M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille.
M. Hervé Marseille. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous savons tous à quel point il peut être délicat pour une nation de regarder son passé sans fard. Pendant trop longtemps, la question de la reconnaissance de l’engagement des harkis a été éludée ou retardée, laissant dans l’incompréhension ceux-là mêmes qui ont fait le choix de la France lors de l’un des épisodes les plus douloureux de notre histoire récente. Comme je l’ai fait alors que j’étais jeune attaché ministériel auprès du secrétaire d’État aux rapatriés, il suffit, pour s’en convaincre, d’aller visiter les camps d’Antibes, de Roubaix, d’Amiens, ou encore du Lot-et-Garonne.
Cette injustice a été lentement réparée grâce à un processus législatif qui s’est déroulé pendant près de dix ans, de l’adoption de la loi du 11 juin 1994, qui a été la première au sein de laquelle a été exprimée la reconnaissance de la France aux harkis, à celle de 2005 qui a cherché à protéger les rapatriés et leurs descendants contre les invectives charriées par un passé encore très mal cicatrisé.
Il est apparu que, en raison d’un problème juridique, l’esprit de la loi du 23 février 2005 voulant protéger les harkis contre des injures et des diffamations ne pouvait pas s’appliquer, alors même que l’intention du législateur de l’époque était parfaitement claire. C’est précisément l’article 5 de cette loi qui n’a jamais eu la portée qu’il aurait dû avoir. À cet égard, mademoiselle le rapporteur, vous avez exposé très clairement la difficulté rencontrée par ce texte, et je vous remercie de l’important travail que vous avez réalisé.
L’article 5 précité interdit l’injure et la diffamation à l’encontre d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki. Il aurait également dû permettre de sanctionner l’apologie des crimes commis contre les harkis. Mais alors qu’il dispose que l’État est chargé d’assurer « le respect de ce principe dans le cadre des lois en vigueur », le législateur n’a pas su donner aux juges les moyens de sanctionner les actes visés par cet article.
La loi sur la liberté de la presse de 1881 encadre les domaines de l’injure et de la diffamation. Elle opère une distinction selon que l’injure ou la diffamation a été commise à l’encontre d’un individu ou d’un groupe de personnes. Or la Cour de cassation a fait remarquer que les conditions du cadre légal en vigueur ne pouvaient pas s’appliquer aux injures et diffamations visant les harkis.
Permettez-moi, mes chers collègues, de ne pas entrer dans le détail juridique, le rapport étant parfaitement précis à ce sujet. Néanmoins, je rappellerai que le droit pénal repose sur plusieurs principes fondamentaux, notamment sur le principe de légalité des délits et des peines, nullum crimen, nulla poena sine lege, autrement dit nul crime, nulle peine sans loi.
À ce titre, l’article 111-3 du code pénal dispose : « Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi ». Selon son corollaire direct, à savoir l’article 111-4 du même code : « La loi pénale est d’interprétation stricte. »
Les injures et diffamations à l’encontre des harkis portant sur un choix politique et non pas sur des origines religieuses ou ethniques, la loi de 1881 ne peut alors pas s’appliquer. C’est pourquoi le juge pénal n’est pas en mesure de suivre l’esprit que le législateur a donné à l’article 5 de la loi du 23 février 2005.
Dès lors, cet article étant vidé de toute sanction pénale, il nous revient aujourd’hui d’intervenir pour lui donner toute la portée qu’il mérite et rendre ainsi efficiente la protection voulue en 2005.
Par ailleurs, mes chers collègues, je dois remarquer que la présente proposition de loi reprend, hormis un détail d’importance, le dispositif de la loi de 1881 concernant l’action civile des associations.
Initialement, les associations avaient la possibilité de se porter partie civile uniquement avec l’accord de l’individu ayant subi l’injure ou la diffamation. Désormais, le principe est renversé au profit d’une constitution de partie civile des associations, sauf opposition expresse des victimes visées par l’infraction.
Ce renversement est justifié dans le rapport par la prise en compte des pressions susceptibles d’être exercées sur les victimes. Or il peut surprendre et amener des réserves. En effet, lors du procès pénal, c’est l’État qui poursuit le présumé criminel ou délinquant. Il peut donc paraître étonnant d’avoir à se préoccuper des parties civiles, alors même qu’elles ont déjà surmonté les pressions lors de leur dépôt de plainte.
