vous apporter notre soutien sur telle ou telle question d’intérêt supérieur. Ainsi, c’est dans cet esprit – je vous le dis dès maintenant – que nous soutiendrons, par exemple, la ratification du traité budgétaire.
Votre plus grande opposition sera – ça l’est déjà ! – la réalité des choses, une contrainte sur l’autel de laquelle vous serez conduit à sacrifier presque tous vos engagements.
L’écologie a ainsi été ces derniers jours la première victime expiatoire de votre confrontation au réel. Vous reconnaîtrez avec nous que le débarquement de notre ancienne et estimée collègue Nicole Bricq, coupable de lèse-concessions pétrolières, n’envoie pas un signal très positif en la matière !
M. Alain Gournac. C’est vrai !
M. François Zocchetto. Après l’écologie, les autres victimes naturelles de la politique réelle, de la realpolitik, ne peuvent être que les Français et, malheureusement, les plus modestes d’entre eux.
Ainsi votre entrée en fonctions a-t-elle été marquée par deux mesures prises en extrême urgence : le décret sur les retraites et le coup de pouce au SMIC.
Alors que, en matière de retraites, votre électorat attendait le Grand Soir, vous lui offrez un simple aménagement, certes coûteux, mais qui ne concernera qu’un public limité. De plus, comme Jean-Claude Gaudin l’a dit tout à l’heure, vous avez procédé par décret, quasiment en catimini,...
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Comme ça, pas d’étude d’impact !
M. Jean-Claude Gaudin. Ce décret, nous l’attaquerons !
M. François Zocchetto. ... alors que la réforme des retraites avait été la plus longuement discutée au Sénat, qui s’y était consacré à fond.
Quant au SMIC, une fois l’inflation prise en compte, il s’agit moins d’un coup de pouce que d’une pichenette, terme que je prononce sans l’accent du président du groupe UMP. (Sourires.)
Voilà deux exemples d’effets d’annonce à vocation d’affichage grandement politicien !
La situation économique et financière est à ce point critique que, à part des mesures cosmétiques, vous n’aurez jamais les moyens de tenir vos promesses.
Vous avez vous-même cité ces chiffres alarmants, que vous ne découvrez pas, car vous les connaissiez bien avant le début de la campagne présidentielle : un déficit commercial de plus de 75 milliards d’euros alors que l’Allemagne est largement excédentaire, un taux de chômage qui frôle les 10 %, une dette publique qui représente aujourd’hui presque 90 % de notre PIB, un État qui vit à crédit à partir du mois d’août ! Tout cela pèse sur notre croissance.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. La faute à qui ?
M. Jean-Pierre Godefroy. Voilà le bilan du sarkozysme !
M. François Zocchetto. Dans ce contexte, c’est très simple : votre déclaration est prise dans une tenaille. D’un côté, il y a vos engagements et, de l’autre, la contrainte financière.
Dans ce contexte peu confortable, mais qu’ont connu d’autres avant vous, qui en ont tiré d’autres conséquences, vous faites ce que je me permettrai de qualifier de prose !
On apprend ainsi que vous êtes pour la croissance et contre la désindustrialisation. Nous aussi !
Vous êtes pour l’emploi et contre la délinquance. Nous aussi !
Vous êtes pour la décentralisation et contre la pauvreté.
M. Alain Gournac. Nous aussi !
M. François Zocchetto. Oui, nous aussi !
On aurait pu ajouter que vous êtes contre les dictatures et que nous, nous sommes pour la démocratie ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Gaudin. « Félicie aussi ! » (Sourires.)
M. François Zocchetto. Convenez que tout cela ressemble moins à une déclaration de politique générale qu’à une déclaration de principe. Hélas, monsieur le Premier ministre, mille fois hélas, à eux seuls, les principes n’ont jamais fait une politique. Il en faut, mais ils ne suffisent pas.
Alors vous renvoyez à des états généraux, à des conférences, à des assises, à des lois-cadres, à des lois pluriannuelles, dont le contenu est encore indéterminé. Soit ! Mais le temps passe vite, très vite, et vos demandes sont encore bien mal formulées.
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. On vient d’arriver !
M. François Zocchetto. En revanche, nous avons vite compris ce qui allait arriver dans deux domaines.
En premier lieu, en matière fiscale, c’est clair : pas d’économies. Au contraire, les hausses d’impôts vont bon train ! Nous ne sommes pas opposés à toute modification de la fiscalité dès lors qu’elle permet une justice plus grande, mais partir du principe qu’il faut augmenter tous les impôts jusqu’à atteindre des taux confiscatoires me paraît être une grave erreur !
En second lieu, vous allez pouvoir engager quelques réformes de société. Je pense ainsi au mariage homosexuel.
M. Claude Bérit-Débat. Et après ?
M. François Zocchetto. On peut en discuter !
Je pense au droit de vote des étrangers aux élections locales.
M. Claude Bérit-Débat. Et après ?
M. François Zocchetto. Nous en avons déjà discuté à de nombreuses reprises ici. (On l’a voté ! sur les travées du groupe CRC.)
Il est vrai que de telles réformes ne coûtent rien, tout en étant des marqueurs de communication faciles.
Vous êtes tiraillé entre un programme impossible à tenir et l’épouvantail de l’austérité.
Malheureusement pour la France, pour nous, mais pour vous aussi, je crains que vous n’aboutissiez, comme pour les effectifs de la fonction publique d’État, à un statu quo. Autrement dit, le renoncement, l’immobilisme vous guettent !
Certains de vos renoncements nous font toutefois plutôt plaisir.
Par exemple, les conclusions du dernier Conseil européen sont pour nous un satisfecit, car elles vont dans le sens de ce que le groupe de l’Union centriste et républicaine a toujours défendu. Elles posent les jalons du fédéralisme budgétaire que nous appelons de nos vœux. Comme l’ont dit la plupart des orateurs qui m’ont précédé, ce qui est d'ailleurs rassurant, un tel fédéralisme serait pour l’Europe la seule possibilité de continuer à exister dans le monde de demain.
Je m’attarderai un bref instant sur ce Conseil européen, car deux ambiguïtés nous font un peu peur.
Première ambiguïté : vous laissez penser que l’on pourrait sacrifier le couple franco-allemand afin de parvenir à des compromis, au profit de coalitions de circonstance avec d’autres pays. Vous qui connaissez l’Allemagne mieux que nous, vous n’êtes pas sans savoir à quel point la relation franco-allemande est fragile ! Monsieur le Premier ministre, permettez-nous de relayer ce que nous pensons être l’opinion des Français en vous disant : « Attention : fragile ; ne toucher qu’avec précaution ».
Seconde ambiguïté : à l’occasion de ce sommet européen qui a permis d’aboutir à un accord à l’arraché, vous qui avez voté contre la règle d’or,…
M. Alain Gournac. Oui !
M. François Zocchetto. … vous qui y avez toujours été opposé, vous qui vous êtes abstenu sur le Mécanisme européen de stabilité, vous en êtes devenu quasiment le héraut en une seule « nuit communautaire ». (M. François Rebsamen proteste.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. En effet !
