Mme la présidente. La parole est à M. Michel Delebarre.
M. Michel Delebarre. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mes chers collègues,… j’en ai presque terminé ! (Rires.)
En effet, tout a été dit, et bien dit, en particulier par vous, madame le rapporteur, qui avez fait un travail remarquable sur un texte rendu difficile par l’enchevêtrement inévitable de dispositions particulières. Vous en avez livré une analyse extrêmement pertinente et vous avez proposé un certain nombre d’amendements susceptibles de l’enrichir et de l’orienter dans un sens positif.
Ce projet de loi découle directement d’un protocole d’accord signé en mars 2011 entre le Gouvernement et de nombreuses organisations syndicales. C’est la procédure qu’il fallait effectivement suivre !
Il a pour objet de réduire la précarité existante et de prévenir la précarité pour l’avenir Il s’agit d’un noble objectif ! Toutefois, il ne doit pas être si facile de l’atteindre puisque, au cours des vingt dernières années, on a régulièrement entendu des déclarations allant dans ce sens sans que ne cesse jamais de resurgir le problème des contractuels.
Je n’ai pas besoin de dire que le Gouvernement et le Parlement s’honorent de conduire cette action. Notre collègue Christian Favier a bien décrit la situation de ces contractuels angoissés par l’incertitude de l’avenir. Ces situations ne sauraient perdurer et il est bien qu’il y soit mis fin.
Monsieur le ministre, vous le comprendrez bien, je ne vais pas pouvoir dire que des choses gentilles sur ce texte !
M. Michel Delebarre. Si, j’ai dit que, globalement, il n’était pas si mal. Venant de moi, c’est plutôt un compliment ! (Nouveaux sourires.)
M. Michel Delebarre. Permettez-moi donc une remarque.
Le texte contient un certain nombre de dispositions qui portent sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes et la lutte contre les discriminations. Il s’agit évidemment là d’enjeux d’une importance considérable, notamment dans la fonction publique. Ce qui m’inquiète toutefois, c’est que les dispositions prévues paraissent se résumer à la réalisation d’un certain nombre de rapports sur le sujet. Entre nous, je ne suis pas sûr que cette vaste ambition fasse progresser la cause de l’égalité entre les sexes…
Aussi, monsieur le ministre, j’aimerais en savoir un peu plus sur l’état de vos négociations avec les partenaires sociaux. Quelles évolutions concrètes vont avoir lieu sur ces questions qu’on s’accorde à juger fondamentales ?
Inévitablement, avec un texte comme celui-ci, qui touche à beaucoup de sujets, les parlementaires, au travers de leurs amendements, attirent l’attention du Gouvernement sur des préoccupations complémentaires. Aucun de ces amendements n’est inutile, car ils ont tous pour objectif de régler d’autres problèmes qui se posent dans la fonction publique et que certains acteurs ont légitimement intérêt à voir résolus.
J’ai moi-même déposé un amendement tendant à reconnaître le statut de magistrat aux membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel. Il s’agit certes d’un vieux débat, mais autant le conclure aujourd’hui !
En effet, la manière de travailler de ces juges, les sujets qui leur sont confiés, les règles qu’ils observent les renvoient au statut de magistrat, qu’on persiste pourtant à ne pas leur attribuer. Je pense qu’il serait bon d’en finir une fois pour toutes avec cette ambiguïté juridique. L’occasion nous en est offerte avec l’examen de ce texte.
De la même manière, j’ai prêté mon concours à l’amélioration de l’organisation interne des juridictions financières, proches dans leur fonctionnement du Conseil d’État et des cours administratives d’appel. J’ai donc souhaité que soit prévue une disposition tendant à permettre aux plus importantes chambres régionales des comptes d’être dotées de postes de vice-présidents.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Michel Delebarre. Un amendement allant dans ce sens a été déposé, mais la commission des finances l’a jugé irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution. Pour ma part, je continue de m’interroger : en quoi l’article 40 peut-il être opposé à cet amendement ?