Pour autant, ces hommes et ces femmes, ces familles qui ont chèrement payé leur engagement auprès de la France, qui sont souvent devenus Français au prix du sang, méritent une reconnaissance pleine et entière. La première forme de reconnaissance que nous leur devons est la protection dans ce qu’elle a de plus élémentaire. Ainsi, il incombe à la Haute Assemblée de remédier une bonne fois pour toutes aux lacunes de la loi de 2005 et d’achever le processus engagé en 1994.
Mes chers collègues, il s’agit là, pour une question de justice, d’aller dans le sens d’une amélioration de notre droit et de rendre à chacun ce qui lui revient.
Nous ne pourrons jamais rembourser le prix que les harkis ont dû acquitter pour leur engagement, et cela au même titre que l’ensemble des « morts pour la France », dont nous parlerons la semaine prochaine.
Aussi, mes chers collègues, au-delà des problèmes de droit qui peuvent nous être soumis en l’espèce, je tiens à remercier Raymond Couderc et le rapporteur, Sophie Joissains.
Tout comme l’ensemble des membres du groupe de l’Union centriste et républicaine, je voterai en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UCR, de l’UMP, du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. René Vandierendonck.
M. René Vandierendonck. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, quand le président Bouteflika a utilisé le terme de « collabos » pour désigner les harkis, dont plus de 1 000 familles vivent à Roubaix, lorsque le maire de Montpellier, de manière indigne, les a qualifiés de « sous-hommes », il est évident que les limites de la jurisprudence de la Cour de cassation ont, en quelque sorte, sauté aux yeux du maire de Roubaix que je suis.
Cher Raymond Couderc, je m’intéresse aux harkis depuis trente ans et je ne vous ferai pas le procès de ne vous préoccuper de leur sort qu’à l’approche de la campagne électorale, car je sais à quel point vous êtes présent dans ce combat depuis longtemps.
Je tiens à situer correctement le débat.
Comme cela a été démontré du point de vue juridique et de la plus belle manière par Mlle le rapporteur, il fallait incontestablement procéder à des ajustements et corriger la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés. Le principe de la sanction existait mais était vidé de toute portée pratique.
Je salue en cet instant la qualité du débat qui s’est déroulé en commission des lois, sous la présidence de Jean-Pierre Sueur.
Les membres de mon groupe soutiennent la présente proposition de loi. Ils préconisent – c’est une idée que vous devez connaître, cher Raymond Couderc, vous qui défendez depuis longtemps les harkis – de laisser de côté les législations spécifiques lacunaires, hétérogènes, stratigraphiques, qui donnent aux harkis, à quelques mois de l’élection présidentielle, un « petit plus », un régime spécifique. Au contraire, il convient de les faire entrer de plain-pied, si je puis dire, dans le droit commun, comme avait commencé à faire la loi de 2005. Or le droit commun de la diffamation et de l’injure relève bien de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, si on laisse de côté les arguties juridiques.
Les membres de mon groupe ont voulu instituer, si j’ose dire, monsieur Sueur, une « fraternité d’armes » juridiques, permettant à nos concitoyens harkis de faire valoir leurs droits et aux associations, lorsqu’elles sont constituées conformément aux dispositions de ce texte, d’exercer les droits reconnus à la partie civile.
Pour ceux qui, jusqu’à présent, comme le précise le dernier ouvrage, au demeurant excellent, de notre collègue Esther Benbassa, ont comme seule identité la souffrance – et tel est le cas des harkis –, il faut oublier les clivages et faire ce pas décisif.
Monsieur le secrétaire d’État, 70 % des harkis séjournant à Roubaix ont transité par le camp de Rivesaltes, seule commune, à ma connaissance, qui ait pour projet de construire un musée mémorial retraçant une mémoire croisée de la guerre d’Algérie, à laquelle les harkis ont pris toute leur part, sur les deux rives de la Méditerranée.
L’article 3 de la loi de 2005 prévoit la création de la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie. Mais, sauf erreur de ma part, les décrets d’application ne sont pas encore parus.
Si l’on veut faire échapper la mémoire aux enjeux électoraux, il est absolument essentiel d’adopter des mesures importantes à l’occasion de l’examen de textes législatifs tels que celui qui nous est soumis ce jour, notamment de favoriser, de part et d’autre de la Méditerranée, une mémoire croisée sur la guerre d’Algérie et tous ceux qui y ont pris part. À bien des égards, c’est la clé de voûte de ce qui reste de cohésion nationale dans les quartiers où est menée une politique de la ville. Et tant que cette dimension de l’histoire ne sera pas restituée de manière croisée et non pas officielle, la cohésion nationale ne progressera pas.