M. François Zocchetto. Sur ce point, je vous dis bravo ! Nous sommes contents de ce premier renoncement.
Rien ne se fera sans le retour à l’équilibre des comptes publics, vous le savez fort bien.
« Mettre en scène la concertation plutôt que trancher » : ces propos ne sont pas de moi. C’est ainsi que Le Monde, journal du soir qui n’est pas franchement favorable à l’actuelle opposition,…
M. François Rebsamen. Il est vrai que ce n’est pas Le Figaro !
M. François Zocchetto. … définit votre méthode.
Quand on arrive aux affaires, sans pouvoir ni vouloir trancher, que fait-on ? Précisément ce que vous faites en ce moment.
Premièrement, on prend son temps. On se pare des habits du démocrate : on « organise la concertation ».
À cet égard, permettez-moi de vous dire que la plupart des sénateurs ont été très surpris par le calendrier d’examen des textes que vous proposez pour cette session extraordinaire !
Deuxièmement, on détricote systématiquement tout ce que les prédécesseurs ont fait. Votre gouvernement est malheureusement tombé dans ce travers, comme en témoigne votre action au mois de juillet. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Gournac. Écoutez l’orateur au lieu de protester !
M. François Zocchetto. La liste exhaustive des mesures que vous envisagez de supprimer est longue. Deux d’entre elles retiennent particulièrement notre attention et nous inquiètent : la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires – je ne vise ici que les PME – et celle, surtout, de la « TVA compétitivité ». (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Claude Gaudin. Absolument !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Heureuse suppression !
M. François Zocchetto. Ces deux mesures, qui vont de pair pour le tissu industriel, sont emblématiques de ce à quoi vont immanquablement conduire vos renoncements : à charger au maximum les travailleurs, les PME,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. François Rebsamen. Les seuls travailleurs, voulez-vous dire !
M. François Zocchetto. … à alourdir la charge pesant sur les classes moyennes.
Malheureusement, au mépris de toute logique économique, la notion de compétitivité échappe à votre gouvernement. Cela nous fait vraiment peur.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela vous va bien de dire cela !
M. François Zocchetto. Si nous voulons défendre le pouvoir d’achat et dynamiser notre tissu productif, il faut maintenir la défiscalisation des heures supplémentaires pour les petites entreprises et en compenser le coût par la « TVA compétitivité », cette mesure étant par ailleurs la seule qui permette de lutter contre les importations de biens de consommation provenant de pays ne contribuant pas à la politique sociale que nous souhaitons.
Puisqu’il est question de suppressions et puisque nous sommes au Sénat, j’évoquerai maintenant le conseiller territorial.
Sur le fond, je vous l’accorde, cette suppression sera considérée comme une bonne mesure par certains, peut-être même par certains parlementaires de droite et du centre,…
M. François Rebsamen. Solides convictions que les vôtres !
M. François Zocchetto. … qui, même s’ils ne l’ont jamais crié sur les toits, n’étaient pas vraiment convaincus de la pertinence d’une telle réforme. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Chacun le sait ici, au sein du groupe que je préside, les avis sur ce nouvel élu ont toujours été partagés.
Monsieur le Premier ministre, nous avons toutefois besoin d’en savoir plus.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est vrai !
M. François Zocchetto. Vous venez vous exprimer devant le Sénat, représentant des collectivités territoriales : c’est le moment et le lieu pour fixer précisément les réformes qui vont être mises en œuvre. Changement de mode de scrutin, calendrier électoral, cumul des mandats, composition du corps électoral pour le Sénat : nous ne parlons pas de 2017, nous parlons de l’échéance de 2014 ! (Très bien ! sur les travées de l’UMP.) C’est demain !
Que voulez-vous faire précisément ? Nous avons besoin de le savoir.
Nous avons aussi bien du mal à deviner vos intentions concernant l’avenir des collectivités locales.
Vous avez évoqué un acte III de la décentralisation,…
M. Claude Bérit-Débat. Vous n’avez pas su le faire !
M. François Zocchetto. … vous nous parlez d’états généraux. Mais, au-delà de ces formules, de quel type de décentralisation parlons-nous ?
M. Didier Guillaume. On voudrait le savoir !
M. François Zocchetto. Voulez-vous une simple réforme administrative non financée ou la consécration de l’autonomie financière des collectivités locales ? Pouvez-vous nous le dire ?
Monsieur le Premier ministre, chaque jour, partout dans nos départements, les dépôts de bilan se multiplient, surtout dans le secteur industriel.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. À qui la faute ?
M. François Zocchetto. Des pans entiers de l’économie sont frappés, en particulier, vous l’avez dit vous-même, les secteurs de l’agroalimentaire et de l’automobile. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Jamais la situation des entreprises, qu’elles soient grandes ou petites, n’a été aussi critique. Jamais la demande d’assistance de nos territoires n’a été plus pressante.
Les finances locales ne pourront supporter en l’état une nouvelle récession.
Des pans entiers de nos territoires risquent de s’effondrer, faute de ressources, au moment même où nous en aurons le plus besoin.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bravo, la droite !
M. François Zocchetto. La faillite locale, que personne ici ne souhaite, serait malheureusement de votre responsabilité car, je l’ai dit tout à l'heure, vous détenez tous les leviers de commande, tant à l’échelon local qu’à l’échelon national.
Après avoir fait du Sénat le « laboratoire » du programme de François Hollande,…
M. Didier Guillaume. Nous l’assumons !
M. François Zocchetto. … je crains que vous ne fassiez de la France le théâtre de vos renoncements. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
Nous déplorons que votre analyse économique vous conduise à faire faute route et nous condamne bientôt à des sacrifices qui feront souffrir l’ensemble de nos concitoyens et de nos territoires.
Monsieur le Premier ministre, avec tout le respect que nous vous devons, nous regrettons vivement qu’il n’y ait pas de vote aujourd’hui, même si, bien évidemment, nous ne vous aurions pas accordé notre confiance ! (Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées de l’UCR et de UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Didier Guillaume. Il y aura d’autres occasions !
M. le président. La parole est à M. François Rebsamen.
M. François Rebsamen. Monsieur le Premier ministre, c’est pour nous une grande joie et un honneur de vous accueillir aujourd’hui dans notre hémicycle. Au lendemain de votre déclaration de politique générale et du vote de confiance que vous ont accordé une large majorité de nos collègues députés, votre présence parmi nous, avec un discours tourné vers les sénateurs, est un geste d’égard et de respect envers la Haute Assemblée, ainsi qu’un signe de reconnaissance pour la nouvelle majorité issue du basculement historique du Sénat. Au nom de l’ensemble du groupe socialiste, je tiens à vous en remercier solennellement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Le fait que vous teniez aujourd'hui l’engagement que vous aviez pris en ce sens est aussi la marque de ce nouveau quinquennat.
Je tiens également à saluer l’habileté de mon collègue Jean-Claude Gaudin, président du groupe UMP.
Un sénateur de l’UMP. Le talent, voulez-vous dire !
M. François Rebsamen. Avec humour, il a tenté de masquer le désastreux bilan de cinq ans de sarkozysme. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Le 6 mai, en élisant François Hollande à la Présidence de la République, les Français ont choisi le changement. Mes chers collègues de l’opposition sénatoriale, il va falloir vous y faire !