Je tiens simplement à rappeler que sont concernées les chambres régionales de Rhône-Alpes-Auvergne, Provence-Alpes-Côte-d’Azur et Nord-Pas-de-Calais-Picardie, c’est-à-dire les plus importantes, étant précisé que la chambre d’Île-de-France jouit déjà de la possibilité d’avoir des vice-présidences. Ne pas doter ces institutions de cette faculté de s’organiser serait malvenu, d’autant qu’il s’agit d’une suggestion émanant du président de la Cour des comptes, Didier Migaud, qu’on ne peut suspecter de vouloir contrevenir à l’article 40 de la Constitution.
Monsieur le ministre, par des amendements de ce type, marginaux de prime abord, on peut faire de ce texte, qui, je le rappelle, est fondamental parce qu’il découle d’un accord avec les organisations syndicales, une occasion d’améliorer le fonctionnement de nos institutions. Ne mesurons pas trop nos ambitions et essayons plutôt d’avancer ! Malgré les observations de la commission des finances, le Gouvernement a encore la possibilité de se saisir de cette question et de s’inscrire dans cette démarche d’amélioration.
Ainsi donc, le Gouvernement a entendu les organisations syndicales – enfin ! serais-je tenté de dire. Monsieur le ministre, vous avez raison de prendre conscience maintenant, à quelques mois d’une échéance cruciale, qu’il est important d’avoir un dialogue social dans la fonction publique d’État et dans les fonctions publiques hospitalière et territoriale.
Pourquoi n’a-t-il pas eu lieu avant ? Je n’en sais rien, mais je suis heureux de voir que ce progrès se réalise alors que vous êtes ministre. Peut-être votre personnalité y a-t-elle contribué ? Je suis en tout cas prêt à le croire ! (Sourires.)
Cela étant, j’ai tout de même du mal à me laisser aller à donner un blanc-seing à l’action du Gouvernement en matière de fonction publique à l’occasion de l’examen de ce projet de loi. Ma réserve va d’ailleurs bien au-delà de ce texte, mais, pour m’en tenir à l’objet de celui-ci, je me demande si vous avez les moyens de financer l’application des dispositions qu’il contient. La loi de finances pour 2012 ne comporte pas, semble-t-il, les crédits correspondant aux dépenses qu’entraînerait effectivement leur mise en œuvre.
Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce point. Auriez-vous signé l’accord de mars 2011 en sachant pertinemment que vous ne disposeriez pas, en 2012, des crédits permettant d’en appliquer les clauses ? Un tel comportement serait pour le moins anormal…
Depuis dix ans, les gouvernements de droite s’emploient, souvent par idéologie, à dévaloriser les services publics et la fonction publique. Il s’agit de gouvernements dont M. Sarkozy faisait d’ailleurs partie, avant d’adopter la même attitude durant la période où il était…, pardon, où il est, Président de la République. (Mme Nathalie Goulet s’esclaffe.) Je me projette bêtement dans l’avenir ! (Sourires.)
Lancée le 10 juillet 2007 à grand son de trompe, la révision générale des politiques publiques était l’un des plus grands chantiers du Gouvernement pour le quinquennat. L’ambition affichée – la réforme de l’État – était parfaite pour être inscrite au fronton de l’édifice, mais, très rapidement, cette réforme a été dévoyée et n’a finalement accouché, à mes yeux, que d’une politique purement comptable de réduction aveugle des postes de fonctionnaires, au détriment de la qualité du service rendu à la population et des conditions de travail des agents publics.
La Cour des comptes a ainsi estimé que le gain net des économies réalisées du fait de la RGPP était de 1 milliard d’euros par an… Il convient de comparer ce chiffre à celui de l’allégement de l’impôt sur la fortune – 1,5 milliard d’euros – mis en œuvre par le Gouvernement en juillet dernier, en pleine crise économique et financière.
Honnêtement, je crois que cette RGPP a entraîné une cascade de conséquences néfastes pour les services publics, et qui se feront de plus en plus sentir.