Quoi qu’il en soit, mon groupe soutient sans réserve la présente proposition de loi et vous remercie, mademoiselle Joissains, d’avoir accepté d’intégrer dans le texte de la commission les amendements qui tendent à redonner à l’action contre la diffamation et l’injure publique toute leur place dans le droit commun. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, de l’UCR, de l’UMP et du RDSE, ainsi qu’au banc de la commission.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le problème particulièrement sensible et douloureux de la place et du rôle des harkis lors de la guerre d’Algérie fait de nouveau l’objet, comme d’autres sujets en cette période préélectorale, d’une opération politicienne.
À l’approche des élections présidentielle et législatives, mais aussi du cinquantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, quelques membres de la majorité présidentielle ont jugé opportun de rouvrir un débat sur cette question délicate. Avec la proposition de loi dont nous discutons ce matin, ceux-ci veulent manifestement reconquérir une partie de l’électorat déçue par le président-candidat.
En effet, quelle urgence, sinon une finalité électoraliste, imposerait d’examiner avant la prochaine suspension des travaux parlementaires un texte purement symbolique, déposé voilà un an pour amadouer des associations de défense de la communauté harkie qui considèrent que les promesses faites n’ont pas été tenues ?
Comme nous l’a exposé le rapporteur, Sophie Joissains, ce texte ne vise qu’à parachever un travail de reconnaissance morale qui n’a aucune incidence sur les revendications matérielles de cette communauté.
La proposition de loi de notre collègue Raymond Couderc est un affichage politique, qui se limite à combler une lacune de la loi du 23 février 2005, dont l’une des principales mesures était l’interdiction de la diffamation et de l’injure à l’égard des anciens harkis ou de leurs descendants. Cette loi revalorisait également l’allocation de reconnaissance versée aux harkis. Mais les sanctions pour diffamation et injure étaient renvoyées, sans autre précision, à l’état du droit en vigueur.
La Cour de cassation ayant jugé ce texte insuffisant pour permettre d’appliquer des peines, la proposition de loi qui nous est soumise permet de se référer directement aux peines déterminées par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Elle permet aussi aux associations de poursuivre en justice, en leur octroyant les droits de la partie civile.
En renforçant juridiquement la protection de ces hommes et des associations qui les représentent, ces dispositions pourraient paraître justes, sembler logiques, anodines et sans grande portée. Toutefois, derrière cette apparence se cachent de graves ambiguïtés.
Dans le cas d’espèce, la qualification d’injure et de diffamation, à partir de l’utilisation de façon péjorative du terme « harki » à l’égard d’individus et de leurs associations, restera difficile à établir, notamment parce que les associations de défense des intérêts des anciens harkis sont maintenant essentiellement composées de leurs fils et de leurs petits-fils, qui n’ont donc pas eux-mêmes la qualité de harki.
En outre, la plupart de ces associations se sont laissé instrumentaliser par une droite et une extrême droite qui interprètent de manière souvent fallacieuse l’engagement, plus ou moins volontaire et conscient, de ces supplétifs de l’armée française durant la guerre d’Algérie. En effet, il faut lucidement reconnaître que la plupart d’entre eux, même si leur attachement à la France pouvait être réel, se sont engagés essentiellement pour survivre économiquement, par souci de sécurité, en se croyant à l’abri sous le drapeau français.
Dans un tel contexte, et au vu de ces considérations, on peut considérer que cette proposition de loi s’apparente à ces lois mémorielles qui interprètent la réalité des faits et imposent aux historiens de se conformer à une vérité officielle, alors même que le rôle et la place qu’ont tenus les harkis pendant la guerre en Algérie, mais aussi en métropole comme supplétifs de la police parisienne, sont encore loin d’avoir été établis de façon objective et dépassionnée.
La complexité et les antagonismes exacerbés de ce conflit expliquent en grande partie que, pour certains, le terme « harkis » puisse être devenu synonyme de « traîtres ». Avec une loi de ce type, des chercheurs qui estimeraient par exemple que ces Algériens engagés aux côtés de l’armée française ont trahi leur peuple qui se libérait de l’oppression coloniale ne risqueraient-ils pas d’être condamnés ? Est-il judicieux de raviver aujourd’hui, de cette façon, des souvenirs douloureux qui divisent aussi bien la population française, dont ils font partie, que les descendants, eux aussi français, de l’immigration algérienne ?