M. Henri de Raincourt. En effet !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Nous nous y faisons !
M. François Rebsamen. C’est bien une ère nouvelle qui s’ouvre aujourd’hui, avec la fin de l’argent roi, la fin de la finance insolente et inconséquente, la fin de l’étalage provocant,…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Mais oui ! Tout cela va changer !
M. François Rebsamen. … la fin d’une France à deux visages – d’un côté, ceux qui s’appauvrissent et vivent de moins en moins bien et, de l’autre, ceux qui ne cessent de s’enrichir –, la fin des injustices. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Marques d’ironie sur les travées de l’UMP.)
Monsieur le Premier ministre, vous nous avez parlé des valeurs qui vous guident. Nous, sénateurs socialistes, nous les partageons pleinement et nous ne pouvons que nous réjouir qu’elles aient présidé à vos choix politiques, comme elles avaient conduit les engagements du Président de la République.
Je pense d’abord à la justice : l’effort doit être partagé par tous, mais calculé en fonction de la situation de chacun. Les richesses doivent être réparties de façon solidaire, pour que ceux qui ont tout partagent avec ceux qui n’ont rien. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Je pense ensuite à l’exemplarité au plus haut niveau de l’État – on en a bien besoin –, dans la transparence et dans la clarté, pour que le puissant soit traité comme le plus faible, ni mieux, ni plus mal.
Je pense enfin au respect à tous les niveaux : respect du Parlement, respect des institutions, respect des corps intermédiaires, respect des citoyens, quelles que soient leurs origines, leur religion ou leurs opinions.
Mes chers collègues, depuis quelques jours, certains agitent le chiffon rouge de la rigueur, de l’austérité – ceux-là mêmes, d'ailleurs, qui ont été complices, voire acteurs d’une politique irresponsable d’aggravation des déficits durant cinq ans.
M. Jean-Claude Frécon. Eh oui ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. François Rebsamen. Mais, en réalité, ce que vous nous proposez, monsieur le Premier ministre, ce n’est ni un tournant ni un virage de la rigueur. Ce n’est pas non plus, comme on a pu l’entendre, un « tour de vis fiscal ».
Si tel était le cas, cela laisserait supposer que nous nous serions trompés – y compris le Président de la République pendant la campagne électorale – sur l’état économique et budgétaire de notre pays. Or nous savons très bien quel est l’état de notre pays.
D'ailleurs, les prévisions sur lesquelles le programme a été fondé – un taux de croissance de 0,5 % – étaient beaucoup plus réalistes que celles du précédent gouvernement, qui tablait sur un taux de 0,7 %.
Dès lors, mes chers collègues de l’opposition sénatoriale, épargnez-nous vos leçons en la matière ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Monsieur le Premier ministre, ce que vous nous proposez aujourd'hui, c’est de mettre en œuvre les engagements de François Hollande, ceux sur lesquels les Français se sont prononcés en le portant à la présidence de la République. Ce que vous nous proposez, c’est une gestion stricte et exigeante du budget de l’État afin de retrouver un équilibre vertueux des finances publiques à la fin de l’année 2017, mais également une politique qui enraye le déclin de la France et redonne confiance et espoir aux Français, une politique de justice sociale et fiscale, une politique faite de clarté, de constance, de solidarité et d’ambition. Voilà ce que les Français attendent aujourd'hui.
C’est d'ailleurs une impérieuse obligation, qui résulte du bilan de cinq ans de sarkozysme, amplifié par la crise.
Danton déclarait qu’il faut savoir dire « l’âpre vérité ». C’est une belle expression et c’est, monsieur le Premier ministre, ce que vous avez fait.
La France est en fait entrée dans une zone dangereuse que l’on essaie ou que l’on a tenté de nous cacher : une dette publique qui explose et dont l’effet de traîne se poursuivra jusqu’à l’année prochaine, avec un pic à plus de 90 % du PIB ! Le voilà votre héritage ! (Protestations sur les travées de l'UMP. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Un déficit budgétaire global qui a été prévu pour cette année à plus de 4,5 %, un déficit du commerce extérieur de 75 milliards d’euros, trois millions de chômeurs, 750 000 emplois industriels perdus en dix ans, un taux de croissance en berne, de 0,3 % ou 0,4 %, une dégradation constante du pouvoir d’achat, à quoi il faut ajouter, comme l’a indiqué la Cour des comptes, 2 milliards d’euros de dépenses inscrites au budget par l’ancienne majorité mais non financées : voilà le bilan dont vous voudriez que l’on ne parle pas et que vous essayez de cacher derrière des artifices ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Marques d’ironie sur les travées de l’UMP.)
Finalement, Montesquieu avait raison.
M. Jean-Claude Gaudin. C’était pourtant un libéral !
M. François Rebsamen. En cela, vous le connaissez bien !
« Le plus grand mal que fait un Gouvernement n’est pas de ruiner son peuple, il y en a un autre mille fois plus dangereux : c’est le mauvais exemple qu’il donne. », écrivait-il. C’est ce que vous avez fait pendant cinq ans ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Telle est la situation à laquelle nous devons faire face.
Dès le changement de majorité sénatoriale, les sénateurs socialistes et leurs collègues de la nouvelle majorité avaient pris la mesure de la dégradation des comptes de l’État et profondément remanié, sous l’impulsion de Mme Bricq, à l’époque rapporteure générale de la commission des finances, le projet de loi de finances rectificative du précédent gouvernement, mais la voie de la raison et de la solidarité que nous prônions n’a pas été suivie !
Cette situation, nous l’avions anticipée parce que nous la connaissions : tout au long de sa campagne, le Président de la République a tenu un langage de vérité, de sincérité et de responsabilité. (Protestations sur les travées de l’UMP.) C’est un vrai changement, avouez-le ! Ses engagements ont donc été pris à l’aune de la situation de notre pays.
Oui, nous le savons, il faut rétablir l’équilibre des finances publiques, mais il faut le faire par des mesures efficaces et justes. Celles que vous nous avez présentées, monsieur le Premier ministre, vont dans le sens d’une maîtrise des dépenses. Des efforts seront demandés aux plus aisés des Français, à l’inverse de ce qui a été fait pendant les cinq dernières années. Mes chers collègues, contrairement à ce que la droite veut faire croire, il s’agit non pas d’un « matraquage fiscal », mais d’un « rattrapage fiscal ». Voilà la vérité ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Suppression du bouclier fiscal, rétablissement du barème supérieur de l’ISF – oser supprimer la tranche supérieure de ce barème, quand on connaissait l’état des finances publiques !
M. Henri de Raincourt. Cette mesure était compensée !
M. François Rebsamen. Mais vous la payez aujourd’hui, et nous aussi !
Création d’une tranche supérieure d’imposition à 45 % dans le barème de l’impôt sur le revenu, taxation des banques, abaissement du plafond des droits de succession, suppression d’une partie des exonérations des heures supplémentaires…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ça, c’est scandaleux !