On constate d’abord une diminution de la proximité du service public : le pays compte moins de fonctionnaires, moins bien répartis à travers le territoire, à la suite de fusions de services, de réorientations, de réductions du nombre des implantations. On peine aujourd’hui, dans certains territoires, à trouver la présence de l’État déconcentré. Je suis convaincu, monsieur le ministre, que la région Bourgogne n’y échappe pas.
La qualité du service, ensuite, est entamée par le manque de moyens. C’est le cas de Pôle emploi. Lors du sommet social organisé à l’Élysée la semaine dernière, a été décidée la création, me semble-t-il, de 1 000 postes d’agents temporaires pour cette structure, ce qui prouve que, lors de la fusion entre l’ANPE et les ASSEDIC, le Gouvernement n’a pas veillé à ce que la nouvelle entité soit dotée des moyens en personnels et en fonctionnaires suffisants pour assumer une mission aujourd’hui vitale pour des millions de demandeurs d’emploi.
Toutes ces fusions mal préparées et mal réalisées ont, à mon avis, été sources de désorganisation et de détérioration du service public dans le pays.
La démoralisation des fonctionnaires est aussi un élément, diffus mais déterminant, de cette baisse de qualité du service. Les fonctionnaires ont été la cible explicite de la RGPP. La suppression de postes de fonctionnaires, souvent aveugle et assez hétérogène, a abouti à de véritables saignées dans certains ministères, apparaissant vraiment comme l’une des variables d’ajustement des crédits de l’État.
Permettez-moi de citer la baisse continue des effectifs d’enseignants et de professeurs. Depuis 2007, 66 000 postes d’enseignants ont été supprimés. L’académie de Lille a été particulièrement touchée…
Mme Nathalie Goulet. L’Orne aussi !
M. Michel Delebarre. … et les services du rectorat ont encore annoncé, pour la rentrée prochaine, 1 020 nouvelles suppressions de postes.
Dans l’ensemble de la fonction publique, il est prévu de supprimer plus de 30 000 emplois en 2012. Vous avancez vous-même, monsieur le ministre, des chiffres considérables en ce qui concerne l’évolution des effectifs au cours des dernières années.
On ne saurait faire porter sur les seuls services publics la réduction de la dette et du déficit budgétaire du pays. L’effort doit être partagé par tous, je suis prêt à l’admettre, mais surtout par les plus riches. Des services publics efficaces et de qualité sont d’abord au service des plus pauvres de nos concitoyens ; il faudrait tout de même s’en souvenir de temps en temps !
L’amélioration du service public passe souvent par un accroissement des coûts. La modernisation d’un service nécessite des investissements parfois lourds, qui ne sont rentables qu’à terme.
L’excellence des services publics est un objectif clé en France : le niveau élevé des dépenses publiques françaises ne se justifie que si le service rendu au public est meilleur qu’ailleurs.
À cet égard, monsieur le ministre, permettez-moi d’ouvrir une parenthèse.
À juste titre sans doute, on s’inquiète de la perte d’un des A du fameux triple A, ce qui signifie d’ailleurs qu’il nous en reste tout de même deux. Si la France faisait l’objet d’une comparaison internationale au regard d’un certain nombre de critères sociaux, du fonctionnement de la société, je crois que, par la qualité de ses services publics, elle aurait droit au triple A. Or ce qui se passe à l’heure actuelle nous conduirait à perdre aussi, dans quelque temps, ce triple A de la qualité des services publics et du climat social.
Pour revenir au texte, qui, comme je l’ai dit, peut aussi servir de support à bon nombre d’évolutions positives, sachez que la commission des lois a également été amenée à examiner des dispositions relatives aux centres de gestion de la fonction publique territoriale. En effet, en même temps qu’elle examinait ce texte, elle a été saisie d’une proposition de loi déposée par notre collègue Hugues Portelli où était abordée la question de l’évolution de ces centres.
Nous avons travaillé sur cette proposition de loi, nous n’avons pas approuvé l’ensemble de son dispositif, mais nous sommes d’accord sur un certain nombre des grands objectifs qu’elle vise s’agissant des centres de gestion. Nous avons donc suggéré d’introduire, par la voie d’amendements à ce projet de loi, quelques dispositions permettant de les faire évoluer.