Grands oubliés de l’histoire, parias en France, collaborateurs de l’ennemi en Algérie, les harkis souffrent certes d’un manque de reconnaissance. Cependant, il est vraiment paradoxal et contradictoire que cette proposition de loi émane de la droite, qui prétend se faire le défenseur exclusif de leur honneur et de leur réputation. En effet, compte tenu de ses responsabilités dans les drames qu’ils ont vécus et de la situation déplorable dans laquelle ont longtemps été maintenus leurs descendants, cette prétention est usurpée.
Je rappelle que c’est le gouvernement en place en 1962, alors que le général de Gaulle était Président de la République, qui les a désarmés et laissés, avec leurs familles, se faire massacrer par les partisans du nouveau pouvoir algérien. Par la suite, ce sont aussi des gouvernements de droite qui ont relégué dans des camps, à l’écart de nos villes et de nos villages, comme pour les cacher à la population française, ceux d’entre eux qui avaient souhaité venir en métropole. Surtout, ce sont ces mêmes gouvernements qui, pendant vingt ans, ont d’abord refusé de satisfaire leurs légitimes revendications matérielles, en matière d’indemnités ou d’aides à l’emploi et au logement, puis de mettre fin aux discriminations de toutes sortes, notamment sociales et économiques, auxquelles ont été confrontés leurs enfants et petits-enfants.
Dans ce contexte, et compte tenu de la complexité de cette question, le groupe communiste républicain et citoyen, dans sa grande majorité, ne prendra pas part au vote sur cette proposition de loi. Nous ne sommes pas dupes des arrière-pensées qui motivent la décision de la droite de la soumettre aujourd’hui au Sénat.
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, chère Sophie Joissains, mes chers collègues, l’examen de la proposition de loi tendant à modifier la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés s’inscrit dans un ordre du jour de notre assemblée particulièrement tourné vers le passé.
En effet, nous avons examiné hier la proposition de loi relative au suivi des conséquences environnementales des essais nucléaires français en Polynésie française, nous serons saisis lundi prochain de la proposition de loi – très sensible – visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi, avant de débattre le lendemain du projet de loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.
Serait-ce – je ne le crois pas – la période préélectorale qui inspire tant d’attentions particulières ? Si chacun de ces textes aborde des problématiques bien différentes, force est de constater que trois d’entre eux ont une large dimension mémorielle.
En tant qu’élu de la Nation, je suis naturellement farouchement attaché aux devoirs de mémoire et de reconnaissance. Il convient en effet d’honorer comme il se doit la mémoire de tous ceux, combattants et victimes innocentes, qui ont payé le prix d’un conflit ou d’une guerre. Un État responsable doit réparer les conséquences des préjudices subis par des personnes ou leurs descendants.
Cependant, en tant que législateur, je ne souhaite pas – je le dis clairement – qu’il soit fait un usage immodéré des lois mémorielles ou de leur prolongement juridique. Prenons garde de ne pas entrer dans une marchandisation de l’histoire qui conduirait à l’effacement de l’histoire vivante et critique au profit d’une autre histoire figée et instrumentalisée par les pouvoirs publics.
Souvenons-nous, mes chers collègues, de l’indignation exprimée par d’éminents historiens, dans leur appel « Liberté pour l’Histoire », après l’adoption de la loi du 23 février 2005. Nous ne devons pas rester indifférents à leur souhait de voir cesser l’intrusion du législateur dans le champ historique, d’autant que ce principe de non-intrusion a également été préconisé – rappelons-le aussi – par la mission parlementaire conduite en 2008 par le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer.
Pour autant – je dois également le reconnaître –, comment ne pas apporter une réponse aux attentes de ceux qui nous occupent aujourd’hui, les harkis ? Comment ne pas vouloir réparer le drame vécu par ces derniers, qui, comme les rapatriés, ont dû fuir l’Algérie dans la précipitation et la peur, laissant derrière eux l’histoire d’une vie, des amis et un pays qui ne serait désormais plus vraiment le leur ? Comment ne pas aider ces milliers d’hommes, de femmes et d’enfants brutalement déracinés et dirigés vers une métropole qui n’était pas du tout préparée à les accueillir, si ce n’est de façon indigne, dans des camps ou des hameaux de forestage ?