M. François Rebsamen. … stabilité des effectifs de la fonction publique : l’ensemble de ces mesures nous permettra de renouer le fil vertueux de la maîtrise de nos comptes publics. J’ai bien évoqué la stabilité des effectifs de la fonction publique et non leur baisse, comme l’opposition voudrait essayer de le faire croire ! L’adoption de ces mesures est la condition du redressement de notre pays.
Pour retrouver la voie de la croissance et de l’emploi, pour sortir de cette zone de turbulences extrêmement préoccupante et aborder l’avenir avec espoir et confiance, il nous faudra faire des efforts, lesquels ne seront acceptables que s’ils sont étayés par la justice. Cette ambition est au cœur du programme que vous nous avez présenté, monsieur le Premier ministre, avec le redressement productif, le redressement éducatif et les réformes structurelles. Cette ambition redonnera aux Français l’espoir d’un avenir meilleur pour eux et pour leurs enfants.
Oui, votre politique, nous le croyons, va permettre de libérer les énergies et la créativité, de retrouver le goût d’entreprendre, la volonté d’apprendre, la capacité d’innover et, vous avez insisté sur ce point, le dynamisme des territoires.
Il s’agit d’abord de s’attaquer au chômage et de redonner à Pôle emploi, privé de 1 800 postes durant le quinquennat précédent, les moyens d’agir. Avec l’embauche de 2 000 agents en contrat à durée indéterminée et le redéploiement de 2 000 postes, 4 000 personnes supplémentaires pourront accompagner les demandeurs d’emploi qui en ont besoin dans leurs recherches ou leurs formations en vue d’une reconversion.
Il faudra agir avec les régions, qui exercent la compétence de la formation – au lieu d’agir contre elles, comme ce fut le cas au cours des cinq ans précédents –, ainsi qu’avec les agglomérations qui, vous le savez bien, monsieur le Premier ministre, grâce à leur proximité, connaissent mieux que quiconque les besoins de leurs bassins d’emplois.
Il faudra aussi maintenir les contrats aidés, créer 150 000 emplois d’avenir, premier pas vers l’insertion professionnelle, et agir pour les jeunes et les seniors, avec la mise en place d’un des engagements du Président de la République, le contrat de génération. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Ensuite, il nous faudra accompagner le formidable potentiel de nos PME-PMI : vous avez eu raison d’envisager de leur faciliter l’accès au crédit et d’encourager leur capacité d’innovation par la création de la Banque publique d’investissement. Nous devrons les accompagner dans leurs difficultés, pour leur permettre de trouver des solutions : tel sera le rôle, si j’ai bien compris, des vingt-deux commissaires au redressement productif dont la liste a été publiée ce matin, pour que la finance soit enfin au service de l’économie réelle.
Il vous faudra également ouvrir le chantier de la transition énergétique : c’est l’un des enjeux majeurs des prochaines années, à la fois gisement d’emplois et outil de la sauvegarde de notre environnement ; j’allais même dire qu’il s’agit d’un choix de société. Quoi qu’il en soit, sachez, monsieur le Premier ministre, que les sénateurs socialistes y sont très attachés.
Ensuite – je devrais dire : « avant tout », car j’évoquais tout à l’heure la nécessité de retrouver le désir d’apprendre –, une priorité s’impose : l’éducation, qui a été la grande oubliée, la grande maltraitée du précédent quinquennat ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
« Combien l’éducation durera-t-elle? Juste autant que la vie. Quelle est la première partie de la politique ? L’éducation. La seconde ? L’éducation. Et la troisième ? L’éducation. » Jules Michelet a ainsi résumé la priorité des priorités de ce quinquennat et nous en sommes fiers, nous, les sénateurs socialistes ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Oui, 60 000 postes seront créés, dont 1 000 dès la rentrée prochaine, pour essayer de compenser toutes ces injustices. J’ai été très surpris, hier, d’entendre des sénateurs du groupe UMP que je connais bien critiquer l’annonce de la création de ces 60 000 postes, alors même que leurs départements viennent d’en bénéficier dans le cadre des mesures prises pour la rentrée, le Gouvernement montrant ainsi qu’il agit sans sectarisme, pour les zones rurales comme pour les zones urbaines, afin de rétablir l’égalité par l’éducation ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Dès le basculement de la majorité sénatoriale, une proposition de loi avait été déposée au nom du groupe socialiste par la sénatrice Françoise Cartron, visant à favoriser l’égalité des chances dès le plus jeune âge en rendant la scolarité obligatoire dès l’âge de trois ans. Qu’en est-il advenu ? Le gouvernement de M. Fillon, dont vous nous vantez aujourd’hui les qualités, l’a rejetée sans même accepter de l’examiner ! Mais nous, nous nous en souvenons ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Enfin, et ce sujet a toute sa place au Sénat, il s’agit de renouer le partenariat entre l’État et les collectivités locales. Depuis cinq ans, les élus ont été les mal-aimés...
M. Claude Bérit-Débat. Exact !
M. François Rebsamen. ... de la République : stigmatisés, méprisés, fragilisés par une réforme territoriale absurde et recentralisatrice. (Protestations sur les travées de l’UMP et de l’UCR.) Vous le savez bien, chers collègues de l’opposition, puisque la victoire de la gauche aux élections sénatoriales a signé en partie votre échec dans ce domaine ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Dès son élection, le président du Sénat, que je salue, a lancé une démarche d’écoute et de consultation auprès des élus locaux : les états généraux de la démocratie territoriale. Plus de 20 000 réponses ont été reçues à ce jour et montrent l’étendue des attentes des élus. Les conclusions de ces travaux seront connues au mois d’octobre.
Je ne doute pas, monsieur le Premier ministre, que ce sujet soit cher à votre cœur : la confirmation de la création d’un Haut Conseil aux territoires, dans lequel le Sénat jouera un rôle actif, en est une marque évidente.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’était au Sénat de le faire !
M. François Rebsamen. Votre passé, encore très récent, de maire de Nantes, dont vous avez su faire l’exemplaire et dynamique capitale du Grand Ouest – Edmond Hervé ne m’en voudra pas ! –, est le meilleur gage de votre volonté décentralisatrice et la garantie que nous trouverons en vous le promoteur d’un nouveau pacte de croissance et de confiance entre l’État et les collectivités locales, entre l’État et les territoires.
L’enjeu est d’importance : c’est dans les territoires que se trouvent les viviers de l’innovation, de la créativité et de la création d’emplois. Vous le savez, c’est dans la proximité que l’on peut agir mieux et plus vite.
Vous le savez aussi, pour les Français, les élus locaux sont les remparts, souvent les seuls, contre les difficultés et les aléas de la vie. Ce n’est pas sans raison qu’ils sont les plus aimés et les plus populaires des responsables politiques dans l’opinion.
On nous dit parfois que nous empruntons trop, mais, en réalité, si nous le faisons, ce n’est que pour investir. Il est donc temps de mettre un terme à ces faux procès et à ces malentendus : une lisibilité financière doit être clairement établie pour les collectivités locales.
Le maître mot doit être la confiance : une confiance réciproque qui respecte le rôle et les compétences de chaque échelon. En se recentrant sur ses missions régaliennes, en respectant le principe constitutionnel de la libre administration des collectivités locales, l’État aura une chance historique de se réformer et, en même temps, de libérer la formidable capacité d’entreprendre et d’agir des territoires.