Je crois que, sous l’autorité du président Sueur, avec M. Vial, M. Portelli, Mme Klès et M. Reichardt, nous avons fait un travail plutôt utile, de nature à améliorer la situation dans ce domaine.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est une excellente idée !
M. Michel Delebarre. Cela va de soi, monsieur le président, puisque vous y avez apporté votre contribution ! Elle n’avait sans doute pas cette qualité à l’origine, mais votre concours en a fait une excellente idée ! (Sourires.)
Nous avons travaillé sur cet objectif et nous sommes arrivés à l’idée que les centres de gestion, outre le travail qu’ils accomplissent au service des plus petites collectivités territoriales, lesquelles y sont automatiquement affiliées, assurent aussi des prestations pour le compte d’un certain nombre de collectivités plus importantes, et ce dans des domaines précis tels que la gestion du personnel. Cela touche notamment le secrétariat des commissions de réforme, celui des comités médicaux et la gestion des décharges d’activités.
Conscients que les centres de gestion rendent de multiples services, nous avons envisagé d’intégrer ces différentes prestations au sein d’un bouquet de services proposé aux collectivités – non pas uniquement à celles qui y sont obligatoirement affiliées –, moyennant une contribution ne dépassant pas 0,2 %. Les collectivités ainsi concernées seraient associées, dans le cadre d’un collège particulier, à l'administration des centres de gestion.
Monsieur le ministre, je le pense sincèrement, il s’agit d’une excellente idée, fort utile, qui sert les centres de gestion. Malheureusement, la commission des finances a invoqué l'article 40 de la Constitution, sous prétexte que le montage proposé ne prévoyait pas le financement correspondant.
Or cette disposition est financée ! Elle ne coûte rien aux centres de gestion puisque ceux-ci vont percevoir la contribution de 0,2 % versée par les collectivités qui prendront l'ensemble du bouquet et participeront ainsi au fonctionnement des centres de gestion.
Le Gouvernement devrait donc réfléchir à une telle évolution, excellente à nos yeux, qui rendrait un réel service tant aux centres de gestion qu’aux collectivités territoriales concernées.
Le présent projet de loi peut selon moi être très utile, encore plus utile que les mesures annoncées dans le cadre de l’accord, dont je salue le contenu, conclu avec les organisations syndicales, du moins s’il reprend un certain nombre de dispositions particulières. Nous serons donc très attentifs, monsieur le ministre, au sort que vous réserverez notamment aux amendements proposés par la commission, car leur adoption permettrait d’enrichir le texte.
Dans le fond, il s’agit quasiment, en l’espèce, d’une coproduction, entre les différentes composantes de cette assemblée, entre le Parlement et le Gouvernement, puisque lui-même a suivi les propositions des organisations syndicales. En d’autres termes, ne sommes-nous pas en train d’aller dans le bon sens, de faire véritablement œuvre de démocratie ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Monsieur le ministre, mes chers collègues, puisque tout le monde s’accorde à reconnaître que ce projet de loi est débattu dans un climat constructif et serein, je ne peux pas m’empêcher – mais je sais que vous ne m’en voudrez pas ! – de vous lancer une ou deux piques et de vous égratigner quelque peu, ne serait-ce que pour éviter un endormissement général… (Oh ! sur plusieurs travées.)
M. André Reichardt. Qui dort ici ?
Mme Virginie Klès. Personne, justement, mon cher collègue !
Je commencerai néanmoins, comme il se doit, par des remerciements. Vous nous avez en effet démontré, dans votre propos liminaire, l’aptitude du Gouvernement à aborder la question de l’emploi dans les fonctions publiques autrement que sous l’angle purement comptable et financier de la RGPP,…
Mme Nathalie Goulet. Un angle mort !
Mme Virginie Klès. … laquelle privilégie de surcroît le court terme. Notre collègue Michel Delebarre vient d’exposer notre position sur la RGPP avec tellement de talent que je m’en voudrais de répéter ses propos !