Beaucoup de harkis ont encore, dans leur tête mais aussi dans leur chair, dans leur cœur, le souvenir de cette époque, qui fut très difficile aussi bien avant qu’après le cessez-le-feu du 19 mars 1962. C’est pourquoi les propos injurieux à l’encontre des harkis peuvent réveiller des blessures encore très vives. C’est intolérable au vu de tout ce qu’ils ont donné à la France.
La République a longtemps jeté un voile pudique sur ce qu’elle appelait encore, il y a si peu, « les événements d’Algérie ». Progressivement, notre pays a fait face à son histoire, à cette guerre coûteuse en vies et en ressentiments. C’est une nouvelle marche qu’il nous faut encore gravir aujourd’hui pour protéger les harkis. Les membres du RDSE, dans leur ensemble et dans leur diversité, sont prêts à favoriser cette avancée qu’est le prolongement de l’article 5 de la loi du 23 février 2005.
Mes chers collègues, je crois qu’il ne faut pas voir dans ce vote un acte de repentance. Il ne s’agit pas de s’excuser pour les vicissitudes de notre histoire nationale, il s’agit de faciliter la vie de ceux qui ont tout perdu en 1962. Ce n’est d’ailleurs pas une préoccupation nouvelle, puisque les harkis ont progressivement obtenu des aides matérielles avant de recevoir, par la loi du 23 février 2005, une reconnaissance morale.
Cependant, si, malgré des politiques d’aide à l’accueil et à l’intégration, les harkis éprouvent toujours un sentiment d’abandon à la suite d’une injure – on peut le comprendre –, ils doivent bénéficier des moyens juridiques de se défendre efficacement. Faut-il rappeler qu’il n’y a qu’une seule et unique catégorie de citoyens français ?
Comme l’a très justement et excellemment souligné notre collègue rapporteur, la jurisprudence a démontré les limites des dispositifs existants et, plus particulièrement, les faiblesses de l’article 5 de la loi du 23 février 2005. La proposition de loi vise à remédier à cette lacune, et un amendement a été déposé pour qu’elle concerne l’ensemble des formations supplétives de l’armée plutôt que les seuls harkis, ce qui me semble être une très bonne chose. Quelle que soit la rédaction qui sera finalement retenue, l’essentiel, me semble-t-il, est de sécuriser l’honneur de milliers de personnes dont le destin individuel s’est soudainement confondu avec le destin collectif de la France.
En cette année du cinquantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie, ce texte a également une portée symbolique. Il contribue au mouvement d’apaisement entre tous les acteurs d’une histoire certes mouvementée, mais désormais de plus en plus assumée. Je crois que c’est bien là l’essentiel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, de l’UCR et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Bruguière.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, chère Sophie Joissains, mes chers collègues, le 5 décembre dernier, nous avons célébré la journée nationale d’hommage aux combattants morts pour la France en Afrique du Nord. Lors de cette journée, la France se souvient de ceux qui ont fait le sacrifice de leur vie. Il est de notre devoir de nous souvenir.
Nous devons toute notre reconnaissance à ceux qui, au sein des forces armées ou des forces de l’ordre, ont répondu à l’appel de la Nation. Ils méritent le respect, la gratitude et la solidarité de la Nation. C’est d’ailleurs le sens des engagements successifs que l’État a pris à leur égard, car, à travers leur engagement et leurs sacrifices, ils ont assumé leur devoir. Près de 25 000 d’entre eux ont payé de leur vie leur fidélité à notre pays.
Nous devons également avoir une pensée pour toutes les victimes civiles, de toutes origines et de toutes confessions, et pour toutes les familles endeuillées et meurtries par ces années de conflit.
Toutefois, nous ne pouvons nous contenter de rester dans le souvenir intellectuel, idéologique. Nous devons continuer à nous battre pour une meilleure et plus juste reconnaissance de leur courage. Il s’agit aujourd’hui d’une question d’honneur pour nous.
La reconnaissance morale des sacrifices consentis par les harkis est intervenue tardivement dans l’histoire de la mémoire collective. Néanmoins, en 1994, nous avons su, parlementaires de droite et de gauche, nous accorder pour que « la République française témoigne sa reconnaissance envers les rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie pour les sacrifices qu’ils ont consentis ».