La majorité sénatoriale – faut-il le rappeler ? – a déjà abrogé la création du conseiller territorial – et elle a bien fait –, cet élu hybride dont l’invention avait pour seul objectif de museler régions et départements, dirigés majoritairement par la gauche. Mais il faut maintenant ouvrir le grand chantier qui devra aboutir à une nouvelle loi de décentralisation. La modification des modes de scrutin, le statut de l’élu, les règles de parité, les dispositions relatives au non-cumul des mandats, dont nous débattrons, viendront accompagner cette mutation.
Les nombreux travaux des sénateurs socialistes, notamment ceux du sénateur Krattinger, ainsi que ceux de la commission des lois, présidée par Jean-Pierre Sueur, peuvent fournir une base solide pour élaborer le nouveau pacte de décentralisation. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.) Ce nouveau pacte de confiance rendra aux élus locaux la visibilité dont ils ont besoin pour relancer leurs investissements et participer au retour de la croissance. Oui, monsieur le Premier ministre, vous allez, nous allons construire, car nous le voulons, un vivre ensemble qui réponde aux évolutions et aux aspirations de la société !
La difficulté à se loger est une des préoccupations majeures des Français – vous le savez, madame la ministre. À cet immense problème, l’ancienne majorité avait, comme d’habitude, apporté dans la précipitation une mauvaise réponse : l’augmentation de 30 % des droits à construire. J’ai le plaisir de vous informer que le groupe socialiste a déposé une proposition de loi visant à abroger cette mesure. Votre gouvernement, monsieur le Premier ministre, va pouvoir mettre en œuvre une proposition du Président de la République : des terrains appartenant à l’État seront mis à disposition des collectivités qui veulent construire, bâtir la mixité sociale en donnant la priorité aux logements à loyer modéré. Voilà un bel exemple du partenariat dont je parlais tout à l’heure ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
C’est une bonne mesure et j’ai entendu de nombreux élus la réclamer. J’avais même demandé au Président de la République s’il accepterait de rembourser les collectivités qui avaient déjà racheté des terrains,...
M. Jean-Claude Gaudin. Exactement !
M. François Rebsamen. ... mais c’est malheureusement impossible.
Les sanctions encourues pour le non-respect de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, seront renforcées. Que n’avez-vous tenté, en dix ans, chers collègues de l’opposition, pour limiter la portée de cette loi et pour la critiquer ! Pourquoi ? Peut-être est-ce parce qu’elle avait été présentée, à l’époque, par un ministre communiste ? Mais la loi SRU est une belle loi du gouvernement de Lionel Jospin ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.) C’est donc avec plaisir que nous apprenons, monsieur le Premier ministre, que vous envisagez de multiplier par cinq le montant de ces sanctions.
En attendant l’accroissement du parc locatif qui résultera de toutes ces mesures, l’encadrement des loyers arrêtera une spirale inflationniste inacceptable.
Contrairement à certains responsables politiques conservateurs, les Français sont prêts à accepter des évolutions de la société dont ils constatent tous les jours l’existence, et donc l’impérieuse nécessité de les reconnaître : c’est le cas du droit au mariage et à l’adoption des couples homosexuels, et de l’accompagnement de la fin de vie. Votre gouvernement, monsieur le Premier ministre, saura inscrire dans notre droit les réponses adaptées à la réalité de notre pays.
Vous instaurerez bien sûr l’égalité salariale entre les hommes et les femmes, que le Sénat de gauche a déjà votée. Vous réprimerez le harcèlement sexuel : tel est l’objet des propositions de lois des sénateurs de gauche…
M. Alain Gournac. Ils ne sont pas les seuls !
M. François Rebsamen. … que vous avez inscrites à l’ordre du jour du Parlement parmi les premiers textes de votre législature afin de combler le vide juridique résultant de la censure du Conseil constitutionnel.
Enfin, l’intégration des étrangers est l’une des conditions du mieux vivre ensemble. À cet égard, le droit de vote des étrangers aux élections locales – je sais que cette proposition suscite toujours un débat, sauf lorsqu’elle émanait de M. Sarkozy… – sera une mesure déterminante. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur certaines travées du groupe socialiste.)
Curieux revirement ! Il suffisait que le président de la République de l’époque, M. Sarkozy, se prononce « pour » pour que vous soyez « pour », et qu’il se prononce « contre » pour que vous soyez « contre » !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Demandez aux Français et vous verrez ce qu’ils en pensent !
M. François Rebsamen. C’est cela un parlement « godillot » ! Mais vous pouvez avoir vos propres opinions, chers collègues, comme M. Borloo vient de le prouver !
La nouvelle majorité sénatoriale est fière d’avoir adopté cet engagement de la gauche, voté par l’Assemblée nationale sous le gouvernement de Lionel Jospin.
Pendant la campagne présidentielle, la droite a utilisé ce texte comme un épouvantail, agitant les peurs, accumulant les mensonges et les contrevérités, faisant par là même le jeu de l’extrême droite. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.) Alors, ne venez pas nous reprocher aujourd'hui de vouloir opposer les Français les uns aux autres !
M. Jean-Claude Gaudin. Faites-le par référendum !
M. François Rebsamen. Il est temps de reconnaître aux étrangers qui vivent sur notre sol, paient leurs impôts en France et respectent les valeurs de la République une citoyenneté de résidence à laquelle ils ont droit. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
Mme Esther Benbassa. Bravo !
M. François Rebsamen. Avec votre politique, monsieur le Premier ministre, l’immigration ne sera plus instrumentalisée ; elle sera traitée de façon ferme et juste, dans le respect de la dignité des personnes.
Pour les socialistes et pour vous, monsieur le Premier ministre – et je salue M. le ministre de l’intérieur –, la sécurité est une priorité, car les plus démunis sont les premières victimes de l’insécurité, qui est aussi l’une des principales causes de rupture du vivre ensemble.
Votre politique de sécurité, j’en suis sûr, sera juste, ferme et efficace, dans le respect des libertés individuelles et s’appuiera sur un équilibre entre la prévention, la dissuasion, la sanction et la réparation qui est due aux victimes. Cette priorité, vous l’assumez en lui affectant les moyens que la droite, malgré ses discours incantatoires et ses promesses, lui avait progressivement enlevés au cours du quinquennat précédent.
Il vous appartiendra également, monsieur le Premier ministre, de répondre aux attentes du monde culturel. Vous avez déjà commencé en rétablissant des crédits qui avaient été supprimés pour l’action culturelle. Je sais à quel point vous y êtes sensible, vous qui avez fait de Nantes un modèle en matière de politique culturelle, avec des manifestations emblématiques telles que La Folle Journée ou Le Voyage à Nantes.
Oui, vous allez moderniser, apaiser et moraliser notre démocratie. L’exemple vient d’en haut, dit l’adage, et vous le prouverez. La diminution de 30 % des rémunérations du Président de la République et des membres du Gouvernement justifiera d’autant mieux la baisse des rémunérations des dirigeants d’entreprises publiques et la fixation d’une échelle de rémunération pour ceux du secteur privé.