M. Michel Delebarre. Ce serait pourtant utile !
Mme Virginie Klès. Le croyez-vous vraiment ? Je m’en tiendrai à la description parfaite que vous venez de nous en faire.
Monsieur le ministre, compte tenu du constat dressé, il était effectivement temps de nous intéresser au dossier de la précarité dans les trois fonctions publiques. Vous nous avez d’ailleurs cité vous-même quelques chiffres tout à l’heure. Ceux-ci sont, certes, parlants sur un plan quantitatif, mais il importe, au regard du nombre de personnes concernées, de ne pas occulter l’humain et le qualitatif.
À l’époque de la création du revenu de solidarité active, le RSA, m’étant intéressée à sa mise en place au niveau national et plus particulièrement dans mon département, j’ai été très surprise de constater le nombre important d’agents des trois fonctions publiques, y compris donc de la fonction publique d’État, susceptibles de relever de ce dispositif. Outre la nature de leurs contrats, ces personnes étaient assujetties à un temps de travail tellement partiel que les revenus qu’elles en tiraient les plaçaient dans une situation véritablement précaire. Un pourcentage bien trop important d’entre elles pouvait donc légitimement bénéficier du revenu de solidarité active.
Le Gouvernement a choisi la période actuelle pour se préoccuper de la résorption de cette précarité. Nous sommes à quelques mois des prochaines échéances électorales, mais cela n’a certainement rien à voir !
MM. Michel Delebarre et Jacky Le Menn. Oh que non !
Mme Virginie Klès. Honni soit qui mal y pense, et loin de moi cette idée !
Mme Nathalie Goulet. Pour les Arméniens, cela se vérifie, mais pas pour la fonction publique !
Mme Virginie Klès. J’ai voté contre le texte sur le génocide arménien, ma chère collègue !
Mme Nathalie Goulet. Moi aussi !
Mme Virginie Klès. Après tout, tant pis, l’essentiel est que ce projet de loi existe : c’est bon à prendre ! Quelles que soient les motivations qui ont présidé à son élaboration, le travail réalisé était prioritaire. C’est toujours cela que nous n’aurons pas à faire quand nous serons aux manettes dans quelques semaines ! En cela, je vous dis merci, monsieur le ministre !
M. André Reichardt. Oh là là ! Ce n’est pas gentil !
Mme Virginie Klès. Nous en reparlerons sans doute !
En tout état de cause, sur un ton plus sérieux, je tiens à mon tour à saluer l’esprit de négociation et de concertation qui a régné, au sein des organisations syndicales et dans leurs relations avec le Gouvernement. Comme quoi, dès lors qu’il y a une volonté de discuter en amont les textes de façon à la fois très transparente, très libre et très intense, on aboutit à un relatif consensus.
M. David Assouline. Relatif, en effet !
Mme Virginie Klès. Tout à fait !
Même si nous ne sommes pas toujours d’accord, le Parlement et le Gouvernement ne peuvent donc pas faire moins que d’avoir cette même attitude constructive dans le cadre des débats qui nous occupent aujourd'hui.
Bien évidemment, il restera du travail à faire. Je partage ainsi les inquiétudes, les préoccupations et les attentes encore légitimes en matière de parité homme-femme dans la fonction publique territoriale, dans la fonction publique d’État et dans la fonction publique hospitalière. Oui, nous pouvons mieux faire s’agissant de l’accessibilité aux postes à responsabilité, mais pas seulement.
Ne l’oublions pas, dans les trois fonctions publiques, d’une manière générale, les femmes occupent les emplois les moins qualifiés, et majoritairement les emplois à temps partiel. Elles ont des horaires compliqués, car morcelés dans la journée, alors mêmes qu’elles accomplissent des tâches indispensables. Je pense, par exemple, à toutes celles qui, au sein de la fonction publique territoriale, travaillent au contact des enfants, dans les cantines, font le ménage ou accompagnent les personnes âgées. Sur ce sujet, il y a certainement encore beaucoup à faire.