Nous avons ensuite adopté la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, qui a constitué une nouvelle étape dans cette reconnaissance.
Cette loi comportait deux volets principaux : d’une part, la revalorisation de l’allocation de reconnaissance dont les harkis bénéficient depuis le 1er janvier 2003, les titulaires de cette allocation pouvant par ailleurs opter pour le versement d’un capital en lieu et place de la poursuite du versement trimestriel de l’allocation ; d'autre part, l’interdiction de toute injure ou diffamation envers les harkis en raison de cette qualité, ainsi que de toute apologie des crimes commis envers cette communauté.
C’est bien à ce second volet que Raymond Couderc et nombre d’entre nous se réfèrent aujourd’hui.
Il ne s'agit pas d’une loi mémorielle de plus. Nous avons souhaité que la reconnaissance de la Nation se traduise sur le plan de la mémoire puis sur le plan matériel. Notre démarche actuelle est annexée aux précédentes.
En effet, aux termes de l’article 5 de la loi du 23 février 2005, sont interdites « toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki, d’ancien membre des formations supplétives ou assimilés » – l’injure vise une expression outrageante qui se distingue de la diffamation en ce qu’elle ne renferme l’imputation d’aucun fait précis – et « toute apologie des crimes commis contre les harkis et les membres des formations supplétives après les accords d’Évian ».
L’État est chargé d’assurer le respect de ces principes « dans le cadre des lois en vigueur ». Cependant, la loi du 23 février 2005 n’a pas assorti ces interdictions de sanctions pénales.
Comme l’a souligné notre rapporteur, Sophie Joissains, « cette lacune soulève aujourd’hui des difficultés que de récentes décisions de la Cour de cassation ont mises en lumière ». Je ne m’y attarde pas, vous invitant à vous reporter au formidable travail de notre collègue, sinon pour souligner que, du fait de cette lacune, les harkis ou leurs descendants ne peuvent porter plainte qu’en qualité de particulier, sur le fondement des dispositions de caractère général, dans la mesure où il a été porté atteinte à leur honneur et à leur considération.
C’est à cette situation, qui constitue une énième difficulté pour nos frères d’armes, que nous avons voulu remédier. Tel est l’objet de la proposition de loi que Raymond Couderc, nombre de mes collègues et moi-même vous soumettons.
Les dispositions de l’article 5 de la loi de 2005 interdisant toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki se trouvent privées de toute portée. L’intention du législateur ne se réalise dans aucune protection spéciale à l’égard des harkis et de l’ensemble des formations supplétives de l’armée.
Nous souhaitons donc réparer cette carence, en prévoyant que la diffamation envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki ou d’ancien membre des forces supplétives de l’armée soit punie. L’injure serait, quant à elle, également passible d’une peine, conformément aux dispositions de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, le renvoi aux sanctions prévues par cette loi impliquant que l’infraction ait été commise dans les conditions fixées par la même loi.
Mais nous avons voulu aller plus loin. C’est pourquoi nous proposons de compléter le dispositif et d’autoriser toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant, par son statut, de défendre les intérêts moraux et l’honneur des harkis ou des anciens membres des forces supplétives, d’exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne le délit de diffamation ou d’injure qui a causé un préjudice direct ou indirect à la mission qu’elle remplit.
Nous souscrivons pleinement à la proposition du rapporteur de prendre en compte les pressions susceptibles de s’exercer sur les victimes, dans le but que l’action des associations de défense des intérêts des harkis puisse s’exercer, sauf opposition expresse des victimes visées par l’infraction.
Dans ce contexte, vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe UMP, apparentés et rattachés, soutiendra cette initiative. Pour nous, parlementaires, il s’agit d’une question d’honneur : réparer les fautes qui ont été commises et qui le sont encore parfois à l’égard de ces hommes et de ces femmes qui ont servi la France.
Les harkis, dont la loyauté, la fidélité à la personne du chef, la discipline et le courage ont été exemplaires, étaient sur le front de tous les combats. Montrons à leurs enfants qu’ils étaient dans l’honneur et dans la vérité.
Nous le devons à notre pays, pour l’idée que la France se fait d’elle-même, pour l’idée de la France que nous avons. Nous le devons à ceux qui ont démontré leur attachement à la France. Comme l’écrivait Portalis, « les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison ». (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. le président de la commission et M. René Vandierendonck applaudissent également.)