Avec vous, monsieur le Premier ministre – et je salue Mme la garde des sceaux –, l’institution judiciaire doit retrouver la sérénité dont elle a été privée pendant cinq ans. Vous allez mettre un terme, je n’en doute pas, à la stigmatisation des magistrats, leur redonner les moyens de fonctionner dignement et efficacement, comme s’y est engagé le Président de la République. Vous allez réformer le Conseil supérieur de la magistrature. La magistrature ne sera donc plus la victime de l’empilement législatif résultant de lois de circonstance, émotionnelles, inefficaces et parfois dangereuses. Enfin, je ne doute pas que vous consacrerez l’indépendance du parquet.
Respect du fonctionnement des institutions, nominations irréprochables par le Parlement, restauration du dialogue par la conférence sociale, reconnaissance du rôle des corps intermédiaires : la politique que vous nous avez présentée dans votre déclaration de politique générale, monsieur le Premier ministre, tourne résolument le dos au quinquennat de l’omniprésidence pour redonner à notre démocratie toute sa vigueur et à l’État son impartialité.
Oui, vous saurez porter l’idéal européen qui rassemble bien souvent par-delà les partis. Le Président de la République s’était engagé à revisiter le traité européen pour qu’au volet de la rigueur corresponde un volet de la croissance, indispensable à la sortie de crise.
C’est chose faite avec la signature du pacte de croissance et ses deux mesures phares : 1 % du produit intérieur brut européen, soit 120 milliards d’euros, sera affecté à de l’investissement et la Banque centrale européenne pourra recapitaliser les banques.
La droite avait moqué et dénoncé cette volonté d’infléchir, de modifier le contenu du traité. Un pacte de croissance était impossible ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il faudra accepter la règle d’or !
M. François Rebsamen. Nous ne voterons pas la règle d’or, je vous le dis d’emblée ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) Le pacte de croissance a été obtenu grâce à notre détermination et notre constance à vouloir changer les choses (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Exclamations sur les travées de l'UMP.), grâce à la force que le vote du peuple français a donnée au Président de la République !
Je me souviens encore de M. Juppé demandant à M. Hollande s’il comptait aller trouver Mme Merkel pour lui dire qu’il fallait plus de croissance. Eh bien, c’est ce qu’il a fait, et c’est ce qu’il a obtenu ! (Mêmes mouvements.)
M. Jean-Louis Carrère. Et il n’a pas eu besoin de la secouer !
M. François Rebsamen. C’est un signe fort, salué par les marchés, même s’ils ne sont pas ma référence, vers la sortie de crise de l’euro. C’est un premier pas très important vers une Europe plus solidaire, avec une intégration financière et politique plus forte. C’est une victoire des socio-démocrates européens sur les conservatismes. (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. On vous le rappellera !
M. François Rebsamen. Vous êtes, monsieur le Premier ministre, un Européen convaincu, et nul doute que votre qualité de germanophone, et surtout de germanophile, est un atout important pour cette évolution dans laquelle le couple franco-allemand est appelé à tenir un rôle majeur dans les années à venir.
L’Europe, qui s’est construite au fil d’avancées et de crises, vit sans doute l’un des moments les plus difficiles de son existence. Vous saurez contribuer à résoudre cette nouvelle crise pour que progresse une fois de plus l’idéal européen.
Monsieur le Premier ministre, votre discours l’a démontré, vous avez pris la mesure des contraintes imposées par la situation de notre pays, mais aussi des attentes des Français. Nos concitoyens sont beaucoup plus lucides que vous ne le croyez, mais ils sont inquiets.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ils peuvent l’être !
M. Alain Gournac. Ils ont peur !
M. François Rebsamen. Non, ils n’ont pas peur. Ils craignaient que M. Nicolas Sarkozy ne soit reconduit dans son mandat (Protestations sur les travées de l'UMP.), et c’est pour cela qu’ils ont voté pour M. François Hollande. Ah, cette vérité vous gêne !
M. Alain Gournac. Ils ont voté à 48,4 % pour Nicolas Sarkozy !
M. François Rebsamen. Monsieur le Premier ministre, vous avez fixé une ligne politique claire, vous avez dessiné un projet ambitieux pour un avenir que nous voulons tous meilleur, fondé sur la raison, la responsabilité, la compréhension et la justice.
Aujourd’hui, les Français peuvent être rassurés, confiants dans leur Gouvernement. Ils peuvent retrouver l’espérance. C’est l’objectif que nous devons poursuivre. Nous savons que vous saurez mener à bien ce projet. Pour ce faire, monsieur le Premier ministre, vous pouvez compter sur le soutien plein et entier des sénateurs socialistes ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai écouté avec beaucoup d’attention les représentants des sept groupes de la Haute Assemblée. Bien sûr, je ne partage pas toujours les propos des uns et des autres, mais j’ai écouté avec beaucoup d’intérêt les nuances, les oppositions, même si elles ont parfois tendance à modifier la réalité. En tout cas, le dialogue est utile et il faut l’accepter comme tel, en respectant la diversité des sensibilités parlementaires, de l’opposition, bien sûr, mais aussi de la majorité, au sein de laquelle plusieurs groupes s’expriment avec la force de leurs convictions, de leurs sensibilités, avec le souci également d’apporter leur originalité à l’œuvre collective.
Je tiens d’abord à remercier M. François Rebsamen, le président du groupe socialiste, dont le propos a reflété la chaleur de l’engagement, mais aussi la détermination de son groupe à contribuer à réussir le changement. Je lui adresse, ainsi qu’à tous les membres de son groupe, un vif remerciement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Je ne reviendrai pas sur les nombreuses précisions qu’il a apportées. Il a notamment très bien présenté les premières décisions que nous avons été amenés à prendre. Elles sont conformes aux engagements du Président de la République, qu’il appartient au Gouvernement de mettre en œuvre.
Madame Borvo Cohen-Seat, vous avez parlé franchement et je vous en remercie. Vous souhaitez la réussite de la gauche, tout en ne participant pas au Gouvernement. Nous avons proposé, avec le Président de la République, aux membres de votre groupe au Sénat, ainsi qu’à ceux du groupe de la gauche démocrate et républicaine, à l’Assemblée nationale, d’entrer au Gouvernement, mais vous nous avez demandé de modifier le projet du Président de la République.
Or nous sommes dans un système institutionnel où les engagements du Président de la République élu au suffrage universel sont la base même de notre action. Je l’ai dit dès ma nomination, ils constituent la feuille de route du Premier ministre, comme celle du Gouvernement, même après les élections législatives. Il ne s’agit nullement de ne pas tenir compte des avis des uns et des autres, notamment des électeurs, ainsi que de ceux qui les représentent, et je considérerai attentivement vos propositions. Il s’agit de cohérence avec les engagements pris, du respect du vote du peuple français qui a élu un président de la République le 6 mai dernier. Les soixante propositions de François Hollande sont notre feuille de route qu’il nous appartient de mettre en œuvre.
Certains, au sein de l’opposition, ont cru à des renoncements. Il n’y a pas de renoncements, mais il y a des difficultés – je ne les nie pas – qui sont celles que nous connaissions avant l’élection présidentielle et les élections législatives.