Mme Corinne Bouchoux. Très bien !
Mme Virginie Klès. En matière de mobilité, il s’agit d’être très concret, « pratico-pratique », dirais-je même. Connaissant bien la fonction publique territoriale, je sais que la mobilité entre les trois fonctions publiques est une avancée qu’il faut favoriser : oui, nous avons besoin des passerelles. Néanmoins, là aussi, il restera à faire, car ces passerelles ne doivent pas être quasi systématiquement à sens unique. Ainsi, la fonction publique territoriale n’a pas vocation à accueillir toutes les personnes qui sortent de la fonction publique d’État.
M. Michel Delebarre. Très bien !
Mme Virginie Klès. Un point ne doit pas être occulté : aujourd'hui, les formations sont trop techniques. Or, pour des postes à responsabilités identiques, la façon de se comporter diffère grandement selon qu’il s’agit de la fonction publique d’État ou de la fonction publique territoriale. Les agents qui travaillent dans cette dernière doivent tenir compte de critères spécifiques, car ils ont affaire à une hiérarchie à la fois administrative et politique tout en étant en relation directe avec nos concitoyens. Cela peut poser quelques soucis. J’ai moi-même recruté un directeur général des services venant de la fonction publique d’État qui a eu beaucoup de mal à appréhender cette triple dimension de son poste.
Il y a donc encore beaucoup à faire. Il convient, très concrètement, de rechercher le meilleur équilibre, ce qui passe, notamment, par des formations plus adaptées et très spécifiques.
Pour en rester à la fonction publique territoriale, j’évoquerai la situation des centres de gestion, dont a magnifiquement parlé Michel Delebarre. Oui, de telles structures ont toute leur importance, au regard des missions qu’elles mènent, et il est primordial d’assurer leur pérennité, et donc leur financement, notamment pour tous nos territoires organisés autour de petites collectivités, communes ou intercommunalités.
Je le pense très sincèrement, le niveau de formation et de compétences des fonctionnaires territoriaux a fortement augmenté au cours des dernières années. Nous avons aujourd'hui affaire à des personnes de grande qualité, qui se voient offrir des carrières attractives, y compris en restant dans la fonction publique territoriale. Si les petites collectivités peuvent accueillir des fonctionnaires territoriaux d’un tel niveau, c’est en grande partie au travail des centres de gestion que nous le devons. Ces derniers accompagnent les collectivités de taille réduite dans le suivi des carrières, lorsqu’elles n’ont pas forcément les moyens de le faire elles-mêmes, dans la formation, dans la mutualisation des postes et des compétences. Leur rôle est extrêmement important.
À cet égard, je partage l’approche de Hugues Portelli quant aux objectifs de la proposition de loi qu’il a déposée et qui a fait l’objet d’un rapport de Jean-Pierre Vial. Michel Delebarre, Alain Richard, le président de la commission des lois et moi-même avons effectivement travaillé sur cette base pour incorporer, sous la forme d’amendements au présent texte, un certain nombre de dispositions suggérées à l’époque.
Monsieur le ministre, nous en avons discuté un petit peu avant la séance et j’ai bien entendu vos engagements sur le sujet. Michel Delebarre l’ayant excellemment évoqué tout à l’heure, je ne m’appesantirai pas sur ce sujet effectivement essentiel.
Les amendements proposés aujourd'hui tendent à régler des problèmes immédiats, actuels, liés notamment à la réorganisation territoriale. Pour autant, un réel travail de fond restera à entreprendre autour des centres de gestion, pour prendre en compte le bilan de la loi de 2007 et les conséquences du transfert d’un certain nombre de compétences du CNFPT vers lesdits centres.
Il faudra tirer les conclusions des expériences menées, qui conjuguent réussites et dysfonctionnements. Aujourd'hui, les relations entre les centres de gestion et les collectivités sur l'ensemble du territoire sont marquées par une grande hétérogénéité. Il convient d’être cohérent et d’avancer sur ce sujet ; mais nous nous en occuperons un peu plus tard…
M. Michel Delebarre. Très bien !
Mme Virginie Klès. Monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte a fait l’objet d’un énorme travail, à tous les stades de la concertation, avant de nous être présenté cet après-midi. Je tiens notamment à rendre hommage à la commission des lois et à son rapporteur.
Monsieur le ministre, j’ai bien entendu vos engagements tout à l’heure, avant la séance, sur la parité d’abord, notamment sur le fait que d’éventuels amendements déposés à l’Assemblée nationale seraient discutés au préalable avec le Sénat, sur les centres de gestion ensuite. Nous attendons encore quelques réponses de votre part, s’agissant en particulier du financement de l'ensemble des dispositions prévues dans ce projet de loi.
À l’instar de mes collègues, je précise que le vote de ce texte relatif à la résorption de la précarité dans les fonctions publiques ne vaut ni quitus ni blanc-seing au Gouvernement pour l'ensemble de sa politique en matière d’emploi. Mais je reconnais qu’il était attendu et nécessaire. Compte tenu de la confiance dont il est entouré, nous voterons en faveur de ce projet de loi, malgré tout le travail qui reste à accomplir. Mais celui-là, nous le ferons ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Michel Delebarre. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Paul Vergès.
M. Paul Vergès. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis aujourd’hui soulève une question : sa mise en application va-t-elle favoriser la cohésion et l’unité de la fonction publique, en faisant notamment disparaître la précarité, ou, au contraire, porter une nouvelle atteinte à cette unité par la création d’une catégorie supplémentaire de salariés ?
Cette question de l’unité de la fonction publique est posée avec acuité en France, mais elle l’est à son paroxysme outre-mer, particulièrement à la Réunion.
Dans moins de deux mois, le 19 mars, nous allons célébrer le soixante-sixième anniversaire de la loi de 1946, faisant de la Réunion, de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane des départements français. Trois générations se sont ainsi succédé durant ces six décennies dans la fonction publique. Or la situation que l’on connaît aujourd’hui est totalement anarchique, alors que la loi du 19 mars 1946 faisait obligation de régulariser cette situation au 1er janvier 1947.
Tout d’abord, s’agissant du statut, il faut constater que la fonction publique d’État comme la fonction publique hospitalière se composent, dans une très large majorité, d’agents titulaires. En revanche, dans la fonction publique territoriale, particulièrement à la Réunion, les deux tiers des agents sont des contractuels.
Ensuite, concernant les rémunérations, les agents titulaires bénéficient outre-mer de ce que l’on appelle des majorations de rémunération. Cette surrémunération atteint 53 % à la Réunion et trouve son origine dans la prise en compte du coût de la vie et une indexation établie à l’époque du franc CFA aujourd’hui disparu.
Rappelons que ces majorations de traitement, décidées par l’État, ont été maintenues par tous les gouvernements successifs. Ces compléments de rémunération sont aussi appliqués aux salariés d’organismes publics ou parapublics, avec des coefficients variables selon les secteurs.
Dans la fonction publique territoriale à la Réunion, l’écrasante majorité des agents n’est pas titulaire et ne bénéficie donc pas de l’égalité de traitement avec la minorité d’agents titulaires.
Cette forte inégalité entre les agents titulaires et les agents non titulaires est une évidence : où est donc le principe d’égalité ? Qui est responsable depuis soixante-six ans du refus de la cohésion de la fonction publique et, par voie de conséquence, de la cohésion sociale ?
À cela s’ajoute la question des salariés qui travaillent sous contrat précaire, plus particulièrement dans les mairies, ou dans les établissements publics locaux d’enseignement – lycées, collèges – qui, pour des raisons budgétaires, ont été recrutés sous contrats aidés.
Or dans le secteur privé, en raison de la politique des gouvernements successifs concernant la rémunération de la fonction publique d’État, certaines entreprises appliquent souvent un coefficient d’indexation pour leurs cadres, mais jamais pour la masse des salariés. Cette indexation est de 30 % à 40 % dans les banques et les assurances par exemple, et elle s’élève à 70 % à la radio et la télévision publiques.