Nous n’avons pas découvert la gravité de la situation économique et financière de notre pays. Nous la connaissions et nous l’avons prise en compte, dès avant les élections, dans nos prévisions de croissance et de recettes fiscales, comme pour élaborer le projet de loi de finances rectificative qui sera prochainement soumis à votre examen.
À cet égard, MM. Gaudin et Zocchetto ont tenu des propos inexacts, disant qu’ils assistaient aux premiers renoncements du Gouvernement. M. Adnot, pour sa part, a été plus nuancé ; il a par ailleurs indiqué qu’il étudierait attentivement nos propositions et soutiendrait celles qui lui paraîtraient utiles, et je l’en remercie.
Monsieur Gaudin, monsieur Zocchetto, il n’y a pas de renoncements. C’est l’ancien gouvernement qui s’était trompé en prévoyant pour 2012 une croissance de 0,7 %. Le « petit » programme de François Hollande, à la fois ambitieux et réaliste, chiffré, tablait quant à lui sur une prévision de croissance de 0,5 %. Nous avions bien perçu que la situation des comptes publics était très dégradée et que l’absence de politique de soutien à la croissance, en France comme en Europe, portait en elle de lourdes conséquences. Nous avions anticipé la situation, et le projet de loi de finances rectificative en tient compte.
Ce projet de loi est juste. Je le dis également à M. Mézard, à M. Placé, je le répète à Mme Borvo Cohen-Seat et à M. François Rebsamen, qui l’a lui-même souligné : il a effectivement fallu faire face à une impasse. Comment avons-nous procédé ? Nous avons fait le choix d’une gestion sérieuse, lucide et rigoureuse – le mot ne me fait pas peur –, afin de respecter l’engagement du Président de la République de réduire le déficit public à 4,5 % du PIB en 2012.
Nous nous y conformons, dans ce premier budget, non pas en engageant un grand plan de baisse des dépenses, étant donné que nous sommes en cours d’année, mais simplement en confirmant un gel de celles-ci, ainsi qu’un surgel. Nous avons limité les dépenses nouvelles.
Les seules dépenses nouvelles pour 2012 serviront à préparer dans l’urgence la prochaine rentrée scolaire. Comme vous le constatez dans vos territoires, il y a des situations extrêmement dégradées. L’éducation est notre priorité, conformément à l’engagement que nous avons pris.
M. Didier Guillaume. Ça, c’est sérieux !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Pour le reste, les mesures en faveur de Pôle emploi, l’allocation de rentrée scolaire et la retraite à soixante ans – j’y reviendrai – sont financées. Les comptes publics ne seront donc pas dégradés. En revanche, il a fallu trouver des recettes fiscales nouvelles pour y faire face. La différence, monsieur Gaudin, c’est que vous aviez prévu d’aller chercher ces recettes dans la poche des classes moyennes et populaires par une hausse de la TVA au 1er octobre, laquelle aurait rapporté 11 milliards d’euros !
M. Didier Guillaume. Eh oui !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Nous avons décidé d’abroger cette mesure et de trouver d’autres recettes ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Paul Emorine. Et l’emploi ?
M. Alain Gournac. Vous y reviendrez !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Chacun, moi y compris, a des comptes à rendre.
Monsieur Zocchetto, vous avez souligné le fait que nous sommes majoritaires au sein des régions, des départements et des villes, ainsi qu’à l’Assemblée nationale et au Sénat. Cela ne me donne pas de complexe : nous n’avons pas à nous excuser d’avoir reçu la confiance des citoyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. Didier Guillaume. Bien sûr !
Un sénateur du groupe socialiste. Les élections sont démocratiques !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. En revanche, ces résultats nous obligent et renforcent encore nos devoirs à l’égard des Françaises et des Français.
En tant que chef du Gouvernement, j’ai donc des comptes à rendre à nos assemblées, mais également, comme le Président de la République et tous les ministres, au peuple français.
Nous voulons agir, et non baisser les bras, renoncer, nous résigner. Nous voulons changer et réussir le redressement du pays dans la justice. Nous savons qu’il y a des choix courageux à faire, et nous les ferons !
Les prélèvements sur les entreprises ou les ménages figurant dans le projet de loi de finances rectificative ont été évoqués. En parler ainsi, de façon technocratique, fait que personne ne comprend rien. Je vous le dis, mesdames, messieurs les sénateurs, comme je le dis aux commentateurs, les prélèvements sur les ménages reposeront non pas sur les classes moyennes ou populaires à travers une augmentation de la TVA, mais sur les ménages fortunés, ceux qui possèdent le plus et qui peuvent donc donner le plus ! Le rétablissement du taux d’ISF, qui touche 1 % des contribuables, voilà la justice, mesdames, messieurs les sénateurs ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Permettez-moi également de corriger une inexactitude concernant le pouvoir d’achat et les heures supplémentaires. Cette année, la suppression de l’exonération des cotisations patronales ne concernera que les entreprises de plus de vingt salariés. Les petites et moyennes entreprises, quant à elles, seront préservées ; et c’est juste ! (Mme Frédérique Espagnac applaudit.)
M. Yves Daudigny. En effet !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Elles le seront également dans la grande réforme fiscale que nous allons engager à partir de 2013. Ainsi, les entreprises du CAC 40 ou les multinationales ne seront pas placées, en ce qui concerne l’impôt sur les sociétés, au même niveau que les très petites, petites et moyennes entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.) C’est logique et cohérent !
Par ailleurs, je tiens à rassurer ceux qui se sont inquiétés de la situation de la France vis-à-vis de ses partenaires européens, en particulier de la relation franco-allemande. Je suis, comme d’autres, vous le savez, profondément attaché à cette relation. Ainsi que vient de le rappeler François Rebsamen, le Président de la République a également montré qu’il l’était, en rendant visite à Mme Merkel pour son tout premier déplacement, le jour même de la passation de pouvoir, quelques minutes après m’avoir nommé Premier ministre et avant même que nous ayons achevé la composition du premier gouvernement !
M. Alain Gournac. Il a failli prendre la foudre ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Et il a eu la grêle ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Ce n’était pas aller à Canossa ! C’était une visite à Berlin, un signe d’amitié, qui visait à affirmer à nos partenaires allemands que nous souhaitions une relation de franchise, équilibrée, rééquilibrée plutôt,…
M. Jean-Louis Carrère. Rééquilibrée, c’est cela !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. … afin de poursuivre la construction de l’Europe et de sortir de l’ornière dans laquelle nous étions. Voilà la démarche que nous avons engagée ! (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste. – Protestations sur les travées du groupe UMP.)
M. Jean-Louis Carrère. Sans trop secouer Mme Merkel !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Si nous ne l’avions pas fait, si cette discussion ne s’était pas tenue dans cet état d’esprit, avec la volonté de trouver des solutions en associant des pays comme l’Italie ou l’Espagne, comment aurions-nous réussi à nous entendre et à élaborer des propositions communes lors du Conseil européen des 28 et 29 juin ?