Ces disparités de revenus sont encore plus flagrantes lorsqu’on évoque la situation du tiers de la population réunionnaise, allocataire de minima sociaux, qui, eux, ne sont pas indexés alors que le coût de la vie est le même pour tous. Cela explique le taux de pauvreté de près de 50 % de la population selon l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE.
Ainsi, la question des revenus à la Réunion est celle qui cristallise toutes les contradictions, et cette inégalité institutionnalisée s’aggrave constamment…
Cela s’oppose totalement au principe qui régit la fonction publique : tout fonctionnaire est en droit de prétendre au même traitement, à qualification, grade et échelon égaux, qu’il entre dans le cadre de la fonction publique d’État, de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique hospitalière.
Or si les communes d’outre-mer devaient verser à tous leurs agents la surrémunération décidée par l’État au nom du coût de la vie depuis soixante-six ans, leur budget de fonctionnement n’y suffirait pas et les budgets d’investissement se verraient extrêmement contraints. Ces majorations de rémunération décidées par l’État, dès lors qu’elles sont à la charge des collectivités, constituent un obstacle à la titularisation de l’écrasante majorité des employés communaux, qui sont ainsi privés du statut auquel ils ont droit. Et cela dure depuis trois quarts de siècle !
Or, je le rappelle, la décision de l’application d’un coefficient de majoration de traitement a été prise par l’État pour tous les fonctionnaires servant outre-mer, qu’ils relèvent de l’État ou des collectivités. Cette situation crée une rupture d’égalité de charges entre les collectivités de la France continentale et celles de l’outre-mer.
La situation actuelle impose en effet aux collectivités locales d’outre-mer des charges supplémentaires, celles qui sont liées aux compléments de rémunérations de leurs agents titulaires, alors que les collectivités de France continentale n’ont pas à supporter cette charge financière.
En outre, les collectivités d’outre-mer doivent faire face à des obligations que ne connaissent pas les collectivités de France métropolitaine : le potentiel fiscal est globalement moins important outre-mer ; les retards en termes d’équipements et d’encadrements sont importants ; enfin, la progression démographique outre-mer implique la création d’équipements supplémentaires. À la Réunion, le nombre d’habitants, qui est aujourd’hui de près de 850 000 habitants, s’élèvera à plus d’un million dans seulement quinze ans.
Dès lors, au nom du principe de l’égalité de traitement entre collectivités, il appartient à l’État, et à lui seul, de prendre en charge le coût des surrémunérations des agents de la fonction publique territoriale outre-mer, et de lever ainsi l’obstacle majeur à la titularisation des agents communaux et à la résorption de la précarité dans la fonction publique, objet même de ce projet de loi !
Les milliers d’agents de ces collectivités – 16 500 à la Réunion, sans compter les 8 000 emplois aidés – ont déjà trop attendu pour que, aujourd’hui, on laisse passer l’occasion, à travers le présent texte, de résoudre une fois pour toutes la question de leur titularisation.
Le Gouvernement, quel qu’il soit, doit prendre conscience que cette situation d’injustice, qu’il a créée et pérennisée pendant soixante-six ans, doit obligatoirement cesser. Le climat est explosif !
Le vote de ce projet de loi, visant à la résorption de la précarité et à faciliter la titularisation des agents contractuels, doit créer une obligation morale pour le Gouvernement de régler, cette année même, cette question récurrente outre-mer, en concertation avec l’ensemble des acteurs concernés.
Afin d’y parvenir, le respect du principe d’égalité est essentiel : d’une part, l’égalité de traitement entre tous les fonctionnaires servant dans un même département, quelle que soit la fonction publique à laquelle ils sont rattachés, et, d’autre part, l’égalité des charges imposées aux collectivités de la République, de France comme d’outre-mer. Le sort de 100 000 travailleurs qui subissent cette inégalité outre-mer est en jeu !
Rien ne peut en tout cas justifier l’éviction du statut de la fonction publique de dizaines de milliers d’agents des collectivités. J’espère avoir été entendu… (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)