Nos discussions se font à l’échelon européen mais également mondial, au G8 et au G20, par exemple. Ainsi que je l’ai expliqué cet après-midi à l’ambassade des États-Unis, en ce jour de fête nationale et de commémoration de leur indépendance, grâce aux initiatives du président Hollande, nous avons discuté de croissance non seulement entre Européens, mais aussi à l’échelle mondiale.
M. Didier Guillaume. Voilà la justice !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. En effet, beaucoup de pays s’inquiètent de la situation et regardent vers notre continent.
Les lignes ont bougé parce que le peuple français a décidé que les choses devaient changer. Je vous le dis : oui, elles ont changé, et cela va continuer, car nous allons retrouver le chemin de la croissance et de la confiance ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Monsieur Gaudin, je sais que vous n’avez pas prêté à ce gouvernement l’intention de mettre, par aventurisme peut-être, l’Europe et l’euro en péril. Vous ne nous avez pas fait ce procès. Vos propos devaient sans doute s’adresser à d’autres, à qui, parfois, une partie de votre mouvement a pu lancer quelques clins d’œil. Vous avez eu tort, car il ne faut pas jouer avec les passions, les inquiétudes et les peurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Vives protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Gaudin. C’est scandaleux de dire cela !
M. Alain Gournac. Scandaleux !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Notre devoir est d’apporter des réponses pour faire face à la situation dans laquelle nous sommes.
Depuis des mois, vous réclamez à cor et à cri la règle d’or.
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Vous voulez imposer aux autres alors que vous ne l’avez pas suivie vous-même. Je vous le dis, nous n’avons pas besoin d’inscrire de règle d’or dans la Constitution pour mettre en œuvre une bonne politique budgétaire.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Eh si !
M. Jean-Louis Carrère. Eh non !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Ce qui compte, comme s’y est engagé le Président de la République devant les Français, c’est de rétablir l’équilibre de nos comptes publics.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Alors écrivez-le !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Le remboursement des intérêts de la dette représente le premier budget de la nation, 50 milliards d’euros, soit plus que les budgets de l’éducation nationale, de la justice et de la police réunis ! Nous ne pouvons plus vivre avec cette situation qui perdure d’année en année, et que nous avons trouvée à notre arrivée au pouvoir.
M. Didier Guillaume. Cela ne peut pas continuer !
M. Didier Guillaume. Non !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Non, à l’évidence.
C’est pourtant la réalité au sein de laquelle nous évoluons. L’engagement d’atteindre l’équilibre à la fin de l’année 2017 vaut toutes les règles d’or,…
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. … car il a été pris devant le peuple français ! Nous avons commencé à œuvrer en ce sens. J’espère que, par vos votes, vous nous aiderez, dès 2012, à ramener le déficit à 3 % du PIB en 2013 et à atteindre les objectifs fixés pour les années suivantes.
Cet engagement impliquera de faire porter l’effort en partie sur les dépenses, mais il consistera également à soutenir et à préserver l’éducation, la police, la justice, la sécurité des Français, la sécurité sociale, l’hôpital public – certains s’en inquiètent –, qui sont les priorités du quinquennat à venir, en maintenant constants les effectifs de la fonction publique. C’est un effort considérable, un engagement unique en Europe ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Ainsi que je l’ai dit hier lors de ma déclaration de politique générale, qui vous a été lue, je récuse l’austérité que l’on a voulu nous imposer en Europe. Grâce aux décisions du Conseil européen, nous sommes en train de nous en éloigner.
Il n’y aura pas de sortie de crise, en particulier financière, si nous ne retrouvons pas les voies de la croissance, parmi lesquelles, monsieur Placé, figure, en France comme en Europe, le grand chantier de la transition énergétique. J’espère qu’une partie des 120 milliards d’euros consacrés à la relance de l’investissement, qui représentent autant d’effets de levier possibles, contribuera à la transition énergétique et sera utilisée pour la réalisation de grandes infrastructures ou le développement du numérique, par exemple. Il y a de quoi faire, si nous le voulons !
De même, nous ne voulons pas de l’austérité pour la France, car elle signifie l’appauvrissement des classes moyennes et populaires. Voyez ce qui se passe en Grèce ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Nous ne voulons pas de la baisse des salaires, du traitement des fonctionnaires et des pensions, ainsi que de la dégradation des services publics. On peut agir différemment, et la cohésion sociale et nationale ne sera pas dégradée ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Christian Cambon. Et la défiscalisation des heures supplémentaires ?
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Tel est l’engagement que je prends devant le Sénat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne reviendrai pas sur la grande réforme des collectivités territoriales. J’ai dit comment je la voyais, qu’il s’agisse des modes de scrutin ou des dates des élections, et quelle association du Sénat je souhaitais.
Pour terminer, je voudrais vous dire un mot, monsieur Zocchetto. À vous entendre, l’absence de vote aujourd’hui serait un véritable drame ! M. Gaudin, lui, m’a dit que, de toute façon, son groupe ne nous accordait pas sa confiance.
M. Jean-Claude Gaudin. Au moins, c’était clair ! (Sourires.)
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Il ne m’a même pas parlé du vote, il est donc assez pragmatique ! (Nouveaux sourires.) Vous auriez pu dire la même chose, monsieur Zocchetto !
Il n’y a pas de règle absolue en la matière. Ce n’est certainement pas un manque de respect à l’égard du Sénat. Il n’y a pas si longtemps, François Fillon, alors Premier ministre, avait fait une déclaration de politique étrangère devant l’Assemblée nationale, à l’issue de laquelle il avait demandé la confiance de l’assemblée. Devant le Sénat, en revanche, sa déclaration n’avait pas été suivie d’un vote.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce n’est pas pareil !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Certains s’en étaient étonnés, mais cela n’a pas empêché que le Sénat soit respecté.
M. Alain Gournac. Cela n’a rien à voir !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Je respecte et respecterai le Sénat, ainsi que le travail que nous ferons en commun.
En tout état de cause, vous devez comprendre – c’est assez facile ! – que la confiance accordée par l’Assemblée nationale, nouvellement élue par les citoyennes et citoyens de notre pays, est le point de départ du redressement de la France dans la justice. Le vote d’hier l’a montré avec force ; il est pour moi un point d’appui, tout comme le sont les interventions des sénatrices et des sénateurs de la majorité de gauche qui m’ont exprimé leur soutien à cette tribune. Je vous en remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, car c’est pour moi un levier sur lequel je peux m’appuyer pour redonner courage et confiance à la France, et la remettre sur la voie de la réussite. (Les membres du groupe socialiste et du groupe écologiste se lèvent et applaudissent longuement.)
6
Nomination d’un membre d’une commission d’enquête
M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe socialiste et apparentés a présenté une candidature pour la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. Jean-Pierre Caffet membre de la commission d’enquête, à la place laissée vacante par Mme Nicole Bricq, dont le mandat de sénateur a cessé.
7
Engagement de la procédure accélérée pour l’examen de deux projets de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté de Monaco relatif à la prise en charge sur le territoire français de déchets radioactifs monégasques et du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire, déposés sur le bureau de l’Assemblée nationale.
8
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 5 juillet 2012 à quinze heures :
- Débat sur les résultats du Conseil européen des 28 et 29 juin 2012
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures dix.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART